Notes
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[1]
Ce commentaire est tiré d'observations par ailleurs publiées à la Revue Lamy des Collectivités Territoriales, juin 2013.
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[2]
Trib. corr. Avesnes-sur-Helpe, 17 févr. 2012, n° 199/2012, Gaz. Pal. 2012. 1. 1421, note C. Paulin.
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[3]
Douai, 10 oct. 2012, n° 12/01253, Gaz. Pal. 2012. 2. 3321, note C. Pautrel et B. Partouche.
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[4]
Ainsi d'un léger coup donné par un professeur d'éducation physique à la jambe d'un élève, lequel l'avait insulté en termes grossiers et blessants et avait jeté son cartable dans sa direction (Crim. 18 juin 2002, Dr. pénal 2002. 134, obs. Véron). Douai, 10 oct. 2012, n° 12/01253, Gaz. Pal. 2012. 2. 3321, note C. Pautrel et B. Partouche.
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[5]
Intitulé du Chapitre II du Titre deuxième du Livre deuxième du code pénal.
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[6]
Crim., 2 sept. 2005, n° 04-87.046, Bull. crim. n° 212, D. 2005. 2986, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé et C. Mascala ; cette Revue 2006. 69, nos obs.
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[7]
Crim., 9 juill. 1825, S. 1825. 1. 151. V. encore Crim., 11 mars 1942, Bull. crim. n° 19 ; 23 oct. 1946, ibid. n° 188.
Quelle justification pour une gifle éducative ? [1] (Tribunal correctionnel d'Avesnes-sur-Helpe, 17 février 2012, n° 199/2012 ; Douai, 10 octobre 2012, n° 12/01253)
1Les médias n'ont pas manqué de rapporter ce fait divers, remontant au 24 août 2010, qui a opposé le maire de Cousolre, une petite commune du Nord, à un adolescent, surpris en train d'escalader un grillage tout juste installé par la municipalité. Le jeune homme avait fait l'objet d'un rappel à l'ordre de la part de l'élu, qui fut insulté et menacé par l'adolescent. La réaction du maire fut immédiate, qui se solda par une gifle assénée à l'impertinent. Ce geste lui valut des poursuites, et on ne peut s'empêcher de s'en étonner, tant, il y a encore quelques années, cette « pédagogie » eût été approuvée, avec le bon sens à l'appui. Il n'en est plus de même aujourd'hui, les mentalités ayant fortement évolué, qui admettent volontiers de pénaliser les réactions d'une victime, et de blâmer celui qui n'entend point se soumettre à de telles agressions. O tempora ! O mores ! Les droits de l'Homme sont passés par là, avec une dénaturation certaine, pour leur faire dire ce qu'ils n'ont jamais compris... Il en est résulté une bien malheureuse confrontation, et le maire a dû s'expliquer pour démontrer que sa réaction était normale, voire souhaitable ! Mais la justice, dont les rigueurs sont parfois surprenantes, du moins liées à ce type d'affaires, ne l'a pas entendu ainsi. L'élu fut condamné en première instance, et il ne doit son salut qu'à la voie de l'appel, dans laquelle il s'est engagé avec raison. C'est dire combien, au-delà de la banalité des faits, la cause s'est révélée difficile, pour ne pas avoir inspiré un consensus rassurant. Il nous faut le comprendre, et on s'aperçoit bien vite que des hésitations sont permises, ce que précisément cristallise la divergence des juridictions ayant eu à connaître de l'espèce, tant se révèlent incertaines les réponses du droit, voire inventives celles de la jurisprudence. Les textes ne donnent pas la solution, c'est seulement au travers de principes directeurs, de formules très générales, que la matière est abordée, ce qui en rend les applications bien délicates.
2Toute la défense du maire s'articulait autour de ce qui méritait d'être retenu comme une irresponsabilité à son avantage. Il n'était pas possible de nier la matérialité de la gifle, ni l'intention de l'administrer. C'est donc sur le chapitre de ce qui était à même de détruire la responsabilité pénale, malgré l'existence de l'infraction, qu'il convenait de se placer, l'intuition dictant ouvertement cette solution. Le droit pénal connaît deux grandes causes d'irresponsabilité, les unes subjectives, les autres objectives. Aux premières correspondent les hypothèses de non-imputabilité, qui, soit détruisent le discernement, tels les troubles psychiques ou neuropsychiques, soit entravent le libre arbitre, comme c'est le cas de la contrainte, tant physique que morale. Aux secondes se rattachent les faits justificatifs, c'est-à-dire des circonstances particulières dont l'effet est de neutraliser la portée théoriquement répréhensible d'une action ou d'une omission érigée en infraction.
3Les sources subjectives d'irresponsabilité étaient difficilement exploitables. En giflant l'adolescent, le maire n'avait été privé, ni de la conscience de son acte, ni de sa liberté d'agir ou de ne pas agir. La contrariété morale, la seule qui eût pu être éventuellement évoquée comme élément de contrainte, en rapport avec la portée extrême des incivilités de l'adolescent, n'avait aucune chance d'être retenue, le droit pénal étant précisément fait pour obtenir de tout-un-chacun qu'il reste maître de ses réactions. En revanche, les sources objectives se prêtaient à des applications plus accessibles, du moins en apparence, et c'est sur ce terrain que le maire a essayé de convaincre les juges de la légitimité de sa position. Une conviction à laquelle les magistrats du Tribunal correctionnel d'Avesnes-sur-Helpe n'ont pas adhéré, pour avoir, dans un jugement du 17 février 2012 [2], rejeté la légitime défense sur laquelle s'appuyait le prévenu au soutien de l'irresponsabilité à laquelle il prétendait, mais qui, au contraire, a séduit les magistrats de la Cour d'appel de Douai : dans un arrêt du 12 octobre 2012 [3], ils ont finalement admis le principe de cette irresponsabilité, cependant sur un registre différent de celui qui avait alimenté le débat en première instance, le soutien de la décision ayant été emprunté au commandement de l'autorité légitime.
4C'est en référence à ces deux décisions qu'il nous faut traiter de l'affaire, afin d'en livrer la dimension juridique, ce qui nous permettra de réaliser combien les subtilités du droit sont souvent bien éloignées de réponses que l'on voudrait plus immédiates, voire de solutions rejoignant l'évidence. Il n'est pas de meilleure illustration de ce que le droit pénal contient de méandres souvent compliqués, et le lecteur rentrera d'autant plus facilement dans la sensibilité hasardeuse des juristes, que les faits étaient ici d'une simplicité à toute épreuve. À cette limpidité factuelle ne correspond pas toujours, nous allons le voir, la simplicité attendue des textes ou de leur application.
I - Le jugement de condamnation, ou du rejet de la légitime défense
5La légitime défense a été le principal argument du maire pour échapper à sa responsabilité. Un argument qui s'inscrit dans une stratégie bien comprise, mais qui n'a pas été approuvé par la juridiction.
A - Le recours à la légitime défense
6Convoqué devant le Tribunal correctionnel d'Avesnes-sur-Helpe, le maire eut à répondre du délit de violences n'ayant entraîné aucune incapacité de travail, commises par une personne dépositaire de l'autorité publique dans l'exercice de ses fonctions, infraction prévue à l'article 222-13 du code pénal, et sanctionnée de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. On réalise de suite l'importance de la qualification par rapport aux faits de l'espèce. Elle est liée à la qualité de son auteur. Une simple gifle, dès lors qu'elle est inoffensive, n'est en principe qu'une contravention de la 4e classe. Mais, parce qu'elle a été le résultat d'une action commise par un maire, émanation de l'autorité, elle a ici franchi le seuil supérieur des délits. Le dépositaire d'une telle autorité se rend coupable d'un fait beaucoup plus grave, pour avoir à donner l'exemple, et être tenu par une conduite irréprochable.
7C'est certainement ce qui l'a emporté dans les poursuites. Elles ont d'abord été engagées sur le fondement de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, dite « plaider coupable », par laquelle le procureur de la République peut proposer à l'auteur de l'infraction d'exécuter une ou plusieurs peines principales ou complémentaires encourues (C. pr. pén., art. 495-7 s.). Une amende de 600 euros aurait été soumise à négociation, mais que le maire aurait refusée, ce qui explique son renvoi devant le tribunal correctionnel selon la procédure ordinaire. Ce refus était de bonne stratégie, du moins moralement entendue. Il n'était pas question pour le prévenu de reconnaître la moindre culpabilité, ni de rentrer dans une responsabilité dont il rejetait le principe. La comparution était de ce fait vouée à l'échec, qui le privait, d'abord d'un débat public, ensuite de la possibilité de revendiquer la justification de son geste. Et, de fait, devant la juridiction de jugement, la cause fut naturellement défendue en termes de légitime défense.
8L'article 122-5 du code pénal érige la légitime défense en cause d'irresponsabilité sous les conditions suivantes : « N'est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d'elle-même ou d'autrui, sauf s'il y a disproportion entre les moyens de la défense employés et la gravité de l'atteinte ». Comme tout fait justificatif, mais avec un relief particulier, lié à son caractère plus familier, la légitime défense trouve son fondement dans l'utilité de l'infraction commise, la responsabilité ne pouvant être lorsqu'elle ne recoupe plus l'objectif du droit pénal, qui est de sanctionner ce qui va à l'encontre des intérêts supérieurs de la société. Telle est sa philosophie, qui revient à intégrer le fait qu'une violence peut être socialement plus utile que la non-violence. Pour en juger, est bien sûr déterminante l'appréciation des circonstances, ce que traduit l'article 122-5 du code pénal, en insistant sur l'étroite dépendance de la riposte à l'agression, en termes, et d'actualité, et de proportionnalité. La légitime défense n'est d'abord autorisée que pour repousser un mal présent, ce qui revient à éloigner de toute prétention justificative ce qui est anticipation par rapport à l'agression, ou, au contraire, ce qui serait trop tardif. De même, elle n'est admise que sous couvert de proportionnalité, ce qui consiste à apprécier l'équilibre présidant aux rapports entre l'agression et la réaction, de manière à ce que cette dernière ne soit jamais déplacée par rapport à la première. C'est par l'intensité de l'attaque que s'évalue la riposte, afin de ne point légitimer ce qui est inutile en défense, qui en dépasserait les besoins, et se situerait hors des nécessités sociales de réalisation de l'infraction. Cette évaluation n'est pas évidente. Il ne s'agit pas d'une mesure mathématique, par laquelle ne serait admis comme légitime que le même acte, ou un acte moindre, que celui de l'agresseur. Il ne convient pas d'en juger ainsi, mais de manière plus globale, afin de tenir compte de l'émotion suscitée par l'agression en cours de réalisation, et avec pour conséquence de considérer comme justifiées des infractions qui peuvent se révéler plus graves [4]. Tout est affaire d'espèce, sans négliger la part importante que les juridictions concèdent volontiers à l'opportunité et à l'équité.
9Ramenée à notre affaire, cette présentation doit être confrontée à l'appréciation que la juridiction correctionnelle en a faite. Nous le savons, le maire a été reconnu responsable. C'est dire que n'a pas été admise la légitime défense à laquelle il prétendait. Le tribunal donne l'explication suivante : « L'attitude de la victime, voire l'insulte « bâtard » évoquée par le prévenu, ne sont pas de nature à justifier une réaction de violence, fût-elle légère, sur le fondement de la légitime défense, en l'absence de toute tentative de violence physique ». Cette motivation mérite une analyse de ce qu'elle engage juridiquement, pour avoir une portée nécessairement en relation avec la dimension très symbolique de l'affaire. On peut comprendre que tous les mots ont été pesés par les magistrats, tant leur jugement était attendu des élus locaux et de leurs instances représentatives, à commencer par l'Association des maires de France. Sans aller jusqu'à dire qu'il fera jurisprudence, l'attendu est revêtu d'une signification très particulière, en rapport avec la sensibilité de l'espèce, et il est important d'en faire ressortir les aspects en quelque sorte pédagogiques au regard du droit lui-même.
B - La motivation du rejet
10Il apparaît que l'irresponsabilité tirée de la légitime défense est rejetée en raison d'un défaut de proportionnalité entre l'agression et la riposte, entre l'incivilité de l'adolescent réprimandé, et la gifle qui a suivi ses outrages. Est en cause une disproportion entre la simple portée verbale de l'attitude du premier et la nature physique de la réaction du second. Là se trouverait la fracture ne permettant pas d'admettre la justification. La juridiction en donne tous les indices, en soulignant que l'adolescent n'était pas rentré dans une « tentative de violence physique », alors que la défense revendiquée comme légitime consistait, quant à elle, en un acte physique. La parité n'était pas entre les deux éléments confrontés à l'équilibre justificatif, et ce défaut de concordance ne pouvait que faire perdre à la réaction du maire la mesure juridiquement attendue. C'est dire qu'il n'y aurait pas de légitime défense lorsque la violence, serait-elle légère, ferait suite à de simples invectives. Opposée à une parole blessante, honteusement déplacée, la gifle n'aurait pas sa place.
11Cette application de l'article 122-5 du code pénal nous semble très contestable. Certes, nous comprenons la prudence des magistrats : ils doivent veiller à ne pas rentrer dans des solutions qui risquent d'être comprises comme des modèles de débordements. Certes, nous savons combien, dans son principe, l'irresponsabilité pénale, qu'elle tienne aux causes de non-imputabilité ou aux faits justificatifs, est étroitement surveillée par la jurisprudence, qui s'attache à ne pas consacrer des impunités faciles. Mais il n'est pas sûr que, pour répondre à ces objectifs louables, le tribunal d'Avesnes-sur-Helpe ait trouvé la meilleure solution. Sa décision nous semble s'en éloigner doublement.
121°) Elle marque d'abord une séparation trop tranchée entre violences et invectives, les soumettant à des natures inconciliables, les secondes étant présentées comme ne pouvant atteindre le niveau de gravité des premières, avec pour conséquence de ne pouvoir envisager un conflit entre elles. Mais cette manière de voir les choses s'éloigne sensiblement du droit, pour faire l'impasse sur une conception de la violence que le code pénal lui-même intègre, en parlant, non seulement d'atteinte à l'intégrité physique, mais encore d'atteinte à l'intégrité psychique de la personne [5]. La violence n'est pas seulement reconnue dans sa réalité physique, elle peut encore se manifester par des troubles psychologiques. On rejoint là une jurisprudence bien établie, dont il ressort qu'elle est constituée en dehors de tout contact matériel avec le corps de la victime, « par tout acte ou comportement de nature à causer sur la personne de celle-ci une atteinte à son intégrité physique ou psychique caractérisée par un choc émotif ou une perturbation psychologique » [6]. La distance est réduite, voire factice, entre l'agression verbale et l'agression physique, et arguer du fait que la première ne saurait se prêter à une juste proportionnalité en dehors de toute tentative d'atteinte à l'intégrité physique, c'est faire abstraction de sa nature potentiellement, voire intrinsèquement, « violente » ! La négation de principe d'un juste rapport entre un outrage véhément et une violence légère ne procède donc pas de l'évidence, tout simplement pour ne pas répercuter la notion juridique de violence, qui, loin de s'arrêter aux seules atteintes physiques, en intègre par ailleurs les retombées psychiques.
132°) Il est une seconde raison de douter de la pertinence du jugement, lequel engage un peu trop le droit, en faisant dire au code pénal ce qu'il ne contient pas. La légitime défense y est décrite comme un équilibre à respecter entre deux valeurs sociales soumises à conflit. Mais la proportionnalité ainsi recherchée n'est pas synonyme d'équivalence. L'acte commandé par la défense n'a pas à être de même nature que l'atteinte injustifiée qui l'a provoqué. La loi ne formule pas une telle exigence, qui se contente seulement de renvoyer à une nécessaire mesure entre l'agression et la riposte, fonction des intérêts en cause. Le critère de la justification ne tient pas à une similitude de comportements, mais à la confrontation des valeurs légalement protégées, de manière à ce que la référence supérieure l'emporte toujours sur la donnée inférieure. Alors, à une agression verbale peut parfaitement correspondre une violence légère, ceci indépendamment du fait qu'une telle agression soit ou non reconnue comme une atteinte psychique. Ce qui est en cause n'est pas comportemental, mais philosophique ! La théorie de la justification participe des fondements mêmes du droit pénal, pour renvoyer à des solutions qui soient toujours le reflet d'une valorisation sociale, par la sauvegarde de l'intérêt supérieur.
14Nous rentrons ici dans le cœur du débat ! Quel est cet intérêt dans la confrontation que les magistrats avaient à juger ? Deux valeurs s'opposaient : la dignité de l'agresseur, et le respect de l'autorité... Les opinions peuvent diverger sur la primauté à consacrer, et les arguments ne manquent, ni dans un sens, ni dans l'autre. Il nous semble que c'est à l'autorité de l'emporter, pour être une valeur difficilement contestable par un adolescent de 15 ans ! Dès lors que la riposte ne va pas au-delà d'une simple gifle inoffensive, on peut considérer que la violence rompt avec sa dimension physique, pour finalement revêtir un caractère symbolique, s'apparentant à un rappel à la loi, et elle ne peut que perdre de sa portée répréhensible face à la nécessité d'avoir à préserver l'autorité publique. A une époque où les incivilités se multiplient, générant des désordres, voire des lassitudes incontrôlées, il n'est pas de bonne politique d'ajouter à leurs effets destructeurs, en affaiblissant cette autorité. Certes, le mieux est de s'abstenir de toute gifle ! Mais lorsque celle-ci a été donnée, l'utilité sociale trouve meilleur compte à défendre le respect dû aux institutions, plutôt que la susceptibilité d'un adolescent ou de ses parents.
15C'est en ce sens que la Cour d'appel de Douai s'est déterminée, tout en s'étant orientée sur une autre voie que celle de la légitime défense.
II - L'arrêt de relaxe, ou du recours au commandement de l'autorité légitime
16Condamné à 1.000 euros d'amende avec sursis par le Tribunal correctionnel d'Avesnes-sur-Helpe, le maire, dans la logique de sa défense, a fait appel de ce jugement, et la Cour de Douai s'est à son tour prononcée le 10 octobre 2012. Contrairement à la juridiction de première instance, elle adhère quant à elle à l'irresponsabilité pénale du prévenu, ce qui a été ressenti comme un soulagement par la plupart des élus locaux, tant la condamnation avait été mal accueillie. Mais, très curieusement, ce n'est pas en contredisant ouvertement le tribunal que les magistrats du second degré ont tranché. Ils n'ont pas repris l'affaire en termes de légitime défense, pour en admettre le principe là où les premiers juges l'avaient rejetée. Tout en restant sur le terrain des faits justificatifs, leur décision est fondée, non sur l'article 122-5 du code pénal, mais sur l'article 122-4, alinéa 2, quant à lui relatif au commandement de l'autorité légitime. La rédaction est la suivante : « En application des dispositions de l'article 122-4, alinéa 2, du code pénal, la cour considère que le geste du maire, mesuré et adapté aux circonstances de fait de l'espèce, même s'il l'a lui-même regretté, était justifié en ce qu'il s'est avéré inoffensif et était une réponse adaptée à l'atteinte inacceptable portée publiquement à l'autorité de sa fonction ».
17Ce considérant mérite un double commentaire. D'abord dans ce qu'il engage de philosophie parfaitement adaptée à la justification, ensuite sur la référence plus inventive ou inédite, voire audacieuse, qui est faite à l'article 122-4 du code pénal.
A - Une philosophie pertinente
18La Cour d'appel de Douai développe une motivation fort intéressante, pour finalement rejoindre ce que nous avons proposé de conclusion à l'analyse critique que nous a inspirée le jugement de première instance. En usant des mots et des formules qu'elle retient, elle ne fait que développer la logique propre aux faits justificatifs, elle-même empruntée à ce que les circonstances contiennent de justes équilibres pour asseoir la reconnaissance de la valeur méritant d'être consacrée. On retrouve toute la sensibilité de la justification, qui se veut au service de l'intérêt supérieur de la société, afin de ne jamais en faire le sacrifice, tant son utilité s'impose sur ce qui se présente par ailleurs sous des traits moins dominants. Le raisonnement de la juridiction en témoigne, qui insiste sur les données permettant de se convaincre, et de la juste mesure qui a accompagné le geste du prévenu, et de sa légitime destination sociale, qui ne pouvait qu'en justifier le principe.
19C'est d'abord en faisant état du comportement de l'adolescent que les magistrats se prononcent. Ils en soulignent le caractère « inacceptable », ce qui est une donnée essentielle pour apprécier la riposte. On rejoint ici la proportionnalité requise au titre de la légitime défense, et on sent que, sans la revendiquer ouvertement, la cour s'en inspire malgré tout. Plus l'agression est élevée, plus la riposte peut l'être également, et c'est exactement ce qu'elle entend faire valoir, en qualifiant la gifle de geste mesuré et adapté aux circonstances. Parce que les injures et les propos de l'agresseur étaient d'une teneur intolérable, la riposte de l'agressé s'est de suite révélée conforme à ce qu'ils dictaient de réaction. Et la cour d'insister sur le caractère inoffensif de ce geste, marquant ainsi qu'il était accompagné de la mesure indispensable à la justification, qu'il restait dans les limites de l'acceptable, dans les limites de la proportionnalité requise.
20Alors est révélée la valeur supérieure servie par la riposte du maire : il s'agit de « l'autorité de sa fonction ». Une autorité bafouée de manière inadmissible par l'adolescent, parce qu'elle est la référence à ménager dans les conflits qui peuvent l'opposer à des incivilités, parce qu'elle est cet intérêt qui doit socialement l'emporter sur la considération due à la personne de l'agresseur. Ce n'est pas dire que cette considération n'est pas, c'est seulement souligner qu'elle ne saurait avoir la primauté lorsqu'elle s'oppose de la sorte à l'autorité, dans les circonstances particulières de l'espèce. Là encore, on retrouve l'esprit de la légitime défense, bien que la juridiction s'en défende en fondant autrement sa décision. Sa motivation y renvoie implicitement, qui opte sans hésiter pour une solution à l'avantage, non du maire, mais de l'autorité qu'il incarne.
21La solution mérite d'être approuvée, du moins pour ce qu'elle consacre d'irresponsabilité au bénéfice du prévenu. Ce que la Cour d'appel de Douai retient, le Tribunal d'Avesnes-sur-Helpe eût pu le retenir également, les deux juridictions ayant disposé des mêmes données, tant factuelles que juridiques. Si les positions ont finalement divergé, c'est parce que la valeur supérieure méritant d'être sauvegardée a été perçue de manière différente. Le respect dû à la personne l'a emporté pour les premiers juges, alors que la référence à l'autorité a été jugée plus importante pour les magistrats du second degré. Cette référence trouve même une dimension très originale, pour reposer sur une solution inédite.
B - Une référence inédite
22La Cour d'appel de Douai ne s'appuie pas sur l'article 122-5 du code pénal, mais sur l'article 122-4, alinéa 2. Ce texte est relatif au commandement de l'autorité légitime : « N'est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte commandé par l'autorité légitime, sauf si cet acte est manifestement illégal ». Par ce fait justificatif, c'est l'obéissance que le législateur érige en intérêt supérieur, jusqu'à neutraliser les infractions commises sous son influence. Il est essentiel, en effet, que les ordres ne soient pas discutés, et que, par leur respect, élevé au rang d'un principe essentiel, l'autorité soit renforcée. Ainsi promue au rang de valeur, l'obéissance devient une cause d'irresponsabilité pour celui qui s'y soumet. Tout concorde à cette justification : et la référence à l'autorité visée, qui doit être une autorité publique, et la condition que le commandement dont l'exécution est en cause ne soit pas manifestement illégal, ce qui laisse à l'exécutant une part déterminante de liberté, fondée sur une perception intelligente des ordres reçus.
23Telle est la philosophie qui préside à cette hypothèse de justification. Mais on réalise de suite qu'elle est fort inadaptée à l'espèce qui nous retient. Qu'il soit le relais de la loi, ou qu'il se manifeste contre elle, le commandement de l'autorité légitime suppose, sinon un lien de subordination, du moins une ascendance d'une personne sur une autre. Il n'est de commandement que sous couvert d'une exécution pesant sur une personne différente du donneur d'ordre. Toutes les applications de la jurisprudence en témoignent, qui rejoignent cette relation d'autorité entre deux intervenants, l'un qui commande, l'autre qui obéit. Or, il n'est rien de tel dans notre affaire. Le maire n'a reçu de personne le commandement de sanctionner l'impertinence en giflant l'impertinent ! C'est de lui-même qu'il a agi, de sa propre initiative, tirant sa réaction de sa seule volonté. Aussi faut-il s'étonner de la référence faite à l'article 122-4 pour justifier son comportement.
24Il n'est qu'un moyen de le comprendre. Pour que le geste du maire soit « une réponse adaptée à l'atteinte inacceptable portée publiquement à l'autorité de sa fonction », ceci en application du commandement de l'autorité légitime, il faut nécessairement que cette autorité contienne en elle la défense dont elle a besoin. Autrement dit, le commandement d'agir tient à la fonction elle-même, à la mission de l'élu, qui tire de son statut cet impératif, lequel n'a plus pour objet sa propre défense, mais celle autrement plus élevée des institutions. Cette perception des choses est audacieuse, qui consacre l'inédit. Mais elle est particulièrement intéressante, pour ériger l'autorité publique en valeur intrinsèquement supérieure, avec un impératif de défense pesant sur tous ceux qui en portent les insignes, et qui, dans leurs fonctions ou leurs missions, ont en quelque sorte l'obligation d'intervenir toutes les fois qu'elle est injustement menacée. On ne saurait aller plus haut dans la reconnaissance d'une proportionnalité à son avantage : l'autorité publique reçoit ici une consécration à la mesure de ce qu'elle représente de valeur à préserver, notamment contre ces trop nombreuses incivilités qui l'ont pour cible.
25Alors on peut concevoir que la Cour d'appel ait délaissé la légitime défense, laquelle eût pu servir de fondement à sa réponse, voire lui apporter une solidité juridique qu'elle n'a pas sous couvert de commandement de l'autorité légitime. Ce délaissement ajoute à la valeur très forte dont est revêtue cette autorité. La légitime défense renvoie trop à des conflits d'ordre personnel. Par le commandement de l'autorité légitime, le conflit perd de cette connotation restreinte, pour revêtir les traits d'un enjeu institutionnel. La solution n'est pas sans rappeler cette jurisprudence nuancée de la Cour de cassation sur le fondement de l'ancien article 186 du code pénal. Relatif aux violences commises par les fonctionnaires ou agents de la force publique, ce texte en limitait la répression aux seuls actes commis « sans motif légitime ». La Chambre criminelle avait souligné l'originalité de la formule, afin de la séparer de la légitime défense : « En matière d'homicide, coups et blessures, il faut distinguer, avec la loi, s'ils ont eu lieu d'individus à individus non revêtus de fonctions publiques ou s'ils ont été commis par des agents du gouvernement, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions ; au premier cas, il est nécessaire, d'après l'article 328 du code pénal, pour que l'homicide, les coups et blessures ne constituent ni crime ni délit, qu'ils aient été commandés par la nécessité actuelle de la légitime défense ; au second cas, d'après l'article 186 dudit code, les violences exercées ne sont punissables qu'autant qu'elles ont été commises sans motif légitime » [7]. C'est dire que motif légitime et légitime défense ne se confondaient pas, et que là où la seconde était destinée à régler des conflits personnels, le premier se voulait plus proche d'une préoccupation institutionnelle, avec une appréciation de sa réalité nécessairement différenciée de celle de la légitime défense. L'autorité était ainsi reconnue et ménagée dans sa spécificité, ce que la Cour d'appel de Douai nous semble avoir justement consacrée.
26Du moins la solution, pour ce qu'elle engage de fond, apparaît pertinente, même si le support utilisé relève d'une démarche nettement plus audacieuse...
Notes
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[1]
Ce commentaire est tiré d'observations par ailleurs publiées à la Revue Lamy des Collectivités Territoriales, juin 2013.
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[2]
Trib. corr. Avesnes-sur-Helpe, 17 févr. 2012, n° 199/2012, Gaz. Pal. 2012. 1. 1421, note C. Paulin.
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[3]
Douai, 10 oct. 2012, n° 12/01253, Gaz. Pal. 2012. 2. 3321, note C. Pautrel et B. Partouche.
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[4]
Ainsi d'un léger coup donné par un professeur d'éducation physique à la jambe d'un élève, lequel l'avait insulté en termes grossiers et blessants et avait jeté son cartable dans sa direction (Crim. 18 juin 2002, Dr. pénal 2002. 134, obs. Véron). Douai, 10 oct. 2012, n° 12/01253, Gaz. Pal. 2012. 2. 3321, note C. Pautrel et B. Partouche.
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[5]
Intitulé du Chapitre II du Titre deuxième du Livre deuxième du code pénal.
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[6]
Crim., 2 sept. 2005, n° 04-87.046, Bull. crim. n° 212, D. 2005. 2986, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé et C. Mascala ; cette Revue 2006. 69, nos obs.
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[7]
Crim., 9 juill. 1825, S. 1825. 1. 151. V. encore Crim., 11 mars 1942, Bull. crim. n° 19 ; 23 oct. 1946, ibid. n° 188.