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Article de revue

Infractions fiscales et douanières

Pages 579 à 589

Notes

  • [1]
    La solidarité est donc exclue si le prévenu est relaxé ou bénéficie d'une dispense de peine.
  • [2]
    Elle est fréquemment ordonnée à l'encontre du dirigeant social, le redevable légal étant la société.
  • [3]
    En matière de fraude fiscale, l'Administration, dont la plainte est nécessaire aux poursuites, ne peut en revanche ni porter plainte avec constitution de partie civile, ni délivrer citation directe.
  • [4]
    Pour les quatre arrêts fondateurs : Crim. 29 févr. 1996, n° 93-84.785 ; Crim., 29 févr. 1996, n° 92-84.481 ; Crim., 29 févr. 1996, n° 93-84.692 et n° 93-84.616, Bull. crim. n° 100 ; cette Revue 1996. 851, obs. B. Bouloc ; Dr. pénal 1996, comm. 135, obs. J.-H. Robert. La chambre commerciale pratique la même qualification (V. notamment Com., 31 janv. 2006, n° 03-18.573).
  • [5]
    Par ex., le prévenu (ou son avocat) a droit à prendre la parole le dernier (Crim., 20 sept. 2000, n° 99-81.392, Bull. crim. n° 272 ; D. 2001. 519, obs. J. Pradel ; Dr. fisc. 2001, n° 21, comm. 501).
  • [6]
    Crim., QPC, 6 avr. 2011, n° 10-87.634, cette Revue 2011. 628, obs. S. Detraz ; Crim., QPC, 4 mai 2011, n° 10-88.279 ; Crim., 27 juin 2012, n° 11-89.220.
  • [7]
    Crim., QPC, 12 sept. 2012, n° 12-80.574. V. S. Detraz, La nature de la solidarité de l'article 1745 du code général des impôts, Dr. fisc. 2012. 551.
  • [8]
    Le prononcé de la solidarité est en effet facultatif.
  • [9]
    Crim., 18 oct. 1982, n° 81-93.500, Bull. crim. n° 221.
  • [10]
    Crim., 4 oct. 2000, n° 99-85.191.
  • [11]
    Crim., 5 mai 2004, n° 03-85.722.
  • [12]
    Crim., 4 nov. 2010, n° 10-81.825, D. 2010. 2913 ; cette Revue 2011. 628, obs. S. Detraz.
  • [13]
    C'est-à-dire en l'absence du ministère public. Peu importe que le prévenu ait ou non interjeté appel.
  • [14]
    À défaut, la solidarité est nécessairement exclue : n'étant pas alors saisis de l'action publique, les juges supérieurs ne peuvent en effet remettre en question la décision de relaxe ou de dispense de peine, alors que la condamnation pénale est une condition indispensable au prononcé de la mesure (Crim., 29 févr. 1996, 4 arr., préc.).
  • [15]
    Contra, comp. Crim., 7 nov. 2012, préc.
  • [16]
    Rappelons que, contrairement à l'action fiscale de l'Administration des douanes et droits indirects, l'action civile de l'Administration fiscale ne peut être mise en œuvre par le ministère public conjointement à sa propre action. Mais il a été jugé que « l'Administration fiscale intervenant devant le tribunal correctionnel se trouvait attraite devant la juridiction d'appel par le recours formé par les prévenus et par le ministère public » et pouvait alors demander l'application de l'article 1745 du code général des impôts (Crim., 19 mars 1969, n° 68-92.606, Bull. crim. n° 123).
  • [17]
    Si le prévenu fait appel, mais pas l'Administration, le principe de la prohibition de la reformatio in pejus interdirait en outre que la solidarité écartée par le tribunal correctionnel soit prononcée par la cour d'appel.
  • [18]
    Crim., 15 juin 2005, n° 04-86.254.
  • [19]
    Crim., 19 mai 2010, n° 09-83.970, Bull. crim. n° 89 ; AJ pénal 2010. 445, obs. J. Lasserre Capdeville. La cour d'appel avait en l'espèce infirmé le jugement ayant retenu la prescription de l'action publique pour une partie de la prévention, et conséquemment étendu la solidarité à l'ensemble des faits de fraude.
  • [20]
    Crim., 7 nov. 2012, n° 11-87.930, RTD com. 2013. 364, obs. B. Bouloc ; Dr. pénal 2013, comm. 46, obs. J.-H. Robert.
  • [21]
    V. J.-H. Robert, note ss Crim., 16 janv. 2013, Dr. pénal 2013, comm. 92.
  • [22]
    La pertinence de cette qualification sera éprouvée infra.
  • [23]
    Cette infraction est aujourd'hui prévue par les seuls art. L. 152-1 et L. 152-4 C. mon. fin., les art. 464 et 465 C. douanes n'étant plus, depuis 2011, que des textes de renvoi à ceux-là.
  • [24]
    C. pén., art. 222-27.
  • [25]
    C'est-à-dire des dispositions relatives, respectivement, à l'infraction douanière et à l'infraction pénale de droit commun.
  • [26]
    Ce n'est peut-être plus vrai : V. infra.
  • [27]
    Il s'agit de sanctions fiscales judiciaires (dites « mixtes ») qui obéissent à un régime sensiblement différent de celui des sanctions pénales de droit commun.
  • [28]
    Sont tels la contravention douanière de la 5e classe, les délits douaniers stricto sensu et les délits cambiaires de l'article 459 du code des douanes.
  • [29]
    Et à laquelle l'action publique est donc inapplicable. Sont tels les contraventions douanière des quatre premières classes ainsi que, précisément, le délit cambiaire de transfert de capitaux sans déclaration.
  • [30]
    V. par ex. Crim., 16 mai 2012, n° 11-82.409, Dr. pénal 2012. Chron. 8, n° 14, obs. S. Detraz.
  • [31]
    V. par ex. Crim., 24 avr. 2013, n° 12-81.627 : « en l'absence du représentant de l'administration des douanes, le ministère public avait devant le tribunal nécessairement exercé l'action fiscale accessoirement à l'action publique », dans l'hypothèse où la saisine du tribunal correctionnel procédait d'une décision de renvoi prise par le juge d'instruction.
  • [32]
    Ils pouvaient en revanche en abaisser le quantum, puisqu'ils étaient bien saisis de l'action fiscale par les prévenus.
  • [33]
    Mais lorsque l'action fiscale a été engagée par le ministère public, l'Administration douanière peut s'en saisir et faire appel des dispositions douanières du jugement (Crim., 11 juill. 2012, n° 11-86.617, AJ pénal 2013. 48, obs. J. Lasserre Capdeville ; Crim., 24 avr. 2013, préc.).
  • [34]
    C. douanes, art. 343.
  • [35]
    En matière de contributions indirectes, comp. la formule plus complète de l'art. 290 quater III CGI : « Les infractions aux dispositions du présent article ainsi qu'aux textes pris pour leur application sont recherchées, constatées, poursuivies et sanctionnées comme en matière de contributions indirectes ». Comp. également les termes de l'art. 1790, al. 1er, du même code : « Les infractions commises en matière de taxes sur le chiffre d'affaires et de taxes assimilées perçues à l'importation sont punies comme en matière de douane ».
  • [36]
    En ce sens, rappr. J.-H. Robert, obs. ss Crim., 22 févr. 2012, Dr. pénal 2012, comm. 57 : « Cette répétition systématique signifie que le pouvoir exécutif entend conserver sa compétence pour incriminer, de son côté, ce qui constitue une infraction douanière dont la répression, distincte de la « poursuite » au sens de l'article L. 152-4, § III, obéit aux règles particulières du code des douanes : cumul des sanctions, inapplicabilité du sursis, unité d'amende en cas de pluralité de coupables, etc. ».
  • [37]
    L'infraction - bien qu'appelée classiquement « délit » - était alors extérieure à la classification tripartie des infractions établie à l'art. 111-1 C. pén., comme le sont les contraventions et délits douaniers (et cambiaires).
  • [38]
    L'infraction est alors devenue, pour le fond, un délit au sens de l'art. 111-1 C. pén..
  • [39]
    La jurisprudence avait précisé que la création de l'art. L. 152-4 C. mon. fin. n'a pas eu pour effet d'abroger l'article 465 du code des douanes (Crim., 3 juin 2004, n° 03-82.700).
  • [40]
    Il faudrait encore régler le problème de l'application dans le temps de la modification des dispositions du code des douanes eu égard à la date de commission des faits...
  • [41]
    C. douanes, art. 60.
  • [42]
    V. actuellement CMF, art. L. 152-1 et L. 152-4.
  • [43]
    C. douanes, art. 323 anc. (323-1 s. nouv.). Actuellement, la retenue douanière est réservée aux délits douaniers punis d'emprisonnement.
  • [44]
    C. douanes, art. 399.
  • [45]
    V. S. Detraz, La retenue douanière : une anomalie persistance de la procédure pénale, Dr. pénal 2010, ét. 4.
  • [46]
    Qui est un procès-verbal de constatation de faits flagrants ne s'accompagnant pas nécessairement d'une saisie.
  • [47]
    Rappr. C. pr. pén., art. prélim., III, dern. al. La différence n'est pas anodine : demeurant valable, le procès-verbal est interruptif de la prescription de l'action fiscale.
  • [48]
    Crim., 11 avr. 2012, n° 11-87.333, D. 2012. 1129.
  • [49]
    Crim., 6 mai 1996, n° 96-80.686.
  • [50]
    Crim., 13 juin 1996, n° 96-80.189.
  • [51]
    Rappr. Crim., 3 avr. 2013, n° 12-88.428, D. 2013. 1940, obs. M. Lena, note S. Detraz ; ibid. 1993, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2013. 420, obs. L. Belfanti : « l'article 6, § 3,de la Convention européenne des droits de l'homme [...] n'exige pas que la personne ayant reçu notification officielle du fait qu'elle est suspectée d'avoir commis une infraction soit assistée d'un avocat lorsqu'elle est présente à des actes au cours desquels elle n'est ni privée de liberté ni entendue sur les faits qui lui sont reprochés ».
  • [52]
    Rappr. Crim., 8 févr. 2012, n° 11-81.259, Bull. crim. n° 38 ; D. 2012. 723, note S. Detraz ; AJ pénal 2012. 291, obs. G. Roussel ; cette Revue 2012. 589, obs. S. Detraz.
  • [53]
    L'auteur remercie vivement Me Rideau Valentini de lui avoir communiqué la décision.
  • [54]
    C. douanes, art. 60.
  • [55]
    C. douanes, art. 323 anc. et 323-1 nouv.
  • [56]
    C. pén., art. 432-4. V. Crim., 8 févr. 2012, n° 11-81.259, D. 2012. 723, note S. Detraz ; AJ pénal 2012. 291, obs. G. Roussel ; cette Revue 2012. 589, obs. S. Detraz.
  • [57]
    CE, 11 mai 1951, Consorts Baud.
  • [58]
    T. Confl., 12 juin 1978, Société « Le profil » c/ ministre de l'Intérieur.
  • [59]
    Classiquement, en Droit français, les agents de l'Administration peuvent d'emblée, et sans autorisation judiciaire, contrôler les professionnels assujettis à une réglementation particulière, voire les citoyens en général dans certaines matières spécifiques, par exemple en matière douanière ou de contributions indirectes.
  • [60]
    Il est de jurisprudence constante que l'activité de police judiciaire s'apprécie suivant un critère finaliste (l'objectif de mettre au jour une infraction que l'on pense commise) et non pas organique, et qu'elle n'est donc pas celle des seules gendarmes et policiers (qui ont d'ailleurs également, au rebours, une fonction de police administrative). Ainsi, la police judiciaire tend à « la recherche d'un délit ou d'un crime déterminé » (T. Confl., 7 juin 1951, Noualek) - et non pas d'une infraction purement spéculative -, pendant que la police administrative vise à prévenir les troubles à l'ordre public (rappr. T. confl., 16 mars 1998, n° 3053, Patrick Freymuth, au Lebon ; D. 1998. 194 : « la décision en litige par laquelle un agent des douanes s'est borné à interdire l'entrée en France du véhicule n'a pas eu pour objet la constatation ou la répression d'une infraction douanière »).
  • [61]
    Il s'agit, à tout le moins, de la convention douanière de la première classe (C. douanes, art. 410).
  • [62]
    Crim., 16 janv. 1995, n° 94-81.722
  • [63]
    Si le droit de visite est mis en œuvre sur la foi d'un soupçon préalablement étayé, il semble en revanche possible de le rattacher à la police judiciaire.
  • [64]
    Rappr. T. confl., 18 mars 1991, n° 2646, Barcelo Balmana, au Lebon ; D. 1991. 148, pour une saisie.

1. Solidarité fiscale : compétence de l'Administration fiscale en appel

1(Crim., 16 janvier 2013, n° 12-82.546 : Dr. pénal 2013, comm. 92, obs. J.-H. Robert)

2Aux termes de l'article 1745 du code général des impôts, la personne pénalement condamnée [1] sur le fondement des articles 1741 (délit général de fraude fiscale), 1742 (complicité de l'infraction précédente) ou 1743 (délit comptable) du code général des impôts peut, sur décision du juge répressif, être déclarée solidaire du redevable légal pour le paiement de l'impôt fraudé et des pénalités fiscales afférentes appliquées par l'Administration pour les mêmes faits [2]. Qui, du ministère public - qui engage et exerce seul les poursuites [3] - ou de l'Administration fiscale - qui peut se constituer partie civile par voie incidente en application de l'article L. 232 du Livre des procédures fiscales - a compétence pour demander à la juridiction de jugement, de première instance ou d'appel, le prononcé de la mesure ? Corrélativement, à l'exercice de quelle action - publique ou civile - cette dernière est-elle attachée ? L'article 1745 du code général des impôts ne fournissant aucun élément de réponse, c'est au regard de la nature de la solidarité que le problème peut être résolu : logiquement, si elle présente un aspect répressif, c'est au parquet d'en requérir l'application, alors qu'elle sera à l'inverse ordonnée à la demande de l'Administration si elle endosse une fonction indemnitaire.

3À cet égard, la haute juridiction considère avec constance que la solidarité de l'article 1745 du code général des impôts est une « mesure à caractère pénal » [4], autrement dit une mesure qui relève du droit pénal - sans toutefois revêtir le statut formel de peine - ou, du moins, qui a un caractère punitif, appartenance ou fonction qui entraîne de manière générale un certain nombre de conséquences [5]. La catégorie des « mesure à caractère pénal » étant néanmoins inconnue des textes, la Cour de cassation est libre de lui faire produire les effets qu'elle désire. Cette latitude est d'autant plus grande que, après avoir affirmé, dans plusieurs décisions, que le grief mettant en doute la compatibilité du régime de la solidarité avec le principe constitutionnel d'individualisation des peines n'était pas sérieux - sous-entendant ainsi que ledit principe était applicable en la matière - [6], la haute juridiction a fini par déclarer, plus radicalement, que « cette mesure ne revêt pas le caractère d'une punition » [7]. C'est dire la volatilité et l'incohérence de la jurisprudence en la matière. Dans l'arrêt rapporté, la Cour de cassation s'est abstenue de faire état du caractère pénal de la solidarité, qu'avait en revanche rappelé la décision attaquée. L'omission est sans doute volontaire, car elle s'accorde mieux avec la solution finalement retenue.

4 En effet, la chambre criminelle énonce, au visa des articles 1745 du code général des impôts et 515 du code de procédure pénale, que « lorsque les juges prononcent une condamnation pour fraude fiscale en application des articles 1741, 1742 et 1743 du code général des impôts, l'administration fiscale, partie civile, est recevable devant la juridiction du second degré, y compris sur son seul appel, à demander que soit prononcée la solidarité du condamné avec le redevable légal des impôts fraudés ». En l'espèce, le tribunal correctionnel avait rejeté la demande formulée par l'Administration [8] et, comme le ministère public ne s'était pas joint à l'appel formé par celle-ci, la cour d'appel avait refusé de prononcer la solidarité au motif qu'il s'agit d'une mesure à caractère pénal. Le raisonnement - pourtant plein de bon sens - des juges supérieurs a donc été censuré, et l'on comprend que la Cour de cassation ne pouvait rationnellement, pour ce faire, invoquer la nature répressive de la mesure, qui aurait conduit à la conclusion opposée.

5 À la réflexion, cependant, la haute juridiction s'est montrée si inconstante en la matière que la cassation ne pouvait être prédite avec certitude. Ainsi, dans un premier temps, il a été jugé que la solidarité ressortit à l'action civile et, par exemple, que le juge répressif ne peut la prononcer, ultra petita, sans demande en ce sens de l'Administration fiscale [9]. Cette analyse a perduré après les années 1990, en sorte que la chambre criminelle a pu consacrer une motivation aussi paradoxale - dans sa coda - que la suivante : « l'appel de l'administration des impôts, partie civile, contre les dispositions civiles et fiscales du jugement, donnait compétence à la cour d'appel pour statuer sur la solidarité fiscale et la contrainte par corps, mesures à caractère pénal relevant de la seule action civile » [10]. Dans un second temps, la Cour de cassation a semblé amorcer un revirement de jurisprudence, affirmant dans une affaire que « c'est à tort que les juges ont prononcé la solidarité au titre de l'action civile » [11]. Les choses semblaient ensuite s'être récemment clarifiées, un arrêt ayant déclaré, en application des articles 1745 du CGI et 497, 3° du code de procédure pénale, que « la solidarité, prévue par le premier de ces textes, est une mesure pénale (et( qu'il s'ensuit que les juges du second degré, saisis du seul appel de l'administration fiscale, ne peuvent prononcer une telle mesure qui avait été écartée par le tribunal après déclaration de culpabilité du prévenu, du chef de fraude fiscale » [12]. À ce stade, il était permis de penser que le juge pénal de première instance ou d'appel ne pouvait ordonner la solidarité qu'à la condition que les deux actions lui fussent soumises : l'action publique, en raison du caractère pénal de la mesure (qui sanctionne la participation à la fraude fiscale), l'action civile, en raison de sa destination (la protection des droits du Trésor).

6 L'arrêt rapporté vient donc invalider cette interprétation : désormais, sur le seul appel de l'Administration fiscale [13], et dès lors que le prévenu a été pénalement condamné en premier ressort [14], la cour d'appel peut ordonner la solidarité écartée par le tribunal correctionnel. Cela sous-entend que la mesure se rattache aux dispositions « civiles » du jugement [15], sans quoi l'on ne comprendrait pas que la conduite de l'action civile permît d'en contester les dispositions « pénales ».

7 Il en résulte par déduction que la solidarité ne saurait être appliquée lorsque l'action civile n'est pas exercée [16] : soit, en première instance, lorsque l'Administration ne s'est pas constituée partie civile, soit, en appel, lorsque l'Administration n'interjette pas appel [17]. Le premier point n'a pour l'heure reçu aucune application judiciaire, l'Administration se joignant systématiquement aux poursuites dans les affaires de fraude fiscale. Le second, à l'inverse, est connu, mais a lui aussi subi un revirement. Initialement, la Cour de cassation jugeait, aux motifs que « les juges du second degré, saisis du seul appel du ministère public, ne peuvent réformer au profit de la partie civile non appelante les dispositions de la décision entreprise », qu'une cour d'appel saisie par le parquet en l'absence d'appel de l'Administration fiscale ne pouvait infliger la solidarité, car elle « ne peut être prononcée par les juridictions répressives qu'à sa requête » (dans une affaire où la tribunal correctionnel avait accordé la relaxe) [18]. Mais, récemment, elle avait au contraire décidé que « la solidarité prévue par l'article 1745 du code général des impôts, mesure à caractère pénal, peut être prononcée même en l'absence d'appel de l'Administration fiscale » (dans une affaire où cette dernière l'avait sollicitée et obtenue devant les premiers juges du fond) [19], solution réitérée par la suite [20]. Cette toute dernière évolution est-elle remise en cause par l'arrêt commenté ? Il ne semble pas [21] : l'on peut probablement considérer que la chambre criminelle place désormais le ministère public et l'Administration sur un pied d'égalité en appel, chacun ayant qualité pour solliciter l'application de la solidarité en cas de condamnation pénale. Mais c'est alors admettre, étrangement, que la mesure ressortit tout autant à l'action publique qu'à l'action civile ou, du moins, que le parquet peut faire appel des dispositions « civiles » du jugement ou, inversement, l'Administration des dispositions « pénales ».

2. Transfert de capitaux sans déclaration : compétence du ministère public pour exercer l'action fiscale

8(Crim., 24 avril 2013, n° 12-83.602)

9La dualité des actions - action publique et action fiscale - qui structure la procédure pénale douanière ainsi que la possibilité de poursuivre dans la même instance des infractions de droit commun entraînent des difficultés d'application qui obligent fréquemment la Cour de cassation à formuler les rappels nécessaires ou à opérer des compléments ou revirements de jurisprudence.

10 En l'espèce, deux personnes se rendent coupables du délit douanier [22] (plus exactement, cambiaire) de transfert de fonds sans déclaration [23] pour avoir répondu négativement à la question de douaniers leur demandant si elles détenaient des capitaux, alors qu'elles savaient que des liasses de billets se trouvaient sous la banquette arrière de leur véhicule. À l'occasion du même voyage, l'une des individus commet également le délit de droit commun de transport et détention de stupéfiants [24] en portant sur lui 1 gramme de cocaïne. Pour ces faits, le ministère public engage, respectivement, l'action fiscale et l'action publique, l'Administration des douanes étant demeurée inactive. Les prévenus sont déclarés coupables en première instance et interjettent conséquemment appel des dispositions douanières et pénales [25] du jugement ; le parquet forme quant à lui un appel incident, mais qu'il limite aux secondes dispositions. La cour d'appel confirme en intégralité la décision de condamnation, en élevant toutefois le montant de l'amende douanière de 10 000 à 40 000 €. Les condamnés se pourvoient en cassation, en articulant deux griefs, dont l'un sera écarté tandis que l'autre emportera la conviction des juges du droit.

11 En premier lieu, les deux individus contestent radicalement que le ministère public ait qualité pour engager et exercer l'action fiscale et donc pour poursuivre l'infraction de transfert illicite de capitaux. Il est vrai, premièrement, que cette infraction est classiquement [26] et exclusivement assortie de pénalité douanières [27] - à savoir une amende et une confiscation -, deuxièmement, que c'est par la mise en œuvre de l'action fiscale - et non de l'action publique stricto sensu - que le prononcé de ces pénalités peut être obtenu du juge répressif et, troisièmement, que c'est à titre principal à l'Administration fiscale que la loi attribue compétence pour ce faire. Le § 1er de l'article 343 du code des douanes énonce ainsi que « l'action pour l'application des peines est exercée par le ministère public » pendant que le § 2 prévoit, in limine, que « l'action pour l'application des sanctions fiscales est exercée par l'administration des douanes ». Néanmoins, le même alinéa ajoute, in fine, que « le ministère public peut l'exercer accessoirement à l'action publique ». Or, cette dernière disposition est susceptible de jouer dans deux hypothèses. La première est celle où la même infraction douanière est punie à la fois de sanctions pénales de droit commun (l'emprisonnement et les peines complémentaires) et de sanctions douanières (l'amende et la confiscation) et fait donc naître l'action publique et l'action fiscale [28] : le procureur de la République peut alors, s'il engage l'action publique, y joindre l'action fiscale, dès lors que l'Administration ne le fait pas et ne recourt pas non plus à la procédure transactionnelle. La seconde hypothèse, qui suppose une interprétation plus extensive du texte, correspond à la situation dans laquelle sont commises une infraction pénale de droit commun et une infraction douanière donnant lieu exclusivement à des pénalités fiscales [29], unies par un lien procédural qui autorise à les traiter semblablement (connexité, indivisibilité) : compétent pour la première, le magistrat le serait également pour la seconde. Cette lecture large est effectivement celle de la jurisprudence [30] : l'arrêt rapporté le confirme en déclarant que « le ministère public pouvait, en l'absence de poursuites exercées par l'administration des douanes, poursuivre les prévenus du chef de transfert de capitaux sans déclaration, dès lors que cette infraction est connexe à une infraction pénale reprochée à l'un d'entre eux ». La motivation appelle deux observations. D'une part, la solution est également vraie lorsque l'infraction douanière est connexe non pas à une infraction de droit commun mais à une autre infraction douanière à laquelle est attachée l'action publique : le ministère public peut par exemple poursuivre ensemble une contravention douanière et un délit douanier. D'autre part, la présente décision indique implicitement que le rapport de connexité demeure efficace lorsque les deux infractions ne sont pas ou pas totalement commises par les mêmes personnes : en l'espèce, l'infraction de droit commun n'était reprochée qu'à l'un seul des prévenus. Par ailleurs, il convient de rappeler que la haute juridiction a tendance à considérer que, dans l'hypothèse où l'Administration n'agit pas, le ministère public exerce nécessairement l'action fiscale [31].

12 En second lieu, le pourvoi prétend que la cour d'appel, saisie uniquement des dispositions « pénales » de la décision du tribunal correctionnel par le ministère public, ne pouvaient statuer sur les dispositions (« douanières ») relatives au délit cambiaire dans un sens plus défavorable, eu égard au principe de la prohibition de la reformatio in pejus. La chambre criminelle donne raison aux condamnés sur ce point : visant l'article 515, alinéa 2, du code de procédure pénale, elle rappelle que « la cour ne peut, sur le seul appel du prévenu, aggraver le sort de l'appelant », alors que, constate-t-elle en l'espèce, « le ministère public n'avait fait appel que des dispositions pénales du jugement ». Les juges d'appel ne pouvaient donc augmenter le montant de l'amende prononcée pour l'infraction en question puisque celle-ci ressortit aux dispositions douanières de la décision attaquée et à l'exercice de l'action fiscale [32]. Le motif de cassation doit être approuvée. En effet, tout d'abord, le parquet a la possibilité de limiter l'étendue de son appel, y compris lorsqu'il a engagé les deux actions publique et fiscale [33]. Ensuite, que l'on fasse prévaloir l'aspect punitif ou l'aspect réparateur des pénalités douanières, le résultat est le même pour l'application de l'article 515 du code pénal, puisque l'alinéa 2 de ce texte interdit d'aggraver le « sort » de l'appelant en général, au plan pénal comme civil.

13 L'ensemble du présent commentaire a jusqu'à présent supposé que le délit de transfert de capitaux sans déclaration donne effectivement naissance à l'action fiscale. Or, la chose n'est pas - plus - certaine. Certes, le III de l'article L. 152-4 du code monétaire et financier déclare expressément que « la recherche, la constatation et la poursuite des infractions mentionnées au I sont effectuées dans les conditions fixées par le code des douanes ». Et, comme il a été vu, l'article 343 du code des douanes prévoit en matière douanière l'existence de deux actions en poursuite : l'action publique stricto sensu et l'action fiscale. Néanmoins, ce texte parle plus exactement de « l'action pour l'application des peines » et de « l'action pour l'application des sanctions fiscales » [34]. L'action fiscale ne peut donc s'appliquer, en matière douanière, qu'à des infractions punies de sanctions fiscales, c'est-à-dire d'une amende douanière et, le cas échéant, d'une confiscation douanière. Tel était certainement le cas de l'infraction dont il s'agit lorsqu'elle était incriminée par les articles 464 et 465 du code des douanes. En effet, sauf cas particulier, les amendes et confiscations prévues par le code des douanes sont par nature des sanctions fiscales, sans qu'il y ait lieu pour la loi ou le règlement de prendre le soin de l'indiquer. En revanche, pour les infractions établies en dehors du code des douanes, les amendes et confiscations sont normalement des peines de droit commun, et ne peuvent donc être assimilées à des sanctions fiscales que sur précision expresse de la loi. Il en résulte que l'amende et la confiscation fulminées par l'article L. 152-4 du code monétaire et financier ne sont des sanctions douanières que si une telle disposition existe. Or, la formule légale précitée n'évoque que la « recherche », la « constatation » et la « poursuite » des faits, autrement dit ne rend applicable au délit que les règles de la procédure pénale douanière [35]. Ce dernier est donc une infraction douanière au plan procédural mais reste une infraction de droit commun pour les questions de fond (régime de la responsabilité pénale, régime des peines, etc.) [36]. On pourrait donc abstraitement concevoir que l'action fiscale puisse voir le jour - puisqu'elle participe de la « poursuite » -, mais elle serait en réalité dénuée d'objet - puisque l'amende et la confiscation applicables sont des peines de droit commun.

14 Cette absurdité législative a longtemps été évitée, car le transfert de capitaux sans déclaration était puni à titre principal à la fois dans le code des douanes [37] (où il a vu le jour après codification) et dans le code monétaire et financier [38] (où il a ensuite été dupliqué) et que, en pratique, seules les dispositions du premier code étaient utilisées [39]. Mais, en faisant des articles 464 et 465 du code des douanes de simples textes de renvois aux articles L. 152-1 et L. 152-4 du code monétaire et financier, le décret du 29 novembre 2011 a maladroitement bouleversé cet état de fait.

15 Au total, suivant l'analyse proposée [40], le délit de transfert illicite de fond est assorti de peines de droit commun, ne fait donc naître que l'action publique et ne donne dès lors compétence qu'au ministère public pour engager les poursuites. Conséquemment, en prétendant limiter, en l'espèce, l'appel aux dispositions « pénales » du jugement, ce dernier visait en réalité - sans le savoir - l'ensemble de la décision. Ayant jugé le contraire, la Cour de cassation montre à l'inverse que, à ses yeux, l'infraction de l'article L. 152-4 du code monétaire et financier est en intégralité une infraction douanière. Plus généralement, elle semble considérer que le fondement de la condamnation est indifférent et que les juges peuvent, sans conséquence aucune, viser cumulativement ou alternativement les dispositions du code des douanes et celles du code monétaire et financier.

3. Retenue douanière : formalités applicables et caractérisation de la contrainte

16(Crim., 10 avril 2013, n° 11-88.589)

17En 2001, des agents des douanes contrôlent deux individus en voiture à 500 m de la frontière belge, en application de leur droit de visite général [41] : ces derniers répondent négativement à la question qui leur est posée relative à un éventuel transport de capitaux d'un montant supérieur au seuil de 50 000 francs alors applicable. Mais la fouille du sac à main de la passagère révèle au contraire qu'elle détient en liquide la somme de 500 000 francs, situation qui correspond au délit de transfert de fonds sans déclaration incriminé à l'époque par les seuls articles 464 et 465 du code des douanes [42]. Elle est conséquemment placée en retenue douanière [43] et, à cette occasion, fait des déclarations relatives à des faits de même nature commis antérieurement. Elle est alors poursuivie, en même temps que le conducteur, et les deux sont condamnés solidairement, en appel, à une amende et une confiscation douanières, la première comme auteur de l'infraction constatée, le second comme intéressé à la fraude [44]. En revanche, leur culpabilité est écartée s'agissant des transferts réalisés précédemment, également poursuivis dans la procédure, au motif que les déclarations faites par la prévenue à leurs propos au cours de sa rétention lui sont inopposables, l'intéressée n'ayant pas été informée de son droit de garder le silence et de bénéficier de l'assistance d'un avocat. La décision est sobrement approuvée par la Cour de cassation. La solution appelle plusieurs observations.

18 En premier lieu, il convient de rappeler que, jusqu'en 2011, la retenue douanière - sorte de garde à vue spécifique aux délits douaniers [45] - n'offrait presque aucune garantie à la personne arrêtée ; notamment, les agents des douanes n'avaient pas l'obligation de lui notifier son droit à garder le silence et l'entretien avec l'avocat - a fortiori son assistance - n'était pas légalement prévu. Ce n'est qu'avec la loi du 14 avril 2011 que le régime de la retenue douanière a été aligné sur celui, par ailleurs rehaussé, de la garde à vue. L'on sait en outre que, dès avant l'entrée en vigueur de cette loi, les dispositions de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme - telles qu'elles allaient être interprétées par la Cour européenne - renfermaient des droits équivalents à ceux que la dite loi a instaurés, et que, selon la dernière jurisprudence judiciaire, leur méconnaissance pouvait entacher d'irrégularité les procès-verbaux d'audition établis au cours d'une garde à vue ou d'une retenue douanière, nonobstant la décision d'abrogation du Conseil constitutionnel ayant temporairement laissé en vigueur les textes régissant les mesures en question.

19 En deuxième lieu, il est admis dans le présent arrêt que la condamnation prononcée pour le transfert constaté en 2001 fait suite à une retenue douanière irrégulière. Mais, faisant application des règles classiques relatives à la propagation de la nullité - souvent illustrées en matière de garde à vue -, la haute juridiction énonce que « d'une part, l'irrégularité d'une rétention douanière n'a pas pour effet de rendre nul le procès-verbal de saisie établi à cette occasion et que, d'autre part, les citations répondent aux exigences de l'article 565 du code de procédure pénale ». En effet, l'irrégularité du procès-verbal d'audition - qui est dans la procédure pénale douanière un procès-verbal dit « de constat » - ne peut vicier le procès-verbal dit « de saisie » [46] établi antérieurement lors de la constatation visuelle de l'infraction. Partant, les citations délivrées, en elles-mêmes valables, trouvent en ledit procès-verbal un support efficace, distinct de la retenue douanière viciée.

20 En revanche, en troisième lieu, concernant les délits commis antérieurement à 2001, les déclarations opérées par la prévenue lors de la retenue douanière illégale sont les seuls éléments probatoires permettant de soutenir l'accusation. De fait, les juges du fond en neutralisent la portée ; ils préfèrent cependant rejeter la demande d'annulation du procès-verbal d'audition pour conclure simplement à l'inopposabilité des déclarations effectuées [47]. L'analyse est contestée dans l'un des moyens articulés par l'Administration douanière. Selon elle, la violation des dispositions de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ne peut en aucun cas être caractérisée car le placement en retenue douanière ne s'imposait pas : en effet, « aucune contrainte » n'aurait été exercée sur la suspecte, qui aurait accepté « de son plein gré, après y avoir été invitée, de suivre les agents dans les locaux de douane », où elle n'aurait pas été retenue contre son gré au-delà du temps nécessaire aux opérations de contrôle et à leur consignation par procès-verbal. Il est vrai, d'une part, que la Cour de cassation considère, au visa de l'article 6 de la Convention européenne, que « la notification du droit de se taire et de ne pas s'accuser, n'est reconnue qu'aux personnes placées en garde à vue ou faisant l'objet d'une mesure de rétention douanière » [48] et, d'autre part, que les agents des douanes ont le droit de retenir les personnes lors de la consignation par procès-verbal des résultats du contrôle opéré sur le fondement de l'article 60 du code des douanes pour le temps strictement nécessaire à l'accomplissement de cet acte - et donc sans avoir à respecter les règles applicables à la retenue douanière [49]. Mais, ce droit de rétention implicite présente un aspect purement passif : s'il peut durer plusieurs heures en cas de besoin [50], il n'autorise pas en revanche à auditionner ou interroger l'individu. Le placement en retenue douanière - lorsque le recours est à pareille mesure est légalement possible - est alors nécessaire à cette fin, sauf si - comme en droit commun en principe - l'intéressé accepte librement d'être entendu sans bénéficier des garanties qui y sont attachées (hypothèse de l'« audition libre »). Or, en l'espèce, la chambre criminelle observe que, selon les constatations de l'arrêt attaqué, « lors de son audition, Mme X... était retenue contre son gré par les agents des douanes » [51]. Ladite audition devait donc impérativement être opérée dans le cadre d'une retenue douanière, si bien que les agents des douanes aurait dû notifier à la suspecte le droit de se taire et de bénéficier de l'assistance d'un avocat conformément aux dispositions - ultérieurement interprétées en ce sens - de l'article 6 de la Convention européenne. Le principe est donc clair, mais sa mise en œuvre à l'inverse peut être épineuse, car elle suppose de déterminer si oui ou non une contrainte est exercée sur la personne entendue. Or, dans certaines hypothèses, la situation est ambiguë, notamment lorsqu'il n'est recouru à aucune coercition physique mais que, en raison de l'autorité ou l'insistance des agents, l'individu les suit au bureau : s'y sent-il obligé ou reste-t-il maître de sa décision ? [52].

4. Investigations douanières : rattachement à la police judiciaire

21(T. confl., 17 déc. 2012, n° 3877, Mérien (Mme) c/ Ministère du budget, au Lebon ; AJ pénal 2013. 226, obs. G. Roussel) [53]

22 À l'occasion d'une rétention accomplie arbitrairement par un directeur des douanes - en ce qu'elle faisait suite à l'usage fructueux du droit de visite général [54] et aurait dû en l'espèce prendre la forme et fournir les garanties de la retenue douanière [55] -, une personne perd l'usage d'un œil en raison du retard apporté à sa prise en charge médicale et imputable au fonctionnaire. Celui-ci est poursuivi et condamné du chef d'atteinte arbitraire à la liberté individuelle [56] par le tribunal correctionnel, lequel s'estime en revanche incompétent pour statuer, au titre de l'action civile, sur la demande de réparation formulée par la victime, dès lors que la faute de l'agent n'était pas selon lui détachable du service. L'ex-partie civile agit alors devant le tribunal administratif, mais ce dernier se déclare à son tour incompétent au profit de l'ordre judiciaire. Le Tribunal des conflits est conséquemment saisi afin de régler le conflit négatif de compétence ainsi apparu. L'alternative intellectuelle suivante s'offrait à lui : soit considérer que les agissements délictueux de l'agent s'inscrivait dans le cadre d'une opération de police judiciaire et alors admettre de plano la compétence des juridictions judiciaires [57] ; soit, au contraire, rattacher la situation à la police administrative et alors conclure à la compétence du juge administratif [58] ou, si la faute du fonctionnaire est détachable du service, à celle du juge judiciaire.

23 Il opte pour la première branche : énonçant que « les agissements de fonctionnaires des douanes commis lors de la constatation d'infractions au code des douanes et de la recherche de leurs auteurs relèvent de l'exercice de la police judiciaire » et que « les litiges relatifs aux dommages que peuvent causer les fonctionnaires des douanes dans de telles circonstances, et sans même qu'il soit besoin de déterminer si le dommage trouve son origine dans une faute personnelle détachable du service, relèvent de la compétence des tribunaux judiciaires », il estime que tel est le cas en l'espèce - puisque la personne était retenue pour avoir détenu et fait circuler des marchandises prohibées en violation de l'article 215 du code des douanes - et décide d'attribuer l'affaire au tribunal correctionnel initialement saisi.

24 La décision mérite approbation. En effet, si la distinction des deux polices est surtout connue en matière de contrôle d'identité, elle est également sous-jacente - mais éclate parfois au grand jour, comme ici - dans la procédure douanière : les agents des douanes détiennent ainsi, d'un côté, des pouvoirs « administratifs », qui leur permettent d'opérer des contrôles purement préventifs, sans avoir besoin de détenir d'ores et déjà un quelconque indice d'infraction [59] et, de l'autre, des prérogatives judiciaires, qui leur servent à constater des infractions pénales (plus exactement, douanières) et à enquêter à leur sujet, et dont la mise en œuvre suppose l'existence préalable d'un indice, voire la flagrance [60]. La frontière est cependant difficile à tracer, car, d'une part, la méconnaissance de la moindre formalité douanière est incriminée [61] (on ne peut donc partir à la recherche d'une irrégularité qui serait pénalement licite) et, d'autre part, les deux types d'opérations s'enchaînent souvent en pratique, à la faveur de la découverte de faits illicites à l'issue d'un contrôle administratif.

25 Tel était d'ailleurs la situation de l'espèce. À l'origine, l'individu est contrôlé sur le fondement de l'article 60 du code des douanes, selon lequel, « pour l'application des dispositions du présent code et en vue de la recherche de la fraude, les agents des douanes peuvent procéder à la visite des marchandises et des moyens de transport et à celle des personnes ». Il peut être usé de ce droit de visite général spontanément, par simple précaution, même en l'absence de toute raison vraisemblable de soupçonner la commission d'une infraction déterminée [62] : dans cette hypothèse, la procédure est purement administrative [63]. Mais si la visite conduit à la mise au jour de faits répréhensibles, la procédure prend alors instantanément un tour judiciaire [64], l'arrestation puis le placement en retenue douanière de l'intéressé étant d'ailleurs possibles en cas de flagrance. Dans la présente affaire, la faute du fonctionnaire était intervenue après la découverte du délit douanier, alors que la personne était retenue contre son gré et subissait donc l'équivalent d'une retenue douanière informelle qui ne pouvait être fondée sur l'article 60 du code des douanes. À ce stade, les agents des douanes étaient donc nécessairement en « phase judiciaire ».


Date de mise en ligne : 01/04/2019

https://doi.org/10.3917/rsc.1303.0579

Notes

  • [1]
    La solidarité est donc exclue si le prévenu est relaxé ou bénéficie d'une dispense de peine.
  • [2]
    Elle est fréquemment ordonnée à l'encontre du dirigeant social, le redevable légal étant la société.
  • [3]
    En matière de fraude fiscale, l'Administration, dont la plainte est nécessaire aux poursuites, ne peut en revanche ni porter plainte avec constitution de partie civile, ni délivrer citation directe.
  • [4]
    Pour les quatre arrêts fondateurs : Crim. 29 févr. 1996, n° 93-84.785 ; Crim., 29 févr. 1996, n° 92-84.481 ; Crim., 29 févr. 1996, n° 93-84.692 et n° 93-84.616, Bull. crim. n° 100 ; cette Revue 1996. 851, obs. B. Bouloc ; Dr. pénal 1996, comm. 135, obs. J.-H. Robert. La chambre commerciale pratique la même qualification (V. notamment Com., 31 janv. 2006, n° 03-18.573).
  • [5]
    Par ex., le prévenu (ou son avocat) a droit à prendre la parole le dernier (Crim., 20 sept. 2000, n° 99-81.392, Bull. crim. n° 272 ; D. 2001. 519, obs. J. Pradel ; Dr. fisc. 2001, n° 21, comm. 501).
  • [6]
    Crim., QPC, 6 avr. 2011, n° 10-87.634, cette Revue 2011. 628, obs. S. Detraz ; Crim., QPC, 4 mai 2011, n° 10-88.279 ; Crim., 27 juin 2012, n° 11-89.220.
  • [7]
    Crim., QPC, 12 sept. 2012, n° 12-80.574. V. S. Detraz, La nature de la solidarité de l'article 1745 du code général des impôts, Dr. fisc. 2012. 551.
  • [8]
    Le prononcé de la solidarité est en effet facultatif.
  • [9]
    Crim., 18 oct. 1982, n° 81-93.500, Bull. crim. n° 221.
  • [10]
    Crim., 4 oct. 2000, n° 99-85.191.
  • [11]
    Crim., 5 mai 2004, n° 03-85.722.
  • [12]
    Crim., 4 nov. 2010, n° 10-81.825, D. 2010. 2913 ; cette Revue 2011. 628, obs. S. Detraz.
  • [13]
    C'est-à-dire en l'absence du ministère public. Peu importe que le prévenu ait ou non interjeté appel.
  • [14]
    À défaut, la solidarité est nécessairement exclue : n'étant pas alors saisis de l'action publique, les juges supérieurs ne peuvent en effet remettre en question la décision de relaxe ou de dispense de peine, alors que la condamnation pénale est une condition indispensable au prononcé de la mesure (Crim., 29 févr. 1996, 4 arr., préc.).
  • [15]
    Contra, comp. Crim., 7 nov. 2012, préc.
  • [16]
    Rappelons que, contrairement à l'action fiscale de l'Administration des douanes et droits indirects, l'action civile de l'Administration fiscale ne peut être mise en œuvre par le ministère public conjointement à sa propre action. Mais il a été jugé que « l'Administration fiscale intervenant devant le tribunal correctionnel se trouvait attraite devant la juridiction d'appel par le recours formé par les prévenus et par le ministère public » et pouvait alors demander l'application de l'article 1745 du code général des impôts (Crim., 19 mars 1969, n° 68-92.606, Bull. crim. n° 123).
  • [17]
    Si le prévenu fait appel, mais pas l'Administration, le principe de la prohibition de la reformatio in pejus interdirait en outre que la solidarité écartée par le tribunal correctionnel soit prononcée par la cour d'appel.
  • [18]
    Crim., 15 juin 2005, n° 04-86.254.
  • [19]
    Crim., 19 mai 2010, n° 09-83.970, Bull. crim. n° 89 ; AJ pénal 2010. 445, obs. J. Lasserre Capdeville. La cour d'appel avait en l'espèce infirmé le jugement ayant retenu la prescription de l'action publique pour une partie de la prévention, et conséquemment étendu la solidarité à l'ensemble des faits de fraude.
  • [20]
    Crim., 7 nov. 2012, n° 11-87.930, RTD com. 2013. 364, obs. B. Bouloc ; Dr. pénal 2013, comm. 46, obs. J.-H. Robert.
  • [21]
    V. J.-H. Robert, note ss Crim., 16 janv. 2013, Dr. pénal 2013, comm. 92.
  • [22]
    La pertinence de cette qualification sera éprouvée infra.
  • [23]
    Cette infraction est aujourd'hui prévue par les seuls art. L. 152-1 et L. 152-4 C. mon. fin., les art. 464 et 465 C. douanes n'étant plus, depuis 2011, que des textes de renvoi à ceux-là.
  • [24]
    C. pén., art. 222-27.
  • [25]
    C'est-à-dire des dispositions relatives, respectivement, à l'infraction douanière et à l'infraction pénale de droit commun.
  • [26]
    Ce n'est peut-être plus vrai : V. infra.
  • [27]
    Il s'agit de sanctions fiscales judiciaires (dites « mixtes ») qui obéissent à un régime sensiblement différent de celui des sanctions pénales de droit commun.
  • [28]
    Sont tels la contravention douanière de la 5e classe, les délits douaniers stricto sensu et les délits cambiaires de l'article 459 du code des douanes.
  • [29]
    Et à laquelle l'action publique est donc inapplicable. Sont tels les contraventions douanière des quatre premières classes ainsi que, précisément, le délit cambiaire de transfert de capitaux sans déclaration.
  • [30]
    V. par ex. Crim., 16 mai 2012, n° 11-82.409, Dr. pénal 2012. Chron. 8, n° 14, obs. S. Detraz.
  • [31]
    V. par ex. Crim., 24 avr. 2013, n° 12-81.627 : « en l'absence du représentant de l'administration des douanes, le ministère public avait devant le tribunal nécessairement exercé l'action fiscale accessoirement à l'action publique », dans l'hypothèse où la saisine du tribunal correctionnel procédait d'une décision de renvoi prise par le juge d'instruction.
  • [32]
    Ils pouvaient en revanche en abaisser le quantum, puisqu'ils étaient bien saisis de l'action fiscale par les prévenus.
  • [33]
    Mais lorsque l'action fiscale a été engagée par le ministère public, l'Administration douanière peut s'en saisir et faire appel des dispositions douanières du jugement (Crim., 11 juill. 2012, n° 11-86.617, AJ pénal 2013. 48, obs. J. Lasserre Capdeville ; Crim., 24 avr. 2013, préc.).
  • [34]
    C. douanes, art. 343.
  • [35]
    En matière de contributions indirectes, comp. la formule plus complète de l'art. 290 quater III CGI : « Les infractions aux dispositions du présent article ainsi qu'aux textes pris pour leur application sont recherchées, constatées, poursuivies et sanctionnées comme en matière de contributions indirectes ». Comp. également les termes de l'art. 1790, al. 1er, du même code : « Les infractions commises en matière de taxes sur le chiffre d'affaires et de taxes assimilées perçues à l'importation sont punies comme en matière de douane ».
  • [36]
    En ce sens, rappr. J.-H. Robert, obs. ss Crim., 22 févr. 2012, Dr. pénal 2012, comm. 57 : « Cette répétition systématique signifie que le pouvoir exécutif entend conserver sa compétence pour incriminer, de son côté, ce qui constitue une infraction douanière dont la répression, distincte de la « poursuite » au sens de l'article L. 152-4, § III, obéit aux règles particulières du code des douanes : cumul des sanctions, inapplicabilité du sursis, unité d'amende en cas de pluralité de coupables, etc. ».
  • [37]
    L'infraction - bien qu'appelée classiquement « délit » - était alors extérieure à la classification tripartie des infractions établie à l'art. 111-1 C. pén., comme le sont les contraventions et délits douaniers (et cambiaires).
  • [38]
    L'infraction est alors devenue, pour le fond, un délit au sens de l'art. 111-1 C. pén..
  • [39]
    La jurisprudence avait précisé que la création de l'art. L. 152-4 C. mon. fin. n'a pas eu pour effet d'abroger l'article 465 du code des douanes (Crim., 3 juin 2004, n° 03-82.700).
  • [40]
    Il faudrait encore régler le problème de l'application dans le temps de la modification des dispositions du code des douanes eu égard à la date de commission des faits...
  • [41]
    C. douanes, art. 60.
  • [42]
    V. actuellement CMF, art. L. 152-1 et L. 152-4.
  • [43]
    C. douanes, art. 323 anc. (323-1 s. nouv.). Actuellement, la retenue douanière est réservée aux délits douaniers punis d'emprisonnement.
  • [44]
    C. douanes, art. 399.
  • [45]
    V. S. Detraz, La retenue douanière : une anomalie persistance de la procédure pénale, Dr. pénal 2010, ét. 4.
  • [46]
    Qui est un procès-verbal de constatation de faits flagrants ne s'accompagnant pas nécessairement d'une saisie.
  • [47]
    Rappr. C. pr. pén., art. prélim., III, dern. al. La différence n'est pas anodine : demeurant valable, le procès-verbal est interruptif de la prescription de l'action fiscale.
  • [48]
    Crim., 11 avr. 2012, n° 11-87.333, D. 2012. 1129.
  • [49]
    Crim., 6 mai 1996, n° 96-80.686.
  • [50]
    Crim., 13 juin 1996, n° 96-80.189.
  • [51]
    Rappr. Crim., 3 avr. 2013, n° 12-88.428, D. 2013. 1940, obs. M. Lena, note S. Detraz ; ibid. 1993, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2013. 420, obs. L. Belfanti : « l'article 6, § 3,de la Convention européenne des droits de l'homme [...] n'exige pas que la personne ayant reçu notification officielle du fait qu'elle est suspectée d'avoir commis une infraction soit assistée d'un avocat lorsqu'elle est présente à des actes au cours desquels elle n'est ni privée de liberté ni entendue sur les faits qui lui sont reprochés ».
  • [52]
    Rappr. Crim., 8 févr. 2012, n° 11-81.259, Bull. crim. n° 38 ; D. 2012. 723, note S. Detraz ; AJ pénal 2012. 291, obs. G. Roussel ; cette Revue 2012. 589, obs. S. Detraz.
  • [53]
    L'auteur remercie vivement Me Rideau Valentini de lui avoir communiqué la décision.
  • [54]
    C. douanes, art. 60.
  • [55]
    C. douanes, art. 323 anc. et 323-1 nouv.
  • [56]
    C. pén., art. 432-4. V. Crim., 8 févr. 2012, n° 11-81.259, D. 2012. 723, note S. Detraz ; AJ pénal 2012. 291, obs. G. Roussel ; cette Revue 2012. 589, obs. S. Detraz.
  • [57]
    CE, 11 mai 1951, Consorts Baud.
  • [58]
    T. Confl., 12 juin 1978, Société « Le profil » c/ ministre de l'Intérieur.
  • [59]
    Classiquement, en Droit français, les agents de l'Administration peuvent d'emblée, et sans autorisation judiciaire, contrôler les professionnels assujettis à une réglementation particulière, voire les citoyens en général dans certaines matières spécifiques, par exemple en matière douanière ou de contributions indirectes.
  • [60]
    Il est de jurisprudence constante que l'activité de police judiciaire s'apprécie suivant un critère finaliste (l'objectif de mettre au jour une infraction que l'on pense commise) et non pas organique, et qu'elle n'est donc pas celle des seules gendarmes et policiers (qui ont d'ailleurs également, au rebours, une fonction de police administrative). Ainsi, la police judiciaire tend à « la recherche d'un délit ou d'un crime déterminé » (T. Confl., 7 juin 1951, Noualek) - et non pas d'une infraction purement spéculative -, pendant que la police administrative vise à prévenir les troubles à l'ordre public (rappr. T. confl., 16 mars 1998, n° 3053, Patrick Freymuth, au Lebon ; D. 1998. 194 : « la décision en litige par laquelle un agent des douanes s'est borné à interdire l'entrée en France du véhicule n'a pas eu pour objet la constatation ou la répression d'une infraction douanière »).
  • [61]
    Il s'agit, à tout le moins, de la convention douanière de la première classe (C. douanes, art. 410).
  • [62]
    Crim., 16 janv. 1995, n° 94-81.722
  • [63]
    Si le droit de visite est mis en œuvre sur la foi d'un soupçon préalablement étayé, il semble en revanche possible de le rattacher à la police judiciaire.
  • [64]
    Rappr. T. confl., 18 mars 1991, n° 2646, Barcelo Balmana, au Lebon ; D. 1991. 148, pour une saisie.

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