1 Comment la médiation picturale en groupe permet-elle à des enfants psychotiques de figurer et d’élaborer la réalité du lien primaire à l’objet ? Au sein d’un atelier thérapeutique groupal, l’enfant psychotique peut réactualiser son lien aux objets primordiaux, dans la réalité psychique de groupe, selon la conceptualisation de R. Kaës (1993, p. 81-88) et dans la réalité matérielle de son utilisation du medium malléable, la peinture. À partir de l’évolution de plusieurs enfants au sein d’un groupe peinture, je me propose d’envisager d’une part les processus à l’œuvre dans la réalité psychique de groupe, en interrogeant particulièrement les modalités groupales de l’élaboration de ce lien à l’objet, d’autre part le rôle central joué par l’objet médiateur en tant que tel, dans un possible accès à la figurabilité et à la symbolisation de vécus archaïques. L’utilisation par l’enfant du medium de la peinture permet en effet de saisir les modalités de son rapport primaire à l’objet, de reconstruire son expérience première de rencontre avec ses objets primordiaux. Les productions picturales individuelles portent en effet la trace de ce à quoi le sujet a été historiquement confronté, c’est-à-dire la trace de la réalité subjective du lien de l’enfant à ses objets primordiaux et du mode de présence de ces objets. Winnicott (1971) a bien montré l’importance des réponses de l’objet dans la structuration de la psyché infantile et dans les premières formes du travail de symbolisation. Le cadre du groupe peinture va susciter une reviviscence et une ébauche de figuration d’expériences sensori-affectivo-motrices non symbolisées, ce qui va permettre de remettre en travail, dans la réalité actuelle du groupe, ce qui n’a pas pu être symbolisé dans la réalité historique et psychique du lien à l’objet.
2 Quelques précisions préalables sur le cadre du groupe peinture, à partir duquel je suggère ces hypothèses, s’impose : ce dispositif groupal accueille trois à cinq enfants psychotiques ou autistes, durant trois quarts d’heure par semaine. Il se situe au sein d’un centre médico-psychologique et est animé par trois intervenants : un psychologue, peintre par ailleurs, une infirmière et moi-même, dans une position d’observatrice. Les deux animateurs du groupe répondent à la demande des enfants, sans peindre avec eux ni leur demander de représentation. Il s’agit de laisser les enfants utiliser à leur gré l’ensemble du matériel mis à leur disposition. Les enfants choisissent à chaque atelier leur place pour peindre, en fixant, avec l’aide possible d’un thérapeute, leur feuille à la verticale sur les murs. Les productions ne sont ni données ni montrées aux parents, parce qu’elles sont l’enjeu d’un lien transférentiel à respecter. En ce qui concerne le travail des thérapeutes au sein du groupe, ils incitent les enfants à entrer dans le registre de la verbalisation et à associer sur leurs peintures, pour les enfants qui ont accès au langage ; ils mettent aussi des mots sur les processus en jeu dans le groupe et dans la réalisation des peintures, en opérant un travail de liaison et de figuration verbale de ce qui se présente souvent à un niveau sensori-perceptivo-moteur.
3 J’évoquerai les six premiers mois de cet atelier qui a débuté par la prise en charge de trois enfants sur le versant psychotique : Clément, 5 ans, souriant, accessible à la communication mais mutique ; Pierrot, 7 ans, obèse, volubile et un peu clown, et Sybille, 8 ans, petite fille d’apparence communicative, qui a besoin de se remplir sans cesse avec l’extérieur. Dès la première séance, le groupe devient rapidement très actif, sonore et confus. L’excitation ne cesse de croître, avec une intense agitation, beaucoup de mouvements, de tournoiements et de chutes : tout tombe, les assiettes pleines de peinture, posées sur des chaises, les peintures, frottées si énergiquement que les punaises pour les accrocher cèdent, et enfin Pierrot lui-même, qui tournoie dans l’atelier. Pierrot et Sybille parlent ou plutôt crient et rient très fort, et le groupe finit par s’engager dans une course effrénée en peinture, avec des bruitages de voiture de course, d’accélération, de frein, aux cris de « ho hisse, la saucisse ! » Les trois enfants accélèrent leurs mouvements, de plus en plus vite, ensemble, au même rythme. Les hurlements de douleur de Pierrot qui ne cesse de replanter, à l’envers, à pleine main, les punaises qui s’arrachent du mur, ponctuent le groupe.
4 De mon côté, durant les trois premières séances, je suis aspirée par une activité frénétique d’écriture, gagnée par l’inflation de l’excitation, à la limite du tolérable, et je suis envahie par un sentiment d’impossibilité de tout noter, face à ce bombardement de stimulations. Je résiste tantôt à une envie d’intervenir, tantôt au fou rire. À la fin du premier groupe, nous sommes abasourdis et soulagés, avec l’impression d’avoir été emportés dans une tornade ; nous nous vivons comme des parents débordés et impuissants même à protéger leurs enfants : faute de pouvoir contenir le groupe par des paroles, nous décidons au moins d’un changement à un niveau matériel, remplacer les punaises par de la patafix…
5 La réalité psychique de groupe se définit donc d’emblée par la prédominance du registre sensori-perceptivo-moteur, les trois enfants s’accordant à peindre sur le mode d’une gestualité rythmique accélérée, accompagnée d’une explosion sonore. La défense maniaque fonctionne ici comme un premier organisateur groupal. Tout se passe comme si le groupe tentait de créer pour se protéger une première enveloppe rythmique et sonore, mais cette enveloppe apparaît trouée, menacée de perforation par les cris et le tourbillon gestuel : cette réalité psychique est matérialisée par le sort réservé aux feuilles de peinture, transpercées, arrachées et déchirées. À la différence d’un groupe à pathologie autistique, sans enveloppe, se manifeste ici une première constitution d’une peau psychique, selon la conceptualisation d’E. Bick (1968) mais cette enveloppe est attaquée par des arrachages, des chutes, des transpercements, phénomène typique de la symbiose pathologique, comme le souligne G. Haag (1985). Cette attaque du premier contenant correspond à de violentes angoisses, qu’on pourrait tenter de définir comme « angoisse d’être violemment pénétré dedans » ou « angoisse d’être arraché », voire « écorché ». C’est Pierrot qui manifeste particulièrement cette angoisse d’arrachage et d’écorchage, quand il attaque la feuille au point de finalement la transpercer, en s’exclamant : « C’est tout déchiré » ou quand il hurle en se blessant : il est le porte-douleur du groupe. Les thérapeutes ressentent contre-transférentiellement ces défaillances de l’enveloppe psychique groupale, en éprouvant l’angoisse d’être des parents incapables de survivre à la destructivité de leurs enfants. Se dégage donc la figure d’une chair à vif, d’un groupe écorché vif.
6 Après avoir envisagé la réalité psychique de groupe à l’appui des formes de l’enveloppe psychique groupale, je me propose d’aborder, à partir de la réalité matérielle du médiateur, le travail de figuration pour chaque enfant de la réalité historique et psychique de son rapport primaire à l’objet, durant les trois premières séances.
7 Pierrot d’abord, âgé de 7 ans, enfant unique d’une famille d’obèses, avec des yeux qui roulent sans échange de regard, semble prématurément vieux. Cet enfant, en grande déficience, est sympathique et communicatif ; il dispose de l’usage de la parole mais ne parvient pas à effectuer des apprentissages. Dans le cadre familial, il crie beaucoup et fait le clown dans le commerce de ses parents. Il a longtemps dormi dans leur lit.
8 Lors de la première séance (peinture n° 1), Pierrot se jette de tout son poids sur la feuille qu’il frotte énergiquement, en la raclant avec le dur du pinceau. Ce frottage effréné et cette recherche de la sensation de dureté évoquent l’image d’une carapace si rigide qu’il faut frotter très fort pour pouvoir se mettre en lien, avec un objet difficile à atteindre, qui échappe, comme la feuille, et qui tombe, sans résister aux attaques : Pierrot finit par transpercer le support.
9 Ce rapport de Pierrot à la feuille renvoie à l’image d’une mère peu accessible, à un manque d’interaction affective entre parents et enfants, ce qui a été confirmé par le thérapeute familial. Par ailleurs, la défense maniaque prédominante chez Pierrot se définit justement par la constitution d’une carapace, d’une croûte destinée à protéger une chair molle contre un vécu d’effraction, comme le souligne C. Athanassiou (1996, p. 53-55) : les cris de douleur ainsi que le transpercement de la feuille renvoient à ce vécu d’infraction de la carapace, sous laquelle la chair est à vif.
10 Revenons à la composition de cette première peinture : Pierrot a rempli, à gauche, le blanc de la feuille de blanc, blanc sur blanc ; avant de recouvrir la couleur blanche de noir, et, enfin, après avoir mélangé toutes les couleurs de son assiette, il a peint à droite.
11 Le remplissage du blanc par le blanc, suivi du recouvrement en noir, renvoie à un lien à l’objet primaire sur le mode de l’identification adhésive et à un impossible détachement d’une forme différenciée sur un support. D’ailleurs, la peinture déborde très largement sur le support du mur, comme si le fond n’était pas distingué de la forme de la feuille. De façon générale, les enfants psychotiques en début d’atelier semblent souvent vivre la feuille et son support comme une seule surface indifférenciée, ce qui renvoie à un non-détachement d’avec l’objet primaire (A. Brun, 2000). Pierrot semble en quelque sorte faire peau commune avec sa feuille, qu’il transperce en même temps qu’il se transperce lui-même avec des punaises. Tout se passe donc comme si une peau commune était arrachée et transpercée : il est possible de concevoir la feuille de peinture comme une peau psychique, qui matérialise l’accolement de sa peau et celle de la peau maternelle (A. Brun, 2000). Cette indifférenciation entre Pierrot et l’objet, dans un lien spéculaire, se retrouve dans d’autres activités : quand il utilise le rouleau, il roule avec le rouleau, quand tombent sa feuille ou son assiette de peinture, il tombe et il semble identifié à la peinture, en devenant rapidement très sale. Cette spécularité entre le corps de l’enfant, sa feuille, les instrument de peinture et la matière picturale caractérise souvent les ateliers peinture avec les enfants psychotiques (A. Brun, 2002) : P. Aulagnier (1975) a montré que la psychose réactualise l’originaire, c’est-à-dire justement une indifférenciation et une spécularité entre espace corporel, espace extérieur et espace psychique.
12 Cette utilisation sensori-motrice du cadre de l’atelier peinture par Pierrot constitue un langage préverbal qui renvoie aux premières représentations du Moi, plus précisément de la configuration du corps et des objets dans un espace bidimensionnel ; ces protoreprésentations pourraient s’exprimer ainsi : « Ça tombe, ça roule, ça frotte, ça se remplit et ça se vide. » Il s’agit donc des représentants des contenants psychiques, des premières enveloppes psychiques, que D. Anzieu (1987) définit comme des signifiants formels, ici par exemple interface, croûte, vidage, arrachage…
13 Se figurent donc dans le groupe peinture des traces sensori-perceptivo-motrices de la réalité du rapport primaire à l’objet, à défaut de traces représentatives. Le fond pour la représentation n’est pas constitué et d’ailleurs il ne s’agit nullement pour Pierrot de représenter : si on lui demande ce qu’il fait, il répond : « Ben quelque chose » ou « je ne sais pas, on verra. »
14 La première peinture de Sybille (n° 2) témoigne aussi de l’impossible émergence d’une forme reconnaissable sur un fond, mais selon un tout autre processus :
15 Sibylle représente et nomme « maison, chien, arbre », formes qu’elle efface au fur et à mesure de leur émergence, puis elle recouvre l’ensemble de noir.
16 Pour Sibylle, la représentation semble menaçante et tout se passe comme s’il fallait la faire disparaître, dans une sorte d’hallucination négative, soit une représentation de l’absence de représentation. En ce qui concerne le lien à l’objet primaire, cette première peinture suggère une impossibilité à émerger comme sujet différencié ; d’ailleurs Sibylle est toujours polarisée par ce qui se passe autour d’elle, elle semble totalement identifiée à son environnement qui la remplit, incapable de rester seule en présence de sa feuille, qui ne lui renvoie aucune représentation, peut-être comme le miroir du visage maternel.
17 Dans un second temps, elle peindra les deux taches jaunes, en disant : « C’est de la glace, ça fait mal et ça fait tomber les dents. » Elle semble vivre la première rencontre avec le groupe sur le mode oral, comme du froid et du cassé dans la bouche, sortes de sensations hallucinées, évocatrices de pictogrammes de rejet (P. Aulagnier, 1975).
18 Sybille a été présentée par le thérapeute familial comme une enfant au langage purement informatif, incapable de raconter une histoire et de faire trace. Enfant unique, née sous X puis adoptée, elle a été hospitalisée à 8 mois et à 1 an et demi pour des hémorragies cutanées très douloureuses. Sa mère adoptive s’est sentie alors impuissante à consoler son bébé, elle s’est effondrée, ne pouvant plus supporter sa fille, qui, de son côté, rejetait sa mère. Cette enfant a alors trouvé un appui provisoire auprès de son père, avant de revenir à un lien symbiotique à sa mère adoptive.
19 Durant les deux séances suivantes, elle représentera seulement une tache, noire puis rouge, identifiée comme un arbre, en peignant d’une façon très particulière : elle vivifiera sans cesse sa peinture, tout en l’élargissant à partir du centre, comme s’il fallait en maintenir le cœur vivant.
20 Cette impossibilité à laisser sa forme tranquille suggère l’hypothèse de la représentation d’une enveloppe hémorragique, d’une chair toujours à vif, vouée à ne pas pouvoir sécher. La feuille se présenterait donc comme un équivalent de sa peau, en proie à une hémorragie permanente. Il a fallu à Sybille plus d’un an de travail dans le groupe peinture, pour qu’elle puisse représenter des formes et les laisse sécher au fur et à mesure, sans avoir à les réhumecter sans cesse.
21 Enfin, Clément, enfant de 5 ans silencieux, mais en lien gestuel avec le rythme groupal, a procédé dans ses premières peintures à un recouvrement quasiment total de sa feuille, sans en laisser émerger le fond (n° 3).
22 Incapable de formuler une demande, il continue à peindre même s’il n’a plus de peinture, en raclant le blanc de son assiette vide. Autre forme donc d’un accolement à l’objet originaire, sur le mode de l’identification adhésive. Cet enfant nous avait été présenté comme agrippé, collé à sa mère, proche de l’autisme.
23 Pour revenir maintenant à l’enveloppe psychique groupale, dont chaque enfant incarne un aspect, il s’agit donc d’une peau psychique à vif, toujours dans l’excitation, sur laquelle rien ne peut s’inscrire, avec un effacement des inscriptions sous l’effet d’une surcharge sensorielle. D. Anzieu (1990) a décrit l’enveloppe psychique comme constituée d’un double feuillet, une surface d’excitation et une surface d’inscription : le processus groupal se caractérise ici par un feuillet unique, soit une enveloppe d’excitation. Le feuillet d’inscription n’existe pas, il n’y a pas de décharge possible de l’excitation dans une représentation : il s’agit d’une chair à vif, sans peau protectrice, Sybille représentant plus particulièrement dans sa peinture l’enveloppe hémorragique, Pierrot la recherche d’une carapace protectrice mais carapace sans cesse effractée et perforée, et enfin Clément incarnant la tentation d’une identification adhésive à la peau du groupe comme mère.
24 Après ces premières séances, l’excitation gestuelle et sonore s’est peu à peu calmée, en même temps que les thérapeutes parvenaient progressivement à établir des interactions avec les enfants. De ma place d’observatrice, je commençais à exister aussi de façon différenciée pour les enfants qui sollicitaient mon regard sur leurs peintures ou interrogeaient mon activité d’écriture… J’avais désormais du plaisir à écrire. Le processus groupal et le travail du médiateur avaient permis une élaboration du lien à l’environnement et à l’objet, qui s’est traduite par un début de reconstitution des enveloppes psychiques groupales et individuelles.
25 À cet égard, la huitième séance est tout à fait significative.
26 Pour la première fois, Pierrot représente le cadre sur sa peinture (n° 4). À la séance précédente, en décollant du mur sa feuille dont la peinture débordait largement, les thérapeutes lui avaient fait observer la marque du contour de sa feuille sur le mur. D’autre part, Pierrot travaille de façon nouvelle, en finesse : il mélange moins les couleurs sur sa feuille, n’est plus dans la tache, mais dans le trait, et il a un contact plus sensuel avec sa peinture, avec un toucher plus doux. Durant la séance, il s’exclame : « Moi, je fais pas de bruit », et l’infirmière lui répond : « C’est pas une question de bruit, tu te fais plaisir. » Il peut enfin être seul avec sa peinture et une capacité auto-érotique commence à apparaître. Enfin, autre fait notable, il annonce avant la fin de la séance : « Je m’arrête, je m’assois. » C’est la première fois qu’il peut être satisfait, interrompre son mouvement incessant et regarder sa peinture.
27 Dans la peinture de Sybille (n° 5), des traces de représentations figuratives émergent, même si elle a encore tendance à les indifférencier dans une tache noire. Elle peint d’abord à gauche une « maison, une cheminée, de la fumée, une porte, une voiture et un lapin », et, à droite, « les nuages et le ciel ». Elle recouvre ces figurations à gauche, juste avant de finir son travail ; néanmoins un fond apparaît.
28 Chez Clément (n° 6), le fond de la feuille apparaît aussi pour la première fois. Cet enfant ne se situe plus dans le simple recouvrement mais il expérimente les formes spiralées, les taches, les traces rythmiques et il marque les différences de couleur. Au niveau des interrelations entre les enfants, Pierrot et Sybille s’acharnent à demander à Clément ce qu’il peint : Clément, qui ne peut pas parler, finit par se cacher sous sa chaise. Tout se passe comme s’il fallait absolument nommer une représentation, en lien avec l’émergence groupale du processus représentatif.
29 Chaque enfant manifeste donc à sa façon dans sa peinture le processus groupal à l’œuvre, à savoir un début d’introjection de l’enveloppe psychique groupale. Un fond pour les représentations émerge dans la peinture de tous les enfants et, dans celle de Pierrot, apparaît plus particulièrement la délimitation d’un contour bord concomitant de l’apparition d’un espace interne, d’un fond sur lequel vont pouvoir s’inscrire des traces. E. Bick (1968) lie la constitution de la peau psychique à l’introjection de la fonction contenante de l’objet externe, qui permet de lier et de contenir les éléments épars de la psyché infantile. Au sein du groupe, il s’agit de l’introjection de la fonction contenante du cadre et des thérapeutes. Un processus de dédoublement des deux feuillets de la peau psychique, phénomène qu’a bien décrit G. Haag (1987, 1988) s’est donc enclenché, avec l’apparition d’une surface d’inscription, d’un feuillet à qualité imprimante.
30 J’aborderai rapidement le dernier temps, après six mois de travail. Au sein du groupe, une préoccupation pour l’objet est apparue, sous la forme par exemple d’un lien de tendresse, sur le mode maternel, de Pierrot et Sybille à l’égard de Clément. De son côté, Clément a commencé à parler, en disant par exemple « tête, yeux, bouche », la première fois qu’il a représenté un visage. Les échanges entre enfants se sont multipliés, ainsi qu’entre enfants et thérapeutes.
31 Autrement dit, le décollement des feuillets s’est poursuivi, en même temps que les enveloppes psychiques individuelles et groupales pouvaient se coller et se décoller de l’objet avec davantage d’élasticité. L’enveloppe psychique groupale est devenue un lieu d’échanges entre dehors et dedans avec une intégration possible des éléments d’échange en jeu dans le groupe.
32 Dans la peinture de Pierrot (n° 7), les formes se sont individualisées et différenciées. Au dernier groupe, il a peint un bonhomme sur un bateau (n° 8) : il vogue désormais sur le groupe mer(e). Sybille de son côté laisse enfin émerger des formes différenciées sur un fond (n° 9). Elle peut représenter une maison, forme contenante, sans l’effacer. Elle ne recouvre plus de noir, mais le noir lui sert de fond. Quant à Clément (n° 10), il danse avec sa feuille, avec des trajets chorégraphiques et une exploration de multiples effets graphiques, grattage, spirales, boucles, etc.
33 Au cours du processus thérapeutique, le groupe est passé de l’absence de traces représentatives de la réalité psychique, qui s’exprimait essentiellement dans le registre sensori-perceptivo-moteur, à une possibilité de traces figuratives, avec une inscription sur un fond. Le travail groupal a permis d’enclencher une appropriation subjective de la réalité psychique.
Bibliographie
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- Haag, G. 1985. « De l’autisme à la schizophrénie de l’enfant », Topique, n° 35-36, Paris, Epi, p. 47-66.
- Haag, G. 1987. « Petits groupes analytiques d’enfants autistes et psychotiques avec ou sans troubles organiques », Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe, n° 7-8, p. 73-87.
- Haag, G. 1988. « Aspect du transfert concernant l’introjection de l’enveloppe en situation analytique individuelle et groupale : duplication et dédoublement, introjection du double feuillet », Gruppo, p. 71-87.
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- Winnicott, D.W. 1971. Jeu et réalité, tr. fr. Paris, Gallimard, 1975.