Notes
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[1]
Je remercie les trois évaluateurs anonymes de la revue pour leurs commentaires précieux. À travers leur relecture, Perrine Simon-Nahum, Olivier Baisez et Olivier Surel m’ont également fourni des suggestions utiles.
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[2]
Sur la spécificité de l’autorité dans les régimes démocratiques, voir : Robert Alan Dahl, « Varieties of Democratic Authority », in After the Revolution? Authority in a Good Society, New Haven, Yale University Press, 1990, éd. augmentée, pp. 45-79 ; Thomas Christiano, The Constitution of Equality. Democratic Authority and its Limits, Oxford, Oxford University Press, 2008 ; David M. Estlund, L’Autorité de la démocratie. Une perspective philosophique, Paris, Hermann, 2011 (1re éd. 2008). Pour une perspective historique sur les formes possibles que peut prendre l’autorité, voir Oliver Kohns, Till van Rahden et Martin Roussel (dir.), Genealogie der Autorität. Texte zur politischen Ästhetik, Munich, Fink, 2016. Sur le point de vue juridique, voir Scott J. Shapiro, « Authority », in Jules L. Coleman, Kenneth Einar Himma et Scott J. Shapiro (dir.), The Oxford Handbook of Jurisprudence and Philosophy of Law, Oxford, Oxford University Press, 2002, pp. 382-439.
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[3]
Yves Cohen, Le Siècle des chefs. Une histoire transnationale du commandement et de l’autorité (1891-1940), Paris, Éditions Amsterdam, 2013, pp. 64, 12.
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[4]
Lettre de Gaston Fessard à Alexandre Kojève, datée du 28 juillet 1934, Bibliothèque nationale de France, fonds « Kojève », boîte XX.
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[5]
Lettre de Gaston Fessard à Alexandre Kojève, datée du 25 juin 1935, BNF, fonds « Kojève », boîte XX.
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[6]
C’est ce qui se produira à la parution de l’Introduction à la lecture de Hegel (Paris, Gallimard, 1947). Sous le choc, un auteur anonyme conclut, dans son compte rendu publié dans une revue trotskiste, que « s’il est vrai que Hegel était déjà “marxiste” », comme Kojève le fait entrevoir, « toutes les critiques adressées par Marx à Hegel perdraient leur sens » (A. A., « Hegel était-il marxiste ? », Revue internationale, no 12, 1947).
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[7]
Gaston Fessard, « Pax nostra ». Examen de conscience internationale (Paris, Grasset, 1936), et La Main tendue. Le dialogue catholique-communiste est-il possible ? (Paris, Grasset, 1937).
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[8]
Alexandre Kojève, « Compte rendu de deux ouvrages de Gaston Fessard, Pax nostra : examen de conscience internationale et La Main tendue ? Le dialogue catholique-communiste est-il possible ? », in Gwendoline Jarczyk et Pierre-Jean Labarrière, De Kojève à Hegel : cent cinquante ans de pensée hégélienne en France, Paris, Albin Michel, 1996, p. 136.
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[9]
Lettre de W. Stellmann à Alexandre Kojève, datée du 22 mars 1934, BNF, fonds « Kojève », boîte XX.
-
[10]
Lettre d’Alexandre Kojève à Gaston Fessard, datée du 19 juin 1939, in Gabriel Marcel et Gaston Fessard, Correspondance (1934-1971), Paris, Beauchesne, 1986, p. 509.
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[11]
François Terré, « Alexandre Kojève, philosophe du droit », Revue de sciences morales et politiques, no 3, 1992, pp. 387-407.
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[12]
Dominique Auffret, Alexandre Kojève. La philosophie, l’État, la fin de l’histoire, Paris, Hachette, 1997 (1re éd. 1990), pp. 373-375 ; Léon Poliakov, Mémoires, Paris, Jacques Grancher, 1996, pp. 91-96.
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[13]
Hager Weslati, « Kojève’s Letter To Stalin », Radical Philosophy, no 184, 2014, p. 12.
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[14]
Pour une étude récente de la Résistance, se reporter à Robert Gildea, Fighters in the Shadows: A New History of the French Resistance, Cambridge, Harvard University Press, 2015.
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[15]
Alexandre Kojève, « L’empire latin. Esquisse d’une doctrine de la politique française », manuscrit daté du 27 août 1945, BNF, fonds « Kojève », boîte XIII, p. 46.
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[16]
Frédéric Louzeau, « Introduction », in Gaston Fessard, Autorité et bien commun, Paris, Ad Solem, 2014, p. 31 note 2.
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[17]
Ibid., p. 21.
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[18]
Lettre de Leo Strauss à Alexandre Kojève, datée du 16 janvier 1934, in Leo Strauss, De la Tyrannie : suivi de correspondance avec Alexandre Kojève, Paris, Gallimard, 1997, p. 262.
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[19]
Dans un mémoire remis au cardinal Emmanuel Suhard (1874-1949) le 12 octobre 1942 et rédigé durant l’été 1942, Fessard emploie d’autres termes pour préconiser la distinction entre transmission et genèse de l’autorité. L’erreur consisterait à « attribuer ainsi valeur de fondement à ce qui n’est que signe » (« Collaboration et Résistance au Pouvoir du Prince-Esclave », in Frédéric Louzeau, L’Anthropologie sociale du père Gaston Fessard, Paris, Puf, 2009, p. 675).
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[20]
Alexandre Kojève, La Notion de l’autorité (1942), Paris, Gallimard, 2004, p. 102.
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[21]
Gaston Fessard, Autorité et bien commun, op. cit., pp. 42, 41.
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[22]
Ibid., p. 86.
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[23]
Ibid., p. 88.
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[24]
Ibid., p. 101.
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[25]
Ibid., pp. 117, 97.
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[26]
Alexandre Kojève, La Notion de l’autorité, op. cit., p. 51.
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[27]
Ibid., pp. 132, 119.
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[28]
Ibid., p. 80.
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[29]
Gaston Fessard, Autorité et bien commun, op. cit., p. 50.
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[30]
Gaston Fessard, ibid., pp. 53, 55.
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[31]
Ibid., p. 80.
-
[32]
Alexandre Kojève, La Notion de l’autorité, op. cit., p. 137.
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[33]
Ibid., p. 58.
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[34]
Ibid., p. 62. Le droit et son lien avec l’autorité deviennent pourtant le thème central du deuxième écrit de guerre de Kojève, à savoir l’Esquisse d’une phénoménologie du droit (voir ci-dessous).
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[35]
Alexandre Kojève, Esquisse d’une phénoménologie du droit, Paris, Gallimard, 1981, p. 499 note 1.
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[36]
Jean-Claude Monod, Qu’est-ce qu’un chef en démocratie ? Politiques du charisme, Paris, Seuil, 2012, p. 70.
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[37]
Gaston Fessard, Autorité et bien commun, op. cit., p. 124.
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[38]
Alexandre Kojève, La Notion de l’autorité, op. cit., p. 63.
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[39]
Ibid., p. 83.
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[40]
Gaston Fessard, Autorité et bien commun, op. cit., p. 142.
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[41]
Alexandre Kojève, La Notion de l’autorité, op. cit, p. 61. Comme s’il cherchait à faire écho à la logique déployée par Fessard, Kojève s’interroge sur la plausibilité du recours à l’explication suivant laquelle il y a une tendance naturelle « à aimer celui dont [l’homme] reconnaît l’Autorité, ainsi qu’à reconnaître l’Autorité de celui qu’il aime ». Mais Kojève précise aussitôt que « les deux phénomènes restent néanmoins nettement distincts ».
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[42]
Ibid., p. 108. Plus précisément, la volonté générale présente un mixte d’autorité, mêlant la fonction du père et celle du juge.
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[43]
Ibid., p. 141.
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[44]
Ibid., p. 143.
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[45]
Originalité relative, puisque Kojève reprend des intuitions présentées par Alexandre Koyré dans « Hegel à Iéna », Revue philosophique, 118, n° 9-10, 1934, p. 274-283 (repris in Alexandre Koyré, Études d’histoire de la pensée philosophique en France, Paris, Gallimard, 1971, pp. 135-174).
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[46]
Alexandre Kojève, La Notion de l’autorité, op. cit., p. 74.
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[47]
Ibid., p. 116.
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[48]
Ibid., p. 151.
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[49]
Ibid., p. 119.
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[50]
Ibid., p. 166. Cependant, l’autorité du maître est vouée à la disparition une fois que l’État mondial aura rendu impossibles guerre et révolution.
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[51]
François Terré, « Présentation », in Alexandre Kojève, La Notion de l’autorité, op. cit., p. 42. Nina Kousnetzoff, nièce et ayant-droit des inédits de Kojève, confirme par ailleurs que Kojève s’est parfois vanté devant ses proches d’avoir rédigé une constitution pour Vichy (entretien du 6 mai 2011).
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[52]
Alexandre Kojève, La Notion de l’autorité, op. cit., p. 197.
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[53]
Dominique Auffret, Alexandre Kojève…, op. cit., p. 267.
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[54]
Pierre Hassner, « Le phénomène Kojève », Commentaire, no 127, hiver 2009-2010, p. 878.
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[55]
Olivier Wieviorka, L’Histoire de la Résistance, 1940-1945, Paris, Perrin, 2015. L’incident relaté par Marco Filoni vient conforter cette hypothèse : Kojève aurait tenté de convaincre un régiment allemand constitué de Tatars de Crimée, d’anciens prisonniers de guerre convertis en combattants, de déserter l’armée nationale-socialiste (Le Philosophe du dimanche : la vie et la pensée d’Alexandre Kojève, Paris, Gallimard, 2010, p. 263).
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[56]
Pierre Giolitto, Henri Frenay : premier résistant de France et rival du Général de Gaulle, Paris, L’Harmattan, 2005.
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[57]
Ces citations sont tirées d’Alexandre Kojève, « L’empire latin. Esquisse d’une doctrine de la politique française » (27 août 1945), loc. cit., pp. 46-48.
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[58]
Alexandre Kojève, La Notion de l’autorité, op. cit., pp. 188-189.
-
[59]
Pour une biographie de François Darlan (1881-1942), voir Henri Michel, François Darlan : amiral de la Flotte (Paris, Hachette, 1993).
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[60]
Alexandre Kojève, La Notion de l’autorité, op. cit., p. 191.
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[61]
Henri Michel, Le Procès de Riom, Albin Michel, Paris, 1979.
-
[62]
François Bédarida, « Introduction », in Denis Peschanski (dir.), Vichy 1940-1944 : Quaderni e documenti inediti di Angelo Tasca, Paris-Milan, CNRS-Feltrinelli, 1986, p. xiv.
-
[63]
Antonin Cohen, « Du corporatisme au keynesianisme. Continuités pratiques et ruptures symboliques dans le sillage de François Perroux », Revue française de science politique, 56, no 4, 2006, pp. 555-592.
-
[64]
Alexandre Kojève, La Notion de l’autorité, op. cit., p. 195.
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[65]
Alexandre Kojève, « Principes généraux », manuscrit autographe daté de 1942, BNF, fonds « Kojève », boîte XIII.
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[66]
Lettre de Henri Moysset à Alexandre Kojève, datée du 9 juillet 1942, BNF, fonds « Kojève », boîte XX.
-
[67]
Gaston Fessard, Autorité et bien commun, op. cit., p. 54.
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[68]
Ces textes ont été rassemblés dans le recueil intitulé Au temps du Prince-Esclave. Écrits clandestins et autres écrits (1940-1945), Limoges, Critérion, 1989.
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[69]
Gaston Fessard, « Collaboration et Résistance au Pouvoir du Prince-Esclave » (1942), in Frédéric Louzeau, L’Anthropologie sociale du père Gaston Fessard, op. cit., p. 713.
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[70]
Ibid., p. 720.
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[71]
Ibid., p. 724.
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[72]
Gaston Fessard, Autorité et bien commun, op. cit., p. 107.
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[73]
Alexandre Kojève, Esquisse d’une phénoménologie du Droit, op. cit., p. 498 note 1.
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[74]
C’est l’hypothèse émise par Pierre Legendre dans la nouvelle préface à son ouvrage L’Amour du censeur. Essai sur l’ordre dogmatique, Paris, Seuil, 2005 (1re éd. 1974).
1 En philosophie politique comme en histoire, des recherches récentes ont démontré la pertinence du concept d’autorité pour qui cherche à comprendre les péripéties de la première moitié du xxesiècle, mais aussi la manière dont ce concept continue de travailler les régimes démocratiques actuels [1]. Or, du point de vue des acteurs historiques, l’autorité ne va plus de soi [2]. Dans le management, l’administration, l’armée ou la politique, l’autorité apparaît comme « une préoccupation collective d’époque » au début du xxesiècle. Ce n’est pas que « le chef et le commandement n’existaient pas jusque-là », comme le rappelle Yves Cohen, mais ils deviennent des problèmes épineux à partir de la période 1890-1940 [3]. La crise de l’autorité semble alors généralisée, même si les individus sont loin de s’affranchir de son emprise.
2 On se propose ici de prolonger, sur un plan historique et conceptuel, les enquêtes menées sur l’autorité, en prêtant attention à ses usages philosophiques dans la France des années 1940, chez deux figures importantes, bien que souvent négligées, de la pensée française du xxesiècle, Alexandre Kojève et Gaston Fessard, dont le concept d’autorité a irrigué les écrits politiques pendant la Seconde Guerre mondiale. L’occupation allemande et le régime du maréchal Pétain les contraignent alors à revisiter cette notion. Loin de se réduire à une pure expérience de pensée, leurs réflexions prennent une dimension immédiatement politique, voire existentielle. Quelle est la légitimité du gouvernement de Pétain ? Et quelle obéissance lui doivent les citoyens ? Dans leurs interrogations sur le bien-fondé du pouvoir de Vichy, ils butent sur une forme d’autorité dont on tend communément à sous-estimer l’enjeu politique. Ils s’attellent à théoriser l’autorité paternelle, mais en tirent des conséquences opposées quant à l’attitude à adopter face au maréchal Pétain.
Genèse d’un échange intellectuel
3 Brossons d’abord un tableau des rapports entre Kojève et Fessard. Le second prend contact avec le premier en juillet 1934 pour lui faire part d’un projet de traduction de la Phénoménologie de l’esprit de Hegel. C’est par l’intermédiaire de Jean Wahl et d’Alexandre Koyré qu’ils font connaissance [4]. En dépit de l’enthousiasme de l’éditeur Gaston Gallimard pour le projet, cette traduction ne verra jamais le jour, selon toute hypothèse parce que Kojève et Fessard se sont vite rendu compte que Jean Hyppolite avait déjà entrepris celle qui sera publiée en deux volumes en 1939 et 1941 chez Aubier.
4 À partir de l’automne 1934, Fessard devient un auditeur assidu du séminaire de Kojève sur Hegel. Avec Raymond Aron, il est l’un des seuls auditeurs invités à présenter, dans le cadre du cours, un exposé critique des thèses de Kojève. Dès le début, leur respect mutuel n’empêche pas de profondes divergences philosophiques. Ainsi, dans une lettre de 1935, Fessard fait l’éloge de ce qu’il appelle « l’interprétation plus activiste et existentielle » de la pensée de Hegel [5]. C’est à la dialectique du maître et de l’esclave, pièce maîtresse de l’interprétation de Kojève, qu’il fait allusion. Il est donc l’un des premiers à reconnaître la force subversive du Hegel kojévien, qui voit dans les révolutions sanglantes le mobile premier de l’histoire. Du Hegel apologète conservateur de l’État prussien, il ne reste plus rien. Sous la plume de Kojève, Hegel devient un marxiste avant la lettre. Fessard prédit même que nombre de marxistes vont récuser cette lecture, et insisteront plutôt sur le caractère idéologique, bourgeois, idéaliste, religieux des écrits de Hegel [6]. Il n’hésite pas non plus à marquer ses réserves sur le Hegel athée que décrit Kojève. Toutefois, ce ne sont pas les querelles herméneutiques, mais les questions d’engagement dans l’histoire qui vont, en fin de compte, jalonner leurs échanges intellectuels.
5 En 1937, Fessard demande à Kojève de rédiger un compte rendu de ses deux livres Pax nostra et La Main tendue [7]. Kojève accepte, puis se rétracte soudainement. Ces livres, s’explique-t-il, lui paraissent trop personnels pour faire l’objet d’une recension. De plus, le compte rendu aurait dû paraître dans la revue Recherches philosophiques qui, cette année-là, avait interrompu sa publication. Pour ne pas laisser passer les ouvrages de Fessard sans commentaire, Kojève préfère lui envoyer un compte rendu sous forme de lettre. Il y est longuement question du théisme ou de l’athéisme de Hegel en particulier et de l’homme moderne en général. Pour Kojève, la synthèse de Hegel et de la foi catholique à laquelle Fessard s’efforce de parvenir est par avance vouée à l’échec. Il ne s’agit pas d’un différend scientifique : la question de l’existence ou de l’inexistence de Dieu s’avère décisive, chez Kojève comme chez Fessard, pour l’analyse du phénomène de l’autorité.
6 C’est encore dans la correspondance que sont discutées les divergences politiques résultant de leurs projets philosophiques respectifs. Si Fessard oppose un christianisme hégélien au strict parallélisme qu’il observe entre fascisme et communisme, Kojève insiste sur le fait que la foi chrétienne n’est pas incompatible avec une politique réactionnaire. À preuve : le régime paramilitaire d’Engelbert Dollfuß, à la tête du gouvernement autrichien entre 1932 et 1934 [8]. Il défend un communisme qui incarnerait « une raison supérieure à celle du capitalisme [9] », dont le caractère raisonnable se traduirait par l’accent mis sur la planification du travail transformateur et créateur d’un monde véritablement humain. Après les accords de Munich en 1938, Kojève se range cependant aux côtés de Fessard lorsqu’il s’agit de faire front contre le nazisme : « Deux lignes de direction différentes peuvent s’entrecouper en un point précis et je crois que pour nous “Munich” est précisément un tel point [10]. »
7 Ces échanges épistolaires se poursuivent jusqu’en 1939. Le séminaire sur Hegel prend fin avec la « drôle de guerre ». D’abord stationné à Rueil, Kojève est envoyé, en mai 1940, pour des exercices au camp de La Courtine dans le Massif Central, quinze jours avant l’entrée des Allemands dans les Ardennes. Quelles sont les trajectoires respectives des deux penseurs sous l’Occupation ? Dans les mois qui suivent la proclamation du régime de Vichy par le maréchal Pétain, Kojève reste confiné dans sa maison à Vanves. En 1941, il s’installe à Marseille, où il achève, en mai 1942, la rédaction de La Notion de l’autorité, manuscrit qui ne sera publié que de façon posthume. Pendant l’été 1943, il séjourne dans le village de Gramat, où il rédige l’Esquisse d’une phénoménologie du droit, ouvrage-somme sur la dimension juridique de la construction de l’État mondial, également demeuré inédit de son vivant [11]. Pendant une période sur laquelle on ne dispose d’aucune documentation, Kojève, proche, par l’intermédiaire de sa compagne Nina Ivanoff, des groupes de Jean Cassou et de Léon Poliakov, participe, à partir de 1942, aux activités de la Résistance [12]. On lui confie ainsi la recherche d’informations et la diffusion de pamphlets et tracts clandestins [13].
8 Kojève entretient cependant un rapport ambigu avec certains éléments de la Résistance [14]. Engagé au sein du groupe Combat, Albert Camus s’attire les foudres de Kojève en raison de son inféodation à des idéaux que ce dernier qualifie d’anarchisants, de libertaires hostiles à toute forme d’État. Les réseaux résistants regroupent, selon Kojève, « de nombreux éléments foncièrement nihilistes dits “intellectuels”, pour lesquels le non-conformisme a en soi une valeur absolue au lieu d’être une conséquence parfois nécessaire, mais toujours regrettable, d’une volonté constructive concrète ». La France, écrit-il dans l’immédiat après-guerre, doit « refouler ces éléments foncièrement anti-étatiques dans le domaine littéraire », d’où ils ne sont sortis « qu’au hasard des événements [15] ». Loin de relever d’un démêlé entre intellectuels engagés, ces remarques traduisent son attachement à l’autorité comme vecteur d’ordre politique. À partir de décembre 1944, il est de nouveau à Paris. En septembre 1945, Robert Marjolin le nomme chargé de mission auprès de la Direction des relations économiques étrangères (DREE). Ainsi débute sa carrière dans l’administration française.
9 Gaston Fessard est, quant à lui, mobilisé dans l’armée française. En octobre 1941, il s’installe à nouveau à Paris. Au sein de l’Église, il s’en prend à ceux qui prônent la soumission pure et simple au régime du Maréchal. Entre 1941 et juillet 1942, Fessard rédige le manuscrit d’Autorité et bien commun. Grâce au soutien d’Henri de Lubac, ce livre sera publié à la Libération. Dans le commentaire qui en accompagne la réédition, Frédéric Louzeau estime que Fessard et Kojève auraient, chacun, écrit leur livre sur l’autorité de façon indépendante, sans avoir connaissance du projet de l’autre [16]. En dépit de l’absence de document pour le montrer, la possibilité qu’ils aient été informés de leurs projets respectifs ne peut être exclue. Car ils participaient du même milieu de sociabilité, certes, bouleversé par l’Occupation, mais qui n’avait pas disparu. Louzeau attire lui-même l’attention sur Paul Landsberg (1901-1944), qui avait présenté devant le cercle de la revue Esprit, en 1938, un exposé sur la crise de l’autorité que Fessard évoque dans une lettre à Henri de Lubac [17]. Or, dès le début des années 1930, ce même Landsberg avait été un interlocuteur important pour Kojève [18]. On ne peut donc écarter d’emblée l’hypothèse d’un fond commun à la réflexion sur l’autorité menée par Kojève et Fessard.
Penser l’autorité politique en temps de guerre
10 La proximité de leur démarche et des prémisses de leurs écrits est visible. Tous deux estiment qu’un certain modèle du libéralisme a fait faillite. La crise de l’autorité n’en serait que le signe le plus marquant. Pour Kojève, l’arrivée au pouvoir du régime pétainiste, succédant à une Troisième République décriée, ne signifie pas seulement un changement de régime, mais nécessite encore une révolution de la pensée. La défaite de 1940 a débouché sur une crise de pouvoir, c’est-à-dire une crise de commandement. La responsabilité qui incombe aux nouveaux dirigeants du pays leur commande de sortir la France de cette impasse. Pour lui, l’existence d’un système républicain représentatif sape l’autorité. Pour comprendre le sens de ce propos, il faut remonter à la genèse et à la transmission de l’autorité. Si les théoriciens du contractualisme libéral traitent du problème de l’autorité, ce n’est pas à propos de sa genèse, mais de sa transmission [19]. Kojève va jusqu’à imputer à la vision contractuelle de la société une incapacité totale à rendre compte de la genèse de l’autorité. Les élections et les accords représenteraient au mieux « une première manifestation » d’une autorité déjà existante, celle de qui réussit à réunir le plus grand nombre de voix. Le modèle contractuel ne ferait que confirmer une allégeance déjà établie. Il en irait de même pour la transmission de l’autorité à la majorité. Kojève procède ainsi à un renversement inattendu visant au cœur le parlementarisme démocratique :
11 Là où la majorité se réclame d’une soi-disant « Autorité » sui generis, due au seul surnombre, elle se réclame en fait de la pure et simple force. On peut donc opposer le régime « majoritaire » au régime « autoritaire », ce dernier s’appuyant sur l’Autorité, le premier sur la force [20].
12 Fessard, qui distingue aussi transmission et genèse de l’autorité, tient de même le libéralisme pour responsable du malheur de la France : s’il y a « une élémentaire vérité » qu’on peut tirer de la défaite, c’est qu’il y a une profonde crise de l’autorité. Cette crise serait seule à même d’expliquer « le caractère de dissolution soudaine et totale qu’a revêtu la défaite [21] ». Le corps social est accablé de deux côtés. D’une part, l’élite a renoncé à sa légitime vocation de gouverner, de l’autre, la masse a perdu le sens de sa nécessaire soumission. Le lien social se délite car le libéralisme contient en lui le germe d’un « individualisme totalement anarchique [22] ». Tout comme Kojève, Fessard s’en prend au principe majoritaire qui serait l’unique arbitre du bien commun. Le libéralisme ne reconnaît qu’un seul principe de discernement du bien commun, à savoir « celui du plus grand nombre [23] ». Entité floue et peu fiable, la majorité finit par décider du bien commun. Fascisme et communisme ont ainsi « raison de dénoncer l’illusion du libéralisme » qui s’imagine que la raison individuelle « suffit à […] venir au bout » [24] de la politique. Mais si ces deux conceptions du monde mettent en lumière les insuffisances du libéralisme, au lieu de dépasser les impasses du credo libéral, elles les exacerbent, radicalisant le problème auquel elles se veulent le remède.
13 Dans son analyse du rapport du bien commun et du communisme révolutionnaire, Fessard prend néanmoins ses distances par rapport à Kojève qui, tout au long des années 1930, a présenté son séminaire comme l’appui philosophique d’un certain hégéliano-marxisme. Chez Fessard, la critique du marxisme prolonge celle du libéralisme. La doctrine communiste vise bien « l’intégration de l’univers entier au sein d’une société sans classes et sans États », mais la conception marxiste du monde « pervertit radicalement le Bien commun » car elle cherche à le fonder sur « la seule puissance d’un parti » révolutionnaire. Une « lutte à mort universelle » pourrait même conduire à une communauté du mal [25]. De son côté, Kojève, en mai 1942, se borne à souligner que Marx « a complètement négligé le problème de l’Autorité [26] ». Infléchissement majeur et vraisemblablement dû à la conjoncture politique française, l’optique hégéliano-marxiste ne sert plus de voie d’accès unique au thème abordé. Hegel devient un théoricien de l’autorité parmi d’autres (Platon, Aristote, Thomas d’Aquin) : « Chacune de ces théories était conçue comme une théorie universelle, ne reconnaissant qu’un seul type d’Autorité et le prenant pour l’Autorité tout court. » Cela n’empêche cependant pas Kojève de faire l’éloge de Staline, figure par excellence d’un chef révolutionnaire « ayant un projet “universel” [27] ».
Les formes élémentaires de l’autorité
14 Sur les formes élémentaires de l’autorité, Kojève et Fessard élaborent des schémas dont la ressemblance est remarquable. Kojève postule l’existence de quatre types d’autorité : d’abord l’autorité du père sur l’enfant, que Kojève associe à la pensée scolastique ; ensuite l’autorité du maître sur l’esclave, qui trouve son origine dans la philosophie de Hegel ; puis l’autorité du juge, thématisée dans les écrits de Platon ; enfin vient l’autorité « du Chef (duce, Führer, leader, etc.) sur la Bande » mise en rapport avec la pensée d’Aristote [28]. Dans le schéma de Fessard, nous rencontrons trois formes d’autorité : l’autorité charismatique du chef, l’autorité créatrice et éducatrice du père et l’autorité dominatrice du maître.
15 La spécificité d’une forme d’autorité ne suffit pourtant pas à définir les formes de son déploiement politique. Il faut nous intéresser au rapport ambigu qu’entretient l’autorité avec la force. Pour Fessard, le recours à la force ne peut être que le signe d’une autorité dégénérée. Il est vrai que l’autorité constitue une sorte de « force » qui, par sa vertu propre, « subjugue autrui ». Il y a, certes, un éventail de formes à travers lesquelles se décline ce processus du « plus brutal jusqu’au plus éthéré [29] ». Mais, dès lors que le pouvoir de fait demeure seulement celui de la force, il se change en tyrannie.
16 On ne peut cependant nier que la force ait souvent été à l’origine de l’autorité. À l’instar de Kojève et de Hegel, Fessard maintient que « toutes les souverainetés étatiques n’ont d’autre origine que la lutte à mort ». Le leader doit faire preuve de sa supériorité, « de sa maîtrise, en réduisant ses égaux à la soumission des esclaves ». Il y a sur ce point une « parenté du droit avec le fait pur par le moyen de la mort ». « Nulle autorité », dit Fessard, ne peut jamais renoncer à s’appuyer sur cette angoisse radicale « où les volontés humaines trouvent, en deçà de leurs désirs divergents, leur premier fond commun [30]. » Afin d’affermir sa légitimité, l’autorité doit faire du bien commun la clef de voûte de ses actions. Refuser de tendre au droit, « c’est pour le pouvoir de fait étouffer du même coup la légitimité de sa force ». L’autorité a l’obligation de « transformer le pouvoir de fait, principe de subordination, en pouvoir de droit, base d’une coordination [31] ».
17 Dans La Notion de l’autorité, Kojève va plus loin, jusqu’à se détourner de la primauté absolue qu’il avait auparavant accordée à la lutte à mort en vue de la reconnaissance. Au moins sur le plan théorique, l’autorité et le recours à la force en viennent à s’exclure mutuellement. L’autorité doit en effet être soigneusement distinguée de la violence. Bien que le pouvoir politique puisse être fondé sur la force, il doit en principe être en mesure de s’en passer de manière à ce que l’État projette son existence dans un avenir lointain. Autrement dit, plus grande est l’autorité, moins le recours à la violence s’avère nécessaire. Une telle situation ne peut que contribuer à la stabilité d’un État. « Une théorie de l’État (par opposition à la pratique) fait donc abstraction de la notion de “force” ». Un pouvoir non fondé sur la force doit se constituer à partir de la notion d’autorité :
18 La force ne peut jamais, par définition, engendrer une Autorité politique […]. Une théorie du « Pouvoir politique » n’est donc rien d’autre qu’une théorie de l’Autorité […] ou une application (théorique) de la théorie de l’Autorité à la Politique (c’est-à-dire à l’État) [32].
19 Kojève propose alors une définition très succincte de l’autorité, résumée à « la possibilité qu’a un agent d’agir sur les autres […], sans que ces autres réagissent sur lui, tout en étant capables de le faire [33] ». Dès que l’intervention de la force devient nécessaire, l’autorité s’efface. Conséquence capitale : l’autorité illégitime lui apparaît comme une contradiction dans les termes. Nier sa légitimité, « c’est ne pas la reconnaître, c’est-à-dire la détruire ». L’enchaînement logique de Kojève aboutit à une deuxième conséquence : si l’essence de l’autorité se situe aux antipodes de la force, un écart la sépare également du droit. Là où Fessard évoque sans cesse la légitimation nécessaire de l’autorité par le droit, Kojève remarque qu’on ne peut « opposer aucun “Droit” à une Autorité réelle (reconnue) [34] ».
L’autorité paternelle
20 Une fois esquissée la dynamique de l’autorité et de la force, il reste à étudier la conception que se font les deux auteurs de la pratique politique. Ce qui surprend, c’est la préséance qu’ils reconnaissent, pour des raisons différentes, voire franchement inconciliables, à l’autorité paternelle. Relevant du domaine de la biologie, l’autorité du père a été frappée, semble-t-il, d’obsolescence dans la pensée politique du xxesiècle. Jean-Claude Monod, consacrant un chapitre à Kojève dans Qu’est-ce qu’un chef en démocratie ?, considère que l’homme d’État dont il est question dans La notion de l’autorité doit réunir avant tout deux formes d’autorité : il doit agir en chef et en maître. Liée intrinsèquement au combat, l’autorité du maître prévaut, comme Kojève le précise dans son Esquisse d’une phénoménologie du droit, rédigé en 1943, surtout « dans la politique extérieure, dans les rapports avec l’ennemi », tandis que l’autorité du chef bat son plein « dans la politique intérieure, dans le rapport entre Amis » [35]. Certes, il y aurait, chez Kojève, « une certaine compréhension de l’autorité paternelle », mais si l’on en croit Monod, ce n’est pas autour d’elle que gravite le jeu politique [36]. On peut nuancer ce jugement, en relevant l’étrange centralité de l’autorité paternelle comme force éminemment politique dans les écrits de Fessard comme de Kojève.
21 Pour Fessard, la société politique reste toujours entée sur la famille. Ce qu’il nomme la dialectique de la famille serait supérieur à celle du maître et de l’esclave, qui fournit chez Kojève la dynamique du moteur historique. Au sein de la famille, l’autorité n’est rien d’autre que le « pouvoir procréateur » du père. Selon Fessard, l’autorité ne réalise pleinement son essence comme autorité légitime que si elle vise le bien de la « communion ». Quelle pourrait être la base d’une communion « ayant l’intimité du lien familial et pouvant en même temps s’étendre à l’humanité entière [37] » ? On doit passer par la dialectique de la famille. Parmi les pouvoirs de fait, seul le père remplit les conditions du bien de la communion. À la différence du chef, il ne présuppose pas l’existence d’un groupe à unifier. À la différence du maître, il tend immédiatement au parfait amour.
22 Outre la paternité biologique, Fessard définit l’activité d’une « paternité divine » qui intervient, sous une forme ou une autre, ici-bas. Si elle constitue une force réelle et agissante aux yeux du père jésuite, la figure de Dieu est, elle, radicalement dénuée de qualités surnaturelles dans La Notion de l’autorité de Kojève. Ravalée au rang de mythe, et bien qu’elle représente, dans une perspective historico-anthropologique de longue durée, la source et le « summum » de l’autorité, l’autorité divine demeure, selon Kojève, en dernière instance toujours une autorité humaine [38] : l’autorité de Dieu est non seulement dénuée de réciprocité – on ne peut rien y opposer – mais elle n’est rien d’autre que la « sublimation » de la force brute [39]. Pour Kojève, et en dépit des déplacements d’accents considérables par rapport au séminaire sur Hegel, l’autorité du maître demeure, même au cours des années 1940, l’exemple paradigmatique : cette autorité est fondée sur la prise de risque. Le maître risque sa vie dans la lutte. Mais il n’en est pas question dans le cas de Dieu, comme Kojève le constate de façon provocatrice.
23 Il en va tout autrement chez Fessard. À la volonté de puissance, l’Église oppose « la Toute-Puissance du Père qui ne contraint ses fils que pour les éduquer et les rendre semblables à Lui [40] ». Rendre l’autorité légitime signifie transformer la puissance de domination du maître en amour du père. Pour Kojève, cette transition relève d’une erreur de catégorie : si l’amour « peut donner le même résultat que l’Autorité », il n’en reste pas moins que la relation d’amour, du fait de la spontanéité qui l’anime, est « essentiellement autre chose que la relation de l’Autorité » [41]. Même une fois l’amour admis, dans le traité de Fessard, une question se pose : comment agir si le processus politique de transformation du lien d’autorité en amour civique échoue ?
Autorité et temporalité
24 Tout se passe comme si la différence entre résistance et collaboration reposait sur la définition de la figure du père. Pour Kojève, l’autorité paternelle fait défaut dans les régimes libéraux. À cet égard, il se sert de Rousseau contre Montesquieu. Contre la fragmentation centrifuge du politique et fidèle à sa critique du principe majoritaire, Kojève invoque l’auteur du Contrat social, penseur, selon lui, de la primauté du tout sur les parties. Le concept de volonté générale, dans la mesure où il prône « le maintien de l’identité avec soi-même » et, partant, l’adhésion à une certaine tradition romaine, est décidément du côté de l’autorité du père [42]. Il s’inscrit ensuite en faux contre la division des pouvoirs qui découle du constitutionnalisme. Ce n’est en effet qu’avec les théories constitutionnelles de Montesquieu « qu’apparaît le problème de la division des pouvoirs, à la base des “démocraties modernes” [43] ». Si le pouvoir judiciaire correspond à l’autorité du juge, le pouvoir législatif à celle du chef, et le pouvoir exécutif à celle du maître, le quatrième type d’autorité ne trouve pas de place. Les théories constitutionnelles éliminent effectivement l’autorité du père.
25 Kojève qualifie ce changement de « révolutionnaire » dans la mesure où en découlent des conséquences considérables. D’une part, à travers la valorisation du pouvoir exécutif du chef, il « aboutit nécessairement, dans et par sa réalisation “bourgeoise”, à la “Dictature” d’un Napoléon ou d’un Hitler ». D’autre part, en raison de l’importance croissante attachée à un projet à réaliser à l’avenir, une ligne droite mène des réflexions constitutionnelles de Montesquieu à « la théorie de la “révolution permanente” d’un Trotski [44] » : c’est l’excès inhérent à la fonction du chef. Si le chef et le maître incarnent les figures-types de l’autorité gouvernementale et, partant, restent indispensables, ils ont été hypostasiés de façon troublante à l’époque moderne.
26 Kojève déplore l’abandon par la modernité politique de l’autorité du père comme une pathologie. Pour comprendre la portée de ce diagnostic, la dimension temporelle propre à chaque figure d’autorité doit être prise en compte. Ce n’était pas la moindre originalité du séminaire sur Hegel que de reconstruire la Phénoménologie de l’esprit à la lumière de la philosophie de la finitude de Heidegger [45]. La lutte à mort en vue de la reconnaissance y est l’événement qui humanise par excellence. À travers la poursuite d’un but non vital, le désir d’être reconnu par un autre, l’animal humain s’affranchit de l’impératif biologique de survivre afin de devenir homme. Par la lutte du maître et de l’esclave, l’humanité naissante découvre l’horizon de l’avenir, ce quelque chose qui n’existe pas encore mais qu’on espère faire advenir. L’être historique que nous sommes (devenus) est constitutivement tourné vers le futur. Lorsque le maître réapparaît dans La Notion de l’autorité comme l’une de ses manifestations élémentaires, il n’est guère surprenant de le voir associé à la temporalité. L’autorité du chef ne serait pas non plus concevable sans la dimension du futur. Son trait distinctif consiste dans l’intention de construire politiquement ce qui n’existe pas encore. Dans le sillage d’Aristote, le chef est caractérisé par Kojève comme celui qui « voit plus loin », son excellence tient à sa capacité de concevoir « un projet », les autres n’ayant pu « dépasser le niveau des données immédiates » [46]. Soustraite à toute limitation, l’obsession de l’avenir peut donner lieu au fantasme politique de la révolution permanente.
27 Afin d’endiguer l’engouement délirant pour l’avenir sans pour autant en nier le primat, il faut mettre en place les bonnes combinaisons des formes d’autorité aussi bien sur le plan politique que sur le plan de la temporalité. Le père, attestant un lien généalogique, ne fût-ce que par sa puissance procréatrice, incarne la figure de l’autorité la plus en prise avec le passé. Or, dans le domaine de la politique, la transmission héréditaire de l’autorité est à juste titre tombée en désuétude. Les « révoltes des esclaves » ont mis fin au règne des « maîtres héréditaires », inexpérimentés en matière de combat, mais attachés aux privilèges de leur statut social [47]. Pour Kojève, ce serait donc une grave erreur que de se croire dispensé une fois pour toutes de la fonction du passé : « La destruction de l’Autorité de Père est donc funeste à l’Autorité politique en général [48]. »
28 Le passé est tout autant une ressource que l’avenir, et la politique doit s’en emparer. Rangeant le dirigeant de l’Allemagne nazie du côté d’un futurisme déchaîné, Kojève donne à penser ceci : « On peut tout aussi bien se réclamer des millénaires à venir (cf. Hitler) que des millénaires passés [49]. » On chercherait en vain une telle affirmation dans les manuscrits de Kojève relatifs à son cours sur Hegel, exclusivement voués à la transformation du monde en vue de l’avènement de l’État mondial. Mais sous l’Occupation, la sauvegarde du passé devient une tâche politique presque aussi importante que la préparation de l’avenir. Détentrice du potentiel du passé, l’autorité du père doit donc être réintroduite dans le paysage politique.
29 Un simple retour en arrière étant impossible, une question se pose alors : qui pourrait incarner cette autorité ? C’est d’abord un enjeu institutionnel. Kojève fait allusion à la formation d’un sénat basé sur le patrimoine et le principe de séniorité, réunissant des pères de famille et s’inspirant des censeurs romains. Loin de vouloir détrôner le chef et le maître, au centre de l’autorité politique au sens fort du terme, la réinsertion de l’autorité du père vise plutôt à créer un équilibre flexible : il faut maintenir l’« union dynamique » des différents éléments « en dépit de leurs divergences » [50]. Cependant, le problème de l’autorité du père renvoie aussi à une question de leadership politique.
Kojève, un « vichysto-résistant » ?
30 Outre les exercices d’ordre spéculatif, Kojève franchit ici un seuil. S’il est vrai qu’il « n’exprime à aucun moment une adhésion quelconque de caractère politique » au gouvernement de Pétain, comme le rappelle François Terré, nous allons pourtant montrer que Kojève, en dépit de la posture détachée du philosophe qu’il cultive, essaie de s’ériger en conseiller du prince [51]. Les analyses contenues dans le manuscrit de mai 1942 pourraient, d’après leur auteur, « servir de point de départ à des études susceptibles de mener à l’élaboration » d’un projet de révolution nationale [52]. Est-ce la raison pour laquelle peu de textes de Kojève ont suscité autant de malaise herméneutique parmi les commentateurs que La Notion de l’autorité ? Biographe de Kojève, Dominique Auffret insiste sur le fait que ce document doit « être lu au troisième degré ». Ouvrant la voie à diverses interprétations, il théorise, d’après lui, « une politique du ver dans le fruit [53] ». Quel raisonnement pourrait sous-tendre une telle prise de position ? Pierre Hassner, affirmant lui aussi qu’il ne faut pas prendre La Notion de l’autorité au sérieux, en propose deux [54]. Soit le jeune philosophe résistant l’écrit pour mieux pouvoir se mettre à l’abri de l’emprise des forces de l’ordre. Soit Kojève entreprend, avec virtuosité ironique, une expérimentation mentale qui vise à entrer dans la logique des gouvernants français.
31 Il ne s’agit pas de mettre en question l’engagement résistant de Kojève, mais de le saisir dans toute sa complexité. À cette fin, l’étude récente d’Olivier Wieviorka constitue un appui précieux. Dans son Histoire de la Résistance, il déploie la catégorie du « vichysto-résistant » dont l’action est dirigée, non pas nécessairement contre le gouvernement de Vichy, mais contre l’occupant allemand [55]. D’autres résistants, comme Henri Frenay, à la tête du groupe Combat auquel Kojève est associé, conservent, eux aussi, des contacts avec le régime de Vichy jusqu’en avril 1942 [56]. Même à la sortie de la guerre et au moment de son recrutement par l’administration française, Kojève maintient qu’il serait injuste et dangereux de « vouloir se passer de tous ceux qui ont eu la foi en la Révolution nationale et ont agi en conséquence ». L’État peut se servir utilement d’un homme capable d’aller jusqu’au bout « dans l’accomplissement d’un devoir, même mal compris ». Il doit aussi pouvoir rallier les anciens « enthousiastes plus ou moins nationaux, ainsi que tous les servants d’un travail bien fait et positif ». Il faut réunir « des membres positifs de la Résistance » aussi bien que des « fonctionnaires ayant conservé une foi en l’État » [57].
32 Vers la fin de La Notion de l’autorité, Kojève propose une analyse de « l’Autorité du Maréchal ». Avant 1939, Pétain est reconnu comme le vainqueur de Verdun. Il exerce donc l’autorité du maître. Également apprécié par l’élite du pays, il est en mesure de développer de grands projets politiques, ce qui lui vaut l’autorité du chef. La « noblesse de son caractère » et son grand âge lui donnent l’autorité du juge. Et son attitude paternelle envers le pays ainsi que son dévouement au patrimoine relèvent de l’autorité du père. Kojève considère le moment 1940 en France comme celui d’« une genèse spontanée d’Autorité politique totale [58] ».
33 Cependant, les événements de la période 1940-1942 mettent en cause l’autorité de Pétain, développement d’autant plus inquiétant que Kojève rappelle qu’un pouvoir dénué d’autorité court le risque de perdre sa légitimité. C’est d’abord l’âge du maréchal qui nuit à sa réputation de chef militaire. L’amiral Darlan devient chef du gouvernement en février 1941 et s’en empare car « il n’a jamais été battu [59] ». Ensuite, le procès de Riom, par sa « tournure malheureuse », a gravement nui à l’autorité de juge [60]. Bien que Pétain ait voulu attribuer la responsabilité de la défaite de 1940 aux hommes politiques de la Troisième République, aux premiers rangs desquels Léon Blum et Édouard Daladier, ceux-ci finissent, poursuit Kojève, par démontrer l’inaptitude de l’armée française, mal préparée et incapable de mener la guerre contre l’Allemagne [61]. Pétain, enfin, peut toujours s’appuyer sur l’autorité du père. Mais c’est peu pour diriger un pays. Faute d’un programme à même de rassembler les Français, son crédit politique pourrait s’évanouir assez vite.
34 La solution à ces impasses serait la Révolution nationale. De cette expression lourde de sens, retenons ici la signification que l’historien François Bédarida lui a donnée :
35 À côté du visage réactionnaire d’un régime orienté vers le retour au passé sous l’influence conjuguée du traditionalisme et du maurrassisme, il convient de faire une large place à un autre Vichy, populiste et modernisateur, où les relents d’un socialisme organisateur se mêlent aux aspirations communautaires, où les réformes sociales sont érigées en conditions et en gages de la cohésion nationale, où l’autorité doit aller de pair avec la justice et le bien-être du peuple avec la rationalité de l’État [62].
36 C’est par le biais de l’économiste François Perroux que Kojève se trouve dans le voisinage de ce courant politico-intellectuel [63]. Pour Kojève, la Révolution nationale conjugue un projet de planification économique, un programme politique porteur d’avenir, fonction du chef et du maître, et une appréciation de l’enracinement nécessaire dans le passé. Ainsi, la transformation de la France « s’effectue sans solution de continuité avec l’ensemble du passé ». Certes, la situation de la France en 1942 est tout sauf révolutionnaire. Aussi faudrait-il s’atteler à une opération politique subtile appelée à engendrer un « simulacre d’action révolutionnaire » qui conserve la forme politique de la France tout en « changeant ou en supprimant le contenu » [64]. Les années 1940 sont marquées, comme le note Kojève dans un autre inédit rédigé à la même époque, par le militarisme, redevable du fascisme. En raison d’une faiblesse militaire, devenue évidente en 1939, la France n’est pas en mesure de s’inscrire d’emblée dans la logique militariste. Cependant, si l’on injecte une certaine dose de traditionalisme dans le corps politique, un éveil national n’est pas impossible. Les exemples historiques ne manquent pas. La Révolution nationale de l’avenir doit se nourrir de la Révolution française du passé. Le personnage de Robespierre s’impose, selon Kojève, comme le penseur de la triade « nation, paix, travail ». Vu sous cet angle, le maréchal Pétain incarne un « Robespierre moderne » aux traits de pater familias [65].
37 Afin d’étayer l’hypothèse que la volonté d’agir au plus près des décideurs politiques se fait jour, chez Kojève, bien avant 1945, il faut relever le retentissement politique d’un texte resté inédit. Cependant, dans le fonds Kojève, on découvre au moins un destinataire de ce manuscrit. Il s’agit d’Henri Moysset, homme politique très influent dans le milieu de Vichy. De 1939 à 1941, il est chargé de mission à l’Amirauté pour les questions administratives. Il devient, par la suite, ministre d’État chargé de la coordination des institutions nouvelles et de la propagande. En avril 1942, après le retour de Laval, il perd son poste ministériel. Pourtant, jusqu’en 1943, Pétain lui-même le consulte régulièrement. Dans une lettre datée du 9 juillet 1942, Henri Moysset écrit chaleureusement à Kojève : « Une première lecture très attentive de [votre] travail me fait désirer que notre rencontre ait lieu le plus tôt possible. » Bien que « la température et l’atmosphère de Vichy » soient peu propices à « la méditation philosophique », le manuscrit lui semble d’un puissant intérêt, « et par les problèmes qu’il traite et par les questions qu’il soulève » [66].
Autorité du père et résistance chez Fessard
38 Il en va tout autrement de l’usage politique des réflexions de Fessard. Ce dernier refuse précisément de penser le régime de Pétain sous le signe de l’autorité paternelle. Pétain n’est pas le père de la nation, mais un prince-esclave. La formule fait, d’une part, écho à Machiavel, et, de l’autre, à l’esclave tel que Kojève l’a théorisé dans son séminaire sur Hegel. Dans le sillage de Kojève, Fessard peut ainsi définir l’esclave comme celui qui fuit « la mort dont le menace le vainqueur » de la lutte [67]. Appliqué à la situation politique après la défaite, le gouvernement de la France, quoique formellement prince, est un esclave ayant accepté la soumission au maître, en l’occurrence allemand, en vue du maintien de sa propre existence.
39 Fessard rédige le tract dit du « Prince-Esclave » en août et septembre 1942. Il s’agit d’un texte postérieur à Autorité et bien commun, mais aussi à La Notion de l’autorité de Kojève. La situation politique de la France occupée se complique. Le joug allemand se durcit. Laval entend intensifier la collaboration. Et Fessard s’en prend à ses confrères qui prônent la soumission à Pétain et aux Allemands comme seule attitude convenable pour un chrétien. Dans ce texte, il est à nouveau question du bien commun et de ses composants [68]. La sécurité des membres de la société est un bien commun élémentaire ; s’y ajoute le règne de la justice ; enfin, il faut prendre en compte l’idéal par lequel vit une société, constituant ainsi le bien commun supérieur. L’autorité d’un gouvernement résulte du maintien de l’unité de ces trois facteurs. Du point de vue international, la France est une nation vaincue : qu’est-ce que le gouvernement peut raisonnablement exiger des citoyens ? Le pays entier est soumis à l’envahisseur. « En signant l’armistice, le peuple agit selon la maxime de l’esclave », comme l’explique Fessard dans un mémoire secret remis au cardinal Emmanuel Suhard en octobre 1942 [69].
40 Le gouvernement de Pétain est irrémédiablement marqué par les conditions de son émergence. « Prince, ce gouvernement ne l’est, en effet, que pour avoir dès l’origine consenti à l’esclavage vis-à-vis du vainqueur [70]. » Il a conclu l’armistice qui assure l’existence et, jusqu’à un certain degré, la sécurité des Français. Mais ce faisant, le gouvernement né de la défaite a renoncé à l’idéal qui animait jusque-là la société française. Pétain se trouve ainsi dans l’impossibilité de procurer le bien commun supérieur. Le gouvernement d’un Prince-Esclave ne peut être pleinement légitime. En tant que prince, Pétain mérite respect. En tant qu’esclave des Allemands, son statut de gouvernant est radicalement ambigu :
41 De leur côté, les membres du peuple doivent d’une part obéir aux ordres du Prince en tant qu’ils visent à sauvegarder l’existence et la sécurité du pays et à y restaurer les valeurs nationales, de l’autre leur opposer une légitime résistance en tant qu’ils cherchent à entraîner le peuple vers le reniement positif de ces Valeurs [71].
42 Les Français devraient se résigner à la coopération matérielle. Mais plus leurs maîtres politiques s’enfoncent dans la collaboration, plus ils sont en droit de s’engager dans une résistance résolue, et ceci précisément en accord avec les principes de l’autorité paternelle divine. La résistance s’inscrit dans une tentative de refonte des conditions ouvrant la voie au règne du bien commun où le maître politique devient « père dans la puissance de sa domination [72] ».
43 À peine un an plus tard, la situation politique se présente, pour Kojève, sous un jour fort différent. Après le débarquement des Alliés en Afrique du Nord, la zone libre a été envahie, le 11 novembre 1942, par les Allemands et les Italiens. Parmi ceux qui s’étaient ralliés à l’idée d’un gouvernement vichyste modernisateur, se fait sentir un certain désenchantement. Kojève, plongé dans la rédaction de son Esquisse d’une phénoménologie du Droit en 1943, ne semble pas non plus miser sur le gouvernement de Vichy. Si, dans l’Esquisse, l’autorité paternelle n’est pas escamotée, elle occupe de ce fait une place beaucoup plus circonscrite dans la vie politique. Finies les spéculations sur la meilleure combinaison politique, au service ou non de la Révolution nationale, des quatre types d’autorité. Dans l’État, écrit Kojève, l’autorité du père n’a droit de cité que sous forme « dérivée », c’est-à-dire en tant que domaine du droit familial [73]. L’arène politique au sens étroit est à nouveau cédée au chef et au maître.
44 ***
45 La trajectoire du concept de l’autorité ainsi retracée prend donc la figure d’un chiasme. Au cours des années 1930, Kojève défend un communisme radical et athée tandis que le père Fessard met en garde contre le stalinisme et développe un hégélianisme catholique ; dans les années 1940, Kojève conceptualise l’autorité du maréchal Pétain en ayant recours à une version sécularisée de la figure du père, alors que Fessard s’engage dans la Résistance, en reprenant à son compte des concepts développés par Kojève dans les années 1930. Et le concept de l’autorité du père, sous des formes toujours renouvelées et de façon plus ou moins subreptice, a continué d’influencer la pensée française du xxesiècle [74]. L’historicisation de ces écrits philosophiques apporte ainsi un double éclairage. Dans la mesure où elle inscrit l’usage du concept de l’autorité dans le contexte des années 1940, elle fait apparaître l’engagement politique de Kojève et de Fessard sous une lumière nouvelle. Inversement, c’est en temps de guerre et d’occupation que l’interrogation sur le devenir de l’autorité dans les sociétés modernes s’impose avec urgence.
Notes
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[1]
Je remercie les trois évaluateurs anonymes de la revue pour leurs commentaires précieux. À travers leur relecture, Perrine Simon-Nahum, Olivier Baisez et Olivier Surel m’ont également fourni des suggestions utiles.
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[2]
Sur la spécificité de l’autorité dans les régimes démocratiques, voir : Robert Alan Dahl, « Varieties of Democratic Authority », in After the Revolution? Authority in a Good Society, New Haven, Yale University Press, 1990, éd. augmentée, pp. 45-79 ; Thomas Christiano, The Constitution of Equality. Democratic Authority and its Limits, Oxford, Oxford University Press, 2008 ; David M. Estlund, L’Autorité de la démocratie. Une perspective philosophique, Paris, Hermann, 2011 (1re éd. 2008). Pour une perspective historique sur les formes possibles que peut prendre l’autorité, voir Oliver Kohns, Till van Rahden et Martin Roussel (dir.), Genealogie der Autorität. Texte zur politischen Ästhetik, Munich, Fink, 2016. Sur le point de vue juridique, voir Scott J. Shapiro, « Authority », in Jules L. Coleman, Kenneth Einar Himma et Scott J. Shapiro (dir.), The Oxford Handbook of Jurisprudence and Philosophy of Law, Oxford, Oxford University Press, 2002, pp. 382-439.
-
[3]
Yves Cohen, Le Siècle des chefs. Une histoire transnationale du commandement et de l’autorité (1891-1940), Paris, Éditions Amsterdam, 2013, pp. 64, 12.
-
[4]
Lettre de Gaston Fessard à Alexandre Kojève, datée du 28 juillet 1934, Bibliothèque nationale de France, fonds « Kojève », boîte XX.
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[5]
Lettre de Gaston Fessard à Alexandre Kojève, datée du 25 juin 1935, BNF, fonds « Kojève », boîte XX.
-
[6]
C’est ce qui se produira à la parution de l’Introduction à la lecture de Hegel (Paris, Gallimard, 1947). Sous le choc, un auteur anonyme conclut, dans son compte rendu publié dans une revue trotskiste, que « s’il est vrai que Hegel était déjà “marxiste” », comme Kojève le fait entrevoir, « toutes les critiques adressées par Marx à Hegel perdraient leur sens » (A. A., « Hegel était-il marxiste ? », Revue internationale, no 12, 1947).
-
[7]
Gaston Fessard, « Pax nostra ». Examen de conscience internationale (Paris, Grasset, 1936), et La Main tendue. Le dialogue catholique-communiste est-il possible ? (Paris, Grasset, 1937).
-
[8]
Alexandre Kojève, « Compte rendu de deux ouvrages de Gaston Fessard, Pax nostra : examen de conscience internationale et La Main tendue ? Le dialogue catholique-communiste est-il possible ? », in Gwendoline Jarczyk et Pierre-Jean Labarrière, De Kojève à Hegel : cent cinquante ans de pensée hégélienne en France, Paris, Albin Michel, 1996, p. 136.
-
[9]
Lettre de W. Stellmann à Alexandre Kojève, datée du 22 mars 1934, BNF, fonds « Kojève », boîte XX.
-
[10]
Lettre d’Alexandre Kojève à Gaston Fessard, datée du 19 juin 1939, in Gabriel Marcel et Gaston Fessard, Correspondance (1934-1971), Paris, Beauchesne, 1986, p. 509.
-
[11]
François Terré, « Alexandre Kojève, philosophe du droit », Revue de sciences morales et politiques, no 3, 1992, pp. 387-407.
-
[12]
Dominique Auffret, Alexandre Kojève. La philosophie, l’État, la fin de l’histoire, Paris, Hachette, 1997 (1re éd. 1990), pp. 373-375 ; Léon Poliakov, Mémoires, Paris, Jacques Grancher, 1996, pp. 91-96.
-
[13]
Hager Weslati, « Kojève’s Letter To Stalin », Radical Philosophy, no 184, 2014, p. 12.
-
[14]
Pour une étude récente de la Résistance, se reporter à Robert Gildea, Fighters in the Shadows: A New History of the French Resistance, Cambridge, Harvard University Press, 2015.
-
[15]
Alexandre Kojève, « L’empire latin. Esquisse d’une doctrine de la politique française », manuscrit daté du 27 août 1945, BNF, fonds « Kojève », boîte XIII, p. 46.
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[16]
Frédéric Louzeau, « Introduction », in Gaston Fessard, Autorité et bien commun, Paris, Ad Solem, 2014, p. 31 note 2.
-
[17]
Ibid., p. 21.
-
[18]
Lettre de Leo Strauss à Alexandre Kojève, datée du 16 janvier 1934, in Leo Strauss, De la Tyrannie : suivi de correspondance avec Alexandre Kojève, Paris, Gallimard, 1997, p. 262.
-
[19]
Dans un mémoire remis au cardinal Emmanuel Suhard (1874-1949) le 12 octobre 1942 et rédigé durant l’été 1942, Fessard emploie d’autres termes pour préconiser la distinction entre transmission et genèse de l’autorité. L’erreur consisterait à « attribuer ainsi valeur de fondement à ce qui n’est que signe » (« Collaboration et Résistance au Pouvoir du Prince-Esclave », in Frédéric Louzeau, L’Anthropologie sociale du père Gaston Fessard, Paris, Puf, 2009, p. 675).
-
[20]
Alexandre Kojève, La Notion de l’autorité (1942), Paris, Gallimard, 2004, p. 102.
-
[21]
Gaston Fessard, Autorité et bien commun, op. cit., pp. 42, 41.
-
[22]
Ibid., p. 86.
-
[23]
Ibid., p. 88.
-
[24]
Ibid., p. 101.
-
[25]
Ibid., pp. 117, 97.
-
[26]
Alexandre Kojève, La Notion de l’autorité, op. cit., p. 51.
-
[27]
Ibid., pp. 132, 119.
-
[28]
Ibid., p. 80.
-
[29]
Gaston Fessard, Autorité et bien commun, op. cit., p. 50.
-
[30]
Gaston Fessard, ibid., pp. 53, 55.
-
[31]
Ibid., p. 80.
-
[32]
Alexandre Kojève, La Notion de l’autorité, op. cit., p. 137.
-
[33]
Ibid., p. 58.
-
[34]
Ibid., p. 62. Le droit et son lien avec l’autorité deviennent pourtant le thème central du deuxième écrit de guerre de Kojève, à savoir l’Esquisse d’une phénoménologie du droit (voir ci-dessous).
-
[35]
Alexandre Kojève, Esquisse d’une phénoménologie du droit, Paris, Gallimard, 1981, p. 499 note 1.
-
[36]
Jean-Claude Monod, Qu’est-ce qu’un chef en démocratie ? Politiques du charisme, Paris, Seuil, 2012, p. 70.
-
[37]
Gaston Fessard, Autorité et bien commun, op. cit., p. 124.
-
[38]
Alexandre Kojève, La Notion de l’autorité, op. cit., p. 63.
-
[39]
Ibid., p. 83.
-
[40]
Gaston Fessard, Autorité et bien commun, op. cit., p. 142.
-
[41]
Alexandre Kojève, La Notion de l’autorité, op. cit, p. 61. Comme s’il cherchait à faire écho à la logique déployée par Fessard, Kojève s’interroge sur la plausibilité du recours à l’explication suivant laquelle il y a une tendance naturelle « à aimer celui dont [l’homme] reconnaît l’Autorité, ainsi qu’à reconnaître l’Autorité de celui qu’il aime ». Mais Kojève précise aussitôt que « les deux phénomènes restent néanmoins nettement distincts ».
-
[42]
Ibid., p. 108. Plus précisément, la volonté générale présente un mixte d’autorité, mêlant la fonction du père et celle du juge.
-
[43]
Ibid., p. 141.
-
[44]
Ibid., p. 143.
-
[45]
Originalité relative, puisque Kojève reprend des intuitions présentées par Alexandre Koyré dans « Hegel à Iéna », Revue philosophique, 118, n° 9-10, 1934, p. 274-283 (repris in Alexandre Koyré, Études d’histoire de la pensée philosophique en France, Paris, Gallimard, 1971, pp. 135-174).
-
[46]
Alexandre Kojève, La Notion de l’autorité, op. cit., p. 74.
-
[47]
Ibid., p. 116.
-
[48]
Ibid., p. 151.
-
[49]
Ibid., p. 119.
-
[50]
Ibid., p. 166. Cependant, l’autorité du maître est vouée à la disparition une fois que l’État mondial aura rendu impossibles guerre et révolution.
-
[51]
François Terré, « Présentation », in Alexandre Kojève, La Notion de l’autorité, op. cit., p. 42. Nina Kousnetzoff, nièce et ayant-droit des inédits de Kojève, confirme par ailleurs que Kojève s’est parfois vanté devant ses proches d’avoir rédigé une constitution pour Vichy (entretien du 6 mai 2011).
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[52]
Alexandre Kojève, La Notion de l’autorité, op. cit., p. 197.
-
[53]
Dominique Auffret, Alexandre Kojève…, op. cit., p. 267.
-
[54]
Pierre Hassner, « Le phénomène Kojève », Commentaire, no 127, hiver 2009-2010, p. 878.
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[55]
Olivier Wieviorka, L’Histoire de la Résistance, 1940-1945, Paris, Perrin, 2015. L’incident relaté par Marco Filoni vient conforter cette hypothèse : Kojève aurait tenté de convaincre un régiment allemand constitué de Tatars de Crimée, d’anciens prisonniers de guerre convertis en combattants, de déserter l’armée nationale-socialiste (Le Philosophe du dimanche : la vie et la pensée d’Alexandre Kojève, Paris, Gallimard, 2010, p. 263).
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[56]
Pierre Giolitto, Henri Frenay : premier résistant de France et rival du Général de Gaulle, Paris, L’Harmattan, 2005.
-
[57]
Ces citations sont tirées d’Alexandre Kojève, « L’empire latin. Esquisse d’une doctrine de la politique française » (27 août 1945), loc. cit., pp. 46-48.
-
[58]
Alexandre Kojève, La Notion de l’autorité, op. cit., pp. 188-189.
-
[59]
Pour une biographie de François Darlan (1881-1942), voir Henri Michel, François Darlan : amiral de la Flotte (Paris, Hachette, 1993).
-
[60]
Alexandre Kojève, La Notion de l’autorité, op. cit., p. 191.
-
[61]
Henri Michel, Le Procès de Riom, Albin Michel, Paris, 1979.
-
[62]
François Bédarida, « Introduction », in Denis Peschanski (dir.), Vichy 1940-1944 : Quaderni e documenti inediti di Angelo Tasca, Paris-Milan, CNRS-Feltrinelli, 1986, p. xiv.
-
[63]
Antonin Cohen, « Du corporatisme au keynesianisme. Continuités pratiques et ruptures symboliques dans le sillage de François Perroux », Revue française de science politique, 56, no 4, 2006, pp. 555-592.
-
[64]
Alexandre Kojève, La Notion de l’autorité, op. cit., p. 195.
-
[65]
Alexandre Kojève, « Principes généraux », manuscrit autographe daté de 1942, BNF, fonds « Kojève », boîte XIII.
-
[66]
Lettre de Henri Moysset à Alexandre Kojève, datée du 9 juillet 1942, BNF, fonds « Kojève », boîte XX.
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[67]
Gaston Fessard, Autorité et bien commun, op. cit., p. 54.
-
[68]
Ces textes ont été rassemblés dans le recueil intitulé Au temps du Prince-Esclave. Écrits clandestins et autres écrits (1940-1945), Limoges, Critérion, 1989.
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[69]
Gaston Fessard, « Collaboration et Résistance au Pouvoir du Prince-Esclave » (1942), in Frédéric Louzeau, L’Anthropologie sociale du père Gaston Fessard, op. cit., p. 713.
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[70]
Ibid., p. 720.
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[71]
Ibid., p. 724.
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[72]
Gaston Fessard, Autorité et bien commun, op. cit., p. 107.
-
[73]
Alexandre Kojève, Esquisse d’une phénoménologie du Droit, op. cit., p. 498 note 1.
-
[74]
C’est l’hypothèse émise par Pierre Legendre dans la nouvelle préface à son ouvrage L’Amour du censeur. Essai sur l’ordre dogmatique, Paris, Seuil, 2005 (1re éd. 1974).