Le contexte de la naissance du grupo operativo
1 Je préfère utiliser le mot « operativo » en espagnol, car les traductions « opératif » ou « opérationnel » ont en français une connotation qui ne permet pas de situer la conception psychanalytique du groupe de Pichon Rivière.
2 En 1948, il était médecin-chef d’un service à l’hôpital Las Mercedes, à Buenos Aires, lorsque les infirmières firent grève pour obtenir des augmentations de salaire. Pichon Rivière, en utilisant des techniques de groupe, réussit à former des infirmières parmi les malades : « En se sentant utiles [les patients] retrouvèrent une identité sociale parfois supérieure à celle qu’ils avaient avant de tomber malades, et ils élaborèrent de cette manière un processus intense de maturation, un facteur très important étant l’identification des patients aux leaders naturels… » (Zito Lema, 1976).
3 Cette idée de permettre aux patients stabilisés de se positionner comme soignants dénote l’importance qu’il accordait à la potentialité de transformation du sujet en souffrance, au point de reconnaître à ses patients la capacité d’utiliser leur propre souffrance vitale et leur connaissance de celle des autres au service d’un travail thérapeutique. Ainsi, pour Pichon Rivière, les pratiques sociales, les représentations collectives et la représentation de soi sont situées dans un lien d’intime dépendance.
4 L’unité de la pensée de Pichon Rivière se précise à travers sa tentative de comprendre les articulations et désarticulations entre le monde interne et le monde externe.
5 Le grupo operativo est-il un groupe de travail ?
Liens de travail et travail des liens
6 Pour la psychanalyste que je suis, parler de travail, c’est nécessairement se référer à celui de l’inconscient, qui a comme modèle le travail du rêve qui se met en scène dans le groupe, qui est le scénario du lien de travail. Le groupe comme le rêve sont des appareils de transformation d’un contenu fantasmatique latent au contenu manifeste.
7 Pour aborder la question des liens de travail, nous sommes obligés de faire appel à une « épistémologie convergente ». L’épistémologie convergente est une vision dans laquelle le schéma conceptuel de chaque discipline est mis en perspective avec toutes les sciences de l’homme qui fonctionnent comme une unité opérationnelle, enrichissant autant l’objet de la connaissance que les techniques destinées à l’aborder (Pichon Rivière, 1960).
8 Deux traditions s’opposent dans les recherches sur le lien de travail ; l’une considère le travail de « l’homo laborants » comme un châtiment (dans la continuité de la tradition biblique) ; et l’autre envisage le travail comme un espace d’accès à la liberté et à la créativité. Le travail serait à la fois une forme directe de soutien matériel et une forme indirecte d’accès à la subjectivité, et peut-être dans certaines conditions, une forme d’accès à l’émancipation subjective.
9 La notion de travail a été analysée par la philosophie sur différents plans :
10 – d’une part, la théorie sociale postule que le travail de coopération entre les hommes agissant ensemble sur la nature externe aurait une fonction de socialisation ;
11 – d’autre part, le travail suppose une connaissance de l’objet et des sujets qui travaillent. Les développements théorico-cliniques de Pichon Rivière abondent dans ce sens ainsi que les recherches contemporaines de l’École de Francfort ;
12 – par ailleurs, sur le plan pratique et normatif, le travail permettrait aux sujets de prendre conscience de leurs capacités et de leurs besoins.
13 Les liens de travail se structurent par des alliances inconscientes, administratives et organisationnelles, qui donnent aux sujets un bénéfice à la fois matériel et psychique.
14 Ces alliances impliquent obligation et assujettissement : les sujets ne peuvent s’en échapper que dans certaines conditions et encore pas toujours. Elles se construisent pour protéger les sujets et leurs idéaux, pour créer et renforcer des systèmes de protection contre des angoisses primitives, par des mécanismes de refoulement, et du déni. Ces alliances inconscientes sont toujours présentes dans toutes les formes de travail des liens. Elles peuvent créer des zones dangereuses, des espaces poubelles « radioactifs », quand la transmission reste bloquée par des effets traumatiques que la psyché n’arrive pas à élaborer.
15 Deux grandes formes d’alliances inconscientes ont été étudiées par P. Aulagnier (1975) et R. Kaës (2009) : le contrat narcissique et le pacte dénégatif.
16 Les alliances inconscientes auraient différentes fonctions de base, dont la reconnaissance et la transmission qui sont fondamentales.
La reconnaissance : première fonction des alliances inconscientes
17 Dans le versant protecteur, le contrat narcissique est une forme d’alliance qui donne une reconnaissance mutuelle, de la même manière que le pacte dénégatif permet de garder des zones de silence pour protéger le lien.
18 L’unité d’analyse de ces types d’alliance est le lien inconscient. Comment le définir ? Le lien est une structure de relations qui a un effet de combinaison dans laquelle les sujets partagent des fantasmes et des imagos inconscientes. L’importance de la vie fantasmatique et imagoïque serait d’assigner à chaque sujet des places affectives, d’amour et de haine. C’est-à-dire que la reconnaissance mutuelle de ces places du côté de l’amour apporte une reconnaissance de soi par les autres, et des autres par le sujet. Mais du côté de la haine, elle produit une non-reconnaissance de l’autre du côté du rejet et de l’exclusion. C’est à partir de la reconnaissance d’autrui que va naître un sentiment d’appartenance au lien.
19 La prise de conscience de cette reconnaissance donne le sentiment d’appartenir au corps propre-psyché, à une famille, à un couple, à un système de croyances, à un système culturel, social et politique. C’est-à-dire reconnaître appartenir au monde humain où se situe le lien de travail.
20 Axel Honnet (1992) aborde le travail de la négativité et réalise une révision psychanalytique de la théorie de la reconnaissance dans les liens de travail.
21 Le terme reconnaissance peut s’entendre comme reconnaissance cognitive d’un objet ou d’une personne, ou comme la reconnaissance de la légitimité d’une autorité institutionnelle, ou encore comme reconnaissance de soi sous la forme d’un aveu ou d’un souvenir.
22 Pour Honnet, la reconnaissance serait une relation morale entre des sujets dans des liens horizontaux, une relation dans laquelle des individus humains se reconnaissent mutuellement certaines qualités morales. La reconnaissance interpersonnelle endosse différentes formes : sentiment d’amour et d’amitié, respect mutuel de leurs droits ou relations de coopération sociales.
23 Dans les formes affectives, juridiques et sociales de reconnaissance, c’est bien la dignité morale des sujets humains qui doit permettre d’acquérir et de maintenir un rapport positif à soi-même. Les expériences du mépris et du déni de reconnaissance sont révélatrices des pathologies sociales, dont la forme d’expression actuelle est le lien de perversion.
24 Malgré son optimisme, Honnet admet qu’il existe des formes perverties de la reconnaissance qui devient une idéologie qui confronte le discours à ses contradictions. Le système néolibéral a récupéré à ses fins l’attente de reconnaissance.
25 La reconnaissance mutuelle apparaît dans une autre définition du lien comme « une opération du faire entre », qui situe A face à B et dans laquelle advient la subjectivité (Berenstein, 2004). Ce faire ensemble est de l’ordre symbolique de l’agir (Arendt, 1961).
26 En effet, les sujets se construisent en fonction d’un faire ensemble. Faire avec l’autre introduit l’idée de l’hospitalité comme processus de réception de la différence de l’autre. La question serait de considérer l’accueil comme un mouvement d’ouverture vers l’autre (Derrida, 1997).
La transmission : deuxième fonction des alliances inconscientes
27 La transmission de la vie psychique est au cœur de la vie familiale et organise sa temporalité. Mais qu’est ce qui se transmet ? Étymologiquement, l’idée de transmettre contient celle d’un trajet, d’un passage. Cela renvoie à une forme de communication, par le fait de faire parvenir quelque chose à un autre. L’idée de transmettre indique une double dimension : celle de passer et celle de faire passer.
28 Venons alors à la question de la reconnaissance dans ses relations avec la communication et la transmission.
29 Les recherches sur la communication effectuées par Pichon Rivière (1965-1966) et David Libermann (1963) en Argentine et par Gregory Bateson (1972), à Palo Alto, sur la communication paradoxale, ont été un antécédent pour les recherches sur les différentes formes de transmission et aussi pour la théorie sur le processus d’apprentissage élaborée par certains d’entre nous à l’École de Pichon Rivière (Jaitin, 1982).
30 Du côté de l’École de Francfort, Max Horkheimer (1930) interroge la question du lien de travail dans sa relation entre le sujet connaissant et l’objet de connaissance : le processus de production serait la réalisation inconsciente du travail et de la relation coopérative de tous les sujets laborieux. Il s’appuie sur la conception fonctionnaliste d’Eric Fromm. La connaissance serait pour l’auteur un processus dualiste : ajusté à la réalité et soumis aussi à la pulsionnalité.
31 Pour sa part, Habermas (1970) introduit l’idée de « l’agir communicationnel instrumental » (1981) s’appuyant sur la théorie des systèmes et celle de Georges Mead de l’« autre généralisé ». Habermas donne des bases à la théorie de l’intersubjectivité, ancrée sur les structures du langage et de l’action.
32 La question de la transmission et de la reconnaissance dans les alliances inconscientes a un scénario qui est le groupe. Nous verrons alors pourquoi les groupes, dans leurs différentes formes (familial, social, de travail), contribuent à la réalisation d’un travail à la fois matériel et psychique.
Groupe et tâche
33 Je vais aborder maintenant la conception du groupe d’E. Pichon Rivière pour continuer à travailler la question du travail psychique des liens.
34 La théorisation de Pichon Rivière sur la problématique des liens et sa mise en œuvre dans la conception et la technique du « grupo operativo » offre la possibilité d’écouter et d’accompagner la transformation potentielle des liens à leurs différents niveaux d’emboîtement et d’articulation. Les techniques du « grupo operativo » s’inscrivent comme une modalité d’intervention dans le champ de la production matérielle et symbolique. Cette modalité de travail avec le groupe est en relation avec la conception du lien chez E. Pichon Rivière (1969). La subjectivité émerge comme résultat des relations concrètes d’existence. Le Sujet se configure dans ces relations : « Il est créateur de son univers social, matériel, symbolique qui à la fois l’héberge et le constitue » (Quiroga, 2002).
35 Les liens entre les sujets sont la condition même de leur existence et, dans ce sens, le groupe de travail, le groupe familial et social sont omniprésents dans toutes les familles. Le Sujet va, ensuite, se potentialiser à partir des processus d’identification réciproque, de reconnaissance et de transmission à travers les générations qui vont créer les conditions de la symbolisation. Cette conception du Sujet de groupe et de Communauté suppose que la relation entre le groupe et le Sujet soit d’institution mutuelle et réciproque. Elle montre aussi que le groupe – horizon immédiat de l’expérience sociale – remplit une fonction de médiation et d’articulation entre l’ordre sociohistorique et la subjectivité. Le groupe serait le chaînon manquant pour reprendre Jean Claude Rouchy (1998).
36 Pour E. Pichon Rivière, le travail est un organisateur psychique et social. La question du travail est reprise à travers le concept de la tâche qui est un processus multidimensionnel qui implique le « faire avec l’autre » dans l’élaboration symbolique et le travail psychique des angoisses ainsi mobilisées. L’« operativo » fait référence au faire, à l’utilisation du groupe comme espace intermédiaire d’analyse des obstacles qui surgissent toujours entre les sujets et la tâche qu’ils réalisent. Dans le faire avec les autres, les sujets effectuent une activité matérielle et représentative, comme acteurs d’un processus de construction de leur univers symbolique. La reconnaissance entre les sujets est en rapport avec la perspective d’un projet qui entre forcément en contradiction avec la résistance au changement. La conception de Sujet de groupe repris par R. Kaës (2013, 2015) et celle du groupe se renvoient l’une à l’autre. Si le Sujet est, quant à lui, essentiellement Sujet d’une praxis partagée, l’opérativité, la transformation, le soutien réciproque seront nécessairement les caractéristiques des groupes.
37 La technique de « grupo operativo » mène à la réalisation d’un travail psychique de nature élaboratrice parce que les obstacles à la tâche ont leur genèse dans des fantasmes et des imagos partagées. Ceux-ci mobilisent des angoisses primitives qui mettent en marche des mécanismes défensifs plus ou moins rigides. Ces contradictions, fantasmes et angoisses partagés ou complémentaires s’expriment tant dans les relations avec le travail qu’au niveau des modalités de relation et de symbolisation.
38 La spécificité du travail du grupo operativo est d’analyser les obstacles à la tâche, c’est-à-dire le décalage entre le travail prescrit et le travail réalisé. Ce problème constitue un obstacle central dans tous les liens de travail.
39 Pour lui, il n’y a pas de groupe sans tâche, sans un objet. La tâche constitue un organisateur groupal, aussi bien au niveau latent qu’au niveau manifeste. Le groupe se construit à partir d’une tâche qui met en marche le processus de symbolisation de la représentation mutuelle entre les sujets du groupe.
40 L’unité d’analyse dans les groupes serait la triangulation sujet, groupe et tâche. La difficulté de transmission et d’appropriation de la connaissance nécessaire a ses racines dans les obstacles (épistémo-logiques et épistemophiliques) qui créent une distance entre le projet et le faire.
41 Les processus associatifs dans les groupes s’organisent à partir de la tâche qui opère comme une représentation fine, comme un organisateur inconscient.
42 Pour compléter le concept, il y a une deuxième triangulation : la tâche latente, la structure groupale et le contexte dans lequel la tâche se réalise, qui forment une équation, source de fantasmes inconscients. C’est-à-dire que la considération du contexte institutionnel (entreprise ou autres), du contexte social, culturel et politique ainsi que des alliances fondées sur une éthique, sont des vecteurs indispensables pour comprendre les obstacles épistémologiques et épistémophiliques auxquels les sujets se voient confrontés dans la réalisation de leurs tâches.
43 Les angoisses mobilisées par les obstacles provoquent des formes régressives. L’objet de connaissance est vécu comme dangereux au risque d’attaquer le Moi, l’angoisse dominante est la peur de l’attaque (angoisse paranoïde), qui provoque la perte de l’identité propre. Les groupes sont des espaces d’élaboration des liens d’amitié et d’inimitié, pour construire un ennemi. Je reprends les paroles d’Umberto Eco (2011) : « […] il paraît que nous ne pouvons pas vivre sans ennemi […] L’éthique n’arrive pas quand nous feignons de ne pas avoir d’ennemis, mais quand nous essayons de leur donner leur place. Comprendre autrui signifie détruire les clichés qui l’entourent, sans nier ni effacer son altérité. »
44 Continuons maintenant avec la notion de tâche.
45 Pichon Rivière (1972) va différencier différents moments de la tâche. Ainsi elle comprend trois moments : la pré-tâche, la tâche proprement dite et le projet.
46 La tâche initiale ou « pré-tâche », relative à la position schizo-paranoïde de M. Klein donne lieu à des mécanismes de clivage et de dissociation entre le « penser », « l’action et l’affect ».
47 Le groupe s’adonne à une série de tâches, mécanismes d’ajournement derrière lesquels se cache l’impossibilité de supporter les frustrations d’initiation et d’achèvement de celles-ci ; il ressent alors une frustration constante.
48 Les techniques défensives sont augmentées dans le premier moment, mobilisées par l’accroissement de la peur de la perte et de la peur de l’attaque et elles structurent la résistance aux changements.
49 La tâche proprement dite. Pichon Rivière dit que la tâche est faite d’une réédition de l’objet détruit dans le groupe, noyau de la dépression de base qui perturbe la lecture de la réalité. La tâche est dirigée vers l’élaboration de la situation pathogène et de la perturbation de la réalité qui en résulte.
50 Le troisième moment de la tâche correspond au projet du groupe. C’est dans ce processus de transformation que le projet émergera ainsi que la différenciation des membres du groupe qui atteignent leur propre identité avec leurs propres limites.
51 La reconnaissance entre les sujets est en rapport avec la perspective d’un projet qui rend compte d’une transmission qui a transformé le groupe.
52 Les dispositifs du grupo operativo sont créés pour visualiser et aborder les obstacles ; pour prendre contact avec les angoisses, les scènes internes que la situation mobilise. Chaque contexte, chaque demande requiert une analyse pertinente du dispositif. Ceci implique des nuances dans le cadre et dans les modalités d’intervention suivant qu’il s’agit d’un groupe familial, d’un groupe de formation, d’une équipe sportive, d’un service hospitalier, d’un groupe qui affronte la violence domestique, d’une institution de quartier ou de travail, ou d’une communauté.
53 La spécificité de la technique du groupe operativo est d’analyser les obstacles à la tâche que le groupe se propose ; et chaque demande suppose l’analyse d’un dispositif particulier d’écoute. C’est-à-dire que chaque demande (de thérapie de couple, familiale, de groupe, de groupes de formation, de supervision, ainsi que les interventions institutionnelles ou dans des communautés) suppose une analyse et une adéquation du dispositif au champ d’intervention.
54 Un autre niveau d’analyse de la conception du groupe operativo correspond à la clinique du grand groupe.
Le grand groupe
55 Mes recherches en crèche à Buenos Aires (Jaitin, 1987), autour du grand groupe à l’université (Jaitin, 1995) et mon travail actuel dans le cadre d’un séminaire de formation en grand groupe, m’ont permis d’arriver à des constatations cliniques autour de la question du grand groupe.
56 Revenons brièvement sur l’étude psychanalytique de la vie sociale et institutionnelle inaugurée par S. Freud (1913). En s’appuyant sur l’invention du paradigme fictif du « mythe de la horde primitive », il a dévoilé, dans Totem et tabou (1913), la présence constante dans tout groupe, du fantasme inconscient du meurtre du Père, qui fonde la vie sociale et l’accès à l’ordre du symbolique qui constitue le noyau de l’éducation et de la culture. Ce texte a une importance centrale dans la fondation et le fonctionnement des institutions.
57 Le Bon et Freud ont considéré les problèmes de la régression de la pensée dans les phénomènes de foules qui mettent en difficulté l’activité du préconscient.
58 La manière dont la régression se met à l’œuvre dans le social et la culture est introduite par S. Freud (1913) à travers la fiction théorico-mythique du meurtre du Père qui prend en compte l’héritage phylogénétique et où sont incluses les questions des origines et de la place de l’ancêtre et des fils.
59 De ce point de vue, l’imago de la horde primitive apparaît comme un modèle universel construit historiquement qui représenterait le Père comme une figure commune et idéalisée et qui contribuerait à la prise en compte du Surmoi dans la topique de l’appareil psychique.
60 Par ailleurs, le modèle de Totem et tabou (1913) correspondrait à une version paternelle du complexe d’Œdipe, dans ses composantes homosexuelles et narcissiques, où les investissements mégalomaniaques et d’identification à un père tout-puissant sont déplacés sur les frères et sur la culture.
61 Plus tard, dans Psychologie des masses et analyse du moi (1921), en montrant que le meneur est le dépositaire de l’idéal du Moi de chacun des membres d’un ensemble, S. Freud a situé la fonction de l’idéal du Moi au premier plan des phénomènes relationnels présents dans un groupe.
62 Cette conception l’a conduit à décrire des liens d’identification mutuelle entre les membres du groupe et avec le leader et, de façon plus générale, à concevoir la notion d’identification comme formatrice du Moi et comme forme primitive de liaison.
63 Suivant ce modèle, nous dirons que l’identification avec le meneur pourrait transformer la rivalité en une identification mutuelle ; ou, au contraire, détruire les liens entre les sujets. La servitude volontaire (La Boétie, 1548), la banalité du mal (Arendt, 1963), la loi de l’Obéissance due (loi n°23.521, 1987) en Argentine, témoignent que l’inhumain se loge en chacun de nous.
64 En partant de l’inhumanité de l’humain, Christophe Dejours (2009) met en question l’hypothèse de Freud pour qui l’amour et la libido seraient le fondement du lien social. Selon l’auteur, l’identification à un meneur entraîne la régression de la pensée, forme des foules, sans lien réel, c’est le sec, la masse. De plus, il affirme que le processus qui tend à utiliser le rôle de bouc émissaire repose sur la destruction des liens de coopération, sous l’empire de la peur, et la stratégie de défense serait de désigner un ennemi commun pour sauver la cohésion.
65 J’avais déjà envisagé le problème des phénomènes de foules présents aussi dans les groupes restreints en arrière-fond en ce qui concerne la transformation de la représentation de la pulsion comme un processus qui produirait des phénomènes régressifs de dégroupement et des obstacles épistémiques dans le groupe d’enfants (Jaitin, 1987).
66 Mais dans tout processus de création, la régression est un mouvement complémentaire à la progression. Il n’y a pas de progression sans régression. À mon avis, la régression dans le grand groupe demande la création de dispositifs qui permettent la reconnaissance des sujets qui y participent.
67 Je suis d’accord avec C. Dejours qui interroge le texte de Freud (1929) Malaise dans la culture. Sa question est : est-ce que seule la peur de perdre l’amour parental ou la reconnaissance empêche de faire le mal ? La passion de servir, l’amour de l’esclavage, la soumission à la « masse » et à la reconnaissance d’un leader pervers sont autant de réponses possibles.
68 La question de la dépendance aveugle à la reconnaissance dans les liens (verticaux et horizontaux) constitue un problème central qui n’est pas inhérent au processus d’identification. Il est ici question de l’éthique du leader et du respect d’autrui comme semblable.
69 Effectivement, les dysfonctionnements dans les mécanismes d’identification, sont liés aux défaillances des garants métapsychiques et métasociaux. Or, quand les garants métapsychiques sont défaillants, le préconscient est mis hors circuit, car c’est lui qui assure l’activité de symbolisation et la construction du sens, dans les liens intersubjectifs. Par conséquent, la pensée devient une pensée de foules (Kaës, 2012).
70 Lors de mes recherches sur les groupes d’enfants en crèche, j’en suis venue à constater que le phénomène de foules ne pouvait pas se limiter à la question du nombre. La question de l’anonymat, de l’impersonnel, c’est-à-dire de la représentation de foule, est apparue très importante dans cette recherche institutionnelle. Les enfants qui partageaient la vie quotidienne, en petits groupes, ne pouvaient pas se nommer eux-mêmes. Certains étaient désignés par des tiers. Une autre observation montrait la difficulté à connaître les prénoms de deux frères qui étaient jumeaux. Ceux-ci non seulement se nommaient « jum », mais, de plus, chacun déclarait s’appeler Victor. Nous n’avons pas pu clarifier cette situation avant de pouvoir consulter les listes de l’institution ; en fait, l’un d’eux s’appelait Claude. La non-reconnaissance sociale et culturelle des enfants et de leur famille faisait que cette dernière se présentait à l’institution comme un sujet anonyme.
71 Les difficultés générales de la présentation initiale dans ce groupe d’enfants nous ont amenés à penser que nous nous étions trompés dans la proposition de présentation, car nous avions utilisé d’autres cadres culturels de référence que les leurs. C’est pour cela que, lors du deuxième entretien de groupe, nous avons proposé de se présenter par le surnom, nomination fréquente dans ce milieu. Mais les enfants ont traduit le mot « surnom » par nom de famille.
72 Dans le contexte du groupe, le prénom n’apparaissait pas pour appeler les autres enfants, ce qui était utilisé, c’était l’appellation de « gars ». C’est-à-dire que non seulement les enfants ne pouvaient pas donner leur prénom, mais que les autres ne pouvaient pas non plus les nommer (Jaitin, 1987).
73 J’ai travaillé par ailleurs, dans des grands groupes de formation à l’université, la question de la crise épistémique au début et à la fin des études (Jaitin, 1995). J’ai caractérisé la crise épistémique comme un processus dans lequel la pensée primaire fait irruption sur la pensée secondaire en créant une confusion qui altère les processus intermédiaires entre la représentation affective et la représentation cognitive. Dans le groupe universitaire, la rencontre du regard de l’autre et la nomination offrent des appuis qui donnent au sujet l’assurance d’une reconnaissance narcissique. Mais les dés-étayages de la situation épistémique institutionnelle conduiraient parfois les étudiants à chercher des modèles autoritaires ou des modèles idéalisés pour retrouver un sentiment de sécurité narcissique.
74 Néanmoins, mes huit ans de recherche sur le grand groupe en Argentine et en France m’ont permis de vérifier que la création d’une zone intermédiaire entre la réalité psychique personnelle et l’expérience culturelle proposée par D.W. Winnicott (1951) conduit à supposer l’existence d’espaces intermédiaires épistémiques qui assureraient la continuité entre la représentation sociale de l’étudiant, le travail créatif et la tâche scientifique.
75 Autrement dit, ces espaces intermédiaires épistémiques pourraient contribuer à la liaison entre un « espace culturel subjectif » et un « espace culturel objectif », entre l’histoire personnelle et l’épistémologie d’un objet d’étude scientifique donné.
76 Ces propositions conduisent maintenant à penser que la culture, l’institution et le groupe peuvent avoir une fonction d’étayage pour la représentation de la vie pulsionnelle, en particulier pour la pulsion de savoir et la reconnaissance de la capacité potentielle du sujet à faire un travail dans lequel il pourrait transformer la réalité qui l’entoure en se transformant lui-même, dans la mesure où il arrive à articuler la pensée, l’affect et l’action.
77 Pour compléter l’approche du groupe operativo contemporain, je vais m’attarder sur le groupe de formation.
« Grupo operativo » de formation
78 En m’appuyant sur mon expérience de vingt ans de travail en Argentine à l’École de Pichon Rivière et sur mes recherches sous la direction de René Kaës en France (Jaitin, 1995), j’ai créé une institution de formation à la psychanalyse des liens, qui mène un travail de réflexion clinique et de recherche.
79 Les groupes de formation et de supervision d’Apsylien-rec sont hétérogènes dans leur origine, professionnelle et institutionnelle.
80 Dans cette institution, j’ai mis en place un dispositif de formation. Et parce que tous les dispositifs qui arrivent à être pertinents ont une fonction métaphorique, ce serait comme un espace tiers qui permet de se penser et de penser. Ce dispositif de travail a comme élément sous-jacent un cadre comme espace de dépôt de certains éléments qui restent en repos pour travailler le processus. La limitation que chaque dispositif impose, permet ainsi d’accueillir les limites dans les liens.
81 Dans le cadre du groupe de formation, l’hypothèse serait qu’il existe une articulation entre la tâche explicite (le thème introduit par un cours) et la dynamique du groupe. C’est-à-dire que le thème aide à figurer des fantasmes qui traversent de manière constante le processus de formation. Le thème comme organisateur culturel aide à symboliser les fantasmes groupaux, ainsi que l’organisation politique des liens. C’est-à-dire que les liens de pouvoir, les traumatismes sociaux, le fond institutionnel des liens vont être écoutés dans le dispositif.
82 Le temps de la matinée de formation se répartit en quatre moments :
83 – la pré-tâche ou moment de la rencontre (30 minutes) : elle s’effectue dans un salon avec une médiation orale. C’est le moment de l’accordage des différents temps d’arrivée de chaque membre du groupe où nous évoquons des questions administratives, des nouvelles à se transmettre de la part du formateur et des étudiants. Ce temps d’accueil fonctionne comme un dépôt du fonds inanalysable de notre lien institutionnel ;
84 – le cours théorique (45 minutes) : il se déroule dans une autre pièce et il est à la charge de l’enseignant ou des étudiants qui, à certains moments, font un travail sur les auteurs qui ont contribué à la théorie de groupe et sur les liens en psychanalyse ;
85 – ensuite le groupe travaille avec un dispositif de grupo operativo. Les chaises sont disposées en cercle : chaises occupées ou vides qui marquent la présence ou l’absence des membres du groupe. La consigne est d’associer librement autour du cours qui vient d’être écouté. Les possibilités d’associer librement autour de la résonance face à l’écoute d’un thème instituent la liberté de penser. Le jeu autour de la pensée crée un espace intermédiaire pour se penser et penser le groupe. Ce type d’écoute permet de repérer, d’auto-saisir, d’auto-représenter la question à traiter et de visualiser les aspects de l’écoute à laquelle chaque membre du groupe est sensible. C’est-à-dire que, pour nous, les expériences d’écoute ne sont pas seulement multi-sensorielles, multi-perceptives, multi-pulsionnelles, mais surtout multi-personnelles et interpersonnelles.
86 – à la fin de la matinée, le formateur fait une restitution du travail du groupe en relation avec la thématique du cours. Dans ce travail de restitution, le travail en filigrane entre le thème et la résonance sur le groupe permet de créer une espace de reconnaissance, de « sécurité suffisante pour que narcissisme, et double de soi ne soit pas en rupture avec le différent de soi ».
87 La crainte de la crise identitaire que le groupe provoque émerge dans un double mouvement de résistance, d’immobilisation de la pensée, mais aussi comme identification à un modèle d’écoute qu’institue l’obstacle de connaissance comme élément constituant, constant, comme l’outil principal du processus de formation.
88 Le temps de l’après-midi débute par un tour de parole autour des situations cliniques qui ont posé problème entre nos rencontres mensuelles. La clinique des membres d’Apsylien est très diverse comme l’est le champ de travail de chaque participant du groupe (psychiatres, psychologues, infirmières, éducateurs, formateurs, psychomotriciens qui travaillent dans des institutions variées).
89 À partir de ce tour de parole, nous créons des situations qui sont travaillées en psychodrame ou bien à travers une technique de multiplication dramatique, qui est un travail d’association libre, mis en scène. Le passage par l’acte ou par l’action représentative, par les scènes du jeu, est ainsi un acte d’auto-symbolisation et de représentation du lien avec autrui, en particulier concernant les liens transféro-contre et intertransférentiels qui se mobilisent dans le travail institutionnel.
90 Le travail mensuel donne une continuité qui permet d’avancer grâce à l’entrecroisement de sa propre clinique avec celle des autres membres du groupe.
91 Je voudrais maintenant raconter une journée de formation pour transmettre comment nous écoutons la question de la transmission et de la reconnaissance dans l’espace de travail où elle se révèle.
92 Cette journée débute autour de 9 h 50 quand une personne arrive et s’installe dans le salon et le groupe se trouve au complet autour de 10 h 15. Nous buvons le café, nous parlons des questions administratives. Mais ce jour-là, différentes nouvelles d’Apsylien, auxquelles participent différents membres, sont restituées au groupe, et nous dépassons de 10 minutes le cadre horaire. Le climat est plutôt excitant et je suis le porte-voix de cette excitation contre-identifiée avec le groupe.
93 Nous passons dans l’autre pièce. Le cours est à la charge d’un membre du groupe, il porte sur José Bleger. Ainsi le contenu inclut les notions de noyaux symbiotiques, de sociabilité syncrétique, de cadre et d’institution.
94 Le groupe se met à travailler en grupo operativo et je prends des notes, comme d’habitude dans une position d’écoute.
95 Je transmettrai le contenu de la séance de travail en « grupo operativo » à partir de la restitution que j’ai réalisée à la fin de la matinée.
96 De manière imprévisible, la porte reste ouverte sans que je l’aperçoive. L’ouverture de la porte évoque le départ d’un membre du groupe deux séances auparavant, ainsi que l’annonce d’un nouveau départ et la perception groupale d’un mouvement maniaque de ma part dans le moment d’accueil.
97 La discussion porte autour du groupe comme fin thérapeutique ou de l’organisation comme fin quand l’institution se bureaucratise.
98 Un autre participant évoque un « groupe repas » coordonné par des collègues à l’heure du déjeuner ; une autre partie de l’équipe se sent exclue et décide d’aller manger dehors, ce qui déstabilise le groupe repas. Le groupe externe qui paraît imperceptible dans un premier temps, se rend visible quand il est absent. Le groupe dehors invisible comme dépôt d’un non-processus soutient le dedans comme processus.
99 La question du cadre comme dépôt articule les expériences du dehors et les expériences du dedans qui traversent notre groupe. Le cadre contient aussi la peur de la perte de la contenance groupale (porte ouverte qui évoque les départs) et l’angoisse de démembrement du groupe.
100 Mais un autre fantasme de séduction et de perversion est évoqué en références à d’autres groupes pièges où l’on risque de rester enfermé ou bien des groupes où le sujet perd sa liberté, par des querelles d’écoles et des enjeux de pouvoir. La crainte de la désappropriation de la condition de subjectivation apparaît dans le groupe. Et le fantasme de la « société de Caïn » (Roberto Esposito), c’est-à-dire le fantasme que « tous les hommes ont la propriété d’être tuable » est scénarisé par le départ des membres du groupe. Cette menace de mort est contrebalancée par la question de la vie. Un autre membre signale l’expérience de récupération narcissique que le groupe a apportée comme scène d’une expérience d’un nouveau contrat narcissique.
101 Le transfert central porte en lui la méfiance, la confiance, l’exigence et l’argent qui institue l’échange entre donner et recevoir. La question de la reconnaissance, de la validation de l’acquis sur laquelle les participantes verbalisent, institue le groupe comme un espace contractuel de reconnaissance mutuelle et touche à la question de l’institutionnalisation de la transmission.
102 Comment est ce que le texte de Bleger nous a permis de mettre en travail la conflictualité dans le processus de transmission ? Et je pense à mon propre contre-transfert dans le groupe.
103 Comment moi-même j’ai pu m’impliquer dans l’écoute du cours sur José Bleger, argentin qui m’a appris la psychopathologie à Buenos Aires. En écrivant cet article, mes souvenirs se déplacent vers le portrait de Freud qui a traversé l’Atlantique avec moi et qui est dans mon cabinet. C’est le cadeau que José Bleger a offert à Marie Langer à la fin de son analyse avec elle et dont j’ai hérité.
104 L’après-midi, le groupe reprend la matinée et évoque une multiplicité de situations cliniques qui vont être travaillées par la technique de multiplication dramatique. Ainsi quatre situations vont êtres joués et l’ensemble est éloigné de la clinique habituelle. Trois de ces quatre situations concernent des associations humanitaires ; et la quatrième, une réunion de comité d’entreprise.
105 Première situation : un groupe de comité d’entreprise en France qui discute sur la réduction de personnel.
106 Deuxième situation : un orphelinat au Cambodge qui est en train de se fonder.
107 Troisième situation : une ong, association humanitaire en Afrique qui se réunit en France pour faire un bilan avant un nouveau départ et qui met en question l’authenticité de la demande de l’aide humanitaire.
108 Quatrième situation : dans une association humanitaire, « Vétérinaires du Monde », une partie de l’équipe écrit un projet pour avoir des fonds, qui sont destinés à autre chose.
109 De la lecture de la chaîne associative verbale entre les scènes, ressort un fantasme des liens dominateurs/dominés, qui crée un trou en ouvrant une brèche radicale entre les liens. Cette rupture est potentiellement vécue comme un génocide (l’homme est tuable ; en prenant le modèle de Caïn).
110 Mais le groupe essaye dans la scène 2 de créer une communauté en termes de réciprocité et de soutien sur un idéal dans lequel l’intersubjectivité peut émerger ; et l’expérience de destruction peut être dépassée.
111 Face à la culpabilité de la destruction, apparaît la question du don dans la scène 3. Mais la méconnaissance des conditions socioculturelles desquelles émerge la demande, pose des problèmes dans la transmission des aliments jusqu’à leurs destinataires et augmente les liens d’inimitié dans la communauté même.
112 Dans la quatrième scène, le groupe qui donne à la communauté se sent volé, dépouillé de sa production, de sa subjectivité propre et l’institutionnalisation aliène car elle méconnaît les besoins de chaque espèce animale.
113 Nous pouvons établir un lien de continuité entre les chaînes associatives de la matinée en groupe operativo et de l’après-midi en multiplication dramatiques. Différents obstacles dans la transmission sont posés :
114 Les liens sont conçus en termes d’humain/non humain.
115 Le chef du groupe est représenté par un fantasme de séduction et de manipulation perverse. À l’idéologie dominant/dominé de la première scène de l’entreprise s’opposent trois associations humanitaires. L’humanitaire apparaît comme le don sans contre-don, c’est la pyramide du sacrifice.
116 La rivalité entre les membres de la même communauté empêche de transmettre les aliments à leurs destinataires. La société de Caïn, comme paradigme actuel de la modernité, est la négation des communautés.
117 Comme dans Totem et tabou, les frères non seulement renoncent aux femmes et au pouvoir, mais aussi à l’identité de frères, à la solidarité entre eux.
118 Les frères en ne s’identifiant qu’au mort qu’ils ont mangé établissent une relation sacrificatoire entre pères et fils qui se mangent entre eux. La voracité détruit la solidarité, et la peur marque le retour de l’homicide paternel.
119 Dans ce cas, le groupe met en scène une transmission traumatique qui se réactualise comme une inquiétante étrangeté.
120 La crainte de la désappropriation de la subjectivité apparaît dans le groupe. Il semblerait que communément la propriété subjective se vide et elle est négative. Dans la communauté, le sujet se distancie et les sujets se convertissent en non-sujets.
121 À partir d’un lien qui se structure sur le non-lien, le groupe se soumet à une identification qu’il attrape et se soumet au vide. En devenant frères dans la faute, ils perdent leur subjectivité politique parce qu’ils ne se sentent pas représentés.
122 La communauté ne peut pas être pensée dans la reconnaissance réciproque ou intersubjective ni comme un corps commun. La communauté devient un spasme en continu. La communauté n’est pas la « res publica » mais un trou dans un continu.
123 À la fin de la matinée apparaît la question de la réciprocité du don et la recherche d’une reconnaissance mutuelle dans la formation.
124 C’est alors que la « communalisation » définie comme le sentiment subjectif ou affectif des participants d’appartenir à une même communauté de pensée s’exprime dans le groupe.
125 Le malaise dans la civilisation prend cette nouvelle forme, en provoquant une souffrance intense chez les sujets, parce que l’ensemble des enveloppes identitaires, des liens d’amitié, d’appartenance à son propre corps, au conjoint, à la famille, au groupe de travail, au groupe social et à la communauté sont graduellement détruits.
126 Donc la crise dans les liens produit de nouveaux modèles de liens de désagrégation des liens autant dans le transsubjectif (la communauté) que dans l’intersubjectif (le groupe) mais aussi dans la construction psychique de chaque sujet qui met en péril l’humain.
En conclusion
127 Le groupe « operativo » naît d’une conception du psychisme comme émergeant d’un lien familial et social, et il a comme support technique un dispositif qu’il établit dans un champ transféro-contre-transférentiel, adapté aux sujets, aux institutions et aux communautés. C’est une modalité d’intervention qui s’inscrit dans un champ de production d’une tâche matérielle et symbolique. Le travail (la tâche) est un des organisateurs psychique et social central de toute formation des liens.
128 La question de l’entremêlement des liens (alliances inconscientes) a comme fonction la recherche de la reconnaissance dans l’appartenance au lien et à la transmission. Le travail de groupe « operativo » porte sur l’analyse des obstacles épistémologiques et épistémophiliques qui se présentent lorsque les sujets se regroupent afin de réaliser un travail dans différents espaces institués ou dans les communautés dans lesquelles ils vivent.
129 La base du groupe « operativo » est la notion de sujet, émergeant d’un réseau de liens qui se manifeste au sein de différentes aires et champs d’expression. Ceux-ci émergent du groupe interne de chaque sujet, des relations que ces sujets établissent entre eux et avec la tâche, toujours prise dans un lien institutionnel ou communautaire et dans un contexte social, culturel et politique.
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Mots-clés éditeurs : tâche, Groupe « operativo », demandes et dispositifs, travail des liens
Mise en ligne 11/05/2017
https://doi.org/10.3917/rppg.068.0063