Notes
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[*]
Daniel ARNOULD est professeur de sciences économiques à l’Université Nancy 2 (France).
-
[1]
Tant que l’option de prise de parole présente de la valeur aux yeux des investisseurs, elle est considérée comme ITM. On rappelle qu’une diminution du prix de l’actif sous-jacent se traduit par une augmentation de la valeur intrinsèque d’un Put ITM, et par une diminution de celle d’un Call ITM.
-
[2]
La composition des échantillons pour chacune des quatre périodes bornées par les dates de publication des enquêtes annuelles est disponible auprès de l’auteur.
-
[3]
Pour les opérations respectant les signaux d’achat : RA = 0,060% ; ?A 2 = 0,017% ; RB = 0,099% ; ?B 2 = 0,028% ; test t de Student non significatif (t = – 0,667). Pour les opérations respectant les signaux de vente : RA = – 0,428% ; ?A 2 = 0,320%; RB = – 0,049% ; ?B 2 = 0,043% ; RA significativement inférieur à RB au seuil de confiance de 97,5% (t = – 2,115).
1Les références analytiques ou factuelles à la notion de gouvernement d’entreprise ( Corporate Governance) se multiplient depuis le début des années quatre-vingt-dix.
2Sur le plan analytique, l’utilisation de la théorie de l’agence a permis d’effectuer de réelles avancées dans l’étude des relations entre les dirigeants et les actionnaires, aux objectifs en partie distincts, et de justifier les mesures destinées à accroître le pouvoir de contrôle des conseils d’administration. Pour autant, certains points importants ne sont pas définitivement tranchés, incertitudes qui ont amené G. Charreaux (1997, p. 422) à « identifier un certain nombre de questions centrales (… ) en vue d’esquisser une théorie du gouvernement des entreprises » et O. Pastré (1994, p. 15) à affirmer qu’un « étrange sentiment d’apesanteur scientifique » entourait le gouvernement d’entreprise. C’est ainsi que les actionnaires peuvent se montrer intéressés exclusivement par des préoccupations de courte période ( short termistes), les amenant à privilégier des projets à rentabilité immédiate. « Les coûts cachés du Corporate Governance risquent avec le temps d’apparaître élevés » conclut Michel Albert (1994, p. 13).
3Sur le plan factuel, le 10 juillet 1995 est publié en France, momentanément dans l’indifférence générale, un document qui s’avérera être à l’origine d’une petite révolution : le rapport d’un groupe de travail, constitué à l’instigation de l’Association française des entreprises privées et du CNPF, présidé par Marc Viénot (alors Président de la Société Générale) pour se pencher sur les moyens d’améliorer le fonctionnement des conseils d’administration des sociétés françaises co-tées. Le rapport Viénot préconise la création, au sein de chaque conseil d’administration, de plusieurs Comités (respectivement d’audit ou des comptes, des rémunérations, de sélection des administrateurs, des actionnaires) chargés de veiller notamment à l’indépendance des administrateurs relativement à la direction et au traitement égalitaire des actionnaires.
4Dans cet article nous voudrions apporter une contribution à l’édification de la théorie du gouvernement d’entreprise en étudiant un point précis : l’impact en France, sur le comportement des investisseurs, des informations portées à la connaissance du marché concernant le respect, par les sociétés cotées, de tout ou partie des recommandations du rapport Viénot. Le soubassement théorique de notre démarche est constitué par un prolongement du modèle « Exit, Voice » de Hirschman (1995) dont nous présentons une lecture optionnelle. Nous effectuons ensuite une vérification empirique par une étude du comportement boursier des titres des grandes sociétés françaises, à la Bourse de Paris, de septembre 1995 à juillet 1999.
1 LE SOUBASSEMENT THÉORIQUE : LE MODÈLE « EXIT, VOICE » DE HIRSCHMAN
5Nous nous proposons ici de transposer le modèle de Hirschman au domaine boursier puis de mettre en évidence analytiquement l’existence d’une option de prise de parole intégrée à l’action des entreprises qui se conforment aux recommandations du rapport Viénot.
A Transposition du modèle « Exit, Voice » au domaine boursier
6Selon Hirschman, les clients d’une entreprise, les adhérents d’une institution ont essentiellement deux possibilités de réaction lorsqu’ils sont mécontents de la qualité des prestations fournies ou des choix stratégiques des dirigeants : la défection ou la prise de parole. De telles considérations sont transposables, avec quelques modifications, au domaine boursier; Hirschman nous invite d’ailleurs à le faire en abordant lui-même brièvement la question (1995, p. 79) pour expliquer combien est préjudiciable, à ses yeux, dans l’optique d’un redressement d’une société en difficulté, la réaction des actionnaires qui choisissent la défection par la vente des titres plutôt que la prise de parole. Charreaux (1997, p. 453) généralise ce point de vue : l’instauration dans l’entreprise de mécanismes facilitant la prise de parole par tous les partenaires de l’entreprise, et non par les seuls actionnaires, est de nature, explique-t-il, à faire jouer au gouvernement d’entreprise un rôle préventif des défaillances.
7L’insatisfaction des actionnaires d’une société provient généralement d’une insuffisante performance du titre. Ils ont alors le choix entre un plus grand nombre de stratégies actives que ne l’envisage Hirschman. En effet, d’une part, la défection de l’investisseur peut être seulement partielle (il ne liquide qu’une partie de sa position sur le titre considéré); d’autre part, il a la faculté simultanément de prendre la parole, lors d’une assemblée générale annuelle, ou de se plaindre auprès de diverses institutions : la société elle-même, la presse financière, la Commission des Opérations de Bourse, les tribunaux, des associations spécialisées dans la défense des actionnaires….
8L’exemple du fonds de pension américain CalPERS (the California Public Employees’ Retirement System ), leader en matière d’activisme des actionnaires aux USA, en constitue une illustration parfaite. CalPERS renonce généralement, au moins dans un premier temps, à se débarrasser des titres des sociétés à ses yeux mal gérées; bien plus, il n’hésite pas à entrer dans le capital de sociétés à faible performance boursière; dans les deux cas, CalPERS va jusqu’à menacer de rendre publiques leurs déficiences organisationnelles si les sociétés refusent de mettre en application des réformes allant dans le sens du gouvernement d’entreprise. Cette stratégie, lorsqu’elle débouche sur un accord avec les dirigeants des sociétés défaillantes, se traduit par un redressement du cours boursier de leurs titres et rapporte à CalPERS 5 à 6 fois plus qu’elle ne lui coûte (Smith 1996, Maati 1999, p. 174).
B Une option de prise de parole intégrée aux actions
9On sait qu’une action est composée d’un certificat d’investissement, qui permet de prétendre à la perception d’un dividende, et d’un certificat de droit de vote. À ces deux composantes d’une action, éventuellement cotées séparément lorsque le titre est démembré, nous proposons d’ajouter une option de prise de parole dont la valeur est incluse dans le cours du titre.
10L’on peut préciser sa nature en distinguant deux sociétés A et B, absolument identiques (en termes de productivité, de rentabilité, de risque de l’activité… ) sauf sur un point : par hypothèse, la société A, et elle seule, se conforme aux recommandations du rapport Viénot. Cela signifie qu’un Comité des actionnaires y est régulièrement consulté, que le conseil d’administration exerce tous ses pouvoirs.
11L’on suppose bien sûr que les investisseurs accordent une réelle importance à cette possibilité qui leur est donnée de prendre la parole dans la société A.
12Dès lors la valeur intrinsèque de l’option de prise de parole est mesurable, indirectement, par différence entre le cours boursier du titre de la société A et celui de la société B, une différence qui évolue au gré de la conjoncture boursière.
13C’est ainsi que la survenue d’une période de diminution générale des cours boursiers provoque un mécontentement chez les actionnaires de la société A et de la société B.
14Certains des investisseurs auront fait défection, élément explicatif de la baisse du cours des titres; d’autres, les individus loyalistes, attachés aux sociétés émettrices, auront conservé leurs actions; l’on peut supposer qu’ils sont plus nombreux dans la société A que dans la société B en raison du comportement des dirigeants de la première à l’égard des petits actionnaires. Sont également susceptibles de conserver leurs titres les actionnaires de la société A accordant de l’importance à l’option de prise de parole, car son exercice leur permettra peut-être d’obtenir la distribution d’un pourcentage plus conséquent des bénéfices ou une offre publique de rachat d’actions susceptible de provoquer un redressement partiel du cours du titre par effet relutif.
15Pour toutes ces raisons, dans cette première phase de baisse de la bourse, le titre A est moins affecté par la déception boursière que le titre B, c’est une bonne valeur défensive; la valeur intrinsèque de l’option de prise de parole, mesurée par l’écart de cours entre les titres des deux sociétés, augmente. Ainsi l’option de prise de parole se comporte-t-elle comme un Put [1].
16Que l’on ne se trompe pas au demeurant sur le sens de la relation. Ce n’est pas l’évolution relative des cours boursiers des deux sociétés qui fait varier la valeur intrinsèque de l’option de prise de parole. C’est au contraire la modification de la valeur intrinsèque de l’option de prise de parole qui explique la différence dans l’évolution des cours boursiers.
17Dans une deuxième phase, prolongée, de baisse de la bourse, ou lors d’un krach boursier, il est raisonnable de penser que les considérations de mimétisme et de recherche de la liquidité l’emportent sur le désir de prendre la parole; la défection des actionnaires de la société A se généralise; la valeur intrinsèque de l’option diminue et accentue la chute du cours du titre. Ainsi le titre A, valeur défensive désormais de qualité particulièrement médiocre, subit-il la crise plus que B; le Put est désactivé, l’option de prise de parole est devenue un Call.
18Ces raisonnements nous semblent réversibles dans l’hypothèse d’une hausse du cours des titres, ce qui permet de prolonger à nouveau le modèle de Hirschman, cette fois aux situations de prospérité. En effet, les cours étant bas, au creux d’un cycle long et ample ou à la suite d’un krach, l’option de prise de parole est sans valeur. Les actions de la société A seront donc particulièrement attractives en début de mouvement haussier puisque, parmi les actionnaires potentiels, se trouvent des agents qui s’avéreront intéressés par l’option de prise de parole. Celle-ci est un Call dont la valeur intrinsèque augmente avec le cours des titres. Dans cette phase, les titres A constituent de très bonnes valeurs offensives (meilleures que les titres B). En revanche la prolongation de la hausse des cours est susceptible d’accroître a priori la satisfaction des actionnaires de la société A, de nature à réduire leur désir de prendre la parole; ceci devrait donc diminuer la valeur intrinsèque de l’option et l’avantage comparatif dont bénéficie le titre A. L’option de prise de parole est devenue un Put, le Call étant désactivé, tandis que le titre A n’est plus qu’une valeur offensive de qualité modeste (par rapport au titre B).
19Au total nous considérons qu’au cours du titre de la société A sont intégrées deux options réelles à barrière momentanément désactivante : la première est un Put qui prévaut lorsque les cours sont élevés ou relativement élevés (Put up and in, down and out); la seconde est un Call, en période de cours bas (Call up and out, down and in). Quant au titre A lui-même, il est une bonne valeur offensive en début de phase haussière et une bonne valeur défensive lorsque s’amorce une baisse. Il constitue alors le meilleur placement. Mais il n’est ni une bonne valeur offensive si la hausse des cours s’amplifie, ni une bonne valeur défensive pendant un krach ou une dépression longue.
20Nous nous proposons à présent de tester empiriquement ce modèle, sur la Bourse de Paris, de 1995 à 1999.
2 UNE ÉTUDE EMPIRIQUE DES COURS BOURSIERS À PARIS ( 1995 – 1999 )
21D’un point de vue méthodologique, notre souci a été de discerner des sociétés de type A, adoptant l’essentiel des recommandations du rapport Viénot, et des sociétés de type B, ne les appliquant pas. Au niveau des résultats, nous montrons qu’il y a une assez forte présomption d’attachement de certains investisseurs à l’option de prise de parole dans les sociétés.
A La méthodologie
1 Les critères de détermination des sociétés de type A et de type B
22Nous utilisons ici une enquête extrêmement détaillée, fondée sur une méthodologie sérieuse, réalisée à quatre reprises par Le Nouvel Economiste, et publiée en septembre 1995 (quelques mois après la parution du rapport Viénot), en juin 1996, en juillet 1997 et en juillet 1998 auprès des 50 plus grandes sociétés françaises en termes de capitalisation boursière (une fois écartées les filiales de certaines d’entre elles).
23Quatre critères font l’objet d’une notation par des experts pour établir le classement des sociétés au regard de l’introduction du gouvernement d’entreprise : la qualité du travail des conseils d’administration et leur influence sur la stratégie de l’entreprise, le respect par les entreprises de leurs actionnaires minoritaires, la rentabilité moyenne à moyen terme des capitaux propres, et enfin la performance à moyen terme des placements des actionnaires.
24L’on appellera « sociétés de type A » et « sociétés de type B » respectivement celles qui occupent les meilleures et les moins bonnes positions dans le classement. Dans notre étude, compte tenu de son objet spécifique, nous écartons cependant les critères de rentabilité des capitaux propres et de performance des placements, qui risqueraient d’introduire un biais dirimant dans l’échantillon A, composé dès lors de sociétés a priori plus rentables ou aux titres plus attractifs pour les actionnaires, du moins dans le passé, que celles de l’échantillon B. Or nous cherchons à construire des échantillons de sociétés qui ne se différencient que par l’existence ou non d’une option de prise de parole.
2 La construction des échantillons A et B et le calcul des indices correspondants
25Chacun de nos échantillons comprend 12 sociétés.
26Ce choix s’explique par la recherche d’un équilibre entre deux considérations :
- la volonté de supprimer une partie substantielle du risque spécifique, c’est-à-dire de la variance de la rentabilité des indices qui serait imputable au risque
spécifique des titres qui les composent; ceci conduit à augmenter la taille des
échantillons. Avec 12 titres, l’on réduit ce risque de 91,5% (Jacquillat et Solnik,
1990 p. 102). - le souci de conserver une nette différenciation entre les deux échantillons qui comprennent ici le premier et le dernier quartile de la population, c’est-à-dire les 12 sociétés (indices A) offrant les meilleures possibilités de prise de parole à leurs actionnaires et les 12 sociétés se situant en fin de classement de ce point de vue (indices B). [2]
27Ont alors été établis autant d’indices boursiers A et B que de périodes; ils sont calculés sur la base des cours de clôture quotidiens, mis également en indices, des sociétés les composant (source des données brutes : Datastream). Cette décision de recourir à des indices non pondérés par les capitalisations boursières s’explique par notre souci d’éviter une influence excessive, sur l’indice global, de l’évolution spécifique du titre d’une société à très grosse capitalisation. Ceci ne présente pas d’inconvénient dans la mesure où notre optique n’est pas d’effectuer des rapprochements de performance avec l’indice CAC 40.
B Les résultats
1 L’analyse globale : l’option de prise de parole, un signal de bonne gestion des sociétés
28Le 1er juillet 1999 l’indice A – base 100 le 8 septembre 1995 – se situe à 9,2% au-dessus de l’indice B de base identique. Cette différence de performance sur l’ensemble de la période d’investigation nous parait remarquable pour deux raisons.
29D’abord elle est entièrement réalisée du 28 juin 1996 au 2 juillet 1997, après la publication de la seconde enquête. Or la dernière semaine de juin 1996 est marquée par une véritable révolte des petits actionnaires qui se manifeste pendant les assemblées générales (de la Compagnie d’Investissement de Paris, du Crédit Foncier, de la société Eurotunnel… ), dans la presse et dans les prétoires. Les investisseurs ont pu alors prendre conscience, avec retard, de l’intérêt du rapport Viénot et saluer les sociétés ayant adopté ses recommandations. D’ailleurs, l’année 1997 est généralement considérée comme étant celle de l’élan en matière de pratique du gouvernement d’entreprise par les sociétés (La Tribune du 3 octobre 1997).
30Toujours est-il qu’un test de différences de moyennes (test de Student), effectué pour cette période sur le taux de rendement moyen quotidien des valeurs composant l’indice A (RA = 0,127%, ?2A = 0,0694%) et des valeurs composant l’indice B (RB = 0,0599%, ?2B = 0,0808%), permet de conclure à la supériorité significative du premier au seuil de confiance de 95% (T = 2,1). Le test de rang de Wilcoxon, Mann et Whitney aboutit à des résultats similaires, le rejet de l’hypothèse d’égalité des performances globales des titres des sociétés composant les deux indices, au seuil de confiance de 95% (Z = 1,91).
31Ensuite aucune supériorité systématique de la performance de l’indice A n’est décelée en appliquant aux échantillons de la période I une analyse identique, sur l’année qui précède la publication de la première enquête; c’est même la situation inverse qui est constatée : du 17 novembre 1994 (date à partir de laquelle sont disponibles les cours de la société Renault) au 7 septembre 1995, la progression de l’indice A est très légèrement inférieure (de 2,8%) à celle de l’indice B. Ceci nous permet d’écarter l’interprétation selon laquelle ce sont les sociétés de toute manière les plus efficientes qui ont appliqué les recommandations du rapport Viénot et de présumer approximativement identiques en moyenne les populations des deux échantillons.
32Au total, nous considérons que les investisseurs n’ont pas été indifférents, au moins pendant la deuxième période, à l’effet de signalisation imputable à la publicité faite autour des sociétés leaders du point de vue du gouvernement d’entreprise, phénomène très profitable à l’image de marque de ces dernières. Cette conclusion est confirmée par une enquête effectuée aux USA auprès de 100 investisseurs institutionnels, selon laquelle ceux-ci seraient « prêts à payer une prime de 11% pour les sociétés faisant état de bonnes pratiques de gouvernement d’entreprise » (Nothomb et Caprasse, 1998 p. 78), résultat similaire au nôtre. En outre, une étude d’événement réalisée en France montre que l’annonce de la mise en place, dans les sociétés françaises, de Comités Viénot est favorablement accueillie par les marchés (Genaivre 1998). D’ailleurs les fonds éthiques qui se développent en France incluent fréquemment, dans leurs critères, le gouvernement d’entreprise.
33Examinons à présent si les investisseurs vont jusqu’à considérer l’option de prise de parole comme un véritable produit synthétique optionnel.
2 L’analyse par phase du cycle boursier : une validation incomplète du modèle théorique optionnel
34Le tableau 1 (en annexe) permet de comparer la performance des indices A et B dans différentes phases significatives du cycle boursier, d’amplitude supérieure à 1%, repérées grâce à un filtrage de la série de l’indice CAC 40 (cours de clôture quotidiens), par une moyenne mobile à 20 jours. Celle-ci correspond approximativement à la durée d’un mois boursier; elle est fréquemment utilisée par les investisseurs sur le marché à règlement mensuel parisien (Béchu et Bertrand, 1992 p. 173).
35Pendant les périodes de baisse modérée de la bourse aI, aII, cII, bIII, dIII, dIV, on devrait constater une rigidité à la baisse de l’indice A relativement à B, liée à l’augmentation de la valeur intrinsèque de l’option de prise de parole par les actionnaires, mécontents. Cette rigidité à la baisse, conforme à notre modèle théorique, est effectivement constatée à quatre reprises sur six. La période bIV, de juillet à octobre 1998, est plus complexe à analyser dans la mesure où prévaut certains jours une ambiance de krach boursier, imputable à la crise financière russe, sans qu’il y ait à proprement parler de krach boursier. Il est donc compréhensible que, comme précédemment, les titres de l’échantillon A résistent un peu mieux à la baisse que ceux de l’échantillon B, celle-ci n’ayant été ni suffisamment ample, ni suffisamment longue pour que l’option de prise de parole devienne un Call dont la valeur intrinsèque diminue avec le cours des titres.
36En l’absence de krach boursier pendant la période étudiée, réciproquement, toutes les phases de hausse devraient voir l’option de prise de parole se comporter comme un Put, sa valeur intrinsèque décroissant à mesure que les cours augmentent, que le désir de prendre la parole des actionnaires, satisfaits, diminue.
37Ceci devrait faire des titres de l’échantillon A de médiocres valeurs offensives, relativement à B, phénomène qui n’est vérifié qu’à trois reprises sur huit.
38Au total, notre sentiment est mitigé au terme de cette analyse par phase du cycle boursier; les titres de l’échantillon A semblent constituer certes de bonnes valeurs défensives, mais aussi de bonnes valeurs offensives relativement aux titres appartenant à l’échantillon B, de sorte que notre modèle théorique optionnel n’est validé qu’incomplètement.
39Pourtant le critère de l’attribution, ou non, d’une option de prise de parole permet déjà de faire une partition pertinente entre les titres.
3 L’analyse en termes de signaux d’achat et de vente : un retour au modèle théorique optionnel
40L’analyse est menée ici en termes de signaux d’achat et de vente que connaissent bien et que respectent de nombreux investisseurs (Béchu et Bertrand 1992 p. 178).
41Ces derniers achètent, suppose-t-on, les titres composant l’indice A (de même ceux de l’indice B) pour fermer leur position courte éventuelle et ouvrir une position longue sur ces titres, lorsque la valeur de l’indice A (respectivement de l’indice B) traverse l’enveloppe haute (à 102%) de la moyenne mobile à 20 jours de l’indice concerné. Ils les vendent au contraire pour fermer leur position longue et ouvrir une position courte lorsque la valeur de l’indice A (de l’indice B) traverse l’enveloppe basse (à 98%) des mêmes moyennes mobiles.
42Le raisonnement, dicté par le modèle théorique optionnel, est alors le suivant :
si aucun investisseur n’accorde une quelconque importance à l’option de prise de
parole, les deux performances globales relatives aux opérations réalisées sur les
titres A et sur les titres B, en respectant les signaux d’achat et de vente, n’ont
guère de raison d’être très différentes. Supposons à présent au contraire que certains d’entre eux prennent l’option de prise de parole en considération; de ce fait
ils n’acquerront pas forcément les titres A lorsque le signal d’achat les invite à le
faire, sauf après un krach boursier, car ils constituent à leurs yeux de médiocres
valeurs offensives, pas plus qu’ils ne s’en débarrasseront forcément en présence
d’un signal de vente, à moins qu’ils anticipent un krach boursier, puisqu’ils les
considèrent comme de bonnes valeurs défensives. Dans ces conditions, le cours
des titres A qu’achètent les autres investisseurs monte moins, le cours des titres A
vendus diminue moins que celui des titres B et la rentabilité des opérations sur les
titres A devrait être significativement inférieure à celle des titres B.
43Dans le tableau 2 (en annexe) sont calculées les performances des deux catégories de titres, sur des périodes déterminées par les dates d’achat et de vente.
44La rentabilité moyenne quotidienne des 30 opérations menées sur les titres composant l’indice A est RA = – 0,184% (?A 2 = 0,225%); celle des 22 opérations sur les titres composant l’indice B est RB = + 0,025% (?B 2 = 0,04%). On constate que, pour ce qui concerne l’indice A, une gestion fondée sur le repérage de signaux d’achat et de vente selon les critères explicités précédemment conduit à une rentabilité négative; c’est la preuve que nombre d’investisseurs n’en ont cure, à l’inverse des signaux afférents à l’indice B. Ainsi le test de Student réalisé révèle-t-il que RA est significativement inférieure à RB au seuil de confiance de 95% (t = – 1,94).
45Une analyse plus détaillée, avec des calculs menés séparément sur les signaux d’achat et de vente, montre que ce sont ces derniers qui ne sont pas respectés;
46ceci conforte le statut de bonnes valeurs défensives des titres appartenant à l’indice A [3]. De tels résultats sont cohérents avec les enseignements de notre modèle théorique optionnel.
3 CONCLUSION
47Dans cet article, nous avons montré que les investisseurs présents à la Bourse de Paris semblaient accorder une attention particulière aux sociétés françaises co-tées leur ayant conféré, à travers l’application des dispositions du rapport Viénot, un droit à la prise de parole dans le fonctionnement interne de l’entreprise. Cet intérêt se traduit par une meilleure performance des titres de ces sociétés, notamment lorsque le gouvernement d’entreprise y apparaît particulièrement attractif, ainsi que par un comportement spécifique des investisseurs à l’égard de ces valeurs, de bonne qualité défensive. Cependant les enseignements les plus intéressants de notre modèle théorique, liés à l’existence de deux options réelles, un Call et un Put, à barrière désactivante, n’ont pas pu être complètement confirmés.
48Ces conclusions d’une première exploration sont évidemment spécifiques, d’une part, de la Bourse de Paris et, d’autre part, de la période étudiée. Il n’est pas impensable qu’une étude identique menée sur la Bourse de New-York aboutisse à des résultats plus proches de notre modèle théorique, les investisseurs institutionnels américains, très sourcilleux sur le respect dû aux actionnaires minoritaires, ayant sans doute une attitude plus discriminante, de ce point de vue, à l’égard des sociétés que bien des investisseurs français. Peut-être également le comportement de ces derniers est-il appelé à se modifier progressivement à mesure que la culture du Corporate Governance se répand en France, comme semble en attester la publication, en juillet 1999, du « second rapport Viénot » appelant les entreprises à faire état, dans leurs publications annuelles, de leurs progrès en matière de gouvernement d’entreprise. Dans la résolution du dilemme défection – prise de parole, CalPERS montre-t-il la route à suivre ?
ANNEXE:
Performances comparées des indices A et B dans les
Performances comparées des indices A et B dans les
performance des titres de l’indice A et de l’indice B
performance des titres de l’indice A et de l’indice B
Bibliographie
RÉFÉRENCES
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- NOTHOMB P. et CAPRASSE J.N. (1998), « Evolution du Corporate Governance en Europe : étude comparative », Reflets et Perspectives de la vie économique, 3ème trimestre.
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- SMITH M. (1996), « Shareholder Activism by Institutional Investors : Evidence from CalPERS ». The Journal of Finance, mars pp. 227 – 252.
Notes
-
[*]
Daniel ARNOULD est professeur de sciences économiques à l’Université Nancy 2 (France).
-
[1]
Tant que l’option de prise de parole présente de la valeur aux yeux des investisseurs, elle est considérée comme ITM. On rappelle qu’une diminution du prix de l’actif sous-jacent se traduit par une augmentation de la valeur intrinsèque d’un Put ITM, et par une diminution de celle d’un Call ITM.
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[2]
La composition des échantillons pour chacune des quatre périodes bornées par les dates de publication des enquêtes annuelles est disponible auprès de l’auteur.
-
[3]
Pour les opérations respectant les signaux d’achat : RA = 0,060% ; ?A 2 = 0,017% ; RB = 0,099% ; ?B 2 = 0,028% ; test t de Student non significatif (t = – 0,667). Pour les opérations respectant les signaux de vente : RA = – 0,428% ; ?A 2 = 0,320%; RB = – 0,049% ; ?B 2 = 0,043% ; RA significativement inférieur à RB au seuil de confiance de 97,5% (t = – 2,115).