Notes
-
[1]
On appelle « publireportage » une méthode de publicité/promotion commerciale, visant à augmenter l'usage d'un produit quelconque en mettant en scène sa consommation ordinaire sur le mode du récit décrivant des scènes d'apparence ordinaire de la vie quotidienne. Le publireportage repose sur une connivence entre l'organisation qui cherche à faire sa publicité et le support choisi pour la diffuser. Par extension, nous proposons de considérer comme des formes de publireportage tout reportage/documentaire/sujet d'actualité valorisant des personnes ou des métiers sans distance ni analyse critique (a fortiori sur un mode héroïque), en se fondant uniquement sur les sources fournies et dûment sélectionnées par les personnes ou les organisations concernées.
-
[2]
Les crimes sont jugés en cours d'assises, les contraventions par les tribunaux de police et les juridictions de proximité.
-
[3]
Les chiffres clefs de la justice 2013, Paris, Ministère de la Justice, 2013.
-
[4]
Après plusieurs décennies d'existence informelle dans les plus grandes villes, la procédure de « flagrant délit » est instituée par une loi du 20 mai 1863. Il s'agit de répondre à la petite délinquance urbaine dont l'augmentation accompagne l'exode rural et le développement des agglomérations industrielles (Lévy, 1985). À Paris, elle permet déjà de juger un prévenu le lendemain de son arrestation. Cette procédure n'a, depuis, jamais cessé d'exister. Conséquence de la forte repolitisation du thème de la sécurité à partir du milieu des années 1970, elle reparaît cependant sur les devants de la scène politique à l'occasion du vote de la loi « Sécurité et liberté » du 2 févr. 1981, le garde des Sceaux Alain Peyrefitte souhaitant en étendre le champ d'application à toutes les affaires en état d'être jugées. Dès son arrivée son pouvoir, la gauche politique suspend cette disposition puis fait voter la loi du 10 juin 1983 qui instaure la « comparution immédiate » en lieu et place du flagrant délit. En 1986, le retour de la droite au gouvernement entraîne également un retour à la loi de 1981. En 1995, puis en 2002, des lois continueront à élargir le périmètre de la comparution immédiate en faisant en sorte d'y juger des affaires potentiellement de plus en plus graves (les délits passibles de 5 puis 7 et enfin 10 ans d'emprisonnement).
-
[5]
L'avocat ou le prévenu peuvent demander un supplément d'information et donc un délai supplémentaire s'ils estiment que l'affaire n'est pas en état d'être jugée.
-
[6]
Mais la loi du 26 déc. 2011 a instauré pour les mineurs une procédure de « comparution à délai rapproché » devant le Tribunal pour Enfants ou le Tribunal Correctionnel pour Mineurs. Ceci constitue, à ce jour, le dernier et plus significatif exemple de la progressive « consécration d'un procès pénal simplifié » (Viennot, 2012).
-
[7]
Les bénévoles niçois de la LDH animent de leur côté un blog consacré à cette recherche, sur lequel ils ont publié leurs propres analyses à l'issue de ces mois d'observations au Tribunal de Grande Instance : http://comparutionsnice.wordpress.com/2014/02/12/paroles-dobservateurs/
-
[8]
Notre unité de compte est bien la personne et non le dossier ou l'affaire. Plusieurs personnes peuvent avoir été jugées dans une même affaire, c'est le cas d'un tiers des affaires étudiées.
-
[9]
Rappelons que les observations au TGI de Nice se situent deux ans après la « révolution tunisienne », la chute du régime de Ben Ali et le fort mouvement d'immigration spontanée qui a suivi en Tunisie.
-
[10]
Sur cet état de santé mental plus que fragile de certains prévenus, v. les ex. donnés par Henri Busquet, « Propos liminaire » (http://comparutionsnice.wordpress.com/2014/02/12/paroles-dobservateurs/).
-
[11]
Le test du Khi 2 permet de tester l'existence d'une liaison statistiquement significative entre deux variables (en rappelant bien qu'une liaison entre deux variables ne signifie pas qu'elles entretiennent une relation de cause à effet, elles peuvent par exemple être toutes les deux des effets d'une troisième variable). On dira d'une relation statistique qu'elle est significative au seuil p. (appelé « seuil de significativité ») si la probabilité de se tromper en faisant l'hypothèse d'un lien entre les deux variables est inférieure ou égale à p. Dans notre étude, les effectifs n'étant pas très importants, nous avons placé le seuil de significativité à 5 %.
-
[12]
Les variables testées sont : le sexe, l'âge, la nationalité, le fait d'être étranger ou non, les antécédents judiciaires éventuels, l'état de santé, la catégorie socioprofessionnelle, le type d'emploi, la situation familiale, le fait d'avoir des enfants ou pas, la présentation devant le tribunal (auteur détenu, en garde à vue ou libre), et le fait d'avoir un avocat commis d'office ou pas. Ces variables seront les mêmes dans tous les calculs qui suivent.
-
[13]
La régression permet de dépasser le stade simple de la liaison entre deux variables en tenant compte dans l'analyse de plusieurs variables et de leurs forces explicatives. L'intérêt de cette technique est de quantifier la force de l'association entre chaque variable en tenant compte de l'effet des autres intégrées dans le modèle.
-
[14]
Ce qui dément un stéréotype très répandu sur les auteurs d'infractions qui seraient de fieffés menteurs n'assurant pas leurs actes, stéréotypes que l'on retrouve y compris chez les spécialistes du droit et de la procédure pénale (par exemple Pradel, 2007) manifestement peu au fait de la réalité du fonctionnement des tribunaux.
-
[15]
V. les obs. de Dominique Muller (« Le sens de la peine ») et de Denise Vanel (« Le théâtre judiciaire, un système bien rôdé »), texte publié sur le blog de la LDH de Nice : http://comparutionsnice.wordpress.com/2014/02/12/paroles-dobservateurs/.
-
[16]
Les 11 « autres peines » correspondent à 8 amendes (dont 2 accompagnées d'une interdiction de stade, 1 d'un contrôle judiciaire et 1 d'un stage de citoyenneté ou de sécurité routière), 2 stages de citoyenneté ou de sécurité routière dont 1 accompagné d'une annulation du permis de conduire, et enfin 1 interdiction du territoire français.
-
[17]
Comme l'écrivent Welzer-Lang et Castex (2012, 68) : « La ‘carrière' du délinquant se construit par une accumulation rapide, une spirale de condamnations successives dans des délais courts, et des peines de plus en plus lourdes du fait de la prise en compte majeure du casier judiciaire. Le casier judiciaire des prévenu(e)s se construit dans un processus itératif. L'effet casier devient la cause de l'aggravation de la condamnation suivante ». La recherche récente sur les juridictions de l'Ouest français confirme que cette importance du casier est du reste parfaitement consciente chez les magistrats : « le casier, voire le STIC, est quasi-unanimement présenté comme l'élément décisif, à la fois pour le choix d'orientation que pour la peine requise puis prononcée » (Saas, Lorvellec, Gautron, 2013, 189).
-
[18]
Dans leur étude de l'activité de cinq juridictions de l'Ouest français et sur un effectif très important (plus de 3 500 dossiers étudiés), Gautron et Retière (2013, 235-236) montrent également que : « toutes choses égales par ailleurs, la probabilité d'un emprisonnement ferme est 2,2 fois moindre pour une femme que pour un homme ».
-
[19]
Les avocats n'ont le plus souvent que le temps de vérifier la situation de famille, de logement et d'emploi des prévenus. Les relevés des observateurs des comparutions immédiates de Nice indiquent notamment que dans seulement 2 % des cas, les avocats ont pu faire appeler un témoin au procès.
-
[20]
De là des dérives individuelles chez les magistrats, constatées de longue date et relevées de nouveau par les observateurs de Nice comme de Toulouse (à Toulouse, face à un SDF toxicomane, un procureur se permet par exemple de dire : « Si vous voulez un peu de morphine pour vous calmer… on peut aussi vous piquer définitivement si cela vous arrange » [Welzer-Land, Castex, 2012, 43]). Ceci rappelle que le procès, et sans doute tout particulièrement le procès en comparution immédiate, fonctionne comme une « cérémonie de dégradation » (Garkinkel, 1967) et comme une « leçon de morale » (Vanhamme, 2006).
-
[21]
Les fortes différences et inégalités de traitement selon les tribunaux, au civil comme au pénal, sont bien connues, au point qu'une journaliste spécialisée sur les affaires judiciaires avait pu parler il y a quelques années d'une « loterie nationale » (Simonnot, 2003).
-
[22]
« Le Conseil Lyonnais pour le Respect des Droits, commission extra-municipale de la ville de Lyon, poursuit une mission de veille et d'alerte sur les discriminations et dysfonctionnements qui peuvent exister dans le recours et l'accès aux droits de tout un chacun. Ses membres se réunissent régulièrement autour de thématiques qui font débat : accès aux soins, droit de vote des étrangers non communautaires, sport, prison, accès à la culture, morts isolés, social, etc. » (http://www.respect-des-droits.org/).
-
[23]
Ceci est probablement lié au fait que la Cour de Justice de l'Union européenne a rendu le 28 avr. 2011 un arrêt dans lequel elle rappelle qu'une législation prévoyant une peine d'emprisonnement pour le seul motif du séjour irrégulier d'un étranger sur le territoire malgré l'ordre qui lui a été donné de le quitter, est contraire à la réglementation européenne.
-
[24]
Fajet (2008) évoque quant à lui des « culture judiciaire invisible » mais en tant qu'habitus global d'un corps professionnel au sens de Bourdieu (1986). Nous pensons pour notre part que les effets de contextes locaux sont aussi importants.
-
[25]
Ce qui renvoie sans doute d'une part au poids réel local des étrangers (qui représentent 9,3 % de la population des Alpes-Maritimes en 2010 selon l'INSEE, soit le plus fort taux départemental français hormis la région parisienne) et au caractère frontalier de ce département, d'autre part aux idéologies et aux pratiques des dirigeants de la municipalité dont il serait intéressant de connaître notamment les consignes officielles et officieuses données à la police municipale en matière de contrôle sur la voie publique (cette police municipale étant la plus pléthorique des grandes villes françaises avec 370 agents en 2012 : « Police municipale : les chiffres clés du ministère de l'Intérieur », La Gazette des communes, 6 janv. 2014).
-
[26]
Sur les particularités politiques du Sud-est français, v. Cadiou (2014).
Introduction : connaissance et méconnaissance de la justice pénale
1 Le fonctionnement de la justice pénale est largement méconnu en France. Les Français la jugent non seulement « trop lente », mais aussi « trop complexe », « opaque » et au « langage peu compréhensible » (Cretin, 2014). Contrairement à la police et à la gendarmerie, les statistiques d'activité produites par le système judiciaire ne font pas l'objet d'une intense communication par le ministère de la Justice et ne sont quasiment jamais discutées dans le débat public. Par ailleurs, si des sortes de « publireportages » mettant en scène l'action des policiers ou des gendarmes sont diffusés à la télévision, en soirée, de façon quasi quotidienne, il existe peu d'équivalents sur l'action des magistrats, qu'il s'agisse du siège ou du parquet [1]. Cette méconnaissance et ce vide communicationnel contribuent à laisser libre cours à des représentations plus ou moins fantasmées et à des discours dénués de fondement empirique ou s'appuyant sur des données tronquées. Pire : la mise en accusation du corps des magistrats (et par ailleurs, ou de façon collatérale, des différents types de travailleurs sociaux de la justice) constitue l'une des rhétoriques favorites des représentants du lobby sécuritaire, qu'il s'agisse d'élus, d'organisations ou de personnalités diverses (Mucchielli, 2014). Un exemple récent est donné par le livre de Xavier Bébin, auteur se présentant comme « juriste et criminologue », par ailleurs secrétaire général d'une association dénommée « Institut pour la Justice ». Intitulé Quand la justice créé l'insécurité (Fayard, 2013), le livre crée une mise en cause directe et globale d'un monde judiciaire qui serait enfermé dans « un dogmatisme pénal caractérisé par une réticence épidermique à punir ». Les magistrats auraient notamment mauvaise conscience car seraient persuadés que la plupart des délinquants sont des « victimes de la société », cette « culture de l'excuse » conduisant fatalement au laxisme : « les délinquants identifiés et présentés à la Justice ne sont le plus souvent condamnés qu'à des peines symboliques » (ibid., 21). La démarche, dénonciatoire et non analytique, se résume en un slogan : « l'impunité est devenue la règle dans le système pénal actuel » (ibid., 40).
2 Ces discours reposent ou profitent donc d'une large méconnaissance de la justice pénale, comme du reste en amont d'une large méconnaissance de la délinquance judiciarisée (i.e. saisie par la justice). Le cœur de cette dernière est constituée de délits et se trouve donc jugée par les tribunaux correctionnels [2]. En 2012, les tribunaux ont rendu 367 004 jugements et prononcé à ces occasions 617 221 peines [3]. Parmi elles, 292 399 étaient des peines d'emprisonnement (auxquelles doivent s'ajouter 1 006 peines de réclusion criminelle) soit près de la moitié (47,4 %) du total. En leur sein, 122 301 peines d'emprisonnement ferme (soit 20 % du total) ont été prononcées pour une durée moyenne d'environ 7 mois. La peine de prison, ferme ou avec sursis (et éventuellement mise à l'épreuve) constitue donc la première peine prononcée par les tribunaux correctionnels français, devant l'amende (225 582 peines, soit 36,5 % du total) et très loin devant les peines de travail d'intérêt général (TIG) (seulement 16 588 peines, soit 2,7 % du total). La prison demeure ainsi la « peine-étalon » du système judiciaire français (Saas, Lorvellec, Gautron, 2013, 167). Et, parmi les différentes formes que peut prendre un procès devant ces tribunaux, la comparution immédiate conduit les prévenus beaucoup plus souvent encore à la détention.
I - La procédure de comparution immédiate
3 Parmi les différentes formes de jugement correctionnel existant, il en est une qui constitue depuis le 19e siècle l'une des principales sources d'alimentation du système pénitentiaire : c'est la comparution immédiate (jadis tribunal des « flagrants délits ») [4]. Il s'agit d'une procédure permettant au procureur de la République de saisir le tribunal correctionnel et d'y faire comparaître l'auteur d'une infraction immédiatement après lui avoir notifié son statut de prévenu lors d'une rapide entrevue, à l'issue de la garde à vue. Le prévenu comparaît alors immédiatement devant le tribunal ou, au maximum, après trois jours de détention lorsque le tribunal ne peut pas se réunir le jour même. Cette procédure permet ainsi de juger les prévenus dans les jours suivant immédiatement la commission des faits, dès lors que le parquet estime que ces derniers sont suffisamment établis. En pratique, la comparution immédiate peut avoir lieu le jour même (à condition que le prévenu y consente [5]). Dans une note de 2012, la Direction des Affaires Criminelles et des Grâces (ministère de la Justice) estimait que c'était le cas dans 70 % des comparutions immédiates (DACG, 2012). Exclue en matière de crimes ou de contraventions, la comparution immédiate est possible en matière de délit si l'emprisonnement encouru est au moins égal à deux ans (ou, en cas de flagrant délit, au moins égal à six mois) et jusqu'à dix ans. Elle est théoriquement exclue s'agissant des mineurs [6].
4 En 2012, les tribunaux correctionnels ont rendu 367 004 jugements dont 44 272 en procédure de comparution immédiate. On reste loin des 225 171 jugements rendus après convocation écrite de personnes comparaissant donc libres à l'audience. Mais les comparutions immédiates pèsent tout de même 12,1 % des jugements en correctionnel.
5 Ainsi que le graphique 1 permet de la visualiser, au cours des années 2000, la procédure de comparution immédiate a globalement augmenté, passant grosso modo de 8 à 12 % de l'ensemble des modes de jugement des tribunaux correctionnels (avec un pic à 13 % en 2010). Cette augmentation s'est pour l'essentiel réalisée entre 2002 et 2007. Elle est probablement la conséquence à la fois des modifications introduites par la loi du 9 septembre 2002 (dite « Perben I »), et plus largement du climat politique répressif qui a suivi l'élection présidentielle de mai 2002, après une campagne électorale axée principalement sur le thème de « l'insécurité » (Terral, 2004 ; Née, 2012). Toutefois, si la comparution immédiate a été la cause principale de l'augmentation des entrées en prison au tournant des années 1980/1990 puis entre 2002 et 2005 (Aubusson de Cavarlay, 2006), depuis 2006 ce sont de nouveau les condamnations correctionnelles « ordinaires » qui expliquent l'augmentation générale de nombre d'entrées en prison (Graphique 2).
Graphique 1. L'évolution du recours à la comparution immédiate en nombre et en proportion de l'ensemble des jugements rendus par les tribunaux correctionnels en France (2000-2012)
Graphique 1. L'évolution du recours à la comparution immédiate en nombre et en proportion de l'ensemble des jugements rendus par les tribunaux correctionnels en France (2000-2012)
Graphique 2. L'évolution des placements sous écrou annuels selon la procédure en France (2000-2012)
Graphique 2. L'évolution des placements sous écrou annuels selon la procédure en France (2000-2012)
6 Il reste que, selon une note de la Direction des Affaires criminelles et des Grâces (DACG), le recours à la comparution immédiate entraîne depuis 1995 un taux de condamnations à une peine d'emprisonnement ferme d'environ 70 %. En pratique, « la comparution immédiate apparaît comme le mode de poursuite privilégié des infractions commises en état de récidive légale depuis la fin des années 90. Depuis 1995, le nombre de condamnations en récidive rendues dans le cadre d'une comparution immédiate a très fortement augmenté. La loi instaurant les peines plancher a contribué à encore accroître le nombre de condamnations en récidive prononcées dans le cadre de la comparution immédiate » (DACG, 2012). Ainsi, « la part des peines d'emprisonnement ferme d'un an et plus pour des infractions en récidive a nettement augmenté ». Par ailleurs, « l'existence d'une détention provisoire provoque un recours plus important à des peines d'emprisonnement ferme. La situation de détenu ou libre du prévenu lors du jugement accentue le lien entre comparution immédiate et condamnation à une peine d'emprisonnement ferme ». Enfin, cette augmentation du recours à la comparution immédiate aurait entraîné une légère modification dans la répartition des types d'infraction jugés, avec un accroissement des violences volontaires et une légère augmentation des infractions à la législation sur les stupéfiants.
II - Méthodologie de l'enquête niçoise
7 Il est rare, pour ne pas dire rarissime, que des citoyens se saisissent de la question du fonctionnement de la justice pénale en France. A fortiori qu'ils s'en saisissent non pas pour en dénoncer émotionnellement ou idéologiquement les lenteurs (parfois bien réelles) ou le laxisme (le plus souvent fantasmé), mais pour tenter d'en comprendre les rouages de façon rationnelle. Forte du précédent réalisé à Toulouse (Walzer-Lang, Castex, 2012), c'est ce qu'a voulu faire la section niçoise de la Ligue des Droits de l'Homme, en demandant pour ce faire l'appui de chercheurs, en l'occurrence de l'Observatoire Régional de la Délinquance et des Contextes Sociaux (ORDCS), programme de recherche du CNRS et de l'Université d'Aix-Marseille, soutenu par le Conseil régional Provence-Alpes-Côte-d'Azur [7]. Ce travail a supposé l'engagement d'une vingtaine de militants bénévoles qui, pendant neuf mois (de nov. 2012 à août 2013), après avoir reçu une formation juridique minimale grâce à l'appui du Syndicat des Avocats de France et du Syndicat de la Magistrature, ont assisté aux audiences de comparutions immédiates du Tribunal de Grande Instance de Nice, munis d'une grille de relevé d'informations, des après-midi entiers, jusqu'à des heures parfois très tardives de la soirée. Le lendemain ou dans les jours qui suivaient, ces bénévoles devaient ensuite reporter les informations notées à l'audience sur un questionnaire mis en ligne et qui alimentait directement une base de données. Au total, les bénévoles ont assisté à 180 audiences et saisi 489 questionnaires individuels exploitables [8]. Pour autant, s'agissant de relevés d'informations saisis en direct à l'audience, à partir donc des paroles prononcées, dans des conditions sonores parfois compliquées et sans avoir eu toujours la possibilité de vérifier au préalable l'ordre du jour auprès du greffe, ces 489 questionnaires présentent des disparités, des incomplétudes et dans certains cas des incertitudes. Il n'a notamment pas toujours été facile de déterminer le chef d'inculpation principal dans les cas, nombreux, de pluralité d'infractions poursuivies. C'est pourquoi, à ce stade d'analyse et de présentation des premiers résultats, certains des éléments chiffrés que nous allons donner sont à prendre comme des ordres de grandeur, des points de repère, et non comme une mesure infaillible et tout à fait précise. Au passage, cela vaut du reste pour la plupart des chiffres qui circulent dans le débat public, issus de comptages administratifs, d'enquêtes ou de sondages, et que leurs auteurs ou leurs commanditaires n'ont trop souvent pas le scrupule de prendre avec un minimum de prudence méthodologique.
III - Qui juge-t-on en comparution immédiate à Nice ?
8 À Nice, en comparution immédiate, pendant les neuf mois observés, l'on a jugé des hommes, dans 93 % des cas. Notons que la moitié des 7 % de femmes (mais elles ne sont que 33 au total) sont originaires d'un pays de l'Europe de l'Est.
9 Des hommes jeunes, puisqu'environ 70 % d'entre eux ont entre 18 et 34 ans.
10 Des hommes majoritairement isolés puisque les deux tiers sont célibataires et que plus de 56 % n'ont pas d'enfants. Et des hommes majoritairement peu insérés sous deux rapports déterminants.
11 Le premier est le logement : près de 40 % vivent encore chez leurs parents ou chez un autre membre de la famille, environ 30 % ont un logement propre ou bien vivent chez leur compagne, et les 30 % restant vivent dans des conditions de logement très précaires, un quart étant même plus ou moins à la rue ou bien alternant la rue et des logements précaires. 10 % sont tout simplement des sans-domicile-fixe (SDF).
12 Le second critère fondamental d'insertion est bien entendu l'emploi. Environ la moitié de la population pénale observée n'a pas d'emploi (après discussion avec les enquêteurs de terrain, on présume que la plupart des très nombreux cas non renseignés correspondent à des inactifs). L'autre moitié est composée presque exclusivement d'ouvriers, d'employés et d'artisans (les cadres moyens et les cadres supérieurs constituent moins de 3 % de l'effectif renseigné). Et, lorsqu'ils travaillent légalement, ces hommes le font très majoritairement dans des conditions précaires (CDD, Intérim, contrat précaire). En définitive, seuls 15 % des personnes pour lesquelles la situation est renseignée précisément, et 7 % de l'ensemble des auteurs, ont un CDI. En d'autres termes, dans une proportion allant de 80 à 90 %, nous avons probablement affaire à des personnes situées au plus bas de l'échelle sociale.
13 Cette situation d'insertion sociale très problématique est souvent liée à la situation juridique des personnes jugées en comparution immédiate. En effet, près de 60 % des personnes dont la nationalité est connue (mais l'information est manquante dans 61 cas) sont nées à l'étranger, le plus souvent dans un pays du Maghreb (en premier lieu la Tunisie [9]) ou en Roumanie.
14 Le cumul de ces situations de précarité du logement, de l'emploi et du statut juridique n'est pas surprenant. Outre qu'il s'agit de caractéristiques dominantes dans l'ensemble de la population sous main de justice (Bourgoin, 2013 ; Gautron, Retière, 2013), il est aussi et classiquement le résultat du tri opéré par les magistrats du parquet qui orientent davantage vers les comparutions immédiates les personnes ne présentant pas, ou pas suffisamment, de « garanties de représentation » au procès. Lorsque le risque est grand que les personnes « disparaissent dans la nature » si elles sont relâchées en attendant un procès ultérieur, leur présentation en comparution immédiate devient la seule garantie de leur jugement.
15 Enfin, près des deux tiers (63 %) des personnes jugées étaient déjà connues de la justice (elles ont un casier judiciaire), et une petite moitié (48 %) était en situation de récidive. Et on peut aussi penser, au vu des travaux déjà existant sur le fonctionnement de la justice pénale en général et sur les comparutions immédiates en particulier, que ce sont là deux autres raisons majeures de leur renvoi en comparution immédiate. On y reviendra.
IV - Quelles délinquances juge-t-on en comparution immédiate à Nice ?
16 L'une des principales incertitudes que l'on peut rencontrer dans les questionnaires remplis concerne d'une part l'intitulé précis des infractions poursuivies, d'autre part l'infraction principale dans les cas de pluralité de chefs d'inculpation. C'est donc particulièrement dans ce chapitre que nos préventions méthodologiques exprimées en introduction prennent tout leur sens.
17 Quatre ensembles d'infractions représentent à elles seules 85 % des cas jugés. Ainsi que le tableau 1 permet de le visualiser, en ordre décroissant d'importance, il s'agit :
18 - premièrement de vols, dans près de la moitié des cas ;
19 - deuxièmement de violences physiques dans environ 19 % des cas ;
20 - troisièmement d'infractions routières dans environ 11 % des cas ;
21 - quatrièmement d'infractions à la législation sur les stupéfiants dans environ 7 % des cas.
22 Les 15 % de chefs d'inculpation principaux restants parmi l'ensemble des personnes jugées sont constitués essentiellement par les Infractions à personnes dépositaires de l'autorité publique (IPDAP), les Infractions à la législation sur les conditions d'entrée et de séjour des étrangers (ILE) et quelques évasions. Le reste est statistiquement anecdotique.
23 Ces délinquances jugées au TGI de Nice sont bien d'abord et principalement des délinquances niçoises puisque plus des trois quarts des faits jugés (78 %) ont été commis sur la commune de Nice. Le reste l'a été dans d'autres communes des Alpes-Maritimes.
24 Enfin, attardons-nous un instant sur le petit cinquième des personnes jugées pour des affaires « de violence », dans la mesure où c'est là une inquiétude centrale dans le débat public français (Mucchielli, 2011). Qu'est-ce donc que « la violence » jugée en comparution immédiate ? D'abord des vols avec violence, type vols à l'arraché de sacs, de téléphones portables ou de bijoux. Ensuite des violences envers des « personnes dépositaires de l'autorité publique », principalement des policiers donc (23 cas soit un peu moins de 5 % du total des personnes jugées), nationaux ou municipaux - on l'ignore hélas. Ensuite des bagarres diverses survenues principalement sur la voie publique. Très peu de violences conjugales sont jugées en comparution immédiate à Nice (14 % parmi les personnes jugées pour des faits de violence, et moins de 3 % du total des personnes jugées), encore moins d'agressions sexuelles (9 cas, soit moins de 2 % du total des personnes jugées).
Tableau 1. La nature des infractions jugées en comparution immédiate à Nice
Tableau 1. La nature des infractions jugées en comparution immédiate à Nice
25 Quant à la gravité de ces agressions physiques, elle est en réalité très limitée (tableau 2). Dans près des deux tiers des cas, les certificats médicaux n'ont prescrit aucun jour d'ITT (incapacité totale de travail) et dans un cinquième des cas un nombre de jour d'ITT inférieur à 8. Le sixième restant (15 cas) est constitué par des violences plus graves, représentant environ 3 % du total des personnes jugées, qui sont logiquement le plus souvent lié à l'utilisation d'une arme, puis par la circonstance d'être commises en réunion. Enfin, à l'examen du détail de ces 15 cas, on relève qu'il s'agit exclusivement d'hommes, que sept d'entre eux ont un problème d'alcoolémie, que quatre d'entre eux ont des problèmes de santé mentale (trois percevant une allocation adulte handicapé). Les observateurs de la LDH de Nice n'ont pas manqué de souligner ce point et de s'interroger sur la pertinence d'une réponse carcérale à des problèmes de santé mentale [10], rejoignant un débat récurrent depuis quelques années dans le milieu universitaire (par ex. Bérard, Chantraine, 2008 ; Jean, 2009 ; Senon, 2009). Ceci indique par ailleurs que la « tension entre la systématicité des peines et l'individualisation des sanctions » (Makaremi, 2013, 31sqq), qui parcourt tout jugement correctionnel, est ici plus que relative.
Tableau 2 : Les infractions à caractère violent jugées en comparution immédiate à Nice
Tableau 2 : Les infractions à caractère violent jugées en comparution immédiate à Nice
Quelques caractéristiques différenciées des auteurs jugés selon les types d'infraction
26 À partir des premiers résultats observés, nous avons cherché à savoir s'il existait des liens entre certaines caractéristiques des auteurs et les différents types de délinquances. Pour trouver des variables plus ou moins spécifiques à ces différents types, nous avons réalisé des tris croisés et utilisé le test du Khi2 [11] afin de rechercher des corrélations entre variables [12]. Nous n'avons toutefois pu réaliser ce travail que pour les trois types de délinquance les plus fréquents dans notre base d'auteurs jugés en comparution immédiate, à savoir les vols (247 cas), les violences (97 cas) et les infractions au code de la route (56 cas). Dans un second temps, les régressions logistiques nous permettront de dégager les variables non plus simplement significatives mais également explicatives pour chaque type de délinquance [13].
Les auteurs de vols : grande précarité et part des ressortissants des pays de l'Est
27 En termes de simples liaisons statistiques, constatons d'abord que les femmes sont surreprésentées parmi les auteurs de vols (elles en constituent plus de 10 % alors qu'elles représentent moins 7 % du total des auteurs). Les auteurs de vols sont ensuite plus jeunes que dans l'ensemble de la population jugée, ils ont plus souvent entre 18 et 25 ans. Par ailleurs, ces auteurs de vols sont également plus souvent inconnus de la justice. Enfin les personnes en situation professionnelle précaire et les étrangers (en particulier les ressortissants des pays d'Europe de l'Est) sont surreprésentés parmi les auteurs de vols. Nous avons ensuite testé ces variables au test du Khi2 et trois d'entre elles s'avèrent significatives dans le modèle de régression : la nationalité, le type d'emploi et l'âge (tableau 3).
Tableau 3 : Les variables explicatives en matière de vols
Tableau 3 : Les variables explicatives en matière de vols
28 Au final, au terme de ces régressions logistiques, il apparaît clairement :
29 1) que les personnes de moins de 25 ans ont presque 2 fois plus de chances d'être auteurs de vols que celles de plus 25 ans,
30 2) que les personnes sans travail ont plus de 5 fois plus de chance d'être auteur de vol que celles en CDI (les personnes travaillant « au noir » ont 3,6 fois plus de chance d'être auteurs de vol que celles en CDI et les auteurs en situation professionnelle précaire ont également un peu plus de 3 fois plus de chance d'être auteur de vol que celles en CDI),
31 3) que les ressortissants des pays d'Europe de l'Est ont 6 fois plus de chance d'être auteurs de vols que les personnes dont la nationalité a été classifiée « France » et « Europe de l'Ouest ».
32 La précarité, le fait d'être ressortissant d'un pays d'Europe de l'Est et la jeunesse sont bien trois caractéristiques dominantes des auteurs de vols jugés en comparution immédiate à Nice.
Les auteurs de « violences » : plus souvent des nationaux et des personnes mieux insérées
33 leur cause fut sans doute d'autant moins débattue que près de 80 % d'entre eux reconnaissaient totalement ou partiellement les faits [14]. Ces deux éléments participent à leur manière à faire des audiences de comparution immédiate une justice d'urgence - « d'abattage » ont dit les observateurs de la LDH -, où l'on juge les affaires et les personnes de façon particulièrement expéditive (en 25 minutes en moyenne par affaire, soit parfois à peine quelques minutes par personne), sur l'unique base des dossiers de police ou de gendarmerie, avec une liste d'affaires audiencées à respecter et une rigueur temporelle à respecter pour les magistrats et les greffiers sous peine de faire de nombreuses heures supplémentaires [15].
Tableau 4 : Les peines prononcées en comparution immédiate par le TGI de Nice
Tableau 4 : Les peines prononcées en comparution immédiate par le TGI de Nice
34 À l'issue de leur procès, on peut dire que la peine est quasiment automatique et quasiment unique au TGI de Nice puisque 95 % des prévenus ont été condamnés à une peine de prison ferme ou avec sursis (tableau 4). Parmi eux, 80 % ont été condamnés à de la prison ferme partielle ou totale. Les sursis simples ou accompagnés d'une mise à l'épreuve représentant un sixième des cas. On constate donc a contrario l'absence quasi totale de peines autre que la prison, pratiquement aucune amende (sur une population certes souvent peu ou pas solvable) ni travail d'intérêt général. Si l'on met de côté les 11 cas de relaxe, seuls 11 autres prévenus ont écopé d'une peine autre que l'emprisonnement avec ou sans sursis [16]. Au total, ce sont donc bien 80 % des prévenus qui ont écopé d'une peine de prison ferme. Et, pour 60 % d'entre eux, la durée de cette peine a été comprise entre 3 mois et 1 an (tableau 5). La peine de prison ferme varie de 1 à 60 mois, la moyenne étant d'environ 9 mois. Ce sont donc les courtes peines de prison qui prédominent, sanctionnant des infractions dont nous avons vu que la gravité était le plus souvent très limitée. Sur le terrain, on est donc loin des arguments politiques invoqués ces dernières années à chaque réforme de la procédure pénale, prétendant répondre à une criminalité de plus en plus grave.
35 Enfin, à l'issue de l'audience, un mandat de dépôt (MD) a été prononcé par le président du tribunal dans les deux tiers des cas (66 %). Les auteurs de nationalité « Afrique du Nord » et « Europe dite de l'Est » sont surreprésentés parmi les personnes faisant l'objet d'un MD, de même que celles qui comparaissent devant le tribunal comme « garde à vue » ou « détenu », et puis celles qui comparaissent pour des délits autres que les infractions routières. Au terme des régressions logistiques, il apparaît toutefois que, toutes choses égales par ailleurs, c'est le statut lors de la présentation à l'audience qui est la variable la plus déterminante dans le fait d'être ou non placé en mandat de dépôt. Et il s'agit d'une variable particulièrement forte (de loin la plus forte qu'il nous ait été donné d'observer dans ce travail). Les auteurs déjà détenus avant le procès ont en effet 61 fois plus de chance que les personnes qui comparaissaient libres de partir en prison directement à la fin du procès, et celles qui comparaissaient à l'issue d'une garde à vue ont 51 fois plus de chance que celles qui comparaissaient libres. C'est dire si, à bien des égards, le sort de ces personnes semblait tracé dès avant le jugement en comparution immédiate, jugement au cours duquel les magistrats du siège n'ont fait le plus souvent qu'entériner les décisions prises en amont par les policiers et les parquetiers.
Tableau 5 : La durée des peines de prison ferme
Tableau 5 : La durée des peines de prison ferme
Les déterminants de la peine : récidive, nationalité étrangère et masculinité
36 Les études relatives au sentencing (prononcé des peines) demeurent rares en France, comme dans beaucoup de pays européens (Vanhamme, Beyens, 2007). Une question toutefois régulièrement soulevée par la recherche, comme par ailleurs par les associations humanitaires, est celle de l'éventuelle discrimination des personnes étrangères ou d'origine étrangère (Jobard, Nevanen, 2007 ; Mucchielli, Nevanen, 2011). La présente étude des comparutions immédiates au TGI de Nice permet de nourrir ce débat.
37 À un premier niveau d'analyse, il est ressort de nos données :
38 1) que les étrangers (en particulier originaires d'Afrique du nord et d'Europe de l'Est) sont plus souvent condamnés à de la prison ferme que les nationaux,
39 2) que les nationaux sont à l'inverse plus souvent condamnés à de la prison avec sursis avec ou sans mise à l'épreuve (la différence la plus forte étant constatée sur les sursis avec mise à l'épreuve),
40 3) que les étrangers sont davantage condamnés à des peines de moins de 6 mois.
41 Toutefois, pour avancer dans l'analyse des raisons de ces écarts statistiques, il faut tenter de raisonner « toutes choses égales par ailleurs » grâce aux régressions logistiques.
42 Il apparaît alors que le sexe et l'âge ne sont pas des déterminants de la peine de prison ferme, pas plus que le type d'infraction jugé. En réalité, deux variables s'avèrent déterminantes (tableau 6). Il s'agit d'une part des antécédents judiciaires, d'autre part de la nationalité. Toutes choses égales par ailleurs (et notamment à infraction égale), les auteurs ayant des antécédents judiciaires ont trois fois plus de chance d'être condamnés à une peine de prison ferme que les auteurs sans antécédent judiciaire, et les étrangers ont deux fois plus de chance d'être condamnés à une peine de prison ferme que les auteurs de nationalité française ou ressortissants de pays d'Europe de l'Ouest.
Tableau 6 : Les déterminants de la peine de prison ferme
Tableau 6 : Les déterminants de la peine de prison ferme
44 Ces résultats statistiques se vérifient logiquement en sens inverse, lorsque l'on recherche les explications des peines de sursis. Il apparaît en effet que, toutes choses égales par ailleurs, les auteurs qui n'ont pas d'antécédents judiciaires ont presque quatre fois plus de chance d'être condamnés à une peine de sursis simple que les auteurs ayant des antécédents judiciaires. Aucun résultat significatif ne ressort en revanche sur le sursis avec mise à l'épreuve.
45 Au final, deux déterminants de la sévérité des peines sont donc clairement établis au plan statistique dans cette étude de cas. Le premier est l'importance du casier judiciaire et a fortiori de l'état de récidive dont deux lois récentes (2007 et 2011) sont venues alourdir le poids dans les condamnations. Ainsi se confirme une sorte de cercle vicieux au cours duquel le fait d'avoir déjà été reconnu coupable d'une infraction par la justice augmente automatiquement la peine donnée lors du passage en justice suivant [17]. Le second est l'importance de la nationalité. Toutes choses égales par ailleurs, il apparaît en effet que les étrangers sont plus lourdement sanctionnés que les nationaux, ce qui confirme là encore un constat maintes fois dressé (Mary, Tournier, 1998 ; Mucchielli, Nevanen, 2011).
46 Enfin, dans le cadre de cette interrogation sur les déterminants de la peine, nous nous sommes également demandés si l'analyse statistique pouvait mettre en évidence quelques explications relatives à la sévérité de la peine, en l'espèce à la longueur des peines de prison ferme. La moyenne de la peine de prison ferme étant - nous l'avons vu - de 9 mois à Nice, nous avons donc recherché l'explication du partage de la population condamnée selon que la peine de prison ferme a été soit inférieure ou égale (194 cas), soit supérieure à 9 mois (180 cas).
47 Au premier niveau d'analyse statistique, il apparaît que les femmes sont surreprésentées non seulement dans la population n'étant pas condamnée à de la prison ferme mais aussi dans les peines de moins de 9 mois. Il apparaît ensuite que les personnes ayant des antécédents judiciaires sont légèrement surreprésentées dans la population condamnée à plus de 9 mois de prison ferme, de même que les auteurs d'infractions à caractère violent et les auteurs d'infractions à la législation sur les stupéfiants (tandis que les auteurs d'infractions routières sont au contraire très sous-représentés parmi ces longues peines). Dans ces derniers cas, les résultats sont cependant largement explicables par les quantum de peines prévus par le droit pénal. Au final, et au terme des régressions logistiques, un seul élément semble expliquer, toutes choses égales par ailleurs, un surcroît de punitivité : c'est le sexe des auteurs [18]. Toutes choses égales par ailleurs (notamment à infraction égale, à casier judiciaire égal, etc.), les hommes ont presque 4 fois plus de chance d'être condamnés à une peine de prison ferme de plus de 9 mois que les femmes. L'on pourrait donc parler ici d'une discrimination de genre qui, pour une fois, vise les hommes et non les femmes. Il semble au contraire que ces dernières continuent de bénéficier d'une plus grande clémence de la justice, ainsi que les recherches sur le système pénal l'ont souvent suggéré (Nagel, Hagan [1983], Mary [1996], ainsi que Parent [1986] et Cardi [2008] dans une optique féministe critique).
Conclusion : une « ambiance pénale » plus répressive à Nice ?
48 Avec des prévenus épuisés et stressés sortant le plus souvent directement de garde à vue voire de détention provisoire (et arrivant ainsi le plus souvent menottés à l'audience), des avocats commis d'office qui n'ont pas le temps de travailler sur le fond de l'affaire [19], des magistrats débordés de travail, audiençant à la chaîne parfois jusque tard dans la soirée, les comparutions immédiates sont par excellence un système maximisant les « contraintes pratiques » et les « mécanismes d'automaticité » pesant sur le processus de décision pénale (Faget, 2008). Le résultat est une justice d'urgence, et même une justice expéditive, qui juge plus un casier judiciaire et un état de récidive qu'une personne humaine (Bastard, Mouhanna, 2007 ; Welzer-Lang, Castex, 2012) [20]. De là une sensation de violence dans une sorte de mécanique judiciaire qui marque toutes celles et tous ceux qui ont assisté un jour à ces audiences de comparutions immédiates : « Partiellement contraints par le manque de temps, mais pas uniquement, les différents acteurs à l'audience semblent être pris dans une véritable machine ne leur laissant aucune marge de manœuvre. Les expressions légales et judiciaires qui reviennent sont toujours les mêmes d'un dossier à l'autre, d'un jour à l'autre, d'un tribunal à l'autre. […] Chaque infraction semble correspondre mécaniquement à un tarif déjà donné. Les jugements sont rendus sans aucune explication de ce qui les a motivés. Et les peines de prison sont presque inévitables dès que le prévenu a un casier judiciaire. Comme un manège qui tourne indéfiniment autour du même axe, avocats, magistrats et prévenus semblent rejouer éternellement une même scène sans réussir à s'en échapper » (Christin, 2008, 42-43).
49 Cette situation est cependant contrastée selon les tribunaux français [21]. Si la moyenne nationale du recours à la comparution immédiate est d'environ 12 % en 2012 (dernier chiffre connu), au sein même des grandes agglomérations les différences sont très importantes (Tableau 7). Ainsi, le maximum est atteint à Paris, suivie par Marseille et Nice. En revanche, la comparution immédiate est beaucoup moins utilisée à Lyon et encore moins à Toulouse.
Tableau 7 : Le recours à la comparution immédiate dans les tribunaux des cinq plus grandes villes françaises en 2012
Tableau 7 : Le recours à la comparution immédiate dans les tribunaux des cinq plus grandes villes françaises en 2012
51 Cela étant, l'utilisation de la procédure de comparution immédiate est un indicateur très imparfait du degré de sévérité d'une juridiction pénale. L'on y juge en effet pas nécessairement les mêmes personnes et l'on ne les condamne pas nécessairement de la même façon. La statistique judiciaire publique ne permet pas actuellement de comparer les infractions jugées et les peines prononcées en comparution immédiate selon les différents tribunaux. Pour situer le cas niçois, il nous faut donc rechercher des éléments de comparaison issus d'enquêtes de terrain équivalentes ou ressemblantes. Il en existe deux : celle de Toulouse, déjà citée, réalisée deux ans plus tôt dans des conditions presque équivalentes, et celle de Lyon réalisées en 2007 et 2008 dans des conditions en partie différentes à Lyon, par le Collectif Lyonnais pour le Respect des Droits (CLRD) [22]. Ce dernier a suivi 500 procès en comparution immédiate à Lyon en 2007, et 565 en 2008.
52 Commençons par comparer Nice et Toulouse. A Nice, les magistrats assurant les audiences de comparution immédiate durant la période indiquée ont jugé nettement plus de vols, nettement moins d'affaires de violences, à peu près autant de délits routiers, moins d'affaires de stupéfiants et nettement moins de séjours irréguliers de personnes étrangères [23]. Ils ont jugé par ailleurs un public un peu plus jeune qu'à Toulouse (37 % de moins de 25 ans à Nice contre 28 % à Toulouse), encore plus masculin (93 % contre 91 %), beaucoup plus souvent étranger (58 % contre 33 %) et un peu plus souvent récidiviste (48 % des cas à Nice contre 40 % à Toulouse). Enfin, et peut être surtout, ils se sont montrés beaucoup plus sévères qu'à Toulouse puisqu'ils ont prononcé beaucoup plus de peines de prison et surtout de prison ferme : 80 % à Nice contre 57 % à Toulouse. Ainsi, lors même que les infractions jugées à Nice sont pénalement moins graves (beaucoup plus de vols, beaucoup moins de violences et de stupéfiants), la juridiction niçoise s'est montrée beaucoup plus sévère que son équivalente toulousaine. Le fait qu'elle ait jugé un peu plus d'auteurs en situation de récidive et surtout beaucoup plus d'étrangers y est sans doute pour beaucoup. Mais ce n'est peut-être pas la seule explication.
53 A Lyon, en 2007, les observations indiquent que la population est aussi jeune qu'à Nice 38 % de jeunes de moins de 25 ans), encore plus masculine (seulement 3 % de femmes), moins souvent étrangère (33 % d'étrangers, comme à Toulouse), moins souvent récidiviste (27 % des cas contre 48 % à Nice) et à peine plus souvent déjà condamnée (66 % d'auteurs ayant des antécédents judiciaires contre 63 % à Nice). Les peines de prison ferme concernent ici 66 % des auteurs condamnés (en 2007 comme en 2008), soit plus qu'à Toulouse mais toujours nettement moins qu'à Nice (80 %), la moyenne nationale se situant aux environs de 70 % (DACG, 2012). La durée moyenne des peines de prison est par ailleurs un peu moins élevée à Lyon : 7 mois en 2007, 8 mois en 2008, contre 9 mois à Nice en 2012 (CLRD, 2007 et 2008). Enfin, des mandats de dépôt ont été prononcés dans 42 % des cas à Lyon en 2007, et 50 % en 2008, contre 66 % à Nice en 2012. Ainsi, même si les années d'observation à Lyon sont antérieures à la loi de 2011 sur la récidive, la juridiction lyonnaise semble bien, comme celle de Toulouse, nettement moins sévère que sa consœur niçoise.
54 Comment expliquer cette sévérité clairement supérieure à Nice ? Comme le notent Lenoir, Retière et Tréeau (2013, 113), au-delà des « stéréotypes régionaux, l'existence de particularismes ne fait guère de doute ». Et si « les marqueurs d'identité les plus couramment cités d'une juridiction restent l'ampleur et la nature des contentieux, celles-ci rapportées aux spécificités sociales et démographiques d'un territoire […], la question de l'environnement social au sens large auquel il convient d'indexer les spécificités juridictionnelles se pose ». De fait, la recherche menée sur cinq juridictions de l'Ouest français (deux départements bretons et trois des Pays de Loire) les amènent à conclure que « les cinq juridictions se distinguent moins par le profil de leurs prévenus que par la destinée procédurale qu'elles leur réservent » (ibid., 158). Pour aller plus loin, et à titre d'hypothèse, nous proposons de discuter ici ce que nous appellerions volontiers des « ambiances pénales » [24]. On supposerait alors qu'à Nice, la justice pénale (et nécessairement en amont les services de police nationale, de gendarmerie nationale et sans doute aussi de police municipale qui l'alimentent) est globalement plus répressive, moins tolérante, que dans d'autres ressorts juridictionnels. L'examen des comparutions immédiates montre qu'elle pratique en effet de façon presque « monoidéique » la prison comme unique réponse à des infractions qui, nous l'avons vu, révèlent le plus souvent une délinquance de misère et de miséreux, ces derniers étant de surcroît bien plus souvent des étrangers à Nice [25]. Cette ambiance pénale serait alors à connecter avec le climat intellectuel, politique et social général de la ville de Nice, ville gouvernée depuis 1947 par la droite politique, où l'extrême droite a toujours été très forte, où l'on rencontre par ailleurs les plus fervents défenseurs du discours sécuritaire, en particulier le maire de la ville (M. Estrosi) et le président du Conseil général (M. Ciotti), le tout relayé par une presse locale (Nice Matin, Direct Matin) friande de faits divers et prompte à les dramatiser [26]. Pour asseoir davantage cette hypothèse, il faudrait cependant réaliser un triple approfondissement de ce travail : approfondissement comparatif en étudiant également les cas de Paris et de Marseille, approfondissement quantitatif en situant les comparutions immédiates au sein de l'ensemble de l'activité des tribunaux correctionnels, approfondissement qualitatif en menant des batteries d'entretiens avec les différents acteurs du processus pénal, en particulier les policiers, les magistrats et les avocats, en privilégiant ceux d'entre eux qui ont eu une expérience professionnelle au moins aussi longue dans d'autres ressorts juridictionnels.
Bibliographie
Bibliographie
- Aubusson de Cavarlay B., 1996, « La détention provisoire : mise en perspective et lacunes des sources statistiques », Questions pénales, 6, 1-4.
- Bastard B., Mouhanna C., 2007, Une justice dans l'urgence : Le traitement en temps réel des affaires pénales, Paris, Presses Universitaires de France.
- Bérard J., Chantraine G., 2008, « La carcéralisation du soin psychiatrique », Vacarme, n° 42.
- Bourdieu P., 1986, « La force du droit, éléments pour une sociologie du champ juridique », Actes de la recherche en sciences sociales, 64, 3-19.
- Bourgoin N., 2013, La révolution sécuritaire (1976-2012), Nîmes, Champ social.
- Cadiou L., 2014, « À droite toute ? Des bastions municipaux convoités dans les Alpes-Maritimes », Métropolitiques, 3 février 2014. URL : http://www.metropolitiques.eu/A-droite-toute.html
- Cardi C., 2008, « Le féminin maternel ou la question du traitement pénal des femmes », Pouvoirs, 128, 75-86.
- Christin A., 2008, Comparutions immédiates. Enquête sur une pratique judiciaire, Paris, La Découverte.
- CLRD, 2008, Comparutions immédiates à Lyon, Lyon, Conseil Lyonnais pour le Respect des Droits.
- CLRD, 2009, Comparutions immédiates à Lyon. Rapport n° 2. Audiences suivies du 1er janvier au 31 décembre 2008, Lyon, Conseil Lyonnais pour le Respect des Droits.
- Cretin L., 2014, « L'opinion des Français sur la justice », Infostat Justice, n° 125.
- Direction des Affaires Criminelles et des Grâces, 2012, La comparution immédiate : éléments d'évaluation des pratiques mises en œuvre, Paris, Ministère de la Justice.
- Faget J., 2008, « La fabrique de la décision pénale. Une dialectique des asservissements et des émancipations », Champ pénal/Penal field [En ligne], Vol. V, mis en ligne le 22 mai 2008. URL : http://champpenal.revues.org/3983
- Garfinkel H., 1967, « Conditions of successful degradation ceremonies », American Journal of Sociology, 61 (5), 420-424.
- Gautron V., Retière J.-N., 2013, « Des destinées judiciaires pénalement et socialement marquées », in Danet J., dir., La réponse pénale. Dix ans de traitement des délits, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 211-251.
- Jean T., dir., 2009, Faut-il juger et punir les malades mentaux criminels ?, Toulouse, Erès, Les dossiers du Journal Français de Psychiatrie.
- Jobard F., Névanen S. (2007), « "La couleur du jugement". Discriminations dans les décisions judiciaires en matière d'infractions à agents de la force publique (1965-2005) », Revue française de sociologie, 2, 243-272.
- Lévy R., 1985, « Un aspect de la mutation de l'économie répressive au 19e siècle : la loi de 1863 sur le flagrant délit », Revue historique, 555, p. 43-77.
- Lenoir A., Retière J.-N., Tremeau C., 2013, « Des délits et de leurs auteurs… », in Danet J., dir., La réponse pénale. Dix ans de traitement des délits, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 113-158.
- Makaremi C., 2013, « Le droit de punir. L'appréciation de la peine en comparution immédiate », in Fassin D., et alii., Juger, réprimer, accompagner. Essai sur la morale de l'État, Paris, Seuil, 29-62.
- Mary F.-L., 1996, « Délinquances des femmes et répression pénale », Questions pénales, X, 5, 1-4.
- Mary, F.-L., Tournier, P., 1998, « Derrière les chiffres, réalités de la répression pénale de la délinquance des étrangers en France », Information - Prison - Justice, 84, 12-17.
- Mucchielli L., 2011, L'invention de la violence. Des peurs, des chiffres, des faits, Paris, Fayard.
- Mucchielli L., 2014, Criminologie et lobby sécuritaire. Une controverse française, Paris, La Dispute.
- Mucchielli L., Nevanen S. (2011), « Délinquance, victimation, criminalisation et traitement pénal des étrangers en France », in Palidda S. (dir.), Migrations critiques, repenser les migrations comme mobilités humaines en Méditerranée, Paris, Karthala, 303-328.
- Nagel I, Hagan J., 1983, « Gender and crime : offense pattern and criminal court sanctions », in Morris N., Tonry M. (eds.), Crime and Justice : An Annual Review of Research, vol. 4, Chicago, Chicago University Press, 91-144.
- Née E., 2012, L'insécurité en campagne électorale, Paris, Honoré Champion.
- Parent C., 1986, « La protection chevaleresque ou les représentations masculines du traitement des femmes dans la justice pénale », Déviance et Société, 10 (2), 147-175.
- Pradel J., 2007, « La mauvaise volonté du suspect au cours de l'enquête », in Cimamonti S., Di Marino G., Lassalle J.-Y., dir., Mélanges offerts à Raymond Gassin. Sciences pénales et sciences criminologiques, Aix-en-Provence, Presses Universitaires d'Aix-Marseille, p. 305-314.
- Saas C., Lorvellec S., Gautron V., 2013, « Les sanctions pénales, une nouvelle distribution », in Danet J., dir., La réponse pénale. Dix ans de traitement des délits, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 159-210.
- Senon J.-L., 2009, « Dangerosités psychiatriques et criminologiques », in Massé M., Jean J.-P., Giudicelli A., dir., Un droit pénal postmoderne ?, Paris, Presses Universitaires de France, 173-189.
- Simonnot D., 2003, Justice en France. Une loterie nationale, Paris, La Martinière.
- Terral J., 2004, L'insécurité au journal télévisé. La campagne présidentielle de 2002, Paris, L'Harmattan.
- Vanhamme F., 2006, « La rationalité de la peine. Une approche sociocognitive des tribunaux correctionnels », Revue de droit pénal et de criminologie, 2, 154-167.
- Vanhamme F., Beyens K., 2007, « La recherche en sentencing : un survol contextualisé », Déviance et Société, 31 (2), 199-228.
- Viennot C., 2012, Le procès pénal accéléré. Étude des transformations du jugement pénal, Paris, Dalloz.
- Welzer-Lang D., Castex P., dir., 2012, Comparutions immédiates : quelle justice ?, Toulouse, Erès.
Notes
-
[1]
On appelle « publireportage » une méthode de publicité/promotion commerciale, visant à augmenter l'usage d'un produit quelconque en mettant en scène sa consommation ordinaire sur le mode du récit décrivant des scènes d'apparence ordinaire de la vie quotidienne. Le publireportage repose sur une connivence entre l'organisation qui cherche à faire sa publicité et le support choisi pour la diffuser. Par extension, nous proposons de considérer comme des formes de publireportage tout reportage/documentaire/sujet d'actualité valorisant des personnes ou des métiers sans distance ni analyse critique (a fortiori sur un mode héroïque), en se fondant uniquement sur les sources fournies et dûment sélectionnées par les personnes ou les organisations concernées.
-
[2]
Les crimes sont jugés en cours d'assises, les contraventions par les tribunaux de police et les juridictions de proximité.
-
[3]
Les chiffres clefs de la justice 2013, Paris, Ministère de la Justice, 2013.
-
[4]
Après plusieurs décennies d'existence informelle dans les plus grandes villes, la procédure de « flagrant délit » est instituée par une loi du 20 mai 1863. Il s'agit de répondre à la petite délinquance urbaine dont l'augmentation accompagne l'exode rural et le développement des agglomérations industrielles (Lévy, 1985). À Paris, elle permet déjà de juger un prévenu le lendemain de son arrestation. Cette procédure n'a, depuis, jamais cessé d'exister. Conséquence de la forte repolitisation du thème de la sécurité à partir du milieu des années 1970, elle reparaît cependant sur les devants de la scène politique à l'occasion du vote de la loi « Sécurité et liberté » du 2 févr. 1981, le garde des Sceaux Alain Peyrefitte souhaitant en étendre le champ d'application à toutes les affaires en état d'être jugées. Dès son arrivée son pouvoir, la gauche politique suspend cette disposition puis fait voter la loi du 10 juin 1983 qui instaure la « comparution immédiate » en lieu et place du flagrant délit. En 1986, le retour de la droite au gouvernement entraîne également un retour à la loi de 1981. En 1995, puis en 2002, des lois continueront à élargir le périmètre de la comparution immédiate en faisant en sorte d'y juger des affaires potentiellement de plus en plus graves (les délits passibles de 5 puis 7 et enfin 10 ans d'emprisonnement).
-
[5]
L'avocat ou le prévenu peuvent demander un supplément d'information et donc un délai supplémentaire s'ils estiment que l'affaire n'est pas en état d'être jugée.
-
[6]
Mais la loi du 26 déc. 2011 a instauré pour les mineurs une procédure de « comparution à délai rapproché » devant le Tribunal pour Enfants ou le Tribunal Correctionnel pour Mineurs. Ceci constitue, à ce jour, le dernier et plus significatif exemple de la progressive « consécration d'un procès pénal simplifié » (Viennot, 2012).
-
[7]
Les bénévoles niçois de la LDH animent de leur côté un blog consacré à cette recherche, sur lequel ils ont publié leurs propres analyses à l'issue de ces mois d'observations au Tribunal de Grande Instance : http://comparutionsnice.wordpress.com/2014/02/12/paroles-dobservateurs/
-
[8]
Notre unité de compte est bien la personne et non le dossier ou l'affaire. Plusieurs personnes peuvent avoir été jugées dans une même affaire, c'est le cas d'un tiers des affaires étudiées.
-
[9]
Rappelons que les observations au TGI de Nice se situent deux ans après la « révolution tunisienne », la chute du régime de Ben Ali et le fort mouvement d'immigration spontanée qui a suivi en Tunisie.
-
[10]
Sur cet état de santé mental plus que fragile de certains prévenus, v. les ex. donnés par Henri Busquet, « Propos liminaire » (http://comparutionsnice.wordpress.com/2014/02/12/paroles-dobservateurs/).
-
[11]
Le test du Khi 2 permet de tester l'existence d'une liaison statistiquement significative entre deux variables (en rappelant bien qu'une liaison entre deux variables ne signifie pas qu'elles entretiennent une relation de cause à effet, elles peuvent par exemple être toutes les deux des effets d'une troisième variable). On dira d'une relation statistique qu'elle est significative au seuil p. (appelé « seuil de significativité ») si la probabilité de se tromper en faisant l'hypothèse d'un lien entre les deux variables est inférieure ou égale à p. Dans notre étude, les effectifs n'étant pas très importants, nous avons placé le seuil de significativité à 5 %.
-
[12]
Les variables testées sont : le sexe, l'âge, la nationalité, le fait d'être étranger ou non, les antécédents judiciaires éventuels, l'état de santé, la catégorie socioprofessionnelle, le type d'emploi, la situation familiale, le fait d'avoir des enfants ou pas, la présentation devant le tribunal (auteur détenu, en garde à vue ou libre), et le fait d'avoir un avocat commis d'office ou pas. Ces variables seront les mêmes dans tous les calculs qui suivent.
-
[13]
La régression permet de dépasser le stade simple de la liaison entre deux variables en tenant compte dans l'analyse de plusieurs variables et de leurs forces explicatives. L'intérêt de cette technique est de quantifier la force de l'association entre chaque variable en tenant compte de l'effet des autres intégrées dans le modèle.
-
[14]
Ce qui dément un stéréotype très répandu sur les auteurs d'infractions qui seraient de fieffés menteurs n'assurant pas leurs actes, stéréotypes que l'on retrouve y compris chez les spécialistes du droit et de la procédure pénale (par exemple Pradel, 2007) manifestement peu au fait de la réalité du fonctionnement des tribunaux.
-
[15]
V. les obs. de Dominique Muller (« Le sens de la peine ») et de Denise Vanel (« Le théâtre judiciaire, un système bien rôdé »), texte publié sur le blog de la LDH de Nice : http://comparutionsnice.wordpress.com/2014/02/12/paroles-dobservateurs/.
-
[16]
Les 11 « autres peines » correspondent à 8 amendes (dont 2 accompagnées d'une interdiction de stade, 1 d'un contrôle judiciaire et 1 d'un stage de citoyenneté ou de sécurité routière), 2 stages de citoyenneté ou de sécurité routière dont 1 accompagné d'une annulation du permis de conduire, et enfin 1 interdiction du territoire français.
-
[17]
Comme l'écrivent Welzer-Lang et Castex (2012, 68) : « La ‘carrière' du délinquant se construit par une accumulation rapide, une spirale de condamnations successives dans des délais courts, et des peines de plus en plus lourdes du fait de la prise en compte majeure du casier judiciaire. Le casier judiciaire des prévenu(e)s se construit dans un processus itératif. L'effet casier devient la cause de l'aggravation de la condamnation suivante ». La recherche récente sur les juridictions de l'Ouest français confirme que cette importance du casier est du reste parfaitement consciente chez les magistrats : « le casier, voire le STIC, est quasi-unanimement présenté comme l'élément décisif, à la fois pour le choix d'orientation que pour la peine requise puis prononcée » (Saas, Lorvellec, Gautron, 2013, 189).
-
[18]
Dans leur étude de l'activité de cinq juridictions de l'Ouest français et sur un effectif très important (plus de 3 500 dossiers étudiés), Gautron et Retière (2013, 235-236) montrent également que : « toutes choses égales par ailleurs, la probabilité d'un emprisonnement ferme est 2,2 fois moindre pour une femme que pour un homme ».
-
[19]
Les avocats n'ont le plus souvent que le temps de vérifier la situation de famille, de logement et d'emploi des prévenus. Les relevés des observateurs des comparutions immédiates de Nice indiquent notamment que dans seulement 2 % des cas, les avocats ont pu faire appeler un témoin au procès.
-
[20]
De là des dérives individuelles chez les magistrats, constatées de longue date et relevées de nouveau par les observateurs de Nice comme de Toulouse (à Toulouse, face à un SDF toxicomane, un procureur se permet par exemple de dire : « Si vous voulez un peu de morphine pour vous calmer… on peut aussi vous piquer définitivement si cela vous arrange » [Welzer-Land, Castex, 2012, 43]). Ceci rappelle que le procès, et sans doute tout particulièrement le procès en comparution immédiate, fonctionne comme une « cérémonie de dégradation » (Garkinkel, 1967) et comme une « leçon de morale » (Vanhamme, 2006).
-
[21]
Les fortes différences et inégalités de traitement selon les tribunaux, au civil comme au pénal, sont bien connues, au point qu'une journaliste spécialisée sur les affaires judiciaires avait pu parler il y a quelques années d'une « loterie nationale » (Simonnot, 2003).
-
[22]
« Le Conseil Lyonnais pour le Respect des Droits, commission extra-municipale de la ville de Lyon, poursuit une mission de veille et d'alerte sur les discriminations et dysfonctionnements qui peuvent exister dans le recours et l'accès aux droits de tout un chacun. Ses membres se réunissent régulièrement autour de thématiques qui font débat : accès aux soins, droit de vote des étrangers non communautaires, sport, prison, accès à la culture, morts isolés, social, etc. » (http://www.respect-des-droits.org/).
-
[23]
Ceci est probablement lié au fait que la Cour de Justice de l'Union européenne a rendu le 28 avr. 2011 un arrêt dans lequel elle rappelle qu'une législation prévoyant une peine d'emprisonnement pour le seul motif du séjour irrégulier d'un étranger sur le territoire malgré l'ordre qui lui a été donné de le quitter, est contraire à la réglementation européenne.
-
[24]
Fajet (2008) évoque quant à lui des « culture judiciaire invisible » mais en tant qu'habitus global d'un corps professionnel au sens de Bourdieu (1986). Nous pensons pour notre part que les effets de contextes locaux sont aussi importants.
-
[25]
Ce qui renvoie sans doute d'une part au poids réel local des étrangers (qui représentent 9,3 % de la population des Alpes-Maritimes en 2010 selon l'INSEE, soit le plus fort taux départemental français hormis la région parisienne) et au caractère frontalier de ce département, d'autre part aux idéologies et aux pratiques des dirigeants de la municipalité dont il serait intéressant de connaître notamment les consignes officielles et officieuses données à la police municipale en matière de contrôle sur la voie publique (cette police municipale étant la plus pléthorique des grandes villes françaises avec 370 agents en 2012 : « Police municipale : les chiffres clés du ministère de l'Intérieur », La Gazette des communes, 6 janv. 2014).
-
[26]
Sur les particularités politiques du Sud-est français, v. Cadiou (2014).