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Article de revue

Le travail du même et du différent : mouvement circulaire entre les groupes de scénodrame et l'institution

Pages 125 à 138

Notes

  • [1]
    R. Kaës, « Réalité psychique et souffrance dans les institutions », dans R. Kaës et coll. L’institution et les institutions, études psychanalytiques, Paris, Dunod, p. 5.
  • [2]
    Thérapie de groupe mise en place par E.J. Anthony dans les années 1960, connue sous le nom de petite table. Développée dans le journal du Centre de consultation de Long Island – mai 1960 – Extrait de Psychothérapie de groupe, approche psychanalytique, S.H. Foulkes et E.J. Anthony, Éditions de l’Epi, 1969.
  • [3]
    Service de pédopsychiatrie, 104 professeur Dardenne, C. H. Guillaume Régnier, Rennes.
  • [4]
    Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe, n? 33 et 53.
  • [5]
    Présentation des six derniers mois d’un groupe d’enfants. Film sélectionné au Festival international Ciné-Vidéo-Psy de Lorquin (2002).
  • [6]
    Jean-Pierre Pinel, « Le psychodrame de groupe : un dispositif de symbolisation de l’altérité pour des préadolescents accueillis en institution spécialisée », dans É. Allouch, J.-F. Chiantaretto et J.-P. Pinel (sous la direction de), Altérité et psychopathologie, Paris, Éditions Nolin, 2011, p. 45.

1Un groupe thérapeutique n’a de place que si l’institution qui lui préexiste lui confère cette place. Il est alors important, voire essentiel, que le groupe soit accueilli dans le système institutionnel. Cet accueil dépend fondamentalement du penser qui circule autour de ce dispositif de soin qu’est le groupe. Pour être accueilli, et avoir sa place, le groupe doit être pensé ensemble, réfléchi ensemble et être considéré comme un outil thérapeutique faisant partie de l’institution. Si, toutefois, le groupe est vécu comme une intrusion, il sera alors investi de manière négative, et les effets thérapeutiques recherchés pourront bien être inverses de ceux attendus.

2Selon R. Kaës, une des fonctions essentielles de l’institution de soin est à trouver dans « le travail collectif du penser » qui permettrait d’ouvrir le champ des « représentations communes » et ainsi d’offrir « des matrices identificatoires ». Par ce travail du penser, qui supporte et soutient les représentations et les identifications, le sujet, pris en charge en institution de soin, peut être en mesure de faire lien entre les différents temps de son histoire personnelle (c’est-à-dire associer passé, présent et avenir) dans un lieu spatio-temporel repéré (l’institution). L’institution garantirait au sujet une certaine place protégée, si bien qu’il pourrait se permettre un travail psychique qui, sans la permanence de l’institution, pourrait se révéler trop déstabilisant.

3Mais mesurons notre propos. Il n’est nullement question ici de mettre de côté les difficultés institutionnelles, et de tomber dans un idéal de pensée. Il est évidemment à considérer que l’institution est lieu de failles et de défaillances qui peuvent ronger petit à petit l’édifice institutionnel en tant que lieu de protection et de dépôts élaborés au cours de son histoire. Face à cela, chacun des acteurs institutionnels est donc « contraint de penser l’institution parce que l’institution ne s’impose plus contre l’irruption de l’impensé et du chaos [1] ». Et, penser l’institution, c’est aussi penser les différents objets qui l’habitent. Certains de ces « habitants » sont réunis dans des groupes thérapeutiques.

4Nous allons présenter plus particulièrement l’introduction dans une institution d’un dispositif nouveau. Il s’agit du scénodrame, créé dans les années 1990 par Brigitte Baron-Preter dans la lignée du dispositif conçu par E.J. Anthony (1957), connu comme technique de la « petite table [2] ».

Histoire de la création d’un soin groupal : le scénodrame. Son inscription institutionnelle. Stimulations et résistances

5Ce soin, le scénodrame, a pu être pensé et mis en place pour la première fois dans un service de pédopsychiatrie grâce à l’orientation groupaliste que le médecin chef [3] avait donné à son service, dès sa création. Après son départ en retraite, son successeur a particulièrement soutenu cette orientation groupale, de telle sorte que les indications de scénodrame ont pu se diversifier et s’appliquer également aux thérapies familiales, dans le cadre de familles avec de très jeunes enfants.

6Pour préparer la restructuration d’un hôpital de jour-CATTP à l’occasion de sa décentralisation et de sa localisation dans un quartier, une rencontre fut organisée auprès d’une autre équipe, dans un hôpital de jour implanté antérieurement, dans le cadre de la pédopsychiatrie à Vannes. L’équipe de ce service fit une présentation de ses différentes propositions de soins et, parmi celles-ci, elle mentionna la technique groupale de la « petite table ». Cet échange pluridisciplinaire permit à l’équipe accueillie de se représenter un processus de réflexion collective favorable à la mise en place d’un nouveau soin groupal différent des groupes « ateliers d’expression » traditionnellement animés par des infirmières.

7Ce champ de réflexion pluridisciplinaire, devenant représentable et donc accessible, permettait de se projeter comme acteur dans un tissu institutionnel structuré et capable de transformations. L’institution devenait appréhendable comme un méta-système.

8Le médecin mit à profit la mobilisation de toute l’équipe pour susciter des propositions. La psychologue, B. Baron-Preter, qui avait été recrutée dès l’ouverture du service pour sa formation d’analyste de groupe et de psychodramatiste, fut invitée à proposer un soin groupal différent des ateliers d’expression. C’est alors qu’elle reprit, pour le transformer, le dispositif de « la petite table ». S’inspirant du psychodrame et de l’usage du scénotest, elle proposa le scénodrame. Spatialement, ce dispositif reprend l’installation des enfants et de thérapeutes autour d’une table divisée en territoires distincts. Temporellement, il reprend une structuration en plusieurs séquences permettant un jeu symbolique (comme le psychodrame) et matériellement, il reprend la médiation permise par des personnages dans des saynètes (comme dans le scénotest).

9Ce qui a permis d’articuler ces différentes approches, c’est l’objectif prioritaire d’offrir une qualité spécifique de contenance et de soutien des activités de représentation. En effet, il s’agissait de permettre la prise en charge groupale d’enfants jeunes (4-8 ans) présentant des troubles de la structuration psychique entravant la mise en place des processus de symbolisation. Certains de ces enfants sortent de position autistique ou présentent des troubles envahissants du développement.

10La prise en compte de ces pathologies et des effets désorganisateurs qu’elles produisent sur le groupe amenait à penser un dispositif qui garantisse à l’enfant un espace psychique et corporel différencié et inviolable. Elle conduisait également à privilégier les activités de liaison dans le groupe en stimulant les capacités de scénification de l’enfant (Rodriguez, 1995) en référence également à la notion de « pensée scénique » développée par O. Avron (1996).

11Dans la mouvance de la visite à Vannes et des échanges qui s’ensuivirent, s’intensifièrent également les discussions à propos des choix relatifs à la nouvelle maison retenue pour l’HPJ/CATTP. Le nouveau contenant architectural, à l’élaboration duquel toute l’équipe avait été invitée, se conjuguait alors avec un nouveau contenant groupal institutionnel. Cette réflexion collective permit que prennent place des représentations communes en même temps que s’élaborèrent des représentations différenciées des fonctions institutionnelles et soignantes.

12Les remodélisations des représentations dans les champs institutionnels et personnels ont permis une nouvelle inscription institutionnelle de la psychologue. Les infirmiers se représentaient leur fonction dans le champ individuel (la fonction de référent) et dans le champ groupal (la responsabilité d’ateliers.) Pour eux, la fonction de psychologue se limitait au champ individuel (évaluations et thérapies) et s’exerçait principalement dans l’espace clos d’un bureau.

13La réflexion collective, soutenue par le médecin, facilita la mise en place du scénodrame par la psychologue. Elle prenait ainsi une nouvelle place dans l’institution en tant que thérapeute de groupe. Ce groupe de thérapie s’ajoutait aux différents groupes existants dans une différence reconnue et non menaçante.

14Tout ce travail collectif de réflexion avait permis aux différents professionnels d’investir davantage leurs fonctions et de se faire mieux reconnaître. L’établissement collectif des emplois du temps des enfants et des soignants dans lesquels s’inscrivent les ateliers, les différentes prises en charge de soins ainsi que les heures d’enseignement révélaient les inquiétudes identitaires liées à leurs fonctions dans l’institution. Les offres de prise en charge étant difficilement compressibles dans la grille des emplois du temps, les discussions pouvaient devenir particulièrement animées et nécessiter des compromis impliquant un sérieux travail d’élaboration. C’est ainsi que la psychologue accepta pendant quelques années que les groupes de scénodrame soient programmés pendant la récréation suivant le déjeuner. Les investissements des thérapeutes et des enfants étaient ouvertement testés. Fort heureusement, les enfants se bousculaient dans les couloirs pour arriver les premiers à leur séance de groupe. De même, pendant ces premières années, le soin groupal du scénodrame ne put se développer que par une participation des stagiaires psychologues et de quelques internes. Deux cothérapeutes et un observateur constituant, sous la responsabilité du psychologue directeur de séance, l’équipe de coanimation, il s’agissait de s’assurer des compétences et des investissements réciproques pour constituer l’équipe de cothérapie.

15Nous pouvons dire que l’introduction du scénodrame dans l’hôpital de jour a constitué une première étape d’inscription institutionnelle. Si nous considérons l’ensemble institutionnel constitué par la structure et l’équipement global de l’intersecteur de pédopsychiatrie à vocation hospitalo-universitaire, cette inscription initiale s’est effectuée dans une unité de soins décentralisée dans un quartier. Le cœur institutionnel de cet intersecteur était constitué par le CMP où le médecin chef avait dès l’origine installé son bureau. Ce CMP, lui aussi décentralisé, avait été choisi pour, dirons-nous, mieux signifier une certaine autonomie vis-à-vis du centre hospitalier psychiatrique et, dans cette distance, signifier sa différence par son appartenance universitaire.

16Nous pourrions parler d’une deuxième étape dans cette introduction institutionnelle du scénodrame. Ce fut sans doute la plus difficile. Même si les liens étaient nombreux entre l’hôpital de jour et le CMP central, l’équipe de l’hôpital de jour bénéficiait d’une certaine autonomie, ce qui avait permis d’accueillir et d’expérimenter cette thérapie analytique groupale. Au CMP, les groupes d’enfants d’orientation analytique étaient représentés, quasiment dès l’origine, par les groupes de psychodrame ainsi que par les groupes dits « de latence » (Chapelier ; Privat). Leur place était garantie par le choix réalisé initialement par le médecin chef de créer un service à orientation analytique et groupale.

17L’hôpital de jour accueillait les enfants les plus malades ne pouvant être scolarisés à temps plein. On peut dire que dans l’imaginaire des équipes des CMP, et principalement de ce CMP où était installé le médecin-chef, les hôpitaux de jour représentaient la maladie, voire le déficit. Quelques rares personnes – le médecin, la psychologue et l’orthophoniste – exerçaient dans les deux structures. B. Baron-
Preter, qui animait les groupes de psychodrame au CMP et les groupes de scénodrame à l’hôpital de jour, avait perçu rapidement l’intérêt que pouvait présenter l’introduction au CMP de ce nouveau dispositif pour les enfants en très grande difficulté de symbolisation et de stabilité psychique. Ces enfants très carencés, hyperactifs ou souffrant d’une symptomatologie post-traumatique, étaient souvent orientés vers les « groupes de latence » ou vers les groupes de psychodrame mais ils s’intégraient difficilement.

18Lorsque B. Baron-Preter proposa la mise en place au CMP de ce dispositif, elle essuya un refus. Il lui apparut alors, dans la réponse que lui fit le médecin chef, que ces groupes de scénodrame étaient associés à des pathologies tellement lourdes qu’il s’agissait, défensivement, de mettre ce dispositif à distance. Ce n’est qu’après plusieurs années que ce soin groupal put y avoir sa place. Il ne fut intégré qu’après la publication d’un article et la réalisation d’un film.

19Lors des discussions d’indication de scénodrame, les médecins avaient laissé entrevoir que la rédaction d’écrits sur ce dispositif en faciliterait l’intégration au CMP. Ce veto qui prenait valeur de test opéra comme stimulant pour B. Baron-Préter. Son appartenance à différentes sociétés analytiques lui permit d’intervenir dans des colloques et d’être publiée [4]. C’est donc par l’extérieur que le scénodrame put alors être reconnu au sein du service hospitalo-universitaire. Cette reconnaissance se trouva confirmée après le montage d’un film dont la réalisation fut soutenue par la direction administrative de l’hôpital [5].

20Depuis lors, le dispositif a été adopté, tant à l’intérieur des différentes structures du service qu’à l’extérieur : services de pédopsychiatrie, CMPP, CAMSP, IME, CESAD. Ce développement s’est fait de pair avec l’approfondissement théorico-clinique de ce mode de soin, avec l’affinement des indications et avec la mise en place de formations en France et à l’étranger.

21Nous avons abordé les deux faces de l’historique de ce soin, la face clinique et la face institutionnelle, elles sont indissociables, c’est pourquoi elles ne peuvent que s’articuler dans le cadre de la formation. C’est dans cet esprit qu’au moment de l’établissement d’une convention de formation avec une institution, il est convenu avec celle-ci que les formateurs présenteront le scénodrame auprès de l’ensemble du personnel. Ceci permet une sensibilisation de tous les professionnels engagés auprès des enfants et facilite l’intégration de l’équipe nouvellement formée. Cette présentation confirme l’intérêt d’une pluridisciplinarité au sein de l’équipe de thérapeutes. Les différentes catégories professionnelles peuvent se projeter plus facilement, se sentir reconnues et reconnaître cette nouvelle pratique clinique groupale dans laquelle s’engagent leurs collègues.

22Nous allons maintenant, dans notre deuxième point, présenter rapidement le scénodrame, deux publications évoquées précédemment y faisant référence.

Le dispositif, ses effets d’enveloppes et de contenance. Contenance groupale et contenance institutionnelle

23Le scénodrame est un soin psychothérapique de groupe qui consiste en l’élaboration de scénarios et leur mise en figuration sous forme de scénodrames, à l’aide d’objets symboliques, d’objets limites et d’objets indifférenciés, également répartis entre enfants et thérapeutes. Il a été conçu à partir d’une modélisation d’enveloppes physiques territoriales et d’enveloppes psychiques groupales garantissant les limites et l’identité de chaque enfant, tout en soutenant l’établissement de leurs liens dans le groupe.

24Trois enfants et deux thérapeutes s’assoient autour d’une table dont le centre évidé fournit un lieu collectif avec de l’eau. En pourtour, chacun bénéficie d’un espace personnel. Il est délimité par des barrières mobiles peintes, qui peuvent s’ouvrir sur demande, mais ne peuvent s’enlever. Chacun dispose d’un ensemble d’éléments en bois peint (personnages, animaux, arbres, blocs, bateau, voiture...). La couleur des éléments de chaque territoire identifie l’espace personnel des participants. Ces éléments, identiques par leur forme et différents par leur couleur, sont autant d’objets qui aideront les enfants à penser des histoires. Leur disposition sur chaque territoire prendra valeur de mise en scène et soutiendra un fil narratif en constitution.

25Après avoir disposé ses personnages et objets, chaque enfant racontera l’histoire qu’il a imaginée à partir de sa mise en scène. Les deux thérapeutes, qui ont les mêmes objets que les enfants à quelques variantes près (objets symboliques de la loi, et d’autorité pour le thérapeute directeur de jeu), raconteront leur histoire en dernier, afin d’intégrer les éléments les plus signifiants des scénarios des enfants dans leur propre histoire. Une fois toutes les histoires racontées, le jeu peut commencer ; chacun animant ses objets, personnages, animaux... dans les rôles qu’il leur a donnés. Les échanges prennent alors forme, portés par le déploiement de la « pensée scénique ». Les enfants investissent le jeu collectif. Ils s’y engagent. Cet investissement stimule leurs activités de liaison et de représentation.

26Ces activités psychiques vont être soutenues par une structuration en séquences pendant la séance hebdomadaire de 45 minutes. Cinq séquences temporelles vont aider les enfants à structurer leur monde interne psychique. La répartition du temps attribué à ces séquences revient au directeur de séance qui en régule la durée en fonction de l’analyse de la dynamique groupale. De ce fait, c’est à lui que reviennent le déploiement et le soutien de l’enveloppe temporelle groupale.

27La première séquence est consacrée à l’accueil des enfants, c’est un temps collectif. Enfants et thérapeutes se retrouvent et partagent ce temps collectif d’échanges d’avant jeu. Leurs échanges spontanés permettent de faire circuler des investissements et des représentations qui prendront forme dans l’aménagement de la mise en scène.

28La deuxième séquence est consacrée à la construction de la mise en scène. Elle se présente comme une enveloppe temporelle groupale qui soutient le travail psychique personnel de l’enfant, engagé dans le choix de ses objets et dans leur disposition sur son territoire, dans une mise en scène.

29La troisième séquence est consacrée à l’explicitation de la mise en scène, par le récit de l’histoire que l’enfant s’est représentée lors de sa construction. Cette histoire personnelle, chacun des participants, enfants et adultes, va pouvoir la raconter à tour de rôle et selon la règle « le premier prêt est le premier à raconter ». Les thérapeutes énoncent leurs histoires en dernier. La fonction interprétative et associative des thérapeutes engagés avec les enfants autour de la table s’exerce particulièrement dans le contenu de l’histoire qu’ils ont construite.

30La quatrième séquence est consacrée au jeu collectif. Il va permettre la figuration et l’articulation transformatrice des différents scénarios. Ce temps de jeu intensifie les investissements et contre-investissements stimulés par la pulsionnalité qui s’y exprime. Les thérapeutes soutiennent le travail de la symbolisation, contenant pulsionnel, à travers les rôles qu’ils donnent à leurs personnages. Ils favorisent ainsi le développement des relations interpersonnelles entre enfants et thérapeutes.

31La cinquième séquence est consacrée à la clôture du temps de séance. Les enfants sont invités à échanger sur le jeu, sur leurs relations et leur vécu de la séance. Les thérapeutes veillent à soutenir l’expression personnelle de chaque enfant en garantissant une qualité d’écoute du groupe. Chacun paraphera le cahier des séances au moment de se quitter.

32Les effets de contenance du scénodrame sont renforcés par la contenance institutionnelle en hôpital de jour/CATTP. Il existe un espace interstitiel : le « sas » qui offre une sécurité de contenance pour tous les membres de l’institution. Dès le début de la création du service, cet espace a été conçu et mis en place pour accueillir les enfants en « transit » entre deux prises en charge.

33Il arrive parfois qu’un enfant soit particulièrement agité. Dans ce cas les infirmières en informent très souvent la directrice de séance qui vient chercher les enfants. Elles font part des difficultés qu’elles ont observées et sont souvent en mesure de faire des liens entre ces troubles du comportement et des difficultés que l’enfant a pu rencontrer récemment dans sa famille ou à l’hôpital de jour. Elles évoquent alors spontanément les troubles qui risquent de s’exprimer pendant la séance de scénodrame. La directrice de séance sait alors que l’infirmière est prête à recevoir cet enfant dans le « sas » si nécessaire.

34Cet appel direct à la contenance institutionnelle est très rare. Parfois, lorsque l’attaque du cadre est trop violente, la directrice de séance accompagne l’enfant et l’aide à s’asseoir au calme dans les fauteuils de la salle d’attente attenante à la salle de scénodrame. L’enfant est informé qu’il pourra reprendre sa place dans le groupe dès qu’il pourra en respecter les règles : il lui suffira de frapper à la porte pour cela. Du fait de la contenance du groupe cette situation n’est pas fréquente. L’enfant demande très rapidement à reprendre sa place dans le groupe.

35Nous avons toujours observé combien cette confrontation aux limites par le rappel des règles aidait l’enfant à se contenir et à retrouver une capacité d’élaboration lui permettant de finir sa construction ou son histoire dès son retour dans le groupe. Nous avons également observé combien ces moments permettent aux enfants d’exprimer leurs émotions lors des expériences d’attaque ou de perte d’un membre du groupe. Il revient aux thérapeutes de soutenir et d’expliciter ce travail psychique du groupe auprès des enfants.

36Une première vignette clinique brève peut illustrer cette fonction contenante de l’enveloppe temporelle du scénodrame.

37Le groupe auquel appartient Philippe va s’arrêter avec le départ des enfants dans de nouvelles structures. Les enfants sont très perturbés par l’imminence de ce départ. Philippe a pu élaborer ses angoisses persécutives très intenses liées à un état psychotique diagnostiqué à son arrivée. Il a aménagé des défenses obsessionnelles qui l’amènent plus que jamais à contrôler le temps et l’espace. Depuis quelques séances il n’en finit pas de construire et, de ce fait, il bloque le groupe. Il ne reste même plus de temps pour le jeu. Les différents thérapeutes essaient de l’aider et d’aider le groupe à comprendre ce qui se passe. Une butée lui est donnée : à la séance du retour de vacances, il devra respecter le fonctionnement du groupe et dire son histoire comme les autres dans le troisième temps de la séance. Comme il n’a toujours pas fini et qu’il ne peut dire son histoire sans avoir disposé ses objets avec une précision infinie, il est accompagné dans la salle d’attente pour penser son histoire. Il pourra la dire à son retour. Son absence, qui sera très brève, fait tomber immédiatement la tension et l’agressivité qui montaient dans le groupe. Ceci permet à Olivier, son voisin, de retrouver ses esprits et de proposer immédiatement son scénario en rapport direct avec la situation du groupe : un chauffard écrase une maman et son enfant qui traversent la route. Il dit alors que c’est Philippe le chauffard. Les thérapeutes rappellent la règle : personne ne peut s’attribuer les histoires et personnages des autres. Olivier l’entend et dit que c’est un chauffard qui sera joué par un de ses personnages. Philippe revient. Olivier lui « balance » aussitôt qu’il a écrasé la maman et l’enfant. Philippe hurle : « C’est pas permis, la règle ! »

38Les thérapeutes interviennent et explicitent que le groupe est peut-être sens dessus dessous : leurs routes vont se séparer, cela les bouleverse. Philippe aurait-il envie de ralentir l’écoulement du temps par sa lenteur ? Peut-être que tout le monde se sent écrasé par le poids de cette lenteur. La directrice de séance invite Philippe à s’asseoir à sa place et à dire son histoire. Immédiatement, il explique qu’il s’agit d’un garage avec une salle d’attente, pour attendre la réparation des voitures. C’est une entreprise familiale, le père dirige, le fils aîné s’est formé et l’aide, la femme s’occupe du secrétariat.

39Le maintien des règles et la confrontation aux réalités temporelles et matérielles ont permis une contenance indispensable à l’élaboration psychique et à la symbolisation. La métaphore du garage, de l’équipe réparatrice, de l’absence et de l’attente en témoigne.

40Cette expérience a pu être vécue par tous grâce à la sécurité qu’offre le dispositif et l’institution. L’usage de la salle d’attente, de l’autre côté de la porte du bureau, est rendu possible grâce à la qualité de la contenance institutionnelle architecturale et psychique.

41Une deuxième vignette clinique brève va permettre de réfléchir à l’expérience groupale des enfants et des thérapeutes quand l’institution ne peut offrir la même qualité de contenance.

42Il s’agit d’une séquence clinique d’un groupe de scénodrame au CMP. Dans cette structure, l’espace d’accueil a une double fonction : celle de secrétariat et de passage vers la salle d’attente. Les enfants y attendent leur prise en charge. Ils s’y trouvent souvent seuls, les accompagnants chauffeurs de taxi étant repartis vers d’autres destinations. Les parents profitent souvent de leur déplacement à la consultation pour faire des courses dans le quartier. Les enfants se côtoient sans se connaître, du moins dans les premiers temps de leurs prises en charge, certains trouvent alors leur protection en se blottissant dans des recoins.

43Il est de la fonction du directeur de séance d’aller chercher les enfants et de les accompagner dans la salle de scénodrame. À l’occasion de la deuxième séance d’un groupe, la thérapeute invita les deux enfants présents à la suivre, pensant que le troisième rejoindrait le groupe accompagné par une secrétaire. C’est en arrivant dans la salle de scénodrame qu’un échange entre les thérapeutes à propos de l’absent permit de lever le silence des enfants qui leur révélèrent que le « troisième » était resté dans la salle d’attente. Il fut retrouvé dans un rayon de la bibliothèque, caché derrière son livre. Du côté de l’institution, le défaut de contenance psychique et spatiale que nous avons évoqué avait permis aux enfants de faire l’expérience de leurs liens dans le silence et leur avait également permis de déposer chez les thérapeutes l’angoisse qui pouvait les habiter lors des premières séances.

44Nous avons fait l’hypothèse que, faute d’une contenance psychique suffisante dans la salle d’attente, les enfants avaient établi entre eux un lien de complicité silencieuse. On peut également penser que l’enfant resté seul avait peut-être pris conscience de son abandon. C’est pourquoi il fut le seul à mettre en scène et à présenter, dans son histoire, une situation d’abandon. Une fois dans le groupe, cet enfant s’était saisi du support qu’offre le dispositif pour déployer « la pensée scénique. » Après avoir explicité dans sa narration que la mère partait en bateau en laissant son enfant seul et triste, il joua cette scène dans le temps du jeu collectif. L’enfant se saisissait du dispositif pour déposer son angoisse d’abandon et la faire partager au groupe, grâce au vecteur de la « pulsion d’inter-liaison psychique » (Avron).

45Grâce à la sécurité vécue dans l’expérience de la contenance groupale, l’enfant avait pu exprimer, dans le jeu, ses sentiments en parlant de la tristesse de celui qui était abandonné par la mère. Enfants et thérapeutes purent renforcer cette expérience de sécurité en jouant des visites mutuelles, des sauvetages et un regroupement dans le territoire du directeur de jeu.

46Nous avons évoqué succinctement la notion d’enveloppes à propos de la structuration temporelle et de la structuration spatiale du scénodrame. Nous allons évoquer rapidement la notion d’enveloppes psychiques à propos de la structuration de l’équipe des thérapeutes. Nous nous appuyons en cela sur les travaux d’E. Bick et de D. Anzieu.

47Nous avons choisi de différencier les différents membres de l’équipe de scénodrame, tant dans leurs fonctions que dans leur utilisation de la spatialité. Le dispositif emboîte un premier groupe : les enfants et les deux thérapeutes, ego-auxiliaire et directeur de jeu assis autour de la table dans un deuxième espace groupal constitué et borné par le directeur de séance et l’observateur. Ces deux thérapeutes garantissent la tenue d’une deuxième enveloppe psychique groupale.

48Les enfants font l’expérience d’être contenus dans ces enveloppes qui offrent une qualité de présence assurée, entre autres, par la contenance des regards. L’observateur est identifié d’emblée par les enfants comme celui qui regarde, note et réfléchit et le directeur de séance comme le garant du cadre.

49Le directeur de jeu et l’ego-auxiliaire, installés face à face, rassemblent et soutiennent les enfants par leur proximité psychique et sensorielle. Le directeur de jeu possède en propre quelques objets symboliques représentant la loi et la protection. Comme l’ego-auxiliaire, il présente son histoire et joue avec les enfants, mais il se différencie dans sa fonction en tant qu’animateur du jeu et garant des règles alors que l’ego-auxiliaire demeure un accompagnant de proximité. L’observateur et l’ego-auxiliaire sont souvent des thérapeutes en formation.

50La pluralité des fonctions facilite l’introduction d’une pluridisciplinarité (éducateurs, infirmiers, psychomotriciens...) dans l’équipe des thérapeutes. Ces différents rôles impliquent enfants et thérapeutes dans des investissements transférentiels et contre-transférentiels différents qui rendent compte de la diversité des positionnements personnels et professionnels.

51Dans un mouvement que nous avons qualifié de circulaire, nous allons reprendre notre réflexion sur l’articulation des groupes de scénodrame dans l’institution.

Le travail du différent dans l’institution : une ouverture pour le scénodrame et pour le travail de la subjectivation

52L’activité psychique de différenciation est au travail en permanence dans l’institution. Constituer un nouveau groupe de scénodrame implique d’avoir élaboré des indications qui vont s’appuyer sur l’identification des problématiques des enfants et sur l’identification des modes de soins qui peuvent leur être proposés. Ce travail va permettre et inscrire des différences. Ceci implique de développer des capacités de connaissance et de reconnaissance, ce qui va de pair avec une expérience de solitude et d’échange.

53Même si de nombreux professionnels sont impliqués dans l’observation qu’ils mèneront et qu’ils présenteront en réunion, cette expérience profondément subjective d’observer et de penser ce que l’on observe expose à la solitude. Pour garantir cette qualité d’une pensée personnelle, une qualité du tissu institutionnel est nécessaire pour tenir et articuler les différentes pratiques sans laisser croître les insécurités qui peuvent en résulter.

54Les thérapeutes qui s’engagent dans un dispositif groupal exercent le plus souvent en cothérapie. Ils sont moins exposés à la solitude mais plus exposés aux risques que fait courir « l’assujettissement aux alliances inconscientes » (Kaës), intrinsèques aux processus groupaux. Pour limiter les risques que cet assujettissement peut faire courir aux thérapeutes et donc aux enfants, la mise en place de supervisions dans l’institution s’avère particulièrement importante. Ceci nous amène à introduire le concept d’« organisateur essentiel » présenté par D. Cohou (1995) à propos de l’institution. Elle en décrit trois principaux :

  • le premier organisateur se situe dans la relation entre la direction médicale (pôle maternel de soin) et la direction administrative (pôle paternel de cadre) ;
  • le deuxième niveau d’organisation se trouve dans le lien entre instance médicale et dispositifs de groupe, dont dépend la structuration de l’espace groupal dans le tissu institutionnel ;
  • le troisième niveau d’organisation se situe dans la relation entre les thérapeutes du groupe, les enfants et les autres professionnels impliqués dans la circularité et la diffusion des transferts.

55Cette « organisation triadique » assure les qualités de contenance et de souplesse favorables au travail d’élaboration d’une qualité de soin. Le cadre institutionnel, tenu par cette organisation, peut seul garantir l’inscription, le sens et la cohérence des prises en charge groupales.

56Mettre en place une supervision de groupes de scénodrame, par exemple, implique la juste articulation de ces trois organisateurs. L’inscription administrative de ce travail de supervision se réalise grâce au premier organisateur. C’est le médecin qui convient avec l’administration d’une telle intervention qui impliquera la rédaction d’un contrat de travail. C’est également le médecin qui permet l’inscription du soin groupal dans l’ensemble des prises en charge réalisées dans son service et qui en garantit l’intégration et la durée grâce aux effets du deuxième organisateur. C’est enfin le médecin qui, reconnaissant la complexité des effets intertransférentiels, répond à la demande des thérapeutes en facilitant la mise en place de ces supervisions avec les obligations habituelles de confidentialité.

57C’est grâce aux orientations analytiques et groupalistes de notre chef de service, que les thérapeutes en charge des groupes de scénodrame peuvent bénéficier de ce travail de supervision. Nous l’avons déjà dit, les thérapeutes travaillent en interdisciplinarité. Les supervisions donnent une garantie non seulement dans l’élaboration de l’intertransfert mais également dans l’élaboration des insécurités relevant des différences professionnelles. Ces différences questionnent les identités professionnelles, mais permettent également des reconnaissances qui vont enrichir les échanges dans l’institution. Il peut s’agir d’échanges plus ou moins informels dans les « espaces interstitiels » (Roussillon) ou d’échanges plus structurés dans des réunions telles que les synthèses...

58À partir de l’ouverture des groupes de thérapeutes en scénodrame à la pluridisciplinarité, nous avons observé une plus grande liberté dans les échanges entre tous. Ceci a permis l’expression spontanée d’observations et de réflexions cliniques de plus en plus riches. Nous pouvons nous référer au travail de R. Kaës quand il définit des alliances qui « accomplissent des fonctions structurantes pour le groupe et pour ses sujets » et nomme le contrat narcissique en opposition au pacte narcissique. Il oppose, aux effets structurant du contrat narcissique, les effets aliénants du pacte narcissique qui contient et transmet la violence. Ce dernier assigne des emplacements de parfaite « coïncidence narcissique » entre les personnes engagées dans le pacte. En effet, il a comme fonction d’assurer une continuité narcissique dans laquelle n’a place « aucune différenciation, aucune dette ni aucune transmission. »

59La place occupée dans l’institution par les pactes narcissiques qui collapsent les liens et clôturent les espaces de réflexions peut amener des disfonctionnements graves. Ces pactes exercent une fonction défensive radicale. Les menaces qui pèsent actuellement sur les institutions : réductions financières drastiques, contrôles multipliés pour s’assurer de l’exécution de protocoles imposés encouragent ces fonctionnements défensifs.

60C. Dejours insiste sur cette notion de l’éthique du travail en précisant que l’éthique « est cette préoccupation qui consiste à chercher les voies pour reconnaître et honorer la vie en soi et chez autrui. » Pour lui, l’épreuve du travail peut contribuer au narcissisme grâce à ce qu’il appelle la « sublimation ordinaire. »

61Réfléchir ensemble, créer des dispositifs de soin et particulièrement des dispositifs de soins groupaux, participe à cette « sublimation ordinaire » qui enrichit les professionnels engagés personnellement et collectivement dans le soin.

Conclusion

62Le dispositif groupal constitue un médiateur privilégié pour analyser et traiter les fonctionnements psychologiques pathologiques. Selon Jean-Pierre Pinel, le groupe permet à l’enfant de « surmonter les terreurs liées à l’individuation, de se dégager d’une incestualité furieuse et se déprendre de la relation confusionnelle à l’imago archaïque ». Pour cet auteur, le groupe est « le garant d’un étayage certain pour se confronter, affronter et surmonter les angoisses mobilisées lors des étapes de la vie qui engagent le sujet dans les processus de séparation et de différenciation [6] ».

63Le scénodrame, objet contenant et conteneur, reçoit les dépôts des parties les plus archaïques du Moi. Il facilite la mise en image et les processus de métaphorisation qui permettront à l’enfant d’accéder à la narration. Il offre un espace privé et groupal de transformation, mais cet espace ne peut exister que si son inscription est facilitée et garantie par l’institution.

64C. Dejours énonce qu’« il n’y a pas de travail de production de qualité sans travail de remaniement de l’organisation psychique jusque dans les parties les plus fines de son architecture ». Nous pouvons ajouter que ce travail de qualité n’est pas possible non plus sans aménagements institutionnels constants qui garantissent l’expérience psychique structurante de chacun et soutiennent ainsi les processus de subjectivation.

Bibliographie

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  • BARON-PRETER, B. 2010. « Voyage en images d’un groupe de scénodrame. Réflexions sur la contenance d’un dispositif de thérapie groupale pour jeunes enfants », Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe, 53, p. 129-143.
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Mots-clés éditeurs : soin contenant, pluridisciplinarité, institution, effets d'enveloppes, métaphorisation, thérapie groupale, Différenciation, scénodrame, symbolisation

Mise en ligne 03/12/2012

https://doi.org/10.3917/rppg.059.0125

Notes

  • [1]
    R. Kaës, « Réalité psychique et souffrance dans les institutions », dans R. Kaës et coll. L’institution et les institutions, études psychanalytiques, Paris, Dunod, p. 5.
  • [2]
    Thérapie de groupe mise en place par E.J. Anthony dans les années 1960, connue sous le nom de petite table. Développée dans le journal du Centre de consultation de Long Island – mai 1960 – Extrait de Psychothérapie de groupe, approche psychanalytique, S.H. Foulkes et E.J. Anthony, Éditions de l’Epi, 1969.
  • [3]
    Service de pédopsychiatrie, 104 professeur Dardenne, C. H. Guillaume Régnier, Rennes.
  • [4]
    Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe, n? 33 et 53.
  • [5]
    Présentation des six derniers mois d’un groupe d’enfants. Film sélectionné au Festival international Ciné-Vidéo-Psy de Lorquin (2002).
  • [6]
    Jean-Pierre Pinel, « Le psychodrame de groupe : un dispositif de symbolisation de l’altérité pour des préadolescents accueillis en institution spécialisée », dans É. Allouch, J.-F. Chiantaretto et J.-P. Pinel (sous la direction de), Altérité et psychopathologie, Paris, Éditions Nolin, 2011, p. 45.
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