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Article de revue

Le cinéma de l’humilité : un imaginaire environnemental cinématographique

Pages 93 à 104

Notes

  • [1]
    Docteur en Arts et Sciences en Arts, Estelle Bayon soutiendra à l’automne une thèse intitulée « Visions du monde en présence de la terre dans les cinémas contemporains. Vers une esthétique de l’humilité », à l’université Paris 1-Panthéon-Sorbonne, où elle a enseigné.
  • [2]
    E n cela proche de la conception emersonienne : « La Nature, dans son sens commun, renvoie aux essences que l’homme ne peut altérer : l’espace, l’air, le fleuve, la feuille ». R. W. Emerson, « Nature », dans Essais, trad. de l’anglais par A. Wicke, Paris, Michel Houdiard éd., 2010, p. 16.
  • [3]
    G. Sadoul, L’Invention du cinéma 1.1832-1897, Paris, Denoël, 1948, p. 288 et p. 290.
  • [4]
    Comme La Terre de Dovjenko, Farrebique de Rouquier, ou l’avant-garde française des années 1920, passionnée par le motif aquatique ; voir à ce sujet la riche étude d’E. Thouvenel, Les Images de l’eau dans le cinéma français des années 20, Rennes, PUR, coll. « Le Spectaculaire », 2010.
  • [5]
    C’est là ce que Sandro Bernardi résume comme le passage du « panorama squelettique du monde », premières vues sur le monde, au « temps des jeux » où le raconter vient perturber le montrer, puis au « temps des mythes » dans lequel le cinéma classique réalise la pleine intégration diégétique du paysage en contrôlant l’espace. Voir S. Bernardi, Antonioni, Personnage paysage, Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes, coll. « Esthétiques hors cadres », 2006, p. 23-27.
  • [6]
    On notera que cette présence se fait d’ailleurs tant dans les films eux-mêmes qu’au sein de la théorie du cinéma, faisant pleinement entrer le septième art dans ce que, en 1989, le géographe californien Edward Soja a nommé le spatial turn, le tournant spatial, pour désigner l’attention croissante portée par les sciences humaines et les arts à l’espace depuis la fin des années 1960 (E. Soja, Postmodern Geographies : The Reassertion of Space in Critical Social Theory, London, Verso Press, 1989).
  • [7]
    M. Collot, La Matière-émotion, Paris, PUF, 1997.
  • [8]
    « Car, si “c’est la terre qui s’en va”, selon la formule d’Yves Bonnefoy, n’est-ce pas notre condition de “terriens” qui se trouve elle-même menacée ? » J.-Cl. Pinson, Habiter en poète. Essai sur la poésie contemporaine, Seyssel, Champ Vallon, 1995. p. 66.
  • [9]
    « Je pense qu’une réponse s’impose : la terre même, sur laquelle nous tentons de vivre, et sans laquelle il n’y a pas de monde vivable. À la base du mot monde, comme à celle du mot cosmos, on trouve la notion de beauté et de fertilité. […] Or, un monde, c’est ce qui émerge du rapport entre l’esprit et la terre. Quand ce rapport est inepte et insensible, on n’a, effectivement que de l’immonde. […] Le travail géopoétique viserait à explorer les chemins de ce rapport sensible et intelligent à la terre, amenant à la longue, peut-être, une culture au sens fort du mot », K. White, Le Plateau de l’Albatros. Introduction à la géopoétique, Paris, Grasset, 1994, p. 25.
  • [10]
    André du Bouchet évoque son désir de « copier la terre » et d’atteindre la banalité, (cité par Jean-Claude Pinson, op. cit., p. 101) ; Bonnefoy parlait d’un « devoir de trivialité » (« La poésie française et le principe d’identité », dans L’Improbable, Mercure de France, 1992 [nouvelle éd.], p. 268).
  • [11]
    S. Kracauer, Théorie du film. La rédemption matérielle de la réalité matérielle (Theory of film. The Redemption of Physical Reality), trad. de l’anglais par D. Blanchard et Cl ; Orsoni, Paris, Flammarion, 2010, p. 416.
  • [12]
    « [L]e remède à cette propension à l’abstraction qui menace les esprits soumis à l’influence de la science, c’est l’expérience – l’expérience des choses dans ce qu’elles ont de concret », ibid., p. 419.
  • [13]
    Ibid., p. 421. Nous soulignons.
  • [14]
    Voir M. Weber, L’Éhique protestante et l’esprit du capitalisme [1904-1905], Paris, Plon, 2007 ; et M. Gauchet, Le Désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion, Paris, Gallimard, 1985.
  • [15]
    « L’homme moderne […] a un dilemme à résoudre : soit continuer son existence de consommateur aveugle, soumis aux progrès impitoyables des technologies nouvelles et de l’accumulation de biens matériels, soit trouver la voie vers une responsabilité spirituelle, qui pourrait bien s’avérer à la fin une réalité salvatrice non seulement pour lui-même mais pour la société tout entière », A. Tarkovski, Le Temps scellé, Paris, Cahiers du cinéma, coll. « Petite Bibliothèque des Cahiers du cinéma », 2004, p. 251.
  • [16]
    « Pour moi le ciel est vide », A. Tarkovski, « Andreï Tarkovsky parle de son film », dans Andreï Roublev, Les Éditeurs Français Réunis, 1970, p. 18.
  • [17]
    Contrairement au baptême catholique qui se contente de l’effusion, le baptême orthodoxe se pratique par l’immersion. Charnelle et terrienne, l’œuvre tarkovskienne l’est peut-être aussi parce que la mystique russe n’est pas celle du catholicisme effrayé par la nature et par le corps ; chez les orthodoxes, on vénère le Créateur à travers sa création.
  • [18]
    F. Ponge, « La Terre », dans Pièces [1961], Paris, Gallimard, 2001.
  • [19]
    « Il y a quelque chose qui n’a peut-être existé que dans le cinéma soviétique […] : l’imaginaire matériel. L’art de se tenir au plus près des éléments, des matières, des textures, des couleurs. […] Cet imaginaire matériel (lié, sans doute, à une tradition religieuse et porté par le dogme orthodoxe) est une des voies que le cinéma semble abandonner », S. Daney, « Sayat Nova », dans Ciné journal. Volume 1 / 1981-1982, Éditions Cahiers du cinéma, 1998, p. 116.
  • [20]
    Ibid.
  • [21]
    G. Bachelard, L’Eau et les rêves. Essai sur l’imagination de la matière, Paris, José Corti, 1942.
  • [22]
    Maître Eckhart, Sur l’humilité, trad. du moyen allemand et du latin par Alain de Libera, Paris-Orbey, Arfuyen, 1988.
  • [23]
    Lc 14,11 ; Lc 18,14 ; Mt 23,12.
  • [24]
    J.-L. Chrétien, « Une liberté paradoxale », dans L’Humilité. La Grandeur de l’infime, Paris, Autrement, 1992, p. 45.
  • [25]
    S. Kracaeur, op. cit., p. 435.
  • [26]
    Y. Bonnefoy, « Lettre à John E. Jackson », dans Entretiens sur la poésie, Paris, Mercure de France, 1990, p. 104 et p. 112 (cité par J.-Cl. Pinson, op. cit., p. 116).
  • [27]
    Y. Bonnefoy, « Entretiens avec Bernard Falciola », dans Entretiens sur la poésie, op. cit., p. 29 (cité par Jean-Claude Pinson, op. cit., p. 116).
  • [28]
    R. Bresson, Notes sur le cinématographe, Paris, Gallimard, 1995, p. 62-63. Nous soulignons.
  • [29]
    Il s’agit ici « de séparer le moment de la perception cinématographique de celui de l’élaboration du récit, de transmettre d’abord une sensation, de produire un affect, avant que ceux-ci ne se transforment en significations, en récit », J.-L. Provoyeur, Le Cinéma de Robert Bresson. De l’effet de réel à l’effet de sublime, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 255-256.
  • [30]
    « Il suffit d’abaisser notre prétention à dominer la nature et d’élever notre prétention à en faire physiquement partie pour que la réconciliation ait lieu », F. Ponge, Le Grand Recueil, Paris, Méthodes, 1961, p. 197.
  • [31]
    G. Bachelard, La Poétique de l’espace [1957], Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2005, p. 151.
  • [32]
    Ibid., p. 150.
  • [33]
    Sandro Bernardi, op. cit., p. 15.

Retour de la nature dans le cinéma contemporain

1L’objet de cet article émane d’un constat simple : la nature, que j’entendrai ici, en ayant conscience de la richesse sémantique du terme, dans son sens commun d’environnement inaltérable [2], tellurique et végétal, qui sert de cadre de vie à l’espèce humaine, fait un retour remarquable sur les grands écrans du monde depuis une vingtaine d’années.

2Plus spécifiquement, c’est à travers une attention nouvelle et intense pour la matière du monde que s’impose désormais la présence de la nature : pesanteur de la boue et légèreté de la poussière, murmure végétal, concrétude du champ, bruissement d’herbe et de feuillage, texture de la plaine, etc. Une terre ordinaire, sans exotisme, dans des films ancrés dans la vie quotidienne ou centrés sur quelques instants banals, où le récit se trouve suspendu. Un ensemble croissant de films s’immerge ainsi pleinement dans l’environnement en s’efforçant de renouer avec le monde sensible comme s’il s’agissait de retrouver l’élémentaire, à double sens – l’élément et le rudimentaire –, pour habiter le monde.

3Ces cinéastes, qui travaillent totalement indépendamment l’un de l’autre, sont de plus en plus nombreux depuis les années 1980, et émergent un peu partout dans le monde. Leur caméra peut regarder intensément et longuement le paysage, délaissant tout récit, jusqu’à en faire ressortir sa densité matérielle, à l’exemple des longs plans-séquences boueux de Sátántangó du hongrois Béla Tarr, des tableaux-forêt de Paz Encina dans Hamaca Paragauya, ou encore des larges panoramiques mutiques de Bruno Dumont dans le Nord de la France. Plus rapprochés, les plans de Lisandro Alonso suivent dans La Libertad une journée de la vie d’un bûcheron dans la Pampa, pour qui le contact avec la nature est moins contemplatif, plus brut. Souvent, la caméra accompagne les corps et gestes, tendres ou brutaux, de personnages qui touchent la terre, humide ou sèche, s’y jettent ou la caressent d’une main voire de leur corps entier ; c’est le cas dans La Vie de Jésus, de Bruno Dumont, dans la japonaise Forêt de Mogari filmée par Naomi Kawase tel un temple végétal, dans Les Gens de la rizière, où Rithy Panh dévoile la vie de paysans cambodgiens, ou encore dans Le Goût de la cerise, de l’iranien Abbas Kiarostami, dans lequel un homme n’aspire qu’à redevenir poussière.

4Parfois, la caméra elle-même vient frôler ou toucher le végétal, oubliant la vue d’ensemble du paysage, épousant le point de vue de l’herbe et abandonnant celui plus anthropocentrique de la caméra classique. Là encore, les exemples sont nombreux et variés : avec Maria, Alexandre Sokourov signe une sorte de biographie tellurique d’une paysanne russe, dans laquelle les images s’immergent dans les champs pour souligner ce lien intense qui unit Maria à son environnement ; Honor de Cavalleria, adaptation de Don Quichotte par le catalan Albert Serra, transforme le récit d’aventures en une expérience mutique et sensible de la nature, constamment à hauteur d’herbe ; Terrence Malick, exception américaine, n’hésite pas à suspendre son récit guerrier pour s’attarder sur la matière du monde, épousant le point de vue de la nature en y immergeant hommes et caméra dans La Ligne rouge.

5Toutefois, on ne saurait oublier que la nature a toujours été présente au cinéma, dont l’enjeu original était même de la saisir sur le vif, selon la formule de Georges Sadoul à propos des vues des frères Lumière. « Je ne désirais que reproduire la vie », disait modestement Louis Lumière. Mais ce faisant, il avait du même coup réussi le miracle de reproduire la nature, parvenant à rendre « la sensation saisissante du mouvement réel et de la vie » en en révélant « tous les détails : les vagues de la mer qui viennent se briser sur les plages, le frémissement des feuilles sous l’action du vent, etc. [3] ». Cependant, si la nature a toujours été un objet fondamental du cinéma, elle ne l’a pas été constamment de la même façon. Hormis quelques exceptions notables [4], le destin narratif du cinéma a rapidement mis de côté ce dévoilement des premières vues cinématographiques sur le monde, pour évoluer vers une scénographie réduisant la nature à un simple décor, instrument diégétique au service d’une histoire [5]. Comment, alors, expliquer ce retour [6] sur grand écran ?

6Il est un autre domaine où se retrouve également ce désir pour la terre : la poésie. En France, certains poètes de l’après-guerre ont cherché à prendre en réparation le monde meurtri, et l’ont fait à même la terre, en investissant ce que Michel Collot appelle la « matière-émotion [7] ». Dans son essai sur la poésie contemporaine, Jean-Claude Pinson constate ainsi que l’écriture de Ponge, Bonnefoy, Deguy, Réda ou Jaccottet aspire à habiter de nouveau, poétiquement, un monde en détresse, et le fait en cherchant à retrouver la terre que la modernité a éloignée de l’homme [8]. La géopoétique de Kenneth White, projet initié dans les années 1960, voit spécifiquement dans la terre le « motif unificateur [9] » capable de refonder une culture, un monde. Depuis une cinquantaine d’années donc, la terre serait la matière par laquelle le monde serait de nouveau, poétiquement, habitable.

Retrouver une expérience

7Bien que les cinéastes mentionnés plus haut ne citent pas explicitement cette tendance poétique, des correspondances s’imposent, et chacun utilise les spécificités de son langage, poétique ou cinématographique, pour retrouver une expérience sensible de la terre, un lien au monde, rompus par la modernité cartésienne qui a transformé ce dernier en un objet abstrait maintenu à distance du sujet dans le projet de la maîtrise et de la possession de la nature. Une expérience du monde pourrait-elle être de nouveau possible en retournant au banal, à la matière ordinaire du monde, que chérissent les poètes susmentionnés, sans cesse portés vers la trivialité [10] ? Comment le cinéma peut-il la restituer ?

8Dans sa Théorie du film, sous-titrée La rédemption de la réalité matérielle, écrite dans les années 1950, Siegfried Kracauer s’interroge sur l’esthétique du cinéma ; sa volonté y est de déterminer la spécificité de l’art cinématographique selon les propriétés du médium, lesquelles permettraient cette révélation de la réalité matérielle. Il y rappelle également que le contexte d’émergence du cinéma à la fin du xixe siècle est celui d’une perte de croyances, de valeurs, au profit d’une idéologie de la raison et de la science, qui mène à l’abstraction. Ainsi, l’homme moderne « n’a de contact avec la réalité que du bout des doigts [11] ». De fait, son défi devient simple : retrouver les qualités des choses, se défaire de l’emprise abstraite et quantitative pour recouvrer un contact concret avec le monde. Comment ? Par l’expérience. Pour Kracauer, retrouver une telle expérience relève du domaine esthétique, et cette esthétique doit être cinématographique [12].

9En effet, le film nous permet d’appréhender le monde d’une façon concrète ; il est même capable, réveillant nos sens éteints, de nous rendre la vue dans le sens où il rend visible le monde qui s’étale sous nos yeux et que l’habitude de penser abstraitement et l’usure quotidienne ont éclipsé de nos regards et de nos esprits. Voilà ce en quoi constitue le fondement essentiel de l’esthétique cinématographique :

10

Le principal matériau de l’« appréhension esthétique » est le monde matériel, y compris tout ce qu’il peut nous suggérer. Nous n’embrasserons la réalité qu’à condition de pénétrer dans ses strates au plus bas niveau[13].

Vers un imaginaire matériel

11Cette attention particulière pour la matière du monde se déploie avec force chez Andreï Tarkovski, dont Stalker, sorti en 1979, constituerait une forme des parangons de cette esthétique de l’humilité. Le Stalker fait entrer secrètement des hommes dans une Zone post-apocalyptique soviétique, et les mène à travers ce coin de verdure parsemée de débris jusqu’en son centre, vers l’énigmatique Chambre des miracles.

12Tarkovski voit dans l’art cinématographique un moyen de resacraliser le monde, que le progrès hédoniste et consumériste a désenchanté en brouillant nos repères spirituels [14], engendrant le déclin de la magie et du religieux ; l’explication scientifique des faits remplace l’interprétation surnaturelle, atrophiant au passage le rêve et l’imaginaire [15].

13Mais puisque les dieux, morts, ont laissé le ciel vide [16], ce n’est pas en lui qu’il faut quérir un renouveau spirituel (d’où l’évitement obstiné du ciel dans les plans tarkovskiens), mais dans la terre, l’herbe et l’eau, le sol humide de la Zone, que son cinéma transforme en agents concrets de la régénérescence, de la rédemption, pour parler comme Kracauer, morale et spirituelle. Guidée par le Stalker, qui vient régulièrement palper la terre et la végétation, la caméra scrute les détails de cette Zone, et vient elle-même en effleurer la matière. Ainsi, à peine entré dans la Zone, le Stalker va plonger à plat ventre dans les herbes humides, impatient de ses retrouvailles avec sa terre, comme en un baptême végétal [17], une vénération de la matière qui n’est pas sans rappeler le chant tellurique pongien qui comporte à la fois une dimension affective et spirituelle, éclatante dans son poème La Terre[18], écrit presque vingt ans plus tôt :

14

Ce qui est tout à fait spontané chez l’homme, touchant la terre, c’est un affect immédiat de familiarité, de sympathie, voire de vénération, quasi filiale.
Parce qu’elle est la matière par excellence.
Or, la vénération de la matière : quoi de plus digne de l’esprit ?
Tandis que l’esprit vénérant l’esprit… voit-on cela ?
– On ne le voit que trop.

15Serge Daney écrivant en 1982 [19] sur Sayat Nova, film arménien de Paradjanov, évoque un « imaginaire matériel » propre au cinéma soviétique, qui est capable dans sa représentation de tout ce qui environne l’homme – sans se limiter à la nature – de se tenir au plus près des textures, des matières, des couleurs. Cette voie, dit-il alors, le cinéma l’abandonne au profit de la vitesse, de la surface et de la ligne de fuite. À l’encontre de Paradjanov ou de Tarkovski, qui regardent la matière s’accumuler au ralenti, le cinéma américain, en « passant par le scanner de la télé, […] a perdu une couche de matière [20] ».

16Toutefois, le cinéma mondial semble s’être éveillé à cet imaginaire qui, évidemment, n’est pas sans évoquer également Bachelard pour qui l’âme souffre d’un déficit d’imagination matérielle. C’est ainsi que dans L’Eau et les rêves[21], il faisait le procès d’un réel qui a éloigné l’homme du monde, lui donnant le sentiment d’être étranger aux choses qu’il n’éprouve plus que comme le reflet de l’objectivation dominante formatée par le succès de la techno-science, laquelle détruit implacablement la dialectique entre image et matière. Il s’agit donc de recouvrer le sentiment des choses à travers une manière renouvelée d’habiter le monde par l’imagination. Dans ce but, dit Bachelard, il faut réveiller l’imagination par le contact des éléments qui, en la dynamisant, vont lui donner un élan nouveau. Cette imagination, c’est celle des matières, selon les quatre éléments – le feu, l’eau, l’air et la terre – thématisés dans ses œuvres consacrées aux éléments de la cosmogonie classique.

17Le cinéma participerait de cet élan nouveau à travers ce que je désigne par l’esthétique de l’humilité, qu’il me faut à présent expliciter.

L’humilité ?

18L’humilité, vertu qui nous donne le sentiment de notre faiblesse, qui réprime en nous les mouvements de l’orgueil, caractérise celui qui s’abaisse volontairement – soumis, modeste, effacé – ou qui est d’une condition modeste, pauvre et simple. Elle renvoie dans le sens commun à la modestie.

19Par ailleurs, si l’on se réfère à l’étymologie du terme, l’humilité tire son origine du latin humilitas qui désigne ce qui a « peu d’élévation », et l’humble vient de humilis, qui a le sens de « vers le bas, près de la terre », lui-même provenant de humus, la « terre ». L’humilité est donc d’abord un mouvement qui porte vers le bas, vers la terre. Cependant, Maître Eckhart, dans Sur l’humilité[22] lui donne le sens noble de l’ascension, qui marque l’acception chrétienne de cette vertu : « quiconque s’abaissera sera élevé [23] », voici comment pourrait être résumée l’humilité. « L’humilité n’est pas un préalable à l’élévation, elle seule élève et peut élever [24]. » Toutefois, il s’agit d’entendre cette élévation comme un travail de creusement, de terrassement, d’abaissement.

20Ce que je désigne par cinéma de l’humilité, c’est donc un cinéma qui, cherchant la terre tout en restituant ce mouvement paradoxal, permet de retrouver une expérience du monde, de s’y élever, y naître et l’habiter pleinement, et ainsi être-au-monde.

21Kracauer précisait à la fin de sa Théorie du film que le cinéma « procède de bas en haut » : les films « s’attachent à l’exploration des données matérielles et, à partir de celles-ci, ils s’élèvent jusqu’à tel ou tel problème ou croyance [25] ». Il surgit de la matière même, tandis que les arts traditionnels – le théâtre, le roman, la peinture – procèdent à l’inverse, opérant du haut vers le bas, projetant une idée dans la matière.

22Une telle conception traverse l’œuvre de certains poètes, notamment Bonnefoy, pour qui la vraie présence du monde, entendue comme « excès de la réalité sur sa représentation », ne peut « naître d’en haut, venir d’ailleurs », mais doit au contraire « se fonder sur l’expérience vécue [26] », et ne peut être trouvée qu’à même la dimension sensible de l’être-au-monde comme « économie la plus intérieure, encore irrévélée, de la terre, de l’existence [27] ».

Refigurer le paysage : l’exemple de l’humanité

23L’Humanité, que Bruno Dumont tourna en 1999 dans le Nord de la France, sa région natale, accompagne Pharaon de Winter, commissaire de police ultra-sensible, lors d’une enquête sur le meurtre d’une fillette, enquête toutefois délaissée au profit de l’exploration sensible du monde par ce personnage atypique.

24Cet exemple dévoile l’une des modalités de l’esthétique de l’humilité, à savoir la refiguration tellurique du paysage, qui déconstruit le sens classique du paysage au profit de sa densification sensible, dans le but de mettre en images et en mouvement cette expérience de la terre.

25L’acception classique occidentale du paysage le caractérise essentiellement comme une image statique et distanciée d’un fragment de pays, une construction rationnelle agencée autour d’un point de vue, qui appuie le clivage entre l’homme et le monde. Le cinéma, même s’il a mis du temps à cesser de faire du paysage et de la nature un simple arrière-plan, s’inscrit donc dans un siècle qui n’a cessé de reformuler ses propositions paysagères, où peinture et poésie, nourries notamment de phénoménologie, ont instauré une présence dans cette représentation, fragilisant son ordonnance cartésienne.

26La première scène de L’Humanité débute sur un authentique paysage : la fixité hiératique de la caméra place d’emblée le spectateur dans une contemplation paysagère classique. Autour de la terre, du ciel, de la ligne d’horizon, et d’un arbre – qui n’est pas ici matière, bruissement de feuilles et rugosité de l’écorce, mais indice figuratif qui donne une échelle au plan et crée de la distance, donc un paysage. C’est d’abord le son qui instaure le mouvement, et nous sort de l’immobilité apparente de l’image : des bruits de pas et le souffle d’une respiration haletante se font entendre au premier plan sonore. Nous nous attendons donc à voir surgir un homme au premier plan, mais c’est sur la ligne d’horizon que Pharaon apparaît, à peine visible. À distance, nous le regardons traverser longuement le plan, partageant son épreuve physique, celle de la marche – autre motif récurrent de l’expérience sensible du monde dans le cinéma de l’humilité. Une marche rendue difficile ici par l’épaisseur de la terre, ainsi densifiée par une pénétration sonore, et non simplement visuelle, qui n’est pas là sans évoquer Bresson : « L’oreille va davantage vers le dedans, l’œil vers le dehors [28]. »

27Les plans suivants achèvent de défaire le paysage au profit de l’immersion tellurique : dès le second, on passe d’un espace pictural à un espace cinématographique car la surface paysagère prend brutalement de la profondeur lorsque Pharaon avance puis s’enfonce dans l’image et dans un champ de terre labourée, suivi en panoramique. Ses vêtements précédemment imperceptibles épousent désormais les couleurs du monde qui l’entoure : la veste bleue coïncide avec le ciel et le pantalon marron avec la terre brune. Dans la plongée suivante, la couleur de la terre domine. Le visage est évacué, ne restent que les pieds qui condensent cette épreuve physique de la matière terrestre. Déjà, ce plan s’oppose entièrement au premier : l’immersion polysensorielle – le son du vent a tout envahi – a remplacé la vue à distance. Nous sommes là dans l’affect brut, le sensible, avant même que ne s’instaure le récit dont on ignore encore la teneur [29]. Nous apprendrons dans la séquence suivante que Pharaon vient de découvrir le corps d’une fillette violée, et vient se jeter dans la terre pour, en quelque sorte, lui demander pardon pour le mal dont l’homme est capable.

28La caméra retrouve ensuite le visage de Pharaon, qui soudain chute, comme appelé par la terre où il vient s’étendre, face dans l’humus, sous le vent, dos à la caméra, en totale intimité avec la terre grasse et humide. Puis, nous sommes à nouveau face à un paysage, en plan fixe, large et frontal ; mais désormais, la substance a supplanté la plasticité, les formes sont appesanties par la matière, et le corps quasi céleste du début, légère silhouette sans contour, est devenu masse informe épousant pleinement l’informe de la terre. Toute dichotomie entre un moi-sujet et un monde-objet semble détruite. Le paysage vibre alors de cette immersion, de cette expérience brute du corps dans la chair du monde. Par la suite, le son hors-champ du klaxon rappellera le personnage au récit, l’enquête, et mettra fin à cet abandon aussi apaisant que douloureux.

29Nous retrouvons Pharaon dans son jardin, peu avant la fin du film. Caressant les fleurs, à nouveau baissé vers la terre, mais le regard porté vers l’horizon, comme voulant faire partie de ce monde, il s’élève soudain, dans une véritable lévitation, rendue possible par son désir permanent pour la terre, aboutissement de cette humilité qui travaille tout le long-métrage, attitude du personnage et principe esthétique du film. Comme les fleurs croissent depuis la terre, Pharaon à leur contact croît à l’image, semble naître au monde, s’ouvrir à lui en glissant sur l’image dans cette parenthèse surnaturelle.

Mondifier

30Tous les films mentionnés plus haut ne s’achèvent pas sur une élévation aussi marquée, mais tous aboutissent à une élévation ou une unité retrouvée, habitation du monde après un long et patient travail vers la matière.

31À la fin de La Forêt de Mogari, sorte de temple naturel où deux personnages sont venus affronter la souffrance de leur deuil, l’ultime plan d’élévation part de la jeune femme assise au sol face à l’homme étendu au pied d’un arbre, s’élève avec elle et s’achève sur l’image de la forêt qui souligne l’accomplissement du deuil et la possible renaissance. La Vie de Jésus, qui accompagne un jeune homme ne cessant de buter contre le monde, se jetant au sol avec sa mobylette, cherchant un contact qu’il ne parvient pas à trouver, s’achève dans un simple pré où, après avoir commis un crime, Freddy atteindra la plénitude, sous forme de rédemption. Le Goût de la cerise s’achève sur son personnage venu s’étendre en terre, pour mourir : un éclair orageux illumine un instant son visage déjà cadavérique. Mais le film ne s’arrête pas là, et une séquence en vidéo découvre l’équipe du tournage, dont cet acteur qui, dans un paysage verdoyant – tandis que la terre a toujours été ocre et sèche jusqu’alors – (re)naît à l’image. La naissance est là cinématographique.

32Par-delà la différence de leurs enjeux – réflexion cinématographique, questionnement mystique, aspiration spirituelle –, ces films interrogent toujours la notion de monde, laquelle a évolué depuis le contexte de l’après-guerre en s’ouvrant vers des interrogations sur la mondialisation, terme né au début des années 1960 mais qui prend une ampleur considérable dans les années 1980-90. La mondialisation instaure un espace insaisissable car immense et abstrait. Qu’est-ce que le monde aujourd’hui ? Comment habiter un monde mondialisé ? Voilà des questions que posent également ces films.

33Cette question, on la retrouve dans un tout autre cinéma, autrement inquiété par la question de la nature et du rapport au monde autour de la crise écologique, selon deux formes dominantes : soit le spectacle de la Terre, où la crise écologique nourrie de nouvelles formes de scénarios catastrophes – tel que Le Jour d’après de Roland Emmerich (2004) –, soit les documentaires plus pédagogiques sur la crise de l’environnement et ses conséquences, non moins spectaculaires et esthétisants : Une vérité qui dérange, d’Al Gore, sur le réchauffement climatique, La Onzième Heure, produit par Leonardo DiCaprio ; Home, de Yann Arthus- Bertrand ; Le Syndrome du Titanic de Nicolas Hulot et Jean-Albert Lièvre, etc.

34Deux caractéristiques principales se dégagent de ce cinéma. D’abord, la Terre y est présente, mais avec une majuscule : c’est la planète Terre plutôt que l’élément, saisie en de larges plans qui la spectacularisent, cherchent les belles images grandioses, et renvoient à toute une esthétique du sublime – du latin sublimis, signifie « qui va en s’élevant » ou « qui se tient en l’air » – et donne ainsi du monde l’image globale d’un méga-paysage Mondial, contraire à l’image humble d’un paysage refiguré telluriquement. Ensuite, la présence de l’humain y figure comme une menace : il est le responsable qui instaure une terreur pour le futur – là encore, ceci relève du sublime –, rendant toujours les discours de ses films moralisateurs, tandis que l’humble aspire à saisir le lien, l’étreinte, la réconciliation [30] parfois douloureuse ou brutale, et destitue pour ce faire l’humain afin de le mettre à égalité avec la nature, ne pouvant s’épanouir dans le point de vue anthropocentré sur le paysage.

35Dans le cinéma de l’humilité, voir le monde, l’habiter, c’est « mondifier [31] », au sens donné par Bachelard dans ses écrits sur la miniature, qui considère que le regard porté vers le petit ouvre à l’immensité du monde et à la terre entière, et réveille le monde vivant sur lequel nous sommes assis. Le rêveur – le poète, le cinéaste – fait ainsi des « expériences “d’ouverture au monde”, “d’entrée dans le monde” [32] ».

Pour un imaginaire environnemental cinématographique

36En somme, si le cinéma de l’humilité n’affirme pas ouvertement un projet environnemental comme le font les documentaires susmentionnés, qui visent à alarmer sur la situation écologique, la question écologique traverse néanmoins ces films dans leur rapport à l’habiter. L’écologie (du terme grec oikos) se rapporte à la « maisonnée » soit, plus qu’à la maison, aux êtres qui y vivent et entretiennent des liens avec elle et entre eux.

37Le cinéma de l’humilité ne prétend pas apporter de solution à la crise de l’environnement. Et son discours serait naïf s’il nous disait simplement : touchez la terre, regardez l’herbe, et tout ira bien. Mais il permet d’abord de renouveler sensiblement notre regard sur la nature. « Le cinéma, comme tous les autres arts, lorsque c’est un art, nous apprend non seulement à voir, ce qui fait partie de notre éducation, mais à regarder, à regarder et à voir dans le même temps [33] […]. » En posant un humble regard sur le monde, ces films font accéder à une expérience sensible, qui passe d’abord par une éthique du regard, et donnerait ainsi au cinéma une place d’importance dans le foisonnant imaginaire environnemental.

Bibliographie

Corpus des films cités

  • ALONSO Lisandro, La Libertad, Argentine, 2001
  • ARTHUS-BERTRAND Yann, Home, France, 2009
  • CONNERS Nadia et CONNERS PETERSEN LEILA, La Onzième Heure, USA, 2008
  • DUMONT Bruno, La Vie de Jésus, France, 1997 ; L’humanité, France, 1999
  • EMMERICH Roland, Le Jour d’après, USA, 2004
  • ENCINA Paz, Hamaca Paraguaya, Paraguay, 2006
  • GUGGENHEIM Davis et GORE Al, Une vérité qui dérange, USA, 2006
  • KAWASE Naomi, La Forêt de Mogari, Japon, 2007
  • KIAROSTAMI Abbas, Le Goût de la cerise, Iran, 1997
  • LIEVRE Jean-Albert et HULOT Nicolas, Le Syndrome du Titanic, France, 2009
  • MALICK Terrence, La Ligne rouge, USA, 1998
  • TARR Béla, Sátántangó, Hongrie, 1994
  • PANH Rithy, Les Gens de la rizière, Cambodge, 1994
  • SERRA Albert, Honor de Cavalleria, Espagne, 2006
  • SOKOUROV Alexandre, Maria, Union Soviétique, 1988
  • TARKOVSKI Andreï, Stalker, Union Soviétique, 1979

Date de mise en ligne : 01/01/2017.

https://doi.org/10.3917/rpub.017.0093

Notes

  • [1]
    Docteur en Arts et Sciences en Arts, Estelle Bayon soutiendra à l’automne une thèse intitulée « Visions du monde en présence de la terre dans les cinémas contemporains. Vers une esthétique de l’humilité », à l’université Paris 1-Panthéon-Sorbonne, où elle a enseigné.
  • [2]
    E n cela proche de la conception emersonienne : « La Nature, dans son sens commun, renvoie aux essences que l’homme ne peut altérer : l’espace, l’air, le fleuve, la feuille ». R. W. Emerson, « Nature », dans Essais, trad. de l’anglais par A. Wicke, Paris, Michel Houdiard éd., 2010, p. 16.
  • [3]
    G. Sadoul, L’Invention du cinéma 1.1832-1897, Paris, Denoël, 1948, p. 288 et p. 290.
  • [4]
    Comme La Terre de Dovjenko, Farrebique de Rouquier, ou l’avant-garde française des années 1920, passionnée par le motif aquatique ; voir à ce sujet la riche étude d’E. Thouvenel, Les Images de l’eau dans le cinéma français des années 20, Rennes, PUR, coll. « Le Spectaculaire », 2010.
  • [5]
    C’est là ce que Sandro Bernardi résume comme le passage du « panorama squelettique du monde », premières vues sur le monde, au « temps des jeux » où le raconter vient perturber le montrer, puis au « temps des mythes » dans lequel le cinéma classique réalise la pleine intégration diégétique du paysage en contrôlant l’espace. Voir S. Bernardi, Antonioni, Personnage paysage, Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes, coll. « Esthétiques hors cadres », 2006, p. 23-27.
  • [6]
    On notera que cette présence se fait d’ailleurs tant dans les films eux-mêmes qu’au sein de la théorie du cinéma, faisant pleinement entrer le septième art dans ce que, en 1989, le géographe californien Edward Soja a nommé le spatial turn, le tournant spatial, pour désigner l’attention croissante portée par les sciences humaines et les arts à l’espace depuis la fin des années 1960 (E. Soja, Postmodern Geographies : The Reassertion of Space in Critical Social Theory, London, Verso Press, 1989).
  • [7]
    M. Collot, La Matière-émotion, Paris, PUF, 1997.
  • [8]
    « Car, si “c’est la terre qui s’en va”, selon la formule d’Yves Bonnefoy, n’est-ce pas notre condition de “terriens” qui se trouve elle-même menacée ? » J.-Cl. Pinson, Habiter en poète. Essai sur la poésie contemporaine, Seyssel, Champ Vallon, 1995. p. 66.
  • [9]
    « Je pense qu’une réponse s’impose : la terre même, sur laquelle nous tentons de vivre, et sans laquelle il n’y a pas de monde vivable. À la base du mot monde, comme à celle du mot cosmos, on trouve la notion de beauté et de fertilité. […] Or, un monde, c’est ce qui émerge du rapport entre l’esprit et la terre. Quand ce rapport est inepte et insensible, on n’a, effectivement que de l’immonde. […] Le travail géopoétique viserait à explorer les chemins de ce rapport sensible et intelligent à la terre, amenant à la longue, peut-être, une culture au sens fort du mot », K. White, Le Plateau de l’Albatros. Introduction à la géopoétique, Paris, Grasset, 1994, p. 25.
  • [10]
    André du Bouchet évoque son désir de « copier la terre » et d’atteindre la banalité, (cité par Jean-Claude Pinson, op. cit., p. 101) ; Bonnefoy parlait d’un « devoir de trivialité » (« La poésie française et le principe d’identité », dans L’Improbable, Mercure de France, 1992 [nouvelle éd.], p. 268).
  • [11]
    S. Kracauer, Théorie du film. La rédemption matérielle de la réalité matérielle (Theory of film. The Redemption of Physical Reality), trad. de l’anglais par D. Blanchard et Cl ; Orsoni, Paris, Flammarion, 2010, p. 416.
  • [12]
    « [L]e remède à cette propension à l’abstraction qui menace les esprits soumis à l’influence de la science, c’est l’expérience – l’expérience des choses dans ce qu’elles ont de concret », ibid., p. 419.
  • [13]
    Ibid., p. 421. Nous soulignons.
  • [14]
    Voir M. Weber, L’Éhique protestante et l’esprit du capitalisme [1904-1905], Paris, Plon, 2007 ; et M. Gauchet, Le Désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion, Paris, Gallimard, 1985.
  • [15]
    « L’homme moderne […] a un dilemme à résoudre : soit continuer son existence de consommateur aveugle, soumis aux progrès impitoyables des technologies nouvelles et de l’accumulation de biens matériels, soit trouver la voie vers une responsabilité spirituelle, qui pourrait bien s’avérer à la fin une réalité salvatrice non seulement pour lui-même mais pour la société tout entière », A. Tarkovski, Le Temps scellé, Paris, Cahiers du cinéma, coll. « Petite Bibliothèque des Cahiers du cinéma », 2004, p. 251.
  • [16]
    « Pour moi le ciel est vide », A. Tarkovski, « Andreï Tarkovsky parle de son film », dans Andreï Roublev, Les Éditeurs Français Réunis, 1970, p. 18.
  • [17]
    Contrairement au baptême catholique qui se contente de l’effusion, le baptême orthodoxe se pratique par l’immersion. Charnelle et terrienne, l’œuvre tarkovskienne l’est peut-être aussi parce que la mystique russe n’est pas celle du catholicisme effrayé par la nature et par le corps ; chez les orthodoxes, on vénère le Créateur à travers sa création.
  • [18]
    F. Ponge, « La Terre », dans Pièces [1961], Paris, Gallimard, 2001.
  • [19]
    « Il y a quelque chose qui n’a peut-être existé que dans le cinéma soviétique […] : l’imaginaire matériel. L’art de se tenir au plus près des éléments, des matières, des textures, des couleurs. […] Cet imaginaire matériel (lié, sans doute, à une tradition religieuse et porté par le dogme orthodoxe) est une des voies que le cinéma semble abandonner », S. Daney, « Sayat Nova », dans Ciné journal. Volume 1 / 1981-1982, Éditions Cahiers du cinéma, 1998, p. 116.
  • [20]
    Ibid.
  • [21]
    G. Bachelard, L’Eau et les rêves. Essai sur l’imagination de la matière, Paris, José Corti, 1942.
  • [22]
    Maître Eckhart, Sur l’humilité, trad. du moyen allemand et du latin par Alain de Libera, Paris-Orbey, Arfuyen, 1988.
  • [23]
    Lc 14,11 ; Lc 18,14 ; Mt 23,12.
  • [24]
    J.-L. Chrétien, « Une liberté paradoxale », dans L’Humilité. La Grandeur de l’infime, Paris, Autrement, 1992, p. 45.
  • [25]
    S. Kracaeur, op. cit., p. 435.
  • [26]
    Y. Bonnefoy, « Lettre à John E. Jackson », dans Entretiens sur la poésie, Paris, Mercure de France, 1990, p. 104 et p. 112 (cité par J.-Cl. Pinson, op. cit., p. 116).
  • [27]
    Y. Bonnefoy, « Entretiens avec Bernard Falciola », dans Entretiens sur la poésie, op. cit., p. 29 (cité par Jean-Claude Pinson, op. cit., p. 116).
  • [28]
    R. Bresson, Notes sur le cinématographe, Paris, Gallimard, 1995, p. 62-63. Nous soulignons.
  • [29]
    Il s’agit ici « de séparer le moment de la perception cinématographique de celui de l’élaboration du récit, de transmettre d’abord une sensation, de produire un affect, avant que ceux-ci ne se transforment en significations, en récit », J.-L. Provoyeur, Le Cinéma de Robert Bresson. De l’effet de réel à l’effet de sublime, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 255-256.
  • [30]
    « Il suffit d’abaisser notre prétention à dominer la nature et d’élever notre prétention à en faire physiquement partie pour que la réconciliation ait lieu », F. Ponge, Le Grand Recueil, Paris, Méthodes, 1961, p. 197.
  • [31]
    G. Bachelard, La Poétique de l’espace [1957], Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2005, p. 151.
  • [32]
    Ibid., p. 150.
  • [33]
    Sandro Bernardi, op. cit., p. 15.
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