1Certains couples apportent au thérapeute une souffrance qui peut être désignée en termes de violence entre deux conjoints. Elle donne souvent lieu, dans l’espace de consultation, à une plainte au sens de « se plaindre de l’autre » et semble répéter, à des fins de décharge mais aussi avec un effet d’ébauche de symbolisation à travers le rituel de la scène de ménage et des reproches récurrents qui l’accompagnent, une scène occulte. Lieu de dépôt de la souffrance et parfois de la violence, le cadre de la thérapie en couple va permettre au thérapeute de percevoir en quoi le lien du couple donne à ses membres la possibilité d’une économie partagée, coûteuse certes, mais tout autant précieuse…
2Convié à cette table, c’est-à-dire dans l’intimité du fonctionnement du couple, comment le « troisième » que représente le thérapeute peut-il s’introduire dans la scène sans s’y laisser prendre et soutenir le dénouage des fils des économies ainsi partagées sans attaquer ce qui fait lien ?
Premiers contacts
3Je reçois un appel téléphonique d’une psychologue psychothérapeute qui recherche une adresse de thérapeute de couple pour les parents d’un jeune garçon de 10 ans qu’elle suit en thérapie. Elle a obtenu mes coordonnées par un collègue. Elle m’informe qu’une thérapie de couple et une thérapie familiale ont déjà été tentées par cette famille. Le dysfonctionnement du couple aurait des retentissements sur les enfants et notamment sur le garçon dont elle s’occupe, me dit-elle.
4Quelques jours plus tard, je reçois un appel téléphonique : « Je souhaiterais prendre un rendez-vous… Pouvez-vous recevoir un couple en détresse ? », demande une voix masculine. M. m’expose brièvement la situation : sa femme souhaite qu’ils se séparent, lui ne veut pas. Je limite M. dans l’exposé qu’il me donne de la situation : « Vous me parlerez plus longuement de tout cela lors de notre rendez-vous avec votre femme. »
Premier rendez-vous
Le couple se présente à l’heure du rendez-vous.
Âgés d’une quarantaine d’années, M. apparaît blême, tendu, il semble contenir par cette tension un débordement possible, tandis que Mme se montre défaite, échevelée, les traits marqués.
Je me présente et évoque la prise de rendez-vous par M.
Mme prend alors la parole : elle est venue, mais, de toute façon, elle veut se séparer de son mari, lui ne l’accepte pas. Elle ne changera pas, c’est inutile. Il ne veut pas comprendre, après tout ce qu’il lui a fait subir… Elle a connu des violences : il peut tout casser à la maison, il est même parti comme un fou, en pleine nuit, menaçant de se suicider…
S’ensuit un flot de paroles qui paraît ne pas devoir s’arrêter, prononcé d’une voix criarde. Mme dit qu’elle n’envisage d’aide que dans la perspective d’une séparation, pour que celle-ci se passe bien et que les enfants soient préservés.
Mon regard va de l’un à l’autre.
Les yeux de M. me fixent comme s’ils s’accrochaient aux miens.
Lorsque Mme suspend son discours, mon regard se porte vers M. dans une intention de soutien à une prise de parole. M. : « Voilà la situation… Nous sommes un couple en détresse… »
6Il me semble qu’il prononce le mot « couple » comme une façon de souligner l’état présent de leur lien conjugal, en contrepoint de l’évocation de la séparation que vient de faire madame.
7La prise de parole s’organise ensuite dans la séance de telle façon que Mme parle sans laisser d’espace pour la parole de M., tout en reprochant à celui-ci de ne pas la prendre, d’avoir des difficultés d’expression, ce qui donne à voir au thérapeute un paradoxe.
8Lors de ses tentatives pour s’exprimer, M. se montre affecté d’un bégaiement à composante essentiellement tonique : une tension considérable précède ses prises de parole et il emploie des tournures verbales maladroites et approximatives. Madame lui coupe la parole, ne lui laisse pas le temps dont il semble avoir besoin pour dire…
9La séquence qui se déroule sous les yeux du thérapeute lui donne le sentiment d’assister à une scène de torture sadomasochiste, et il se sent convoqué à une place de voyeur participant aux dimensions sadiques et masochiques de la scène.
10Madame semble ne pas pouvoir non plus laisser place à ma parole. M. étant celui qui m’a appelée au téléphone pour la prise de rendez-vous, Mme s’emploierait-elle à défaire ainsi l’alliance qu’elle peut imaginer entre M. et moi, à partir de ce contact téléphonique ?
11Il me semble aussi être face à deux enfants qui s’accusent mutuellement d’être « le méchant », chacun cherchant à justifier son point de vue : qui serait responsable des bêtises faites à la maison et des dégâts causés ?
12Je pense : à quelle place suis-je mise ? Quel est l’enjeu de cette bataille ? Je perçois une intense souffrance de part et d’autre. Une violence semble « recouvrir » entièrement le lien du couple : violence retenue chez M., filtrant néanmoins à travers une élocution heurtée et un discours confus, violence agie en séance chez Mme qui occupe le terrain et caractérise avec des mots cliniques ce qu’elle estime être la « pathologie » de M., d’une façon qui m’apparaît humiliante pour lui (« il a des troubles de la communication »), celle de l’usage de l’empiétement verbal entre eux et entre eux et moi, celle du contenu de leurs propos, ou encore celle de leur apparence meurtrie.
13Confrontée à la scène qu’ils jouent devant moi et qu’ils jouent aussi avec moi, je suis attentive aux représentations qui me viennent à l’esprit, je me laisse aussi libre d’éprouver une certaine sidération, une impression de paralysie et d’impuissance face à la destructivité à l’œuvre, ceci afin de me rapprocher au plus près de la nature de la scène qui se répète ainsi. Que le thérapeute perçoive le symptôme (ici, de prime abord, la violence) comme une création du couple peut permettre à ce dernier de l’investir positivement. Cet investissement positif du symptôme par le thérapeute est l’une des premières façons d’apporter un soutien narcissique au couple en crise, soutien susceptible de lui permettre d’investir à son tour le processus thérapeutique.
14Auprès de ce couple, j’ai d’abord été portée à ressentir un mouvement empathique vers M., aux prises avec ses difficultés d’expression et malmené par sa femme : sous mes yeux se déroule ce qui m’apparaît à ce moment initial comme une forme de maltraitance. On voit la dimension transférentielle qui est là d’emblée engagée. La neutralité du thérapeute de couple réclame qu’il soit attentif aux mouvements d’alliance qui le traversent et qu’il considère ceux-ci comme un matériel à élaborer.
15Il était important que cette répétition ne se réalise pas pour ce couple à l’identique : contenir le débordement d’excitation lors de cette première rencontre était nécessaire pour qu’un second rendez-vous soit envisageable à la fin de celui-ci.
16L’excitation croissante qui anime ce couple au cours de ce premier entretien m’amène à adopter une position active consistant, après avoir fait l’expérience du rôle qui m’est d’emblée assigné, celui d’une spectatrice passive et impuissante, à ne pas m’y maintenir pendant toute la durée de la séance. Ceci revient à faire éprouver à ce couple d’abord ma capacité à recevoir le transfert opéré sur moi, puis ma capacité à m’en dégager dans un mouvement qui n’est pas défensif mais rendu possible par une appréhension du fonctionnement groupal du couple.
17C’est ainsi que je veille à témoigner de mon attention à chacun, en particulier grâce à l’usage du registre non verbal (en distribuant mon regard entre eux deux, en soutenant du regard celui qui est en difficulté, aide qui risque moins d’être perçue comme une attaque par l’autre), que je n’hésite pas à manifester une autorité à vocation pare-excitante en interrompant une joute verbale entre eux pour reprendre la parole et que je me montre garante d’un non-empiétement en distribuant activement celle-ci.
18Je suis aussi amenée à limiter le nombre des relances que je serais tentée d’effectuer ainsi que celui des questions que je pourrais poser, afin de ne pas attiser davantage le transfert, comme je pourrais m’y sentir invitée par ce couple. Je veille à ne pas me trouver entraînée à jouer avec eux cette scène : deux femmes rivalisent d’élaborations verbales devant un homme réduit au silence…
19À la fin de ce premier rendez-vous, je restituerai ce que je perçois d’une intense souffrance chez eux. Je proposerai un second rendez-vous qui sera accepté.
Deuxième rendez-vous
Ils se présentent avec une apparence moins chargée, Mme plus harmonieuse physiquement, M. plus souriant.
Ils occupent les mêmes sièges que la dernière fois.
M. dispose son fauteuil de telle façon qu’il se trouve à la fois orienté vers sa femme et vers le thérapeute.
M. prend la parole en premier : « Ça va mieux… on est là… », dit-il avec un sourire qu’il semble m’adresser.
Mme : « Il y a moins de tensions… J’ai des doutes quant à la séparation. »
M. (avec un sourire de satisfaction) : « Maintenant, elle a des doutes… »
Mme : « Je veux parler du présent parce que le passé, on l’a tourné et retourné, en analyse, c’est pas la peine d’y revenir, ça ne fait que du mal. »
21Je remarque l’activité initiale de M. consistant à disposer son fauteuil de telle façon que nos trois sièges puissent se situer sur un arc de cercle, formant ainsi une figure géométrique permettant à chacun de faire face aux deux autres. Cet acte – non verbal – me paraît important : cette disposition dégage M. d’une position latérale qu’il occupait la dernière fois par rapport à Mme (je pense à un petit enfant aux côtés de sa mère), désormais, il peut regarder Mme et s’adresser à elle, comme il peut le faire par rapport à moi-même. Cette disposition spatiale inclut aussi le thérapeute dans le groupe ainsi formé, témoignant d’un premier engagement dans un cadre thérapeutique groupal. La constitution d’une alliance thérapeutique est un processus actif entre consultants et thérapeute, préfiguré en acte ici.
22Apparaissent ainsi à travers ce déplacement des positions assises des uns et des autres dans l’espace, non seulement le mouvement individuel de M. dans le lien du couple mais aussi celui du couple relativement au thérapeute. Cet acte peut être considéré comme une symbolisation en devenir.
23Je note que cette fois-ci, c’est M. qui prend la parole en premier. Ses premiers mots expriment un soulagement (« ça va mieux ») et soulignent qu’il leur a été possible de revenir et de le faire en couple (« on est là »)… Association de « ça va mieux » et « on est là » : évocation d’un nouage transférentiel précoce en même temps que rappel de la fragilité de l’alliance en train de s’installer avec le thérapeute. Pour que ça « aille mieux », le thérapeute avait-il à faire éprouver ce qu’il peut apporter de nouveau, de mobilisateur par la triade ainsi créée (thérapeute-couple de patients), sans toutefois mettre à mal trop brusquement les modalités défensives du couple, les seules qui aient pu s’organiser entre eux jusqu’à présent et qui leur sont certainement nécessaires à plus d’un titre, comme en témoigne la violence dans leur relation ? Le sourire que M. m’adresse peut aussi renvoyer au mouvement d’alliance au cours de la prise de rendez-vous téléphonique : M. serait peut-être aussi celui qui amène en consultation cette enfant rageuse et désespérée que semble être Mme.
24Le « on » et le « il », pronoms indéfinis, de « on est là » et de « il y a » pourraient témoigner de l’absence d’un « nous » qui unirait M. et Mme dans un lien au sein duquel chacun serait distinct de l’autre. Cette formulation peut aussi évoquer la groupalité qui s’ébauche de l’ensemble thérapeute-couple consultant.
25Mme prend la parole pour confirmer les propos de M. : « Il y a moins de tensions », ce qui montre la mobilisation du couple, la possibilité d’un fonctionnement autre que celui du déchirement et de la destructivité ainsi que sa possibilité d’offrir une gratification au tiers-thérapeute.
26La déclaration du « doute » (relative à la séparation) introduite par Mme et soulignée par M. peut indiquer la possibilité d’un échange dialectique, d’une ouverture au tiers.
27Ce mouvement est toutefois immédiatement annulé par la déclaration qui suit « Je ne veux pas parler du passé » prononcé par Mme et qui semble opérer une fermeture succédant de très près à l’« ouverture » à peine ébauchée. Est évoquée « l’analyse » (les analyses ?) qui ont précédé notre rencontre avec cet avertissement : « Ça ne fait que du mal »…
28Je pense au transfert. Je suis renvoyée aux analystes précédents, à qui ce « passé » du couple aurait été dévoilé… adressé à un psychanalyste : « ne pas revenir sur le passé », quelle castration ! Mme aurait-elle donc besoin d’apparaître comme seule puissante dans le groupe à trois que nous formons ? Mais dans le cadre d’un entretien en couple, ces mots prononcés par Mme ont à être entendus aussi comme expression de l’entité-couple, comme expression d’une résistance du couple par la voix de Mme : le couple m’assigne-t-il, dans le transfert, une place de castration – les analyses précédentes me placeraient en situation de privation de matériel – comme celle à laquelle M. s’est montré assigné lors du premier rendez-vous ? Mais l’énonciation de la volonté de ne pas reproduire le travail psychothérapique individuel peut aussi témoigner de la recherche d’une autre façon de « se dire » dans ce nouveau cadre groupal.
29Dans sa valeur de tentative de contrôle de la parole de l’analyste, la résistance se manifeste toutefois sur un mode sensiblement différent de celui qui a eu cours lors du premier rendez-vous : l’expression orale de Mme y occupait tout le champ sonore de l’entretien et le verbe, plutôt litanique et prenant valeur d’acte, tendait, en deçà de son contenu sémantique, à empêcher l’existence d’une autre parole. Lors de ce deuxième rendez-vous, la résistance n’apparaît plus à travers un acte d’empiétement oral mais est livrée par le contenu de sens d’un énoncé verbal : « Ça ne fait que du mal… » Ainsi est signifié l’évitement d’une souffrance associée à la remémoration.
30Là se présenterait le paradoxe (le défi ?) auquel ce couple invite le thérapeute : la souffrance est présentée comme insupportable mais le « mal » dans le lien qu’il donne à voir au thérapeute serait un moindre mal (un bien ?) en regard de celui que pourrait produire la thérapie (le changement). Le pire est-il toujours à venir, futur et passé se rejoignant dans une contraction du temps, ne laissant qu’un présent amnésique et aveugle répétant les blessures en cherchant à les panser ?
31Ce couple s’est organisé sur un mode qui génère une souffrance importante pour ses deux membres : ce qui apparaît en premier lieu au thérapeute est plutôt de l’ordre de bénéfices de type sadomasochique, un compromis a certainement été trouvé ainsi par ce couple dans une collusion groupale. Ma propre « souffrance » transférentielle est peut-être le premier élément sur lequel m’appuyer pour percevoir aussi le prix à payer par ce couple pour le maintien de cette alliance inconsciente.
32Sur le plan technique, il va s’agir de ne pas laisser ce couple avoir raison de moi en me réduisant au silence sans pour autant attaquer frontalement des modalités défensives qui lui (leur) sont pour l’instant certainement nécessaires.
Ils évoquent les échanges qui ont cours en ce moment entre eux : M. ferait des propositions (de vie) maintenant, mais Mme ne peut y répondre, c’est non…
Mme : « Je peux pas dire oui, parce que j’en ai trop subi avant, c’est trop tard, j’ai plus envie… »
M. souligne l’inversion de la situation : avant, c’était Mme qui proposait, M. qui refusait (proposition de sorties, de voir des amis).
Je prends la parole pour dire qu’il paraît bien difficile de parler du présent sans faire référence au passé.
34Une première appréhension de la circularité du temps installée par ce couple m’est donnée : l’un serait toujours à contretemps par rapport à l’autre, système empêchant toute avancée. Le passé justifierait l’invalidation de toute évolution présente, réactualisant le traumatisme à l’infini. Le « changement » réclamé par Mme ne peut être reçu, le « bon » qui se présente maintenant n’ayant pas le pouvoir de modifier le passé.
35Or, seul le travail de pensée pourrait modifier l’intégration du passé.
36Le refus de l’évocation de celui-ci, énoncé par Mme, montre l’impossibilité initiale à le mettre en récit, dans le cadre de la thérapie de couple. En dépit du travail effectué par chacun dans sa psychothérapie individuelle, « le passé » ne pourra, dans un premier temps, que resurgir sans transformation, en thérapie de couple, à travers des équivalents d’« actes » : la violence dans le lien du couple et la mise à mal du cadre de la thérapie …
37Un cadre de thérapie sera convenu lors du quatrième rendez-vous, à raison d’une séance tous les 15 jours.
38Étant donné la mobilisation suscitée par une thérapie de couple, ce cadre temporel est, d’une manière générale, fréquemment proposé car il favorise la métabolisation du matériel et sa réappropriation par le couple. Un rythme plus rapproché aurait pu être d’emblée envisagé pour ce couple, étant donné son besoin de contenance, mais il a été écarté par le thérapeute en raison du vécu d’emprise (réciproque ?) qu’il aurait pu susciter.
39Avec ce couple, il a paru nécessaire de prendre un temps préparatoire suffisant afin que la proposition d’un engagement dans une thérapie fasse suite à l’expérience d’une contenance en séance et que son installation puise être perçue comme une cocréation du groupe thérapeutes-couple consultant.
Suites de la mise en place du cadre : début de thérapie
Ils s’installent sans un mot. Leur mine est sinistre…
Silence…
Mme dit que « ça va pas ». M. se tait.
Long silence pesant.
Mme prend la parole pour dire qu’on lui a trouvé quelque chose d’anormal lors d’un examen médical de contrôle. Le médecin aurait évoqué une pathologie grave (présentant un risque létal). Elle ajoute qu’une nouvelle investigation médicale doit être effectuée le lendemain.
M. dit qu’il a proposé à Mme de l’accompagner mais qu’elle l’a rabroué brutalement.
Mme établit une relation de cause à effet entre « tout ce qu’elle a subi depuis cinq ans » et cette pathologie présentée comme déjà certaine. Elle affirme que si elle « n’a rien » ou qu’elle « s’en sort », elle va prendre des décisions, elle ne peut plus vivre comme ça…
Mme pleure… Je réalise que cela produit un certain soulagement en moi, enfin, elle « lâche », cesse de crier. Se déprime ?
Mais elle se montre retranchée dans son angoisse comme une boule de haine que M. ne peut approcher…
J’écoute, Mon regard va de l’un à l’autre.
Silence… Mme sanglote, cherche un mouchoir dans son sac, se mouche.
M. prend peu à peu la parole, propose à nouveau à Mme sa compagnie pour l’examen médical.
« C’est trop tard », répète Mme qui refuse.
Je formule que toutes les souffrances du passé semblent rendre difficile l’accueil maintenant le « bon », pourtant tant attendu…
41La maladie, la mort sont donc invitées sur la scène de la thérapie, dès ce début… Voilà ce qu’apporte de prime abord ce couple après la mise en place du cadre : c’est la survie physique même qui serait en jeu…
42Voici aussi un matériel de nature à susciter l’inquiétude du thérapeute. Est-ce, dans le transfert, une mère attentive au danger qui serait convoquée là ?
43« C’est trop tard. » Cette affirmation, prononcée par Mme, viendra scander les séances pendant les premiers mois, témoignage d’une transformation impossible, celle du « passé ». Cette formule peut laisser entendre aussi : « Cela vaut-il la peine d’abandonner les modalités défensives habituelles ? »
Je reçois un appel téléphonique de M. le jour de la séance suivante : le couple ne pourra pas venir en raison d’un « empêchement » (annoncé comme étant du fait de Mme). Le thérapeute s’octroie la liberté de demander des nouvelles de la santé de Mme : M. répond que la pathologie somatique grave a été infirmée par l’examen médical, il y aurait eu « une erreur », « il y a bien quelque chose mais c’est moins grave que l’on croyait ».
45La maladie somatique avait soudain déplacé le champ thérapeutique ailleurs, là où l’on s’occupe du corps. La thérapie psychique risquait ainsi de se trouver « hors course », « doublée » par un autre type de thérapie, écho au « c’est trop tard » martelé par Mme. La disparition du risque somatique majeur s’accompagnait d’une absence à la séance, manifestation d’une résistance au travail psychique de deuil, deuil de la maladie – trace de la violence du lien, peut-être du lien lui-même…
46Pour le thérapeute, cet épisode a souligné la dimension transférentielle de la déclaration initiale de l’existence d’une maladie. Contre-transférentiellement, j’ai eu l’impression d’avoir été « excitée », puis abandonnée seule à mon inquiétude, certainement répétition d’un vécu traumatique pour eux.
47Au cours des semaines suivantes, je constate que depuis que le cadre est mis en place, de nombreuses absences aux séances se produisent. Le scénario qui se répète est le suivant : M. téléphone le jour même de la séance, invoque un empêchement, annonce l’impossibilité de venir au rendez-vous et demande s’il est possible de déplacer cette séance. Répétition en acte du : « C’est trop tard » ? Écho aux questions : « Où se situe la maladie ? », « Où se trouve le soin ? » Tentative de contrôle de l’alternance présence-absence ?
48Il me semble alors utile que je puisse supporter ce mouvement d’attaque, sans néanmoins faire preuve de complaisance… Les séances se succèdent ainsi pendant deux ou trois mois. Chaque fois que cela m’est possible, je fais une proposition de rendez-vous de remplacement et ce nouveau rendez-vous est toujours honoré. C’est ainsi qu’au cours de cette période, les séances déplacées deviennent plus fréquentes que les séances « en place », si bien que le cadre temporel de la thérapie (tous les quinze jours) se trouve déformé et devient, finalement, équivalent à un cadre « hebdomadaire », avec en alternance, une séance en absence et une séance en présence, manière de prendre le contrôle de la séparation ?
49Le cadre est dépositaire de parties les plus archaïques du psychisme. Ce sont ces parties qui vont être les premières à être déposées ici, à travers cette mise à mal du cadre. Prenant acte des retards et annulations de séance, je formulerai la difficulté à parler en séance en couple.
50Le couple arrive aux séances dans un état de tension et d’excitation considérable. Mme égrène les griefs qu’elle nourrit à l’égard de M. : le manque de communication entre eux, son manque d’engagement auprès des enfants et dans l’organisation pratique de la vie familiale, ceci en termes très péjoratifs. Elle délivre des interprétations, prenant une tournure « professionnelle », relatives au fonctionnement de M. : « Il a peur de parler quand il n’est pas d’accord, il évite le conflit… »
51M. est très tendu, manie la dérision amère pour contenir sa violence en séance.
52En général, un relatif apaisement ou au moins une diminution de la tension est perceptible en fin de séance.
53Au moment de partir, en me serrant la main, M. soupire souvent en murmurant : « Ça va être long. » Madame, lors de la mise en place du cadre, avait relevé : « C’est loin », allusion manifeste à l’éloignement géographique de mon cabinet (et reflet de l’énergie mobilisée par la thérapie) pouvant aussi être entendue comme relative à l’espacement de quinze jours des séances, c’est elle aussi qui répétera, lors des séances : « On ne se parle qu’ici. » M. dit un jour que « ce serait mieux si on se voyait toutes les semaines ».
54Dans les premiers temps de cette thérapie, le rythme bimensuel des séances, à vocation pare-excitante, semble aussi avoir fait vivre à ce couple, à travers l’alternance prévue présence-absence du thérapeute, la répétition du lâchage et d’abandon, sans toutefois avoir compromis le maintien de l’investissement de la thérapie et du thérapeute.
55Formuler une telle interprétation dans le transfert aurait toutefois été prématuré dans ce début car elle aurait renvoyé le couple à une dépendance insupportable vis-à-vis du thérapeute.
56Par contre, je ferai, à ce moment, une proposition d’un rythme plus soutenu à raison d’une séance par semaine, rythme qui sera accepté et qui perdurera pendant les six mois qui suivront. Il contribuera à un amoindrissement de l’excitation et des agirs. Les absences aux séances cesseront.
57Dans la violence comme symptôme apporté en séance, le corps est engagé, en première ligne, comme « à découvert », corps de l’humain, corps des choses, corps d’un cadre instituant.
58Comment la psychothérapie de couple peut-elle procéder, en tant que cure de mise en parole ? Quel site va trouver ce symptôme dans la thérapie et chez le thérapeute ? Quelle traduction psychique pourra-t-il en être faite ?
59La première condition pour qu’une thérapie de couple se mette en place est la possibilité d’une inhibition de la violence physique en séance. L’existence d’un cadre institutionnel peut être nécessaire, la présence de deux cothérapeutes, voire d’un tiers garant…
60La seconde dimension « corporelle » de la thérapie serait immatérielle : il s’agit du cadre institué, de l’ensemble des « règles fondamentales ».
61Enfin, à travers l’usage du verbe en séance, il est possible d’observer l’atteinte à la subjectivité de l’autre.
62En thérapie de couple, est à interroger, dans une perspective transférentielle, la collusion groupale à l’œuvre entre deux « complices ». Tout au long de la thérapie, l’articulation contenance/mise en sens aura à s’organiser. La contenance « active » exercée par le thérapeute en début de cure, par l’exercice d’une certaine autorité – le rappel des règles, la distribution de la parole – va, à la fois, faire sens et permettre à la parole de se déployer dans sa fonction signifiante.
Constructions
Les séances qui suivent sont dominées par la voix vociférante de Mme qui accable de reproches son mari en me prenant à témoin. Les deux grandes thématiques évoquées sont : M. ne parle pas : « Il n’y a pas de communication entre nous, avec les autres, c’est pareil, d’ailleurs il n’a pas d’amis » et « Il a raté toutes les naissances » (des enfants) en « attaquant » chaque fois Mme « comme mère ».
« Moi qui avait tant besoin d’une réparation en tant que femme », clame-t-elle. « Seule une naissance pouvait réparer […] Je ne suis pas un médicament », rétorque M.
Suit une description des troubles de la personnalité de M., selon Mme.
Celui-ci tente de protester en invoquant les soucis professionnels qu’il a connus au cours de cette période, explication immédiatement invalidée par Mme. Cependant, M. prend peu à peu la parole pour exposer son point de vue, évoque, en dépit des démentis de Mme, ses difficultés professionnelles, en particulier dans le contexte de la baisse du prix des métaux, il y a quelques années.
Au cours de ces échanges, ils ne se regardent pas, chacun me fixe du regard lorsqu’il parle, me prenant ainsi à témoin exclusivement.
64Mme dit attendre chaque séance pour parler car elle redouterait un débordement de violence si elle le faisait à la maison et je tente, chaque fois, de permettre au flot verbal qui arrive de se déverser tout en le contenant. La violence des échanges ou plutôt des scènes d’affrontement est néanmoins telle que je me trouve souvent en difficulté pour maintenir ma pensée vivante en leur présence… et je me surprends un jour à souhaiter qu’ils se séparent.
65J’observerai que mon mouvement contre-transférentiel sera suivi d’un certain allégement dans les séances : M. parvient à s’exprimer de façon plus fluide, le ton de la voix de Mme devient moins crié. Le thérapeute, jusque-là vécu comme dépositaire du maintien du lien, se sent-il contre-transférentiellement plus libre de se représenter l’absence de l’autre, l’individu seul ? Serait-ce aussi une alliance initiale nouée lors de la prise de rendez-vous par M. avec moi qui peut se défaire ? Toujours est-il que ce dénouement semble permettre à M. d’adopter une position masculine autrement : sa parole devient plus facile, plus affirmée, ses interventions sont moins agressives et témoignent d’une distance qui les rend particulièrement pertinentes. Quant au discours de Mme, il renvoie davantage à une souffrance de femme et se réfère moins à un jugement pseudo professionnel vis-à-vis de M.
Mme évoque souvent la psychanalyse et les psychanalystes auxquels tous les membres de la famille ont eu affaire… Mme reproche à M. d’avoir arrêté une psychanalyse avant d’en avoir entrepris récemment une avec un nouvel analyste, mû uniquement, d’après elle, par la menace de perdre sa femme. Elle reproche à son mari de n’avoir pas fait le travail psychanalytique qu’elle attendait qu’il fasse et qui, d’après elle, aurait dû l’amener à « sortir d’une relation fusionnelle avec elle ».
Mme affirme qu’elle-même et son mari n’ont pas « la même construction ».
J’interroge cette formule. Mme développe : elle-même dit s’être « construite grâce à l’analyse », ce que n’aurait pas fait M…
67Ce mot de « construction » reviendra souvent, appliqué aussi bien à M. et à Mme qu’aux enfants du couple qui sont en thérapie tous les deux, « pour se construire », précise Mme. L’aîné surtout aurait pâti du déchirement du couple à sa naissance et « n’est pas structuré ». « C’est un cas-limite », spécifie Mme.
68En séance, la « construction psychique » est référée uniquement aux expériences thérapeutiques (analytiques), comme si celles-ci tenaient lieu de creuset familial et fondaient une histoire transgénérationnelle. Le « passé » évoqué est d’abord celui de la réparation psychothérapique formulée en terme de « construction », comme si celle-ci était première (peut-être première dans un ordre rétrograde). Les figures des analystes évoqués (ceux de M., ceux de Mme, ceux des enfants) vont prendre valeur de figures parentales, convoquées à travers les représentations qui en sont données en thérapie de couple dans une mise en récit en forme de roman familial.
Mme dit avoir commencé par une analyse avec un « lacanien », désastreuse, précise-t-elle et ajoute qu’elle a rencontré M. à ce moment-là : « C’est pour cela que j’ai rencontré quelqu’un d’aussi fragile » ajoute-t-elle. M. me regarde : « Vous voyez, la violence, moi aussi, j’y ai droit… »
M. fera le même commentaire lorsque Mme dira, à propos de ses difficultés verbales : « Il ne synthétise pas. »
M., se tournant vers moi : « Vous voyez, elle me disait même que je ne pensais pas ! »
Mme dit qu’elle a repris une analyse (depuis 15 ans) avec une kleinienne et qu’elle a alors compris ce que c’est qu’être contenue. Elle dit avoir appris aussi à dire non, non à son analyste. Elle reproche à M. de ne pas avoir appris à le faire. La première analyste de M. aurait décidé seule que c’était terminé… M. n’aurait rien dit, d’après Mme…
Je relève que M. semble avoir dit non à l’éventualité d’une séparation entre eux…
M. précise dans quelles circonstances cet arrêt s’est produit. C’était juste après la naissance d’un deuxième enfant. Mme aurait alors téléphoné au thérapeute de M. (adresse qui avait été fournie par la propre thérapeute de Mme) pour lui dire qu’il avait tort d’arrêter la thérapie de son mari et que ça détruisait son couple. M. aurait alors cherché l’adresse d’un nouveau thérapeute dans le bottin. La nouvelle thérapie dont il aurait ensuite bénéficié est disqualifiée par Mme. « C’est normal qu’il n’ait pas évolué, il a pris n’importe qui ! » M. précise qu’il a repris une analyse avec quelqu’un d’autre aujourd’hui.
70Le couple dessinera peu à peu un tableau de liens, d’interférences, d’intrusions entre thérapeutes et thérapies.
71Place sera donnée, dans ce ballet, à la thérapie en couple, l’inscrivant à son tour dans cette histoire néofamiliale : mon adresse leur a été donnée par le thérapeute de leurs fils qui, lui-même, cherchera à prendre contact avec moi.
72Au cours de cette période, M. et Mme, chacun à son tour, feront une tentative – que je déclinerai en rappelant le cadre de la thérapie de couple instauré au départ – pour me rencontrer seuls.
73L’agressivité jusque-là verbalement dirigée principalement sur l’époux et, à travers les annulations de séance et les retards répétés, sur le cadre de la thérapie de couple, va s’orienter sur la cohorte des figures de tous ces thérapeutes, qui se manifeste en filigrane comme un théâtre d’ombres et qui, de temps en temps, surgit dans la réalité.
74Même si apparaissent au premier plan les bénéfices de type pervers recueillis par le couple, de ces interactions entre thérapeutes, au-delà d’une probable tentative de maîtrise sous-jacente, il semble que soit là convoquée une forme de « thérapie familiale externalisée ». La thérapie de couple, incluse dans cet ensemble, restera néanmoins le lieu où les liens entre les différents transferts déposés dans les multiples cadres de thérapie pourront s’élaborer.
75« Trouver la bonne adresse » est une thématique qui revient souvent : s’agit-il de trouver non seulement à quel « thérapeute en personne » apporter ce « passé » mais aussi dans quelle configuration de cadre (individuelle, en couple, en famille) et sous quelle forme (agie, parlée…) ?
76C’est la répétition du traumatisme qui serait d’abord au rendez-vous. Pour ce couple, la première adresse s’avère toujours donner lieu à une mauvaise rencontre, tout comme serait maléfique la première rencontre amoureuse : le premier analyste de M. qui aurait accepté de parler avec l’épouse de celui-ci, le premier analyste de Mme qui « était lacanien », la première thérapeute du fils aîné « qui n’était pas compétente, ne savait pas s’y prendre » et « a fait perdre trois ans ». Cette dernière adresse avait été donnée par la thérapeute de Mme à qui celle-ci n’a pas manqué de dire ensuite tout le mal qu’elle pensait de la personne recommandée pour son fils.
77Dans la foulée, Mme me demandera une adresse de thérapeute de couple, « en activant mon réseau », pour les parents d’un de ses propres patients.
78La thérapeute est-elle fée ou sorcière ? Est-il supportable pour ce couple que la thérapeute soit fée, ne faut-il pas lui rappeler qu’elle doit être aussi en charge de la sorcière qui hante ce couple, quitte à ce que ses maléfices s’abattent sur un autre couple que celui constitué par M. et Mme, ébauche de déplacement ?
79Je m’efforcerai de répondre sans répondre, c’est-à-dire de ne pas éluder la question tout en répondant dans un registre transférentiel. Je proposerai au couple de puiser dans son propre « réseau » puisque c’est ainsi que j’ai été « trouvée », puis devant l’insistance de Mme d’une implication de ma part, je leur suggérerai de téléphoner à un collègue « de mon réseau » qui appartient aussi au leur puisqu’il est celui qui a donné mon nom à l’analyste du fils du couple, sollicité par Mme pour trouver une adresse : cette proposition du recours à un tiers commun me semblait propre à favoriser une symbolisation possible d’un lien entre bon et mauvais, entre les figures clivées de la fée et de la sorcière. On pourrait penser que M. a disparu dans cette partie qui semblait ne se jouer qu’entre Mme et moi : il me semble que l’introduction d’un tiers (l’analyste, connaissance commune, en mesure de fournir une adresse) permettait l’apparition d’un personnage tiers porteur d’une fonction paternelle.
80Je n’aurai pas de nouvelles de la suite de cette requête, comme s’il avait été répondu à la question sous-jacente… bien sûr, jusqu’à ce que celle-ci réapparaisse à nouveau, mais sous une autre forme, dans un autre registre.
81Après une embellie dans les relations entre M. et Mme au cours de l’été, avec la réapparition du plaisir, de l’espoir, avec une sédation des symptômes portés par les enfants, la rentrée démarre avec une transformation de la géographie intérieure de la maison : les espaces internes à celle-ci sont redessinés, de nouveaux éléments de mobilier et de décoration apparaissent. M. est moteur dans ces transformations, encouragé par l’accord et la satisfaction de Mme et des enfants.
82Parallèlement au retissage des liens dans le couple, le fonctionnement familial se transforme et permet une place prise et reconnue par M. dans l’économie familiale, ceci sur plusieurs plans : celui du mari pouvant satisfaire sa femme, celui du père faisant la preuve de son engagement relationnel et « matériel » auprès des enfants ainsi que de sa participation, grâce à des revenus à nouveau confortables, à l’économie budgétaire de la famille. Mme répète qu’elle s’est donnée pour consigne de « lâcher prise ». Je formule l’intrication entre prendre place (pour M.) et laisser la place (par Mme).
83Néanmoins, un épisode dépressif assez marqué touche Mme : nommé comme tel et pensé à la fois comme appartenant à un sujet et à l’économie du couple, il deviendra un facteur d’évolution (en permettant à M. de faire preuve de sollicitude en tant que mari et d’occuper largement sa fonction parentale, et à madame de laisser place à l’« autre ») en même temps que de régression (Mme se montrant tel un enfant souffrant et tyrannique, la réponse de M. comme « bonne mère » ne peut être que décevante…).
84Un travail en séance pourra alors se développer, portant sur les histoires infantiles de chacun : en premier seront énoncées, sans haine et dans un climat dépressif de bon aloi, les carences des fonctions maternelles (« Je n’ai jamais trouvé ce que je cherchais chez ma mère », dit Mme, « J’ai très vite compris que je n’avais rien à attendre », dit M.) et paternelles (la maltraitance, la déchéance). Ces fondements du développement de chacun pourront être évoqués et mis en récit, tissés en lien avec l’histoire du couple et de la famille…
85La répétition de plusieurs absences aux séances entraîne alors pendant quelques mois un plus grand espacement de celles-ci alors que parallèlement une sortie de l’épisode dépressif se dessine chez Mme. Les propos tenus en séance témoignent d’une capacité trouvée ou retrouvée par les deux membres du couple de s’écouter réciproquement et de s’entendre. Chacun semble opérer une ré-intégration, quasiment une « adoption », de son histoire familiale propre.
86Ainsi, un « héritage » semble devenu possible qui n’est pas – seulement – celui d’une malédiction.
87Si le couple paraît alors traversé à nouveau par un risque de discorde, celle-ci est d’une autre nature que la violence des débuts. Elle témoigne de l’achèvement d’un mouvement d’individuation s’appuyant sur des bases intergénérationnelles. L’héritage apparaît comme fait aussi de « bon », actualisé à travers les caractères propres à chacun et que chacun tient à conserver. L’affrontement consécutif devient alors plutôt une confrontation ne donnant plus lieu au déferlement d’une violence mais à la recherche d’une nouvelle alliance.
88Les absences aux séances ont peut-être permis à ce couple de faire l’expérience, ceci toutefois dans la maîtrise de l’autre-thérapeute, de la solitude sans l’abandon. Il a été possible pour le couple de s’éloigner du thérapeute, de jouer seul sans le perdre, en conduisant celui-ci à éprouver l’attente vaine, reliquat d’une histoire qui cherche encore à se répéter.
89Ne dit-on pas que le conte de fée arrête son récit lorsque la porte de la chambre des amants se referme ? Que ceux-ci choisissent, à l’abri de cette porte, de continuer ou non à s’aimer ? Ils sont en mesure de poursuivre eux-mêmes le récit et la transmission de celui-ci…
90La sorcière, par contre, aurait le pouvoir de traverser les cloisons, comme un fantôme, les générations.
91Le conte nous dit que la fée qu’on oublie d’inviter à la fête se transforme en sorcière dont la malédiction pèsera sur la génération suivante. Ce n’est pas le cas du thérapeute qu’on oublie de prévenir de l’absence à une séance et qui peut s’appuyer sur l’analyse contre-transférentielle pour continuer à élaborer le processus thérapeutique à l’œuvre.
92Cette thérapie de couple illustre le travail de contenance et de mise en pensée effectué par le thérapeute confronté à des manifestations violentes. Un travail long et progressif prenant les actes et certaines expressions non-verbales comme ébauches de symbolisation peut être le creuset de la construction d’un récit qui témoigne de la reprise (pris aussi dans son sens couturier) d’une histoire et d’un déroulement linéaire du temps.
Bibliographie
Bibliographie
- Dupré la Tour, M. 2005. Les crises du couple, Toulouse, érès.
- Lemaire, J.-G. 1986. Le couple, sa vie, sa mort, Paris, Payot.
- Lemaire, J.-G. 1998. Les mots du couple, Paris, Payot.
- Lemaire, J.-G. 2005. Comment faire avec la passion, Paris, Payot.
- Robert, Ph. 1998. « Les expressions non-verbales en psychothérapie de couple », dans J.-G. Lemaire, Les thérapies de couple, Paris, Payot.
- Robert, Ph. 2006. « Les liens du couple », Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe, n° 45, « La groupalité et le travail du lien ».
- Robert, Ph. ; Soulié, M. 2004. « La séduction dans les entretiens préliminaires avec un couple ou une famille », Dialogue, n° 154.