1Je vais d’abord évoquer les concepts théoriques sur lesquels je m’appuie concernant la violence et l’agressivité, d’une part, le groupe et le psychodrame, d’autre part.
2Ma pratique d’analyste de groupe et de psychodramatiste a été plurielle : avec des enfants et des adolescents dans le cadre d’un cmpp, avec des adolescents psychotiques dans le cadre d’un ime, avec des adultes aux comportements violents condamnés à de lourdes peines dans le cadre d’un service médico-psychologique d’une maison d’arrêt et avec des post-adolescents dans un service médico-psychologique universitaire. Je centrerai mon exposé sur ma pratique avec les post-adolescents, même si je serai amené à évoquer le cas d’un adolescent.
3Je distingue nettement violence et agressivité, même si celle-ci peut prendre des formes violentes dans son expression. L’agressivité, qu’elle soit agie ou limitée aux fantasmes d’agression, concerne l’objet, que l’attaque le vise directement ou soit réfléchie sur le sujet lui-même. La violence, en revanche, aurait pour visée non plus l’attaque mais la destruction du lien avec l’objet et la négation de la dimension subjective de l’autre. L’agressivité témoigne d’un lien, et, dans une certaine mesure, le préserve. Elle s’inscrit dans un travail de liaison parce qu’intriquée dans les deux pulsions de vie et de mort décrites par Sigmund Freud.
4La violence, au contraire, traduit un mouvement de désobjectivation, c’est-à-dire de perte de lien avec l’objet dans une perspective de restauration et de protection de l’identité du sujet. C’est le « ou lui ou moi » de Jean Bergeret : « Il faut que je te fasse disparaître pour exister car ta présence menace mon identité. » Ce qui est susceptible de déclencher la violence, c’est la menace sur l’identité, qu’elle soit objective ou purement fantasmatique.
5À partir du moment où le territoire personnel, l’image de soi et l’identité sont vécus comme menacés, et où le narcissisme subit une effraction, apparaît la réponse violente destructrice, en miroir de la menace ressentie par le sujet.
6À l’identité menacée, répond l’émergence d’une violence qui a pour but de détruire l’identité de l’autre menaçant, avec bien sûr des tentatives d’aménagement variable selon les individus. C’est ainsi que, selon les sujets, le même geste ou le même propos peut éveiller, chez l’un, des sentiments de menace d’une identité fragilement maintenue, chez l’autre, il va pouvoir être rapidement aménagé sur le mode de conduites ou de fantasmes agressifs et, chez le troisième, ne va susciter que peu ou pas de réaction.
7Ce qui est ressenti comme violence comporte toujours une dimension meurtrière. À partir du moment où l’amour-propre est en jeu, où il y a blessure narcissique, sentiment d’humiliation, on ne peut plus trouver la limite, on perd la possibilité de se protéger soi-même, on perd la perspective de l’autoconservation, et l’on ira éventuellement jusqu’à là mort plutôt que céder.
8Une des façons de sortir de cette situation est l’introduction du tiers médiateur qui, en général, n’a d’autre solution à proposer que celle qui était prévisible au départ. Mais, de n’être pas impliqué dans la même relation de pouvoir, il n’a plus le même effet et peut permettre une ouverture.
9Je rappelle également que tout acte de violence a une fonction dans l’économie psychique. La violence, chez certains sujets, vise à la décharge des tensions internes du Moi qui menacent de le déborder. Celle-ci leur permet également d’exercer sur l’objet un contrôle replaçant celui-ci à distance et libérant le Moi de son influence. S’agit-il vraiment de violence, comme je viens de la définir, ou, pour reprendre l’expression de Jean Bergeret, d’une pervisisation du courant libidinal par le courant violent ? Il s’agirait alors de la haine telle qu’elle a été théorisée par D. W. Winnicott. C’est dans le regard horrifié des autres les regardant que ces sujets évacuent leur propre haine d’eux-mêmes. Cela leur permet de retrouver une certaine image d’eux-mêmes avec le sentiment que le mauvais n’est pas en eux, mais à l’extérieur. Il existe un surinvestissement défensif sur l’externe pour contre-investir les tensions internes.
10Nous savons que chez ces sujets, plus l’objet est investi et plus il peut envahir l’espace psychique interne, faisant effraction et provoquant une confusion Moi/Non-Moi. L’objet devient alors menaçant pour l’intégrité du Moi entraînant une violence en retour.
11Ces sujets vivent sous la menace d’une emprise venue de l’extérieur. Ce qu’ils pourraient faire subir aux autres est toujours ce par quoi ils se sentent eux-mêmes menacés.
12Certains adolescents, ceux que j’ai appelés les « abonnés du Tribunal pour enfants », sont dans la confusion des imagos : confusion des sexes, des générations, de leur espace psychique interne et de l’extérieur. Le psychodrame propose d’emblée une figurabilité aux objets et facilite la levée de la confusion. Ce sont des sujets qui ont du mal à percevoir ce qu’ils peuvent éprouver. Tout affect constitue un danger qu’ils expulsent, projettent à l’extérieur d’eux-mêmes avec violence, tout en le déniant. Le psychodrame va favoriser, par la mise en figuration des conflits internes et des angoisses identitaires, une réintériorisation du « théâtre interne » de ces patients qu’ils ont massivement projeté à l’extérieur. Il permet de mettre en scène ce qui n’est pas représentable intérieurement. Ces adolescents vivent sous la menace d’une emprise venue de l’extérieur. Ce qu’ils mettent en acte avec violence est toujours quelque chose qui figure ce par quoi ils se sentent eux-mêmes menacés.
13Dans les rôles qu’ils nous attribuent au cours des jeux psychodramatiques, nous avons souvent une fonction de « double narcissique négatif », parties d’eux-mêmes qui les menacent, ce qui nous permet de leur montrer que celles-ci peuvent se lier avec d’autres plus ancrées avec l’Éros.
14Je ne puis m’empêcher de penser à Akim, participant d’un des multiples groupes que j’ai pu conduire.
15Akim, qui n’a pas encore 16 ans, a frappé son éducatrice et lui a cassé le nez alors que la veille, pour la première fois, il lui avait parlé de la mort de sa mère quand il avait 7 ans et avait pleuré. Akim n’en est pas à son coup d’essai. Il a été présenté plusieurs fois devant le juge des enfants pour des actes violents. Il a été placé dans un foyer à 10 ans pour maltraitance : il était régulièrement frappé par son père, ses frères aînés et la nouvelle épouse de son père. Il est, et cela n’a rien d’étonnant, en situation d’échec scolaire. Lui aussi met en échec toutes les tentatives qui pourraient l’aider à se sortir de cette situation. Il désarçonne les éducateurs parce qu’il peut se mettre en alliance avec eux dans des projets auxquels il adhère et tout remettre en question d’une manière inattendue dans des agirs violents.
16Akim insulte les adultes, profère des menaces et se bagarre avec les autres sans tenir compte du rapport de force, pouvant s’attaquer à bien plus fort que lui. Il passe également par des moments de dépression où il se montre abattu, sans vie. Tout en étant placé dans un internat éducatif, il va accepter de participer au groupe de psychodrame (qui se situe dans un cmpp) sur injonction du juge des enfants et comme alternative à l’incarcération. Il n’avait pas trop le choix ! Il va très rapidement déplacer ses débordements dans les scènes psychodramatiques, tout en étant contenu par le groupe et, en particulier, par la règle du « faire semblant ».
17L’alliance avec le cadre institutionnel dans lequel Akim était placé a été déterminante, ainsi que le cadre institutionnel du cmpp dans lequel avait lieu le groupe de psychodrame.
18Le groupe de psychodrame pouvait alors avoir une fonction de « médium malléable » définie par René Roussillon tolérant la déformation, sans être détruit (il attribue au « médium malléable » cinq caractéristiques : « Indestructibilité, extrême sensibilité, indéfinie transformation, inconditionnelle disponibilité et animation propre » et le définit comme « l’opérateur de la différenciation et l’objet transitionnel de la représentation ». Aucun praticien, individuellement, ne peut exercer de manière continue et simultanée ces différentes fonctions. En revanche, l’institution, si elle est fiable et cohérente, peut avoir cette fonction de « médium malléable »).
19Dans les jeux psychodramatiques, Akim amène des thèmes d’une grande violence : attaques de mercenaires qui détruisent tout sur leur passage, violent, empalent, tuent tout ce qui bouge : femmes, enfants, animaux… Les autres membres du groupe sont à la fois terrorisés et excités par ces thèmes, mais y participent sans aucune retenue. L’extrême fragilité des assises narcissiques, la confusion Moi/non-Moi générée par des ratés de la relation primaire expliquent cette violence. Mais celle-ci est contenue dans le cadre du groupe. Dans les discussions qui suivent les scènes psychodramatiques, Akim a pu associer et faire des liens entre le plaisir qu’il prenait à jouer de telles scènes et la terreur qu’il pouvait éprouver la nuit où il se sentait entouré par des monstres cherchant à le dévorer. Rêves, cauchemars ou hallucinations ?
20Akim a pu également aborder, dans le transfert, la menace identitaire que les thérapeutes pouvaient représenter pour lui, et les réactions violentes qu’ils pouvaient susciter en lui.
21Les deux temps de la séance, jeu psychodramatique, d’une part, et discussions précédant et suivant le jeu, d’autre part, favorisaient à la fois l’expression des fantasmes les plus violents et leur élaboration. Ils permettaient également une décondensation des imagos : imagos archaïques menaçant l’identité d’Akim et provoquant sa violence, une violence de survie, imagos œdipiennes qui peuvent être attaquées, mais dans le maintien du lien.
22Les troubles du comportement dans son institution vont s’estomper, ce qui va lui permettre d’accéder plus aisément aux apprentissages et d’être mieux toléré par les adultes.
23Je vais maintenant tenter de montrer ce en quoi l’analyse de groupe dans lequel se pratique le psychodrame peut être une approche thérapeutique très opérante avec les postadolescents. Je vais m’appuyer sur des groupes que j’ai conduits pendant plus de 25 ans au smpu avec une population d’étudiants entre 18 et 25 ans, parfois même allant jusqu’à 27-28 ans.
24Dans leur ouvrage Devenir adulte, Anne-Marie Alléon et Odile Morvan nous ont éclairés sur cette période de la vie qu’est la postadolescence, dans une perspective dynamique, situant ce passage de l’adolescence à l’âge adulte dans un continuum. Il s’agit d’une période de dégagement de l’adolescence. La dépendance reconnue à l’égard des objets œdipiens autorise le postadolescent à s’en dégager sans risque pour lui-même et à prendre en charge son autoconservation jusque-là assurée en grande partie par les parents.
25Les auteurs parlent d’une néolatence. Je ne vais pas insister plus sur les concepts qu’elles ont développés. Je dirai simplement que les patients que nous recevons sont des sujets qui ont du mal à traverser cette période et qui ressentent à la fois leur monde interne et le monde extérieur comme extrêmement menaçants : leur pulsionnalité menace leur Moi et l’objet est également vécu comme menaçant. Il peut y avoir des effets de confusion Moi/Non-Moi où, pour reprendre l’expression de Didier Anzieu, la membrane psychique semble faire défaut ou se présente « trouée comme une passoire ».
26Le groupe thérapeutique peut permettre une mise en figuration topique des deux espaces : l’espace psychique interne et l’espace externe.
27L’histoire de Marie l’illustre bien. Il s’agit d’une jeune femme de 28 ans, à la personnalité limite, présentant de grandes failles narcissiques, participante d’un groupe thérapeutique hebdomadaire, composé de dix patients, au smpu.
28Marie est rivée à son siège. À chaque séance, elle occupe la même place, que les autres membres du groupe lui laissent respectueusement ou craintivement. Les séances se succèdent ainsi de semaine en semaine. Un jour, Marie s’absente ; son siège reste vide. Personne ne s’avise de l’occuper, y compris les thérapeutes ! À son retour, un des participants lui explique que son siège est resté inoccupé pendant son absence. Marie trouve cela normal, affirmant que « l’on n’occupe pas sauvagement une maison lorsque les propriétaires partent en vacances, que cette place lui appartient, qu’il s’agit de son territoire, de son espace intime et qu’elle serait prête à sortir ses griffes contre quiconque voudrait le lui prendre ». Elle ajoute « qu’il s’agit pour elle d’une question de survie : lui prendre son siège la priverait d’existence dans le groupe ». Marie ne s’adresse pas à un participant particulier du groupe. Tous, y compris les thérapeutes, constituent une menace potentielle d’effraction de son territoire : nous retrouvons le mouvement de désobjectivation dont il était question auparavant où l’autre n’est pas reconnu dans son altérité mais constitue une menace identitaire entraînant la violence en retour. La violence apparaît chez Marie comme mécanisme de défense du Moi, menacé dans ses assises narcissiques, un mécanisme de survie mis en place depuis fort longtemps.
29Les autres participants du groupe, même s’ils occupent souvent les mêmes places, peuvent en changer sans grande difficulté. Cette mobilité psychique groupale va aider Marie à acquérir un peu plus de souplesse : elle acceptera, dans un premier temps, l’idée qu’elle puisse « partager son territoire en prêtant son siège », et, par la suite, elle arrivera à sortir de cette confusion perception/représentation en investissant un espace psychique interne qui semblait lui faire défaut. La présence de l’autre va perdre alors cet effet d’effraction qui mettait Marie en permanence sur ses gardes. L’autre va devenir un objet identifiable avec lequel un lien peut s’établir dans une ambivalence des sentiments où peuvent se mêler amour et haine avec des mouvements agressifs, parfois violents mais qui maintiennent ce lien. La rivalité œdipienne peut alors s’exprimer à partir du moment où le narcissisme est un tant soit peu restauré.
Le groupe : étayage narcissique et menace identitaire
30Nous venons d’avoir un aperçu de la fonction d’étayage narcissique du groupe à l’égard de Marie. Cette fonction n’apparaît cependant pas toujours évidente. En effet, la mise en groupe de plusieurs individus, qui ne se connaissent pas et ne se sont pas choisis, peut être considérée comme une violence dans la mesure où la situation groupale réactive les angoisses d’abandon et de morcellement. Le groupe ne correspond jamais à ce que nous pouvons en attendre, du fait de la disparité de ses participants. Il représente donc une menace qui pourra s’élaborer psychiquement pour certains et entraîner des réactions catastrophiques pour d’autres.
31Les participants s’épient, le silence s’installe, un silence qui persécute mais que personne ne veut rompre…
32Être vu et entendu engage le narcissisme de chacun : un regard insistant, un geste, une parole… peuvent constituer une menace et entraîner des mouvements défensifs par le repli sur soi, l’hypomanie, le discours intellectuel, la sidération de la pensée, l’attaque du cadre…, chacun étant pris dans ce dilemme qui veut que, pour être soi, il faut se nourrir des autres et, en même temps, s’en différencier.
33Mais le groupe a également une fonction de pare-excitation. Il permet la mise en place d’un cadre qui apporte un étayage aux fonctions défaillantes du Moi. Il constitue une aire transitionnelle autorisant un jeu, au sens de mobilité, entre le sujet et son environnement permettant à celui-ci de mieux supporter la situation de dépendance dans laquelle il se trouve et de moins la ressentir comme une menace. Pour certains patients dont l’enveloppe psychique apparaît trop poreuse et qui manquent donc de limites entre leur monde interne et la réalité extérieure, le groupe peut constituer une enveloppe commune délimitant le dedans du dehors et créant un sentiment d’appartenance, et avoir une fonction de prothèse.
34Le groupe serait donc un lieu qui plonge le sujet dans la paradoxalité : déclencheur de violence parce qu’il met en présence plusieurs individus dans le même espace et active le désir de faire disparaître l’autre dont la présence représente une menace identitaire, et lieu d’étayage, espace psychique à l’intérieur duquel peuvent se déposer les angoisses les plus archaïques, où, par les jeux d’identifications et de différenciations, le sujet peut y trouver un soutien narcissique et aborder ses conflits œdipiens.
35Le concept de « mentalité de masse » développé par Bion nous éclaire sur cette paradoxalité. Pour lui, la « mentalité de masse » est inhérente au fonctionnement psychique de tout individu du fait que l’être humain est un animal vivant en « horde ». Cette mentalité s’exprime sur une « base de présupposés » liés à la volonté du groupement humain à demeurer cohérent à tout prix. L’individu participe de façon inconsciente à cette volonté, distincte du désir qui, lui, est individuel, volonté qui le fait se sentir mal à son aise toutes les fois qu’il pense, désire ou agit en désaccord avec ces postulats de base du groupe.
36« La mentalité de masse », présente à l’intérieur du psychisme de chaque être humain, « menace constamment la satisfaction que pourrait apporter un groupe aux besoins des individus qui le composent ».
37« La mentalité de masse » présente une uniformité contrastant avec la diversité de pensée propre à la mentalité des individus qui ont contribué à la former. Ce qui la caractérise, c’est « le niveau extrêmement élémentaire des émotions », tels la « panique et la rage » dans l’attaque-fuite, « le désarroi et la rivalité aveugle » dans le couplage, « l’omnipotence et la culpabilité de base » dans la dépendance.
38Bion explique qu’il existe cependant une manière d’intégrer les besoins grégaires de l’animal humain, celui-ci éprouvant légitimement le besoin d’échanger avec ses semblables. C’est ce qu’il appelle « la mentalité groupe de travail » dont le but est en accord avec l’exigence du « principe de réalité » et qui poussera l’individu à rechercher un leader qui possède une personnalité suffisamment forte et ancrée dans la réalité pour maintenir le but fixé par les individus composant le groupe. « Le choix de l’expression verbale sera prédominant, et celle-ci riche en symbolisations de tous niveaux et fondera la poursuite du but du groupe tout autant que le développement des individus qui le composent. » Nous pouvons entrevoir une certaine similitude entre « la mentalité de groupe de travail » de Bion et les groupes thérapeutiques.
39Que l’on soit dans la perspective de la déliaison pulsionnelle avec la pulsion de mort agissant « en électron libre » décrite par Freud, ou dans celle élaborée par Jean Bergeret d’un instinct de survie identitaire, la question de la restauration du narcissisme reste primordiale, l’abord des conflits œdipiens n’étant possible que dans un second temps.
40Quelle que soit la structure de personnalité des sujets, la situation groupale en elle-même favorise la régression et l’émergence d’angoisses archaïques ayant un lien direct avec la menace identitaire. La violence est donc présente et ne doit pas être occultée. Elle peut, en revanche, être traitée.
41Ma pratique des groupes thérapeutiques a toujours été en cothérapie avec une collègue. J’accorde une importance particulière à la nécessité d’être en couple hétérosexué. Chez des sujets fragiles narcissiquement, la figuration des imagos parentales est facilitée par la perception d’un couple réel. Par ailleurs, dans les groupes de patients ayant des comportements violents et dont l’activité de penser fait défaut, nous ne sommes pas trop de deux pour supporter les effets des identifications projectives dont nous sommes inévitablement l’objet. Cette pratique de la cothérapie nécessite l’établissement d’une fiabilité relationnelle et d’une analyse régulière de l’intertransfert sans lesquelles notre travail serait voué à l’échec.
La fonction du psychodrame
42Dans les groupes que j’ai conduits au smpu, le psychodrame s’inscrit dans la chaîne associative de ce qui est exprimé par les participants. Sur la trame des associations groupales s’élaborent des fantasmes portés par l’un ou l’autre et partagés par plusieurs, que la mise en jeu psychodramatique vient éclairer. Le passage au jeu doit être préparé par la dynamique sur laquelle il s’étaye et peut permettre d’effectuer une ouverture dans les constructions défensives du groupe ou de chaque participant, notamment dans les moments où le silence se prolonge et devient sidérant.
43Il s’agit, bien sûr, de psychodrame psychanalytique dont les visées sont les suivantes :
- à l’opposé de la maîtrise, le psychodrame, comme la cure analytique, se donne pour objectif l’ouverture à la libre association, l’assouplissement des frontières entre le conscient et l’inconscient, l’enrichissement du préconscient, l’assouplissement des frontières entre l’actuel et le passé, entre le dehors et le dedans ;
- à l’opposé de la décharge, le psychodrame se refuse à être une simple extériorisation des conflits et des tensions qui en résultent. Il n’a pas de visée cathartique même s’il peut avoir des effets cathartiques. Il cherche la prise de conscience des conflits internes, aménage leur représentation sur la scène externe du jeu, non pour les évacuer, mais pour en favoriser l’élaboration.
44Ce qui est recherché, c’est la mise en place de figurations auxquelles les patients n’ont pas eu accès ou n’ont plus accès. Il s’agit de faire du représentable, là où il y eut échec des expériences de symbolisation primaire (caractéristiques de pathologies narcissiques).
45Deux éléments constituent l’originalité et la spécificité du psychodrame analytique :
- le jeu comme moyen d’accès à la figurabilité des conflits et à la symbolisation ;
- l’implication corporelle permettant la dramatisation des conflits et la relance de la vie psychique. Le psychodrame offre un lieu privilégié où le corps peut s’exprimer directement, tout en étant à lui-même sa propre limite, celle-ci redoublant la limite du cadre dont les analystes de groupe sont les garants.
46Le psychodrame, par sa fonction de représentation, va prescrire, sous forme de jeu, ce qui peut constituer une entrave au processus de maturation : le passage à l’acte, le trop plein d’excitation, les inhibitions. Il permet une mise en mouvement du corps, et favorise l’expression d’une parole qui fait défaut. L’accompagnement moteur permet un mode supplémentaire de communication émotionnelle. Quant aux sujets qui sont provisoirement incapables de parler et même d’avoir des mimiques et des gestes appropriés, le groupe et la situation de jeu permettent de les insérer dans un système de communication. Les affects non mentalisés, aussi violents soient-ils, peuvent être réélaborés à travers le jeu et les discussions qui suivent celui-ci. Une chaîne associative peut se développer à partir des résonances de chaque participant, qu’il soit protagoniste, ego-auxiliaire ou témoin-spectateur du jeu. Le psychodrame permet de mettre en scène et de symboliser ce qui n’est pas représentable intérieurement.
47Rappelons que le symbolisme comprend toutes les formes de représentations indirectes, dès l’instant où l’on reconnaît, par exemple à un comportement, au moins deux significations dont l’une se substitue à l’autre en la masquant et en l’exprimant à la fois. Dans la théorie psychanalytique, un rêve ou un symptôme peuvent être l’expression symbolique d’un désir ou d’un conflit interne.
48Le psychodrame est une technique qui favorise l’accès à la symbolisation sans laquelle la violence et l’agressivité ne pourraient être abordées et traitées.
Les règles de fonctionnement
49Le groupe est hebdomadaire, d’une durée d’une heure et demie. Il est conduit par un couple de thérapeutes, assisté d’un observateur soumis à une règle d’abstinence : il se contente d’observer et de prendre des notes. Il participe au travail d’élaboration et à l’analyse de l’inter-transfert après la séance.
50Ce groupe est lentement ouvert, à savoir qu’un nouveau participant peut être intégré au groupe lorsqu’il y a un départ, chaque patient ayant son propre rythme dans son travail thérapeutique.
51Cinq règles sont énoncées.
La règle d’assiduité
52Nous insistons sur l’importance d’être présent aux séances et de prévenir d’une absence éventuelle. Nous ponctuons ainsi le fait qu’un traitement psychologique n’est possible que si le sujet est acteur et qu’un groupe ne doit son existence qu’à la présence de chacun de ses membres. Cette règle marque, pour chaque patient, son sentiment d’appartenance à un groupe de pairs, et relève l’importance qu’il peut avoir pour les autres (ce qui provoque souvent un étonnement et des effets narcissiques).
La règle de la libre association
53Nous engageons les participants à exprimer tout ce qu’ils pensent et ressentent et à associer sur ce que les autres peuvent exprimer. Cette sollicitation à la parole n’est pas facile pour ces patients et cela entraîne, en début de séance, des moments de silence plus ou moins bien tolérés, avec apparition d’angoisses archaïques envahissantes, de fantasmes de persécution, de mécanismes de défense qui agissent pour certains, dans une tentative de maîtrise des autres et des thérapeutes, par le mutisme. L’autre est alors vécu comme une menace : parler, c’est prendre le risque de se dévoiler, de révéler sa fragilité et de se mettre à la merci des attaques des autres participants.
54Nous sommes très attentifs à ces moments de début de groupe et de début de séance, toujours déterminants pour la dynamique du groupe et le fonctionnement de chacun. Nous avons, en particulier, le souci que ces moments ne se transforment pas en sidérations groupales en proposant, parfois directement, une idée de jeu psychodramatique en relation avec ce qui est vécu ici et maintenant.
55Nous percevons bien, dans ces premiers instants de la vie du groupe, ce qu’a très bien théorisé René Kaës lorsqu’il affirme, je le cite, « qu’on ne peut pas être plusieurs dans le même espace sans activer le désir de mort de l’Autre, et que cette mobilisation du désir de mort de l’Autre, dans le même espace matriciel, s’organise en relation contradictoire avec la recherche de l’objet d’étayage et de satisfaction ».
La règle de restitution
56Nous rappelons qu’entre chaque séance, toutes les pensées, discussions, rencontres entre eux, tous les rêves… se rapportant aux séances, doivent pouvoir être évoqués à la séance suivante. Nous pensons en particulier à tout ce qui se passe avant les séances dans la salle d’attente et après, lorsqu’ils continuent à discuter en repartant ensemble. Ce fonctionnement du groupe hors la présence des thérapeutes fait partie de sa dynamique et contribue au traitement. Certains s’étonnent parfois de retrouver une chaîne associative de pensées qui leur avaient fait défaut au cours de la séance, libérés de la présence des thérapeutes.
57Nous savons, pour en avoir fait l’expérience nous-mêmes dans notre formation, que cette règle n’est pas toujours respectée, loin s’en faut, mais la nommer contribue à donner sens à l’importance de ces moments de postséance.
La règle de discrétion
58Tout ce qui est exprimé en séance ne doit pas être rapporté à l’extérieur. Cette règle est essentielle pour que chacun puisse s’exprimer librement. Les thérapeutes y sont bien sûr les premiers soumis.
La règle du faire semblant dans les jeux psychodramatiques
59Elle est essentielle, véritable « clé de voûte » du dispositif, en particulier chez des patients qui sont dans la confusion entre perception et représentation. Nous allons en avoir une illustration dans l’exemple clinique suivant où s’articulent violence et agressivité.
60Il s’agit de Jean, un jeune homme de 28 ans, participant d’un groupe composé alors de quatre hommes et cinq femmes de 18 à 30 ans.
61Cet homme parle souvent des affects très violents qu’il peut éprouver, imaginant des scènes où il se voit en train de se battre contre des personnages de son entourage ou des ennemis imaginaires, « leur fracassant le crâne avec une boule de pétanque, les frappant à mort… », alors qu’il est un adepte de la non-violence et milite dans un mouvement pacifiste. Très en rivalité avec les autres hommes du groupe, il dénie totalement celle-ci.
62À une séance, il va tenir des propos très disqualifiants à l’égard de son père, le décrivant comme intrusif, cherchant à avoir des détails sur sa vie de couple, cherchant à deviner ses pensées…
63Il parle de son père, mais nous sommes bien conscients qu’il s’adresse aussi à moi dans le transfert. Il dit cependant n’éprouver aucun sentiment violent à l’égard de ce père. Il nous explique que son père lui adresse des demandes pressantes de moments à passer avec lui et qu’il a fini par céder, acceptant de partir deux jours avec lui en montagne avec une nuit en bivouac.
64Il rapporte un rêve qu’il a fait la veille de la séance, dont voici un extrait : « Mon père gît mort dans une forêt, il n’a plus de peau… » Jean associe sur le cannibalisme. Il a lu un ouvrage sur ce sujet et a appris que les cannibales pèlent leurs victimes avant de les dévorer. Il dit pouvoir se comporter comme un prédateur. Il parle des loups dont il a étudié le comportement. Cela me fait penser à la phrase de T. Hobbes reprise par Freud : « L’homme est un loup pour l’homme. »
65Jean est alors effrayé par l’idée qu’il ait à l’égard de son père des pensées aussi destructrices. Mais ses fantasmes entrent en résonance avec d’autres membres du groupe, ce qui l’apaise un peu de constater qu’il n’est pas seul à éprouver de telles pensées.
66Je me dis que ce rêve condense à la fois le désir du meurtre du père et un autre désir plus identificatoire, à savoir un fantasme d’incorporation. Mais je perçois que l’homosexualité psychique dont il est question lorsqu’il s’agit d’incorporer le père ou être pénétré par lui (accepter une nuit en bivouac) ne peut être abordée sans que soit d’abord traitée la menace identitaire que représente ce père (et que je représente dans le transfert) et qui provoque chez lui ces pensées violentes.
67Je lui propose d’explorer ce rêve par le psychodrame. Jean refuse ma « proposition » un peu trop directe, équivalente d’une séduction et de celle que lui a faite son père en lui proposant d’aller bivouaquer et qu’il n’a pu refuser, mais il associe sur deux souvenirs :
- le premier, lorsqu’il avait 8-10 ans, où il prenait « de violentes raclées » par son père ;
- le second, lorsqu’il avait 20 ans, et où son père l’avait présenté à des amis et l’avait invité avec eux au restaurant. Jean ne supportait pas alors que son père le « porte aux nues et qu’il le présente comme une marchandise de prix !… »
68L’on remarquera que Jean a planté un décor sur la scène psychodramatique qui rappelle sa position dans le groupe en situation de rivalité avec les autres hommes et sous le regard des femmes laissées « en dehors de l’arène ». Je suis moi-même dans l’arène puisque je dirige le jeu.
69Celui-ci sera d’une grande intensité émotionnelle, une des femmes du groupe exprimant après le jeu qu’elle avait eu peur que Jean frappe réellement Daniel dans le rôle du père. Cela se passa à un moment où, pour figurer la menace identitaire, j’avais fait un « arrêt sur image » et demandé aux trois ego-auxiliaires d’entourer Jean et de le serrer, sans le toucher, bien entendu. Jean est alors entré « dans une rage folle » et a fait le geste de les repousser, en particulier Daniel qui jouait son père en lui criant : « Va te faire foutre. »
70Ce jeu va permettre de développer une série d’associations à partir des résonances de l’ensemble des membres du groupe. La chaîne associative groupale qui se constitue après le jeu va permettre à Jean de comprendre à quel point il possède des mécanismes de défense « bétonnés ». L’ensemble des participants va lui renvoyer qu’il a tenu des propos d’une grande violence à l’égard de son père, au point qu’on ait pu craindre qu’il n’agresse réellement Daniel qui en tenait le rôle. Lui-même dit ne pas avoir ressenti de violence et en a été déçu.
71Mais le psychodrame a permis à Jean de se laisser surprendre et d’être pris dans une « inquiétante étrangeté » devant l’écart entre ce qu’il a éprouvé (déni ou répression de l’affect) et ce qui lui a été renvoyé par les autres (spectateurs et ego-auxiliaires) de la violence de ses propos…
72« Pour me débarrasser de cette haine, il faudrait que je puisse l’éprouver », nous dira Jean. Il nous montre que c’est le contenu de ses pensées qui est impensable au point que l’affect lui-même ne peut émerger. Par contre, Jean va dire qu’il a éprouvé de l’agressivité à mon égard lorsque j’ai demandé aux trois ego-auxiliaires de l’entourer. L’attaque est directe, mais le lien est maintenu car il s’adresse à moi en tant que sujet.
73Le « rapproché » corporel des trois ego-auxiliaires a mis en évidence la menace identitaire qu’ils pouvaient constituer pour Jean avec la violence comme seule réponse possible de la part de celui-ci. Nous sommes au plus près des théories de Jean Bergeret, « Violence pour survivre au risque de faire disparaître l’autre ». Jean nous dira qu’il ne voyait plus les ego-auxiliaires comme des membres du groupe mais comme des agresseurs voulant attenter à sa vie. Mais il s’agissait en même temps des trois autres hommes du groupe avec qui il est en rivalité par rapport aux femmes qui, dans ce jeu, étaient spectatrices.
74Nous avons vu, dans cet exemple, apparaître successivement ou simultanément les enjeux identitaires, ceux provoquant la violence et engageant le narcissisme et ceux qui concernent la rivalité œdipienne avec l’agressivité dans le maintien du lien.
75Jean n’est pas quelqu’un de violent dans sa vie, bien au contraire. Il nous montre cependant à quel point sa fragilité narcissique peut entraîner de sa part une violence en lien direct avec des mécanismes de survie. Le psychodrame va l’aider à faire un travail de décondensation de cette violence avec les fantasmes agressifs très érotisés qu’il peut éprouver à l’égard de ses objets œdipiens entraînant chez lui une forte culpabilité.
76Jean fait partie de ces sujets qui ont du mal à percevoir ce qu’ils peuvent éprouver. Tout affect constitue un danger qu’ils expulsent, projettent à l’extérieur d’eux-mêmes avec violence, tout en le déniant. Jean vivait sous la menace d’une emprise venue de l’extérieur. Les pensées violentes qui le traversent figurent ce par quoi il se sent lui-même menacé. Nous mesurons à quel point le travail de dégagement à l’égard des objets œdipiens entrant dans le processus de la postadolescence est difficile pour lui.
77Je vais enfin terminer en évoquant cette patiente qui a passé trois ans dans ce groupe, sans parler, restant rivée à sa chaise comme Marie, mais totalement mutique. La collègue qui nous l’avait adressée avait tenté la mise en place d’une thérapie individuelle sans succès, le dispositif étant devenu rapidement insupportable aussi bien pour la patiente que pour la collègue. Les autres participants ont supporté son mutisme et toléré sa présence, ce qui lui a permis, au bout de trois ans, lorsqu’elle a quitté le groupe, de nous adresser un long courrier où elle nous exprimait, entre autres choses, mais principalement, combien le groupe, la présence des autres, le rythme et la durée des séances, le rituel de ces séances, lui avaient permis de survivre.
78J’ai déjà développé, en parlant des adolescents, que le groupe pouvait avoir une fonction de « double narcissique », un « double » sur lequel chaque membre peut s’appuyer pour restaurer l’image fragilisée, voire disqualifiée, qu’il peut avoir de lui-même.
79Ce double, dans les groupes thérapeutiques, va servir d’airbag entre les thérapeutes et chaque patient, lui permettant de mieux supporter la confrontation avec les imagos parentales dans le transfert avec les thérapeutes.
80Je peux tenir le même point de vue avec les groupes de postadolescents et nous en avons eu un aperçu avec cette patiente qui a pu nous dire combien elle a pu s’appuyer sur le groupe. La règle de discrétion ne me permet pas de donner plus de détails sur l’histoire de cette patiente, mais je pense sincèrement que son passage dans ce groupe thérapeutique l’a empêché de mettre fin à ses jours.
81Cette figure du « double narcissique » représentée par le groupe, peut l’être également par l’un ou l’autre thérapeute, voire le couple, et peut l’être aussi par un participant. Il peut avoir une fonction d’externalisation de l’objet interne des patients.
82Philippe Jeammet précise que « l’objet externe est rassurant parce qu’à la fois il représente l’objet interne et s’en différencie suffisamment, ne serait-ce que du fait de ses qualités perceptives propres ».
83Le groupe thérapeutique assure une fonction contenante, pare-excitante pour chaque participant qui est dépositaire de parts inconscientes et inconnues de l’autre. Le dispositif groupal du psychodrame propose d’emblée la scène, les acteurs, les metteurs en scène, parfois les spectateurs, au service d’une activité créatrice commune. Une histoire partagée se construit ! Cet exemple nous en donne une illustration.
Conclusion
84L’être humain, à tous les âges de sa vie, est aux prises avec des processus qui lui font violence et provoquent sa violence en retour et ce, quelle que soit la solidité de ses assises narcissiques.
85Le groupe et la situation groupale réactivent des angoisses archaïques liées à la relation primaire, induisent des sentiments de persécution, d’effraction ou de morcellement qui fragilisent et menacent l’identité de chaque membre. « L’enfer, c’est les autres », disait Jean-Paul Sartre !
86Mais le groupe est également le lieu où se structure le lien social. Les groupes thérapeutiques, à la condition qu’ils puissent s’étayer sur l’institution qui a favorisé leur mise en place, peuvent être des lieux privilégiés où la violence et l’agressivité peuvent trouver des réponses qui les prennent en compte sans en précipiter le cours.
87L’institution est censée garantir, codifier et légitimer les actions engagées dans la temporalité. Elle permet de contenir ce que la situation groupale peut générer d’affects violents. Une défaillance du cadre institutionnel peut susciter le retour de ces angoisses archaïques sous la forme d’agirs violents.
88Nous pouvons en tirer la même conclusion concernant la défaillance du tissu social, lorsque celui-ci ne peut plus assumer sa fonction étayante et pare-excitante.
89La fonction du groupe comme « double narcissique » permet au postadolescent de se protéger de la pulsionnalité et des objets œdipiens encore trop excitants lorsque ce travail de dégagement, qui est censé lui permettre de se construire une identité sexuelle définitive, d’effectuer un choix d’objet amoureux, d’acquérir la capacité d’être seul et d’accepter l’idée de la mort, ne se fait pas ou a du mal à se faire.
90Je dirais même que dans certains cas, pour certains sujets au moi déstructuré et morcelé, qui ne font pas la différence entre leur espace psychique interne et le monde extérieur, qui apparaissent comme ayant un moi-peau percé, le groupe thérapeutique peut constituer une enveloppe psychique fonctionnant comme une prothèse. Les thérapeutes occupent alors plus particulièrement une fonction maternelle primaire prêtant à ces patients leur « appareil à penser ».
91Pour revenir à cette patiente, on peut imaginer combien son mutisme pouvait faire violence aux autres membres du groupe, se vivant comme niés, désubjectivés, mais l’étayage groupal a permis de tolérer la destructivité sans en être personnellement détruit, de mieux tolérer la passivité et la conflictualité interne.
92Quant au psychodrame, il donne accès à la symbolisation et à la figurabilité des conflits internes. Dans le traitement de la violence et de l’agressivité, le psychodrame permet de faire du représentable, là où il y a eu échec des expériences de symbolisation primaire. Sur la scène psychodramatique, nous pouvons jouer l’expression des fantasmes les plus violents soient-ils avec l’assurance de pouvoir en reparler sur un autre registre par la suite ce qui, dans le dispositif, nous fait bien distinguer l’espace du jeu psychodramatique de celui qui est le retour au groupe avec l’expression des résonances.
Bibliographie
Bibliographie
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- Freud, S. 1929. « Le malaise dans la culture », dans Œuvres complètes, tome XVIII, Paris, puf, 2002.
- Freud, S. 1933. « Pourquoi la guerre ? », correspondance avec Einstein, dans Œuvres complètes, tome XIX, Paris, puf, 2004.
- Jeammet, P. 1980. « Réalité externe et réalité interne, importance et spécificité de leur articulation à l’adolescence », Revue française de psychanalyse, n° 3-4, p. 481-521.
- Roussillon, R. 1985. « Espaces et pratiques institutionnels, le débarras et l’interstice », dans R. Kaës et coll. (sous la direction de), L’institution et les institutions, Paris, Dunod.
- Schiavinato, J. 1995. « Abord de l’agressivité dans le transfert », Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe, n° 24, Toulouse, érès.
- Schiavinato, J. 2002. « Traitement de la violence et de l’agressivité dans les groupes de psychodrame », dans J. Falguière et coll. (sous la direction de), Analyse de groupe et psychodrame, fondements théoriques, dispositifs et pratiques en institution, Toulouse, érès.
- Schiavinato, J. 2003. « Pratique du psychodrame de groupe dans un service médico-psychologique régional d’une maison d’arrêt », dans Actes du colloque Psychodrame, groupe, institution, organisé par la Société psychanalytique d’aide à la santé mentale, spasm, Paris.
Mots-clés éditeurs : haine, violence, agressivité, psychodrame, attaque identitaire, postadolescence, groupe
Mise en ligne 26/06/2011
https://doi.org/10.3917/rppg.056.0127