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Article de revue

Processus évaluatif d'une recherche-action et démarche prospective : quelles convergences ?

Pages 55 à 63

Notes

  • [1]
    CEREQ / Université de Rennes 1.
  • [2]
    Viveret Patrick (1990), Évaluer les politiques et les actions publiques. Paris, La Documentation française.
« L’évaluation n’est pas seulement une démarche cognitive. C’est aussi une démarche pédagogique qui met en débat des connaissances et des pratiques afin d’améliorer la gouvernance des organisations et des territoires. De ce point de vue, elle porte toujours une dimension constructive faisant appel à des interactions nombreuses et à des attitudes créatives. » (Basle, 2008).

1 – Introduction

1Évaluer est souvent assimilé à une mesure d’impact relative à de nouvelles actions mises en œuvre dans le cadre d’un programme de politique publique. Cette approche quantitative, appelée aussi « impact assessment » doit être distinguée de l’évaluation proprement dite, dont elle n’est qu’une des dimensions possibles, une méthodologie parmi d’autres (Fouquet, 2009). Si la mesure d’impact est bien une phase importante dans l’ensemble du processus évaluatif, qu’elle vient souvent clore, il ne saurait être question de réduire l’évaluation à cette seule dimension qui suppose l’achèvement de la mise en œuvre d’acteurs, une stabilisation des processus d’ajustement et des comportements d’acteurs, autrement dit de se situer dans une évaluation ex-post, une fois que tout est joué.

2Évaluer – qui renvoie par définition à une logique d’appréciation sur la valeur des actions entreprises – n’est ni jugement de valeur, ni quantification de résultats à partir de situations figées. Évaluer, c’est se situer dans le mouvement, accompagner les processus, rendre compte des « forces de vie » [2] qui animent acteurs et procès. Évaluer, de ce point de vue, c’est se situer dans l’action et non en dehors de l’action, c’est prendre appui sur les potentialités des situations rencontrées, s’y adapter par des logiques d’acteurs qui cherchent, en coopérant et en construisant des compromis, à faire converger leurs intérêts. Autrement dit, l’évaluation peut aussi se comprendre comme processus visant à faire émerger les conditions de réussite d’un projet à travers la mobilisation d’acteurs dans la fabrique de l’action et la mise en œuvre concrète de réalisations.

3L’évaluation dont il est question ici se situe donc clairement dans le courant de nouvelles pratiques évaluatives, celles qui s’inscrivent dans le temps même de l’action qu’elle vise en permanence à enrichir, à infléchir et réorienter (voire à inventer). Dans ce type d’évaluation, qui se veut davantage en prise sur l’action, le rapport au temps est très différent puisqu’il s’agit d’aider à anticiper et à réagir au plus près des pratiques concrètes d’acteurs (Chanut, 2009).

4L’évaluation d’une recherche-action paraît bien être le cadre idoine où peut se mettre en place cette méthodologie centrée sur les processus de fabrique de l’action et de mobilisation d’acteurs. Par ailleurs, c’est bien le propre d’une recherche-action que de permettre dans ce domaine un tâtonnement créateur de nouvelles pratiques, générateur aussi d’innovations sociales pouvant être généralisées.

2 – Intérêts d’une recherche-action

5Dans le contexte d’une recherche-action, le chemin à parcourir n’est pas dessiné a priori, il se construit dans l’action en même temps que les acteurs et chercheurs observent, échangent et capitalisent leurs connaissances. La participation des acteurs est alors au cœur de la démarche qui nécessite l’acceptation des temps d’itération, de réflexion sur les pratiques existantes, et la recherche de modalités optimales d’action. La recherche-action présente donc cet intérêt de ne pas être figée et d’accepter des ajustements, des remises en cause, de nouveaux questionnements qui font évoluer la recherche et proposent de nouvelles pistes d’action (Barbier, 1996). Durant tout le processus, l’observation nourrit les échanges et contribue aux inflexions décidées collectivement. Le changement ici n’est pas décidé à l’avance, il se construit sur la base de la concertation et des controverses nécessaires.

6L’évaluation ne peut alors être assimilée à un rapport d’audit, ni à une expertise, mais relève d’un processus d’accompagnement où le chercheur – l’évaluateur dans notre cas – se trouve en position d’observation participante contribuant à faciliter la distanciation critique, la construction d’espaces d’interprétation qui soient « adogmatiques », et l’appropriation d’outils d’analyse et d’auto-évaluation. Cette posture singulière encourage l’émancipation des acteurs des procédures d’instruction et de contrôle qui viendraient freiner leurs initiatives créatrices. Elle procède d’une démarche cognitive, mais aussi d’une volonté pédagogique. La recherche-action, par sa disposition à l’ouverture à des pratiques innovantes, devient un contexte favorable à l’engagement et à la prise de responsabilité des acteurs. Dans le cas étudié qui nous sert de support ici, cette possibilité a été elle-même encouragée par le Conseil régional qui, très tôt, a inscrit ses recommandations dans une logique d’incitation à la créativité des acteurs.

7Dans cette étude de cas, nous avons rencontré l’adhésion des acteurs, compris celle du commanditaire, à cette démarche, favorisant la liberté d’action sans crainte de l’improbable et de l’incertain, et de convoquer, d’une certaine manière, une multiplicité d’imaginaires pour oser s’orienter vers des solutions nouvelles encore mal documentées. Mais ce contexte impose à l’évaluateur une posture difficile à définir et, par bien des aspects, délicate.

La recherche-action « Trajectoire » en Bretagne

« Trajectoire » est un nouveau dispositif de formation et d’accompagnement du Conseil régional de Bretagne destiné aux demandeurs d’emploi. En construction depuis juin 2007, ce dispositif est inséré dans le programme « Formation tout au long de la vie » de la nouvelle Stratégie Régionale Emploi Formation. La recherche-action qui accompagne sa mise en place vise à tester en vraie grandeur la faisabilité de nouveaux outils et de nouvelles pratiques qui mobilisent les acteurs de l’AIOA (Accueil, Information, Orientation et Accompagnement) et de la formation.
Cette recherche-action a concerné au démarrage trois territoires bretons (trois des 17 pays). Elle s’est déroulée sur une durée d’un an, d’octobre 2007 à aout 2008, avant d’être reconduite pour une nouvelle année. Son principal objectif stratégique est de mettre en place un nouveau dispositif permettant de favoriser l’accès à des formations qualifiantes et à l’emploi durable pour des jeunes et adultes bénéficiaires du dispositif régional d’insertion professionnelle (DRIP). Le cahier des charges initial du Conseil régional, cadre contractuel de référence, propose que s’instaure une nouvelle coordination des acteurs de l’AIOA et des acteurs de la formation. Il définit les objectifs à atteindre, les nouveaux rôles attendus et institue la mise en place d’un « tandem », regroupant sur chaque territoire une mission locale (ML) et un organisme de formation pilote (OFP).
Le principe d’une évaluation chemin-faisant est au centre de cette recherche action, l’évaluateur se trouvant alors en position d’être accompagnateur du processus de changement. Dans ce contexte, l’appui proposé par le centre associé au Céreq de Bretagne (évaluateur retenu) a été de type « créatif » puisqu’il s’agissait d’aider à la conception, à la construction locale, à l’appropriation du nouveau dispositif (Beaupère et Podevin, 2008).

3 – La délicate posture de « l’évaluateur embarqué »

8Dans ce contexte qui encourage les réajustements des actions en situation réelle, l’évaluateur se trouve mis dans une posture singulière. Ainsi, aux caractéristiques propres à une évaluation chemin-faisant, s’ajoutent les caractéristiques d’une recherche-action qui est toujours découverte d’un chemin ne correspondant que très partiellement à ce qui a pu être imaginé ou souhaité par les politiques. L’évaluateur se trouve alors occuper des fonctions d’animateur, de traducteur, d’intermédiaire, de facilitateur…

9Dans le cas étudié, l’évaluation a été posée comme constitutive de la recherche-action. L’incomplétude du projet voulue à son démarrage ne peut conduire à assimiler celui-ci à un dispositif stable pour lequel on chercherait à rendre compte des premiers résultats effectifs ou de l’impact correspondant à l’objectif stratégique. L’évaluateur pris dans ce processus ne présente pas alors un positionnement facilement identifiable pour le porteur du projet : il n’est pas en position d’expert réalisant une sorte de bilan-diagnostic ; il n’est pas non plus un acteur totalement extérieur ni, à l’inverse, un acteur impliqué de façon organique comme peuvent l’être les porteurs du projet. Il convient donc de préciser cette posture que l’on qualifie parfois d’« évaluateur embarqué ». Il apparaît en premier lieu que l’évaluateur, s’il est neutre du point de vue du jugement sur la justesse et la valeur des objectifs stratégiques, ne peut l’être dans ses modes d’intervention dans le déroulement même de l’action où il peut proposer des inflexions après argumentations. De ce point de vue, s’il est en situation d’observation et d’analyse de ce qui se déroule sous ses yeux, notamment durant la phase de mise en mouvement des acteurs, de leur enrôlement, du déploiement de leurs logiques d’action, il doit aussi veiller à ce que ses constats et analyses soient réappropriés par les acteurs eux-mêmes pour infléchir, réorienter certaines pratiques, ou encore pour proposer certains outils. Il n’y a donc jamais parfaite étanchéité entre l’évaluateur et les porteurs du projet.

10Par ailleurs, s’il n’engage pas sa responsabilité sur la pertinence des objectifs ou leur cohérence interne, dont la responsabilité revient aux seuls politiques, l’évaluateur va en revanche se retrouver rapidement en situation de co-construction et de coresponsabilité sur la mise en œuvre des conditions nécessaires pour rendre le dispositif évaluable. Il en est ainsi pour la mise en place d’outils qui vont contribuer à structurer le processus évaluatif. Il s’agit notamment de « l’arbre des objectifs » qui va permettre à l’évaluateur, étant donné son extériorité à la définition du projet, de réinterpréter et de hiérarchiser les différents objectifs stratégiques, intermédiaires et opérationnels ; ou bien encore du « logigramme » qui va représenter et décrire la manière de concevoir l’action, d’établir une chaîne logique de valeurs entre l’appropriation des objectifs opérationnels par les acteurs, et les actions qu’ils envisagent pour y répondre. Ces différents outils, sous l’impulsion de l’évaluateur et dans un accompagnement méthodologique, doivent être co-construits avec les porteurs du projet et les acteurs du sociogramme dans un dialogue et une interaction de nature essentiellement cognitive, où les parties prenantes vont venir justifier leurs choix.

11Si le nouveau dispositif du Conseil régional de Bretagne incitait fortement les acteurs à dépasser les cadres « traditionnels », « conventionnels », de leurs interventions, il s’est rapidement avéré que les changements de pratiques inhérents à la recherche-action nécessitaient un certain nombre de précautions, et surtout qu’ils ne pouvaient se décréter unilatéralement. En effet, les points de tension soulevés par les acteurs et les difficultés propres à toute démarche de changement ont nécessité, de facto, que l’évaluateur se positionne en « facilitateur » des échanges, voire en « traducteur ». Cette opération de « traduction », qui renvoie au travaux de la sociologue de l’innovation (Callon, 1986), est déterminante, qui consiste à transformer une problématique énoncée dans un certain langage, en un énoncé nouveau compréhensible par d’autres acteurs que ceux à l’origine de la commande et du projet. Cette opération de recomposition de l’information, qui repose notamment sur la volonté de construire une « langue commune » comme condition de la coopération entre acteurs, est constitutive du processus d’appropriation et, nous semble t-il, du processus d’évaluation. Il est d’ailleurs possible (souhaitable) d’aller plus loin pour considérer que ce travail sur « une langue commune » entre acteurs du sociogramme passe aussi par un travail de « déconstruction ».

12Cette « déconstruction » (Derrida, 1967) est particulièrement utile lorsque l’on étudie les rapports de pouvoir au sein de la gouvernance. En effet, il n’y a pas de langage sans rapport de pouvoir. Chacun y recoure selon ses propres définitions et en clôture le sens en fonction de son intérêt. La déconstruction tente alors de débusquer ces rapports et de les modifier en considérant que tout acteur peut avoir « voix au chapitre ». Une approche « déconstructionniste » instaure une tension entre des notions qui habitent autant la réalité que les représentations de ce qu’on souhaiterait que fut cette réalité, ou qu’elle devienne. Les processus de changement et d’apprentissage qui opèrent dans le cadre de cette recherche-action s’appuient largement sur ce processus de déconstruction/reconstruction appliqué au cahier des charges et à l’arbre des objectifs opérationnels du projet. Comme tout processus de déconstruction qui se veut stratégique, il s’agit de venir déplacer ou remettre en cause les points de vue, postulats, relations hiérarchiques, présentés explicitement ou implicitement comme une évidence ou comme idéalistes.

13Ces processus, leurs modes d’action, les jeux d’acteurs qui les meuvent se retrouvent dans les démarches de prospective.

4 – La démarche prospective proche du processus évaluatif

14La démarche prospective est aussi, comme celle d’une évaluation dans le cadre d’une recherche-action, un instrument pertinent d’aide à la décision. Ici, le parallèle n’est pas que formel, il est aussi bien réel. Tout simplement parce que l’évaluation telle que nous l’avons définie et pratiquée peut être considérée comme consubstantielle, indissociable, d’une démarche de prospective. Trois postulats au moins rendent compte de cette proximité entre les deux démarches qui peuvent n’en faire qu’une. Le premier, qui concerne le degré de liberté des acteurs, porte à considérer que le chemin à parcourir n’est pas prédéterminé et qu’il est ouvert sur plusieurs futurs possibles. « Le chemin est plus à construire qu’à découvrir », nous dit Gaston Berger. Dans le cadre de l’élaboration d’un projet des espaces de liberté existent dont peuvent se saisir les acteurs, entre les objectifs définis par les politiques et les intentions d’actions devant conduire à des réalisations sur le terrain opérationnel. Ces espaces de liberté sont des espaces d’indétermination qui deviendront progressivement des espaces d’autodétermination (De Jouvenel, 2002). Ici, au mot d’ordre du prospectiviste « projet plutôt que projection », fait écho celui de l’évaluateur embarqué au fil de l’eau « projet plutôt que programme ». Le second postulat relève du domaine de la volonté. La démarche prospective n’a de sens que pour celui qui sait où il veut aller, animé d’une intention, d’une vision du souhaitable. À la volonté stratégique du politique répondent les multiples volontés de l’ensemble des parties prenantes du projet qui cherchent à inscrire leurs contributions individuelles dans un contexte de « vouloir global » (Basle, 2008). Enfin, le troisième postulat concerne le choix d’une temporalité suffisante pour rendre des arbitrages qui soient bien documentés. Pour cela, il convient dans les deux démarches de retenir une temporalité dégagée de l’obsession de la production de résultats de court terme. Dans le domaine des programmes publics, l’horizon « courtermiste » s’impose souvent par le jeu de critères qui privilégient avant tout les chances de réélection des hommes politiques. La prospective comme l’évaluation ne peuvent s’accommoder de cet horizon et de l’injonction à produire sans délai des résultats observables.

15La proximité entre démarche de prospective et démarche d’évaluation de processus se retrouve aussi dans l’éventail large des méthodes mobilisées, d’inspiration pluridisciplinaire, systémique et globale, mariant les approches quantitatives et qualitatives, préférant aux modèles « tout fait » les cheminements incertains et variés à travers des scenarii exploratoires (De Jouvenel, 1999). Ces deux démarches, d’évaluation et de prospective, comme on l’a vu supposent des jeux d’acteurs et des interactions entre eux qui ne peuvent s’accommoder des anciennes gouvernances faites de relations hiérarchiques d’obéissance, de dépendance et de contrôle, mais appellent une autre gouvernance.

5 – Une autre gouvernance

16Rappelons qu’il y a plusieurs méthodologies pour faire passer une innovation sociale ou sociétale. La méthode « top-down », par exemple celle utilisée par l’État français pour sa Révision Générale des Politiques Publiques ; et la méthode « bottom-up » faisant remonter les attentes et les contraintes de faisabilité du terrain. C’est de cette deuxième approche que relève la démarche « Évaluation et accompagnement » d’une recherche-action comme celle sur laquelle nous nous appuyons ici. Mais pour faire reconnaitre le caractère innovant des actions engagées, bien avant même de penser à en évaluer les résultats et impacts, il est indispensable de mettre en place une nouvelle gouvernance.

17Cette nouvelle gouvernance, bien qu’encouragée dans notre exemple par le commanditaire lui-même qui en a fait un des objectifs stratégiques du projet, n’est pas sans venir fissurer des positionnements institutionnels bien installés et généralement peu enclins à abandonner des marges de pouvoir. Pourtant, toute nouvelle gouvernance digne de ce nom remet en cause des modèles politiques où la responsabilité dans la gestion des dispositifs se ferait sous la seule autorité du politique. Elle suppose, à l’inverse, le déplacement des responsabilités vers une pluralité d’acteurs qui deviennent indirectement associés au processus de décision. Cette gouvernance est par définition le cadre des interdépendances qui doit favoriser l’adhésion à l’exécution d’un programme. Elle suppose de redéfinir les rôles d’acteurs en leur reconnaissant une réelle autonomie et la capacité à traiter en complémentarité certaines actions. Elle privilégie les interactions horizontales plus adaptées à la complexité actuelle de l’action collective que des hiérarchies verticales « top-down ».

18Une telle gouvernance peut être multi-niveaux et multi-agents. Dans notre évaluation, elle repose sur un outil conventionnel, le sociogramme des acteurs, qui recense l’ensemble des intervenants concernés par le projet et leurs logiques d’action. Il représente les liens fonctionnels hiérarchiques ou non, qui unissent ces intervenants mus par une même volonté mais des intérêts différents.

19Cette gouvernance ne se décrète pas, elle se construit dans l’action et demande du temps. Elle suppose d’adopter de nouveaux comportements reposant sur la confiance dont on sait qu’elle est rarement spontanée. Une phase d’apprentissage par les acteurs est alors nécessaire. L’autorité publique elle-même se trouve en situation d’expérimenter de nouvelles formes d’intervention, de pilotage et de management, celles là mêmes qui justifient la référence à une nouvelle gouvernance, mais difficile à anticiper dans ses réalisations concrètes. La présence régulière de l’évaluateur sur le terrain, comme tiers embarqué, peut permettre dans cette phase de faire accepter ce temps d’apprentissage comme normale et nécessaire. C’est bien là à nouveau la loi d’une « recherche action ».

6 – Privilégier les processus plutôt que les modèles

20Avoir choisi une recherche-action accompagnée par une évaluation chemin-faisant signifie en principe que le politique exclue d’emblée l’idée de prédétermination du cours des événements et des actions en fonction d’un plan définitivement arrêté et qui aurait été établi d’avance, comme un idéal à réaliser et qu’il faudrait imposer coûte que coûte. C’est en effet le déroulement de la recherche-action qui doit logiquement conduire progressivement à faire émerger les actions, les modalités de leur mise en œuvre et leurs facteurs de réussite.

21On voit toute la portée de cette posture d’évaluation qui est alors moins dans une référence à un rapport de moyens à fins, que dans celle d’un rapport de conditions à conséquences (Julien, 1996 ). Dès lors que l’on ne se focalise plus sur les moyens mais sur les conditions à créer pour faire évoluer la situation, (par exemple, dans l’évaluation du dispositif « Trajectoire », faire évoluer la situation en laissant les acteurs s’imprégner progressivement de la philosophie générale du dispositif et engager des actions de transformation qui ne suscitent pas contre elles de résistance ni de rejet), alors on passe d’une logique de modélisation à une logique de processus. Telle est aussi la véritable stratégie capable de repérer en amont les éléments favorables, porteurs, qu’il s’agira d’exploiter. La crispation sur les seuls objectifs qu’il faudrait tenir jusqu’au bout et atteindre rapidement risque au contraire d’occulter l’importance de l’évaluation, comme repérage, détection et appréciation des facteurs potentiels d’adaptation et de changement, donc de réussite. Il s’agit donc moins d’appliquer ou de projeter que d’anticiper et de se concerter.

22Cette intelligence stratégique suppose notamment de reconnaître l’importance des processus d’adaptation aux contingences locales, plutôt que de construire des formes idéales qui s’imposeraient à tous. Au lieu de dresser un modèle qui serve de norme générale à l’action (comme peut y être tenté une institution politique centralisée), il faut plutôt s’attacher à détecter les facteurs favorables découlant de la spécificité de chaque contexte. Cette condition rejoint le courant de pensée « évolutionnaire » dont l’intentionnalité n’est pas autre chose que d’admettre des comportements dynamiques d’acteurs capables du remaniement permanent des mécanismes de changement.

23Un écart subsistera toujours entre ce qui sera réalisé effectivement et ce qui aura été pensé préalablement pour agir. Cet écart est souhaitable, car il signifie que des espaces de liberté auront bien été laissés aux acteurs dont l’engagement s’accommode mal de cadres dressés d’avance et qui seraient vécus comme trop rigides.

24Le chemin emprunté est rarement connu à l’avance : c’est en cela que la démarche d’évaluation d’une recherche-action rejoint une démarche de prospective. Évaluation et prospective qui deviennent indissociables pour une orientation et un « pilotage » pertinent des programmes. Moment privilégié de confrontations multiples, l’évaluation fonde les visions prospectives qui, parce qu’adossées à une méthode authentiquement participative et émancipatrice, feront leur chemin, imprégneront les acteurs, en évitant de les « forcer » et de risquer le rejet.

Bibliographie

  • Barbier R (1996), La recherche action. Paris, Anthropos.
  • Basle, M. (2008), Suivi et évaluation des politiques publiques et des programmes. Paris, Economica.
  • Beaupère N, Podevin G. (2008), Évaluation et accompagnement de la recherche-action « Trajectoire ». Rapport final. CEREQ Bretagne. Université de Rennes 1.
  • Callon, M. (1986), « Éléments pour une sociologie de la traduction », Année sociologique, vol. XXXVI.
  • Chanut V. (2009), Pour une nouvelle geste évaluative. In S. De Trosa (éd.), Évaluer les politiques publiques pour améliorer l’action publique. Paris, Institut de la gestion publique et du développement économique.
  • De jouvenel H. (1999), « La démarche prospective », Revue Futurible, n° 247.
  • Derrida, J. (1967), L’écriture et la différence. Paris, Seuil.
  • Fouquet A. (2009), L’évaluation des politiques publiques. Concepts et enjeux. In S. De Trosa (éd.), Évaluer les politiques publiques pour améliorer l’action publique. Paris, Institut de la gestion publique et du développement économique.
  • Jullien, F. (1996), Traité de l’efficacité. Paris, Grasset.
  • Viveret P. (1990), Évaluer les politiques et les actions publiques. Paris, La Documentation française.

Mots-clés éditeurs : prospective, management public, gouvernance, recherche-action, évaluation

Date de mise en ligne : 03/05/2011

https://doi.org/10.3917/rpve.501.0055

Notes

  • [1]
    CEREQ / Université de Rennes 1.
  • [2]
    Viveret Patrick (1990), Évaluer les politiques et les actions publiques. Paris, La Documentation française.

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