1Le traitement des patients souffrant de maladies psychosomatiques et/ou de crises de panique est souvent difficile. Pour ces patients, l’association libre se trouve entravée par des vécus traumatiques durant la période précoce de la constitution psychique. Leur préconscient étant affecté, les liens entre inconscient et conscient sont malmenés et interrompus, parfois.
2Comme les transferts métaphoriques ne peuvent se réaliser, il est souvent difficile pour les thérapeutes d’interpréter lors des séances car ils sont fragiles et, comme le décrit P. Marty (1961, 1990a et b), se désorganisent rapidement.
3Pour toutes ces raisons, il a été décidé d’aborder le groupe au moyen du Photolangage® pour un traitement psychothérapeutique de ce type de patients.
4Pourquoi utiliser une technique à médiation ? Principalement parce que les outils d’interprétation et d’association libre caractéristiques des groupes de parole sont rendus impossibles.
Présentation du Photolangage®
5Cette méthode a été créée à partir de 1965 par un groupe de psychologues et psychosociologues lyonnais, travaillant avec des adolescents, qui proposa de manière totalement intuitive au départ, d’utiliser des photos pour servir de support à la parole, pour des jeunes qui rencontraient des difficultés à s’exprimer et à parler en groupe de leurs expériences diverses et parfois douloureuses sur le plan personnel. Les premières photos furent prises par des photographes différents, et tirées sur papier, en noir et blanc. Quel ne fut pas l’étonnement des animateurs de ces premiers groupes de constater que soudain les échanges se développaient et que les langues se déliaient avec spontanéité et intérêt réciproque. Il apparaissait que l’on pouvait avoir du plaisir à s’écouter. Bien vite, l’idée s’appliqua dans le domaine de la formation des adultes et c’est encore dans ce secteur d’activité, en entreprise comme dans le champ social et de la santé que le Photolangage© est le plus utilisé, tant en France qu’à l’étranger. À entendre les animateurs qui s’en servent, il semble bien que cette méthode est appréciée tout particulièrement lorsqu’il s’agit de commencer un groupe, ou de le clôturer en utilisant le Photolangage© comme technique d’évaluation.
6Hormis ces quelques champs et situations types où le Photolangage© trouve classiquement son utilisation, avec les adolescents difficiles, les psychopathes, les toxicomanes, les patients psychotiques, les personnes âgées, dans divers lieux de soin tels que l’hôpital psychiatrique, l’hôpital de jour, les dispensaires, les CATTP [1] et les prisons, se sont implantés un nombre qui va croissant de groupes coanimés par des psychologues cliniciens avec des infirmiers psychiatriques. C’est au domaine du soin que nous nous sommes attachés d’appliquer cette méthode avec des groupes de patients psychosomatiques et/ou souffrant de crises de panique depuis plus de dix ans. R. Kaës (1984, 1986, 1988, 1992, 1993, 1999) souligne en effet que la psyché présente une origine groupale et nous dit que dans le groupe se réactive la scène de l’inconscient, mobilisée dans l’analyse groupale. L’ajout du visuel produit une synergie qui favorise la production de la chaîne associative. R. Kaës, dans la préface de Photo, Groupe, et Soin psychique (Vacheret, 2000), réfléchit à l’idée que cette technique à médiation induit une régression formelle vers les images sans paroles, avec une aire de jeu en groupe pouvant rétablir les processus élémentaires de symbolisation. La méthode Photolangage® se trouve faciliter ainsi la communication et diminuer la peur de « se diluer » ou de perdre son identité dans la situation groupale. Cette angoisse s’atténue à travers l’objet médiateur que sont les photos. M. Bernard (2000) se posait la question : peut-on seulement penser en mots ? La pensée en images serait-elle de qualité inférieure ? Nous pensons qu’il s’agit de niveaux différents qui peuvent être mobilisés successivement ou simultanément dans le groupe.
Principaux aspects du dispositif
7Dans le domaine de la santé mentale, cinq à huit patients constituent un groupe hebdomadaire d’une heure ou une heure quinze. Chaque séance débute par une question soigneusement préparée par l’animateur et qui, une fois posée au groupe, provoque le choix des photos. Le choix de la question fait partie du dispositif. Chaque semaine, en thérapie, la question (ou le thème) change, elle peut être présentée sous forme soit affirmative, soit interrogative. Le choix des photos : la méthode Photolangage© est constituée d’un ensemble très précis de consignes mais aussi d’un certain nombre de dossiers de quarante-huit photos en noir et blanc qui sont regroupées par thème. Actuellement, dans l’expérience de groupe menée à Buenos Aires, des photos en couleur ont été ajoutées. Il est fréquent de mélanger les photos noir et blanc avec des photos couleur.
Le déroulement d’une séance
8Une séance Photolangage© se déroule en deux temps :
9– un premier temps qui est celui du choix des photos ;
10– un deuxième temps qui est celui des échanges en groupe.
Le premier temps, le choix des photos
11Après avoir énoncé la question, qui lance la séance de groupe et qui origine le choix d’une ou plusieurs photos, l’animateur dispose avec soin une trentaine des photos sur les tables, d’une manière bien agencée, et suffisamment aérée pour que tous les membres du groupe puissent circuler dans la pièce, passer de table en table, et regarder librement les photos, sans ordre pré-établi. L’animateur prend soin de préciser que :
12– ce choix se fait dans le silence, afin de respecter la réflexion et le choix des autres ;
13– ce choix se fait du regard, afin de laisser toutes les photos à la disposition de tous les participants, car chacun choisit à son rythme ;
14– il est conseillé de signifier à l’animateur, en se mettant dans une autre partie de la pièce, un peu à l’écart, que l’on a fait son choix, afin qu’il puisse repérer le moment où tout le monde a choisi sa photo ;
15– il est important de ne pas changer de choix, si quelqu’un d’autre a choisi la même photo que soi et la prend à la main, lorsque l’animateur invite à le faire. L’animateur précise, dans ce cas-là : « Vous retrouverez votre photo dans le groupe. »
16Il est proposé de se laisser interpeller par les photos, de les regarder attentivement, afin de se sensibiliser à celles qui nous parlent le plus. L’animateur dit explicitement au groupe, dès l’énoncé de toutes ces consignes, qu’il choisit lui aussi une photo et participe aux échanges en groupe, comme les autres membres. Cette consigne est importante pour plusieurs raisons. Il est vrai que le fait que l’animateur participe au jeu par son choix de photo est une des spécificités de la méthode. Dans le domaine du soin, cette disposition a une influence capitale sur la manière dont ce travail est perçu par les patients. C. Vacheret a fait l’hypothèse, il y a déjà plusieurs années, que si les groupes Photolangage© démarraient aussi promptement, c’était en partie dû au fait que les animateurs s’impliquant, les participants ont immédiatement la perception que cela n’est pas si dangereux. De plus, cette implication favorise grandement la possibilité pour les patients de s’identifier aux soignants, et de s’identifier au plaisir qu’ont les soignants à jouer, c’est-à-dire à associer, à faire des liens par la pensée. On imagine aisément l’effet produit sur un patient, lorsqu’il constate qu’il a choisi la même photo qu’un des soignants, et que, de cette même photo, ils peuvent exprimer l’un et l’autre des points de vue semblables et différents. Puis vient le deuxième temps de la séance.
Le temps des échanges en groupe
17Ce temps est limité à la durée de la séance et les participants sont invités par l’animateur à le partager groupalement. Il est dit : « Chacun présentera sa photo quand il le désire, en s’articulant éventuellement sur ce qui vient d’être dit. Nous écouterons attentivement celui ou celle qui présente sa photo. Nous ne ferons aucune interprétation au sens psychanalytique du terme, mais nous sommes invités, après cette présentation, à dire ce que nous voyons de semblable ou de différent sur cette photo. »
La spécificité de la méthode Photolangage©
18La spécificité du Photolangage© concerne, d’une part, les éléments du dispositif et, d’autre part, les processus groupaux, tels qu’ils se présentent et peuvent être repérés dans leur déroulement.
19Concernant le dispositif, une des particularités de la méthode est déterminée par le fait que l’animateur pose une question au groupe, à laquelle il propose de répondre à l’aide d’une photo. Cette composante est essentielle puisqu’elle définit un espace de jeu entre la mobilisation de la pensée en idées, pensée logique, organisée et secondarisée en vue de répondre à une question, d’une part, et la mobilisation de la pensée en images, qui fait réagir associativement le sujet à partir de ses images intériorisées et des affects qui les accompagnent selon l’analogie ou plutôt l’ana-logique du processus primaire. D’autre part, l’espace de jeu ainsi défini se structure entre le processus primaire (la pensée en images) et le processus secondaire (la pensée en idées) (Freud [1914, 1948]). Les conditions du jeu résident dans l’écart ainsi déterminé, constituant en soi une véritable aire de jeu. C’est également dans cette aire de jeu que chacun des participants va pouvoir s’exprimer sur la photo de l’autre sachant que chacun a en tête la question posée lorsqu’il commente une photo, qu’il s’agisse de la sienne ou de celle d’un autre participant. Cette aire de jeu, intermédiaire entre le processus primaire et le processus secondaire, favorise les processus de liaison de l’un à l’autre des deux registres ainsi spécifiés, assurant la double articulation entre l’intrapsychique et l’intersubjectif.
20À n’en point douter, c’est ce que S. Freud (1900) a conceptualisé en termes de représentation de chose, dont la traduction représentation-chose paraît plus judicieuse. La chose dont il s’agit, c’est l’image et l’affect, aux confins du corps et de la pulsion. C’est la raison pour laquelle C. Vacheret préfère parler d’image, pas seulement parce que la médiation en question s’appuie sur des images photographiques, mais aussi parce que l’image sensorielle, qu’elle soit théorisée en terme de pictogramme par Piera Aulagnier (1975) ou en termes de signifiant formel par D. Anzieu (1987), est, comme le dit Freud (1914, 1948) lui-même, le mode de pensée le plus proche des processus inconscients. En somme, « la pensée en images » comme il la désigne dans Le Moi et le Ça (1923) est une pensée dont les modalités de figuration sont inscrites dans l’expérience corporelle telles que le sont aussi les autres sensorialités : olfactives, gustatives, tactiles et auditives.
21Il s’agit d’ancrages perceptifs et sensoriels, inscrits dans ce que l’on peut appeler la mémoire du corps.
22Avec les techniques médiatrices, comme le Photolangage©, nous apprenons que l’imaginaire ne fait pas que se révéler en terme de contenus, mais qu’il est aussi une fonction psychique. Il est une fonction dans la mesure où il se transforme, il évolue, il change parce qu’il s’échange. Tout groupe à médiation offre au sujet une opportunité de rencontrer de nouveaux modèles identificatoires, à travers de nouvelles donnes dont les autres sont porteurs, par diffraction [2]. Parmi les personnages mis en scène, figurés et scénarisés, dans la chaîne associative groupale, le sujet saisit la part qui lui revient, et se réapproprie un peu de son histoire et de sa groupalité psychique interne, après qu’ayant transité par l’intermédiaire de l’imaginaire des autres, certaines facettes ou images de lui, lui reviennent, détoxiquées, transformées, à l’insu de chacun et du groupe.
23Le processus de symbolisation apparaît comme la résultante d’un travail psychique de liaison entre processus primaires et processus secondaires, par l’intermédiaire des « processus tertiaires », concept qui a été proposé et élaboré par A. Green (1982).
24Le groupe, au travers de la chaîne associative groupale donne lieu à un langage possible là où la parole est manquante ou en souffrance. C. Vacheret considère que la photo est une image, elle est entre le dedans et le dehors comme dans une néo-réalité qui offre une possibilité de jeu, le moyen d’accéder à cette pensée primaire, celle des images.
25La photo représente une petite part de notre vie intérieure. Elle figure un moment, un souvenir, un personnage, une trace qu’elle remobilise, par l’intermédiaire des images perceptives réactivées. Elle n’est jamais le reflet exact de notre réalité interne, elle n’est qu’une approximation, une forme contiguë, un contour analogique, une anamorphose. Elle entre dans notre monde interne par une fenêtre, celle de la sensorialité. La vue prime sur les autres sens, mais le visuel est associativement lié à l’auditif, à l’olfactif et au tactile. Une photo peut évoquer une musique, un parfum, un mouvement, un contact par le toucher. Toutes les techniques médiatrices ont leur spécificité, chacune privilégiant une porte d’entrée dans le monde interne et intime de notre sensorialité.
26Notre référence théorique est celle de la théorie psychanalytique et plus particulièrement les recherches de R. Kaës sur le groupe. Nous choisissons le dispositif de groupe Photolangage® pour soulager et traiter principalement la souffrance narcissique, les effets des traumatismes et les troubles d’identité des patients psychosomatiques et de ceux qui ont des crises de panique.
27Comme R. Kaës nous le dit, les notions capitales pour comprendre ces souffrances sont la transitionnalité, les formations intermédiaires et les processus de liaison et de déliaison. Le Photolangage®, comme méthode à médiation, favorise la constitution du groupe en un lieu de jeu et de soin à travers du lien et du discours groupal. Ainsi, on s’assure un apport trophique au narcissisme individuel.
28Un autre point à ne pas négliger est le travail de l’intersubjectivité : c’est-à-dire, l’activité du Préconscient des sujets en groupe qui articule le processus intrapsychique de figuration et de parole avec les processus intersubjectifs d’un autre et plus d’un-autre. Il est alors possible d’acquérir la répresentation et l’invention des paroles manquantes.
29Prenons l’exemple d’une patiente qui, souffrant d’asthme presque fatal, récupère un souvenir traumatique à travers une photo alors qu’il n’avait jamais été mis en mots jusque-là.
La question : « Choisissez une photo vous permettant de raconter une expérience de colère »
30Susana choisit la photo d’un homme avec une petite fille appuyée contre ses jambes. « Cela me rappelle quand je faisais la vaisselle dans la cuisine et que mon oncle maternel venait par derrière et me touchait la poitrine. Et aussi la colère contre ma mère qui n’accordait aucune importance à ce que je lui disais et ne me croyait pas. »
31Dans le groupe Photolangage®, une scène se déploie à travers la chaîne associative groupale et la diffraction du transfert, processus décrits par R. Kaës (1984, 1986, 1988, 1992, 1993).
32Les autres participants du groupe et leur effet de présence, dans ce cas, qui fut décrit par J. Puget (2003), altère ce que le patient est en train de penser et de soutenir. Parler en fonction de la situation nous oblige à suivre chaque séance et à voir ce qui est en train de se produire. De plus, le face-à-face et le regard de l’autre produisent un effet de langage.
33M. Bernard (2000) avait pour habitude de dire que la première « unité de mesure », comme mode de connexion avec l’autre, n’est pas la représentation d’un sujet, mais celle d’un lien ou, comme le dit D. Lagache (1980), l’expérience d’une relation interpersonnelle : celle durant laquelle les limites entre l’un et l’autre ne sont pas marquées (c’est la fusion : l’indifférenciation). Cela rend compte du fait que l’appareil psychique se transforme, se crée et s’organise comme un groupe et ce sont aussi les groupes qui organisent les liens dans un espace de jeu.
34Les caractéristiques les plus fréquentes des patients psychosomatiques suivis dans ce travail avec des groupes sont que, pour eux, le dedans, la maison familiale est à la fois protectrice et asphyxiante. Les autres exigent d’eux une transparence totale. Paradoxalement, le dehors peut aussi être perçu comme dangereux et perturbant puisque l’autonomie suscite chez eux la peur de l’abandon de leur famille. La maladie est vécue comme un « autre » qui les « étaye » dans leur identité, car ils la vivent comme séparée d’eux, n’appartenant pas à leur corps et ils l’ignorent. Ils ont l’habitude, face à certaines situations, d’avoir une angoisse insupportable accompagnée d’une décharge pulsionnelle sans attente, sous forme de crise dans le corps. Dans leur discours, manque généralement le courant affectif. La voix, le toucher ou la présence de l’autre les calment.
La clinique d’un groupe de patients psychosomatiques
Les autres participants du groupe et leur effet de présence
35La question ce jour-là est : « Faire et défaire, dis-le à l’aide d’une photo. »
36Analía : « J’ai choisi ce bateau et la femme, cela ressemble à un bateau de pêche. Là, il faut travailler, faire et défaire, mesurer le vent et être en alerte, travailler avec la voile. Je naviguais jusqu’en Uruguay, il y a dix ans. »
37Sabrina : « Tu n’avais pas peur ? »
38Analía : « Non, c’est pas comme marcher rue Florida où l’on peut te piétiner et te faire mal. Moi je savais quoi faire. »
39Sabrina : « Moi, je suis allée à Parana de las Palmas et la mer était très agitée et creusée. »
40Liliana : « Moi, j’adore l’eau. »
41Analía : « Le fleuve de la Plata est un fleuve spécial, le vent contraire peut te pousser contre les rochers. Le responsable du bateau doit avoir du savoir-faire et être attentif. »
42Ñeca : « Quelque chose d’inattendu peut se passer, être responsable, ça c’est intérieur à soi. Je me réfère à quelque chose dans la vie, un changement de guide intérieur. »
43Thérapeute : « Il semble que vous êtes en train de vous référer à l’histoire du groupe et de vous demander si je vais pouvoir vous amener à bon port, si je suis responsable de vous. »
44Edit : « Moi, j’ai choisi cette petite fille avec de la peinture sur les mains et sa maman qui la guide pour faire quelque chose. Ces tâches noires (avec colère), c’est la dernière chose qui m’est arrivée ce mois-ci. Miriam (ma fille) et son bébé ne trouvent pas d’appartement à louer et vivent toujours à la maison. On a dû se regrouper avec les autres enfants pour dormir : les garçons de 5 et 8 ans dorment ensemble dans ma chambre. On a divisé la pièce en deux avec un rideau, ils protestaient mais il n’y avait pas d’autre solution. Celui de 13 ans s’est fait une chambre dans la buanderie parce qu’il étudie le soir et on a laissé la salle à manger à Miriam. J’ai aussi choisi celle-ci avec le tricycle parce qu’il lui manque une roue (avec tristesse), c’est ainsi que je me sens, il me manque une roue. Je ne sais pas pourquoi, mais je passe ma vie à pleurer et je ne résous rien. »
45Thérapeute : « Vous parlez de pleurer toute la journée et cela m’a fait penser aux “larmes” de l’utérus comme nous appelons métaphoriquement les règles, utérus que vous n’avez plus à cause de l’opération et, bien que vous ayez huit enfants, il semble que vous n’ayez pas surmonté la douleur de la perte. »
46Edit (silence) : « Docteur je ne sais pas ce qui m’arrive, je sens un soulagement » (silence).
47Sabrina : « Moi, j’ai choisi celle-là, d’un champ avec un épouvantail et celle de la fille qui se maquille. Moi, je n’ai pas le contrôle de ma vie. Je fais et je défais mon jardin, mes petites plantes me donnent une sécurité que je ne peux pas avoir au dehors. »
48Ñeca : « Ce serait bien que tu profites de cette capacité que tu as pour travailler dans une pépinière. »
49Sabrina : « Cela m’enchanterait, c’est une bonne idée, mais pour le moment je reste à la maison et me regarde dans le miroir comme la fille de la photo. »
50Ñeca : « Tu veux changer de visage ? »
51Edit : « Tu sens un mécontentement. »
52Sabrina : « Je me regarde plusieurs fois par jour. »
53Edit : « Tu veux te trouver. »
54Liliana : « Change de physionomie. Coupe-toi les cheveux. »
55Analía : « Moi, je crois que tu attends une réponse. »
56Sabrina : « L’image dans le miroir, je ne l’aime pas. Une annonce d’offre d’emploi est parue dans le journal et ils recherchaient une femme, mais de moins de 35 ans, et moi j’ai déjà 40 ans, mon âge est comme un obstacle, c’est comme sortir avec un sac de pierres. Cela m’empêche de me montrer. »
57Thérapeute : « Il serait peut-être mieux de charger ton sac des regards positifs de tes compagnes de groupe et du mien lorsque nous te disons de ne pas te regarder avec autant de défauts dans le miroir… il sera question de faire et défaire selon les situations pour continuer d’avancer parfois avec l’aide d’un guide externe, le groupe, et aussi d’un guide interne, nos propres ressources. »
Commentaires
58Il est intéressant de reprendre ici quelques mythes universaux. Alors que les patients commencent à parler, nous pensons au mythe du bateau qui est courant dans les groupes. Cela fait aussi penser au récit indien du Mahayana qui parle du fleuve comme un espace de passage et du Hinayana, chemin bouddhiste vers l’illumination, en utilisant le petit navire pour arriver sur l’autre rive en abandonnant la mère, la famille, alors que le Mahayana, c’est le grand bateau qui transporte beaucoup de gens vers une rive lointaine (Campbell, 2004). Ils partent, se séparent ou se retirent du monde. Le temps et l’espace semblent pleins de dangers et apparaît la peur de l’inconnu vers lequel ils se dirigent. Ils marchent d’une terre connue, la famille, vers ce qui est inconnu. Ces patients psychosomatiques disent : « Je suis comme un pendule entre un dedans-paradis et un dehors-enfer », « si je pars, il m’accuseront d’être un traître ».
59Un autre mythe également présent est celui du héros (Ulysse) qui s’embarque avec courage et qui « fait », tandis que Pénélope, sa femme, « fait et défait » sa tapisserie, en l’attendant. « J’ai choisi cette photo du bateau et de la femme, cela ressemble à un bateau de pêche. Là, il faut travailler, faire et défaire, mesurer le vent et être en alerte, travailler avec la voile. »
60Selon J. Campbell (1949), dans le mythe, l’aventure du héros commence lorsqu’il reçoit un appel et se confronte à des forces fabuleuses tout au long d’un parcours semé d’épreuves et de dangers (Jason et le vent qui le pousse contre les rochers). « Le fleuve de la Plata est un fleuve spécial, le vent contraire peut te pousser contre les rochers. » Ce trajet est comme le mythe de Jonas dans le ventre de la baleine, comme « la nuit noire ». Quand les patients gagnent une victoire décisive, c’est comme s’ils se retrouvaient eux-mêmes dans le miroir, ils reviennent transformés ; ils attribuent à leurs frères, les autres membres du groupe, leur changement de lien. Durant la séance, ils parlent des éléments, de la nature comme la décrivirent les philosophes présocratiques (Aneximedes et Empédocles) de l’origine des choses et des principaux éléments : l’eau, la terre, l’air et le feu.
61Ils parlent ensuite du mythe de la terre-mère qui leur donne la nourriture et la sécurité (l’autoconservation), les petites plantes, ce qui pousse. Dans ce groupe, les participants parlent bien de la personne et pas seulement de la photo. Par exemple : « Fais-toi couper les cheveux. » Ce sont les échanges imaginaires qui leur permettent de parler de la photo, en appui sur l’objet médiateur, et peu de la personne, c’est le détour nécessaire et suffisant pour accéder à la zone malade. « Je fais et je défais mon jardin, mes petites plantes me donnent une sécurité que je ne peux pas avoir dehors. »
62Le groupe a une fonction régulatrice entre la pulsion de vie et la pulsion de mort (Vacheret 2000a et b). L’image touche un ressort inconscient de l’histoire de chacun.
63Suivons la chaîne associative : le bateau est l’équivalent du groupe avec sa fonction de contenance, le changement de cap produit une angoisse : groupe, bateau et mère, danger inconnu, changements. Parfois, les autres renvoient comme un miroir, une image fragile, qui peut avoir l’effet d’une condensation des regards antérieurs sur le sujet. Ils fonctionnent comme des masques extérieurs qu’il faut aller rechercher durant le traitement pour trouver le sien, comme dirait A. Miller (1971), qui est celui qui donne la force intérieure.
64Parfois, les autres ne sont pas seulement des regards, mais des voix, multiplicité de voix qu’il faut aussi distinguer pour trouver sa propre réponse à « Qui suis-je ? », à la recherche de sa propre voie.
Patients présentant des crises de panique
65Voyons maintenant le travail thérapeutique groupal avec le Photolangage® appliqué aux patients souffrant de crises de panique.
66Selon R. Kaës [3], « nous nous trouvons aux temps de crise de la subjectivation, où prédominent certaines pathologies sociales comme les maladies du narcissisme, il y a des individus et non des sujets et il existe un chaos identitaire ». Cela se manifeste chez certains patients comme ceux qui souffrent de crises de panique.
67La crise de panique est un processus psycho-neurobiologique qui s’exprime dans le corps et qui présente des signifiants faits de signaux et d’indices qui réveillent l’angoisse. Pour ces patients, les situations vécues au quotidien sont interprétées comme difficiles, voire presque catastrophiques.
68Les réactions corporelles les plus fréquentes lors de la crise peuvent être la tachycardie, la transpiration, les nausées, les suffocations et le manque d’air. Les réactions les plus fréquentes sont la fuite, la paralysie et l’évitement.
69Ces patients, au lieu d’être stimulés pour grandir, sont submergés par l’impotence et une baisse de l’auto-estime, ce qui induit chez eux des conduites d’évitement. L’image de soi est faite de dévalorisation, de vulnérabilité, ce qui se traduit par le fait qu’ils ont l’habitude d’accentuer tous leurs défauts.
70Une fois qu’ils ont eu une crise, ils ont peur qu’elle se répète – angoisse anticipatrice –, et peur d’avoir peur, en passant par la honte en public, si les autres s’en rendent compte. Par expérience, il ressort que ces patients présentent un vécu de dédoublement : comme une coexistence de deux ou plusieurs Moi. Un fort, courageux et audacieux et un autre fragile, lâche et sans initiative. Ce vécu déclenche une colère contre eux-mêmes et donne lieu au cortège symptomatique de la crise de panique.
71Les peurs les plus fréquentes peuvent être de mourir, de la folie, de la réprobation des autres, de la perte de contrôle, de s’évanouir, de devenir aveugle, de s’étouffer, de crier, de se blesser…
72Chez ces patients, les symptômes d’anxiété sont précédés d’images négatives automatiques : « Tout va mal finir… » La pensée en images est celle qui est la plus proche de l’inconscient et des affects. Pour autant, d’après une longue expérience à ce sujet, on considère qu’un traitement groupal Photolangage® (Vacheret, 1991, 2000a et b, 2002) est une méthode très efficace pour aborder les affects avec ce type de patients.
73Suivons la clinique avec quelques exemples de ce que la photo permet de relier pour chaque patient avec son histoire personnelle.
La question : « Comment vous vous percevez et comment vous imaginez que les autres vous perçoivent ? Dites-le à l’aide d’une photo »
74Clotilde choisit la photo de la reproduction en marbre (Cathédrale de Zipaquira en Colombie) du contact entre Dieu et Adam, de la Chapelle Sixtine peinte par Michel-Ange.
75Clotilde : « J’ai choisi cette rupture : Dieu le père expulsant Adam du paradis à cause du péché originel. C’est ma relation avec ma famille, rigide, à principes. Le sexe et l’argent sont des sujets tabous à la maison et ils pensent que si une personne a des relations sexuelles avant de se marier, c’est mal, elle reste marquée et hors du paradis. Ma maman a appris par le médecin qui me suivait que j’avais eu des relations avec mon petit ami et ma famille m’a dit alors : “Je te lâche la main.” Sur une place et face à mes deux frères, en criant, ma mère m’a dit : “Tu es une prostituée, tu ne vas pas retourner voir ton petit ami, jamais personne ne t’aimera.” Ce fut une situation terrible et une humiliation publique. À partir de là, j’ai commencé à rougir dans diverses situations et à avoir des crises de panique. »
76Alicia : « J’ai choisi la photo du miroir, c’est comme ça que je me vois, disproportionnée, pas réelle, laide, et la photo des pingouins parce qu`il y en a un qui est différent, qui se détache par la couleur, il n’est pas normal. C’est comme ça qu’ils me voient. »
77Mirta : « J’ai choisi la fleur de cactus, je me vois, ainsi, sauvage, avec des fleurs et des épines. Quand des personnes s’approchent trop de moi, c’est ma façon de me défendre, en les gardant à distance. »
78Adrian : « J’ai vu l’homme et les barreaux, ensuite j’ai vu ces petits visages, parfois quand je me mets en colère je crois qu’on me voit ainsi. Cela me rappelle une photo que j’ai vue où il apparaît avec ses autres Moi et il est enfermé dans son propre Moi, c’est comme cela que je me vois. »
79Josefina : « J’ai choisi ce troupeau de brebis alignées (le troupeau est aligné de façon à former un motif de flèche), aucune ne peut choisir de sortir de cette ligne. Je me vois et on me voit comme une brebis rebelle dans ma famille maternelle, qui veut m’imposer de quelle manière je dois vivre. Moi, j’essaie de me rebeller, mais cette flèche me vient dessus et m’asphyxie (elle est asthmatique), je n’ai pas de liberté. »
Commentaire
80Dans un groupe à médiation se déploie la problématique des patients. Cette problématique choisit ainsi un chemin direct d’une clarté étonnante : la rupture et l’expulsion, celui qui lâche la main comme punition et celui qui pousse vers l’enfer, ne pas pouvoir rester au paradis car on n’a pas suivi les règles familiales. Les patients restent dans l’exil, le manque de protection, le désarroi et le manque d’amour, avec la peur et la honte, ils se voient déformés et laids. Le regard de l’autre ne les libidinalise pas du fait qu’ils sont différents et qu’ils essaient de suivre leur propre chemin. Parfois, ils se défendent avec des épines qui imposent une distance, ils ne permettent pas le contact avec les autres ou alors ils répondent avec soumission à l’autre « moi » qui les asphyxie en réalimentant le circuit de la douleur et de la réclusion.
Similitudes et différences entre les patitens des deux groupes
81Il s’avère que les deux types de patients, les psychosomatiques et ceux souffrant d’attaque de panique, ont des antécédents de traitements médicaux de manifestations corporelles et, de plus, ils présentent une intense souffrance psychique. Le patient psychosomatique l’exprime avec froideur, l’autre avec dramatisation. Les deux présentent des troubles narcissiques avec un déficit de l’auto-estime. Les deux souffrent d’angoisse de non-assignation du fait de migration et de rupture chez leurs ancêtres accompagnés de problèmes sociaux catastrophiques et d’échecs de leurs étayages sociaux.
82La souffrance du patient psychosomatique est plus archaïque, comme si la contenance maternelle apparaissait et disparaissait brutalement.
83Les patients souffrant de crises de panique ont des vécus de ruptures et de punitions dont le souvenir s’exprime dans la douleur du corps, mais le niveau de symbolisation est plus élaboré que chez les patients psychosomatiques.
84Dans les deux groupes, les patients ont reçu des messages changeants, antagonistes et paradoxaux, avec des situations de vie et des situations de mort successives ou simultanées.
85Les deux présentent un vécu de dilution avec irruption de sentiments de non-défense, de désarroi et avec de sérieux troubles de la dépendance et de l’autonomie. Il est nécessaire de construire avec eux, durant le traitement groupal, une ré-identification vitale et complexe et, comme dirait R. Kaës (2000), là où « il y a eu échec et furent insuffisants les étayages », le groupe restitue certains niveaux d’étayages perdus et construit les autres, il peut « rendre possible la constitution des chaînons non advenus du psychisme ».
86Le groupe Photolangage® permet la création d’une distance adéquate pour mobiliser et créer des liens préconscients nécessaires et favoriser la capacité de penser en facilitant les processus de transcription. La photo « accède au statut d’image » (Vacheret, 1991), elle est inscrite dans la chaîne associative d’images internes du sujet, qui va du conscient à l’inconscient. Nous travaillons à deux niveaux simultanés, au niveau groupal et sur ses effets au niveau individuel.
87Le processus associatif groupal donne accès à la signification occultée, encryptée qui probablement n’apparaît pas dans le processus associatif singulier, en individuel.
88L’identité est un processus mobile et dynamique en constante évolution. C’est entre l’isomorphie et l’homomorphie, le pôle discriminé et autonome, dans cet « entre » deux nuancé, que le sujet prend conscience de sa subjectivité naissante.
Conclusion
89Dans le groupe, on peut accéder à des identifications multiples, à des nouvelles identifications et à des échanges intersubjectifs. Les participantes peuvent trouver ce qu’elles ont de semblable et de différent avec les autres, dans ce qu’elles voient de leurs photos et dans celles choisies par les autres.
90Les photos externes reflètent les images internes et peuvent ainsi leur servir de support et donner lieu à la pensée. La médiation permet l’articulation entre les processus psychiques du sujet et la réalité. Elle mobilise le préconscient, confronte à la différence et rencontre les ressemblances, par conséquent elle facilite les échanges identificatoires et le temps différé.
91Le Photolangage® entraîne un travail personnel de prise de conscience en permettant à chacun de penser et de se mettre en lien avec l’histoire propre. C’est à travers l’objet médiateur qu’est reliée directement la scène traumatique personnelle contenue dans le discours de la chaîne associative groupale.
92Par rapport à la direction de la cure et du soin, nous sommes sur le bon chemin, car nous obtenons parfois certaines compensations et d’autres fois l’appareil psychique apparaît plus complexe, comme nous le montre la clinique.
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Mots-clés éditeurs : Photolangage©, souffrances psychosomatique, Groupe à médiation, crise de panique
Mise en ligne 03/12/2012
https://doi.org/10.3917/rppg.059.0201