Couverture de RSC_1001

Article de revue

Infractions contre l’État, la Nation et la paix publique

Pages 139 à 145

1. Faux en écritures publiques (art. 441-4 C. pén) : un notaire faussaire par réception d'un acte dont il ignore le contenu

1 (Crim. 7 avril 2009, n° 08-84.300, Dr. pénal 2009, n° 90, com. M. Véron)

2 La jurisprudence en matière de faux en écritures est très riche. Elle porte souvent sur la même question qui permet à la Cour de cassation de rappeler une condition essentielle de l'infraction : l'altération de la vérité ne peut être réalisée que dans un écrit valant titre. L'arrêt commenté mérite d'être relevé car il est plus original par son contexte : il s'agit d'un faux en écritures publiques réalisé par un officier ministériel.

3 L'article 441-1 du code pénal incrimine « toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d'expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques ». L'article 441-4 du code pénal aggrave la sanction lorsque le faux est commis dans une écriture publique ou authentique : dix ans d'emprisonnement et 150 000 € d'amende.

4 La consommation du faux en écriture, infraction qui porte atteinte à la confiance publique, implique la réunion de quatre éléments constitutifs : une altération de la vérité, commise intentionnellement, dans un écrit ou un autre support de la pensée et qui entraîne un préjudice. L'altération de la vérité peut aussi bien consister en un faux matériel — qui se réalise par une altération physique du support, que dans un faux intellectuel — qui est consommé par le contenu mensonger de l'écrit ou du support utilisé. Cependant, une condition impérative de la commission du délit est que le support de l'altération frauduleuse serve à l'établissement d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques. Selon la formule classiquement utilisée, il est nécessaire que l'écrit ou le support d'expression de la pensée utilisée constituent un titre.

5 Sur ce fondement du faux en écritures publiques, un notaire est poursuivi et condamné à dix-huit mois d'emprisonnement dans l'arrêt du 7 avril 2009, pour avoir attesté faussement par sa signature de la présence de deux personnes lors de l'établissement d'un acte. En l'espèce, à la suite du décès de M. Y. son épouse et ses trois enfants prétendaient à sa succession. La veuve Y. bénéficiant d'une donation effectuée entre conjoint survivant disposait d'une option qui lui permettait de choisir l'attribution de sa part d'héritage en pleine propriété dans la limite de la quotité disponible, ou en usufruit sur la totalité de la succession. Un acte d'option a été dressé pour constater le choix par la veuve de l'usufruit. Dans cet acte signé par le notaire, il est expressément mentionné la présence de la veuve et de ses trois enfants — héritiers réservataires — ce qui permet de constater qu'ils ont été informés du choix fait par leur mère. Cependant, cet acte n'est signé que par la mère et le fils, les deux filles n'ayant en réalité pas participé à l'opération.

6 Pour sa défense le notaire condamné en première instance et en appel présente deux arguments : d'une part, il soutient que l'absence des héritières lors de l'acte ne leur cause aucun préjudice dans la mesure où leur mère disposait d'un droit discrétionnaire d'option sur la succession ; d'autre part, qu'il n'est pas le rédacteur de l'acte dans la mesure où celui-ci a été préparé et passé par son clerc, lui-même ayant seulement apposé sa signature.

Le préjudice

7 Pour sa défense, le prévenu soutient qu'un des éléments constitutifs du faux en écritures fait défaut : la réalisation d'un préjudice à l'encontre de la victime. Il ne conteste pas que la mention relative à la présence des deux héritières lors de la passation de l'acte soit fausse, mais il invoque le fait que leur absence ne leur cause aucun préjudice dans la mesure où la veuve disposait d'un droit discrétionnaire d'option sur sa part d'héritage. Il soutient donc que, compte tenu des dispositions de la donation effectuée entre les époux, la veuve survivante devait en toute hypothèse hériter, que les deux héritières soient présentes ou pas lors de la passation de l'acte ne changeant rien à leur situation vis-à-vis de l'héritage. Elles ne subissent donc du fait de cette fausse mention aucun préjudice. En l'absence de la réunion de tous les éléments constitutifs du faux, l'infraction ne peut être constituée.

8 Cette argumentation avait peu de chances de prospérer devant la Cour de cassation eu égard d'une part, à l'interprétation que la Cour fait du préjudice en matière de faux en écritures, et d'autre part, car le préjudice subi par les héritières pouvait être caractérisé.

9 La Cour de cassation retient une interprétation souple du préjudice causé par le délit de faux. Elle admet les préjudices de toutes natures matériel et pécuniaire (Crim. 20 mars 2007, Bull. crim. n° 86, cette Revue 2007. 536, nos obs. ; Crim. 20 juin 2007, Dr. pénal 2008, com. n° 142, M. Véron ; D. 2008. Pan. 1573, nos obs. ; 5 févr. 2008, cette Revue 2008. 591, nos obs.), mais aussi moral (Crim. 27 mars 2007, Dr. pénal 2007, com. 99, M. Véron) qu'ils soient certain ou éventuel. En outre, la jurisprudence dispense souvent les victimes d'apporter la preuve du préjudice qu'elles subissent, les juridictions déduisant son existence de la nature de la pièce falsifiée. Cette présomption de préjudice est d'autant plus facilement retenue en matière de faux en écritures publiques, que la pièce fausse a une valeur authentique. En l'espèce, le faux réalisé par un officier ministériel tombait dans cette catégorie d'écrits dont la valeur entraîne nécessairement un préjudice, lorsque son contenu ne correspond pas à la réalité.

10 Mais en l'espèce, contrairement aux allégations du notaire prévenu il n'est pas nécessaire de recourir à une interprétation souple, le préjudice était caractérisé. En effet, le code civil prévoyait dans l'article 1094-2 (article abrogé par la loi du 3 décembre 2001 mais applicable en l'espèce, puisque l'ouverture de la succession avait lieu en 1999) que les héritiers pouvaient lors de l'exercice de l'option d'une part, exiger la conversion de l'usufruit en rente viagère, et d'autre part, sur le fondement de l'article 1094-3 du code civil requérir un inventaire des biens et des valeurs. Pour exercer ces droits conférés par la loi, il importe que les héritiers soient sinon présents à l'acte, du moins informés de leurs prérogatives. Or dans l'acte litigieux constitutif du faux en écritures publiques non seulement le notaire atteste de la présence des deux héritières, mais encore il constate qu'elles ont renoncé à exercer les droits qui leur étaient reconnus par la loi. Le préjudice ainsi caractérisé, tous les éléments constitutifs du faux en écritures publiques étaient réunis, ce qui justifie la condamnation pour des faits que la Cour de cassation qualifie « d'une particulière gravité » compte tenu de la confiance attachée à la profession de notaire et à sa qualité d'officier ministériel.

L'auteur de l'infraction

11 Le prévenu fonde également sa défense sur le fait que cet acte contenant des mentions fausses n'a pas été rédigé par lui-même. L'acte notarié ayant été préparé par un clerc qui aurait même procédé à sa passation, le notaire soutient que sa responsabilité pénale ne peut être retenue. Il apparaît donc que le notaire n'a jamais été en contact avec ses clients, qu'il n'était pas présent lors de la passation de l'acte, et qu'il n'a fait que signer ultérieurement un acte sans en vérifier la conformité, en mentionnant expressément qu'il l'avait reçu.

12 Une double interrogation naît de cette situation : que peut-on reprocher au notaire et qui est véritablement l'auteur de l'infraction ? Les juges du fond dont l'argumentation est reprise par la Cour de cassation répondent très clairement à ces questions. On ne peut pas soutenir que le notaire aurait seulement commis l'imprudence de ne pas vérifier les mentions portées dans l'acte préparé par son clerc, ce qui ne permettrait pas de caractériser l'intention frauduleuse. Les juridictions du fond affirment à juste raison que constitue un faux en écritures publiques le fait pour un notaire de déclarer qu'il a reçu un acte alors qu'il n'a fait que le signer. Cette seule affirmation constitue l'allégation mensongère intentionnelle consommant le délit de faux en écritures publiques. Par conséquent, l'altération de la vérité imputable au notaire n'est pas tant le fait d'attester de la présence des héritières qui en réalité n'étaient pas là, que d'affirmer avoir reçu un acte ce qui relève de la responsabilité du notaire et lui impose des vérifications quant à la teneur de celui-ci par rapport à la réalité des faits. La signature apposée par le notaire sur l'acte ne peut relever de la catégorie des fautes d'imprudence mais de celle des fautes intentionnelles. Faute qui ne peut être imputable qu'au notaire et pas à son clerc.

13 Cet arrêt devrait alerter les notaires et les inciter à la plus grande prudence dans la préparation et la passation des actes.

2. Délit de favoritisme à l'Université (art. 432-14 C. pén.) : un président pénalement sanctionné

14 (Crim. 17 décembre 2008, n° 08-82.319, Bull. crim. n° 261 ; Dr. pénal 2009, com. n° 36, M. Véron ; AJ pénal 2009. 131, obs. J. Lasserre Capdeville ; RTD com. 2009. 471, obs. B. Bouloc)

15 Les juridictions répressives connaissent souvent de poursuites sur le fondement de l'article 432-14 du code pénal relatif aux « atteintes à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de services publics », incrimination plus connue sous le nom de délit de favoritisme. Cette infraction est définie comme le fait pour certaines personnes dépositaires de l'autorité publique, ou chargées d'une mission de service public, ou investies d'un mandat électif public ou exerçant des fonctions de représentant, administrateur ou agent de l'État, des collectivités territoriales, des établissements publics, des sociétés d'économie mixte de « procurer ou de tenter de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public ».

16 Les personnes pénalement poursuivies et condamnées du chef de cette infraction sont souvent des élus locaux qui, pour favoriser un partenaire économique du ressort de la collectivité, transgressent les règles relatives aux procédures d'attribution des marchés publics. La jurisprudence en la matière est très sévère à l'égard de ces élus, qui sont considérés comme « des professionnels » compétents qui doivent connaître la législation applicable. La constatation de la violation de la loi ou du règlement révèle le caractère intentionnel des agissements, ce qui revient à leur faire supporter une véritable présomption de responsabilité (Crim. 15 sept. 1999, Dr. pénal 2000, com. n° 28, M. Véron).

17 L'espèce qui donne lieu à l'arrêt du 17 décembre 2008 est plus originale quant à la qualité du prévenu : un président d'université à qui il est reproché de ne pas avoir respecté les procédures de mise en concurrence des prestataires de services de restauration. Il était apparu à la suite d'un contrôle de la chambre régionale des comptes que le président de l'Université de Lyon avait pendant la durée de son mandat, entre le mois de septembre 1997 et le 31 août 2002, procuré un avantage injustifié à un traiteur en passant des commandes de gré à gré, sans mise en concurrence avec d'autres prestataires alors que le montant global des commandes dépassait le seuil de 90 000 € au-delà duquel les procédures de mise en concurrence préalables sont obligatoires (selon les dispositions du code des marchés publics en vigueur au moment des faits — article 28 issu du décret du 7 mars 2001). Le procureur de la République avait été informé de ces faits par le procureur général aux fins de poursuite le 22 août 2005. Pour fonder la condamnation du président de l'université, les juges du fond affirment qu'en qualité d'ordonnateur principal, il élaborait le budget global de l'établissement et devait ainsi constater que le montant annuel des dépenses relatives aux traiteurs, était supérieur au seuil légal fixé à partir de 2001 et il lui appartenait donc, de mettre en œuvre à compter de cette date, les procédures obligatoires d'appel à la concurrence. Le fait de laisser se poursuivre les transactions de gré à gré qui constituaient un avantage injustifié, entre son établissement et le prestataire de services en connaissance de cause, caractérise l'infraction dans tous ses éléments matériel et intentionnel.

18 Pour sa défense le président qui ne conteste pas la réalité des faits, invoque la prescription de l'action publique qui devait rendre les poursuites irrecevables. Il soutient que son mandat ayant pris fin le 31 août 2002 et les services de police ayant été saisis de l'enquête le 7 septembre 2005, plus de trois ans se sont écoulés depuis la fin de sa présidence : la prescription est donc, selon les moyens du pourvoi, acquise. La Cour de cassation rejette l'argument car les faits ayant été dissimulés durant toute la durée du mandat présidentiel, la prescription ne commence à courir qu'à compter du jour où les faits sont apparus et ont pu être constatés dans les conditions permettant l'exercice de l'action publique. Le délit ayant été dissimulé jusqu'au 31 août 2002 — date de la cessation de fonctions du président, lorsque le procureur de la République a été saisi le 22 août 2005 par courrier du procureur général aux fins d'engager les poursuites, il restait encore 9 jours avant que le délai de prescription de trois ans de l'action publique ne soit écoulé.

19 Cette jurisprudence vient confirmer une position désormais classique de la Cour de cassation qui admet des poursuites tardives, dès lors que les faits constitutifs de l'infraction ont été dissimulés. L'action publique peut être exercée plus de trois ans après la date de commission des faits délictueux, qui ne constitue plus le point de départ du délai de prescription, dès lors qu'ils ont été dissimulés. Le point de départ du délai est reporté au jour où la dissimulation des faits a cessé, c'est-à-dire au jour de la découverte de l'infraction.

20 Le champ d'application de cette jurisprudence en droit pénal des affaires ne cesse de s'étendre. La même solution est retenue en matière d'abus de confiance (Crim. 7 mai 2002, Bull. crim. n° 107 ; Crim. 23 mai 2002, Dr. pénal 2002, com. n° 104, M. Véron ; 8 févr. 2006, Bull. crim. n° 34), d'abus de biens sociaux (Crim. 5 mai 1997, Bull. crim. n° 159 ; 10 avr. 2002, Bull. crim. n° 85 ; 25 oct. 2006, Dr. pénal 2006, com. n° 42, J.-H. Robert), de recel dans certains cas (Crim. 25 oct. 1997, Bull. crim. n° 352), et de favoritisme. L'arrêt commenté confirme la possibilité du report de la prescription en matière de favoritisme ; cette solution ayant déjà été affirmée dans des arrêts antérieurs (Crim. 27 oct. 1999, Bull. crim. n° 238 ; Dr. pénal 2000, com. n° 27, M. Véron ; cette Revue 2000. 618, obs. J.-P. Delmas Saint-Hilaire ; Crim. 19 mai 2004, Bull. crim. n° 131, Dr. pénal 2004, com. 133, M. Véron). Pour l'ensemble de ces infractions d'affaire clandestines par nature, la jurisprudence, lorsque les faits ont été dissimulés, retient un point de départ qu'elle fixe : le jour où la victime a eu connaissance de l'infraction en matière d'abus de confiance ; le jour où l'infraction a pu être constatée dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique pour l'abus de biens sociaux ; le jour où les actes dissimulés sont apparus ce qui permet l'exercice des poursuites pour le délit de favoritisme, selon la formule retenue par l'arrêt.

21 Cette solution demeure critiquable en ce qu'elle ne respecte pas les dispositions de l'article 8 du code de procédure pénale qui pose le principe en matière de prescription délictuelle, selon lequel la prescription est acquise trois ans après la commission des faits. Cependant, elle est si ancrée dans la jurisprudence depuis quelques années, qu'un revirement paraît inenvisageable ; mais elle constitue un moindre mal dans la mesure où, cette condition de dissimulation encadre la durée de la prescription évitant qu'elle se rapproche dangereusement de l'imprescriptibilité. En effet, dans la mesure où la prescription s'ouvre dès lors que les faits sont apparus dans des conditions permettant l'exercice des poursuites, cela évite de laisser aux parties poursuivantes la totale maîtrise de la poursuite et notamment, la possibilité de retarder indéfiniment le moment de l'engagement de la procédure.

22 Un risque d'arbitraire demeure cependant, relativement au moment où l'existence d'une infraction peut être considérée comme connue. Est-ce le moment de l'apparition des premiers signes permettant de soupçonner la réalisation de faits délictueux ? Est-ce le moment où le principe de l'infraction est acquis ? Est-ce celui où les premiers éléments de preuve du délit sont réunis ? L'incertitude demeure car les solutions varient selon les espèces. Dans l'arrêt du 17 décembre 2008, la Cour de cassation retient comme signes révélateurs de l'infraction des éléments positifs de preuve de son existence : d'une part, le signalement des pratiques frauduleuses admises par le président d'université par la chambre régionale des comptes ; d'autre part, le fait que le nouvel agent comptable avait averti le nouveau président du dépassement du seuil et de l'impossibilité de payer des factures correspondant à des prestations réalisées contrairement aux exigences légales. En rejetant le pourvoi la Cour de cassation rend la condamnation prononcée par la cour d'appel de Lyon, définitive.

23 Cet arrêt relatif au délit de favoritisme imputable à un président d'université est le premier concernant la qualité de l'auteur, et il est d'une grande actualité. En effet, à un moment où nos universités passent — ou sont déjà passées pour un certain nombre d'entre elles — à l'autonomie en application de la loi LRU, cette jurisprudence doit attirer l'attention des présidents d'université. La loi qui donne l'autonomie aux universités investit les présidents de larges pouvoirs nouveaux et par conséquent, de lourdes responsabilités nouvelles administratives, civiles et pénales. Les pouvoirs des présidents sont considérablement accrus en matière de politique budgétaire et de gestion financière, ils doivent donc être particulièrement prudents dans la mise en œuvre des procédures légales relatives notamment, à l'attribution des marchés publics.

3. Défaut du port de ceinture de sécurité : l'état de santé du conducteur n'est pas un cas de contrainte physique justifiant la commission de l'infraction

24 (Crim. 28 oct. 2009, n° 09-84.484, Dr. pénal 2010, com. n° 4, M. Véron)

25 La faute intentionnelle ou non-intentionnelle de l'agent conditionne l'existence de l'infraction et la culpabilité. Si aucune faute pénale ne peut être caractérisée, parce ce que l'auteur des faits n'a pas eu la volonté de les commettre, celui-ci doit être pénalement irresponsable. Celui qui agit sous l'empire de la contrainte n'est plus maître de ses choix, il est obligé par une cause imprévisible et irrésistible qui s'impose à lui de passer à l'acte.

26 L'article 122-2 du code pénal admet la contrainte au titre des causes d'irresponsabilité ou d'atténuation de responsabilité pénale : « N'est pas pénalement responsable la personne qui a agi sous l'empire d'une force ou d'une contrainte à laquelle elle n'a pu résister ». La loi consacre l'irresponsabilité pénale, à certaines conditions, de l'agent qui a agi sous l'empire de la contrainte. Si la loi retient la contrainte comme moyen d'échapper à la responsabilité pénale, l'analyse de la jurisprudence montre que les juridictions répressives interprètent très étroitement les conditions d'application.

27 L'hypothèse de la contrainte physique correspond au cas où la volonté de l'auteur des faits a été abolie par une cause d'ordre physique, à laquelle il était impossible humainement de résister et qui le place dans l'impossibilité absolue de se conformer à la loi. Cette contrainte physique peut avoir une origine externe à l'agent : ce fut, dans une jurisprudence ancienne, le cas du condamné à la peine du bannissement (ce qui lui interdisait de séjourner sur le territoire de la République anc. art. 33 C. pén.) qui quitte la France en bateau et du fait d'une tempête est rejeté sur les côtes françaises. Le crime de rupture de ban ne pouvait lui être imputé, car l'acte est étranger à sa volonté. C'est également le cas de l'automobiliste qui ne commet aucune imprudence, mais qui dérape sur une plaque de verglas et tue une personne : le délit d'homicide par imprudence ne doit pas pouvoir lui être imputé (Crim. 11 avr. 1970, Bull. crim. n° 117).

28 L'origine de la contrainte peut aussi être interne à l'agent. Pour que cette contrainte interne soit une cause d'impunité, il faut qu'elle ait entraîné une abolition de la volonté qui a supprimé toute possibilité de choix, et a inévitablement conduit l'agent à commettre une infraction. Il appartient aux juridictions répressives de déterminer si la cause interne a joué un rôle déterminant sur la volonté de l'agent, pour admettre ou refuser l'irresponsabilité pénale. Ainsi, la contrainte a été retenue pour admettre l'irresponsabilité pénale d'un voyageur en infraction à la police des transports, pour avoir dépassé la gare prévue sur son billet, après s'être endormi à cause d'une importante fatigue (Crim. 19 oct. 1922, DP. 1922. 1. 233).

29 La question de la justification de la commission d'une contravention au code de la route par la contrainte physique est posée dans l'arrêt du 28 octobre 2009. En l'espèce un automobiliste est poursuivi devant la juridiction de proximité du chef de conduite d'un véhicule sans port de ceinture de sécurité. Pour sa défense le conducteur indique, certificat médical à l'appui, qu'il a été victime la veille de l'infraction, d'un accident entraînant une grave blessure à l'épaule ce qui l'empêchait de boucler sa ceinture de sécurité. Le juge de proximité énonce que l'état de santé du prévenu constitue une contrainte et un cas de force majeure au sens des articles 122-2 et 121-3 du code pénal, ce qui justifie la relaxe.

30 Sur pourvoi du ministère public, la Cour de cassation est saisie et elle casse le jugement au visa de l'article 122-2 du code pénal au motif que les conditions de la contrainte physique ne sont pas réunies car « l'état de santé invoqué par le prévenu était antérieur à la commission de l'infraction ».

31 La Cour de cassation par cet arrêt rappelle en filigrane les conditions de l'impunité : pour être exonératoire de la responsabilité pénale, au sens de l'article 122-2 du code pénal, la contrainte doit présenter les caractères de la force majeure, au sens de l'article 1148 du code civil. Le fait ne sera considéré comme une cause d'irresponsabilité que s'il est imprévisible et irrésistible pour l'auteur de l'infraction.

32 Un fait imprévisible : l'auteur de l'infraction doit être, pour bénéficier de l'impunité, dans l'impossibilité absolue de prévoir la survenance du fait physique qui a conduit à la commission de l'infraction. Si ce fait pouvait être prévu, l'irresponsabilité pénale est écartée car l'agent avait le choix de prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter l'infraction. Ainsi, la jurisprudence a écarté la contrainte car l'événement était prévisible, et affirmé la responsabilité pénale dans différentes hypothèses : celui qui se plonge volontairement dans un état d'ivresse au cours duquel il commet des infractions, demeure responsable ; de même le conducteur qui sait qu'il est sujet à des malaises entraînant perte de conscience lorsqu'il est très fatigué et qui voyage sans se reposer, pouvait prévoir les conséquences, le délit d'homicide involontaire est donc constitué (arrêt Falcoz-Vigne, Crim. 8 mai 1974, Bull. crim. n° 165) ; de même n'est pas retenue la défaillance mécanique d'un véhicule qu'une vérification préalable à l'usage de celui-ci aurait permis de découvrir ; même solution pour une flaque d'eau sur la route à la suite d'un orage d'une violence exceptionnelle (Crim. 14 oct. 1975 Bull. crim. n° 215).

33 Il apparaît donc que pour être exonératoire de responsabilité, la contrainte ne doit pas être la résultante d'une faute antérieure imputable à l'auteur de l'infraction, ou d'une situation antérieure dont l'agent avait connaissance. La situation précédant l'action enlève tout caractère imprévisible à la survenance des faits. Par conséquent, en l'espèce le prévenu savait que sa blessure rendait impossible le port de la ceinture de sécurité, donc la commission de l'infraction n'était pas imprévisible, et la faute commise était intentionnelle ce qui exclut la contrainte.

34 Un fait irrésistible : La jurisprudence limite le champ d'application de la contrainte en exigeant de l'agent l'impossibilité absolue d'éviter la commission de l'infraction. La force majeure ne peut résulter que d'un événement indépendant de la volonté humaine et que celle-ci n'a pu ni prévoir, ni conjurer (Crim. 11 oct. 1993, Bull. crim. n° 282). Les juridictions répressives donnent à la formule de l'article 122-2 du code pénal « une contrainte à laquelle il n'a pu résister » le sens le plus étroit, en considérant que des difficultés importantes ne suffisent pas pour admettre l'irresponsabilité pénale (Crim. 30 oct. 1963, Bull. crim. n° 302). Ainsi, il a été jugé qu'était justifiée la condamnation, pour non-respect d'un arrêté d'expulsion, d'un étranger qui allègue seulement qu'il a été refoulé à plusieurs reprises sur le territoire français par tous les pays limitrophes, ce qui n'établit pas l'impossibilité absolue de quitter la France, car il pouvait se rendre dans un pays non limitrophe. La blessure à l'épaule dont souffrait le prévenu ne pouvait selon cette interprétation, en aucun cas être irrésistible dans la mesure où elle était connue du fait de son antériorité.

35 La solution retenue par la Cour de cassation est juridiquement imparable, le prévenu ne pouvait pas bénéficier de la force majeure pour échapper à la condamnation. La blessure dont il souffrait étant antérieure à la commission de l'infraction il savait qu'il ne pouvait pas fixer sa ceinture de sécurité. Or le port de cette ceinture étant obligatoire, à défaut de pouvoir respecter la loi, il ne devait pas conduire. En droit, l'arrêt doit être totalement approuvé. En fait également pour des raisons de sécurité : tout automobiliste dont l'état de santé ne lui permet pas de respecter les règles du code la route doit s'abstenir de prendre le volant jusqu'à sa guérison. Le conducteur blessé qui ne peut boucler sa ceinture de sécurité, le conducteur qui a un bras dans le plâtre car il peut ne pas être maître de son véhicule... Être blessé ou conduire... il faut choisir !


Date de mise en ligne : 01/04/2019.

https://doi.org/10.3917/rsc.1001.0139

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.9.170

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions