1. Exception d'illégalité élevée contre un plan d'occupation des sols
1(Crim., 22 mai 2013, n° 12-83.846, RDI 2013. 534, obs. G. Roujou de Boubée ; Constr.-Urb. 2013, comm. 116, note J.-M. Février ; Dr. pénal 2013, comm. 129, note J.-H. Robert)
2L'article 111-5 du code pénal autorise le juge répressif à apprécier la légalité des actes administratifs lorsque, « de cet examen, dépend la solution du procès pénal » et ce, sans limite de temps : il y est dérogé par l'article L. 600-1 du code de l'urbanisme qui enferme l'exception d'illégalité élevée contre les divers plans d'urbanisme dans « un délai de six mois à compter de la prise d'effet du document en cause » et sans distinguer selon que le juge saisi est administratif ou judiciaire. Cette dérogation est elle-même limitée par les trois derniers alinéas de l'article L 600-1 et qui rendent à l'exception d'illégalité son caractère illimité dans le temps quand elle est fondée sur l'inobservation de l'information du public lors de la préparation des documents contestés.
3 Un prévenu poursuivi pour violation d'un plan d'occupation des sols crut pouvoir invoquer ces alinéas en alléguant qu'il était « anormal » qu'il n'ait pas eu « accès au rapport du commissaire enquêteur ». Sans prendre de la peine de s'informer davantage sur les circonstances de cette anormalité, les juges du fond, approuvés par la Cour de cassation, ont écarté l'exception d'illégalité en déclarant qu'elle était « floue ».
2. Désignation du fonctionnaire compétent pour émettre un avis relatif à l'opportunité d'une remise en conformité des lieux
4(Crim., 22 mai 2013, n° 12-83.846, RDI 2013. 534, obs. G. Roujou de Boubée ; Constr.-Urb. 2013, comm. 116, note J.-M. Février ; Dr. pénal 2013, comm. 129, note J.-H. Robert)
5La loi de décentralisation n° 83-8 du 7 janvier 1983 a confié aux maires la police de l'urbanisme qui était exercée auparavant par l'État. Pour tenir compte de cette importante réforme, la loi du 18 juillet 1985 a ajouté dans l'article L 480-5 du code de l'urbanisme la référence au maire parmi les autorités compétentes pour délivrer un avis sur la mise en conformité des lieux ou la démolition des ouvrages irrégulièrement construits. Mais la mention du « fonctionnaire compétent » a été maintenue parce que l'État conservait quelques pouvoirs. L'interprétation rationnelle de l'article L 480-5 ainsi modifié aurait établi un lien entre d'une part la compétence pour rédiger le document d'urbanisme ou pour délivrer le permis de construire dont la violation est reprochée au prévenu et d'autre part le pouvoir de délivrer l'avis prévue par l'article L. 480-5 : la même autorité, maire ou fonctionnaire aurait eu qualité pour faire ces deux actes. (F. Boulan, cette Revue 1992. 100 ; R. Léost, Droit pénal de l'urbanisme, éd. Le Moniteur, 2001, n° 8-102). Mais la Cour de cassation a constamment refusé de lier les deux compétences et juge continûment que le maire ou un fonctionnaire, compétent ou non, sont habilités à délivrer l'avis de l'article L. 480-5, même s'ils ne sont pas les auteurs du règlement ou de l'acte violé (Crim., 6 juin 1991, n° 90-84.037, Bull. crim. n° 245 ; RDI 1992. 264, obs. G. Roujou de Boubée ; cette Revue 1992. 100, obs. F. Boulan ; Dr. pénal 1991, comm. 332 ; Crim., 9 oct. 1996, Dr. pénal 1997, comm. 25).
6 Le prévenu, en l'espèce, ne songeait pas à faire renverser une jurisprudence aussi bien établie mais, comme le maire n'avait émis aucun avis, il contestait les conditions de forme dans lesquelles un fonctionnaire en avait formulé un : l'argument est fondé sur l'article R. 480-4 du code de l'urbanisme qui n'a pas été modifié à la suite de la loi de décentralisation et qui est ainsi rédigé : « L'autorité administrative habilitée à exercer les attributions qui sont définies aux articles… L. 480-5… est le préfet - Le préfet peut déléguer, en ce qui concerne les matière relevant de leur compétence, l'exercice des attributions mentionnées à l'alinéa ci-dessus aux chefs des services départementaux des administrations civiles de l'État ou à leurs subordonnés ainsi qu'aux agents relevant du ministère de la culture et de l'environnement ». En l'espèce l'avis avait été rédigé ou formulé oralement par « la direction départementale de l'équipement de la Manche », sans identification du fonctionnaire et sans qu'ait été produite la délégation prévue par l'article R. 480-4. La cour d'appel saisie des poursuites avait résolu la difficulté en estimant qu'à la suite de la décentralisation, la loi avait entendu retirer son attribution au préfet et qu'il n'y avait pas lieu de s'interroger sur la délégation qu'il aurait pu consentir au fonctionnaire opinant.
7 Le pourvoi, fondé sur la violation de l'article R. 480-4 est rejeté sans que la chambre criminelle consente à examiner cette difficulté : elle se borne à répéter le motif dont elle se sert depuis 1991 pour demeurer indifférente à la compétence de l'auteur de l'avis, maire ou fonctionnaire, pour établir les documents d'urbanisme ou délivrer des permis de construire. Pourtant, dans des arrêts plus anciens, la Cour de cassation avait admis, mais dans ses motifs seulement, que la régularité de la délégation par le préfet était un moyen recevable (Crim., 7 mars 1983, RDI 1983. 507, obs. G. Roujou de Boubée ; Crim., 29 févr. 2000, n° 99-84.318. R. Léost, op. cit., n° 8-103).
3. Le régime de l'astreinte qui assortit la condamnation à la remise en conformité
8(Crim., 12 mars 2013, n° 12-83.680, Dr. pénal 2013, comm. 128, note J.-H. Robert)
9Le régime de l'astreinte qui assortit la condamnation à la remise en conformité ou à la démolition n'obéit ni aux règles du droit pénal ni à celles du code des procédures civiles d'exécution. Dans le dernier état du droit positif, tel qu'il résulte de la loi du 12 juillet 2010, la procédure se déroule ainsi : le tribunal correctionnel décide le principe de l'amende et en détermine le montant (C. urb., art. L 480-7) ; il s'agit d'une astreinte définitive liquidée, en cas d'inexécution de la condamnation, par l'État ; le comptable du Trésor émet en conséquence un commandement de payer et en perçoit le montant pour le compte de la commune, moins une commission de 4 % (C. urb., art. L 480-8).
10 Contre le jugement ou l'arrêt qui prononce l'astreinte, le prévenu peut évidemment exercer un appel ou un recours en cassation. Son recours contre le commandement de payer échappe, selon le Tribunal des conflits, à la compétence administrative, et prend la forme d'une requête en difficulté d'exécution présentée conformément à l'article 710 du code de procédure pénale et (T. confl. 10 juill. 1990, Dr. pénal 1991, com. 62 ; T. confl. 25 avr. 1994, note J. Morand-Devillier et D. Moreno ; T. confl. 18 déc. 2000, n° 3200, Lambert). À cette occasion, le condamné peut non seulement contester le calcul du comptable public mais aussi demander au tribunal de le dispenser du paiement d'une partie de l'astreinte ou, si elle a été payée, d'en ordonner le reversement partiel « pour tenir compte du comportement de celui à qui l'injonction a été adressée et des difficultés qu'il a rencontrées pour l'exécuter » (art. L 480-7, al. 4).
11 L'arrêt du 12 mars 2013 avait pour objet ce stade de la procédure. Le requérant avait été débouté de sa demande de dispense de paiement de l'astreinte ; pourtant, son pourvoi n'attaquait pas le fond de cette décision, mais seulement la formation dans laquelle la chambre des appels correctionnels avait statué : selon l'article 710, alinéa 4 du code de procédure pénale, elle doit être composée de son seul président, siégeant à juge unique sauf si ce magistrat, d'office ou à la demande du ministère public ou du requérant, « décide de renvoyer l'affaire devant la formation collégiale de cette juridiction ». Ce renvoi avait été ordonné en l'espèce sans que l'arrêt attaqué en comporte aucune justification, et, de cette omission, le requérant faisait un moyen de cassation ; la chambre criminelle le rejette au motif que la décision critiquée est « une mesure d'administration judiciaire, non susceptible de recours, relevant de l'appréciation souveraine du juge qui l'ordonne ». Si du moins l'espèce s'y prêtait, le requérant aurait peut-être pu invoquer une jurisprudence peu connue selon laquelle, par dérogation à l'article 711 du même code, et en application de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, la requête de l'article L. 480-7 du code de l'urbanisme doit être examinée en audience publique (Crim., 7 nov. 2006, n° 06-80.882, D. 2007. 1817, chron. D. Caron et S. Ménotti ; RDI 2007. 85, obs. G. Roujou de Boubée ; AJ pénal 2007. 38 ; Crim., 7 avr. 2009, n° 08-65.548).
12 Le contentieux possible ne s'arrête pas avec le rejet de la demande de dispense ou de reversement de l'astreinte et peut se prolonger au cours des procédures d'exécution forcée diligentées contre le débiteur récalcitrant. L'arrêt du 12 mars 2013 a eu son mot à dire sur cet éventuel rebondissement, parce que le demandeur au pourvoi faisait l'objet d'une procédure collective : comme l'infraction aux règles de l'urbanisme dont il avait été reconnu coupable était antérieure à l'ouverture de cette procédure, le prévenu soutenait que comptable public aurait dû déclarer sa créance et, faute par lui de l'avoir fait, elle était éteinte en application de l'article L. 622-24 du code de commerce. L'argument est sérieux, car la Cour de cassation a dépouillé la dette d'astreinte de tous ses caractères pénaux et lui applique le droit civil (Crim., 26 sept. 2006 à propos de la prescription et de l'unité d'astreinte en cas de pluralité de condamnés ; Civ. 3e, 22 nov. 2006 reconnaissant la validité des conventions relatives à l'astreinte et conclues entre un condamné vendeur et son acheteur : cette Revue 2007. 308 et Dr. pénal 2007, comm. 8). En dépit de ces solutions, la cour d'appel avait jugé que la créance de la commune faisait partie « du dispositif pénal de l'arrêt » de condamnation et qu'elle n'était pas éteinte par le défaut de déclaration au mandataire judiciaire. L'arrêt commenté, plus prudent, refuse de se prononcer au motif que ce point de droit « ne saurait être tranché par la juridiction répressive mais relève de la seule compétence du juge de la procédure collective ».
4. La remise en état, prononcée à titre de peine principale
13(CA Bourges, 2 mai 2013, JCP 2013. 1101, note J. Leroy)
14Dans une précédente livraison de cette Revue, était relatée la persistance de la jurisprudence qui interdit que la remise en état ou la démolition soit prononcée à titre de peine principale au motif, indéfiniment répété, qu'il s'agit d'une « mesure à caractère réel destiné à faire cesser une situation illicite » (Crim., 6 nov. 2012, n° 12-82.449, RDI 2013. 87, obs. G. Roujou de Boubée ; cette Revue 2013. 368, obs. J.-H. Robert ; JCP 2013. 144, note E. Dreyer). Le motif non dit est la volonté de soustraire cette mesure à l'application du sursis (A. Vitu, cette Revue 1989. 313) et de lui appliquer les solutions du droit civil, ci-dessus rappelées. Ces arguments ont été réfutés par M. Dreyer et à nouveau par M. Leroy dans la note très pertinente qu'il consacre à l'arrêt de la cour d'appel de Bourges. Les deux auteurs insistent sur le caractère très dissuasif de la démolition pour la placer parmi les peines. Les motifs de la cour d'appel développent ce raisonnement, avec une référence à M. Dreyer, et, pour mieux marquer leur opinion, les magistrats berrichons ne confirment pas l'amende, pourtant modeste, à laquelle les premiers juges avaient condamné le prévenu.
5. Conflits dans le temps entre règlements d'urbanisme. Cumul idéal pour violation simultanée du code de l'urbanisme et du code de l'environnement
15(Crim., 15 octobre 2013, n° 12-85.408)
16Quand une loi habilite une administration a publier des règlements pour son application et qu'elle fixe d'avance la sanction encourue pour leur violation, l'abrogation ou la modification dans un sens moins rigoureux de ces règlements ne bénéficie pas aux justiciables qui les ont méconnus par des faits antérieurs à cette abrogation ou à cette modification, quand bien même ils seraient jugés après. L'arrêt du 15 octobre 2013 a appliqué cette règle à la suite de la modification de l'article R. 421-14 du code de l'urbanisme par le décret n° 2011-2054 du 29 décembre 2011 qui a soustrait au champ d'application du permis de construire les travaux réalisés sur des constructions existantes « ayant pour effet de modifier le volume du bâtiment et de percer ou d'agrandir une ouverture sur un mur extérieur « (art. R. 421-14, c, dans sa rédaction ancienne). Ce texte réglementaire a été pris sur la base de l'article L. 421-1 du code de l'urbanisme pour définir les cas dans lesquels un permis de construire est nécessaire, et les infractions à ses dispositions sont punies par l'article L. 480-4 du code de l'urbanisme. Une société qui, en 2009, avait exécuté des travaux à l'époque irréguliers, avait été condamnée en 2012 sans que la cour d'appel n'évoque la modification de la réglementation (Versailles, 12 avr. 2012). Le pourvoi du prévenu alléguait pour la première fois la rétroactivité in mitius de l'article R. 421-14 et sa prétention fut rejetée au motif que la cour d'appel avait « implicitement écarté, à bon droit, l'application du décret du 5 décembre 2011 » parce que « les dispositions législatives, support légal de l'incrimination, n'ont pas été modifiées ». La solution avait déjà été énoncée, avant la promulgation du nouveau code pénal (Crim., 30 oct. 1990, Dr. pénal 1991, comm. 121).
17 Le même arrêt du 15 octobre 2013 résolvait une question plus nouvelle et plus intéressante relative à l'application de l'article L. 562-5 du code de l'environnement qui emprunte la sanction de l'article L. 480-4 du code de l'urbanisme pour l'appliquer au fait « de construire ou d'aménager un terrain dans une zone interdite par un plan de prévention des risques naturels » ou de ne pas respecter les conditions inscrites dans ce plan. Les travaux litigieux avaient été exécutés dans une telle zone ainsi identifiée par le plan d'occupation des sols d'une commune, parce qu'elle recouvrait des carrières souterraines abandonnées. La prévenue soutenait que ses travaux étaient trop modestes pour constituer une construction ou un aménagement dangereux puisqu'ils avaient consisté dans le remplacement d'un toit plat, qui s'était effondré, par un toit à deux pentes pour couvrir une piscine ; il lui est répondu que le POS ne distinguait pas selon les travaux, et l'observation est vraie car il s'agit d'une infraction formelle, indépendante de création effective de risques. Dans un argument plus juridique, le pourvoi critiquait la double déclaration de culpabilité qui avait éét prononcée, une fois pour infraction au code de l'urbanisme, une autre fois au titre du code de l'environnement alors que celui-ci emprunte la pénalité de celui-là. Conformément à la théorie, la cour observe que les « deux incriminations visent à la protection de valeurs sociales, de réglementations et d'intérêts différents ». Le premier de ces codes tend en effet à l'aménagement du territoire, à l'harmonie des paysages et à la bonne répartition de l'habitat et à la protection d'autres intérêts encore, tous énumérés dans son article L. 110, tandis que l'article L. 562-5 protège la sécurité des personnes contre les risques naturels, en l'espèce les effondrements.