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Article de revue

Un groupe à médiation littéraire en hôpital de jour

Pages 95 à 110

1Cet article a pour projet de mettre en évidence quelques-uns des ressorts thérapeutiques d’un dispositif nommé « expression scénique-poésie-écriture ». Il combine les apports de la lecture de textes littéraires et celle de l’écriture à celle de l’analyse dans le soin psychique.

2Dans un premier temps, cet espace sera situé dans son contexte institutionnel et « historique ».

Contexte institutionnel, perspective historique

3Bien qu’il ait beaucoup évolué depuis l’origine, il reste celui d’un hôpital de jour qui accueille des patients borderline ou psychotiques ou gravement dépressifs. Ce dispositif s’inscrit dans la tradition humaniste de l’association qui créa dans les années 1970 ses hôpitaux de jour dans plusieurs villes de France, fleurons de la psychiatrie institutionnelle enrichie des apports de la psychanalyse. Dès la fondation, la part faite aux prises en charge de groupe en complémentarité avec les prises en charges individuelles était essentielle. Il s’agissait cependant d’un travail individuel en groupe plus que d’un travail de groupe et la voie royale pour le soin dans les représentations de l’équipe restait la thérapie individuelle et la relation duelle.

4La construction de ce dispositif de groupe médiatisé est le fruit d’un long cheminement. De nombreuses années se sont écoulées entre l’instauration d’un premier dispositif d’« Expression scénique », conduit selon les préceptes d’Émile Dars (comédien fondateur de cette modalité de soin psychique qu’il dispensait dans une célèbre institution novatrice de la région parisienne), et la conception actuelle de ce groupe de psychothérapie qui en est l’héritier ; elle articule la médiation littéraire à l’analyse de groupe. Les tribulations de mon « contre-transfert anticipé » (Rouchy, 1998) et les remaniements de mon positionnement subjectif au sein d’une équipe pluridisciplinaire traversée par de douloureuses crises institutionnelles aux effets délétères s’inscrivent en filigrane de ce long parcours. Une « guerre de succession » fit rage opposant le fondateur démissionnaire présent et un refondateur ; intriquée à un conflit idéologique concernant la représentation du soin, elle cliva l’équipe en deux factions rivales pendant une dizaine d’années et percuta mes dispositifs. Se dessine et se devine aussi dans ce long périple le cours de ma réflexion théorico-clinique qui me libéra de l’enlisement dans une théorie individualiste du soin – fut-il dispensé en groupe – pour m’ouvrir à une perspective groupale et institutionnelle du dispositif thérapeutique d’ensemble et des dispositifs thérapeutiques de groupe dans leur singularité. Forte de mon expérience clinique et portée par le courant vivifiant de ma formation analytique et de ma formation à l’analyse groupale, j’évoluai ainsi dans ma pratique d’une idéalisation de la thérapie individuelle dans un espace institutionnel conçu comme lieu d’étayage, accompagnateur et protecteur de cette modalité du soin (représentation commune à l’équipe) vers la conception du groupe « espace potentiel de transformation psychique » privilégiant l’individu et son discours entendu dans le transfert au thérapeute, puis je privilégiai la thérapie de groupe. Celle-ci exigeait de prendre en compte l’analyse des processus trans-subjectifs et intersubjectifs, l’expression verbale et non verbale dans la séance. Ces phénomènes constituaient la matrice à partir de laquelle l’activité interprétative pouvait se développer, pour faire advenir des processus de symbolisation pour chaque sujet. Au fil de l’expérience clinique et de ma formation, ma réflexion se déploya sur le « petit groupe comme organisateur privilégié du dispositif de soins en hôpital de jour » (Cohou, 2005), sur l’adéquation entre le dispositif groupal d’ensemble et les pathologies traitées, et sur l’articulation entre ces dispositifs et le cadre institutionnel (Cohou, 1999, 2005, 2007). La nouvelle conception articulait les dispositifs de groupe entre eux et dans leur rapport à l’ensemble du réseau groupal institutionnel selon des principes de complémentarité, de covalence, d’interdépendance, au service des processus de symbolisation dans ses différentes modalités : sensorielle, sensori-motrice, ludique corporelle et verbale. Il s’agissait de favoriser l’accessibilité du plus grand nombre de patients aux processus de subjectivation.

5 La construction du groupe psychothérapique utilisant la médiation littéraire de la lecture de la poésie et de l’écriture s’inscrit dans une perspective théorico-clinique que j’ai pu en d’autres occasions développer (2005 ; 2007). Mon hypothèse est qu’un espace analytique groupal, organisé en un réseau où s’articulent plusieurs types de dispositifs, dont un dispositif classique de thérapie psychanalytique de groupe, variable principale de l’ensemble, et des dispositifs médiatisés, génère des effets de sens et de symbolisation particulièrement riches et opérants pour des patients accueillis en hôpital de jour. Offrant une aire de diffraction élargie, pour des expériences sensorielles, émotionnelles vécues dans la rencontre avec l’autre, les autres, dans le transfert et l’inter-transfert, et proposant des voies différentes pour la symbolisation, il en renforce les effets du fait de cette plurimodalité. Ce type de dispositif en réseau se révèle, selon mon expérience, particulièrement adéquat dans la prise en charge de patients borderline ou psychotiques qui ont besoin de diffracter le transfert et leurs éprouvés traumatiques dans de multiples liens. Dans la logique de cette mouvance, les potentialités du dispositif classique d’origine (l’expression scénique) furent renforcées en y intégrant des séances d’écriture et de lecture de poèmes ainsi que la modalité spécifique de l’écoute analytique groupale.

6Il serait illusoire et réducteur de penser ce lent parcours dans un strict et unique rapport aux élaborations théoriques issues de la pratique clinique. Le groupe ne fut pas le fruit d’une parthénogenèse intellectuelle comme Athéna naquit de la tête de Zeus ; il n’est pas né de la blancheur immaculée de la théorie. Il prend sa source dans une complexe expérience humaine, au sein d’une équipe, dont l’élaboration fut certes soutenue par un processus de formation, mais qui, d’une certaine façon, permit l’inscription dans ce processus. Ainsi, le choix d’entreprendre une formation à l’« Expression scénique » dans le même temps que s’initiait ma formation analytique s’origine au point de nouage entre le sujet que j’étais et le groupe professionnel dans lequel je devais construire ma place tout en intégrant ses valeurs et sa culture, tout en respectant ce qui était institué. La formation à l’expression scénique était une « commande » de l’institution, par le biais du médecin chef qui souhaitait intégrer cette modalité de soin dans le dispositif global ; elle eut pour moi ainsi une fonction identifiante répondant à l’« urgence identificatoire » (Missenard, 2000) qui m’habitait en ce temps de mes premiers pas dans l’univers professionnel : être confirmée comme psychologue, et comme membre de cette équipe. Ce choix portait aussi la marque de mon contre-transfert anticipé : à 22 ans, munie de mon diplôme tout neuf et de ma seule bonne volonté avec pour unique outil une psyché en crise de croissance, j’étais bien peu préparée à affronter l’univers de la folie et de la souffrance psychique ; si la médiation littéraire fut essentielle aux patients pour apprivoiser la confrontation à leur intériorité, elle fut également pour moi, en ces débuts balbutiants, le bouclier de Persée qui médiatisait la rencontre vertigineuse avec la psychose, les problématiques anté-œdipiennes, et avec des sujets utilisateurs de défenses très intrusives.

7Des années plus tard, le resurgissement de la conflictualité psychique induite par les tourmentes institutionnelles me propulsa vers une formation à l’analyse de groupe dans l’espoir de mieux comprendre, afin de m’en dégager, le point de nouage entre le fonctionnement pathogène de l’équipe et mon positionnement dans cet ensemble intersubjectif, source de souffrance. Le groupe « Poésie-écriture » fut pris dans les turbulences de l’inter-transfert orageux qu’il fallut contenir entre moi et ma collègue coanimatrice ; ce dispositif fut cependant, tel un phare en pleine tempête, un lieu privilégié où travailler ce lien et empêcher l’échouage des navires de liaison pris dans le processus de déliaison institutionnelle, dans les clivages générés par la guerre de succession. Ces crises se sont révélées mutatives et ont permis l’affirmation d’une position d’analyste de groupe dans l’institution.

8Je conclurai cette introduction « historico-contextuelle » dans la lignée de J. C. Rouchy en affirmant ceci : les dispositifs que nous fondons ne naissent pas de l’immaculée conception de notre intellect par l’opération de l’institution universitaire ou de l’institution analytique. Ils sont conçus à partir de notre histoire personnelle, de notre économie narcissique et pulsionnelle, de notre sexualité infantile, confrontées à la rencontre avec nos groupes professionnels, nos patients et avec l’institution. Nos créations n’échappent pas à cette règle, même si nous nous accordons à voiler leurs origines dans un pacte dénégatif (Kaës, 1989). Elles sont, malgré tout et grâce à cette texture de fond, des espaces potentiels de croissance pour nos patients.

La médiation de l’écriture. Et je nageai jusqu’à la page

9Selon J. Guillaumin (1982), l’appareil psychique extensif qu’introduit l’écriture, possède une fonction substitutive détoxiquante qu’il réfère à la rêverie maternelle. Elle décharge, élabore, libère l’appareil psychique interne de l’écrivain. Cet espace est défini comme un espace transitionnel où se couchent des pré-représentations, qui connaîtront un destin de pure évacuation, de pure répétition, ou un destin d’intériorisation possible, par le processus de projection, lecture, introjection. L’ouvrage d’E. Bing, Et je nageai jusqu’à la page, fut une rencontre déterminante ; mon enthousiasme pour l’écriture y prit sa source.

10C’est la dimension d’extraterritorialité psychique de la feuille blanche, dans sa fonction médiatrice intra-subjective, qui a donné lieu à l’élaboration du dispositif groupal expression scénique-poésie-écriture. L’appareil psychique des autres dans le groupe, les capacités de liaison associative que le groupe multiplie mettent cette annexe topique au service du processus d’intériorisation. Les textes écrits dans les séances sont lus à voix haute ; ainsi exposés à l’intersubjectivité, ils éviteront peut-être le piège de l’évacuation sans élaboration. Dans le dispositif groupal qui utilise ces médiations, les séances d’écriture alternent avec les séances de lecture, qui elles-mêmes alternent la lecture de poésie avec la lecture de textes plus secondarisés d’expression scénique.

La médiation littéraire – Des mots pour le dire...

11Le texte littéraire, même s’il n’est pas autobiographique, porte en lui la vie émotionnelle de son auteur et sa façon originale de résoudre sa conflictualité psychique. Les textes proposés aux patients sont des textes d’une page, répertoriés en partie par la Société française d’expression scénique que créa Émile Dars, son fondateur, auxquels se sont rajoutés au fil de nos lectures d’autres textes. Ils sont tirés de la littérature française et étrangère, ancienne et moderne, et choisis en fonction de leur capacité à mettre en mots les émotions et les relations humaines dans leur complexité. Ils offrent un cadre, des mots pour le dire, là où nos patients sont souvent en difficulté. Les auteurs sont des « invités » dans le groupe auxquels les patients prêtent leurs voix, invités susceptibles de représenter leurs conflits les plus fondamentaux, leurs rapports à leurs objets internes et externes. Par la mobilisation sensori-motrice de la lecture à voix haute délestée de toute théâtralité, par le jeu de l’incorporation – mise en voix, mise en corps – et celui de la représentation, des identifications structurantes peuvent advenir. Le texte littéraire se situe dans un espace intermédiaire, ni tout à fait soi (fonction de masque), ni tout à fait autre (fonction identificatoire), sur lequel il importe dans un premier temps de ne pas statuer pour ne pas susciter les résistances. Par rapport aux autres textes de la littérature, prose, monologue ou dialogue théâtral, les textes de poésie sont moins secondarisés, plus proches du corps, du rêve, du registre sensoriel, des processus primaires. Le langage poétique est au service de l’image et de la sensorialité. Métaphore, métonymie, condensation, déplacement sont les procédés qui constituent ces créations. Les poèmes mettent en images, plus qu’en mots, des complexes sensoriels auditifs, visuels, kinesthésiques, olfactifs, des sensations et des affects en voie d’être représentés par l’auteur au cours même de son travail de création. Ils « parlent » d’inconscient à inconscient, de celui de l’auteur à celui du lecteur.

12J’ai introduit dans le dispositif lecture, des séances consacrées aux poèmes parce qu’ils servent particulièrement la communication émotionnelle préverbale et trans-subjective, déjà favorisée par l’« être en groupe ». Ainsi, lors d’une séance, une patiente lit Éluard :

« Je suis seul sur l’océan
Et je monte à une échelle
Toute droite sur les flots
Me passant parfois les mains
Sur l’inquiète figure
Pour m’assurer que c’est moi
Qui monte, c’est toujours moi
Des échelons toujours nouveaux
Me mettent près du ciel
Je commence à sentir
Une très grande fatigue
Moi qui ne peux renaître
Sur l’échelle renaissante
Tomberai-je avec ces mains
Qui me servent à comprendre
Encore plus qu’à saisir. »

13Comment mieux dire ce qui était commun et partagé dans le groupe : le manque de support d’identification primaire, le manque de cadre contenant et solide, le vertige, la peur de la chute, l’agrippement dérisoire, et pour ce lecteur, aux prises avec une problématique alcoolique, la tâche impossible de se construire sur du liquide ?

14La lecture à voix haute des poèmes choisis donne forme au « groupal » qui circule, à des protopensées entre sensations et affects et les fait cheminer peu à peu vers la pensée par le biais des associations libres, de la rencontre intersubjective ; elle révèle l’émotion en jeu dans l’identification ; elle est par ailleurs « adressée » aux auditeurs ; ceux-là, selon les cas, deviennent témoins de l’intériorisation à l’œuvre, ou bien sont faits réceptacles d’une émotion projetée, évacuée, exportée. Leurs propres réactions corporelles et émotionnelles, dans ce cas, pourront être l’objet d’un travail de pensée, et pourront initier un travail de représentance, et de réintrojection. La fonction de l’analyste dans un tel groupe médiatisé, sera d’être à l’écoute de son contre-transfert émotionnel corporel suscité par les lectures. Sur cette base, il pourra construire ses interventions, en articulant son écoute au repérage des réactions et mécanismes à l’œuvre dans l’intersubjectivité de la séance. La lecture à voix haute en groupe sollicite la mobilisation corporelle et sa liaison avec le registre émotionnel. Le ton de la voix, son rythme sont des indices concernant le mode de relation inconscient au texte lu ; ils permettent d’évaluer le degré d’appropriation subjective du texte, ou celui de son évacuation projective. Cette lecture produit souvent des effets de surprise, pour le lecteur, l’auditeur, elle court-circuite les résistances. Ces moments de surprise se révèlent essentiels dans la reprise du processus de symbolisation.

15Deux exemples illustreront la spécificité du travail psychothérapique dans ce groupe.

16Le premier exemple tendra à mettre en évidence le processus groupal dans sa dimension archaïque trans-subjective. Il nous conviera dans une séance où les processus primaires sont au premier plan. Les psychés y fusionnent autour d’une problématique commune concernant une perte et un deuil encore informulable. Nous serons au plus près de ce travail de transformation psychique qui s’opère dans l’alchimie groupale, saisissant les images poétiques pour tenter de donner forme aux éprouvés en voie de psychisation, en quête de représentation.

17Le deuxième exemple mettra l’accent sur le fonctionnement du groupe comme une scène où se jouent des scénarii intrapsychiques issus de la dynamique du groupe interne d’un sujet. Nous verrons comment une imago maternelle négative surgie de son théâtre interne sera mise au travail dans l’intersubjectivité de la séance par le biais de l’identification projective et des identifications primaires suscitées dans l’espace groupal. Elle montre comment l’écoute analytique renforce les effets symboligènes de la médiation littéraire ou « scénothérapie ».

Vignette clinique : « La pluie a mangé le soleil »

18Une séance entière de lecture de poésies nous est éclairante pour notre propos.

19Elle eut lieu, il y a plusieurs années, dans un contexte particulier et douloureux, quelques jours après l’annonce du décès d’un collègue artiste peintre animant depuis plus de 15 ans un atelier de peinture extrêmement investi par les patients de l’hôpital. Ce décès nous bouleverse tous, soignants et patients. Cette séance est la première rencontre du groupe après cet événement, dans l’onde de choc qu’il a créée. Elle témoigne de la possible élaboration des angoisses individuelles et groupales au sein du dispositif de groupe : des angoisses profondes, des fantasmes archaïques peuvent se traduire en images grâce à la médiation des poèmes. Ce travail de mobilisation est rendu possible par l’écoute analytique centrée sur le transfert groupal, sur la chaîne associative groupale qui se construit de poème en poème, sur le réseau trans-subjectif. Cette séance nous indique comment les patients, en présence des thérapeutes, utilisent la matrice groupale comme aire de transformation d’émotions brutes en images et en pensées concernant les émotions, les angoisses et les fantasmes suscités par le décès de D.

20Le matériel qui se déploie dans le groupe nous paraît d’emblée en relation avec cela, bien qu’il n’en soit pas fait directement mention. Cet événement dans ses effets ne pourra être lié à ce qui se dit et se vit hic et nunc que bien plus tard dans la séance ; il m’apparaît comme un matériel transférentiel, en lien avec ce que les patients ont pu percevoir et imaginer de notre état émotionnel et les réviviscences que cela pouvait produire dans leur univers intrapsychique. Nous pensons que se sont trouvées réveillées, en écho dans le groupe, la problématique du rapport aux images de parents déprimés ou endeuillés ou défaillants et les angoisses dépressives et persécutives conséquentes. Du point de vue du contre-transfert, cette séance est très intense et « restauratrice ». Il nous semble que dans ce groupe se déploient toutes les potentialités créatrices et réparatrices, dans une position dépressive. Nous sommes mises en face des capacités soignantes de ces anciens enfants de parents en difficulté. Les patients associent poésie sur poésie commentant peu leur lecture, dans un vécu émotionnel intense, sans excitation, sans dramatisation. Les voix sont vibrantes d’émotion. Dans les courts temps de silence qui suivent chaque lecture, il n’y a pas de lourdeur. Ce ne sont pas des « temps morts » comme nous pouvons en connaître souvent avec ces patients gravement malades – borderline ou psychotiques – dans d’autres séances : chacun y est, au contraire, très relié au groupe. La séance est traversée par le courant libidinal, le groupe est très orienté par l’objet du transfert : le lien aux thérapeutes et leur lien à l’absent.

21Ceux-ci resteront-ils présents psychiquement, l’« objet » restera-t-il secourable ? Pour eux, nous sommes source de construction, il s’agit de nous dire combien ils tiennent à nos soins. Les poèmes choisis parlent de tout cela et nous recevons l’enchaînement des textes comme une chaîne associative groupale mettant en forme des sensations et images référant au transfert, qui ne peut encore se penser mais se trace une voie vers la pensée, dans la trans-subjectivité.

22D’emblée, ce qui nous semble s’exprimer au travers du premier texte choisi par une patiente, c’est la quête anxieuse, l’« en-quête » de l’objet préoccupé, absent psychiquement :

« Tu m’aimes ? Qu’est-ce que tu fais ?
Tu ne dis rien... Mets-toi plus près.
Laisse ces choses qui t’occupent ;
Mets tes yeux dans les miens.
Ça doit se voir dans mes yeux
Que je t’ai donné tout moi-même.
Regarde, rien n’existe, rien ne compte
Que ces yeux là, que ce front là
... Je t’aime
... Je voudrais te faire du mal. »
Paul Géraldy

23L’objet préoccupé, absent, peut devenir persécuteur, l’amour se retourne en haine... Nous pressentons que c’est du rapport essentiel à l’objet vital, à l’objet primaire, dont il est question, sous couvert du poème. Nous représentons cet objet qui, s’il s’absente psychiquement, s’il ne met plus « ses yeux dans les yeux », suscite le désespoir et l’angoisse d’être livré à la destruction non liée.

24Le second poème choisi par une autre patiente prolonge les associations sur le thème du regard, quête d’un regard, d’un objet qui puisse fonctionner en identification introjective, qui puisse se laisser pénétrer, habiter le temps nécessaire par les désespérances et les angoisses primaires. Il s’intitule « Les yeux d’Elsa », poème d’Aragon. Nous entendons cette lecture dans sa dimension transférentielle : dans cette épreuve commune traversée, le groupe craint de perdre les thérapeutes forts et secourables, l’enveloppe de sécurité est effractée, puisque les soignants peuvent être atteints par le deuil comme le rappelle cette réalité ; les psychés liées dans le groupe par des identifications primaires et des fantasmes communs, nous adressent au travers de cette patiente porte-parole ce besoin désespéré d’un regard contenant qui ne tarisse pas de nourritures psychiques.

« Tes yeux sont si profonds, qu’en m’y penchant pour boire
J’ai vu tous les soleils s’y mirer
S’y jeter à mourir tous les désespérés
Tes yeux sont si profonds que j’en perds la mémoire.
...
Les vents chassent en vain les chagrins de l’azur
Tes yeux plus clairs que lui lorsqu’une larme y luit
Tes yeux rendent jaloux le ciel d’après la pluie
Le verre n’est jamais si bleu qu’à sa brisure
Mère des sept douleurs, Ô lumière mouillée
Sept glaives ont percé le prisme des couleurs
Le jour est plus poignant qui perce entre les pleurs
L’iris troué de noir plus bleu d’être endeuillé
Il advint qu’un beau soir l’univers se brisa
Sur des récifs que les naufrageurs enflammèrent
Moi je voyais briller au-dessus de la mer
Les yeux d’Elsa, les yeux d’Elsa, les yeux d’Elsa. »

25Nous sommes, nous et le groupe, ces yeux phares dans la nuit, auxquels ces naufragés s’arriment. Notre regard et celui des autres dans le groupe offrent une brèche ouverte pour l’accueil de leur désespérance. Le regard de la patiente nous est intensément adressé lorsqu’elle lit les deux dernières strophes. Les tonalités émotionnelles émergentes à ce moment dans le groupe et qu’elle met en scène de sa voix sont la dépendance et la relation duelle, selon la terminologie de Bion. Le poème lu ensuite parle encore d’amour et de dépendance mais il aborde ce qui, jusque-là, ne pouvait pas encore prendre forme et image : la peur de la folie, de la dépression, de la destructivité, réactivée par l’événement. Il s’agit encore d’un poème d’Aragon.

« Ah, parlez-moi d’amour, ondes, petites ondes
Le cœur dans l’ombre encore a ses chants et ses cris
Et les oiseaux ont peur des hommes rendus fous par les
branchages noirs et nus... »

26L’amour, la quête du lien, garantie contre la mort psychique... Les textes suivants, d’une tonalité plus sombre, nous paraissent témoigner de l’angoisse contre laquelle les patients ont lutté précédemment, avec le recours à l’idéalisation à l’illusion groupale, à la quête du lien : les menaces de déliaison et la destructivité. Ces menaces apparaissent dans les métaphores de ces poèmes, parfois dans leur syntaxe même.

27Le texte choisi par la patiente suivante, poème d’Aimé Césaire, est très hermétique ; sa lecture est « hachée », il en est encore plus incompréhensible. La voix livre une impression de chaos, de morcellement : les phrases ne peuvent plus être liées les unes aux autres par des effets de sens ; seuls des fragments nous atteignent... Étrange, étranger... nous plongeons dans un univers autre, loin de l’illusion groupale : « on baigne dans le même malheur, on se console », nous plongeons dans un univers de dysharmonie, de fragmentation faisant naître le malaise, évoquant la folie, les « objets bruts » décrits par Bion.

28Dans le récit monocorde de la patiente, des sons se lient, des images émergent :

« Allo, allo, encore une nuit, pas la peine de chercher,
C’est moi l’homme des cavernes
...
Allo, allo, encore une nuit, il y a la pluie avec ses doigts de fossoyeurs
La pluie a mangé le soleil avec des baguettes de Chinois... »

29Ces trois images, celle de l’appel, la nuit, d’un homme des profondeurs de la terre, celle de la pluie avec ses doigts de fossoyeurs, celle de la disparition du soleil lumière, amènent des représentations de la mort et du mort et du lien à cela. Il est à préciser que cette coloration émotionnelle dans le groupe est apportée par une patiente présentant de forts aspects mélancoliques ; sa partition subjective trouve à se scénariser dans le réseau trans-subjectif, mais elle est également porte-voix des aspects mélancoliques dans le groupe.

30Nous faisons l’hypothèse d’un mouvement identificatoire avec un objet mort : « C’est moi l’homme des cavernes » ainsi que l’hypothèse d’un fantasme de rivalité impuissante avec l’objet mort idéalisé, comme il est dit plus loin dans le poème : « Même noyé je n’aurais pas cette couleur-là » (« la couleur magnifique des lagunes »). Nous pensons que les patients dans le groupe, au travers de cette patiente, cherchent à se représenter le danger d’effondrement mélancolique ainsi que celui de fragmentation psychotique, menace contre laquelle ils se sont défendus par l’idéalisation dans le mouvement groupal précédent.

31Nous pensons que la métaphore orale « la pluie a mangé le soleil » peut servir de contenant à des images de scène primitive effrayante, cannibalique ; elle pourrait aussi servir de support à une représentation de catastrophe interne, de dépression cataclysmique.

32Le poème suivant reprend la métaphore de la noyade, il représente un homme et une femme se jetant dans la mer. Le transfert active dans le groupe des représentations de couples parentaux défaillants et/ou endeuillés, déprimés, ainsi que des fantasmes d’attaques sadiques urétrales de parents « séparés/noyés » dans des rages infantiles ; la réalité de la mort de D. peut venir confirmer ce fantasme ; nous pensons également que la dépression parentale peut s’apparenter à une menace de noyade aux yeux de l’enfant, pour son parent et pour lui-même dans un fantasme de fusion mortifère.

33Ce texte est suivi par une poésie de Supervielle, évoquant aussi la mer ; si le récit est teinté d’ambivalence : la mer a « des dons de vie et d’assassin », nous sommes bien loin de la « mère morte » (Green), de la mer aspirante et noyante. Le ventre de la mer(e) n’est plus mortifère comme dans le texte précédent, mais ses profondeurs accueillent des petits :

« Elle est douce comme un puits
Elle me montre ses petits »...

34Elle est rassurante de permanence et de familiarité, de présence :

« La mer est proche
La mer n’est jamais loin de moi
Et toujours familière et tendre
Même au fond des plus sombres bois
Elle sait m’attendre »

35C’est une mère joueuse :

« Ses mille museaux sont liquides
Ou font les beaux
Sa surface s’amuse et bave. »

36C’est une mère animale, pulsionnelle, vivante et non plus mortifère, ou idéalisée ; une imago maternelle positive est suscitée, effet du transfert à l’œuvre.

37Le choix fait par la patiente suivante, d’un poème d’Éluard, hymne à l’objet d’amour enfin trouvé, confirme le mouvement libidinal esquissé dans le groupe avec le poème précédent et évoque une sortie des angoisses archaïques de fragmentation, de fusion avec l’objet mort, ou avec l’objet endeuillé, exprimées auparavant.

« Tu es venue, j’étais très triste, j’ai dit oui.
C’est à partir de toi que j’ai dit oui au monde
Tu es venue, le vœu de vivre avait un corps
Il creusait la nuit lourde, il caressait les ombres
Pour dissoudre leur boue et fondre leurs glaçons
Comme un œil qui voit clair.
Gloire, l’ombre et la honte avaient cédé au soleil
Le poids s’est allégé, le fardeau s’est fait rire
Gloire, le souterrain est devenu sommet.
La misère s’est effacée.
La place où d’habitude je m’abêtissais
Le couloir sans réveil, l’impasse et la fatigue
Se sont mis à briller d’un feu battant des mains
L’éternité s’est dépliée. »

38Quelle belle définition de la fonction alpha selon Bion !

39Nous assistons dans le groupe à la victoire de la lumière sur la nuit, l’ombre et la boue. La pluie n’a pas mangé le soleil, comme il était craint dans un précédent mouvement. Se déploient les forces réparatrices liées à la reconnaissance de la valeur de l’objet.

40Le groupe est entré dans une position dépressive. Le souci pour l’objet, le désir de l’aider et l’impuissance crainte réapparaissent dans le poème suivant de Supervielle :

« Chers yeux livrés aux triste éléments
De quelle sorte puis-je montrer, derrière mille portes
Que je suis prêt à vous porter secours
Moi qui suis parmi les hommes
Qu’un homme de plus ou de moins. »

41Suivent deux autres poèmes de Jacques Brel et de Charles Baudelaire où s’exprime la révolte contre la mort et l’impuissance :

« Bientôt nous plongerons dans de froides ténèbres.
Adieu vive clarté de nos étés trop courts
J’entends déjà tomber avec des chars funèbres
Le bois retentissant sur le pavé des cours
Tout l’hiver va rentrer dans mon être : colère
Haine frisson horreurs, labeur dur et forcé
Et comme le soleil dans son enfer polaire
Mon cœur ne sera plus qu’un bloc rouge et glacé
Il me semble, bercé par ce choc monotone
Qu’on cloue en grande hâte un cercueil quelque part,
Pour qui ? C’était hier l’été. Voici l’automne. »

42Les quatre poèmes qui ont été choisis ensuite témoignent de l’installation du groupe dans une position dépressive : la préoccupation pour l’objet d’amour, la tristesse d’en recourir parfois à une défense maniaque : « Pourquoi ai-je ri ce soir (alors qu’il y a en moi)... une mortelle affliction ? » C’est un texte de Jacques Brel qui exprimera le plus clairement le climat émotionnel ambiant :

« Y’en a qu’ont le cœur si large
Qu’on y rentre sans frapper
Y’en a qu’ont le cœur si large
Qu’on en voit que la moitié
Y’en a qu’ont le cœur si tendre
Qu’y reposent les mésanges
Y’en a qu’ont le cœur trop tendre
Moitié homme et moitié ange
Et ne peuvent que l’offrir
Le cœur tellement dehors
Qu’ils sont tous là à s’en servir. »

43Se dessine l’angoisse dépressive, la culpabilité d’abîmer l’objet par avidité.

44Le texte qui clôture la séance est un poème d’Aragon. Il s’intitule « Les amants séparés ». Il y est question d’une séparation possible d’avec l’objet, non catastrophique. La douleur de la séparation existe, sur fond de retrouvailles possibles. Le lien à l’objet est intériorisé, et malgré les vents contraires il subsiste. La guerre dans le poème, qui est à l’origine de la séparation, peut représenter un processus interne, être une métaphore des attaques internes aux objets d’amour. L’objet survit à la séparation et à la destruction.

45Aragon écrit, évoquant son poème :

« Je ferai de ces mots notre trésor unique
Les bouquets joyeux qu’on met aux pieds des saintes
Et je te les tendrai, ma tendre, ces jacinthes... »

46Nous pensons à ces bouquets de mots et d’images que forment les poèmes choisis par les patients et lus en groupe, espoir d’un pont possible jeté entre soi et l’autre, passerelle pour les parts angoissées et déprimées de chacun. Quelque chose de spécifique à chaque sujet trouvant à se lier aux autres par l’alchimie propre au groupement permet aux sensations-émotions ressenties de se tracer une voie vers la pensée.

47Ainsi, les liens purent se faire entre ce qui se vivait et se lisait dans la séance et l’événement traumatique actuel. Il restait à chacun, dans la suite du travail de groupe, de comprendre comment cette réalité actuelle résonnait avec son histoire, celle de ses propres deuils. Ce fut un long processus pour la plupart de ces patients.

« Jean Christophe ou l’indispensable légèreté de l’être » !

48Cette séquence groupale – séquence de lecture de poèmes – suivait une période houleuse durant laquelle le travail groupal a consisté à contenir la conflictualité psychique et la destructivité des liens agie par une patiente en proie à d’intenses angoisses persécutives. Comme toujours dans ce type de travail, les élaborations contre-transférentielles et inter-contre-transférentielles avaient renforcé la fiabilité du dispositif, et peu à peu, les autres patients déposèrent, à travers les textes choisis et écrits, ainsi qu’à travers les associations qui les accompagnaient, des figures parentales rejetantes, folles, inquiétantes. La séance suivante s’inscrit dans ce mouvement :

49

Jean-Marie prend l’attitude corporelle de celui qui va initier la lecture quand son voisin Jean-Christophe lui coupe l’herbe sous le pied : « Je te coupe ton élan », ponctue-t-il, souriant... « Non, non, je t’en prie, commence », répond le premier, toujours prompt à éviter le conflit... Alors, Jean-Christophe commence une lecture interminable et insupportable ; il nous inflige un poème insipide composé d’alexandrins lourds comme du plomb, faisant l’apologie de la mort... À suivre l’auteur, la vie est une longue expérience de douleur, la terre est une galère – l’apprentissage du tombeau –, l’homme est un esclave...
Jean-Christophe, confortablement installé dans son fauteuil, sa bouteille de coca-cola non loin de lui qu’il biberonne, envahit l’espace de son obésité et de sa voix, distillant une mélopée aspirante et mélancolique. Impossible d’échapper à ce rythme, à cette musique mélodramatique qui enveloppe et enferme, qui pénètre insupportablement l’espace psychique. Une image surgit dans ma pensée : celle d’une momie qu’on enferme pour l’éternité dans des bandelettes. Le point final arrive enfin, suivi d’un large sourire de Jean-Christophe, sourire de satisfaction, ponctué de cette phrase : « C’est comme un décapsuleur psychique » dit-il, « tout le poids que j’avais sur la tête est tombé », « mon dos est tout chaud ».
Si le « poids » est tombé de Jean-Christophe, il s’est déchargé dans l’espace groupal ; aussi, les participants sont comme sidérés, écrasés par la charge. Pendant la lecture, certains s’étaient échappés de l’enveloppement morbide en fuyant du regard vers la fenêtre, ou vers l’aquarium présent dans la pièce, d’autres se figeaient, des crispations corporelles apparaissaient, des bras et des jambes s’agitaient, certains gigotaient... Effets de pénibilité, témoignant de ce que l’insupportable était atteint, suscité par la lecture...
Après un temps de silence, un timide « c’était long » fut exprimé par la patiente à ma gauche qui me sollicita du regard... Alors fusa de cette même personne : « Tu m’emmerdais avec cette poésie et toute cette mort, c’était plombant... j’étais en colère contre toi de ramener toutes ces idées-là, alors que je ne suis plus dans ce trip-là !... ça me ramène à une période où j’étais comme cela » et elle explique comment maintenant elle apprécie les moments où elle ressent l’envie de vivre qui reprend ses droits en elle...
Jean-Marie dit à son tour : « C’était interminable, glaçant, pessimiste, c’était inéluctable, moraliste. » Il s’étouffe, comme pour expulser ce qu’il a incorporé malgré lui, et il ajoute comme pour recouvrir ses propos conflictualisants : « Mais, c’est bien ! Ça nous permet de mieux connaître J.-C. »
Ce dernier commente : « Longtemps, j’ai pensé à la mort comme une délivrance... c’est un texte miroir... quand je lisais, un gros poids quittait mon dos qui était tout chaud. »
« J’ai pu avoir des moments comme cela » dit Jean-Marie, puis, s’adressant aux autres : « C’est mieux qu’il exprime cela, plutôt que de tout garder. »
« C’est vrai ! », dit celle qui avait pris la parole en premier, « on n’est pas là pour cueillir des fleurs ! »
« Moi, je me ferme à tout ça, dit une autre participante, j’ai décidé de ne plus écouter ce genre de choses, ce n’est plus pour moi, c’est mortifère, c’est inentendable »...
Dans la suite de la séance se trouve signifié, dans leurs échanges, le refus de l’envahissement mortifère, est critiquée une idéalisation de la mort comme terme à la souffrance psychique. La colère s’énonce, déplacée sur l’auteur ; la pulsion de vie réclame ses droits. L’auteur est castré de sa jouissance... Un autre texte est lu, ainsi commenté : « On est d’une gaieté folle aujourd’hui... Après la mort, le bateau fantôme... Heureusement qu’il y a des lingots dans la cargaison !... » Et tous de rire un peu de ces images morbides, de la dramatisation et de l’emphase qui marquent le phrasé de ce poète.
L’atmosphère groupale s’allège. J.-C. semble très soulagé de cette dédramatisation, de cette dénonciation de la jouissance masochiste ou mélancolique masquée par des effets de style.
À l’écoute de ce qui œuvre-là, il me vient à la pensée qu’en amenant ce visiteur dans le groupe, il l’expose à une forme de procès, de critique ; la réaction désapprobatrice des autres par rapport au personnage semble le réjouir...
Quelques séances plus tard, il évoquera ainsi sa mère dépressive : « J’ai bu la dépression de ma mère distillée au goutte-à-goutte chaque jour dans mes veines », dira-t-il... Il commence à s’autoriser à parler de son histoire et de son lien ambivalent à cette mère, son propre enfermement avec elle, sa souffrance : « Tout ce poids mort que je porte. »
Les images parentales paternelles et maternelles, dépressives et « plombantes » sont évoquées dans la suite des séances.

50Ainsi se sont renforcés mutuellement dans ce dispositif, médiation et groupe, dans leurs effets symboligènes.

51Ces deux exemples témoignent de l’intérêt qu’il y a à articuler médiation et analyse dans les dispositifs de psychothérapie de groupe.

52Le premier exemple est venu illustrer une spécificité des formations de l’inconscient dans le groupe : l’espace groupal convoque les noyaux indifférenciés du psychisme et des processus du registre primaire ; la vignette clinique met en évidence que c’est bien à partir de là, de cette capacité de tout sujet à l’identification primaire, à la collusion identificatoire, qu’un travail de transformation des éprouvés et sensations peu différenciés en images figurables, puis en représentations introjectables est rendu possible. La médiation de la poésie facilite le travail d’appropriation subjective, offrant des contenants, des formes à des complexes de sensations visuelles kinesthésiques motrices viscérales en quête de figuration.

53Le deuxième exemple témoigne de l’avènement des processus secondaires dans la séance. Ceux-ci triomphent, permettant la mise en circulation dans l’intersubjectivité, dans les échanges verbaux, d’une figure maternelle toxique, concernant non seulement l’acteur de la mise en scène, mais l’ensemble des sujets du groupe, comme il apparaîtra dans les séances ultérieures. Un processus de symbolisation est à l’œuvre.

54En guise de conclusion, nous affirmerons que le travail de symbolisation dans un tel dispositif en institution dépend de la capacité de l’analyste de groupe à instaurer et à maintenir l’espace analytique selon les règles qui le définissent. La qualité de contenance du dispositif est aussi étroitement liée, d’une part, à la prise en compte par l’analyste du rapport entre cet espace singulier et le dispositif d’ensemble en termes de complémentarité de covalence entre son groupe de psychothérapie et le cadre institutionnel, en termes de cohérence et d’adéquation ; et, d’autre part, à sa capacité à penser sa propre relation à l’institution, son positionnement dans l’équipe et à interroger son contre-transfert anticipé mis en acte dans la fondation même de son dispositif.

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Mots-clés éditeurs : cadre institutionnel, trans-subjectivité, intersubjectivité, Médiation littéraire, dispositif groupal, urgence identificatoire, contre-transfert anticipé

Mise en ligne 03/12/2012

https://doi.org/10.3917/rppg.059.0095

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