Couverture de RPVE_581

Article de revue

La compétitivité de la Belgique : d’où venons-nous, où allons-nous ?

Pages 13 à 37

Notes

  • [1]
    L’indice santé exclut, en effet, le prix des carburants, mais pas le prix de l’électricité, du gaz et du gasoil de chauffage dont les prix suivent, en général, le prix du pétrole.
  • [2]
    Engagement du gouvernement fédéral vis-à-vis de l’Union européenne. Au niveau des Entités fédérées, seule la Communauté flamande a pris un engagement formel à cet égard (taux d’emploi de 76 % en 2020).
  • [3]
    Mais 61,4 % en 1996. De 1996 à 2000, la performance fut assez imposante, le taux passant de 61,4 % à 65,8 %, soit une augmentation de 4,4 points de pourcentage. Cette performance a bénéficié des mesures de généralisation du temps partiel.
  • [4]
    Nous avons indiqué GECE partim pour signifier qu’il s’agit de l’initiative de membres du GECE qui, étant donné qu’il s’agissait de recommandations, n’ont pas souhaité engager leurs institutions respectives.
  • [5]
    MIP (Macroeconomic imbalance procedure) : procédure européenne mise en œuvre annuellement afin de vérifier si chaque pays de l’Union fait face à un risque de déséquilibre macroéconomique déstabilisant.
  • [6]
    Tous ces indicateurs, au niveau des branches, devraient être inclus dans le Rapport technique du CCE. Une telle approche n’est cependant pas exempte de difficultés. En effet, les données de productivité ne sont connues qu’avec un an de retard et font l’objet de révisions jusqu’en t+2, ainsi que de révisions beaucoup plus importantes lors de changements méthodologiques du type de la révision du SEC2010. D’autre part, les branches d’activité ne sont pas homogènes et couvrent donc des sous-branches d’activité dont la productivité augmente rapidement et d’autres pas. Le CCE devra déterminer, par ses analyses, le niveau de détail sectoriel le plus adéquat.
  • [7]
    Un troisième type d’objectif a vu le jour dans l’opinion publique ces derniers temps : un tax shift permettant de mieux équilibrer les revenus des salariés et ceux des détenteurs de capitaux, en particulier, en accroissant l’incitation à travailler pour les bas salaires en augmentant l’écart entre salaire et allocation sociale, mais aussi, en taxant plus les personnes qui ont des revenus élevés et qui parviennent à payer proportionnellement moins d’impôt que la moyenne des salariés. Cet objectif sort totalement du cadre de cette note. D’une part, l’analyse des déterminants de l’offre de travail n’a pas été abordée et d’autre part, la problématique de l’équité d’un système fiscal requiert une approche qui sort des compétences du GECE et qui va au-delà du raisonnement économique, même si des études montrent qu’une société inclusive est souvent plus performante dans le long terme. Notons que cette problématique est particulièrement vive dans les pays où les 1 % les plus riches captent la presque totalité de la croissance des revenus globaux, ce qui n’est pas le cas en Belgique. Il faut encore signaler qu’un tax shifting réduisant l’IPP financé par une augmentation de la TVA serait, selon l’étude BNB-BFP, de nature à détruire de l’emploi et non à en créer.
  • [8]
    Voir l’article de Christian Valenduc dans ce même numéro.
  • [9]
    Voir pp. XX-XX de ce même numéro.
  • [10]
    Voir dans ce même numéro, dans l’article de Christian Valenduc, pp. XX-XX.
  • [11]
    La question des différences régionales est importante car le poids de la Région flamande dans la négociation salariale risque d’influencer les salaires dans les deux autres Régions alors que celles-ci sont encore éloignée d’un niveau de chômage minimum.
  • [12]
    Selon la loi de 2017, le « handicap historique des coûts salariaux » est défini comme le handicap restant après l’élimination du handicap des coûts salariaux encouru depuis 1996. L’ampleur de ce handicap doit être fixée par le Conseil central de l’Économie. Bonne chance !
  • [13]
    Cf. Section 2.2 ci-dessus.

1 – Introduction

1Dans un petit pays comme la Belgique, très ouvert sur les échanges extérieurs depuis de longues années, vivant largement du commerce extérieur, où le taux de change a depuis des décennies été fixe vis-à-vis du grand voisin, l’Allemagne, et qui souhaite préserver un modèle social original où l’indexation généralisée des salaires, revenus et allocations joue un rôle central, la surveillance de la compétitivité a toujours été un des piliers de la politique macroéconomique. L’équilibre de la balance courante et l’équilibre budgétaire ont été deux priorités constantes de cette politique macroéconomique. Depuis toujours aussi, les Belges, pragmatiques, n’ont pas cru dans un équilibrage automatique par le marché, d’autant que les règles de détermination des salaires étaient contraintes par le mécanisme d’indexation. Le génie belge a été de faire émerger un consensus autour de ces objectifs macroéconomiques et de revoir régulièrement les règles de détermination des coûts salariaux afin d’éviter les effets pervers potentiellement présents à chaque Accord interprofessionnel (AIP). C’est ainsi que l’indice santé a été introduit, que la loi de 1996 relative à la promotion de l’emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité a remplacé la législation qui prévalait précédemment durant les années 1980 et que cette loi a été modifiée en 2017.

2Le Bureau fédéral du Plan (BFP), la Banque nationale de Belgique (BNB), dans les aspects macroéconomiques, les SPF (Service public fédéral) Économie et Emploi, respectivement dans les aspects statistiques et juridiques, ont été des analystes permanents de la compétitivité. En cela, ils ont été des aides précieuses pour la concertation sociale, principale responsabilité du Conseil central de l’Économie (CCE).

3Dès avant la crise financière de 2008, la compétitivité de la Belgique s’était détériorée et cette détérioration a été analysée par les auteurs de cet article, notamment dans un Planning Paper du BFP (Bogaert et Kegels, 2012) et un article antérieur dans cette revue (Bogaert, 2012). En 2013, le gouvernement Di Rupo a mis en place un Groupe de travail nommé GECE pour Groupe d’Experts Compétitivité et Emploi, chargé de l’aider à analyser la question de la compétitivité. Ce groupe était constitué de membres des SPF Emploi et Économie, de la BNB, du BFP et du CCE. Il était présidé par le commissaire au plan honoraire.

4Depuis ce constat de perte de compétitivité jusqu’à aujourd’hui, beaucoup a été fait pour améliorer la compétitivité. Il nous a semblé utile de montrer le travail qui a été accompli, de voir où nous en sommes et vers où nous devrions aller dans un contexte économique qui change radicalement.

2 – D’ou venons-nous ?

2.1 – Diagnostic de la compétitivité au début des années 2010

5Depuis le début des années 2000, mais particulièrement à partir de 2005, les coûts salariaux unitaires belges ont évolué plus rapidement que dans les trois principaux pays voisins que sont l’Allemagne, la France et les Pays-Bas, à la fois parce que les coûts salariaux horaires ont augmenté plus vite et parce que la croissance de la productivité du travail a été particulièrement faible en Belgique.

6La loi de 1996 encadrant les négociations salariales a pourtant été respectée dans son volet négociation des augmentations de salaire hors index à l’intérieur des marges maximales fixées pour une période de deux ans par les Accords interprofessionnels (AIP) successifs. Mais les prévisions ont systématiquement surestimé cette marge maximale et, en particulier, l’évolution salariale allemande, l’impact des réformes structurelles du marché du travail de ce pays n’ayant pas été correctement anticipé. De plus, l’augmentation non anticipée du prix du pétrole à partir de 2005 a contribué à une inflation, et donc à une indexation des salaires, plus forte que prévu [1]. Le volet correctif de la loi de 1996 n’a, par contre, pas été mis en œuvre de manière suffisante, et en tout cas pas de manière automatique, et l’écart salarial a continué à se creuser pour atteindre 4,6 pour cent en 2012 tel qu’estimé en septembre 2011 par le Conseil central de l’Économie.

7La faiblesse relative de la croissance de la productivité s’expliquait uniquement par la faiblesse de la productivité totale des facteurs, liée à la capacité d’innovation et d’amélioration de l’efficacité de l’économie mais aussi à des raisons structurelles de spécialisation de l’économie belge dans des activités pas suffisamment innovantes et la sous-spécialisation dans les activités innovantes par excellence, les technologies de l’information et de la communication. La qualité des infrastructures, et en particulier des infrastructures publiques, est aussi un déterminant important de la productivité totale des facteurs et son évolution n’a pas été favorable en Belgique. L’arbitrage opéré au niveau des dépenses d’investissement public en faveur de l’administration et au détriment des infrastructures a été et reste interpellant (Biatour et al., 2017).

8L’évolution plus rapide des prix en Belgique que dans les pays voisins a aussi contribué à la perte de compétitivité. D’une part, l’augmentation des prix se répercute mécaniquement dans l’augmentation des salaires à travers le système d’indexation entraînant une spirale prix-salaires et, d’autre part, l’augmentation des prix des consommations intermédiaires augmente les coûts de production des exportateurs. Malgré cette augmentation des coûts de production, le taux de marge des entreprises belges s’est amélioré sans que cela ne s’accompagne d’une réduction massive de la part salariale, grâce à l’extension très rapide à partir de 2005 des subventions salariales. Mais le coût budgétaire de ces mesures a rapidement augmenté, contribuant à la détérioration des finances publiques. La compétitivité structurelle liée aux aspects non-prix de la compétitivité et qui se traduit par la capacité à développer et à exporter des produits dont la demande est davantage liée à la qualité qu’au prix et à conquérir de nouveaux marchés où la demande est dynamique ne s’est pas suffisamment améliorée. En particulier, la capacité à transformer l’innovation en augmentation du chiffre d’affaires et l’efficacité de l’administration publique basée sur la réorganisation rendue possible par les technologies de l’information et de la communication ne se sont pas non plus améliorées aussi rapidement que chez nos principaux partenaires.

9Ces observations concernant la capacité concurrentielle de l’économie belge étaient accompagnées de constats sur leurs conséquences (voir aussi : Commission européenne, 2014).

10Alors qu’il avait été toujours positif depuis 1996, le solde de la balance courante est devenu négatif à partir de 2008 et l’est resté jusque 2016. La détérioration du solde était due d’une part à l’augmentation du prix de l’énergie et, d’autre part, à la perte de parts de marché vis-à-vis des concurrents internationaux, alors que la politique salariale et budgétaire était relativement expansionniste. Les pertes de parts de marché à l’exportation, qu’elles soient mesurées par rapport au commerce mondial ou par rapport aux marchés potentiels de la Belgique, attestaient du problème de compétitivité des exportations.

11En ce qui concerne l’emploi, rappelons que la loi de 1996 prévoyait que l’évolution de l’emploi soit au moins parallèle à celle des trois pays de référence et que si l’évolution de l’emploi est inférieure à celle des pays de référence, le gouvernement et les interlocuteurs sociaux examineront les causes de cette évolution et, le cas échéant, prendront, chacun en ce qui les concerne, des mesures supplémentaires. À part cela, il n’existe pas d’objectif quantifié d’emploi dans la loi de 1996. Contrairement aux impressions assez répandues, l’économie belge a pu créer 730 000 emplois nets entre 1996 et 2014, soit, en taux d’accroissement, davantage que dans la moyenne des États de référence (F, D et NL). Cette performance était cependant difficile à reproduire puisque de 2000 à 2013, ces créations d’emplois reposaient essentiellement sur un financement public (100 000 dans l’administration et 170 000 dans le secteur des soins de santé au sens large). Le chômage restait, néanmoins, important parce que, parallèlement, l’offre de main-d’œuvre avait poursuivi une trajectoire ascendante à un rythme comparable. Par contre, les gouvernements [2] se sont engagés vis-à-vis de l’Union européenne dans le cadre de la Stratégie EU2020 à atteindre un taux d’emploi de 73,2 % en 2020. Le taux d’emploi est exprimé en pourcentage de la population en âge de travailler de 20 à 64 ans. Cet objectif était, et constitue toujours, un défi de taille surtout sur un si court laps de temps et lorsqu’on regarde la performance historique : 65,8 % en 2000 et 67,3 % en 2014 [3].

2.2 – Les recommandations du GECE

12Face à ces constats assez préoccupants, le GECE a produit un ensemble de rapports destinés aux gouvernements Di Rupo et Michel. Le premier (GECE, 2013) établissait un certain nombre d’indicateurs de compétitivité salariale, il en mesurait la part prise par les réductions de cotisations patronales et subventions salariales, il décrivait le coût par unité produite au niveau des branches d’activité. Un second rapport (GECE, 2015) traitait de la formation professionnelle financée par les entreprises en application des AIP. Un troisième rapport (GECE partim[4], 2015), sur base des constats du premier rapport, daté de mai 2015, apportait un certain nombre de réflexions sur les réformes à entreprendre. Comme ce dernier rapport n’a pas été porté à la connaissance du public et que beaucoup de recommandations ont été mises en œuvre par le gouvernement, mais pas toutes, nous nous permettons d’en reproduire certains passages.

13Selon ce rapport, « la réforme du marché du travail viserait à atteindre un double objectif. D’une part, la balance des arguments pour et contre la correction de l’écart de coût salarial, observé par le Conseil central de l’Économie dans le cadre de l’application de la loi de 1996, penche nettement en faveur d’une correction progressive de cet écart. D’autre part, il serait préférable que le mécanisme de négociation salariale prévalant à cette époque soit adapté pour éviter les dérapages futurs. »

14« Au vu de l’ampleur de l’écart à corriger, une combinaison de mesures s’imposerait pour éviter un choc déflationniste. Une partie de l’ajustement pourrait venir de mesures gouvernementales qui étant donné le processus de réduction du déficit public doivent être neutres pour les finances publiques. À partir des travaux d’évaluation menés par le Bureau fédéral du Plan et la Banque nationale de Belgique, un certain nombre d’options ont été évaluées : une réorientation de certains prélèvements en vue de réduire le coin fiscal et parafiscal sur les revenus du travail en privilégiant les travailleurs moins qualifiés, une prise en compte dans le coût du travail des subventions salariales et un saut ou modification équivalente de l’indexation. »

15« Une autre partie de l’ajustement pourrait venir de la réforme des mécanismes de formation des salaires et des prix à travers une croissance réduite des salaires hors index pendant un certain nombre d’années, une amélioration du mécanisme d’indexation (Bogaert et Robette 2013) et une réduction des écarts de prix des industries de réseau par rapport aux pays voisins. »

16« Pour le futur, il s’agirait, si les partenaires sociaux souhaitent préserver le modèle de négociation sociale et, en particulier, la loi de 1996, de corriger les mécanismes qui ont entraîné les dérapages dans le passé en améliorant la prévision sous-tendant l’établissement de la norme salariale et en établissant un mécanisme plus automatique de correction des dérapages salariaux dès qu’ils apparaissent, ceci afin d’éviter au gouvernement de devoir prendre des mesures de grande ampleur pour corriger les pertes de compétitivité accumulées, mesures qui se prennent finalement aux dépens de l’efficacité des finances publiques. »

17« Une solution à cet ensemble de problèmes serait :

  • de maintenir la négociation de la marge maximale sur les concepts actuels, comme l’indique la déclaration gouvernementale,
  • en excluant les subventions salariales et les réductions de cotisations sociales destinées à promouvoir la création structurelle d’emplois en vue d’accroître le taux d’emploi,
  • mais en formalisant un mécanisme de correction au niveau des branches composé de deux éléments,
    • d’une part, un facteur de correction général par rapport à la norme macroéconomique tel qu’exposé ci-dessus et,
    • d’autre part, un facteur spécifique par rapport à la branche, si cela s’avère justifié. Ce mécanisme sectoriel spécifique de correction pourrait faire l’objet d’une procédure (comparable dans son esprit à celle de la MIP européenne [5]) faisant appel à plusieurs indicateurs déclencheurs d’une situation “d’alerte” (x mauvais scores sur y indicateurs : emplois, rentabilité, etc.). Cette situation d’alerte formelle mènerait à une analyse approfondie, en particulier, de l’évolution comparée, passée et prévisible, du coût du travail et de la productivité de la branche [6]. Ce qui permet, de la sorte, de tenir compte de la recommandation du Conseil européen réitérée chaque année à la Belgique. Pour les branches où la situation du rapport entre ces deux grandeurs est très favorable aux entreprises, un examen approfondi des fonctionnements du marché et des risques de problème de la concurrence dans la branche devrait être entrepris par l’observatoire des prix pour voir pourquoi les prix ne baissent pas ou, à tout le moins, n’augmentent pas moins vite. Pour les branches où la situation d’alerte détecte un problème de compétitivité confirmé par l’analyse approfondie, les entreprises qui ressortent de la branche en situation “d’alerte” ne seraient plus couvertes par l’extension administrative des CCT des commissions paritaires dont elles relèvent et auraient le droit de renégocier ces CCT au niveau de l’entreprise (clause d’ouverture). »

18« L’introduction d’un tel mécanisme ancré sur la loi de 1996 pourrait aller de pair avec l’introduction d’autres possibilités d’application de telles clauses, conditionnées par la situation économique non pas de la branche dont elle relève, mais de la situation de l’entreprise elle-même (statut similaire aux “entreprises en difficulté”). Par exemple, dans le cadre de la procédure Renault ou lorsqu’une entreprise demande d’avoir recours au système des prépensions. »

19« À plus long terme, rétablir la compétitivité en renouant avec une croissance de la productivité comparable à celle enregistrée par les pays voisins sans pénaliser le redressement du marché de l’emploi demande des réformes structurelles. Ces réformes doivent prioritairement porter sur trois domaines : la stratégie d’innovation, le capital humain et la réorganisation des marchés. Les mesures de soutien public à la R&D se sont multipliées ces dernières années tant au niveau fédéral que régional. Mais l’évaluation de l’efficacité de ces mesures est encore embryonnaire et doit être développée dans le cadre d’une gestion rigoureuse des finances publiques. Plus généralement, une stratégie d’innovation coordonnée entre les différents niveaux de pouvoir devrait concerner l’ensemble des organisations tant publiques que privées et faire l’objet d’une appropriation par l’ensemble de la société. Maintenir l’avantage comparatif que constitue le niveau élevé de formation de la main-d’œuvre est un véritable défi pour la Belgique dans une période d’amélioration rapide des performances des autres États membres. L’arrivée de nouvelles compétences sur le marché du travail doit se faire davantage en adéquation avec les besoins de la société. En particulier, il est urgent d’améliorer l’attractivité des carrières scientifiques et techniques par des mesures beaucoup plus volontaristes que celles prises jusqu’à présent. Mais les qualifications de la population active doivent aussi être maintenues et étendues grâce à la formation tout au long de la vie qui est sous-développée en Belgique, notamment par une plus grande implication des entreprises dans ce mécanisme. La réorganisation des marchés passe par une vigilance accrue sur les écarts d’inflation entre la Belgique et ses partenaires pour éviter qu’ils ne soient causés par un manque de concurrence. À ce niveau, les industries de réseau, de par leur importance pour le reste de l’économie, doivent faire l’objet d’une attention particulière du régulateur. Pour ces industries, les prix ne sont pas le seul élément à surveiller, l’évolution de l’infrastructure du réseau est aussi particulièrement importante car elle détermine en partie les conditions de concurrence et donc les prix futurs. »

20« Pour s’attaquer aux problèmes structurels du taux d’emploi par le moyen des baisses de charges, il conviendrait de mettre l’accent sur les politiques d’intégration dans l’emploi du chômage structurel. Ceci signifie que les baisses de charge et la formation initiale et continue devraient en priorité favoriser les groupes cibles qui forment le chômage structurel, essentiellement le groupe des chômeurs peu qualifiés, mais qui s’étend maintenant à des personnes et des métiers moyennement qualifiés. »

21« Le tax shift est recommandé par le Conseil de l’Union européenne et par les institutions internationales (OCDE et FMI). La recommandation porte avant tout sur une réduction de la fiscalité et parafiscalité sur le travail qui est jugée comme excessive en Belgique en comparaison avec les autres pays développés. Dans un contexte de restriction budgétaire, la diminution des charges sur le travail doit être financée par un accroissement des prélèvements portant sur d’autres bases taxables : capital mobilier et immobilier, accises sur les produits dommageables pour la santé et l’environnement, TVA, etc. (sans oublier la diminution des subventions ou des dépenses fiscales). En 2011, le gouvernement a demandé à la BNB et au BFP d’étudier (BFP et BNB, 2011) les effets macroéconomiques de différentes formes de tax shifts visant à réduire les charges sur le travail et à financer les pouvoirs publics par d’autres moyens. Côté réduction des charges portant sur le travail, l’étude a envisagé une baisse des cotisations patronales de sécurité sociale ciblée sur les bas salaires et non ciblée. Côté prélèvement alternatif, des augmentations de l’IPP, de l’ISOC, du précompte mobilier, des accises sur l’énergie, de la TVA et l’introduction d’un nouveau type de prélèvement : la CSG. Les conclusions convergentes tirées des simulations des deux modèles, celui de la BNB et celui du BFP, sont assez claires. Il n’existe pas de modalité optimale dans l’absolu d’un tax shift. Le meilleur choix dépend de l’objectif poursuivi. Deux types d’objectifs ont été envisagés [7] : le redressement de l’équilibre extérieur par une amélioration de la compétitivité coût, ce que l’on appelle dans le jargon une dévaluation interne, ou l’augmentation du niveau structurel de l’emploi. Une réduction linéaire des prélèvements sur le travail est recommandée dans le cas du redressement du compte courant vis-à-vis de l’étranger, tandis qu’une réduction ciblée sur les segments du marché du travail qui connaissent des problèmes structurels est recommandée pour accroître l’emploi. En ce qui concerne le financement alternatif, selon l’étude, les augmentations des prélèvements sur les revenus du capital sont les plus efficaces à court-moyen terme pour l’emploi, mais posent des problèmes à long terme de délocalisation et d’évasion fiscale (sauf l’immobilier) que les modèles macro-économétriques utilisés ne sont pas destinés à évaluer. L’augmentation des taux de TVA est particulièrement inefficace ou même dommageable à moins que la hausse des taux soit neutralisée dans le mécanisme d’indexation des salaires. Les augmentations d’accises sont efficaces, en particulier sur les produits énergétiques dont l’influence est d’ores et déjà neutralisée dans l’index. Les autres prélèvements ont une efficacité grosso modo équivalente, mais ont bien entendu des effets différenciés sur d’autres types d’indicateurs. Quoi qu’il en soit, étant donné la taille relative des prélèvements sur le travail, il convient de faire appel à plusieurs sources alternatives de financement. »

22« Comme le montre l’étude BFP-BNB, outre la création progressive d’emplois, un tax shift bien conçu permet (en conséquence) une augmentation progressive des revenus et, dès lors, des recettes fiscales. Cette amélioration des finances publiques est recherchée dans le contexte belge où l’impact sur les dépenses publiques du vieillissement de la population est cumulatif. »

23« Dans tous les cas, il faut aussi éviter, comme c’est le cas actuellement avec la loi de 1996, que les effets de second tour de la réduction de charge ne se traduisent par des augmentations du coût salarial qui viendraient annihiler ou amoindrir les effets directs sur la création d’emploi. En ce sens, il est très important de créer (ou plutôt de reconfirmer la lecture de la loi de 1996 qui postule ce principe) une catégorie de réduction de charge qui n’augmente pas la marge maximale de négociation dans le cadre de la loi de 1996 (par exemple les subventions salariales), ou d’adapter la loi de 1996 de sorte à éviter cet effet (par exemple en prenant comme référence en Belgique l’évolution du salaire brut). »

2.3 – Les mesures du gouvernement fédéral

2.3.1 – Les mesures du gouvernement Di Rupo : le Pacte de compétitivité en janvier 2014

24Le Pacte de compétitivité introduit en janvier 2014 porte essentiellement sur deux axes : la réduction du coût du travail par une réduction des cotisations patronales et l’augmentation du pouvoir d’achat par une extension du bonus à l’emploi pour les bas salaires et par la baisse du taux de TVA sur l’électricité.

  • Un montant de 1,35 milliard est progressivement consacré à réduire le coût du travail pour les entreprises, dont 450 millions dès 2015, 450 millions supplémentaires à partir de 2017 et 450 millions supplémentaires à partir de 2019. Au total, l’ensemble des mesures de réduction du coût du travail prises par le gouvernement fédéral permettra ainsi d’atteindre progressivement une diminution du coût du travail de 4,7 milliards d’ici à 2019.
  • Le bonus à l’emploi pour les bas salaires est renforcé. Un travailleur touchant un salaire de 1 500 euros bruts par mois bénéficiera d’une augmentation progressive de son salaire de 120 euros nets par an en 2015, en 2017 et en 2019, soit une augmentation totale de 360 euros nets par an en 2019.
  • Les conventions collectives de travail conclues entre les partenaires sociaux devront intégrer au minimum l’équivalent d’un jour de formation professionnelle continue par travailleur par an.
  • La liaison au bien-être des allocations sociales est confirmée et consolidée.
  • Le taux de TVA sur l’électricité des particuliers est réduit de 21 % à 6 % à partir du 1er avril 2014.
  • Le gouvernement fédéral s’est accordé sur un cadre visant à soutenir la création d’emplois et l’investissement dans les zones franches, c’est-à-dire les zones qui font soit face à des licenciements collectifs importants, soit présentent un taux de chômage de 25 % supérieur à la moyenne du pays. La concrétisation de ce cadre sera concertée avec les Régions.

2.3.2 – Les mesures du gouvernement Michel

25Les mesures prises par le gouvernement Michel ont été plus loin que le pacte de compétitivité et ont largement porté sur le coût salarial. Il s’agit d’ajuster le coût salarial pour corriger le handicap accumulé depuis 1996, d’accroître le taux d’emploi et de réduire le chômage et de revoir les mécanismes de la loi de 1996.

26Premier volet, l’ajustement du coût salarial : l’objectif du gouvernement était de résorber complètement avant la fin de la législature, le handicap salarial cumulé depuis 1996, via un saut d’index de 2 % en 2015 (de mars 2015 à avril 2016), l’avancement de la réduction des charges prévue dans le pacte de compétitivité du gouvernement précédent, une période de modération salariale tant que la compétitivité n’était pas restaurée.

27Deuxième volet, l’emploi : une opération de tax shift est mise en chantier en complément de la modération salariale. Cette réforme est décrite et analysée dans ce même numéro [8]. La baisse de la taxation du travail comprenait un volet « compétitivité » dont la principale mesure était la baisse des cotisations patronales de sécurité sociale et un volet « pouvoir d’achat » qui consistait en une baisse de l’IPP ciblée sur les bas et moyens salaires. Le financement était assuré par un glissement vers la taxation de la consommation et du capital. Ce financement n’était toutefois que partiel, laissant pour 2018 et pour 2019 un solde non financé à concurrence de près de 50 % du coût ex ante de la baisse des prélèvements sociaux et fiscaux.

28Selon une étude réalisée par le Bureau fédéral du Plan en novembre 2015 (BFP, 2015), les mesures du tax-shift ne seraient pas neutres sur le solde des finances publiques. De 2015 à 2020, les recettes diminueraient de 4,662 milliards, dont 4,199 milliards de réduction des cotisations patronales et les dépenses augmenteraient de 1,956 milliard. Parmi les recettes d’impôt, les impôts directs sur les ménages diminueraient de 4,553 milliards et seraient compensés par des augmentations d’accises, de TVA et d’impôt des sociétés. Le solde des finances publiques se détériorerait donc de 6,618 milliards ex ante. Fin 2018, en l’absence de budget fédéral pour 2019 parce que le gouvernement est démissionnaire, le Bureau fédéral du Plan prévoit une remontée du déficit public qui passerait de -0,8 % du PIB à 1,7 % du PIB en 2019, notamment à cause des mesures non financées du tax shift. Une actualisation faite en 2017, commentée dans l’article de C. Valenduc, cité plus haut, donne des résultats largement similaires [9].

29Troisième volet, la loi de 1996 a été revue en 2017. Cette révision va dans le sens des recommandations des experts : réduction automatique du handicap salarial lors de l’AIP qui suit, prise en compte d’une marge de sécurité et non prise en compte des mesures pour l’emploi dans le coût salarial, en particulier les réductions de cotisations sociales prises en application du tax shift.

2.4 – Les conséquences de l’action du gouvernement de 2014 à 2018

30Le tableau 1 présente une tentative de résumer les principales conséquences de l’action du gouvernement sur le coût salarial depuis le pacte de compétitivité de fin 2014 jusque 2018, dernière année connue (encore partiellement). Le tableau est structuré de la façon suivante. En colonne, les deux périodes d’Accords interprofessionnels, 2015-2016 et 2017-2018, sont distinguées et la somme de ces deux périodes, 2015-2018, est présentée. Dans une première partie, on indique comment le gouvernement a encadré la négociation salariale et comment il a agi sur celle-ci. Il faut noter à ce sujet que la période 2015-2016 a été marquée par le saut d’index et, en conséquence, d’une intervention importante du gouvernement dans la négociation de l’AIP et que la période 2017-2018 s’est déroulée sous l’application de la nouvelle loi de 2017 réformant la loi de 1996. Dans une seconde partie, on détermine les gains de compétitivité salariale obtenus sur les deux dernières périodes d’AIP. Dans une troisième partie, on tente de mesurer l’impact de ces mesures sur le pouvoir d’achat d’un salarié moyen du secteur marchand. Dans une quatrième partie, c’est l’impact sur le pouvoir d’achat de l’ensemble des salariés qui est mesuré, c’est-à-dire l’impact sur la masse salariale brute.

Tableau 1

Résumé des principales conséquences de l’action du gouvernement sur le coût salarial depuis le pacte de compétitivité de fin 2014 jusque 2018 (taux de croissance ou écart en pour cent)

2015-20162017-20182015-2018
Établissement de la norme salariale
Prévision coût salarial des trois partenaires4,24,68,8
- Marge de sécurité0,50,5
- Prévision d’indexation0,32,93,2
- Correction du gouvernement3,33,3
= Norme de croissance du salaire horaire brut hors index0,61,11,7
- Salaire horaire brut hors indexation réalisé0,90,81,7
Écart entre norme et réalisé0,3-0,30,0
Amélioration de la compétitivité
Coût salarial horaire0,03,13,1
Dont : Réduction des cotisations-1,5-1,0-2,5
Salaire horaire brut1,54,15,6
Indexation0,63,33,9
Adaptations conventionnelles réelles0,00,60,6
Glissement des salaires0,90,11,0
Coût salarial horaire des trois partenaires3,24,88,0
Gain de compétitivité3,21,74,9
Amélioration du pouvoir d’achat moyen
Salaire horaire brut1,54,15,6
Prix à la consommation2,64,26,8
Pouvoir d’achat du salaire brut horaire-1,1-0,1-1,2
Dont : Impact de l’écart entre :
Indexation et indice santé-2,5-0,3-2,8
Indice santé et prix à la consommation0,5-0,6-0,1
Salaire brut hors indexation0,90,81,7
p.m.
Indice santé3,13,66,7
Amélioration du pouvoir d’achat des salariés dans son ensemble
Pouvoir d’achat du salaire brut horaire-1,1-0,1-1,2
Nombre d’heures de travail2,44,06,4
Dont : Emploi2,23,25,4
Durée effective du travail0,20,81,0
Masse salariale brute à prix constants1,33,95,2

Résumé des principales conséquences de l’action du gouvernement sur le coût salarial depuis le pacte de compétitivité de fin 2014 jusque 2018 (taux de croissance ou écart en pour cent)

Source : CCE, BNB, BFP, Calculs propres.

31Pour établir la norme salariale, les deux périodes sont différentes : la loi de 1996 s’applique pour la période 2015-2016, tandis que la loi de 2017 qui révise la loi de 1996 s’applique pour la période 2017-2018. Pour chacune des périodes, on part de la prévision de croissance des coûts salariaux des pays partenaires dont on déduit la marge de sécurité (loi de 2017) et la prévision d’indexation. Pour la période 2015-2016, le gouvernement a décidé un saut d’index pour corriger le handicap salarial, il a donc imposé une correction supplémentaire pour contraindre la négociation salariale. Au total, la norme était de 0,6 % pour la période 2015-2016 et 1,1 % pour la période 2017-2018. Les partenaires sociaux ont conclu des CCT bien en deçà de ces chiffres (que l’on trouve dans la deuxième partie du tableau) 0 % et 0,6 % pour les deux périodes respectivement. Les glissements résultant de modifications dans la structure de l’emploi et d’erreurs de mesure font monter les salaires de telle sorte que l’écart entre la norme et le salaire brut horaire hors indexation est légèrement positif en 2015-2016 et négatif en 2017-2018. Globalement, la norme est donc respectée.

32L’amélioration de la compétitivité salariale est mesurée en déduisant le coût salarial horaire (coût du travail) du coût salarial horaire des trois partenaires. Le gain est de 3,2 % durant la première période et de 1,7 % durant la seconde. Au total, le gain est de 4,9 %. Ce gain est d’une ampleur telle que le handicap salarial, toutes déductions incluses, est largement corrigé, mais comme les réductions du tax shift sont destinées à accroître structurellement l’emploi, elles ne sont pas incluses dans le calcul du handicap. Au total, le CCE (CCE, 2019a) conclut que le handicap au sens de la loi de 2017 reste très légèrement positif à 0,9 %. Dans le tableau, on voit bien la contribution de la réduction des cotisations et la faible croissance de l’indexation dans la première période. Ce sont ces deux éléments qui contribuent principalement à la résorption du handicap.

33Si les réductions de cotisations patronales n’affectent pas (du moins en équilibre partiel) le pouvoir d’achat des salariés, ce n’est pas le cas pour le saut d’index ni pour les fluctuations des prix des carburants qui ne sont pas inclus dans l’indice santé mais bien dans l’indice des prix à la consommation. Durant la période 2015-2016, le salaire brut horaire (hors cotisations patronales) augmente de 1,5 %, alors que l’indice des prix à la consommation augmente de 2,6 %, le pouvoir d’achat du salaire est donc amputé de 1,1 %. Comme on le voit dans le tableau, c’est essentiellement l’indexation, ou plus exactement son absence, qui en est responsable. Pour la période suivante, le pouvoir d’achat continue à être très légèrement réduit de 0,1 %, principalement à cause de l’évolution divergente de l’indice santé et de l’indice des prix à la consommation en raison de la montée des prix des carburants. Au total, sur les deux périodes, le pouvoir d’achat du salaire moyen diminue de 1,2 %.

34Le tax shift contient aussi des mesures de réduction d’impôts ou de bonus qui améliorent le pouvoir d’achat. Selon les niveaux de revenu, l’impact total sur le pouvoir d’achat est différent [10]. Selon les Perspectives économiques de février 2019 du Bureau fédéral du Plan (BFP, 2019), le revenu disponible réel des particuliers aurait augmenté de 4,6 % entre 2013 et 2018 et la population de 2,5 % (alors qu’il n’avait augmenté que de 2,7 % de 2007 à 2013 et que la population avait augmenté de 4,7 %).

35Pour clôturer ce panorama des conséquences directes de la politique salariale, il faut s’intéresser à l’amélioration du pouvoir d’achat de l’ensemble des salariés puisqu’à la fois l’emploi et le volume de travail ont connu une croissance significative. Sur les deux périodes considérées, le nombre d’heures de travail a augmenté de 6,4 %, 5,4 % pour l’emploi et 1 % pour la durée effective du travail. Si on prend ces éléments en compte, la masse salariale brute mesurée en pouvoir d’achat a augmenté de 5,2 % sur les quatre ans (2015-2018).

2.5 – Diagnostic de la compétitivité en 2019

36Concernant le handicap salarial, le CCE vient de publier son rapport technique en application de la loi de 1996 (CCE, 2019a). Selon ce rapport, le handicap atteint 0,9 % en 2018. Comment en est-on arrivé là ?

37Le handicap était de 5,1 % en 2012. Il a été réduit de 0,9 % durant la période 2013-2014, pour différentes raisons liées à l’AIP : erreur de prévision d’indexation, réduction de cotisations patronales, correction de la norme de l’AIP. Durant la période 2015-2016, la réduction a été forte : 3,2 à 3,3 %, elle trouve son origine dans le gel de l’indexation et la réduction des cotisations patronales (notamment la première phase du tax shift). Toutefois, l’impact du tax shift de 0,8 % en 2016 a été neutralisé dans le calcul du handicap parce qu’il est prioritairement destiné à améliorer l’emploi (conformément à la révision 2017 de la loi de 1996).

38Durant la période 2017-2018, nouvelle réduction de 1,6 %. La moitié (0,8 %) est liée aux nouvelles baisses de cotisations patronales du tax shift. Ce nouvel impact du tax shift a également été neutralisé. L’autre moitié est liée à une augmentation du coût salarial hors index plus faible que prévu en Belgique et à la marge de sécurité appliquée en 2016 qui n’a que très partiellement été utilisée. La partie non utilisée de la marge de sécurité est rendue à la négociation pour l’AIP 2019-2020.

39Au total, 5,1-0,9-3,3-1,6+(0,8 x2) = 0,9, le handicap observé en fin 2018.

40Ces chiffres ne tiennent donc pas compte des réductions de prélèvement obligatoires organisées par le tax shift, dont les importantes diminutions décidées pour 2018 et 2019.

41Un autre rapport du CCE (CCE, 2019b) s’intéresse, comme la loi le lui demande, au handicap absolu des coûts salariaux. Ce handicap absolu compare le coût salarial moyen toutes réductions de prélèvements déduites (y compris les subsides salariaux ou les réductions groupe-cibles, que ce soit en Belgique ou dans les trois pays voisins). Le calcul a été effectué pour 2017 et permet de conclure que le handicap absolu dans le secteur marchand est de 12,3 % et de 8,8 % en moyenne non pondérée, c’est-à-dire en éliminant les effets de structure (Concrètement, à structure sectorielle identique pour chaque pays). Ce handicap est important, mais il doit être relativisé parce que les niveaux de productivité des différents pays sont différents. Lorsqu’on divise le coût salarial par le niveau de productivité le handicap en 2017 se réduit fortement : 1,2 % pour le secteur marchand et 2,1 % en moyenne non pondérée. La BNB dans son dernier rapport annuel (BNB, 2019, p. 91) montre un graphique de l’évolution du handicap absolu divisé par la productivité du travail depuis 1996. On y voit la forte réduction de l’écart de 2012 à 2018 consécutive à la diminution du coût salarial.

42Le rapport technique du CCE met aussi en évidence l’évolution du handicap de coût salarial horaire depuis 1996 toutes réductions des prélèvements déduits (graphique 1). Il constate qu’en 2017, selon ce concept, l’écart de coût salarial ne serait plus un handicap, mais un avantage compétitif de 2,5 % pour le secteur privé. Nous n’avons malheureusement pas les chiffres pour 2018 alors qu’une forte réduction des cotisations patronales est prévue à cette date et en 2019.

Graphique 1

Handicap des coûts salariaux, corrigé pour les diminutions de cotisations patronales et les subsides salariaux en Belgique et dans les États membres de référence depuis 1996

Graphique 1

Handicap des coûts salariaux, corrigé pour les diminutions de cotisations patronales et les subsides salariaux en Belgique et dans les États membres de référence depuis 1996

Source : CCE.

43On constate donc un écart important entre le handicap mesuré selon l’indicateur de la loi révisée en 2017 et le coût salarial effectif moyen : 2,5+0,9=3,4 %. Cet écart correspond à l’effet des mesures de réduction du coût du travail qui visent spécifiquement à accroître structurellement l’emploi et pas à assurer la compétitivité macroéconomique vis-à-vis du reste du monde en vue de préserver l’équilibre extérieur.

44Les conséquences de cette action vigoureuse sur les salaires sont multiples. Envisageons successivement le commerce extérieur, l’emploi et le pouvoir d’achat.

45L’équilibre extérieur (graphique 2) a bénéficié des mesures salariales puisque le solde de la balance courante de déficitaire est passé en léger surplus en 2017. C’est principalement la balance des biens qui s’est rétablie après des déficits de 2008 à 2015. Les fluctuations du prix du pétrole ont aussi joué un rôle de même que l’impact sur le pouvoir d’achat et, en conséquence sur les importations, de l’évolution des revenus.

Graphique 2

Balance courante vis-à-vis du reste du monde

Graphique 2

Balance courante vis-à-vis du reste du monde

Source : Eurostat.

46Les parts de marché à l’exportation (graphique 3) qui avaient connu une dégradation de 10 pour cent entre 2002 et 2006 se sont stabilisées à un niveau bas jusqu’en 2015. Les parts de marché ont connu une belle remontée en 2016, pour se stabiliser ensuite. La vigoureuse correction du handicap salarial du début de la législature semble donc avoir eu un effet qu’il importera de voir s’il se confirme.

Graphique 3

Parts de marché à l’exportation par rapport aux marchés potentiels

Graphique 3

Parts de marché à l’exportation par rapport aux marchés potentiels

Source : BFP.

47La croissance de la valeur ajoutée du secteur marchand est remontée après la crise de 2008 (graphique 4). Ce rebond est traditionnel après une crise profonde, il se concrétise d’abord par une augmentation de la productivité puis par une reprise de l’emploi en 2011. Les années 2012 et 2013 sont marquées par la crise des dettes souveraines en Europe. La croissance est alors proche de zéro en Belgique dans le secteur marchand. Durant les années 2014 et 2015, la croissance repart, à nouveau par la productivité, l’emploi enregistrant une croissance assez faible. Ce n’est qu’à partir de 2016 que l’emploi reprend plus vigoureusement, alors que la productivité n’augmente plus.

Graphique 4

Croissance du secteur marchand et ses déterminants

Graphique 4

Croissance du secteur marchand et ses déterminants

Source : BFP.

48Pour compléter la situation de l’emploi, l’évolution de l’emploi en nombre de personnes (salariés et indépendants) en Belgique est comparée à celle des pays partenaires.

49Dans le tableau 2, qui traite cette fois de l’économie dans son ensemble, la performance de la Belgique est identique à la moyenne des trois pays partenaires sur la période 2008-2014 et un peu meilleure sur la période 2014-2018. L’Allemagne connaît une performance meilleure que les autres pays (mais avec une contre-performance dans les années 2000 qui a été suivie d’une profonde réforme du marché du travail). La France a beaucoup de mal de sortir de la crise, tandis que les Pays-Bas connaissent une très bonne croissance de l’emploi dans la seconde période. La meilleure performance de la Belgique n’apparaît plus pendant la période 2014-2018, en dehors de la France. Il en est de même dans le tableau 3 où sont reprises les croissances de l’emploi salarié uniquement. La différence entre les tableaux 2 et 3 concerne les indépendants pour qui l’évolution de l’emploi a été très dynamique en Belgique comme dans les pays voisins.

Tableau 2

Taux de croissance annuel moyen de l’emploi (personnes) en %

2008-20142014-20182008-2018
Belgique2,44,77,2
Allemagne4,45,19,8
France0,82,73,5
Pays-Bas-2,16,54,2
Moyenne des 32,44,47,0

Taux de croissance annuel moyen de l’emploi (personnes) en %

Source : AMECO.
Tableau 3

Taux de croissance annuel moyen de l’emploi salarié (personnes) en %

2008-20142014-20182008-2018
Belgique1,84,46,3
Allemagne5,26,111,7
France-0,93,12,2
Pays-Bas-3,87,63,5
Moyenne des 31,95,07,2

Taux de croissance annuel moyen de l’emploi salarié (personnes) en %

Source : AMECO.

50Une autre source statistique (Eurostat) permet de calculer l’évolution de l’emploi en nombre d’heures pour le secteur privé. Les statistiques comparables ne sont, cependant, disponibles que jusque 2017. Si on utilise ces statistiques, sur la période 2014-2017, la performance de la Belgique est identique à la moyenne des trois partenaires. On peut aussi y constater que le nombre d’heures de travail n’est pas encore revenu au niveau de 2008 pour tous les pays, sauf l’Allemagne.

51La croissance de l’emploi a permis de réduire le taux de chômage en Belgique de manière continue depuis 2015 où le taux standardisé se situait à 8,5 % pour atteindre 5,9 % en 2018. Un tel niveau de chômage n’avait plus été enregistré depuis des décennies. Le taux d’emploi a progressé de 3,3 % pendant cette période sans encore atteindre l’objectif de 73,2 %.

3 – Ou allons-nous ?

3.1 – Diagnostic prospectif

52Les Perspectives économiques du Bureau fédéral du Plan de février 2019 (BFP, 2019) renforcent le sentiment que des pressions vont s’exercer sur les salaires à l’avenir. Malgré une croissance moyenne du PIB relativement faible (1,3 %), la tendance vers une situation de plein emploi ne va, en effet, faire que s’accentuer. Au cours de la période 2019-2024, 205.000 emplois seraient créés. Le taux d’emploi (20-64 ans) augmenterait progressivement pour atteindre 71,9 % en 2024, alors que l’objectif (EU2020) pour 2020 est de 73,2 %. Le nombre de chômeurs diminuerait de 126.000 personnes, ce qui ferait passer le taux de chômage basé sur les données administratives de l’ONEM (« concept BFP » utilisé par le Bureau fédéral du Plan) de 9,6 % en 2018 à 7,1 % en 2024, soit une diminution de 2,5 points de pour cent. Ce taux n’a plus été enregistré en Belgique depuis les années 1970. Il faut, en outre, remarquer, et c’est important, que le taux de chômage standardisé (obtenu sur base de données d’enquêtes par Statistiques Belgium) passerait lui de 5,9 % à 5 %. Ce sont des niveaux que l’on pourrait qualifier de plein emploi. Une diminution plus importante encore du taux de chômage dans le concept BFP requiert la remise au travail d’une partie significative du chômage structurel par des politiques d’emploi spécifiques et ciblées. Notons aussi que les niveaux de chômage sont très différents selon les régions avec des taux encore relativement élevés en Wallonie et à Bruxelles [11] et extrêmement faibles en Flandre.

53Pour que ces perspectives se matérialisent, les hypothèses prises par le BFP en matière de négociation salariale et de coût salarial sont déterminantes. Pour la période 2019-2020, le BFP retient la marge maximale calculée initialement dans le rapport technique de 2019 du CCE, soit 0,8 % hors indexation sur deux ans. Par la suite, le BFP se base sur une équation estimée qui détermine la croissance des salaires essentiellement par celle de la productivité nominale du travail et par la baisse du taux de chômage. Il en résulte une augmentation du coût salarial de 2,4 % en 2021 et 2,9 % par an de 2022 à 2024. Cette hausse correspond à une augmentation de près de 1 % hors index, largement plus que les hausses des 10 années précédentes, et plus que celle de la productivité à prix constants, ce qui entraînera la hausse du coût unitaire du travail et diminuera la compétitivité coût. Cette perte de compétitivité est limitée, mais suffisante pour peser sur les parts de marché de l’économie belge. La contribution du commerce extérieur est légèrement négative, tandis que la consommation devient le moteur de la croissance, mais à un rythme qui décélère progressivement sous l’impulsion de la décélération de l’emploi. On voit que le modèle de croissance qui se mettrait en place est fortement influencé par la négociation salariale qui elle-même est influencée par les conditions de quasi-plein emploi. Or ce plein emploi est loin d’être satisfaisant. Un nombre encore élevé de personnes se trouve dans une forme de chômage structurel, particulièrement en Wallonie et à Bruxelles, qui ne diminue que très lentement. Il suffit que les tensions sur les salaires venant de Flandre soient trop fortes et le processus d’inclusion de ces personnes s’épuise (Bogaert, 2007). Rappelons que l’objectif de taux d’emploi est de 73,2 % en 2020 alors que la projection du BFP prévoit 70,3 % en 2020 et 71,9 % en 2024, on est donc encore loin de l’objectif.

3.2 – Le fonctionnement de la loi sur la compétitivité en 2019

54C’est devant cette situation et ces perspectives économiques encourageantes, même si la croissance n’est pas forte et que le déficit public augmente, que se place la négociation de l’AIP 2019-2020.

55Le Secrétariat du CCE publie son rapport technique (CCE, 2019a) dans lequel il calcule la marge maximale d’augmentation des salaires hors index en appliquant pour la deuxième fois la loi de 1996 révisée en 2017.

56D’emblée un problème se pose pour définir la croissance du coût salarial en France où le CICE, qui était une subvention aux entreprises, basée sur la masse salariale, est transformé en diminution structurelle des cotisations patronales. Il en résulte en comptabilité nationale une diminution importante de la masse salariale et donc du coût salarial en France alors que le CICE n’avait pas d’incidence sur ces éléments. Le CCE a donc dû « neutraliser » cette opération sans quoi la marge salariale aurait été négative. Moyennant quoi, la croissance du coût salarial dans les trois pays de référence est estimée à 5,6 % sur les deux années 2019-2020. La prévision d’indexation de 3,5 % déduite, la marge serait de 2,1 %, ce qui aurait été la marge maximale de négociation avec la loi de 1996. La loi de 2017 retire une marge de sécurité de 0,5 %, ainsi qu’un terme de correction. Celui-ci est calculé de la manière suivante : il y a lieu de corriger le handicap de 2018 (0,9 %), mais en déduisant la marge de sécurité qui n’a pas été utilisée lors de la période précédente 2017-2018, soit 0,4 %. Au total, la marge passe donc de 2,1 % à 1,1 % (2,1-0,5-(0,9-0,4)). Il est clair que cette marge est très faible dans un marché du travail qui atteint le plein emploi dans de nombreux endroits. Malgré tout, elle est juste à niveau pour corriger le handicap de 0,9 % si toutes les prévisions s’avèrent exactes.

57Au vu de la difficulté à aboutir à un accord entre partenaires sociaux, selon nous, trois problèmes se posent : 1) Le calcul de la marge ne tient pas compte de la situation du marché du travail, en particulier, le mécanisme de correction, et ne découle pas d’une rationalité économique. 2) Les disparités de croissance de la productivité entre entreprises et branches d’activité procurent des inégalités de profits entre branches d’activité jugées excessives au regard des augmentations des salaires autorisées par la loi, ce que le GECE avait déjà mis en évidence. 3) Les modifications comptables dans chacun des pays concernés entraînent des difficultés d’interprétation pour le secrétariat du CCE, de même que la mesure du symbolique handicap historique.

58Au-delà de ces trois considérations, les organisations syndicales mettent aussi en cause le fait que la loi de 2017 neutralise les réductions de cotisations patronales et exigent une révision de cette loi. De leur côté, les organisations patronales réclament encore une fois une réduction de cotisations sociales.

59Par ailleurs, indépendamment de la concertation sociale, des mouvements populaires prennent de l’ampleur, ils sont sans doute « les bruits des lendemains en marche ». Ils militent en faveur, d’une part, d’une amélioration du pouvoir d’achat et d’une réduction des impôts pour tous ceux qui travaillent et ont des revenus moyens et faibles, et d’autre part, en faveur du climat. Ces mouvements peuvent sous certains aspects paraître contradictoires, les uns demandant une diminution des impôts et les autres une augmentation. En termes de compétitivité, ces demandes ne sont évidemment pas neutres.

3.3 – Quelles priorités pour la compétitivité pendant la prochaine législature ?

60La loi de 2017 réformant celle de 1996 doit-elle être revue ? Si nous sommes tentés de répondre à cette question par l’affirmative, ce n’est pas, comme le demandent les syndicats, pour prendre de nouveau en compte les baisses de cotisations patronales. Ces dernières sont destinées à soutenir la création d’emplois et non les augmentations salariales, il est donc rationnel de les exclure de la négociation. Il n’est surtout pas justifié du point de vue de la gestion des deniers publics de recourir à des réductions de cotisations pour pouvoir augmenter les salaires en respectant la contrainte de compétitivité de la loi. S’il y a pression salariale dans les années à venir, ce n’est pas au contribuable à les financer. De toute façon, maintenant que l’équilibre extérieur est rétabli, que le handicap salarial est quasi éliminé et que de toute manière, il le sera par le mécanisme de correction de la loi, sauf cas exceptionnel, de nouvelles réductions généralisées de cotisation sont à proscrire et seules d’éventuelles réductions ciblées sur des publics souffrant de handicaps structurels sont encore envisageables. De plus, étant donné les écarts observés de taux de chômage structurel entre les régions, la régionalisation des groupes-cibles permet, depuis la 6e réforme de l’État, des politiques différenciées selon les régions. Par contre, au vu du redressement de la compétitivité du pays, de l’équilibre extérieur et de l’amélioration d’un marché de l’emploi proche du plein emploi, il semble de moins en moins rationnel d’exiger de continuer de combler le handicap historique des coûts salariaux évoqué dans la loi [12]. Tout nouveau dérapage doit être évité, ce qui semble bien être le cas avec les marges de sécurité prévues dans l’actuelle version de la loi et cette condition est suffisante.

61La compétitivité coût des entreprises dépend de l’évolution du coût salarial mais aussi de l’évolution de la productivité. Les efforts devraient donc maintenant se concentrer sur cet élément et plus particulièrement sur l’évolution de la productivité totale des facteurs (gains d’efficience, y compris environnementale, diversification et qualité des produits…) qui permet d’améliorer à la fois l’emploi, l’environnement et la productivité. Seuls ces gains de productivité permettent d’améliorer le pouvoir d’achat sans dégrader la compétitivité. Plusieurs voies d’amélioration sont prioritaires dans un contexte budgétaire qui restera difficile au cours de la prochaine législature : l’éducation et la formation, l’innovation et la R&D, l’investissement public. C’est donc à un changement radical de priorités budgétaires auquel les gouvernements de la Belgique fédérale sont invités.

62D’abord, le capital humain et les efforts nécessaires en termes de formation. D’une part, dans le domaine de l’éducation, du côté francophone, des améliorations considérables sont attendues (afin de remédier, entre autres, à des résultats PISA médiocres, à la diminution continue du financement public par étudiant dans l’enseignement supérieur). Le pacte d’excellence, la réforme de la formation des enseignants et la nécessaire poursuite du refinancement de l’enseignement supérieur vont coûter fort cher à la Fédération Wallonie-Bruxelles qui n’a pas de capacité fiscale pour financer ces réformes. La recherche de solutions imaginatives, tant organisationnelles que financières, à cette question sera au cœur de la politique de la prochaine législature. D’autre part, les entreprises se plaignent de ne plus pouvoir recruter des chercheurs, des ingénieurs et des informaticiens, la liste des métiers en pénurie s’allonge et, dans le même temps, nous avons encore 8,6 % de nos jeunes de 18 à 24 ans qui quittent l’école sans diplôme et l’outil de la formation continue est toujours sous-utilisé en Belgique (8,5 % des 25-64 ans en Belgique contre 11,3 % en moyenne dans la zone euro). Avec près de 46 % de nos jeunes de 30 à 34 ans détenteurs d’un diplôme de l’enseignement supérieur nous faisons mieux que la France (44,3 %) et l’Allemagne (34,0 %) mais moins bien que les Pays-Bas (47,9 %). Les orientations choisies par les étudiants ne répondent cependant pas nécessairement aux pénuries constatées sur le marché de l’emploi. Seulement 17 % des diplômés de l’enseignement supérieur le sont en sciences naturelles, ingénieurs ou ICT contre 25 % en France et 38 % en Allemagne. Les formations techniques et professionnelles sont toujours les parents pauvres de notre système d’enseignement. Les nouvelles technologies percolent dans la société et l’indicateur de la société et de l’économie digitales d’Eurostat montre que si la Belgique fait moins bien que les Pays-Bas, elle fait mieux que l’Allemagne et la France mais trop peu d’écoles utilisent pleinement le potentiel pédagogique de ces technologies et quasi aucun cours de programmation n’est dispensé dans l’enseignement primaire.

63Ensuite, l’innovation et sa concrétisation dans de nouvelles activités. Les gouvernements régionaux (aides directes) et fédéral (aides fiscales, en ce compris les subventions salariales octroyées par la voie fiscale) n’ont pas ménagé leurs efforts pour placer la Belgique sur la voie de l’objectif EU2020 d’une intensité en R&D de 3 %. Le coût budgétaire total des incitations fiscales et parafiscales à la R&D a augmenté de 245 millions d’euros en 2008 à plus de 1,5 milliard d’euros en 2015 faisant, selon l’OCDE, de la Belgique le pays européen le plus généreux en termes de soutien fiscal à la R&D en % du PIB (OCDE, Tax Incentive Database). Mais, dans le même temps, la Belgique a aussi un des plus faibles taux de création d’entreprises, une réorientation très lente de ses activités vers les secteurs les plus dynamiques, une part relativement faible de sa valeur ajoutée et de ses emplois dans les secteurs industriels de haute technologie ou les services basés sur la connaissance. Ce manque de valorisation des dépenses de R&D des entreprises belges amène à se poser des questions sur l’efficacité de ces mesures de soutien et sur l’effet d’aubaine qui les accompagne. Les efforts d’innovation bénéficieraient aussi d’une amélioration du fonctionnement des marchés des produits et plus particulièrement des services. Comme le montre le Non-Manufacturing Regulation index (NMR) de l’OCDE, le potentiel d’amélioration de la réglementation des services est encore important en Belgique (OECD website). Une augmentation de la concurrence dans ces activités permettrait non seulement d’améliorer les incitants à innover des services eux-mêmes mais aussi les incitants à innover de toutes les autres branches d’activité utilisant ces services comme intrants dans leur processus de production (Cette, Lopez et Mairesse, 2014 et 2016). Une simulation du Bureau fédéral du Plan à l’aide du modèle QUEST III R&D de la Commission européenne montre qu’une modification des réglementations existantes des services professionnels réglementés (activités juridiques, comptables et d’architecte) permettrait une augmentation de la productivité du travail de l’ensemble de l’économie de 0,25 point de pourcentage après 5 ans et de 0,33 point de pourcentage après 20 ans sans le moindre coût budgétaire (Ingelbrecht, Kegels et Verwerft, 2018).

64Enfin, l’investissement public et l’état des infrastructures. La Belgique a un très faible niveau d’investissement public : 2,23 % du PIB en 2017 et ce niveau stagne depuis le début des années 1990. Les dépenses d’investissement public ont en effet largement contribué à la consolidation budgétaire mise en œuvre dans les années 1980. Non seulement le taux d’investissement public a diminué mais la composition de ce dernier a aussi changé et la part dédiée aux infrastructures a baissé (Biatour et al., 2017). Il en est résulté une détérioration de la qualité de ces dernières. Le gouvernement Michel a répondu à ce problème en élaborant avec l’aide de chefs d’entreprises le plan national d’investissements stratégiques qui fait l’inventaire des besoins dans 6 domaines clés (digitalisation, énergie, cybersécurité, éducation, mobilité et santé) à l’horizon 2030 et répartit le financement de 150 milliards entre le secteur privé (55 %) et le secteur public (45 %). Cependant, la mise en œuvre de ce plan ambitieux se heurte aux règles européennes en matière de déficit public et à la bonne volonté des gouvernements des autres niveaux de pouvoir, principalement compétents dans les domaines sélectionnés.

4 – Conclusion

65Durant les années qui ont précédé et suivi la crise financière de 2008, la compétitivité de l’économie belge s’est dégradée. Ce constat s’est accompagné de recommandations de réformes. En conséquence, à partir de 2014, les gouvernements qui se sont succédé ont pris un ensemble de mesures de correction du handicap de compétitivité salariale, en particulier un saut d’index et le tax shift, et a engagé la réforme de la loi de 1996 introduisant une correction automatique de la marge de négociation des salaires afin de prévenir tout dérapage futur. Ces mesures ont permis de redresser la compétitivité, les parts de marché à l’exportation et le solde de la balance courante. L’emploi s’est fortement accru et l’économie tend vers le plein emploi caractérisé, cependant, par un nombre encore important de chômeurs peu qualifiés et/ou difficilement employables. Dans ces conditions, les pénuries de main-d’œuvre pousseront les salaires à la hausse et il conviendrait d’appliquer strictement la loi de 1996 réformée en 2017 afin de ne plus devoir recourir à des sauts d’index ou à des tax shift. Le contexte social et environnemental pousse, en effet, à changer radicalement les priorités budgétaires avec l’arrêt des réductions de cotisations sociales patronales, davantage de moyens consacrés à l’éducation, la formation, la recherche et les investissements publics.

66Cette conclusion est-elle réaliste ? La difficulté d’arriver à un consensus des partenaires sociaux sur la marge de négociation disponible pousse les syndicats et certains partis politiques à demander une modification de la loi durant la prochaine législature. Fondamentalement, pour ceux-ci, la principale difficulté est que la loi ne procure que très peu de marge de négociation, dès lors, ils remettent en question le mécanisme de correction. Pour l’économiste aussi, même s’il ne remet pas en cause la nécessité d’un mécanisme de correction du handicap, la logique économique du mécanisme de correction n’est pas claire et difficile à implémenter. La déduction de la marge de sécurité non utilisée du handicap salarial est pour le moins étrange. Le handicap historique (d’avant 1996 !) qui doit être progressivement éliminé est sans doute purement symbolique. Son ampleur n’est pas et ne sera sans doute jamais acceptée par les syndicats. Son existence même est des plus contestables lorsque l’on se rappelle que la loi de 1996 corrigée est une loi macroéconomique qui vise à contrôler l’évolution du taux de change effectif réel, et que l’on est proche de l’équilibre extérieur et du marché du travail. Enfin, la dualisation des performances entre les branches d’activité, que le GECE avait mises en évidence [13], ne reçoit aucune réponse spécifique dans la loi alors qu’elle ne fait que s’accentuer (Biatour et Kegels, 2017). D’où, danger : alors qu’on sait qu’on aura besoin de cette loi, sa remise en question au niveau politique risque d’ouvrir la boîte de Pandore et de déboucher sur l’abandon de ce qui était recommandé : un mécanisme clair et simple de correction, une marge de sécurité digne de ce nom et la neutralisation des réductions de cotisation. Il nous semblerait préférable de supposer nul le handicap historique, d’appliquer la loi telle qu’elle est, et de procéder à une évaluation globale de la loi en fin de législature, soit avec un recul suffisant. La loi sur la compétitivité n’est pas destinée à résoudre les problèmes structurels du marché du travail et du marché des biens et services. Si le taux de chômage standardisé tend vers l’équilibre, cet équilibre ne dit pas que le taux d’emploi ou le pouvoir d’achat des personnes peu qualifiées ou des personnes d’origines étrangères sont suffisants. Combinée à la faiblesse du taux d’emploi et du taux d’activité, il dit, par contre, que des mesures structurelles ciblées sont nécessaires (employabilité, formation, piège à l’emploi, R&D, concurrence dans les marchés de services) qui ne reposent pas sur la gestion macroéconomique des salaires.

Tous nos remerciements à Luc Denayer et Augustin Hazard du Secrétariat du Conseil central de l’Économie, ainsi que à Philippe Delhez de la Banque nationale de Belgique et Igor Lebrun et Joost Verlinden du Bureau fédéral du Plan, pour leurs commentaires et leur précieuse aide technique.

Bibliographie

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  • Biatour, B., Kegels, C., Van der Linden, J., Verwerft, D. (2017), « Public investment in Belgium », Working Paper 1-17, Bureau fédéral du Plan.
  • Biatour, B., Kegels, C. (2017), « Growth and productivity in Belgium », Working Paper 11-17, Bureau fédéral du Plan.
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  • Bogaert, H., Kegels, C. (2012), « Compétitivité de la Belgique : défis et pistes de croissance », Planning Paper 112.
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  • Bureau fédéral du Plan (2018), « Perspectives économiques 2018-2023 », juin 2018.
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  • Conseil central de l’Économie (2019a), « Rapport technique sur la marge maximale disponible pour l’évolution du coût salarial », CCE 2019-0101.
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  • Groupe d’experts « Compétitivité et Emploi » (GECE) (2015), Efforts de formation des entreprises », Rapport au Gouvernement, novembre 2015.
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Mots-clés éditeurs : wages, employment, competitiveness, productivity

Date de mise en ligne : 25/07/2019

https://doi.org/10.3917/rpve.581.0013

Notes

  • [1]
    L’indice santé exclut, en effet, le prix des carburants, mais pas le prix de l’électricité, du gaz et du gasoil de chauffage dont les prix suivent, en général, le prix du pétrole.
  • [2]
    Engagement du gouvernement fédéral vis-à-vis de l’Union européenne. Au niveau des Entités fédérées, seule la Communauté flamande a pris un engagement formel à cet égard (taux d’emploi de 76 % en 2020).
  • [3]
    Mais 61,4 % en 1996. De 1996 à 2000, la performance fut assez imposante, le taux passant de 61,4 % à 65,8 %, soit une augmentation de 4,4 points de pourcentage. Cette performance a bénéficié des mesures de généralisation du temps partiel.
  • [4]
    Nous avons indiqué GECE partim pour signifier qu’il s’agit de l’initiative de membres du GECE qui, étant donné qu’il s’agissait de recommandations, n’ont pas souhaité engager leurs institutions respectives.
  • [5]
    MIP (Macroeconomic imbalance procedure) : procédure européenne mise en œuvre annuellement afin de vérifier si chaque pays de l’Union fait face à un risque de déséquilibre macroéconomique déstabilisant.
  • [6]
    Tous ces indicateurs, au niveau des branches, devraient être inclus dans le Rapport technique du CCE. Une telle approche n’est cependant pas exempte de difficultés. En effet, les données de productivité ne sont connues qu’avec un an de retard et font l’objet de révisions jusqu’en t+2, ainsi que de révisions beaucoup plus importantes lors de changements méthodologiques du type de la révision du SEC2010. D’autre part, les branches d’activité ne sont pas homogènes et couvrent donc des sous-branches d’activité dont la productivité augmente rapidement et d’autres pas. Le CCE devra déterminer, par ses analyses, le niveau de détail sectoriel le plus adéquat.
  • [7]
    Un troisième type d’objectif a vu le jour dans l’opinion publique ces derniers temps : un tax shift permettant de mieux équilibrer les revenus des salariés et ceux des détenteurs de capitaux, en particulier, en accroissant l’incitation à travailler pour les bas salaires en augmentant l’écart entre salaire et allocation sociale, mais aussi, en taxant plus les personnes qui ont des revenus élevés et qui parviennent à payer proportionnellement moins d’impôt que la moyenne des salariés. Cet objectif sort totalement du cadre de cette note. D’une part, l’analyse des déterminants de l’offre de travail n’a pas été abordée et d’autre part, la problématique de l’équité d’un système fiscal requiert une approche qui sort des compétences du GECE et qui va au-delà du raisonnement économique, même si des études montrent qu’une société inclusive est souvent plus performante dans le long terme. Notons que cette problématique est particulièrement vive dans les pays où les 1 % les plus riches captent la presque totalité de la croissance des revenus globaux, ce qui n’est pas le cas en Belgique. Il faut encore signaler qu’un tax shifting réduisant l’IPP financé par une augmentation de la TVA serait, selon l’étude BNB-BFP, de nature à détruire de l’emploi et non à en créer.
  • [8]
    Voir l’article de Christian Valenduc dans ce même numéro.
  • [9]
    Voir pp. XX-XX de ce même numéro.
  • [10]
    Voir dans ce même numéro, dans l’article de Christian Valenduc, pp. XX-XX.
  • [11]
    La question des différences régionales est importante car le poids de la Région flamande dans la négociation salariale risque d’influencer les salaires dans les deux autres Régions alors que celles-ci sont encore éloignée d’un niveau de chômage minimum.
  • [12]
    Selon la loi de 2017, le « handicap historique des coûts salariaux » est défini comme le handicap restant après l’élimination du handicap des coûts salariaux encouru depuis 1996. L’ampleur de ce handicap doit être fixée par le Conseil central de l’Économie. Bonne chance !
  • [13]
    Cf. Section 2.2 ci-dessus.

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