Notes
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Brigitte Baron-Preter, 19 A, rue de la Forêt, 35830 Betton. baron. preter@ wanadoo. fr
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Ce groupe de psychodrame est dirigé par B. Baron-Preter dans le service hospitalo-universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, professeur S. Tordjman, chgr Rennes. Les ego-auxiliaires sont?: S. Clément, psychologue clinicienne ; G. de Kerros, psychologue clinicienne ; C. Marc, psychanalyste, analyste de groupe, psychodramatiste.
1Pour introduire notre réflexion sur ce qui a été mis en jeu dans ce groupe de psychodrame d’adolescents, nous nous référerons en premier lieu à R. Kaës (1993) dans sa définition du niveau de la réalité inter psychique.
2C’est bien à l’articulation de ces deux champs d’élaboration, celui qui concerne les appareils psychiques contenant les processus de subjectivation et celui qui concerne les espaces groupaux contenant les relations intersubjectives, que nous allons nous situer. Au centre de cette articulation, nous avons identifié, tout particulièrement dans ce groupe, la combinatoire des mouvements d’identification situés davantage sur un axe narcissique intrapsychique et celle des mouvements d’identification résultant de ce que R. Kaës appelle les « formations et processus intermédiaires » inscrits dans l’espace interpsychique groupal. Il décrit les fonctions phoriques dans ces processus intermédiaires en distinguant les fonctions de portage, d’étayage et de gardiennage. Il situe le porteur de l’idéal dans un groupe comme étant le sujet qui va fournir l’étayage narcissique aux membres du groupe.
3Dans notre groupe, deux adolescents, Pierre-Marie et Christophe, nous ont été adressés par la structure chargée de l’évaluation et du suivi des enfants surdoués en difficulté (usd?: unité pour les enfants surdoués en difficulté) [1]. Même s’ils ont des difficultés relationnelles qui préoccupent leur famille, leur brillant intellectuel a un effet de séduction. Ils occupent une place toute particulière dans leur famille, principalement auprès de leur mère. Une étroite relation narcissique demeure entre eux, maintenant une complétude fantasmatique dans une dynamique antiséparative particulièrement efficace. Ces enfants, porteurs de fonctions narcissisantes, étaient, dirons-nous, tout préparés à exercer les fonctions phoriques de « porte-idéal » dans ce groupe essentiellement composé d’adolescents inhibés et en position d’autodévaluation.
4Le développement de relations d’emprise, dans le groupe, par Pierre-Marie et Christophe s’est inscrit dans un double mouvement. Nous pouvons dire qu’il était constitué à la fois par leur captation du groupe « mère » dans une fonction antiséparatrice et à la fois par la dépendance des membres du groupe qui déposaient en eux leurs idéaux dans un besoin d’étayage narcissique. Se déploient alors, dans une telle situation, tous les effets des mises en abîme des « contrats narcissiques » (Aulagnier, 1975) imbriqués dans la dynamique groupale par la mise en relation psychique de tous ses membres. Il va sans dire que le groupe des thérapeutes ne pouvait qu’être mis à rude épreuve, exposés qu’ils étaient, aux effets des opa de ces deux leaders sur le groupe d’adolescents alors traité comme objet d’agrippement. Mais on peut dire qu’ils étaient également mis à rude épreuve en étant exposés aux effets d’implosion résultant du lâchage-dégoupillage du groupe par ces mêmes leaders.
Rapide présentation du groupe
5Manuella se présente avec un quasi-mutisme extrafamilial, reliquat défensif d’angoisses psychotiques majeures de la petite enfance.
6Mylène préoccupe par sa dépressivité. Son histoire est marquée par une décompensation psychotique majeure de la mère avec hospitalisations et par l’éclatement subséquent de la structure familiale.
7Solène présente des phobies et des formations obsessionnelles invalidantes destinées à contenir ses angoisses.
8Corentin, fils aîné, s’est construit en étayage de la mère. Son père a été hospitalisé à plusieurs reprises suite à une grave décompensation sur un mode quasi mélancolique. Sa grande émotivité et son extrême sensibilité ont inquiété son entourage, laissant entrevoir une difficile identification masculine.
9Pierre-Marie présente, malgré ses performances intellectuelles, des difficultés scolaires, comme les jeunes que nous venons de citer. Sa grande labilité d’humeur pouvant se traduire par de l’isolement ou par une excitation intense nous a interrogés quant à sa structure?: lutte contre la dépression en situation de crise familiale (séparation des parents) ou prémices d’une structure de type maniacodépressive, comme son père??).
10Christophe a inquiété ses parents et l’équipe de l’usd par sa dépressivité émaillée de « crises de nerfs » principalement dans sa relation au père. Il se présente d’emblée dans le groupe comme un garçon très brillant dans le contrôle et la recherche d’une position stabilisante adultomorphe de leader. Comme Pierre-Marie il occupe une position d’objet narcissique familial.
11Lever de rideau sur une pièce dont l’affiche annonciatrice serait?: pièce en trois actes et plus. Une circulation entre trois enseignes et place à l’improvisation.
121er acte?: une boutique d’apothicaire aux bocaux bien fermés.
132e acte?: une agence de voyages aux destinations lointaines.
143e acte?: un collège en folie stabilisé en musée?: du tableau noir à l’œuvre d’art.
1er acte. Une boutique d’apothicaire aux bocaux bien fermés
15À part Christophe, il vous est possible, je pense, d’entrevoir ce qui est à l’origine de cette métaphore des bocaux fermés, pour représenter chacun des membres du groupe « enfermé » dans son inhibition.
16Après l’évocation des bocaux, présentation de la boutique d’apothicaire?: ces bocaux sont rassemblés dans une boutique d’apothicaire dirigée, bien sûr, par Christophe. Celui-ci, lors du premier jeu psychodramatique, situa en effet l’action dans une pharmacie.
17Ce qui s’y passa traduisit une telle approximation quant à la sécurité que je m’autorise, pour vous en parler, cette dénomination « apothicaire » plutôt que pharmacie.
18Ce terme laisse mieux entrevoir les projections sur le « groupe psychodrame » et plus particulièrement sur le sous-groupe des thérapeutes psychodramatistes. Il laisse mieux entendre les inquiétudes du groupe quant à la compétence et à la qualité de protection que peuvent offrir les thérapeutes. Peut-être ne sont-ils que des apothicaires et non des pharmaciens patentés??
19Le groupe, par sa fonction d’appareil psychique groupal, a mis en circulation ce que R. Kaës a nommé les fonctions phoriques. Christophe en traduit l’incarnation en tant que porteur d’idéal?: il est le chef du groupe de pharmaciens, face aux clients malades (essentiellement les thérapeutes) qui attendent leurs médicaments.
20On voit la fonction défensive qu’opère un tel portage. En début de groupe, au moment où l’angoisse est majeure, angoisses de passivation liées à un fantasme archaïque d’emprise castratrice, Christophe traduit en quelque sorte ce que l’on pourrait reprendre en langage courant?: « On n’est jamais si bien servi que par soi-même. » La pulsion d’interliaison psychique (Avron, 1996) a opéré les mises en relation psychique des membres du groupe et a permis, par les investissements réciproques, la figuration de cette scène.
21Les angoisses de castration se traduiront, grâce à un déplacement sur une thérapeute qui, pour peu, aurait perdu la tête en entrant dans la pharmacie. En effet, au moment où cette cliente entre, les portes automatiques se referment brutalement sur son cou.
22La figuration qui soutient la mise en scène permet une solution de compromis entre les instances psychiques. La culpabilité est épargnée au moi par la mécanisation des « portes guillotine ». Cependant, au cours du jeu, Christophe lâchera?: « Heureusement que je ne les ai pas installées ces portes, sinon quelle amende j’aurais?! » La culpabilité à peine émergente sera déplacée sur la cliente thérapeute, « elle n’avait qu’à mieux attacher ses boucles d’oreilles?! ». Dans le thème, en effet, la cliente se penchant pour rattraper ses boucles d’oreilles expose son cou à la fermeture des portes automatiques.
23On peut relever également que ces portes font partie du cadre architectural de la boutique pharmacie/apothicairerie. Des projections imagoïques sur le cadre amènent à cette représentation d’un cadre « guillotine ». Ce nouveau déplacement projectif peut alléger la violence archaïque des projections directes sur les thérapeutes et principalement sur la directrice de psychodrame, B. Baron-Preter. Je porte dans la réalité des boucles d’oreilles mais, dans le fantasme, je porte des images condensées de mère toute-puissante phallique archaïque. Ces déplacements et décondensations, permis par la figuration psychodramatique, soulagent les membres du groupe d’angoisses trop intenses qui réveilleraient ou fixeraient des systèmes de défense radicaux et mutilants. L’intensité de leur inhibition en témoigne.
24Le groupe d’adolescents est agglutiné autour de Christophe dans une rigidité défensive spectaculaire. Les uns sont de profil ou de dos pour faciliter l’évitement du regard et de la rencontre avec la cliente thérapeute et l’inconnu de sa demande?: que risque-t-elle de demander?? Auront-ils ce qu’elle demande?? Etc. (Qu’attendent d’eux les psychodramatistes et que vont-ils leur demander??)
25On pourrait dire qu’un fantasme d’emprise et de captation, pouvant aller de pair avec un fantasme de vidage, les tient à distance.
26Pour aider à la figuration de cette emprise, mais sur un mode ludique de toute-puissance archaïque, je demande à un autre thérapeute, le seul thérapeute homme du groupe (L. Le Bihain), d’intervenir bruyamment dans la pharmacie. J’indique qu’il est très pressé parce qu’il a garé sa voiture en double file. Il veut être servi tout de suite. Pour faciliter l’expression de l’agressivité refoulée en la déplaçant sur les thérapeutes, je leur demande (client pressé et cliente non servie) de s’imposer et de protester. Lorsque l’agressivité prend forme, je demande à l’autre cliente thérapeute (G. de Kerros) d’entrer et je signifie que les portes se ferment.
27Christophe hésite à s’approcher de la blessée. Il y va finalement en riant. Les préparateurs restent protégés derrière le présentoir. Christophe se défausse de toute responsabilité et élude toute aide. Il demande au client pressé de téléphoner sur son portable pour appeler les secours. Ce dernier aura beau dire qu’il n’est pas le responsable de la pharmacie, Christophe l’amènera à réaliser cet appel à sa place.
28Peut-être y a-t-il aussi à entendre, en filigrane, un test et une demande d’entraide solide entre les thérapeutes?? Les « parents-thérapeutes » doivent se porter secours et libérer les « adolescents-pharmaciens » de cette tâche qui n’est pas la leur (on se souvient, en effet, que la plupart des jeunes de ce groupe ont vécu des décompensations et des séparations dans le couple de leurs parents).
29On peut également faire l’hypothèse que Christophe, par sa position de porteur d’idéal, exprime une demande implicite du groupe?: l’implication personnelle des thérapeutes pour assurer la sécurité et les liens avec l’extérieur. En effet, pour lutter contre des angoisses claustrophobiques réveillées par le dispositif groupal, c’est au thérapeute qui a laissé sa voiture dehors prête à partir que Christophe demande d’utiliser son portable personnel pour appeler les secours.
Comment l’esquive du porteur d’idéal permettra à Corentin d’incarner la fonction phorique de gardien du groupe.
30La séance suivante permettra, après un début toujours aussi retenu et silencieux, de jouer la suite de cette scène. La cinquième thérapeute (C. Marc), absente à la séance précédente, prendra, à ma demande, le rôle d’un d’agent de la police municipale et de sécurité. La cliente blessée est représentée dans sa chambre d’hôpital dans un coin de la scène. L’espace principal est utilisé pour représenter la pharmacie.
31La police inspecte la voiture en double file et donne l’ordre d’y poser des sabots. L’agent entre dans la pharmacie et appelle d’une voix forte à la cantonade?: « Qui est le responsable ici?? » Christophe se présente de mauvais gré, dissimulant sa fonction de chef en se qualifiant de sous-employé. Plus tard, quand le responsable de la sécurité réalise son inspection, c’est Corentin qui répond et indique l’issue de secours en cas de blocage des portes automatiques. Il est le seul à se déplacer pour montrer le passage.
32Après le départ de l’agent de sécurité, Christophe s’adresse à une cliente thérapeute. Il a repris son autorité de responsable pour lui demander, avec un air condescendant et moqueur, ce qu’elle veut. La cliente demande un collyre et des conseils. Elle en demande sans doute beaucoup pour ce pharmacien surtout intéressé par la vente. Lorsque la cliente ajoute « qu’est-ce que vous me conseillez?? », Christophe répondra du tac au tac?: « Un suppositoire. » L’emprise intrusive anale s’exerce sur la thérapeute, en déplacement et retournement de ce que nous pouvons imaginer qu’il a vécu auprès de la thérapeute « agent de police ». Peut-être également que le groupe a vécu fantasmatiquement d’être livré par la directrice de jeu à une manipulation anale intrusive lors de l’arrivée de cette thérapeute absente au moment originaire du groupe.
33Lorsque le pharmacien et les préparateurs sont invités à parler entre eux par le directeur de jeu, c’est Corentin qui prendra le premier la parole en disant?: « C’est n’importe quoi ce qui s’est passé aujourd’hui?! » Christophe obturera tout sentiment d’inquiétude ou de culpabilité. Il n’évoquera que le client thérapeute embêtant et pressé.
34Dans le moment d’échange et de reprise après jeu, particulièrement difficile du fait de l’inhibition massive, Christophe exprimera spontanément son angoisse. Il dira que le pire aurait été que la blessée meure. Après ce lâché qui a pu franchir les barrières défensives, nous verrons leur remise en place. Christophe dira, en effet, que « le mieux, c’était le week-end qui venait et ne plus penser ».
35On observe, à travers le déploiement des prises de rôle et des interrelations jouées, que le psychodrame permet de figurer (je cite J. Falguière 2002) « la scène psychique incluse dans les configurations des liens créés dans le groupe ». Sur cette scène inconsciente, les angoisses de mort étaient bien présentes. Entrer dans le groupe exposait au risque non seulement de perdre la tête, mais aussi, nous l’avons entendu, de mourir.
36Le travail de la mise en figuration et en pensée est un travail douloureux, ressenti comme exposant à des risques majeurs de destruction du moi. Le cadre, par la rythmicité qu’il met en place, inscrit des plages secourables de repos qui permettront des dépôts ré-accessibles aux séances suivantes.
37Solène et Pierre-Marie n’arriveront qu’à la 4e séance. Leur arrivée modifie la constitution du groupe et remue les dépôts effectués sur le cadre. La dynamique de cette séance aura comme fonction de reconstituer des liens personnels avec le nouvel « objet groupe » (Kaës). Proposer un jeu, c’est se séparer de l’objet investi?: « Le passage au jeu est d’abord une séparation » (Falguière). Il était trop tôt pour les membres du groupe de proposer un thème et un jeu. Il leur fallait d’abord reconstituer leur objet groupal. Il fallait d’abord rétablir la contenance de la « peau psychique groupale » (Anzieu) pour assurer la sécurité des liens et la retenue pulsionnelle. C’est la fonction impartie au directeur de jeu et au groupe de psychodramatistes.
2e acte. Une agence de voyages aux destinations lointaines
38La 5e séance commencera par un silence encore plus pesant que les précédentes. Il faut du temps pour que l’appareil psychique groupal soit en mesure d’élaborer une figuration qui sera portée par l’ensemble du groupe dans une mise en scène.
39Pour établir un compromis entre le temps à donner au groupe et l’exigence de figuration qu’implique le contrat de psychodrame, la directrice de jeu, en soutien du groupe, propose un thème?: acheter des chèques temps voyages. Le silence persistant, je propose la mise en scène d’une agence de voyages.
40Chaque thérapeute essaie de soutenir des activités de liaison bien difficiles à établir, tant l’angoisse et la défense inhibitrice opèrent en rupture de liens. C’est Christophe qui pourra initier leur rétablissement en évoquant d’emblée, lorsque l’on parle de l’agence, qu’il ne faudra pas qu’elle ait des portes automatiques. De même, précisera-t-il ensuite, qu’il vaut mieux qu’elle soit de taille moyenne. On peut entendre le désir que la taille du groupe se stabilise.
41Christophe s’approprie le thème et décide d’être le patron, en ajoutant que vendre ça rapporte de l’argent. Comme dans la pharmacie, il se différencie des autres adolescents-vendeurs.
42Dans le jeu Corentin s’affirme avec tranquillité, résistant efficacement à la pression exercée par un acheteur exigeant et intarissable (le thérapeute-client pressé de la pharmacie). Corentin s’adresse au thérapeute?: « Vous pouvez accélérer un peu, monsieur?! » Mais Christophe saisit ce mouvement d’affirmation de Corentin. Il le vit manifestement dans un registre de rivalité, aussi rappelle-t-il aussitôt?: « Le patron, c’est moi?! » Il sermonne les vendeurs en disant?: « Gare à vous si c’est toujours le bordel?! »
43Dans l’après-jeu, Christophe exprimera que les employés prenaient trop d’initiatives. Pour mieux contrôler le jeu, il avait soudainement pris le rôle d’un vendeur, par crainte de perdre un client.
44Corentin exprimera qu’il ne sait que dire. En traduisant cette acceptation authentique de ses limites, Corentin exerce la fonction de « gardien du groupe » et plus précisément du bon narcissisme du groupe?: un narcissisme au service de la croissance du moi et non au service d’un Idéal du Moi archaïque tout-puissant.
45Le jeu continuera à la séance suivante. Corentin s’en souvient?: « C’était bien. » Je lance le jeu en indiquant que le conseiller bancaire du patron (C. Marc) l’appelle au téléphone. Christophe retourne la situation dans un acte spectaculaire de maîtrise. Il répondra au téléphone comme s’il en avait pris l’initiative. La conseillère fait état du bon fonctionnement de son agence et du capital important qu’il a rassemblé. Il serait dommage, dit-elle, de le laisser inutilisé. Christophe, dans un échange digne d’anthologie, conduira la négociation en gardant le pouvoir de bout en bout. Hors de question pour lui de faire un emprunt pour investir davantage et de dépenser temps et argent en voyages. Il veut acheter une villa moyenne qu’il pourra payer cash. Il clôt la communication en grand seigneur et dit à son conseiller banquier?: « Passez donc, il y a des réductions à l’agence. »
46Ce que Christophe met en avant, c’est son besoin de pouvoir pour maîtriser en évitant la dépendance. Il n’est pas question qu’il soit débiteur en remboursant un emprunt. Il est le « porteur » d’un idéal tout-puissant d’indépendance. Il porte, en cela, les défenses des membres du groupe vis-à-vis de leurs craintes d’être dépendants des thérapeutes. Il opère même un renversement. C’est la thérapeute conseillère qui sera en dette.
47En cours de jeu, Corentin assumera bien son rôle de porte-parole délégué par les vendeurs pour obtenir des réductions. Mais Christophe n’offrira en fin de négociation qu’une légère réduction de prix, à condition que ses employés prennent des congés sans solde pour ce voyage.
48Comment les angoisses claustrophobiques renforcées par les effets du lien tyrannique établi par Christophe avec les membres du groupe conduiront Pierre-Marie à incarner la fonction phorique de héros porteur d’identifications masochiques.
49Des voyages prendront forme à l’initiative des filles du groupe. Ce sont elles qui portent ces rêves. Elles embarquent les garçons avec elles pour leur offrir des voyages dans des terres inconnues. Outre la métaphore du psychodrame comme voyage, la métaphore de la découverte sexuelle est présente dans l’inconscient du groupe. Il faut dire que Christophe et Pierre-Marie avaient présenté, entre-temps, des thèmes où ils avaient été des héros sportifs.
50Mais peut-être que les garçons se sont sentis embarqués un peu trop vite. Les fantasmes originaires commencent à se déployer dans le groupe, ainsi que les angoisses qui s’y rapportent. Pierre-Marie incarnera alors, défensivement, la « fonction phorique » de héros porteur d’identifications masochiques grandioses.
51C’est d’abord dans le thème de l’Orient Express, amené par Mylène, que se révélera ce nouveau positionnement de Pierre-Marie.
52Elle met en scène un groupe de jeunes, amis de quartier. Elle situe la scène au milieu de leur voyage dans l’Orient Express. C’était la première figuration d’un groupe de jeunes partant ensemble et partageant des jours et des nuits.
53Pour se risquer à un tel thème, il fallait sans doute à ces adolescents embarqués dans le psychodrame des appuis sérieux. Mylène, à notre surprise, installe la table du restaurant, de telle sorte que les jeunes ne soient pas dans une proximité de face à face. Ils se retrouvent dans un angle de la scène, bénéficiant tous d’appuis-dos. Dans l’installation des membres du groupe pour le dîner, Mylène nous étonne, non seulement par cette organisation géographique, mais aussi par la finesse de sa perception de la dynamique du groupe. Sa perception de la nature des relations l’amène à utiliser la distance ou le rapprochement pour réguler les angoisses relatives à la sexualité et à la rivalité.
54C’est ainsi que Christophe et Corentin sont installés côte à côte, ce dernier étant le plus près des filles. Mylène, Manuella et Solène sont regroupées, presque blotties les unes contre les autres en un « groupe filles » compact. Pierre-Marie se retrouve isolé des garçons à l’autre extrémité de la banquette d’angle. Il est mis loin de Christophe, comme s’il fallait refroidir par la distance le trop de pulsionnalité engagée dans leur relation.
55Par ses choix de places aux deux extrémités, Mylène nous révélait qu’elle avait saisi la rivalité qui s’exerçait dans la relation entre Christophe et Pierre-Marie. Corentin, facteur de modération, occupait un espace rassurant entre Christophe et le groupe de filles.
56Pour soutenir les relations entre les membres de ce groupe de jeunes, tous particulièrement inhibés dans leur wagon-restaurant, j’avais proposé qu’il y ait un maître d’hôtel et une serveuse (C. Marc). L’arrivée des deux thérapeutes occupant ces rôles permit aussitôt à Pierre-Marie de leur passer des commandes. Il s’enferma très vite dans le rôle du client tyrannique réitérant des demandes impératives de boissons alcoolisées.
57Pierre-Marie, dans le rôle d’Alex, se montra de plus en plus provocateur. Alors qu’il avait entendu les appels à la modération venant du maître d’hôtel, il répondit à la serveuse qu’il voulait un autre verre, non pas pour boire mais pour le lancer à la figure de Jacky, alias Christophe.
58Cet énoncé qui se situait bien dans le registre de la représentation fut ressenti si violemment dans le groupe qu’il prit valeur de passage à l’acte menaçant. La thérapeute serveuse intervint pour mettre des mots sur la situation. Elle interrogea Pierre-Marie/Alex pour qu’il retrouve un registre de pensée et d’analyse de ses émotions?: « Vous n’êtes pas copains?? » Celui-ci répliqua sur un ton moqueur?: « Pas exactement?! » Pierre-Marie consommait ainsi la rupture.
59J’invitai alors les filles à s’exprimer pour qu’elles puissent, elles aussi, sortir de la sidération. Solène, suite à la question de la thérapeute, expliqua qu’elle ne savait pas qu’ils n’étaient pas copains. Mylène, qui nous avait montré son intuition dans le choix des places, répondit?: « Si, moi je le savais. »
60Pierre-Marie s’appuiera sur la limite de fin de jeu et verbalisera « heureusement que l’on n’a pas joué la scène d’après ». Cette limite le rassure. Quand Mylène dira qu’elle n’était pas trop inquiète, Christophe l’attaquera en disant?: « Peut-être que tu es aussi folle que lui?? » (Sous-entendu, Pierre-Marie.) Christophe met en circulation et explicite les angoisses de folie présentes dans le groupe, angoisses que nous avons déjà mentionnées.
61On peut penser que, dans la rivalité entre Christophe et Pierre-Marie, ce dernier cherchait un étayage auprès de Christophe par une identification admirative. Mais ce processus amenait trop de proximité et de menaces narcissiques pour l’un et l’autre. Nous assistons ainsi à une scène d’excitation sur fond d’angoisses identitaires et d’angoisses concernant la sexualité. Cette scène prend valeur d’objet paradoxal de jonction et de disjonction, contenu dans le cadre du jeu de psychodrame.
62À partir de ce moment, Pierre-Marie se fixa et fut fixé pendant plusieurs séances dans cette incarnation de « héros porteur d’identifications masochiques ». Il s’improvisa dans les jeux ravitailleur en alcool, poseur de bombe, pilote kamikaze… Il présentait une grande agitation maniaque. Celle-ci pouvait avoir un lien avec les projections du groupe résultant de l’accès aux fantasmes originaires et à leur représentation sexuelle. On voit ici combien être sujet du groupe, c’est occuper une position biface, intra- et interpsychique, et comment les fonctions phoriques articulent ces positions et les vectorisent.
63La restauration des relations entre les garçons s’établit en amusant les filles par l’évocation répétée pendant plusieurs séances de leurs exploits et mésaventures au collège.
3e acte. Un collège en folie stabilisé en musée?: du tableau noir à l’œuvre d’art
64La 18e séance permettra un tournant dans la dynamique du groupe.
65À cette séance, Corentin, narcissisé par la référence à un thème antérieur, peut prendre la parole pour s’adresser directement à Pierre-Marie au sujet de ses interventions anarchiques. Il devient alors porte-parole du groupe et lui dit?: « Des fois ça peut être marrant, mais si c’est tout le temps ça peut être embêtant. » Il s’exprime, on le voit, avec les nuances nécessaires pour que Pierre-Marie ne soit pas blessé.
66Le climat de confiance qui se réinstalle dans le groupe, avec cette signification des limites, permet à Christophe de faire état spontanément qu’il a été blessé au sport. Il ajoute qu’il est privé de foot pendant un mois et nous montre qu’il le vit mal.
67S’installe alors en impromptu une discussion extrêmement animée entre les trois garçons. Pierre-Marie et Christophe communiquent en direct, chacun racontant ses « trucs » pour survivre à l’ennui de l’école et à la tyrannie des enseignants. Christophe dit qu’il écoute de la musique en cours?; Corentin fait état qu’il s’est fait griller la seule fois qu’il avait essayé d’en écouter. « J’ai eu les boules », conclut-il. La discussion s’anime de plus en plus sur un mode d’euphorie quasi maniaque. Chacun associe sur les derniers mots de l’autre. La pulsionnalité est bien présente, la sexualité fait retour. Il est question de faire griller un générateur en labo de physique, de péter un écran en techno, etc.
68Pierre-Marie et Christophe reprennent le récit de leurs exploits. Les représentants sexuels sont de plus en plus manifestes. Il est question des vestiaires et de se mesurer les poils sous les bras.
69Ce climat d’élation amène Christophe à s’adresser directement à Mylène pour lui demander si elle connaît une copine de sa copine. Christophe, après s’être distingué comme homme d’affaires en début de groupe, se distingue plus près de son âge, cette fois, en étant l’élu d’une fille.
70Pierre-Marie a du mal à entendre ce nouveau statut de Christophe. Il reprend un énoncé d’exploits, par exemple?: balancer un œuf sur le tableau. Pierre-Marie est à nouveau aux prises avec une expérience interne de rivalité. Il peut cette fois la contenir et l’exprimer à travers une représentation atténuée par un déplacement. Ce n’est plus la figure de Christophe qui est visée. C’est l’image d’un œuf lancé contre le tableau noir qu’il amène dans le groupe. Ce tableau de l’école, outil de démonstration de savoir, il a besoin de le percuter. Il s’agit de cibler, en l’attaquant, un savoir qui dans ce contexte prend également valeur sexuelle.
71Après le tableau noir, les tableaux dans le musée. L’œuvre d’art comme chemin vers la sublimation. Les crocs de boucherie deviennent des accroche-portraits.
72L’absence s’inscrit. Christophe est absent une séance sur deux depuis un mois. D’autres absences pour sorties d’école et réunions scolaires ont également émaillé la continuité des présences dans le groupe. La fin de la première année de travail pour le groupe se profile avec les réunions de parents. Cette perspective amène à revisiter l’histoire du groupe à travers ses thèmes et ses jeux. Ceux-ci sont bien présents dans la mémoire collective. Pierre-Marie avait oublié son thème de la Coupe du monde. Quand il le retrouve lors de cette évocation, il ne peut se l’approprier et s’en reconnaître l’auteur. Il l’attribue à Christophe.
73Les uns et les autres ont beau différencier son thème de celui de Christophe et le lui signifier, il est en contact avec un souvenir où tout s’est agglutiné. Cela renvoie à sa relation en identification collée à Christophe dont il a pu chercher à se décoller par ce processus que nous avons développé incluant la rivalité et l’agressivité.
74Les membres du groupe commencent à pouvoir tiercéiser, ce qui était exclusivement réservé auparavant aux thérapeutes. Ils peuvent retrouver des fils associatifs qui leur facilitent l’évocation des thèmes de l’année. Une enveloppe narrative groupale s’est créée contenant les élaborations psychiques, subjectives et intersubjectives des membres du groupe. Le cadre avec sa double fonction de contenant et de limite a permis que ces élaborations produisent des restructurations topiques.
75L’espace du préconscient s’enrichit?; les articulations moi, surmoi, Idéal du Moi se développent, contribuant à l’enrichissement de cet espace du préconscient. Le thème proposé par Pierre-Marie à la 25e séance en témoigne.
76Pierre-Marie s’étaye sur le thème que Corentin n’arrivait pas à construire?: la difficulté de communication, comment comprendre et se faire comprendre des étrangers. (Il part en Angleterre et ça l’inquiète.)
77Le phénomène de l’inquiétante étrangeté, auquel est exposé chacun des membres d’un groupe lors de la première séance, réapparaît là comme impératif de travail psychique. Peut-être que pour se retrouver en septembre, il faut s’être suffisamment trouvé avant de se séparer.
78Devant les hésitations de Corentin, Pierre-Marie dit en riant qu’il a une idée. Sa mimique laisserait plutôt supposer une « bonne blague » véhiculant un contenu encore trop explosif pour permettre une clôture solide du groupe.
79Son élaboration se fait par glissements successifs. Il part de l’idée de Français rencontrant des Anglais en Angleterre pour en arriver à la situation suivante, source de surprise pour nous tous?: un Français, joué par lui, se retrouve seul dans une salle de musée à Londres. Tout autour de la salle sont accrochés sur les murs des tableaux qui représentent des natures mortes. Il amènera ensuite des nuances. Il y aura des paysages et un portrait constitué par des fruits et des légumes. Pierre-Marie choisira Corentin pour figurer cet unique portrait. Cela confirme l’appui nouveau de Pierre-Marie sur Corentin. Chaque membre du groupe, adolescents et thérapeutes, figurera un tableau. J’annonce qu’une thérapeute sera gardien et guide dans cette salle.
80Il me paraît en effet important que Pierre-Marie bénéficie d’un soutien dans l’organisation de sa pensée et d’une aide dans le déploiement des interrelations entre lui et l’ensemble des membres du groupe. Ceux-ci, exposés à l’immobilité corporelle et aux effets d’emprise de la pulsion scopique, peuvent être mis en difficulté. G. Lavallée (1993) évoque que le travail de la pensée ne peut s’effectuer qu’après que la pulsion scopique s’est détachée de la perception et retournée sur le moi en investissant les signifiants visuels constitués. La thérapeute guide (C. Marc) soutiendra ce travail en aidant à sa mise en mots pour tous les membres du groupe.
81Le travail psychique auquel chacun va se trouver contraint sera très intense. Chacun des membres du groupe se trouve exposé aux projections de Pierre-Marie dans la description picturale qu’il fait du tableau. Le thérapeute homme sera représenté dans sa fonction de liaison par un bateau sur la rive, dans lequel un bouquet de fleurs a été déposé. Fleurs et fruits sont représentés dans l’ensemble des tableaux. Ils apparaissent parfois au milieu de masses de rochers auxquelles Pierre-Marie tiendra beaucoup.
82Dans cette situation, les avancées dans les activités de symbolisation et de représentation permettent pour chaque membre du groupe que l’œuvre d’art s’offre comme interface créative entre le monde intrapsychique et le monde interpsychique et en assure la transitionnalité. J. Guillaumin (1998) énonce que « c’est au lieu même où s’effectuent le retour du dehors et la rencontre du dedans avec le dehors que vient s’inscrire l’œuvre créée ».
83L’interruption des vacances?: des tableaux en partance.
84Le cadre du psychodrame peut-il contenir et favoriser un art vivant d’être soi en rencontrant les autres??
85Au retour des vacances, à la première séance, seuls Christophe et Corentin sont présents. Nous savons que Manuella ne pourra pas revenir dans le groupe cette année.
86Les angoisses d’abandon, de tromperie et de passivation dangereuse sont évidentes. Corentin dira?: il n’y a que si l’on travaille et que l’on a des mentions que l’on a des bourses.
87À la deuxième séance, tous sont présents mais deux thérapeutes sont absents, leur absence réactive les angoisses d’abandon.
88Christophe s’est blessé au foot. Solène et Mylène sont maintenant lycéennes. Elles montrent un changement saisissant. Mylène vient désormais seule à scooter et arbore son casque tandis que Solène ose des décolletés ornés de bijoux raffinés. Les garçons « abandonnés » par le thérapeute homme sont en difficulté. Quand il est question des rêves (pour adoucir la rentrée difficile et le choc devant la féminisation et l’autonomie des filles) ils n’expriment que des désirs régressifs ou distanciés des filles. Il s’agit d’être au lit, de manger, de faire de l’ordinateur ou de se défouler au foot. Pierre-Marie se montre particulièrement en difficulté. Il exprime des fantasmes cannibaliques crus dans le jeu. Il s’agit d’une rencontre entre jeunes, comment peuvent-ils faire pour manger?? Pierre-Marie interpelle Christophe?: « On n’a qu’à le manger?! » La séance est difficile.
89À la troisième séance, après un laborieux travail groupal de type associatif, Corentin reconnaît qu’il serait prêt à chercher une aiguille dans une botte de foin (en liaison avec chercher des idées) s’il s’agissait d’une aiguille en or. Il la vendrait pour s’acheter quelque chose de valeur. Je propose la mise en scène d’une joaillerie où des vendeurs potentiels viendraient faire expertiser leurs objets de valeur. Pierre-Marie exprime à nouveau une agressivité cinglante dans un registre direct de dépréciation. Après avoir évoqué que les objets seraient du toc, principalement ceux de Christophe, il choisit de prendre le rôle de l’expert. Il s’assure ainsi d’une fonction qui lui permettra une emprise sur les autres. Le jeu s’arrêtera après la mise en scène qui aura nécessité du temps pour proposer des figurations assurant une protection aux membres du groupe exposés à ses attaques. Ce thème continuera pendant quelques séances. Il s’articulera autour de la fantasmatique de la transmission dans l’héritage, les objets précieux ayant appartenu à des grands-parents.
90Nous apprendrons dans les jours qui suivront cette séance, par le père, que Pierre-Marie ne pourra revenir dans le groupe. Il a décidé d’inscrire son fils en compétition de tennis, il aura, de ce fait, des entraînements intensifs trois soirs par semaine, ce qui est incompatible avec les horaires du psychodrame. Pierre-Marie ne pourra revenir qu’à la mi-novembre pour dire au revoir au groupe. Il s’abritera derrière son planning surchargé, il ne pourra que très difficilement laisser entrevoir son intérêt pour le tennis. Manifestement, son départ n’est pas si facile pour lui, peut-être est-ce pour cela qu’il avait eu besoin de fécaliser le groupe par ses attaques dans le thème du joaillier. Christophe manifestera sa colère devant ce départ accepté par les thérapeutes alors que nous lui avons demandé de s’engager jusqu’à Noël, moment où l’on refera le point avec lui et sa famille.
91Pierre-Marie parti, Christophe montrera par ses nombreuses absences qu’il est en partance. Depuis quasiment la rentrée le groupe est exposé à des attaques du cadre par les absences. Après la tyrannie dans la présence, les membres du groupe sont exposés à la tyrannie dans l’absence.
92Le groupe pourra métaphoriser cette question de l’absence, liée à celle de la reconnaissance, à travers la représentation permise par le thème du meurtre d’un père par sa fille. Il s’agit d’une pièce de théâtre dont Mylène est le metteur en scène. La jeune fille oubliée/abandonnée par le père revient le tuer pour prendre l’héritage. Ce thème sera repris par le groupe sous différentes formes pendant plusieurs séances, après des oublis et des réinvestissements.
93Mylène occupe, à son tour, une fonction phorique de « portage » : celui d’un appel aux thérapeutes. Les filles ne seraient-elles pas les oubliées de la fratrie dans ce groupe?? Y aura-t-il pour elles un accès autorisé à l’héritage?? Les thérapeutes y sont-ils prêts, eux qui laissent partir et abandonnent?? Une reprise du thème dans laquelle le père blessé serait secouru par sa femme (rôles joués par deux thérapeutes) montre que l’ambivalence envers les thérapeutes est manifeste.
94Le groupe de psychodramatistes est mis à mal par toutes ces attaques du cadre et par les contenus pulsionnels retournés contre eux.
95À la reprise de Noël, Christophe, qui s’était montré contraint de venir jusqu’à Noël, revient et reprend son alternance de présences/absences. Ce sera une période particulièrement éprouvante qui amènera à se poser la question de la viabilité du groupe.
96Corentin demande à ses parents la mise en place d’un rendez-vous avec les thérapeutes pour envisager son arrêt. Cet appel des parents vient après une séance où Christophe, de retour, s’était montré particulièrement attaquant envers le groupe. Alors que chacun avait exprimé, avec beaucoup d’émotion et d’authenticité, ses motivations pour continuer le psychodrame, Christophe avait répondu par des « je m’en fous et je n’ai pas envie de savoir ».
97Un thème amené par Corentin métaphorisa la situation du groupe. Il s’agissait d’un terroriste qui intervenait pour empêcher la représentation d’une pièce de théâtre, comme Christophe empêchait la représentation des thèmes.
98Ce jeu avait permis aux thérapeutes de percevoir, à partir de leurs places différenciées, des aspects différents de la problématique de Christophe. La directrice de jeu était plus sensible aux aspects attaquants de sa problématique (L’anarchiste en noir) et C. Marc était plus sensible dans le jeu aux aspects dépressifs (L’endeuillé en noir). L’élaboration de ces différences dans le groupe de psychodramatistes permit un nouveau travail avec le groupe centré sur sa dynamique.
99Un rendez-vous, mis en place avec Christophe et ses parents, à notre demande, l’aida à exprimer son conflit et sa détresse de façon très émouvante. Après le temps de la réflexion qui lui était donné, Christophe est revenu dans le groupe.
100Pendant ce temps, le groupe a continué à travailler la question conflictuelle de la transmission à travers la mise en scène, proposée par Mylène, d’un enseignant autoritaire et méprisant. Peu avant, elle avait dit au groupe que c’était le boulot des thérapeutes d’endosser les mauvais rôles. Le travail continue donc. Les vécus humiliants résultant des attaques de Christophe sont transférés essentiellement sur les thérapeutes, c’est notre « boulot », comme dit Mylène.
101Nous travaillons maintenant avec ce groupe, ce qui sera sans doute le quatrième et dernier acte de notre pièce psychodramatique. Nous pourrions l’intituler ainsi?:
102La transmission?: passeport pour l’autonomie. De la réception du passeport à son usage.
103Comme nous l’avons évoqué plus haut, nous avons le sentiment maintenant, à travers épreuves et étapes, de contribuer auprès de ces adolescents à favoriser, par le jeu et les mises en scène, « un art vivant d’être soi en rencontrant les autres ». Pour y accéder, il faut avoir reçu les clés de la séparation assumable. La fabrique et la transmission de ces clés sont bien tout un art, l’art de la création.
104B. Chouvier présente le procès créateur comme traversé par deux mouvements inverses?: « Une force de réalisation qui tend à donner ses titres de réalité aux expressions internes qui ont besoin d’être exorcisées dans des actes, des mots ou des œuvres, et une force d’onirisation qui injecte la dimension du rêve dans l’opératoire et le quotidien. Elle redynamise pulsionnellement la relation au réel et aux autres en la dé-rationalisant. »
105Nous aiderons ces adolescents dramaturges à inventer et à jouer, à leur manière, ce dernier acte dans cet « espace ouvroir » (Chouvier, 2004) du groupe de psychodrame.
Bibliographie
Bibliographie
- Anzieu, D. 1975. Le groupe et l’inconscient, Paris, Dunod.
- Anzieu, D. 1985. Le moi-peau, Paris, Dunod.
- Aulagnier, J. 1975. La violence de l’interprétation, Paris, puf.
- Avron, O. 1996. La pensée scénique, groupe et psychodrame, Toulouse, érès.
- Chouvier, B. 2004a. « L’objet porte-violence entre groupalité sectaire et groupalité créatrice », dans Groupe, violence et objet de relation, Actes des journées 2003 du cor.
- Chouvier, B. 2004b. « Le fantasme de fin du monde?: entre réalité du dehors et réalité du dedans », dans La réalité psychique, Paris, Dunod.
- Falguière, J. 2002. « De l’élaboration d’une pratique et sa théorisation », Analyse de groupe et psychodrame, Toulouse, érès.
- Guillaumin, J. 1998. Le Moi sublimé?: psychanalyse de la créativité, Paris, Dunod.
- Kaës, R. 1993. Le groupe et le sujet du groupe, Paris, Dunod.
- Kaës, R. 2007. Un singulier pluriel, Paris, Dunod.
- Lavallée, G. 1993. « La boucle contenante et la subjectivation de la vision », dans Les contenants de pensée, Paris, Dunod.
Mots-clés éditeurs : décondensation, emprise, fonctions phoriques, identification
Date de mise en ligne : 02/03/2009.
https://doi.org/10.3917/rppg.051.0125Notes
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[*]
Brigitte Baron-Preter, 19 A, rue de la Forêt, 35830 Betton. baron. preter@ wanadoo. fr
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Ce groupe de psychodrame est dirigé par B. Baron-Preter dans le service hospitalo-universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, professeur S. Tordjman, chgr Rennes. Les ego-auxiliaires sont?: S. Clément, psychologue clinicienne ; G. de Kerros, psychologue clinicienne ; C. Marc, psychanalyste, analyste de groupe, psychodramatiste.