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Article de revue

Analyse de groupe : le paradoxe d'un dispositif de formation collectif pour une évolution personnelle

Pages 63 à 74

Notes

  • [*]
    Jean Claude Rouchy, 40 rue de la Bienfaisance, 75008 Paris.
    Transition, Analyse de groupe et d’institution – Association européenne.
  • [1]
    Group Analytic Society de Londres et Association de formation européenne du courant de M. Foulkes.
  • [2]
    Enfant et adolescent, adulte, groupe.

1Former des analystes de groupe est une visée paradoxale, car il s’agit d’un cheminement personnel et non essentiellement d’acquisition de connaissances intellectuelles et techniques. Proposer à des personnes qui souhaitent devenir psychothérapeutes de groupe les conditions et le cadre nécessaires à leur propre formation est déjà un énoncé plus acceptable. Mais, dans ce cas, instituer des normes et un cursus devient une exigence à double tranchant : des argumentations diamétralement opposées sont développées sur ce point, qui mènent à la question de la « reconnaissance » ou de l’habilitation. Peut-on déterminer des critères d’évaluation ? Peut-on éviter cette question ?

2Si l’acquisition d’une compétence comme analyste de groupe est essentiellement une démarche personnelle, qu’en est-il de la capacité de penser sa pratique et d’en maîtriser la technique ?

3La référence psychanalytique et la dimension groupale, tout en étant une source d’enrichissement mutuel, ne conduisent pas cependant aux mêmes pratiques, aux mêmes élaborations théoriques, aux mêmes exigences méthodologiques, aux mêmes expériences personnelles.

4À vouloir appliquer directement les concepts de la psychanalyse, il est évident que l’on court le risque de plaquer des interprétations intrapsychiques à des situations ayant une dimension inter ou transsubjective. De même, l’expérience personnelle d’une psychanalyse, certes nécessaire, ne peut dispenser d’un travail sur soi-même en groupe. La « vision binoculaire », selon l’expression de W.R. Bion, ne s’acquiert pas seulement par l’addition d’une connaissance de théorie analytique de groupe à une expérience de la psychanalyse.

5Pour l’analyse de groupe, c’est effectuer une nouvelle tranche, comme l’on dit de façon si prosaïque, c’est-à-dire s’engager à nouveau dans une aventure analytique dont le terme ne peut être posé à l’avance. Encore faut-il en éprouver le besoin. Il ne peut être reconnu paradoxalement sans en avoir fait l’expérience.

6Il est toutefois bien évident que l’expérience personnelle d’une analyse de groupe s’impose. Elle évitera bien des souffrances et des déconvenues. Sinon l’on risque de découvrir à ses dépens, en même temps que ses patients, les modalités toutes particulières par lesquelles la situation de groupe sollicite mécanisme et processus archaïques (d’être confronté au groupe comme objet fantasmé, à la diffraction du transfert, à la reproduction des liens des groupes d’appartenance primaire, à l’importance des identifications projectives et des actes de parole), et à tant d’autres processus inhérents aux interactions et à la dynamique de l’inconscient.

7Le rapport dialectique du clinique et du théorique est sans doute l’équilibre le plus subtil et le plus fragile à maintenir. Il n’est pas d’interprétation sans référence à celui qui la donne et à une théorie : la clinique et la théorie se nourrissent l’une de l’autre et n’ont de sens que dans leur rapport. Les dérives vers le tout-clinique ou le tout-théorique guettent constamment : le seul récit de « vignettes cliniques » ne se suffit pas plus à lui-même que les développements théoriques proposant des constructions intellectuelles.

8C’est entre ces exigences et ces écueils que toute formation psychanalytique doit trouver son chemin. Mais il reste encore à explorer la dimension institutionnelle et sociale dans laquelle s’insère toute formation.

Une formation « singulière »

9En effet, former, informer, conformer, réformer (ou recycler), transformer évidemment, sont des actions ayant, sous leur apparence individuelle, des significations sociales ; elles sont mises en œuvre par divers agents opérant consciemment ou non dans un sens historique surdéterminé. Sensible, sujette éventuellement à cette illusion individualiste, la formation à l’analyse de groupe, cependant, n’est pas du domaine de ce qu’il est habituel d’appeler « formation », encore que, sous ce vocable, soient groupées des actions de sens et de portées bien disparates. Les pratiques psychanalytiques se situent en rupture, en discontinuité avec une conception traditionnelle de la formation.

10Pour Sandor Ferenczi : « Comment peut-on étudier la psychanalyse ? Qui peut prétendre au titre de psychanalyste, capable de comprendre les problèmes et les conflits du psychisme, jusque dans ses couches les plus profondes, et de trouver une solution pratique aux difficultés de la vie psychique pathologique ou normale ? […] L’expérience psychanalytique montre que, pour pratiquer le métier de psychologue, il ne suffit pas d’établir un rapport logique entre les connaissances et les données expérimentales, il est indispensable d’effectuer une étude approfondie de notre personnalité et une observation rigoureuse de nos motions psychiques et affectives. C’est cette éducation à la connaissance et à la maîtrise de soi qui constitue l’essentiel de la formation analytique, sa condition sine qua non ; la formation théorique et pratique ne peut venir qu’ensuite […]. La psychanalyse s’intéresse essentiellement aux connaissances introspectives et subjectives ; mais, pour comprendre le matériel psychique recueilli par autrui, nous sommes obligés de procéder par rapprochements avec nos propres processus psychiques et intellectuels.

11« Nous savons que l’extraordinaire progrès de la biologie a entraîné une dévalorisation de tout ce qui est psychique, sur le plan scientifique, un des principaux mérites de Freud est de s’être courageusement opposé aux excès des fanatiques de l’objectivité, et d’avoir pris en compte la réalité psychique en même temps que la réalité physique. Lors de mon séjour en Amérique, il y deux ans, le Dr Watson, représentant des behaviouristes, m’a invité à un duel intellectuel. Il soutenait la thèse qu’il était parfaitement inutile de prêter attention aux altérations accessibles par l’introspection, mais qu’il suffisait de décrire l’activité et le comportement des êtres vivants, animaux ou humains, en les considérant comme des ensembles de réflexes et de tropismes. Invité à donner un exemple, le Dr. Watson décrivit le réflexe de terreur observé chez la souris blanche et chez le jeune enfant en réaction à un bruit imprévu. Je fus amené à lui répondre que, pour conclure à l’effet de terreur à partir du réflexe de fuite, il s’était certainement référé à ce que lui-même éprouvait dans la même situation ; à partir de l’auto-observation, il avait donc logiquement déduit la possibilité de faire des comparaisons. Le behaviouriste n’est qu’un explorateur déguisé du psychisme » (1928, p. 239-240).

Évolution des représentations de la réalité psychique

12Dans la recherche des déterminants psychiques et sociaux qui régissent les conduites individuelles et collectives, un cursus de formation à l’analyse de groupe doit s’efforcer de constituer des espaces où il soit possible de faire le lien entre des éléments habituellement séparés ou clivés qui, par leur rapprochement, prennent sens.

13Dans cette quête du sens, la rupture ne se situe pas essentiellement au plan d’une représentation de la réalité, mais plus fondamentalement à celui de la réalité psychique, des systèmes de valeurs et des croyances établies à la fois dans le champ psychanalytique et psychosocial. Centrée sur l’analyse de processus individuels et collectifs, l’analyse de groupe est sous-tendue par une conception des structures psychiques qui traversent l’individu, le groupe et l’institution. En d’autres termes, il s’agit de structures qui sont intériorisées, introjectées de telle façon qu’elles font partie intégrante de la réalité psychique des personnes et de celle de leurs groupes d’appartenance primaire et professionnelle.

14Pour le sujet qui nous intéresse, disons que les clivages opérés entre l’intrapsychique, le transsubjectif et le psychosocial sont le domaine même de l’analyse de groupes et d’institutions.

15Cela suppose un temps d’élaboration suffisamment long et un « travail » au sens analytique du terme. Les changements passent par l’interrogation et le réaménagement des systèmes de valeurs, des structures personnelles et des investissements professionnels. La formation et la pratique de psychanalystes, de psychothérapeutes, de psychiatres et de psychologues concernent le plus habituellement des individus en relation duelle. C’est une expérience essentielle qui ne conduit cependant pas directement à l’analyse des processus inconscients dans un groupe. Au cours d’analyses de groupe de personnes ayant fait une psychanalyse, ou même étant psychanalystes, la simple observation montre en effet que le travail de groupe touche les individus dans leur équilibre psychique et somatique, et qu’il est souvent vécu comme source d’angoisse et de souffrance comme l’avait déjà remarqué Trigant Burrow. Le changement de « vertex », dirait W.R. Bion, ou cette « vision binoculaire » sont source de réaménagements profonds, tant au plan de la dynamique psychique qu’à celui des références conceptuelles.

16Mais la formation d’analyste de groupe, comme toute formation psychanalytique, n’a pas seulement une dimension analytique. Si l’on considère le triptyque admis comme base de formation dans ces domaines (une expérience personnelle de l’analyse, un travail théorique et des supervisions), seul le premier élément est strictement analytique, en tant qu’analysant. Il n’autorise nullement à une pratique de l’analyse de groupe, sauf à concevoir ce préalable à toute formation comme un aboutissement : la question de la formation serait alors sans objet, au risque de « conformer » des analystes en « groupies » du maître-analyste.

17La formation théorique et les supervisions s’inscrivent dans un cadre institutionnel, dans le meilleur des cas, permettant de se constituer en tant que sujet-analyste, et de métaboliser le rapport entre sa réalité psychique et la réalité extérieure de la pratique de l’analyse de groupe.

18Quelles peuvent être les caractéristiques de cet espace tiers, lieu d’une formation personnelle dans un cadre institutionnel ? Nous sommes confrontés à un paradoxe difficile à dépasser, sinon insurmontable. Il ne faut pas en sous-estimer l’importance : il s’agit d’un processus d’évolution personnelle en rapport à un projet institutionnel.

19Aussi est-il utile de situer la formation clinique et théorique de l’analyse de groupe au cœur de la problématique psychosociale à laquelle toute formation est liée.

Analyse de processus versus pédagogie

20Une formation a toujours pour objet d’accroître le savoir sur quelque objet. Il s’agit d’une acquisition de connaissances concernant bien plus l’avoir que l’être. Nous ne nous attarderons pas sur ce point qui fait par ailleurs l’objet de multiples développements (de même la fameuse équivalence savoir-pouvoir devenue le leitmotiv usé de tout propos sur ce sujet).

21J’insisterai davantage sur le fait que l’acquisition de ce « quelque chose en plus » devra être sanctionnée par une reconnaissance officielle. Se pose alors la question du principe de l’évaluation des connaissances acquises, dévoilant, quelle que soit la procédure adoptée, la parenté étroite de la formation et de l’enseignement, et la nature pédagogique de sa fonction sociale.

22Une activité conduisant à une évaluation a des caractéristiques profondément différentes de celles pour laquelle il n’en existe pas : l’application de critères d’évaluation communicables et mesurables rend nécessaire que ces activités soient considérées sous leur angle conscient et rationnel. Nous retrouvons ainsi la pédagogie du modèle et de l’écart. Les contrôles de connaissances acquises mesurent l’écart plus ou moins grand au modèle afin d’effectuer une régulation de l’apprentissage ou d’en sanctionner l’avancement. Il existe donc un projet sur le devenir du formé, et un savoir préalable sur ce qu’il convient qu’il fasse, qu’il sache, qu’il soit. Toute formation à un métier ou à une compétence suppose, de la part du formateur, une représentation de la façon dont cette profession ou cette compétence doit être tenue. Le formateur structure son action en fonction d’un modèle explicite ou implicite, d’une représentation idéale de l’état nouveau (état-but) que les personnes formées devraient atteindre, plus sans doute par l’élimination de conduites ou de modes de pensée aberrants que par le choix d’un cheminement très précisément spécifié. Un cursus porte toujours la trace du contre-transfert anticipé de celui ou de ceux qui l’ont institué.

23Comme on le sait, la transmission n’est pas seulement porteuse de connaissances, mais des systèmes de valeurs dominants de la société ou du groupe concerné, systèmes qui sont eux-mêmes formateurs, puisqu’ils font partie du projet social sur l’« état » futur du citoyen professionnel.

24Tout projet d’éducation ou de formation porte implicitement en lui un projet de société, un modèle de la forme et de la structure des relations sociales, ainsi que Platon l’a souligné il y a un certain temps par l’importance de la place attribuée à l’éducation des gardiens de la cité et à celle des philosophes-rois pour la constitution de sa « république ».

25La compréhension (et la conception) de la dynamique conflictuelle des structures individuelles, groupales et institutionnelles à partir de la découverte freudienne de l’inconscient, en tant qu’origine de conduites individuelles et collectives, situe l’intervention de l’analyste en un registre différent de celui d’autres formateurs. L’attention portée aux mouvements transférentiels et à sa propre implication contre-transférentielle, bien qu’elle soit alors accompagnatrice, structure de façon déterminante sa position vis-à-vis des participants et son mode d’intervention.

26Dans cette perspective, il n’y aurait à attendre ni sanction sociale ni contrôle de connaissances, puisque l’enjeu est celui de sa propre identité et non, stricto sensu, celui de l’appropriation d’un savoir ; sinon d’un savoir sur soi-même, en perpétuelle mouvance par l’interrogation toujours renouvelée de l’articulation entre l’être individuel et l’être collectif.

27Une telle pratique est théoriquement possible, ses seules limitations étant d’ordre analytique, c’est-à-dire l’investissement à s’engager dans une recherche personnelle et les dénégations pouvant lui être opposées. Elle nécessite un dispositif rigoureux maintenant un certain état d’ouverture, de disponibilité, de non-défensivité, une liberté de mouvements et de parole sans laquelle rien n’est possible, en même temps qu’un état de tension et d’une visée motivant un tel investissement.

Complétude et manque

28Au plan traditionnel, l’accroissement des capacités de la personne en formation passe par un effort de maîtrise de l’environnement et des situations d’incertitude, recherche menée par un découpage académique en « matières » plus aisées à modeler (à mouler) séparément.

29S’il est exact que la formation repose en grande partie sur ce fantasme angoissé de maîtrise et de toute-puissance, nous pouvons mieux comprendre certains des processus qui y prennent place.

30Il serait ainsi indispensable que chaque spécialiste possède un savoir sans faille maîtrisant l’angoisse. Comme des fissures se produisent constamment à la fois sur chacun des territoires et à leur impossible articulation, une des principales fonctions de la formation serait de combler les fissures, de colmater les lacunes, de boucher les manques, de remédier aux déficiences, dans une incessante recherche de complétude. Prothèse ou orthopédie sans fin, tel Sisyphe condamné à pousser son rocher et Tantale à rester sur sa faim et sa soif de connaissance.

31Dis-moi quel est ton manque et je le comblerai.

32Cela pourra (ou non) être pris au pied de la lettre par le formateur qui s’efforcera de répondre à la demande le plus complètement possible. Illusion-désillusion : à l’avidité/anorexie du formé répond la toute-puissance/impuissance du formateur-nourrice.

33Reproduction plus que création, la formation est placée non seulement sous le signe du narcissisme (à l’image du formateur-Pygmalion-Gepetto amoureux de l’œuvre qu’il a sculptée), mais aussi sous celui de l’obsessionnalité par le jeu répété des miroirs renvoyant à l’infini la même image : les clones, où la différence des sexes n’existerait pas, où il n’y aurait donc de place ni pour le désir ni pour de petits œdipes.

34Au contraire d’autres dispositifs de formation analytique, la « régulation » avec le groupe des participants est une des dimensions essentielles à la formation des analystes de groupe. Le dispositif de formation et son rapport au cadre institutionnel font partie de l’analyse : en d’autres termes, le dispositif doit inclure des espaces d’analyse de son propre fonctionnement.

35Rien ne saurait distinguer l’approche analytique de la formation en rapport à ces processus, sinon l’attention qui leur est prêtée, la position que l’on s’efforce d’adopter et le lieu où l’on se situe ; c’est en cela que résident les différences fondamentales.

36La pratique analytique cherchera surtout à créer des lieux d’analyse et à faire que se maintiennent les conditions pour que celle-ci soit assumée par les personnes en formation elles-mêmes.

37Le dispositif de formation sera alors structuré de façon qu’il soit possible aux participants d’analyser les déterminants psychiques et institutionnels auxquels ils sont confrontés, auxquels ils participent, qui sont partie d’eux-mêmes. C’est en cela que la situation peut avoir une épaisseur historique, dans la recherche de la trace de sa propre histoire dans son articulation au dispositif et à son cadre institutionnel.

Transmission ou formation à l’analyse de groupe

38Cherchant à négocier ces écueils, au plan pratique, cela nous a conduits à mettre en place, dans le cadre de nos associations, des dispositifs spécifiques de formation à l’analyse de groupe.

39Quatre associations membres de la fapag proposent un cursus pour la formation clinique et théorique d’analyse de groupe sur une durée minimale de quatre ou cinq ans :

  • le cirppa, Centre d’information et de recherche en psychologie et psychanalyse appliquées, pour les psychothérapies de groupes d’enfants et d’adolescents ;
  • le gairps, Groupe d’analyse en institution et de recherche en psychologie sociale, à Perpignan ;
  • l’ifagp, Institut français d’analyse de groupe et de psychodrame ;
  • Transition, Analyse de groupe et d’institution – Association européenne.
Ces cursus s’adressent à des praticiens ayant une expérience psychanalytique personnelle.

40Le cadre collectif du perfectionnement détermine un espace contenant dans un dispositif groupal permettant à chacun d’y effectuer un cheminement personnel. C’est donc l’espace du groupe qui médiatise le rapport entre l’intrapsychique et le psychosocial donnant une dimension clinique au travail personnel et d’évolution à la formation. Chacune des phases du cursus peut être engagée à son propre rythme, la durée effective de participation pouvant dépasser largement les années prévues dans le dispositif de formation.

41Dans ces quatre associations, le cursus est initié par un temps d’expérience personnelle de participation à un groupe d’évolution. Il est en effet indispensable d’effectuer un travail personnel en situation de groupe.

42Bien que cela soit souhaitable, il ne paraît pas possible d’imposer comme une injonction thérapeutique d’effectuer une analyse de groupe. Certains en éprouvent le besoin, d’autres en découvrent la nécessité pour eux-mêmes à la suite d’expérience de travail en groupe. Car on ne peut se représenter la force du processus thérapeutique groupal avant d’y avoir été confronté. S’ils engagent une analyse de groupe, ce sera à titre personnel, en dehors du cadre de la formation, et avec d’autres analystes que leurs formateurs.

43L’expérience de groupe d’évolution fait partie d’un dispositif de formation pouvant être pris en charge dans la formation continue. Il s’agit d’une expérience d’analyse de groupe limitée à ce cadre et non d’une psychothérapie, même si des effets thérapeutiques parfois importants peuvent s’y produire. Les groupes sont constitués de professionnels en formation, intéressés à découvrir pour eux-mêmes les processus de groupe, et non de patients pour lesquels un traitement psychothérapeutique de groupe a paru l’indication la plus appropriée.

44Cette expérience est importante dans la mesure où la formation d’un analyste de groupe ne peut consister en une expérience de l’analyse individuelle complétée par des connaissances sur la théorie des groupes. Elle marque bien dès le début le sens et l’orientation donnés à ces cursus : le lien entre l’expérience personnelle et la référence à des concepts utiles à la pratique analytique dans un groupe, et non à un savoir clivé de la clinique. Il en sera de même pour le travail sur les théories analytiques de groupe, et pour les supervisions dans le même rapport entre clinique et théorie.

Un certificat de psychothérapeute psychanalytique de groupe

45En ce qui concerne le cycle de Transition, c’est l’évolution de la situation en Europe qui nous a amenés à concevoir une habilitation. La Fédération européenne de psychothérapie psychanalytique (efpp), dont la fapag et la sfppg font partie, est en train d’élaborer un « certificat de psychothérapie psychanalytique de groupe », afin de défendre la psychanalyse face au lobbying des « nouvelles thérapies » importées de la côte ouest des États-Unis. Nous y avons fait évoluer les critères statutaires de la formation qui avaient été conçus uniquement en rapport avec ceux du Group Analytic Institute de Londres. De notre point de vue, avoir fait une psychanalyse est un préalable à la formation à l’analyse de groupe. Elle est donc effectuée en dehors du cadre de la formation. Pour l’école de Foulkes, c’est-à-dire le Group Analytic Institute, une analyse de groupe à deux séances par semaine pendant deux années était seulement nécessaire, effectuée éventuellement conjointement à la formation et dans le même cadre.

46Le cycle « Analyste de groupe » correspond globalement aux normes européennes telles que nous les avons fait évoluer. D’une durée de quatre ans, les deux premières années peuvent être effectuées séparément.

47La troisième et la quatrième année forment un tout et ne peuvent être initiées qu’après avoir constitué son propre groupe d’analyse, afin que les supervisions et le mémoire portent sur cette expérience de conduite de groupe. Dix journées d’études ouvrent la voie à des pratiques et des théorisations proches et différentes des nôtres, avec des psychanalystes et analystes de groupe de la fapag, de la sfppg et de sociétés étrangères (argentines, britanniques, italiennes principalement).

48Le mémoire est présenté à un comité scientifique en rapport avec la fapag, pour validation du cycle et habilitation comme psychothérapeute psychanalytique de groupe.

49Les motifs pour lesquels l’efpp élabore un certificat de psychothérapie psychanalytique de groupe sont résumés ainsi, dans un document interne, par Peggy Denny, actuellement coordinatrice de la section groupe :

  • la reconnaissance de la méthode et de la qualification de professionnels spécialisés devrait renforcer la position de ces professionnels et des instituts de formation ;
  • dans beaucoup de pays européens seules des méthodes psychothérapeutiques reconnues scientifiquement (fondées sur des preuves) sont acceptées et payées par les services publics. Le certificat étayerait des normes de qualité et l’insertion des psychothérapies psychanalytiques de groupe dans le secteur public ;
  • il est logique de valoriser des normes requises pour être membre de l’efpp. Cela garantit et renforce ces normes et l’identité professionnelle ;
  • la création du certificat facilitera la discussion sur la formation et les normes professionnelles entre les différentes approches des psychothérapies psychanalytiques de groupe ainsi qu’avec les organisations de ce champ (par ex. egatin et gas[1]) et d’autres organisations psychanalytiques internes et externes à l’efpp ;
  • il est important que les trois sections de l’efpp[2] mettent en place des certificats, le certificat de psychothérapie psychanalytique de groupe faisant partie de différentes qualifications aux psychothérapies psychanalytiques, auxquels la reconnaissance par l’efpp comme un tout donnera une qualité spécifique.
Ce sont les instituts de formation dans chaque pays qui décerneront ce certificat, après avoir été agréé par une commission de l’efpp.

En conclusion

50La visée globale étant de permettre aux participants de saisir et d’analyser la dimension groupale des processus, il est essentiel que le dispositif favorise un travail d’évolution tant au plan personnel qu’à celui des pratiques et de la théorie.

51Pour ce faire, le dispositif de la formation doit être groupal, afin de faciliter les échanges et les interactions à la fois pour l’acquisition de connaissances, pour les supervisions, mais aussi pour l’analyse de la dynamique interne, du rapport au dispositif de formation institué. Il s’agit d’une analyse accompagnatrice du déroulement et du fonctionnement, d’une « régulation » et non d’une analyse fondamentale. Cette dimension est essentielle à un travail d’évolution pour les personnes, et dans leur groupe d’appartenance professionnel.

52Enfin, dans plusieurs associations, quand la formation est suffisamment avancée, certains peuvent demander à participer à la conduite de groupes d’évolution (dans le cadre de la formation permanente). Cela permet de faire le lien entre la clinique et la théorie, et de travailler notamment le rapport entre le dispositif, le cadre institutionnel et l’interprétation. Nous préférons cette approche à celle d’observateur ou de conducteur de groupes d’analyse avec des patients. L’introduction de praticiens en perfectionnement dans des groupes thérapeutiques slow-open est en effet confrontée à l’aspect semi-permanent de ces groupes, les patients y restant le temps qui leur est nécessaire et d’autres patients venant s’y intégrer au fur et à mesure, en fonction notamment du nombre, des pathologies en présence, de l’état émotionnel du groupe, etc. Il nous semble donc préférable que les participants du cycle travaillent avec nous dans des groupes d’évolution dont le terme est fixé à l’avance, et avec des participants en formation plutôt qu’avec des patients.

53Afin de donner une plus grande ouverture à ces cursus, il serait souhaitable que des échanges entre associations soient instaurés, afin que les personnes en formation puissent circuler d’une session à l’autre, et être confrontées à des pratiques diverses de l’analyse de groupe dans différentes associations, et non plus seulement, comme c’est le cas actuellement, à des concepts et théorisations de divers courants de pensée. Cela dépend, bien évidemment, au premier chef, d’une entente entre les associations assurant une formation à l’analyse de groupe. Le développement de la Fédération des associations de psychothérapie analytique de groupe, ouvrira-t-il cette possibilité ?

Bibliographie

Bibliographie

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Mots-clés éditeurs : psychothérapie psychanalytique, processus de formation, institut de formation, évolution personnelle, analyse de groupe, certificat, conduite de groupe

Mise en ligne 01/02/2007

https://doi.org/10.3917/rppg.048.0063

Notes

  • [*]
    Jean Claude Rouchy, 40 rue de la Bienfaisance, 75008 Paris.
    Transition, Analyse de groupe et d’institution – Association européenne.
  • [1]
    Group Analytic Society de Londres et Association de formation européenne du courant de M. Foulkes.
  • [2]
    Enfant et adolescent, adulte, groupe.
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