Notes
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[1]
Je souhaite remercier chaleureusement mes collègues chercheurs pour leurs stimulantes suggestions, Françoise Mevel, Jean-Louis Sourgen, Jean-Pierre Gonzalès, Raffaele Fischetti, Henri-Pierre Bass, Evelyn Granjon, Elisabeth Darchis, Eduardo Grinspon, Diane Nasr, Bruno Le Clef, Ouriel Rosenblum, Patrice Cuynet, Pierre Benghozi, Ana Marques-Lito.
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[2]
R. Sefcick, Pour penser la complexité humaine, Paris, L’Harmattan, 2015, p. 42.
1 Skype est devenu un moyen habituel de réunions groupales ; cela nous offre l’occasion d’étudier pourquoi et comment une vidéo-conférence facilite la dynamique groupale qui se développe en vue de réaliser une tâche déterminée. Skype est utilisé dans des institutions, des cliniciens l’adoptent pour les réunions d’équipe et les thérapies. Dans le monde industriel, financier, artistique, éducatif, cette pratique s’impose. Il existe désormais des techniques perfectionnées comme les vidéo-conférences-Entreprise ou Business. Nous parlons exclusivement de Skype bien que d’autres méthodes similaires existent, Zoom par exemple.
2 Je privilégierai dans cet article les groupes de recherche théorico-empirique qui emploient cet outil tout en cherchant à affiner leur méthodologie. Dans cette pratique, se donnent rendez-vous la dynamique des groupes, la communication à distance, l’inter-vision et le travail de recherche. Une synthèse originale émerge où se font remarquer l’objet ou l’outil de médiation et une notion : l’attractivité. J’y reviendrai.
Singularité de la communication à distance avec groupe
3 La régression et ses expressions infantiles, archaïques ou plus évoluées se manifestent lors des thérapies par Skype. Il arrive que cette régression apparaisse aussi dans les groupes par Skype non thérapeutiques, parmi lesquels ceux où cliniciens et thérapeutes-chercheurs élaborent à propos de leurs activités. Dans tous les cas, cette régression est à la fois incontournable et mobilisatrice. Les sensations primitives sont très sollicitées par ces nouvelles techniques de communication. Dans les thérapies à distance (individuelles ou groupales), des ingrédients essentiels de la communication analyste/patient se trouvent diminués ou déformés : les affects, la sensorialité, la vision, les virtualités de la présence. Peut-être que l’émergence de sensations d’étrangeté, de vide, de chute sans fin, abyssales, ainsi que des sentiments de froideur ou d’effroi sont liés à la communication « virtuelle ». La question est de savoir comment parvenir à verbaliser ces vécus et à les élaborer, la parole restant notre moyen analytique privilégié. En même temps, la pratique nous révèle que les thérapies par Skype, tout particulièrement, favorisent l’accès aux irreprésentables et au transgénérationnel, comme si la difficulté même relançait les tentatives d’aborder ces sphères inconnues qui inquiètent les patients par ailleurs (Eiguer, 2017).
4 Faute de place pour étudier ces différentes singularités, je me limiterai à examiner la question de la vue dans l’utilisation de Skype pour les thérapies à distance, une étude applicable aux groupes de thérapie et aux réunions.
Places de la vue et de la parole
5 Par Skype, en même temps que les aspects sensoriels s’atténuent, la vue est sollicitée de manière singulière. Elle est comme tenue d’occuper la place vacante des défauts de communication. L’action de voir ne devrait plus être séparée de deux autres : se voir (forme réflexive du verbe) et être vu (forme passive ; cf. Bonnet, 1982). Ainsi la vision devrait inclure l’adresse à autrui.
6 Dans son article de 1910, Freud note que le regard ne peut se détacher de la puissance propre à la pulsion scopique, qui sexualise facilement l’appétit de regarder, la curiosité comportant une forte signification voyeuriste. Mais dès lors qu’il ne choque ni ne déshonore, le regard n’est pas lubrique comme dans le plaisir de regarder propre à la recherche de savoir. Pour voir, il est alors important de laisser autrui libre d’accepter ou pas d’être vu, et que l’un et l’autre puissent en tirer bénéfice dans leur démarche visant à se voir, à mieux se connaître. Dans la rencontre, il est en principe essentiel que la détermination de l’un soit en résonance avec celle de l’autre.
7 Toujours est-il que certains aspects des séances par Skype devraient attirer notre attention : le fait, par exemple, que l’écran montre, en même temps que l’image de l’interlocuteur, l’image de la personne qui lui adresse le message. Cette situation est totalement originale : habituellement, en parlant, nous ne nous voyons pas. Et cela nous questionne : comment l’autre nous voit-il ? En l’ignorant, il nous arrive de le fantasmer. Plus encore, nous sommes amenés à accorder nos mimiques et notre discours aux réactions affectives, gestuelles, verbales que l’autre pourrait exprimer à partir de la manière dont il nous voit. Skype propose de pallier cette carence visuelle en reflétant l’image de notre allure, nos mimiques et nos gestes.
8 L’intérêt de ce progrès technique a été théorisé par F. Tordo (2016) qui montre l’encouragement narcissique produit chez ces patients qui doutent de la puissance de leurs gestes et de leur aspect. Ils peuvent constater qu’ils sont moins mauvais qu’ils ne le pensent. Cela peut avantager d’autres patients qui ignorent même la qualité de leur apparence. Autrement dit, en manquant d’autoréflexivité, ils sont coupés d’eux-mêmes ; une difficulté qui va au-delà de leur aspect pour affecter leur regard sur leur intériorité psychique. Une des conséquences est la discordance parole-gestuelle fréquente chez les patients psychotiques, limites et ceux qui souffrent de troubles envahissants du développement. Ils semblent alors se méfier de leur capacité à communiquer une idée ou un souvenir et peuvent renoncer à être spontanés. Il est possible que ces patients aient été privés d’échanges intersubjectifs premiers, le regard de la mère jouant une fonction majeure dans la configuration de notre soi et, par-delà, de notre identité. Tordo (op. cit.) constate que, par Skype, ils peuvent s’exprimer, encouragés par leur image en bas de l’écran ; cela leur permettant de réintroduire, voire d’acquérir une autoréflexivité susceptible de développer avec le temps leur espace intérieur (cf. Tisseron, 2013).
9 Notre regard intérieur est relié au regard qui est porté sur nous, de telle sorte que le regard de l’autre est normalement pris en compte dans le message gestuel et mimique que nous lui adressons et qu’il percevra, introjectera et métabolisera de son côté. Et cela de façon progressive. Il se trouve que le langage verbal sert à englober la gestuelle en même temps qu’à ajouter de l’expressivité à notre parole. D’autres paramètres entrent en jeu :
10 – d’une part, l’élocution inclut une dimension phonétique, le timbre de la voix y est essentiel ;
11 – d’autre part, les affects envahissent ce canal phonétique. Cela est bien moins conscient que la verbalisation, et, en conséquence, susceptible de véhiculer les conflits refoulés.
12 Dans la verbalisation, nous régulons notre expression par notre style et, organisant la séquence des messages, en ajoutant une note énigmatique susceptible de susciter l’intérêt et la curiosité de l’interlocuteur. Celui-ci est sensible à nos expressions verbales et méta-communicationnelles et il réagit en les intégrant et en répondant en conséquence à nos propos. La part inconsciente de l’intersubjectivité y fait florès.
13 Il est également significatif de prendre en considération un autre niveau, celui des idées. Nous intégrons dans nos messages l’effet supposé de notre message sur autrui, celui-ci va répliquer en pensant à l’effet de ses dires sur nous.
14 Ces éléments permettent de dépasser les inconvénients de la communication par Skype. Il convient toutefois de souligner qu’au-delà des effets et leurs régulations, s’ouvre par cette méthode un champ de recherche séduisant et prometteur.
Précédents de l’inter-vision
15 Beaucoup de ce que nous allons dire est observé depuis longtemps dans les supervisions collectives sans superviseur, appelées inter-vision (Kaës, 1976). Dans cette formule, se développe un travail réciproque de supervision dans laquelle chaque participant parle de ses cas, expose ses expériences contre-transférentielles, émet des avis à propos des cas des autres collègues, et il est mobilisé par les commentaires des autres. Le participant s’autoanalyse après avoir écouté les commentaires que le récit de son cas inspire.
16 Dans le groupe d’inter-vision, on vit intensément la réciprocité, la reconnaissance mutuelle et la responsabilité pour autrui (Eiguer, 2008). Des expériences semblables sont vécues en général entre cothérapeutes durant et après la séance de groupe, famille ou couple.
Aspects de la méthodologie de recherche
17 Par Skype, on aménage des inter-visions et des groupes de chercheurs, dont je désire parler en particulier. Je n’évoquerai pas des groupes d’étude ou de recherche sur des sujets théoriques mais des groupes qui enquêtent sur des questions théorique-clinique-pratiques avec une méthodologie expérimentale. Skype a permis que les chercheurs résidant à distance puissent être consultés et, encore plus, d’organiser une méthodologie qui fait ressortir les aspects de régulation que nous avons remarqués à propos de l’inter-vision : spontanéité, intimité, aptitude à se remettre en cause en cherchant la réélaboration et la perlaboration. Le côté inhabituel de la discussion à distance peut peut-être donner une sensation d’étrangeté et même d’abandon : permettrait-elle de se débarrasser de certains a priori, des certitudes enracinées qui peuvent perturber l’accès à l’insolite et à l’innovation ? Faire des recherches représente un défi à notre omniscience ; elle questionne ce qui nous semble évident.
18 J’aimerais m’arrêter sur ce dernier point, qui renvoie à l’une des singularités de l’analyse : l’après-coup, à mon avis, véritable facteur d’intégration de changements. À partir de Freud (Bleuler, Freud, 1895) et ses disciples, de nombreuses perspectives s’ouvrent sur le traumatisme (fréquemment l’agression sexuelle d’un adulte sur un enfant) et son élaboration et, à partir de là, elles s’étendent à tout événement qui marque le psychisme de manière prononcée. Traumatismes et événements impliquent la notion de temporalité. La prise de conscience du vécu est marquée par deux moments successifs et plus ou moins distants : celui de l’événement significatif et un deuxième lorsqu’on lui attribue une signification complémentaire ou alternative. Cela produit un choc psychique, une mobilisation substantielle de la vie émotionnelle et de la pensée (Laplanche, Pontalis, 1964) ; chaque certitude est bousculée.
19 En toute connaissance de cause, ce qui impacte le psychisme n’est pas tant l’impression immédiate post-traumatique, mais sa remémoration dans un moment ultérieur. Fréquemment, il s’appuie sur certaines similitudes entre les expériences qui l’ont secoué dans le moment antérieur et l’actuel. Le sujet prend conscience du sens de ce qui lui est arrivé enfant, de toute sa gravité. Il identifie ceux qui ont pu être les agents de l’abus et de l’affront, et les acteurs, y compris lui-même et ceux qui n’ont pas eu d’empathie face à ses souffrances ; enfin, il repère la responsabilité de chacun d’eux.
20 Ces événements intéressent la psychanalyse : les causes des désordres du patient sont déduites d’événements historiques. Pour ce qui est de savoir si le passé prévaut sur tout dommage ou influence ultérieurs ou, au contraire, si ce qui est expérimenté dans le deuxième moment agit rétroactivement sur le vécu immédiatement après l’événement, la position de Freud est de préférer la première solution (Laplanche, Pontalis, op. cit.). En prenant l’exemple du traumatisme de la séduction sexuelle d’un enfant par un adulte, Laplanche (2002) souligne que deux facteurs jouent un rôle important dans les répercussions de l’après-coup :
21 – un autre sujet émet une opinion à propos de la nature et de la gravité de ce que l’enfant a vécu ;
22 – le sujet blessé par le traumatisme trouve sa propre interprétation de ce qui est arrivé. Après avoir pris en compte les divers éléments dont il dispose, il sera amené à en faire une traduction. Laplanche se distingue ainsi de Freud et adhère en partie à l’idée d’un après-coup comme facteur déterminant dans l’interprétation du symptôme ou du trouble psychique.
23 Selon cette approche de l’après-coup, l’idée d’intersubjectivité se précise ; dans ce cas, un adulte propose une nouvelle signification à l’événement : il apparaît comme tiers ou encore comme témoin, rarement témoin oculaire des événements mais toujours témoin des blessures produites chez le sujet. La théorie de l’après-coup résonne vigoureusement avec celle de la construction analytique où le patient et l’analyste se permettent de dégager une ligne générale de la remémoration des événements traumatiques. L’analyste configure son interprétation avec la possibilité d’ajouter les chaînons qui manquent au souvenir (Freud, 1937). Les fantasmes transférentiels et contre-transférentiels influencent ce processus. La théorie de l’après-coup accorde une place singulière à l’intersubjectivité et vice versa, c’est-à-dire elles ne peuvent pas se passer l’une de l’autre (Eiguer, 2008). Le lien avec une autre personne contribue à modérer les effets du traumatisme.
24 En somme, si nous tirons parti de ces développements et les appliquons aux séances de groupe par Skype, les vécus sur la scène actuelle à plusieurs ont une valeur d’enrichissement : réinterprétation, nouvelles perspectives, nouveaux acteurs, etc. Cela n’exclut pas de contradictions entre différentes interprétations, anciennes et actuelles.
25 C’est pour ces raisons que les groupes permettent de créer des alternatives qui éclairent ; on y trouve des réponses auxquelles on n’avait pas pensé. Les clés sont la régression, la dynamique du préconscient, la reconsidération du connu. C’est-à-dire, en s’appuyant sur la fonction habituelle de son préconscient, chaque membre du groupe apporte un chaînon à la chaîne associative.
26 Dans les groupes de recherche par Skype, ce sont aussi bien l’ensemble collectif que le moyen de communication Skype qui fascinent, comme on le développera plus loin, et deviennent des attracteurs pour une nouvelle dynamique. Cela dit, des apports semblables conviennent-ils aux conditions requises par la méthodologie scientifique ? Je crois que oui et que même ils introduisent des éléments qui la favorisent : la régulation qu’apportent les autres participants adoptant une position critique, la possibilité de refuser des idées et les explications (le principe de « refusabilité »), ou d’en proposer d’autres, la confirmation ou non de l’interprétation des résultats, l’apport de connaissances à propos d’autres expériences, tout cela dans un but de vérification. La notion correspondante est le scepticisme scientifique, posture qui évite les dérives hasardeuses à la suite d’interprétations trop marquées par la subjectivité individuelle.
Expériences de recherche
27 J’apporterai, en illustration, l’exemple de recherches menées par des analystes de couple et de famille proposant un programme qui étudie différents aspects de leur contre-transfert. À cette fin, nous avons formé une série de groupes de trois à cinq chercheurs. Les sujets sont, par exemple, les actes manqués et les lapsus du thérapeute dans la séance, l’hallucinatoire, les rêves du thérapeute qui contiennent des scènes plus ou moins liées aux patients, etc. Le contre-transfert a, de son côté, valeur de confirmation à l’égard des conflits en jeu au présent chez des patients, des familles, des couples. La tendance à la répétition mobilise le transfert, celui-ci révèle le conflit central et s’exprime ensuite dans le contre-transfert. À chaque niveau, il s’agit de conflits non résolus et qui ne réussissent pas à être pensés, parlés ou à se transformer en images.
Cadres
28 Nous établissons certaines règles pour nos groupes. Leur objectif est d’encadrer le mieux possible nos séances régulières, en général tous les deux mois. Il est intéressant de préserver la spontanéité associative de telle manière que chacun adopte l’attitude d’association libre, d’écoute des autres et de soi-même, l’analyse du groupe, de ses participants et veille à son autoanalyse. Pour cela, on essaie d’éviter les échanges par e-mail sur des associations qui apparaissent entre les séances, mais elles peuvent être restituées au groupe durant les séances Skype. Un rapport est rédigé chaque fois par le secrétaire, qui est lu et débattu au commencement de la séance suivante. Une fois par an, le secrétaire rédige et envoie un rapport sur la période écoulée. Celui-ci est présenté aux collègues qui font partie de la commission scientifique de la Société organisatrice et lu en Assemblée générale. Chaque groupe prévoit la consultation ultérieure avec un analyste investigateur pour la supervision de l’expérience [1].
29 Dans chaque séance par Skype, on aborde les différentes tâches et régulièrement on présente des cas cliniques en vue d’illustrer la thématique de recherche, la plupart du temps sans les avoir prévus d’avance, pour privilégier les retours du refoulé et du déni. Les illustrations cliniques sont exclusivement celles apportées par les membres du groupe. Dans la réunion, ils associent librement. La discussion s’appuie sur le modèle de l’inter-vision, présenté plus haut. Le projet initial prévoit les étapes du travail de groupe en commençant en général par la définition de la problématique, l’étude de la bibliographie, l’établissement d’hypothèses et du contour de la casuistique. Ensuite les exemples cliniques seront explorés, les résultats analysés, et suivront les conclusions et la rédaction d’un document.
30 En ce qui concerne les cas présentés, ils peuvent correspondre au sujet, servir à la casuistique ou non, selon chaque situation, les associations, les pensées intercurrentes (Die Einfalle) et les souvenirs des chercheurs. Dans un moment ultérieur, les cas seront repris, « sélectionnés » – ce qui signifie que certains seront abandonnés par manque de pertinence ou pour d’autres raisons. Les cas sont alors élaborés afin d’observer s’ils répondent à une grille établie entre-temps. Chaque tâche est débattue durant les séances Skype. Bien que tout soit établi avec précision, il ne s’agira pas de s’attacher strictement à cet ordre ; on s’attend à prendre en compte les associations éventuelles.
Médiateurs et attracteurs
31 On a tendance à considérer Skype comme un outil intermédiaire qui facilite la communication, or on aurait beaucoup à gagner de le voir aussi comme un objet de médiation, à l’instar du dessin, du jouet, du jeu d’enfant, de la sculpture, de l’écriture, du psychodrame, etc., susceptible de dynamiser l’analyse. Ces objets sont des objets matériels ; leur utilisation leur donne une animation ; l’introduction de la symbolisation les fait émerger de leur matérialité ; l’inconscient s’y exprime largement. Le téléphone et Skype sont aussi des objets matériels et ils peuvent au même titre être vécus comme des objets de médiation. C’est ce que proposent R. Kaës (2002), B. Chouvier (2002) et G. Gimenez (2006), qui soulignent la valeur relationnelle de ces « objets de relation », ou encore R. Roussillon (2001) à propos du « médium malléable ».
32 En utilisant Skype, les participants se heurtent parfois à de longues attentes, des interruptions, des bruits bizarres ; cela attire leur attention, les incite à échanger. Éprouvant des frustrations certains se plaignent, rouspètent, se mettent en colère. La technologie est critiquée ; on concentre sur celle-ci des préjugés contre les progrès qui nous privent de « spontanéité »… Mais sans que les participants s’en aperçoivent, leurs essais de domestiquer la machine les entraînent dans un jeu.
33 L’impuissance à maîtriser la technique éveille alors une angoisse de castration, ce qui suscite à son tour des tentatives de la calmer, transformant les objets matériels en objets de médiation. On joue avec. Progressivement, ceux-ci développent trois fonctionnalités :
34 – en créant un scénario, les objets de médiation apportent des informations sur l’activité inconsciente du groupe ;
35 – comme dans le travail du rêve, ils favorisent le déploiement du déplacement, de la condensation, de la figuration et de la symbolisation ;
36 – ils permettent des transformations, grâce à la créativité.
37 Pour illustrer la première fonctionnalité, je cite A. Gigliardini (2017) qui utilise Skype dans la thérapie individuelle d’une patiente habitant loin. Elle dit : « Lorsque ma patiente tourne l’écran de l’ordinateur alors qu’elle est écrasée sur son lit, je m’aperçois jusqu’à quel point le soin de sa mère a été précaire pour elle. Le contenant proportionné par l’écran de l’ordinateur révèle à long terme la fragilité de la patiente qui, en tournant l’image, apparaît comme si elle cherchait un équilibre dans son identité chez une mère tout compte fait inconsistante. » La thérapeute poursuit : « Quand elle tourne l’écran, c’est comme si elle n’était plus là : elle a la nostalgie de cette attitude réflexive et empathique qu’elle imagine que l’autre personne peut adopter dans cette situation. Cela me fait sentir l’absence d’un véritable contenant émotionnel qui donnerait la sensation d’être présent. » Ses gestes, la position de son corps révèlent les carences jusqu’alors pas claires pour la thérapeute.
38 Skype n’est pas seulement un élément du cadre, il devient un outil de la dynamique. En groupe, son fonctionnement attire l’attention : les membres du groupe se préoccupent de la bonne qualité de la transmission, veulent savoir s’ils sont bien entendus, en font des commentaires, donnent et reçoivent des conseils pour améliorer l’audition et la visibilité, comparent le niveau d’expérience « en Skype » de chacun. Cette préoccupation pour la qualité des messages révèle toutefois une forte attente envers autrui, sa parole, ses humeurs, ses états psychiques. L’empathie et l’esprit solidaire se développent. L’atmosphère devient plus chaleureuse. L’appartenance au groupe se consolide. La technique a servi à la stimuler. Y contribue également le lieu où le participant est installé avec son ordinateur, tablette ou Smartphone. Ses mouvements sont d’autant plus guettés. Il se montre aux autres. Ainsi les participants sont-ils amenés à fantasmer, puis ils vont modifier leurs impressions au fur et à mesure qu’apparaissent des signes sur leur fonctionnement psychique. Les fantasmes individuels tendent à s’articuler entre eux contribuant à une inter-fantasmatisation. Avec le déroulement des séances, la fonction objet de médiation continuera à mobiliser le groupe. Se dégageront certains leaderships : celui qui « sait » pallier les failles de fonctionnement de Skype, celui qui fait de fausses manœuvres, celui qui appelle avant l’heure, celui qui n’entend pas les autres et celui qui n’entend que les autres ; celui qui fonctionne entre ces deux derniers a peut-être vocation à devenir l’animateur informel…
39 Par rapport à la deuxième fonctionnalité, les objets de médiation stimulent la rêverie qui met au travail ces dynamismes propres au travail du rêve. C’est ce qui se manifeste dans les groupes de recherche par Skype : nous entrons dans une rêverie en même temps que nous mettons en scène la situation analyste-famille et analyste-groupe de supervision collective.
40 Par rapport à la troisième fonctionnalité, la créativité s’exprime à travers de nouveaux émergents – interprétations nouvelles du cas en étude. Dans les groupes de recherche communiquant à distance, aussi bien l’ensemble collectif que le moyen de communication Skype apportent une attractivité pour une nouvelle dynamique. En premier lieu, l’attractivité de Skype en groupe provient de la multiplication de messages qui sollicitent nombre de réponses, lesquelles sont, à leur tour, source de co-pensée et de mobilisation. Ensuite, cela devient source de créativité. Nous verrons la deuxième et la troisième fonctionnalités à l’œuvre dans l’exemple qui va suivre.
41 Il convient de noter que le ludisme qui s’installe diffère de celui qui se développe en psychanalyse d’enfants où l’analyste propose une boîte avec des jouets, des éléments pour dessiner, colorier, couper, coller, etc. et donne la consigne de jouer avec. Dans la communication à distance, l’outil Skype se transforme en objet ludique sans que personne ne s’en aperçoive ou ne le cherche. Il le devient par la force des choses, par son incontournable existence, ses difficultés et ses effets sur le groupe. Les membres de celui-ci éprouvent le besoin de l’asservir (littéralement de « le rendre disponible », utile et efficient au vu des objectifs). Si le jeu se manifeste comme une condition de ce processus, les irrégularités de la transmission s’intègrent ; elles deviennent signifiantes. Cela s’ajoute à la fascination de la technologie qui rapproche physiquement des êtres résidant très loin : une sorte d’attracteur.
42 Je propose de parler d’attracteur dans un sens un peu différent de celui des attracteurs en physique du chaos (Ruelle, 2000) ; il s’agit plutôt de souligner la puissante mobilisation du groupe. J’adhère au choix de R. Sefcick (2015) de fertiliser la notion d’attracteur, point « ordonnateur [2] » où converge le processus psychique attiré vers la symbolisation. L’attracteur s’inscrit dans un processus répétitif qui se dirige vers un point en traçant un itinéraire. C’est l’exemple de la remémoration qui suscite une résistance et qui, à son tour, se résout par une perlaboration (Freud, 1914). Cela fait penser au sentiment d’émerveillement que ressent l’enfant devant un jouet mécanique ou un jeu électronique dont il ignore l’origine des mouvements : pour le comprendre, son imagination se déploie. Une fois installé dans la dynamique collective, l’attracteur-Skype oriente, voire gère le groupe dans une direction déterminée, ici la recherche. C’est comme le joueur novice invité à une table de jeu et qui, fasciné par ce qu’il y a vécu, y revient chaque soir jusqu’à en devenir « addict ».
43 J’ai parlé du contre-transfert comme levier du processus confirmant les données cliniques. En groupe Skype le contre-transfert est influencé par la dynamique le modifiant, le modelant, contribuant à l’enrichir.
Un exemple de vignette rapportée dans une séance par Skype
44 C’est le récit d’une séance Skype du groupe qui étudie « actes manqués et lapsus du thérapeute » ; nous sommes cinq chercheurs. Nous les appellerons A (moi-même), B, C, D et E. B est l’unique femme du groupe. J’en suis l’animateur et B, sa secrétaire : elle joue un rôle important dans notre communication. Après révision de la littérature sur le thème, les hypothèses que nous avons choisies soulignent que les expressions de contre-transfert sont inscrites dans le néo-groupe, formé par le groupe familial et les thérapeutes, et même s’il s’agit de manifestations présentées d’habitude comme individuelles.
45 Voici une séance située dix-huit mois après le commencement de l’expérience. Nous avons quinze minutes de retard. Pour résoudre les problèmes techniques, chacun a « sa formule », mais en communiquant une idée et en nous écoutant mieux, nous finissons par réussir à intégrer tout le monde. C’est la première fois qu’E participe. Après les présentations de chacun, E remercie l’accueil du groupe ; les autres répondent qu’ils sont heureux de le recevoir. E avait entendu qu’en plus de lapsus et d’actes manqués il s’agissait d’oublis du thérapeute. De mon côté, je réponds (A) que nous avons voulu nous restreindre aux deux premiers sujets et essaie d’ébaucher une justification pour démontrer que les oublis relèvent de mécanismes particuliers comme celui du refoulement et de retour du refoulé ou du dénié, mais je m’aperçois que quelque chose me gêne dans l’intervention d’E. Je me dis qu’il essaie de marquer son entrée dans le groupe avec une remarque qui le différencie, mais, n’étant pas sûr d’être dans le vrai, je me tais.
46 Déjà, par la façon confuse que nous avions abordé les difficultés de connexion, on peut supposer que l’entrée d’E nous trouble, voire nous émeut. Crainte du regard du nouveau ? De ce que Skype va révéler quant aux incertitudes de nos options ?
47 B insiste sur l’importance de souligner le caractère groupal des émergents dont nous parlons, ce qui diffère de l’élaboration individuelle. Peu après, je dis qu’il me vient à l’esprit un cas de thérapie familiale analytique qui pourrait éclaircir les différences entre oubli et les deux autres émergents. Je les préviens que j’ai fait une interversion des prénoms entre deux des fils de cette famille. Il y a eu trois entretiens avec la famille ; le premier, un entretien préliminaire à la fin duquel on a décidé de commencer une tfp à un rythme bimensuel. Y assistent les parents (que nous appellerons monsieur V et madame W) et les trois fils, d’une vingtaine d’années : X, l’aîné ; Y, le cadet ; et Z, le plus jeune. Y est celui qui a donné beaucoup de soucis ; il souffre depuis ses 18 ans de dépression avec hospitalisations, isolement, abandon scolaire, apathie, pessimisme, culpabilité, etc.
48 Mon récit du cas sera spontané et ne suit pas le cours linéaire des associations. En revanche, le récit que je fais ici de notre séance de groupe de recherche par Skype suivra, si possible, la séquence des interventions.
49 Dans ce troisième entretien, la deuxième séance de tfp, le plus âgé, X, est absent. À un moment donné, je me dirige vers le troisième fils et au lieu de l’appeler Z, je l’appelle X. J’ai oublié momentanément son prénom et ai confondu ensuite son prénom et celui de son frère aîné. Cette interversion sera objet d’un long échange dans notre groupe de recherche.
50 J’explique (A) : X a eu un autre père biologique, dont la mère s’est séparée quand le garçon avait 3 ans ; tôt, il a connu celui qui sera le père d’Y et Z. Cela a été, commente W (la mère), un moment difficile pour elle puisqu’elle craignait que X souffrît de cette situation mais elle ne nous dit rien sur les raisons qui l’ont amenée à vouloir se séparer ni quels ont été les vécus et les relations ultérieures entre X, son père biologique, et elle. Quand Y est né, la mère a été très inquiète ; elle se sentait coupable autant pour l’avenir d’Y que pour celui de X. W se demande si son état n’a pas altéré l’esprit d’Y, à qui elle a pu transmettre son désespoir. Cette question est débattue dans ce moment de la séance par les membres de la famille qui essaient d’en banaliser l’intérêt.
51 Le groupe de chercheurs me demande comment X « s’est tiré d’affaire ». Je leur réponds qu’il me semble mûr, intégré ; il dirige une start-up, est marié et vient d’avoir son deuxième fils. J’ai l’impression, ajouté-je, que le benjamin « se débrouille bien dans la vie ». Seul Y va mal ; je suppose qu’il représente le porte-parole d’une problématique qui se définit progressivement au cours de cette séance.
52 Des membres du groupe commentent que quelque chose d’important s’entr’aperçoit dans le fait que la mère ait parlé de son premier lien de couple et que mon ton permet d’entendre que « l’image » du premier conjoint a pu se transformer en un fantôme qui les a envahis. B surenchérit en disant que mon « oubli » et mon « lapsus », connectés avec les associations, laissent entrevoir que la mère n’a jamais oublié son premier mari. Quel effet sur le groupe familial ? Il y a eu comme une réaction de re-dénomination ; une représentation a retenti sur mon contre-transfert, qui révèle que ce qui n’a pu être élaboré émerge maintenant. C suggère que cette femme s’est sentie embarrassée par la révélation, ce que mon souvenir de la séance confirme.
53 Je (A) précise : Y a été un garçon inhibé socialement qui se sentait souvent honteux. Je donne un exemple apporté par la mère dans cette séance : elle avait préparé un cadeau qu’ Y devait offrir à sa maîtresse pour son anniversaire, mais il n’a pas pu le lui donner, ni lui dire « joyeux anniversaire ».
54 E nous propose qu’entre X et Z une sorte d’indifférenciation se manifeste. Durant la séance, W reconnaît que, pour elle, X a été son premier fils ; ce n’est pas le cas de V, dont le premier-né est Y : est-ce que cela a pu affecter V ? Celui-ci trouve ce raisonnement banal, pour lui, X est « son fils ».
55 Une idée me vient à l’esprit durant notre réunion : X serait le fils de l’œdipe ; en revanche, les deux autres apparaissent comme les enfants de la perte et d’une rupture déchirante. Tous restent comme suspendus à un deuil du passé qu’ils n’ont pas encore surmonté. Comment X a-t-il vécu le fait de rester seul avec sa mère à ses 3 ans ? Aujourd’hui X a « réussi sa vie ». Y apparaît en revanche comme « le raté ». Notre groupe imagine que V a trouvé une mère et un fils. Seulement la naissance d’Y lui a donné le sentiment qu’il s’agissait d’une famille, de sa famille.
56 Pour B, notre secrétaire, en ce moment de la thérapie, la famille commence son travail analytique, elle entre dans le processus de la cure, avec régression, reviviscences à propos des origines de la famille et la configuration problématique de sa parenté. Elle nous transmet son impression : mon erreur-oubli marque une borne et une plongée dans la groupalité.
57 Cette séquence de notre groupe se révèle créative ; une ou plusieurs nouvelles idées sont émises (troisième fonctionnalité).
58 D apporte l’exemple d’une famille dont il s’occupe, et d’un rêve personnel où il fait une confusion : dans ce rêve, D entre directement dans une maison inconnue au lieu d’appuyer sur la sonnette. Une fois à l’intérieur, il entr’aperçoit l’un des enfants de cette famille. D croit y noter un cas proche de la situation manifestée dans le cas de la famille que nous étudions. Il se rend compte que ce signe de familiarité (entrer directement dans la maison) témoigne du fait que, lui, le thérapeute intègre désormais le néo-groupe de la thérapie ; il y est admis. C partage l’interprétation de D ; il entend que, dans mon cas, il y a eu libération de la parole faisant apparaître une autre dimension et la mise en route du processus analytique.
59 Le récit de ce rêve s’inscrit dans une rêverie prospère. Une belle métaphore (condensation) que nous pourrions associer au souhait d’intégrer le nouveau membre de notre groupe (le rêveur entre dans la maison inconnue comme s’il rentrait chez lui). La deuxième fonctionnalité du médiateur Skype serait ici à l’œuvre.
60 Un instant plus tard, je dis (A) qu’il me semble se manifester dans la séance analysée le déplacement vers moi de la représentation d’un père intégrateur, ce à quoi B réagit en disant qu’elle ne croit pas qu’il y ait transfert d’un père à un autre, mais de l’intégration naissante de l’idée selon laquelle plusieurs pères peuvent coexister. L’erreur-oubli (qu’elle considère comme équivalent dynamique de lapsus) permet ce processus.
61 À la suite d’une question, j’explique (A) que chacun des membres de la famille a son thérapeute ou analyste individuel. Mais il n’y a jamais eu de thérapeute de famille. B s’exclame : « Maintenant ils en ont un ! » Il s’agit de la naissance d’un espace transférentiel où le thérapeute de famille a sa place.
62 Les commentaires dans le groupe sont : A sent qu’Y vit son thérapeute individuel comme quelqu’un qui l’aide, un bon père. V a été objet de « castration par la famille ». Je donne des détails à propos de la période relativement récente où le père a été chômeur, ce qui le faisait rester inactif dans la maison, inhibé, fusionnel avec Y, qui était également noyé dans sa douleur, tous deux se lamentant de leurs sorts. En revanche, le premier mari est présenté comme un homme « libidinalisé », actif et entreprenant, à l’égal de X.
63 J’avoue alors à notre groupe par Skype que je me sens investi d’une tâche héroïque : sauver la famille de la fatalité et, en même temps, me faire une place entre les nombreux thérapeutes, dont on me dit qu’ils n’ont pas pu aider Y au cours des sept ans d’un travail thérapeutique assidu.
64 B étaie son argumentation sur la place que l’on me demande dans le fantasme ; ce n’est pas celle d’un père ni d’un héros. Par exemple, un père ne doit pas confondre les places de ses enfants dans la fratrie ; en revanche, le thérapeute le peut, ce qui se déduit en voyant que cela nous a apporté de la compréhension sur la situation. A : « C’est la famille qui souhaite que différents pères ou thérapeutes se disputent pour avoir une place privilégiée, quand en réalité chacun d’eux peut avoir sa place spécifique. » B acquiesce : « Les différentiations permettent que les thérapeutes ne soient pas confondus en devenant des clones les uns des autres. »
65 J’associe (A) : chercher à concevoir des doubles entre les pères ou entre les thérapeutes peut servir à éviter la conflictualité. Celle-ci pourrait allumer la guerre dans cette famille, d’autant plus déniée qu’elle est gigantesque. On parle, dans notre groupe, de rivalité fraternelle dans une bataille où chacun veut défendre sa place.
66 Dans la famille, une autre « lutte » se manifeste pour démontrer qui est le plus malheureux, ajoute D. Et à un autre niveau, un combat entre maris pour savoir quel est le préféré de la femme.
67 Trois thématiques sont au travail en ce moment du groupe.
68 1/ Les séances de tfp habitées par la plainte, les lamentations, les jérémiades, dégagent une atmosphère pessimiste.
69 2/ La demande de consolider l’entité familiale encore inachevée, fendillée avant de naître par des fidélités dilemmatiques envers deux pères et leurs filiations.
70 3/ Une question (C) : les divers conflits et le sentiment de fatalité reflètent-ils les restes d’un traumatisme transgénérationnel ?
71 Je réponds (A) au point 3 que je sais peu de l’histoire des branches généalogiques, mais V (le père) a exposé un drame dans sa famille d’origine lors de la séance antérieure. Ils sont quelques frères, le plus jeune a été marié, a eu un fils, mais sa femme a décidé de l’abandonner sans qu’il ait su pourquoi, puis elle est partie habiter au Canada avec son fils. Son frère n’a rien fait pour l’éviter et il est même allé vivre chez sa mère qui est devenue veuve peu de temps après ; il n’a pas voulu avoir plus de nouvelles de son fils ni de son ex-femme. Il vit aujourd’hui totalement retiré. Ce fut un coup pour V et un argument complémentaire pour alimenter son sentiment de désespoir et d’impuissance.
72 À cet instant, le groupe essaie de préciser la position d’Y, manifestement porte-parole et leader de la famille, qui jouit, sachant que son apathie et son inertie maintiennent la famille suspendue à lui. D’autres idées intercurrentes sont exprimées : certains membres de la famille semblent toujours « attendre Godot ». D’ailleurs, progresser peut faire craindre qu’une violence ne surgisse au point que quelqu’un meurt. Mais c’est juste une hypothèse à travailler (A).
73 B apporte un lapsus fait quand elle a voulu écrire dans ses notes (par rapport au père) le mot « chômage » ; au lieu duquel elle a écrit comage, comme si elle y ait vu un coma : la neutralisation des forces vives.
74 La discussion sur cette famille continue dans le groupe pendant un temps inhabituellement long. Nous entendons de nouveaux propos : « Le lapsus de l’analyste renverserait-il la fatalité de l’immobilisme ? » Est-ce comme si le néo-groupe remettait en place la force vitale de la famille au moyen de la création de la groupalité et du lapsus pensé par tous ? La groupalité (avec sa co-pensée) relance l’alternative du partage, sans la crainte du surmoi féroce rattaché à autrui, et en apportant « un regard diffracté ». Comment les membres de la famille vont-ils élaborer la séparation et penser qu’elle a été opportune dans chaque cas ? On parle de l’effet régulateur du groupe à la fois durant la séance et dans notre réunion. Le thérapeute (A) ajoute avoir été éclairé par la discussion.
Conclusions
75 Dans ce récit, on reconnaît qu’une créativité fertile se génère durant la réunion du groupe. L’effet après-coup s’y fait sentir. Après avoir subi certains inconvénients techniques de Skype et admis nos frustrations, nous avons eu envie de nous concentrer sur la tâche et en nous appliquant. La parole nous a permis de reconvertir les déficits sensoriels.
76 Pour le travail de recherche par Skype en groupe, plusieurs avantages sont à souligner : aiguisement du sens critique, aisance dans l’utilisation du principe de « refusabilité », stimulation de la co-pensée. Y interviennent l’après-coup, et, de manière générale, l’utilisation de Skype comme objet de médiation, ce qui contribue à son attractivité. Ce ne sont pas les facilités qui deviennent dynamisantes, mais les inconvénients techniques de la communication à distance ; pour les pallier, le groupe cherche à se resserrer, à devenir inventif, solidaire et empathique. Mais c’est aussi la technique qui émerveille par ses incroyables performances. On ne veut pour rien au monde perdre la fluidité de l’échange. Ainsi Skype fait le groupe comme le groupe rend Skype plus opératoire.
77 Cette synthèse devient un attracteur : plaisir de se rencontrer, de s’étonner, de découvrir, de confirmer que l’analyse est créatrice de sens. Il serait bénéfique de développer la recherche par communication à distance. Elle semble gagner en rigueur et en créativité.
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Mots-clés éditeurs : Skype, attracteur, Groupe, objet de médiation, après-coup, recherche
Mise en ligne 25/05/2018
https://doi.org/10.3917/rppg.070.0151Notes
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[1]
Je souhaite remercier chaleureusement mes collègues chercheurs pour leurs stimulantes suggestions, Françoise Mevel, Jean-Louis Sourgen, Jean-Pierre Gonzalès, Raffaele Fischetti, Henri-Pierre Bass, Evelyn Granjon, Elisabeth Darchis, Eduardo Grinspon, Diane Nasr, Bruno Le Clef, Ouriel Rosenblum, Patrice Cuynet, Pierre Benghozi, Ana Marques-Lito.
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[2]
R. Sefcick, Pour penser la complexité humaine, Paris, L’Harmattan, 2015, p. 42.