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Article de revue

L'émotionnalité groupale et la scénarisation

Pages 61 à 68

Notes

  • [*]
    Ophélia Avron, 10 rue Claude Matrat, 92130 Issy-les-Moulineaux.
  • [1]
    Michel de M’Uzan, « Contre-transfert et système paradoxal », Revue française de psychanalyse, 1976, n° 3, p. 575-590. Repris dans De l’art à la mort : itinéraire psychanalytique, Paris, Gallimard, 1977, p. 164-181.
  • [2]
    Wilfred Ruprecht Bion, Recherches sur les petits groupes, Paris, puf, coll. « Bibliothèque de psychanalyse et de psychologie clinique », 1965.

1 La confrontation à laquelle nous sommes invités aujourd’hui n’est pas seulement affaire de concept concernant en l’occurrence celui de groupalité et de lien, mais aussi affaire de réflexion et de prise de position par rapport à la formation psychanalytique. C’est en tout cas de cette façon que l’expérience de la cure duelle et l’expérience de la cure groupale m’interrogent encore dans leur continuité/discontinuité.

2 Notre point commun au niveau de la clinique est sans doute le fait d’avoir pour la plupart d’entre nous une double pratique :

  • celle de la cure duelle classique ancrée dans notre expérience personnelle et dans la formation analytique ;
  • celle de la pratique de thérapies groupales différentes : groupe de parole, psychodrame, thérapie de couple, thérapie familiale, thérapie avec ou sans médiation, etc. Ces pratiques ont parfois suivi la pratique duelle, parfois l’ont précédée. Leur conception d’origine les inscrivait le plus souvent dans des champs non analytiques.

Une double question

3

  • Suffit-il d’être psychanalyste pour donner à ces nouvelles pratiques la dimension psychanalytique, sachant que le cadre de travail et la méthode d’approche classique des formations inconscientes se trouvent profondément modifiés ?
  • Comment dégager une observation et des hypothèses de travail à partir de cette situation nouvelle ?
Qu’attendons-nous en effet en réunissant plusieurs patients invités à parler et à réagir librement entre eux, ceci en présence parfois de plusieurs thérapeutes ?

4 Nous choisissons délibérément de quitter la situation rêveuse et agitée des méandres associatifs individuels, favorisant le surgissement et les difficiles repérages des indices du refoulé, au bénéfice de réactions inter-individuelles en face-à-face. Cette situation de co-excitation bouscule aussitôt les affects, les enchaînements verbaux, les systèmes de défense, la participation à son propre vécu enchaîné à celui d’autrui. Comment dans ce contexte retrouver les indices connus des formations inconscientes et découvrir les indices nouveaux répondant aux effets inter-individuels ?

5 C’est à ce vaste chantier que nous sommes tous conviés. Mise en perspective de nos recherches, de nos références, de certaines élaborations conceptuelles et de nos tâtonnements. Dans cette optique, c’est avec une certaine panique assumée que je vais rappeler mes propres réflexions et hypothèses. Depuis de nombreuses années, je me suis attachée à préciser et à comprendre ce qu’il en est de la mobilisation émotionnelle qui fait aussitôt converger l’attention des participants d’un groupe les uns vers les autres, provoquant rapprochements et retraits.

La pulsion sexuelle

6 Pour situer mon parcours il importe, aussi succinctement que ce soit, de signaler à quel point les découvertes princeps de la psychanalyse sont pour moi fondamentales.

7 Reste indélébile cette expérience personnelle de libre parole dévoilant surtout le manque de liberté qui est le nôtre tant sont violentes les pulsions internes et violente leur nécessaire limitation. Brouillage des traces affectives, des souvenirs, de la pensée.

8 Freud a eu la vertigineuse idée d’amarrer ces destins intra-psychiques à la puissance fondatrice de la pulsion sexuelle. Énergie autoexcitante qui tend à investir objets, représentations, images de plaisir, à faire circuler les affects, à contraindre l’appareil psychique à des aménagements défensifs. Je désigne sans m’y étendre le système freudien de la représentation-affect-refoulement, système bien connu mais si complexe qu’il mériterait sans cesse d’être repris.

9 Telle que je l’ai vécue, telle qu’à l’époque elle était couramment transmise (vers les années 1960) la compréhension analytique mettait avant tout l’accent sur les mouvements pulsionnels internes contradictoires qui animaient tout autant les pensées, les affects, les souvenirs que les relations avec l’extérieur, nous propulsant et nous divisant sans notre consentement explicite. Le monde externe était davantage considéré dans la dimension projective et imaginaire qu’il suscitait que dans sa réalité pulsionnelle excitante.

10 Je simplifie à l’extrême des positions qui chez Freud lui-même ont été marquées d’hésitations, en particulier sur l’influence à accorder respectivement au traumatisme et au fantasme. Trancher en faveur du fantasme lui permettait de donner toute son ampleur à l’investigation des tractations internes par rapport au désir sexuel.

11 L’analyse des enfants, l’approche des cas psychotiques ont obligé à certaines révisions conceptuelles par rapport à l’influence de l’environnement. Cependant, la dynamique sexuelle est restée le pivot central, même si un regard plus nuancé et complexe s’est porté en particulier sur les co-excitations précoces entre la mère et l’enfant et les co-défenses probables.

12 On aura pressenti à travers mes propos que le modèle énergétique freudien m’a été d’emblée familier, éclairant tout à la fois la force propulsive et chaotisante des pulsions et des liens. Par contre, le problème de la dynamique interne des processus défensifs, dont le refoulement, capables de faire front et de limiter ces forces pulsionnelles élémentaires m’a toujours intriguée et paru difficile à élaborer. Ce n’est pas le lieu de reprendre ici l’ensemble des développements de Freud à ce sujet, mais on sent tout au long de son œuvre la nécessité de continuelles reprises pour rendre compte de la régulation de motions pulsionnelles qualifiées par lui-même d’indomptables. Il semble difficile d’accorder cette puissance d’aménagement au raisonnable principe de réalité dont le moi est le représentant. Il est d’ailleurs intéressant de constater que, lors des dernières conceptualisations de l’appareil psychique en trois instances différenciées : le ça, le moi, le surmoi, Freud définit le ça comme le grand réservoir pulsionnel, le « chaudron », « la marmite bouillonnante ». Face à cette source interne continue et indisciplinée il oppose le moi et le surmoi, représentant les exigences de la réalité. Mais il doit reconnaître que le travail d’élaboration défensive n’est possible que parce que ces instances régulatrices utilisent en partie les forces mêmes du ça dont elles sont hautement infiltrées : « le moi n’est pas séparé du ça de façon tranchée », de même les racines du surmoi « plongent dans le ça ».

13 C’est dire que la vision économique freudienne si sensible, si proche de la clinique, réclame cependant attention et réflexion.

14 Pour ma part, l’expérience de groupe, m’amène à penser qu’il faut rechercher à la base même des forces pulsionnelles élémentaires, les rudiments de leur régulation. L’expérience des petits groupes de thérapie qui est la mienne m’a semblé pouvoir rendre compte de deux niveaux différenciés d’énergie pulsionnelle en activité : celle des représentations-affects de la pulsion sexuelle et celle d’une force pulsionnelle spécifique, qui rythme immédiatement la tension-attention entre les individus, les mettant en état de participation réciproque fluctuante et puissante. Dans la mesure où nous avons affaire à la dimension énergétique du fonctionnement psychique, il va sans dire que les repérages de ces deux forces pulsives en activité ne sont pas évidents. Nous devons tenir compte de leur expression directe et indirecte à travers les manifestations corporelles, les éprouvés dicibles, le poids affectifs des mots, les silences chargés. Signes qui nous renvoient aux forces internes qui mènent à la fois nos quêtes désirantes et notre besoin d’autrui.

15 C’est à cette difficile distinction que je me suis attachée. Aussi fragmentaire ou emmêlée qu’elle puisse apparaître, je suis persuadée qu’une énergétique pulsionnelle différenciée mène inexorablement notre destin psychique, créant à la base même de ses rudimentaires expressions, des alliances, des conflits, des limitations réciproques. Les organisations défensives plus sophistiquées de la pensée secondarisée, prendront appui sur la conflictualité même du fonctionnement pulsionnel.

16 Cela m’a amenée à poser le postulat d’une double activité pulsionnelle : celle de la pulsion sexuelle au service de la satisfaction du sujet, celle d’une pulsion d’interliaison contraignant les individus en présence à une participation énergétique réciproque. Je reprendrai mes observations sur cette dernière sorte d’activité pulsionnelle, mais, si ce n’est pas aller trop vite en besogne, je voudrais ajouter que c’est à travers le jeu des effets combinés du plaisir et de la participation émotionnelle aux tensions d’autrui, à leurs poussées vers le renforcement ou la limitation respective que l’on doit le surgissement de l’acte scénique et de ses ébauches de dramatisation. L’acte de scénarisation pulsionnelle représente la forme innovante, mutative, transformatrice des mises-en-jeu des liens sexuels et des liens interpsychiques.

17 Ces propositions condensées cherchent à répondre à la question qui nous est aujourd’hui posée sur l’émergence et le travail du lien en situation de groupe. Mais, pour que ces préalables prennent sens, il faudrait maintenant développer les résultats d’années de recherche et d’hésitation. En si peu de temps, c’est tâche impossible. J’en ai durement conscience. Il faut cependant accepter ce jeu de la limitation collective qui est au cœur même de mon propos.

18 Je résume donc à nouveau mes intuitions « flottantes » :

  • d’une façon globale, je situe la dynamique des liens humains internes et externes à partir des organisateurs fondamentaux que représentent les processus de l’énergétique des pulsions de vie et leur conflictualité opérante ;
  • je reprends la découverte fondamentale de Freud concernant l’activité psychique de la pulsion sexuelle à travers le système affect, représentation, refoulement ;
  • je propose une conflictualisation de la pulsion sexuelle avec une autre pulsion organisatrice de lien inter-psychique : la pulsion d’inter-liaison. C’est bien entendu sur cette proposition que j’ai à justifier mes observations et leurs conséquences. J’aurai donc à y revenir ;
  • enfin, dernière proposition et qui n’est pas la moindre, je suppose que ces deux pulsions de vie organisatrices de liens différents sont dans un rapport continu de conflictualisation active pour leur hégémonie respective. Conflictualisation, source d’une organisation scénique créatrice de relations « dramatisées », les fantasmes représenteraient les premières formes scéniques internalisées de cette association pulsionnelle. Le fantasme n’est donc pas, selon moi, l’expression scénique du seul désir sexuel inconscient, mais la double expression organisatrice et limitative des deux pulsions en exercice qui doivent trouver non sans mal leur accomplissement respectif. Source innovante de complexification des effets pulsionnels et de leur mise-en-lien.
C’est sur ce terrain d’exploration que je me suis donc aventurée, sans balises bien assurées mais avec curiosité.

Pulsion d’interliaison : effets de présence

19 Comme je l’ai dit, c’est la pratique du groupe qui m’a obligée en quelque sorte à dégager les effets de la pulsion d’inter-liaison et à postuler ce principe pulsionnel organisateur des liens inter-psychiques. Même si, par la suite, j’ai pu constater des effets de même ordre au cours de la relation duelle, ils sont plus évidents dans une situation à plusieurs.

20 Quand j’ai commencé à aborder les groupes thérapeutiques (groupe de parole et surtout groupe de psychodrame), sans doute à cause de ma propre sensibilité au contact psychique, cette situation à plusieurs (sept patients et moi-même) m’a touchée, embarrassée, mise en situation d’éveil. La lente, tortueuse et familière exploration rêveuse des associations se trouvait comme freinée, si ce n’est bloquée par une sorte de mise en tension-attention immédiate, non volontaire, que je vivais au même titre que les autres participants.

21 Bien entendu, on peut très vite isoler le discours de chacun pour retrouver des repères analytiques connus ou même écouter avec profit les enchaînements discursifs d’ensemble. C’est nécessaire et important à condition de ne pas exclure trop vite cette perception participative particulière.

22 J’ai dans un premiers temps appelé effets de présence cette mobilisation tensionnelle évidente et difficile à cerner.

23 A ce stade, je dirai qu’à l’inverse des effets psycho-sexuels qui assurent une course-poursuite interne de représentations substitutives liées aux « motions » affectives du plaisir et qui pointent leur existence par des dérapages, incongruités, répétions du discours manifeste, les effets de présence qui assurent une immédiate orientation en alerte sur autrui (terme de Michel de M’Uzan [1]) sont dépourvus de repères représentatifs capables de mener l’enquête sur l’origine de leur mobilisation. Leur action liante est instantanée et peut concerner plusieurs individus à la fois, quel que soit leur âge, leur sexe, leur nombre. Cette mise-en-activité spontanée, sans consentement explicite, sans représentation, est difficile à cerner.

24 J’ai supposé un processus polaire énergétique de stimulation-réceptivité entrecroisé permettant ces relations qui lient de façon plus ou moins stable ou transitoire les personnes présentes. Pour approcher cette observation incertaine, il faut apprendre à devenir attentifs à ses propres réactions participatives. C’est plus facile avec un petit nombre de personnes et davantage encore avec une seule, mais les éléments proprement transférentiels viennent dans ce cas facilement occulter ce qui se passe à l’autre niveau. (Ce serait une voie de compréhension à la notion de contre-transfert qui est actuellement souvent mise en avant.)

25 À ce point, je dois rappeler les travaux de Bion sur les petits groupes, dans la mesure où ils m’ont permis de soutenir mes propres observations et intuitions [2]. Sa façon de prendre en compte ses vécus, ses perturbations et jusqu’à ses confusions pour en faire finalement une voie de connaissance m’a beaucoup aidée. « L’observation réceptive », comme il l’appelle, trouble la sensibilité de l’analyste, mais c’est précisément cette sensibilité troublée qui peut devenir l’indicateur le plus sûr de l’état émotionnel en train de se réaliser entre tous. L’important sera alors d’améliorer progressivement cet instrument interne de réceptivité qui en même temps participe à la fabrication de ce qu’il observe. Comment désigner ce registre de sensibilité et ses effets ? Bion a hésité et varié sur la terminologie en choisissant cependant souvent émotion ou états émotionnels.

26 Pour ma part, afin de préciser davantage la fonction de liaison de cette donnée subjective que ses éléments constitutifs, au terme d’état émotionnel trop statique je préfère celui d’émotionnalité groupale ou mieux d’émotionnalité participative qui souligne une dynamique en devenir.

27 Dans la perspective pulsionnelle dualiste qui est la mienne, cette fonction économique qui assure les liens interpsychiques par actions réciproques, devra se confronter, sans se confondre avec elle, à la perspective des « motions » de la sexualité désignées par Freud comme affect. Ceci n’est pas simple affaire de vocabulaire, dans la mesure où c’est de la mise en activité de ces deux forces pulsionnelles que surgit l’organisation scénique dont j’aurai à décrire les nouvelles potentialités de liaison.

28 Lorsque Freud emprunte le terme d’affect à la psychologie, il ne l’utilise pas comme simple notion descriptive d’états subjectifs. Il en circonscrit le sens à partir de son ancrage économique. Expression du principe de plaisir, la gamme infinie et fluctuante des affects de satisfaction-insatisfaction a comme fonction la mise en mouvement des représentations internes et des relations transférentielles.

29 De la même façon, le terme d’émotion, tiré du vocabulaire courant, ne désigne pas des états émotionnels répertoriés mais, comme on l’a vu, il met en évidence une fonction de liaison interpsychique entre des individus en état réciproque de stimulation et de réceptivité. Cette force pulsionnelle ne répond donc pas à la quête du plaisir sexuel mais à une nécessité aussi impérieuse et contraignante de mise en lien participatif avec l’environnement humain. D’une façon courante, cette activité continue et non consciente procure un sentiment discret et indispensable d’exister avec autrui et par autrui. Élément fondamental de notre identité. Nous en prenons plus fortement conscience par des états d’émotion-angoisse diffus, lorsque cette mise en lien se trouve de façon passagère ou durable en état de dysfonctionnement.

30 Il s’agit généralement de clivages concernant le processus d’inter-liaison. Le mouvement de la stimulation-réceptivité mutuelle bascule sur un pôle dominant créant des états d’immobilité qui donnent des impressions dévitalisantes de coupure ou de collage. La fonctionnalité interliante est alors compromise.

31 Nous sommes proches des vécus et des dysfonctionnements psychotiques. Il y aurait beaucoup à dire à ce sujet. (C’est ma recherche actuelle.) Mais, pour rester dans l’axe de notre travail d’aujourd’hui, je voudrais reprendre la façon dont s’articulent les expressions de la psychosexualité et de l’émotionnalité participative pour créer un acte psychique novateur : l’acte de scénarisation, source lui-même de mises-en-lien de plus en plus complexes.

La scénarisation

32 Dès leur naissance, les humains sont pris dans l’acte scénique qui les lie à leurs tensions internes et à celles de leur entourage. Tous différents. Tous en interdépendance. Tous en état physique et psychique de satisfaire leurs désirs au risque de déplaire et en même temps de participer au mouvement émotionnel collectif au risque de s’y perdre.

33 Tout aussi indispensable l’une que l’autre à notre avenir, ces deux expressions pulsionnelles fondamentales exercent d’emblée leurs effets, mais leurs finalités respectives trouvent difficilement un alliage humanisant.

34 Nous savons que le premier travail psychique inconscient des pulsions sexuelles fait circuler librement les représentations substitutives du désir. Celui de la pulsion d’interliaison fait expérimenter les voies de l’interdépendance, ouverture à la réciprocité-altérité. Ces processus primaires cohabitent et cherchent leur priorité plutôt que leur alliage. Cependant, leur nécessaire et impérieuse cohabitation de base donnera l’impulsion mutative d’une activité scénique d’ensemble. Force processuelle scénique, source d’équilibres pulsionnels instables à la recherche continue de l’impossible dosage du plaisir et de la sécurité participative avec autrui.

35 Apparaissent les ébauches des mécanismes défensifs comme le refoulement et le clivage, empreints des forces mêmes qu’elles limitent pour maintenir un attelage pulsionnel scénique commun.

36 La parole et la pensée secondarisée de l’entourage auquel l’enfant participe (pensée secondarisée elle-même imprégnée de psychosexualité et d’émotionnalité) renforceront et rendront obligatoires ces limitations par des règles, des interdis, des codes culturels organisateurs. Mais, sans l’acte pulsionnel scénique originel, aucune forme symbolisée ne pourrait incorporer en elle pour la transformer la violence pulsive nécessaire tout autant au surgissement des premières expressions psychiques non conscientes qu’à leur initiale et rudimentaire limitation.

37 Ces premières mises en scénarisation pulsionnelle répondent selon moi à ce qu’il en est de la formation scénique des fantasmes. Ils ne sont pas le produit du seul désir sexuel mais de la violente et productive conflictualité des deux pulsions en présence.

38 Si on reprend les fantasmes fondateurs de la psychanalyse : scène primitive, scène œdipienne, scène de castration, nous sommes dans cette problématique scénique de repliement sur soi et d’ouverture. À moi seul le plaisir. Que font ces autres sans moi ? Que veut-on de moi ? Que veulent-ils de moi ? Que veulent-ils entre eux ? Pourquoi sont-ils si près ou si loin selon les moments ? Curiosité, exclusion, rétorsion, interdiction, sont à la porte. La complexité des liens humains est en route.

39 À mon sens, ces mises en formes scéniques du passé et du présent constituent précisément les bases de tout travail psychanalytique. En situation de groupe il est peut être plus aisé de suivre les liens de l’énergétique participative et leurs éventuels clivages, mais toute scénarisation pulsionnelle dramatise ses effets en rabattant sur les objets désirés, les contraintes d’une participation aux liens réciproques qui engagent la poursuite du sentiment d’exister avec autrui.

40 Disponible à cette double écoute, le psychanalyste apprendra à repérer les moments où la mise en activité pulsionnelle débordante d’une pulsion vient cacher celle de l’autre. Il apprendra aussi qu’aucune parole ne délivre le sens définitif de ces dramatisations complexes, mais « la parole vivante » est indispensable pour remobiliser différemment ce monde où se meuvent, se modifient et se brisent les premières manifestations pulsionnelles dramatiques de nos affects, de nos émotions et de nos représentations.


Mots-clés éditeurs : effet de présence, pulsion d'interliaison, scénarisation pulsionnelle, émotionnalité participative

Mise en ligne 01/02/2006

https://doi.org/10.3917/rppg.045.0061

Notes

  • [*]
    Ophélia Avron, 10 rue Claude Matrat, 92130 Issy-les-Moulineaux.
  • [1]
    Michel de M’Uzan, « Contre-transfert et système paradoxal », Revue française de psychanalyse, 1976, n° 3, p. 575-590. Repris dans De l’art à la mort : itinéraire psychanalytique, Paris, Gallimard, 1977, p. 164-181.
  • [2]
    Wilfred Ruprecht Bion, Recherches sur les petits groupes, Paris, puf, coll. « Bibliothèque de psychanalyse et de psychologie clinique », 1965.
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