Couverture de RPVE_543

Article de revue

Évolution de la demande sociale de sport et remise en cause de la compétition

Pages 85 à 97

Notes

  • [1]
    Maître de conférences à l’Université Pierre-Mendès France de Grenoble, Membre du CDES/OMIJ Université Limoges Responsable du Master Professionnel, Stratégies Économiques du Sport et du Tourisme (SEST).
  • [2]
    Maître de conférences à l’Université de Limoges, Membre du CDES/OMIJ Université Limoges.
  • [3]
    Stat-info, n° 13-04, octobre 2013, « Les sports de nature en France en 2011 ».
  • [4]
    Eurobaromètre spécial 334 Sport et Activités Physiques Terrain, octobre 2009 (publication : mars 2010). TNS Opinion & Social Sondage commandité par la Direction générale de l’Éducation et de la Culture et coordonné par la Direction générale Communication (Unité « Recherche et analyse politique »).
  • [5]
    André Gimenez (2012), « Sport de haut niveau et stratégie territoriale », JuriSport, novembre, p. 35.
  • [6]
    Bosnie, Monténégro, Égypte, Tunisie, Cuba, Iran, Syrie et France.
  • [7]
    Trois Sud-Africains et un Néo-Zélandais.
  • [8]
  • [9]
    Impact économique et social du tennis en France, 19 novembre 2013.
  • [10]
    Code du sport, art R. 122-8 II, 2°.
  • [11]
    Le nombre de clubs en « élite » a évolué de 40 en 1995 à 14 en 2005 avec la mise en place du Top 14.
  • [12]
    Pierre de Coubertin a plusieurs fois exprimé que les activités sportives étaient indispensables à une armée performante. L’amélioration des performances morales et physiques des jeunes Français était alors jugée importante dans le cadre d’une revanche après la défaite de 1870.
  • [13]
    Stat-info, n° 15-01, février 2015.
  • [14]
    22 680 en 1992, 224 115 en 2007.
  • [15]
    Chiffres 2011 : 279 561 licenciés.
  • [16]
    Eurobaromètre spécial 334 Sport et Activités Physiques Terrain : octobre 2009 (publication : mars 2010). TNS Opinion & Social Sondage commandité par la Direction générale de l’Éducation et de la Culture et coordonné par la Direction générale Communication (Unité « Recherche et analyse politique »).
  • [17]
    Site de la Fédération française d’athlétisme.
  • [18]
    Luc Avril (2014), « Un événement “extra-ordinaire” au service de l’action collective et du développement d’un territoire », JuriSport, octobre 2014.
  • [19]
    Syann Cox (2013), « Olympic and paralympic games: Legacy Survey », The Sport and Recreation Alliance, janvier.
    http://www.sportandrecreation.org.uk/sites/sportandrecreation.org.uk/files/web/images/Olympic%20and%20Paralympic%20legacy%20survey_1.pdf (consulté le 10 septembre 2015).
  • [20]
    « Télévisions : la rentrée des sortants », Le Monde, 30-31 août 2015, pp. 18-19.
  • [21]
    François de Sars, Damien Barnier et Perrine Billard (2012), « Typologie des Français dans l’univers du sport », Observatoire du Sport, FPS-IPSOS. Échantillon de 5 000 Français âgés de 4 à 70 ans.
  • [22]
    Source : Loïc Bocquien (2013), « Tarifs presse », Basket Hebdo.
  • [23]
    Disneyland Paris Leaders Cup LNB : tournoi opposant les 8 premières équipes du championnat PRO A à la fin des matches allers.

Introduction

1Parmi les différents facteurs susceptibles d’expliquer les dérives du sport-spectacle figure l’évolution de la demande de pratique sportive. Historiquement, en Europe, l’organisation du sport est décrite comme une pyramide dont la base correspond à la masse des pratiquants et le sommet à l’élite. Le système sportif ainsi bâti est articulé autour de la compétition entre individus, entre clubs, entre nations, et alimenté par un réservoir à la fois de talents (formation d’athlètes de haut niveau dans les clubs amateurs) et de consommateurs de spectacles sportifs (inculcation de valeurs et d’une culture sportive par la pratique).

2Mais, depuis la fin du XXe siècle, on observe une forte diversification de l’offre de pratique et l’émergence d’une demande de pratique sportive non compétitive, avec ou sans engagement au sein des réseaux associatifs affiliés aux fédérations sportives nationales. Étant donné le modèle économique du sport-spectacle, dont l’offre repose sur les prestations de talents humains à destination du grand public, on peut se demander quelles peuvent être les conséquences du moindre engouement pour les pratiques sportives de loisir compétitif.

3La réflexion suivante se structure en deux parties. La première visera à mettre en évidence la fragilisation de la pyramide sportive et en particulier le délitement des liens entre pratique et spectacle. Il s’agira ensuite de discuter, au travers de deux exemples, des effets de cette mutation sociétale.

1 – La pyramide sportive européenne est aujourd’hui fragilisée

1.1 – La pratique ne se fait plus systématiquement dans les clubs

1.1.a – Une offre diversifiée pour la pratique-loisir

4Le nombre de licences sportives délivrées par les fédérations nationales n’est pas un indicateur significatif du nombre de pratiquants. Un même individu est libre de se licencier à plusieurs fédérations différentes, pour pratiquer des disciplines distinctes ou pour s’adonner à un même sport suivant des modalités variées. En dépit de ces doubles ou triples comptes potentiels, l’effectif total des licenciés est très en deçà du nombre de personnes déclarant pratiquer une activité physique et sportive.

5Si on prend l’exemple des sports de nature, le ministère en charge des Sports, en France, dénombre 25 millions de pratiquants mais seulement 12,1 % [3] d’entre eux sont membres d’une fédération nationale et s’adonnent donc à ces activités au sein d’un club associatif. La situation de ces activités est symptomatique, car elles ont la particularité d’être exercées dans des espaces souvent à dimension touristique, sur le temps de vacances, et de pouvoir se faire sans encadrement, ce qui favorise le déploiement d’offres ponctuelles de prestations de services ou simplement de location de matériel.

6Le même phénomène s’observe cependant sur d’autres disciplines, soit qu’elles se pratiquent de manière auto-organisée, c’est-à-dire hors de toute structure, soit qu’une offre commerciale ou émanant de la collectivité concurrence l’offre associative traditionnelle. À l’échelle européenne, il est établi que les activités physiques et sportives se déroulent en de nombreux endroits, le plus souvent dans des parcs et en plein air (40 %), à la maison (36 %) ou sur le trajet entre le domicile et l’école, le travail ou les magasins (25 %) et relativement peu dans un club sportif (13 %) [4]. L’offre fédérale joue probablement un rôle dans ce désintérêt relatif pour tout encadrement. Les notions de liberté, d’absence de règles, de contraintes sont des éléments déterminants dans le choix de ces pratiques effectuées hors de tout cadre fédéral.

1.1.b – Une formation du haut niveau « en tuyaux »

7Le symbole de la pyramide sportive induit une ascension possible de la masse vers l’élite, accessible à tout un chacun, à condition de franchir progressivement des étapes exigeant un niveau de performance croissant.

8L’élaboration de parcours d’excellence sportive par les fédérations françaises uni-sports met en évidence la recherche de processus de recrutement basés sur des détections plus précoces. Le directeur technique adjoint de la Fédération française d’athlétisme explique ainsi : « Le but est de faire fonctionner un tamis régional qui fasse éclore trois ou quatre talents par olympiade à l’image de la fédération qui a abandonné le système pyramidal. Le tamis national fonctionne bien avec les minima, les stages, les suivis biologiques, les aides médicales. Les autres athlètes ne sont pas abandonnés, mais le haut niveau national et régional n’est plus une pyramide. La fédération a fait le constat que la politique de saupoudrage devait être abandonnée. Des conventions d’insertion professionnelle de 50 € à 500 personnes : ce n’est pas efficace ! Désormais, ces conventions sont accordées à douze personnes, ce qui leur permet de vivre [5]. »

9L’apparition de teams découle de ces impératifs de rationalisation. Un athlète et son entraîneur s’affranchissent des structures associatives pour mettre en œuvre une préparation sur mesure prenant en compte des atouts et contraintes spécifiques et suivant une stratégie personnelle. Si l’efficacité est, en principe, meilleure, ces systèmes induisent un fonctionnement en tuyaux avec des perspectives très éloignées suivant le positionnement et les aptitudes initiales de chaque pratiquant.

1.1.c – De plus en plus d’étrangers en équipes nationales

10Aujourd’hui, les joueurs sont recherchés pour leur rapport talents/prix, et non plus pour leur nationalité (Fontanel et Fontanel, 2009). Dans le discours de la globalisation, le langage souligne le primat de l’efficacité sportive et économique sur le caractère éducatif local et national du sport. Aujourd’hui, la nationalité est de moins en moins requise pour appartenir à une équipe nationale et des voix de plus en plus insistantes souhaitent supprimer ces rencontres sportives organisées par les fédérations pour les transformer en des sélections de Ligues de plusieurs pays. La valorisation d’un pays n’est plus fondée sur la formation, mais sur sa capacité à attirer les plus grands talents. L’argent devient alors un critère essentiel, comme en témoignent les aventures sportives du PSG ou, dans une moindre mesure, de Monaco. Le Qatar est devenu l’une des meilleures équipes de handball et d’athlétisme du monde grâce à l’appel à des joueurs naturalisés, certains sur une période très courte, d’une année parfois. Il a attiré l’attention sur des pratiques existantes depuis toujours dans le monde du sport mais peu souvent mises en exergue. Il est possible pour un pays de construire une équipe nationale en « recrutant et en sélectionnant » des joueurs d’autres nationalités. Sur les seize joueurs qui composaient l’équipe du Qatar, finaliste au mondial de hand en 2015, onze étaient étrangers [6], et les cinq Qataris complétant l’effectif ont surtout marqué leur présence sur le banc des remplaçants. Pour le tournoi de rugby des six nations cette même année, la sélection en équipe de France de quatre joueurs étrangers [7] résulte de la même logique. La recherche de la performance s’affranchit en partie de la notion d’identité nationale au profit de l’efficacité et de la performance. Le monde du rugby est historiquement coutumier du fait. Des grandes nations historiques du rugby mondial, comme la Nouvelle-Zélande et l’Australie ont consciencieusement et très régulièrement pillé les talents émergents provenant des îles proches comme les Fidji, les Samoa et le Tonga.

1.2 – Un sport spectacle professionnel, géré par des sociétés

11Certes, certains événements sont historiquement détenus et organisés par des entreprises commerciales. On peut citer l’exemple du Tour de France cycliste, initié par le journal L’Auto en 1903 – dans le double but de générer du contenu rédactionnel et d’augmenter les ventes de ce périodique (Viollet, 2005) – et aujourd’hui propriété d’Amaury Sport Organisation, société à conseil d’administration au capital de 1 200 240 € [8].

12Mais la majeure partie des compétitions sportives, quelle que soit leur dimension territoriale, est le fait d’organisations à but non lucratif, les fédérations sportives et leur réseau (clubs, comités départementaux, ligues régionales), qui conçoivent et animent des championnats de tous niveaux. La référence reste les Internationaux de France, organisés par la FFT, à Roland-Garros, et contribuant, à hauteur de 36 millions d’euros par an, au financement de la pratique du tennis en France [9].

13Dans les sports collectifs français, la tendance est de distinguer, au sein d’une discipline donnée, la pratique et le spectacle en constituant des ligues professionnelles chargées d’organiser les championnats au plus haut niveau national. Dans cette dynamique, de plus en plus, les statuts juridiques des clubs participant à ces compétitions évoluent.

1.2.a – Des clubs professionnels aux statuts de société

14Une révolution des statuts des structures en charge de ce spectacle sportif est en cours. Progressivement, ces structures productrices de services spécifiques se sont transformées légalement, en passant du conventionnel statut d’associations à but non lucratif, en sociétés commerciales diverses, souvent suggérées par les contraintes spécifiques des sponsors (Andreff, 1999). La mutation vers un sport professionnel implique la transformation du travail bénévole vers un travail professionnel, et donc le passage d’une logique associative à celle d’emplois aux statuts différenciés (Chaix, 2004). Si certaines activités sportives s’engagent dans des activités à buts clairement lucratifs susceptibles d’intéresser des investisseurs par les profits dégagés à court ou à long terme, d’autres n’ont pas souvent les revenus divers suffisants pour constituer une activité rentable en termes de placement financier. Cependant, cette évolution pousse les acteurs sportifs à entreprendre une approche plus marchande des clubs et des fédérations. Aujourd’hui, la création d’une société commerciale est une obligation imposée par l’article L.122-1 du Code du sport, à partir du moment où certains seuils d’activités monétaires sont franchis (1,2 million d’euros de recettes ou 800 K€ de rémunérations). L’État a aménagé la loi en conséquence, régulièrement et progressivement, afin d’adapter la législation en vue d’une meilleure efficacité économique.

Tableau 1

Description des statuts des sociétés sportives

Tableau 1
Sociétés sportives Lois et décrets Répartition du capital Sociétés d’économie mixte sportive locale (SEMSL) Loi n° 75-988 du 29 octobre 1975 La majorité doit être détenue par l’association seule, ou conjointement par l’association et les collectivités Société Anonyme à Objet Sportif (SAOS) Loi n° 84-610 du 16 juillet 1984 L’association support doit détenir au minimum un tiers du capital social Entreprise unipersonnelle sportive à responsabilité limitée Loi n° 99-1124 du 28 décembre 1999 L’association support est l’associé unique, et détient donc la totalité du capital Société Anonyme Sportive professionnelle (SASP) Loi n° 99-1124 du 28 décembre 1999 Libre répartition du capital Lors de la constitution de la société, l’association support doit avoir au moins une action Société Anonyme (SA) Société Anonyme à Responsabilité Limitée (SARL) Société par Action Simplifiée (SAS) Loi n° 2012-158 du 1er février 2012 Libre répartition du capital L’association est à « l’origine » de la création

Description des statuts des sociétés sportives

Tableau : Chaix (2015)

1.2.b – Une diminution inéluctable du poids de l’association historique dans la gouvernance des clubs professionnels

15Ce glissement progressif de la forme associative du sport vers la société anonyme appelle quelques commentaires. Le simple fait de créer une seconde structure au sein d’une association sportive, chargée de gérer et de développer les activités professionnelles du club, est une forme de rupture avec l’histoire du sport amateur en France dynamisé et organisé autour des associations loi 1901. La mise en place, par les fédérations, des ligues, chargées de gérer et d’organiser les championnats professionnels procède du même mouvement institutionnel. La diminution régulière, mais semble-t-il inéluctable, du poids de l’association au sein de ces sociétés marque une seconde rupture au moins aussi violente. De majoritaire au sein des SEMSL, puis possédant une minorité de blocage (SAOS), elles n’apparaissent même plus obligatoirement, en tant qu’actionnaires de ces nouvelles sociétés sportives. Si certains soutiennent que « le législateur n’a aucunement dérogé au vif attachement du mouvement sportif à ne pas isoler “la société gestionnaire du secteur économique” de “l’association gestionnaire du secteur non économique” » (Karaquillo, 2014, p. 25), la réalité des faits montre de vraies difficultés dans les relations entre les structures professionnelles et le monde amateur. Les problèmes des clubs professionnels, notamment le développement des recettes spectateurs, le partenariat, le merchandising ou la gestion des ressources humaines et financières d’un groupe professionnel, sont forts éloignés des contraintes spécifiques d’une association sportive, gérant des joueurs de 5 à 20 ans. Certes, la loi oblige les deux parties à signer une convention régissant leurs relations, permettant de fait à la société sportive d’utiliser le numéro d’affiliation pour participer aux compétitions, la dénomination et la marque du club, mais sans cette obligation, il y a longtemps que la liaison entre ces deux entités serait réduite à de simples relations de voisinage. L’incompatibilité des fonctions de dirigeants de la société et de l’association [10] ne fait qu’agrandir le fossé entre les « investisseurs » membres du conseil d’administration ou du conseil de surveillance de la société sportive et les « bénévoles » du monde amateur.

Tableau 2

Évolution des statuts des clubs « élites » de rugby en France[11]

Tableau 2
1995 1998 2000 2003 2010 2014 Association 40 6 1 0 0 0 SEMSL 1 1 0 0 0 SAOS 17 19 7 1 0 EUSRL 0 0 0 0 SASP 9 13 12 SA-SAS-SARL 2 TOTAL 40 24 21 16 14 14

Évolution des statuts des clubs « élites » de rugby en France[11]

Tableau : Chaix (2015)

16L’évolution des statuts dans le professionnalisme (football ou rugby) montre bien la rapidité avec laquelle les sociétés sportives les plus avancées s’approprient les nouvelles possibilités que leur offre le législateur. Il ne manque qu’une dernière étape pour évincer définitivement l’association et laisser libre cours à la « section professionnelle » de se développer sans contraintes, en tout cas sans charges liées au monde amateur.

2 – Conséquences de ces mutations sociétales sur le spectacle sportif

2.1 – Le sport a changé de signification sociale, il est devenu un secteur économique à part entière

17Pour Pierre de Coubertin, le sport avait des valeurs morales (comme le respect mutuel, la discipline individuelle et collective, la compétition honnête et respectueuse, etc.), physiques (comme le dépassement de soi ou l’amélioration de la condition physique des hommes, etc.), mais aussi militaires et stratégiques [12]. Sur cette base, le sport devait rester une activité d’amateurs, réservée aux hommes et insoumises aux questions d’argent ou de commerce. Dans cette conception, le sport était un instrument et un indicateur de la puissance, de la grandeur et de la santé d’un pays, de son système politique et de sa jeunesse (Fontanel et Bensahel, 2001).

18Plus tard, avec l’antagonisme entre les pays occidentaux d’économie de marché et les pays à économie planifiée, capitalisme vs socialisme, le sport a valorisé les résultats sportifs comme image de l’éducation des jeunes et de la supériorité d’un système sur l’autre (ce qui pouvait se manifester encore plus fortement au sein de la communauté germanique, entre la RFA et la RDA).

19À partir du moment où le sport olympique a accepté le professionnalisme, le sport a changé de nature, avec la transformation d’un certain nombre d’activités sportives en un spectacle marchand. Aujourd’hui, le sport global comme symbole n’est plus vraiment homogène (Fontanel, 2007). Il emprunte des voies différentes, en fonction de la médiatisation des activités diverses qui le composent, notamment celui du sport spectacle.

20Le spectacle sportif draine aujourd’hui à la fois des spectateurs, des téléspectateurs et des actions commerciales d’entreprise (publicité, sponsoring, partenariat). Si la présence directe (billetterie) ou indirecte (médias) du spectacle est un élément important de la consommation des ménages, celle-ci subit aussi l’influence des « effets d’imitation » par l’essor d’achats fondés à la fois sur la pratique physique et sur l’influence de la signification d’un achat dans le statut social des individus. Les statistiques économiques produites par l’État [13] soulignent le poids économique croissant du sport en France. De 2005 à 2012, les dépenses de services fournis par les chaînes de télévision payantes et les spectacles sportifs ont augmenté de 27,6 %, quand, dans le même temps, les achats d’équipements et autres biens de consommation baissaient de 1 %. L’activité économique induite par la production du spectacle sportif a obligé le monde sportif à se transformer, à évoluer pour mieux répondre aux demandes spécifiques des marchés.

2.2 – Des effets réciproques entre pratique et spectacle sportifs de faible ampleur

21Puisque la pratique et le spectacle sportifs ne sont plus les deux parties d’un même tout, on peut faire l’hypothèse que les interdépendances se réduisent. Si le spectacle sportif n’est plus ni la vitrine ni l’aboutissement de la pratique sportive, alors peut-il contribuer à la lutte contre la sédentarité ? Si la pratique au plus haut niveau n’a plus rien à voir avec celle du plus grand nombre, alors peut-elle encourager la consommation de spectacle sportif ? Il s’agira dans cette partie d’aborder quelques éléments de réponses, à partir des données disponibles.

2.2.a – Quels effets la médiatisation du sport-spectacle a-t-elle sur la pratique sportive ?

22Les marronniers de la presse généraliste laissent souvent croire que les grands événements sportifs influencent les comportements de la population. L’accès d’une équipe nationale en phase finale contribuerait ainsi à augmenter les ventes de téléviseurs de plus en plus sophistiqués. Le feuilleton estival constitué par le tournoi annuel à Roland-Garros est fréquemment l’occasion de publication de verbatim signalant une augmentation des achats de raquettes et balles de tennis. Suite à la médiatisation d’un nouveau champion, les vocations suscitées sont guettées et vite qualifiées d’« effets » : « effet Manaudou », etc. Dans les faits et sur le long terme, il semble s’agir souvent de phénomènes de mode qui impactent plutôt les adeptes du zapping sportif que le « public éloigné du sport ».

23En 2008, année suivant l’organisation en France de la Coupe du monde de rugby, la Fédération française de rugby (FFR) a vu son nombre de licenciés augmenter de 26 % (+58 000 licenciés), alors que ce nombre stagnait depuis 25 ans [14]. Depuis, il stagne de nouveau, et une analyse plus fine montre que cette augmentation ne s’est produite que sur les jeunes catégories (école de rugby jusqu’à 12 ans) et qu’il y a une légère érosion du reste des pratiquants (–1 %) [15].

24Le classement des activités physiques et sportives les plus pratiquées fait ainsi, invariablement, état d’activités douces, avec une visée hygiénique à l’instar de la marche à pied… À l’échelle européenne, l’amélioration de la santé (62 %) et du bien-être (40 %) constituent les principales motivations déclarées. Les objectifs d’amélioration de la performance physique relatifs à l’esprit de compétition ne sont respectivement cités que par 24 % et 5 % de la population [16]. Certaines fédérations ont bien compris l’importance de cette évolution en adaptant leur offre. La Fédération française d’athlétisme, par exemple, a su, en diversifiant son offre au-delà de la pratique compétitive traditionnelle, capter une clientèle nouvelle. La dimension « Athlé santé », activités encadrées par un entraîneur diplômé ou Coach Athlé Santé, adaptées à un public qui recherche une pratique tournée vers le bien-être, la détente, la lutte contre la sédentarité et ses effets [17], rencontre un grand succès. Cet « Athlé-santé » représentait 15 % des licenciés de la Fédération en 2010. En 2014, un licencié sur 4 soit 25,23 %, fait de l’« Athlé loisir » à la FFA.

25Dans le cadre des grands événements sportifs, il est de plus en plus pris en compte que, pour espérer un « héritage » de la manifestation, il est nécessaire de poser les jalons très en avant, de multiplier les actions dédiées pendant, et surfer sur les synergies engagées longtemps après [18]. C’est ainsi ce que les organisateurs des Jeux équestres mondiaux 2014 se sont efforcés de faire avec un programme commençant 15 mois avant l’avènement de la compétition, incluant évidemment les 15 jours de l’événement proprement dit, mais prévoyant aussi une continuité des actions et de l’analyse dans les 15 ans à venir.

26À titre d’exemple, les évaluations de l’ambition affichée des Jeux olympiques de Londres, en 2012 (« inspire a generation »), d’inciter la population britannique à un mode de vie plus actif d’un point de vue physique (pratique) mais également social (engagement bénévole) pointent les difficultés structurelles freinant la pérennisation de comportements encouragés par l’accueil de l’événement sur le territoire. Manque ou éloignement des équipements sportifs, décalage entre la demande de ces néo-sportifs et l’offre existante, faible aptitude des associations sportives à accueillir, à s’adapter, à intégrer : les obstacles sont nombreux [19].

27Les effets de ces méga-événements sportifs doivent ainsi être attendus dans des secteurs très diversifiés et pas uniquement mesurés à l’aune de l’indicateur du nombre de licences sportives délivrées. Dans la réflexion sur les relations d’interdépendance entre le sport qui se pratique et celui qui se regarde, il reste à s’intéresser aux effets que la pratique sportive peut avoir sur le spectacle sportif.

2.2.b – Est-ce qu’une diminution du nombre de pratiquants en club induirait une diminution du nombre de spectateurs / téléspectateurs ?

28Le modèle économique du sport spectacle serait-il affecté par une baisse du nombre de pratiquants ? La question en sous-entend une autre : sont-ce les mêmes personnes qui regardent le sport et qui le pratiquent ? Il est peut-être étrange de s’interroger ainsi pour le sport, alors qu’on ne se demande pas si les spectateurs de cinéma pratiquent le théâtre ou réalisent des vidéos… Il faut dire que, pour apprécier un spectacle sportif, il est souvent nécessaire de maîtriser la signification d’un certain nombre de codes, l’articulation de différentes règles, la connaissance de divers enjeux, bref d’être doté d’une certaine culture qui permet de comprendre, d’être touché.

29Dans la constitution de leurs programmes, les chaînes se positionnent soigneusement sur l’achat des droits de manifestations sportives ciblées : essentiellement en football (Mondial, Euro, Ligue des Champions, Ligue 1, Premier League) mais également en rugby (Tournoi des VI Nations), en cyclisme (Tour de France) ainsi bien sûr que les Jeux olympiques. Ce type de programme, diffusé en direct, constitue, en effet, un enjeu crucial en termes d’audience et des records sont atteints pour les finales où figure l’équipe nationale [20].

30Parmi ces milliers de personnes, combien pratiquent effectivement le sport mis en lumière à cet instant donné ? Regarder du sport sur ses écrans ne signifie pas forcément être sportif. Pour ce qui est du cas particulier des personnes âgées, une recherche basée sur un échantillon longitudinal de 6 733 hommes et femmes conclut même : « Nous n’avons trouvé aucune association entre le fait de regarder du sport à la télévision et l’intensité de pratique d’activité physique » (Hamer, Weiler et Stamatakis, 2014).

31La « typologie des Français dans l’univers du sport » réalisée par IPSOS et la Fédération professionnelle des entreprises de sport et de loisirs met d’ailleurs en évidence que seulement 18 % de la population se déclare centrée sur la performance et la compétition et adepte du sport à la télévision et des grands événements sportifs [21].

32L’Union des clubs professionnels de football (UCPF) a sollicité l’expertise du CREDOC pour dresser le profil des spectateurs du Championnat de France de première division, la Ligue 1. Dans les résultats publiés, le fait d’être pratiquant de football n’apparaît pas comme une variable d’analyse. L’approche par profils (cibles marketing) proposée rend compte que 9 % de « Sportifs » parmi les Français sont intéressés par la Ligue 1 et 7 % se rendent dans les stades.

33Même si l’on s’intéresse plus particulièrement à la presse spécialisée, on remarque que le profil du lectorat n’est pas exclusivement composé de pratiquants de la discipline. 70 % des lecteurs du périodique Basket Hebdo seraient basketteurs mais seulement 42 % adhéreraient à un club [22].

34Il est donc confirmé que si les pratiquants constituent un réservoir d’adeptes du sport-spectacle, ils ne représentent pas l’essentiel. Ces manifestations bénéficient en effet de l’intérêt de tout un pan de la population qui suit attentivement les performances des athlètes professionnels sans pour autant s’essayer, à titre personnel, à la discipline sportive. Dans une démarche marketing, les organisateurs de ces événements poursuivent néanmoins les efforts de diversification du recrutement des spectateurs.

3 – Conclusion

35Pour répondre à la question de départ, il s’avère nécessaire de souligner que le terme « sport » englobe, en définitive, des faits sociaux très différents, notamment entre ce qui relève des activités physiques de loisir et ce qui s’apparente à un divertissement.

36Il faut en outre noter que l’étanchéité entre sport-spectacle et pratique sportive s’accentue au tournant du XXe siècle. Les passerelles historiques entre le sport de masse et le sport de haut niveau sont fragilisées d’une part par l’autonomisation des clubs et teams professionnels et d’autre part par l’optimisation des parcours d’excellence sportive. Les cultures sportives sont à ce point diversifiées que le fait de s’adonner à une activité sportive n’est pas l’unique raison du goût pour le spectacle sportif.

37L’évolution actuelle du sport-spectacle, à travers sa professionnalisation et sa mondialisation en particulier, le rapproche de plus en plus des logiques de l’entertainment à l’instar des concerts de variété, des comédies musicales et autres shows artistiques. Et certaines initiatives entreprennent d’ailleurs de mixer les genres, comme l’illustre le tournoi de première division organisé par la ligue nationale de basket en partenariat étroit avec Euro Disney [23].

38L’évolution de la demande de pratique sportive ne semble ainsi pas constituer une véritable menace pour le spectacle sportif. Néanmoins, nombre d’opérateurs de ce type de divertissements jugent pertinent de maintenir des interactions avec la base des pratiquants.

39En effet, à l’heure où, tous secteurs confondus, les entreprises sont de plus en plus sensibles à leur responsabilité sociale et étant donné la reconnaissance croissante des fonctions sociales du sport (cf. Livre blanc de la Commission européenne, 2007), cela peut représenter une véritable opportunité.

40Différents types de gains sont alors espérés. Ainsi, les missions d’intérêt général réalisées par les clubs sportifs professionnels, telles que « la formation, le perfectionnement et l’insertion scolaire ou professionnelle des jeunes sportifs accueillis dans les centres de formation agréés » ou « la participation à des actions d’éducation, d’intégration ou de cohésion sociale » peuvent être éligibles, en France, à des subventions publiques (Article L. 113-2 du Code du sport). À une dimension plus globale, l’UEFA, la FFF, le ministère des Sports et les collectivités où auront lieu les matches appréhendent l’organisation du tournoi final du Championnat d’Europe des nations de football adulte masculin en cherchant à favoriser des interrelations optimales entre spectacle de haut niveau et pratique du plus grand nombre. Au niveau de l’instance européenne, une estimation ex ante a visé à identifier les pistes d’optimisation de l’héritage de l’événement en termes de retombées économiques bien sûr mais aussi dans une optique d’utilité sociale. À l’échelle de la fédération française, c’est un programme complet, Horizon Bleu 2016, qui cherche à mobiliser les énergies du réseau fédéral pour tirer le meilleur profit de l’accueil de la manifestation en France, dans des secteurs très variés. Les pouvoirs publics ne sont pas en reste, après avoir été très focalisés sur le coût de la rénovation ou de la création des stades. État et collectivités s’efforcent de mettre l’événement au service de la population, en particulier au travers des programmes d’animation des « fans zones ».

Bibliographie

Références

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Mots-clés éditeurs : solidarité, externalité, système, sport

Mise en ligne 17/12/2015

https://doi.org/10.3917/rpve.543.0085

Notes

  • [1]
    Maître de conférences à l’Université Pierre-Mendès France de Grenoble, Membre du CDES/OMIJ Université Limoges Responsable du Master Professionnel, Stratégies Économiques du Sport et du Tourisme (SEST).
  • [2]
    Maître de conférences à l’Université de Limoges, Membre du CDES/OMIJ Université Limoges.
  • [3]
    Stat-info, n° 13-04, octobre 2013, « Les sports de nature en France en 2011 ».
  • [4]
    Eurobaromètre spécial 334 Sport et Activités Physiques Terrain, octobre 2009 (publication : mars 2010). TNS Opinion & Social Sondage commandité par la Direction générale de l’Éducation et de la Culture et coordonné par la Direction générale Communication (Unité « Recherche et analyse politique »).
  • [5]
    André Gimenez (2012), « Sport de haut niveau et stratégie territoriale », JuriSport, novembre, p. 35.
  • [6]
    Bosnie, Monténégro, Égypte, Tunisie, Cuba, Iran, Syrie et France.
  • [7]
    Trois Sud-Africains et un Néo-Zélandais.
  • [8]
  • [9]
    Impact économique et social du tennis en France, 19 novembre 2013.
  • [10]
    Code du sport, art R. 122-8 II, 2°.
  • [11]
    Le nombre de clubs en « élite » a évolué de 40 en 1995 à 14 en 2005 avec la mise en place du Top 14.
  • [12]
    Pierre de Coubertin a plusieurs fois exprimé que les activités sportives étaient indispensables à une armée performante. L’amélioration des performances morales et physiques des jeunes Français était alors jugée importante dans le cadre d’une revanche après la défaite de 1870.
  • [13]
    Stat-info, n° 15-01, février 2015.
  • [14]
    22 680 en 1992, 224 115 en 2007.
  • [15]
    Chiffres 2011 : 279 561 licenciés.
  • [16]
    Eurobaromètre spécial 334 Sport et Activités Physiques Terrain : octobre 2009 (publication : mars 2010). TNS Opinion & Social Sondage commandité par la Direction générale de l’Éducation et de la Culture et coordonné par la Direction générale Communication (Unité « Recherche et analyse politique »).
  • [17]
    Site de la Fédération française d’athlétisme.
  • [18]
    Luc Avril (2014), « Un événement “extra-ordinaire” au service de l’action collective et du développement d’un territoire », JuriSport, octobre 2014.
  • [19]
    Syann Cox (2013), « Olympic and paralympic games: Legacy Survey », The Sport and Recreation Alliance, janvier.
    http://www.sportandrecreation.org.uk/sites/sportandrecreation.org.uk/files/web/images/Olympic%20and%20Paralympic%20legacy%20survey_1.pdf (consulté le 10 septembre 2015).
  • [20]
    « Télévisions : la rentrée des sortants », Le Monde, 30-31 août 2015, pp. 18-19.
  • [21]
    François de Sars, Damien Barnier et Perrine Billard (2012), « Typologie des Français dans l’univers du sport », Observatoire du Sport, FPS-IPSOS. Échantillon de 5 000 Français âgés de 4 à 70 ans.
  • [22]
    Source : Loïc Bocquien (2013), « Tarifs presse », Basket Hebdo.
  • [23]
    Disneyland Paris Leaders Cup LNB : tournoi opposant les 8 premières équipes du championnat PRO A à la fin des matches allers.
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