1 Jacqueline Falguière nous apparaît là bien présente en tant qu’analyste dans ces situations. Il y a une harmonie entre la forme et le fond. On perçoit sensiblement en écho les concepts formulés. On imagine, à partir des vignettes proposées comment cela peut se construire.
Passage de l’imaginaire groupal au cadre groupal thérapeutique
2 J’ai été particulièrement intéressé par le fil rouge que tu nous as donné de ton intervention à travers cette idée de « passage ». Philippe Robert a repris cette notion à travers l’ouverture d’un processus de passage à une « autre scène». Cela nous questionne d’emblée sur l’idée que l’arrivée, l’entrée dans un groupe de thérapie psychanalytique est déjà une construction. Effectivement, il n’y a pas de groupe au départ dans une psychanalyse de groupe. Il y a des démarches individuelles qui vont se rencontrer dans un dispositif groupal. Cela me semble très important d’autant que ce passage-là n’est pas du même type, me semble-t-il, dans la thérapie familiale psychanalytique mais pourtant il a à voir avec ; il y a effectivement dans ce temps de début, cette première séance, ce premier temps que tu as évoqué, quelque chose qui se construit à travers ton silence, ton regard, ton type d’intervention, la manière dont tu es interpellée par ces participants que tu nous dis avoir rencontrés en entretien préliminaire. Avec eux, tu as déjà engagé un cheminement. Et à présent, ils sont là, à la fois avec toi et dans une situation nouvelle. Les événements psychiques émergeant lors de cette première séance renvoient à des mouvements psychotiques. Il se manifeste des inquiétudes, des éléments de morcellement ou des angoisses psychotiques de début de groupe. La formation même du groupe en tant qu’objet psychique est déjà un aménagement de ces angoisses psychotiques. On voit bien là comment ton positionnement est dans la continuité de ton propre précontretransfert, du prétransfert des participants au groupe, des constructions des préreprésentations de ce que pourrait être, pour les uns et pour les autres, ce groupe à advenir. C’est une dynamique un peu chaotique au niveau psychique. Les mouvements constitutifs d’un groupe traduisent l’organisation de réaménagements défensifs contre ces angoisses. Dans sa cure, « Le groupe et l’inconscient », Didier Anzieu a décrit avec « l’illusion groupale », le fantasme d’un bon groupe qui se structure autour des dénis des différences.
3 Dès cette première rencontre « en » groupe et non encore « du » groupe, il y a d’une part l’intervention de l’analyste avec sa manière de poser le cadre, et en même temps ce qui se joue entre l’ensemble des participants. Cela m’évoque ce que Cortesao a appelé « le pattern du groupe ». En effet, il se crée du nouveau et du singulier entre les aspects implicites et explicites des règles, entre les consignes et ce que les uns et les autres mettent ensemble dans des effets de coprésence. Tout cela fait partie de la mise en place d’une nouvelle scène groupale disponible à un nouvel espace psychique. La dimension du précontre-transfert me semble là très importante, avec la mise en scène du cadre thérapeutique.
Les entretiens préliminaires à l’écoute de la capacité à travailler les passages
4 Dans la continuité de cette notion de « passage », j’ai trouvé très intéressant que tu évoques la manière dont tu élabores tes entretiens individuels préliminaires. Tu dis que tu ne t’intéresses pas tant à l’histoire qu’à finalement à ce qui correspondrait à la biographie des trajectoires des lieux de soin ou de lieux de demande. Je trouve cela très intéressant parce que c’est aussi cohérent avec le projet clinique. C’est dire que tu t’intéresses d’emblée non pas tant à l’histoire en tant que telle mais à leurs capacités de mobiliser leurs mécanismes de défense dans une espèce de plasticité à jouer ces différents passages. En fait, ce que tu écoutes c’est la capacité à travailler ces passages. Finalement, on a bien l’impression que c’est cela que tu vas participer à accompagner par ton écoute.
Émergences psychiques groupales
5 Ceci nous amène à poser plusieurs questions. On a le sentiment que l’analyste individuel continue à impressionner ton écoute d’analyste de groupe et que l’analyste individuel reste en même temps là, dans le groupe. Cela semble t’amener à presque considérer les aspects groupaux comme relevant d’une forme de résistance par rapport à ce qui pourrait être aussi élaboré de processus régressifs et de remaniements psychiques plus individuels. Le groupe a la possibilité pour les uns et les autres de mobiliser un espace de résonance. À ce moment-là, une des questions qu’évidemment je ne peux pas ne pas te poser c’est : quelle idée as-tu de la notion d’objet groupe en tant qu’objet psychique groupal et de tout ce qui fait écho à ce champ-là, en particulier la notion même de construction groupale ? Est-ce que tu penses qu’il y a des constructions psychiques groupales ? Comment entendre par exemple la notion de « rêve de groupe » qu’évoque Jean Bertrand Pontalis, portée par l’un des participants, mais qui relèverait d’une émergence groupale. Que dire aussi de ce que l’on a décrit du côté de la mythopoïèse groupale, et d’une façon générale, de tout ce qui correspond à une production singulière d’un objet spécifique groupal, différent de l’espace intrapsychique mais qui relèverait d’une dimension concernant vraiment l’intersubjectivité, à la fois de l’inter et du transsubjectif ?
Du groupe à la thérapie familiale psychanalytique
6 Tu nous as interpellés en tant que thérapeutes familiaux psychanalytiques. En ce qui me concerne, je partage tout à fait les notions qui ont été développées hier par Evelyn Granjon et, en particulier, cette notion de néo-groupe qu’elle reprend dans la cadre de la thérapie familiale, et qui est globalement repérable dans toute approche psychanalytique groupale. Elle renvoie d’ailleurs au niveau groupal à la notion de « métasystème » qui implique comme le soutient Maurizio Andolfi, que l’ensemble clinique constitué par la rencontre entre thérapeutes et participants à la thérapie, constitue un tout nouveau, une émergence singulière, différente de la somme des entités qui le constituent. L’émergence de cet espace psychique groupal nouveau me semble tout à fait fondamental. Je vais en même temps faire écho à ta question sur les identifications, rendre possible un certain type de travail psychique qui ne pourrait pas se faire précisément par la famille dans sa réalité. Car justement c’est d’autre chose qu’il s’agit, y compris du fonctionnement psychique de la famille. Il y a aussi une vie psychique familiale évidemment en dehors de la situation thérapeutique. La famille n’est pas qu’un groupe social au sens sociologique de ce terme, c’est déjà une entité psychique groupale qui préexiste et se poursuit après la démarche thérapeutique. Mais là, dans le cadre de la thérapie familiale psychanalytique, il y a une possibilité grâce à la construction de ce nouvel espace psychique associant également les thérapeutes, d’ouvrir d’autres perspectives comme celle de remailler une nouvelle contenance groupale. Précisément, on peut être amené à recevoir des familles « décontenancées », c’est-à-dire effectivement concernées par des problématiques essentiellement de non-élaboration du côté du matériel psychique transgénérationnel. On se retrouve dans des problématiques essentiellement du côté de l’organisation de ce maillage des liens. Des démaillages, des accrocs, des trous, des contenants généalogiques groupaux familiaux, traduisent des ruptures de liens. Le passage n’est ce pas encore l’expression d’un remaillage affiliatif thérapeutique ? Alors c’est vrai qu’à partir de là, la question, puisqu’on parle de passage, qui me semble aussi intéressante, est celle de la fin en thérapie. On a un peu parlé du début, de la constitution psychique du groupe, on a évoqué ce qui se passe dans le processus et dans la temporalité. Mais comment la fin est-elle préparée ? Comment un groupe se termine-t-il ? Tu as fait référence à un groupe qui se prolonge sur vingt ans – c’est bien sûr une image. Mais en même temps, c’est intéressant parce que ce groupe c’est toi qui en est la charpente, et la garantie de son maintien, de son cadre. Les individualités participantes ne s’engagent pas pour une durée définie à l’avance. Elles quittent le groupe en des temps variables pour chacun. Pour un thérapeute familial psychanalytique, à la différence de ce type de groupe que tu as évoqué, il va y avoir un groupe qui va s’arrêter en tant que groupe familial thérapeutique à un moment donné mais le groupe familial dans sa réalité se poursuit bien entendu, même si, au niveau psychique, pour les uns et pour les autres, ça fonctionne autrement. Comment cela peut-il se passer ? Qu’en est-il de ce passage-là en thérapie familiale psychanalytique ? Des nouvelles potentialités, des qualités psychiques singulières vont être mobilisées à l’intérieur de ce groupe qui autorisent au niveau des membres concernés par ce groupe familial, un travail d’individuation/séparation, un travail psychique qui permet alors, à ce moment-là cette mobilité. La séparation/individuation se réalise avec cette identité d’appartenance à un groupe suffisamment contenant, suffisamment étayant. Il est alors possible pour chacun, d’avoir une vie subjective, de continuer à penser, d’être sujet de son désir.
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