Notes
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[1]
Ce travail a été rendu possible grâce à une bourse Lavoisier du ministère des Affaires Étrangères. Nos remerciements vont à Rahul Markovits et aux deux lecteurs anonymes pour leurs remarques.
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[2]
Cette étude inclut aussi la francophonie belge et suisse.
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[3]
C’est le pari de lecture d’un sociologue comme Romain Pudal. Il écrit dans « La difficile réception de la philosophie analytique en France » (Revue d’histoire des sciences humaines, 2004/2, n° 11, p. 71-2) : « La distance géographique, souvent doublée d’un décalage temporel, fait donc apparaître une série de malentendus qui ont souvent le mérite d’être très éclairants sur les principes de fonctionnement et les a priori propres à un champ intellectuel donné. L’effet d’étrangeté produit par une théorie “exotique” contraint ceux des acteurs qui s’y intéressent à expliciter leur habitus intellectuel et professionnel, largement surdéterminé par les enjeux et les principes régulateurs du champ auquel ils appartiennent. » Et lui-même de citer Bourdieu, « les textes voyagent sans leur contexte », et Gérard Mauger, dans sa « Note sur le commerce international des idées » : « ceux qui les reçoivent ignorent tout le plus souvent du champ de production dont ils sont le produit, ignorent aussi le sens et la fonction de ces textes dans leur champ d’origine et les réinterprètent spontanément en fonction de la structure du champ de réception ».
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[4]
Cf. en particulier son mémoire « Sur la valeur de la pesanteur à Paris », publié dans les Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences, t. 90, Paris, Gauthier-Villars, 21 juin 1880, p. 1401-3 ; et examiné dans La Revue scientifique de la France et de l’étranger, Paris, Mallet-Bachelie, 1880, p. 454 ; Le Cosmos, revue des sciences et de leurs applications, vol. 52, Paris, Germer Baillière, 1880, p. 168 ; L’Année scientifique et industrielle, vol. 25, Paris, Hachette, 1882, p. 32 ; Collection de mémoires relatifs à la physique, vol. 5, Paris, Gauthier-Villars, 1891, p. xxxix.
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[5]
On a identifié une véritable « croisade magnétique » dans la science britannique du xixe siècle, conduite notamment par Edward Sabine, H. Lloyd et J. Herschel. La détermination du géomagnétisme apparut à cette époque comme la nouvelle tâche du newtonianisme. Cf. notamment J. Cawood, « The Magnetic Crusade: Science and Politics in Early Victorian Britain », Isis, vol. 70, 1979, n° 254, p. 493-518.
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[6]
La Revue scientifique de la France et de l’étranger, vol. 26, 1880, p. 22. L’astronome Hervé Faye, Président du Conseil de l’Observatoire de Paris et auteur d’une méthode d’oscillation des pendules discutée par Peirce en 1879 (cf. Writings of Charles S. Peirce, vol. 4, p. 12-20), avait en effet été chargé par Peirce, dans une missive joliment tournée en français (lettre du 23 juill. 1880, cf. Writings of Charles S. Peirce, vol. 4, p. 157-60), de lire pour lui une note sur le « meilleur appareil pour l’établissement du pendule » lors d’une conférence à Munich, à laquelle il ne put assister à cause de tristes nouvelles sur la santé de son père qui l’obligèrent à repartir pour l’Amérique (Benjamin Peirce devait mourir quelques mois plus tard).
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[7]
Cf. Adrien Guérhard, « Une curieuse représentation géographique. La mappemonde carrée de M. C.-S. Peirce », La Nature : revue des sciences et de leurs applications aux arts et à l’industrie, vol. 14, Paris, Masson, 1886, p. 114-8.
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[8]
Cf. Pierre Puiseux, La Terre et la Lune. Forme extérieure et structure interne, Paris, Gauthier-Villars, 1908, p. 57.
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[9]
Cf. Léon Cristiani, qui fait de W. James et de F.C.S. Schiller les continuateurs d’un mystérieux « Samuel Peirce » (Le Problème de dieu et le pragmatisme, Paris, Bloud et Cie, 1908, p. 8). Même Gérard Deledalle (La Philosophie peut-elle être américaine ?, Paris, Jacques Grancher, 1995, p. 164) prétend que l’astronome Le Verrier connaissait Peirce, mais il s’agit évidemment du père.
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[10]
C. André et A. Angot, L’astronomie pratique et les observatoires en Europe et en Amérique, Paris, Gauthier-Villars, 1877, p. 61.
-
[11]
La Revue scientifique, 1880, p. 592. Les résultats de Charles S. Pierce (sic) à partir des données fournies par Maxwell y sont qualifiés de fiables.
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[12]
Paul Tannery, « Critique de la loi de Weber », Revue Philosophique, 15, 1884, p. 15-35.
-
[13]
Paul Tannery, « À propos de la loi de Weber », Revue Philosophique, 21, 1886, p. 386-387.
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[14]
Revue Philosophique, 12, décembre 1896, p. 613-634.
-
[15]
Il figure notamment dans l’Annuaire des mathématiciens de l’Académie des sciences des États-Unis en 1901-1902. La Revue Philosophique évoque « le mathématicien C.S. Peirce » (7, 1879, p. 588) ; la Revue d’apologétique fait de même en 1907, p. 620.
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[16]
Revue philosophique, 9, 1880, p. 366.
-
[17]
Souligné dans les Mémoires de la Société des Sciences Physiques et Naturelles de Bordeaux, Société des sciences naturelles et physiques du Maroc, Institut scientifique chrétien, 1890, p. lxxvii.
-
[18]
Bulletin des sciences mathématiques et astronomiques, 1884, p. 77.
-
[19]
« Cyclis solutions of the school-girl puzzle, by Benjamin Peirce, professor of Astronomy and Mathematics in Harvard University », Astronomical Journal, vol. 6, n° 142, Cambridge, 7 décembre 1860, p. 169-174.
-
[20]
« Solutions de Peirce », Récréations mathématiques par Édouard Lucas, Paris, Gauthier-Villars et fils, 1883, p. 196.
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[21]
Par exemple en 1897 dans L’Intermédiaire des mathématiciens, la revue de Charles-Ange Laisant, p. 162.
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[22]
Revue pratique d’apologétique, 1907, p. 620. À cette date (et surtout de la part de cette revue), il ne serait pas impossible que l’appellatif signifie un refus délibéré de le considérer comme un philosophe.
-
[23]
Sur ces travaux, cf. notamment Paul Shields, « Peirce’s Axiomatization of Arithmetic », in Houser, N., Don D., et Van Evra, James W. (éd.), Studies in the Logic of Charles S. Peirce, Bloomington, Indiana University Press, 1997, p. 43-52.
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[24]
Revue Philosophique, 13, 1882, p. 339. La Revue Philosophique a également reçu en 1882 Brief Description of the Algebra of Relatives et, du père, la fameuse Linear Associative Algebra.
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[25]
Cf. « As for Dedekind, his little book Was sind und was sollen die Zahlen ? is most ingenious and excellent. But it proves no difficult theorem that I had not proved or published years before, and my paper had been sent to him. » (Collected Papers of Charles S. Peirce, 4.331, c. 1905). Peirce revient sur les avantages comparés de leurs approches dans une lettre publiée adressée à l’éditeur de Science (aaas, vol. 11, n° 2, 16 mars 1900, p. 430-3). Sur cette querelle de priorité, cf. notamment Jean-Pierre Belna, La Notion de nombre chez Dedekind, Cantor, Frege. Théories, conceptions et philosophie, Paris, Vrin, 1996 (p. 58-60 en particulier). J.-P. Belna soutient que, malgré la revendication peircienne, la rédaction primitive de Dedekind serait antérieure. En outre, l’exposé de Peirce semble moins précis et rigoureux, et omet la définition par récurrence (théorème n° 126 chez Dedekind).
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[26]
Revue Philosophique, 15, 1883, p. 584.
-
[27]
Revue Philosophique, 31, 1891, p. 218.
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[28]
Cf. Sophie Bryant, « Sur la nature et les fonctions d’un langage symbolique complet », Mind, recensé dans la Revue Philosophique, 26, 1888, p. 206 ; cf. aussi Paul Tannery, « La connaissance mathématique », Revue Philosophique, 46, 1898, p. 432-3.
-
[29]
Ministère de l’Instruction publique, p. 213-5.
-
[30]
Histoire générale du ive siècle à nos jours, Ernest Lavisse, Alfred Rambaud (dir.), Paris, Armand Colin, 1901, p. 562. Nous reviendrons sur le rapprochement avec Peano.
-
[31]
Louis Liard, Les Logiciens anglais contemporains, Paris, Germer Baillière, 1878, p. 148.
-
[32]
Paul Tannery, Recension de « C. S. Peirce, On the algebra of logic », Revue Philosophique, 12, 1881, p. 647.
-
[33]
Idem, p. 650.
-
[34]
Revue de Métaphysique et de Morale, 5, supplément au numéro de novembre 1897, p. 11.
-
[35]
Revue Philosophique, 15, 1883, p. 584.
-
[36]
Revue Philosophique, décembre 1878, p. 553-569.
-
[37]
Revue Philosophique, janvier 1879, p. 39-57.
-
[38]
Popular Science Monthly, novembre 1877, p. 1-15 et janvier 1878, p. 286-302 respectivement.
-
[39]
Peirce, dont la maîtrise de la langue de Molière était plus qu’honorable, est censé avoir rédigé « Comment rendre nos idées claires » directement en français avant de le traduire dans sa langue natale, puis avoir lui-même traduit en français « The Fixation of Belief ». Une lettre à Christine Ladd-Franklin de 1904 nous apprend que ce dernier a été écrit au cours d’un de ses voyages en Europe, « by way of practice, » pour préparer une de ses présentations en français devant l’Association géodésique à Paris. Les versions françaises ont été revues par Léo Seguin, ancien communard et professeur de français à New York où Peirce le rencontra, et à qui Peirce fait crédit (dans une note épinglée au volume intitulé « Papers in Logic » qu’il laissa à la Johns Hopkins University Library) de la supériorité du texte français sur la version parue dans le Popular Science Monthly. Sur les différences entre ces versions, cf. Gérard Deledalle, « English and French versions of C.S. Peirce’s “The Fixation of Belief” and “How to make our ideas clear” », Transactions of the Charles S. Peirce Society, 1981, vol. 17, n° 2, p. 141-152. La conclusion en est : « Peirce loved France, its language, its wines, its liberalism, and its culture. There can be no other reason than this blind love to account for the fact that Peirce preferred the French versions of the articles on pragmatism to the English versions ».
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[40]
Gérard Deledalle, art. cit.
-
[41]
Revue Philosophique, 7, 1879, p. 588.
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[42]
Par exemple, René Berthelot, Un Romantisme utilitaire : Étude sur le mouvement pragmatiste. vol. 1 : Le Pragmatisme chez Nietzsche et chez Poincaré, Paris, Félix Alcan, 1911, p. 7 : « L’article de Peirce fut traduit en français […] ; il n’attira que peu d’attention et jusqu’en 1898, il paraît avoir été oublié. » Cf. aussi Georges Sorel : « La traduction de cet article, qui a paru dans la Revue philosophique (janv. 1879) ne semble pas avoir eu d’influence avant l’époque où les idées de William James eurent pénétré chez nous » (De l’utilité du pragmatisme, Paris, Marcel Rivière, 1921, p. 5). On apprend dans (Willy Gianinazzi, Naissance du mythe moderne. Georges Sorel et la crise de la pensée savante (1889-1914), Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2006, p. 53) que Sorel n’a lu Peirce qu’en référence aux écrits de James, bien qu’il ait emprunté à la bibliothèque en 1885 le fascicule de la Revue philosophique de 1879 qui contenait la traduction du texte de Peirce.
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[43]
« Action réflexe et théisme », Critique Philosophique, 1881, p. 403. James mentionne en particulier « Comment rendre nos pensées claires ? », lui-même ou son traducteur commettant de la sorte une imprécision sur le titre.
-
[44]
Paul Tannery, Recension de « C. S. Peirce, On the algebra of logic », Revue Philosophique, 12, 1881, p. 646.
-
[45]
C’est-à-dire l’ensemble des six articles, parmi lesquels « The Fixation of Belief » et « How to Make Our Ideas Clear, » publiés en 1876-7 dans le Popular Science Monthly.
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[46]
La première a été fondée en 1890 par Paul Carus, la seconde date, comme la Revue thomiste, fondée par des dominicains, de 1893, la Revue philosophique de Louvain (ou Revue néoscolastique) ayant été créée un an plus tard.
-
[47]
Revue de Métaphysique et de Morale, 1, n° 2, 1893. « Macbrie » est certainement G.M. McCrie, l’auteur de « Issues in “Synechism” », article qui critique la conception peircienne de la continuité et du hasard absolu.
-
[48]
Le rapprochement avec Hume est fait par Carus dans « Mr. Charles S. Peirce’s Onslaught on the Doctrine of Necessity », The Monist 2, 1892, p. 560-582. Les deux hommes estiment en effet, contrairement à Carus, que la nécessité n’est ni a posteriori ni postulée.
-
[49]
Revue Thomiste, 1894, p. 813-4.
-
[50]
Esquisse d’une interprétation du monde, Paris, Félix Alcan, 1913, p. 195.
-
[51]
On pourrait renvoyer à de nombreux ouvrages. Cf., entre autres, Hans Joas, Pragmatism and Social Theory, Chicago, The University of Chicago Press, 1993, p. 74: « The portrayals of pragmatism are often distorted to the point of caricature […]. The characterizations range from a description of pragmatism as a particularly primitive form of empiricism, utilitarianism, or positivism through to pragmatism as the ideology of “big business” or to protofascist decisionism. »
-
[52]
Des catholiques modernistes tels Blondel, Le Roy ou Loisy peuvent ainsi se dire pragmatistes. Sorel se dit convaincu que Dogme et critique (1907) a été inspiré à Édouard Le Roy par la lecture de Peirce. Cela semble à tout le moins improbable. L’influence de James est en revanche avérée.
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[53]
Dans Pragmatisme et modernisme, Jean Bourdeau fait du pragmatisme « une réaction contre la philosophie rationaliste, intellectualiste », et « un nouveau positivisme, lequel diffère de l’ancien en ce qu’il n’exclut pas les problèmes religieux et métaphysiques » (Paris, Félix Alcan, 1909).
-
[54]
Cf. Hans Joas, op. cit., p. 55 : « Pragmatism fared no better in Europe, where its reception was burdened from the very beginning by a shortsighted identification of its underlying these with those of the philosophies of life projected by Nietzsche and Bergson. For all the undeniable affinities between these discrete currents of thought, pragmatism was unhappily received because it accentuated aspects to which well-rehearsed critical arguments about the philosophy of life could easily be applied. This perhaps explains why so much more attention was devoted to the work of William James than to that of Charles Peirce […] »
-
[55]
Il se qualifie de pragmatiste à partir de 1888 (cf. H.S. Thayer, Meaning and Action. A Critical History of Pragmatism, Indianapolis, The Bobbs-Merrill Company, 1968, p. 6).
-
[56]
D’après André Lalande dans « Pragmatisme et pragmaticisme », Revue philosophique, 61, 1906, p. 123. Cf. aussi Lizzie Susan Stebbing, Pragmatism and French Voluntarism, Cambridge, Cambridge University Press, 1914, p. 84. Afin de limiter l’équivoque, Blondel cesse de se qualifier de pragmatiste après 1902.
-
[57]
Cf. le sous-titre de son essai : Pragmatism, A New Name for some Old Ways of Thinking.
-
[58]
« L’idée de vérité d’après William James et ses adversaires », Revue Philosophique, 71.4, avril 1911, p. 1-26.
-
[59]
1898 est une approximation raisonnable, correspondant à la diffusion du mot par James. J. Bourdeau écrit en 1907 que les vocables pragmatisme et pragmaticisme « indiquent une nouvelle mode en philosophie […] un nouveau mode de philosopher, qui s’est répandu depuis une quinzaine d’années ». Mais en 1902 encore, la Société française de philosophie, au cours d’une discussion de l’emploi du mot « pragmatisme » par Blondel, semble complètement ignorante de son usage anglo-américain (cf. Bulletin de la Société française de philosophie, t. 2, juill. 1902 (séance du 29 mai 1902), p. 190-2).
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[60]
Cette version, moins partagée, est celle de C. Dessoulavy, dans « Le Pragmatisme », Revue de Philosophie, 7.1, juillet 1905, p. 89-94.
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[61]
Recension de l’article « Pragmatism » de Cadwell paru dans The Monist, Revue Philosophique, 51, 1901, p. 223.
-
[62]
Revue Philosophique, 54, 1902, p. 526.
-
[63]
Revue de Métaphysique et de Morale, 10, 1902, p. 522.
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[64]
Recension de l’article « Le Pragmatisme comme méthode philosophique » de Irving King paru dans Philosophical Review en 1903, Revue philosophique, 58, 1904, p. 426.
-
[65]
René Berthelot, op. cit., p. 8. Ces qualificatifs préparent surtout le contraste avec le « pragmatisme » audacieux et poétique du « prophète des aristocraties futures », Nietzsche.
-
[66]
Théodore Flournoy, La philosophie de William James, St-Blaise, 1911, p. 62. Peirce n’avait en réalité que trois ans de plus que James, mais il n’est pas anodin que l’outsider de Milford se trouve ainsi remisé dans le placard de l’histoire.
-
[67]
La Revue Philosophique (54, 1902, p. 526) déplore ainsi douze ans avant l’heure fatidique la mort de « feu son compatriote, trop peu connu en Europe, le philosophe Peirce ».
-
[68]
Mercure de France, vol. 70, 1907, p. 390. Cf. de même la Revue philosophique de Louvain, 1907, p. 221 ; Émile Boutroux, William James, Paris, Colin, 1911, p. 69 ; Carlos Vaz Ferreira, Le pragmatisme, Montevideo, Tall. graf. A. Barreiro y Ramos, 1914 (cours prononcé à Montevideo en 1908).
-
[69]
Françoise Mentré, « Note sur la valeur pragmatique du pragmatisme », Revue de Philosophie, 11.1, 1er juillet 1907, p. 6.
-
[70]
Léon Cristiani, Le Problème de dieu et le pragmatisme, Paris, Bloud et Cie, 1908.
-
[71]
Par exemple citée par le Bulletin de la société française de philosophie, vol. 8, 1907, p. 336.
-
[72]
Jean Bourdeau, Pragmatisme et modernisme, Paris, Félix Alcan, 1909, p. 41.
-
[73]
Léon Noël, « Bulletin d’épistémologie : Le Pragmatisme », Revue néoscolastique 14.2, mai 1907, p. 220-243.
-
[74]
Art. cit., p. 18.
-
[75]
Le Pragmatisme, étude de ses formes anglo-américaines, françaises et italiennes, Paris, Émile Nourry, Bibliothèque de critique religieuse, 1908. Sa recension par François Pillon dans L’Année philosophique de 1908 (vol. 19, Paris, Félix Alcan, p. 208-9) est globalement sympathique, et se confronte au « paradoxe diamétralement opposé à l’intellectualisme exagéré » que propose le pragmatisme selon Hébert (op. cit., p. 100).
-
[76]
Dont on trouve un très bon exemple dans l’Anti-pragmatisme du Suisse Albert Schinz (Anti-pragmatisme : Examen des droits respectifs de l’aristocratie intellectuelle et de la démocratie sociale, Paris, Félix Alcan, 1909), lequel ne mentionne du reste Peirce (p. 11) que pour annoncer qu’il ne s’occupera pas des « nuances diverses » qui traversent le courant pragmatiste !
-
[77]
Op. cit., p. 12. Cette critique s’inspire vraisemblablement de Schiller, qui se voit obligé de radicaliser le principe pour ne pas verser dans l’insignifiance.
-
[78]
« What Pragmatism is » ; article « Pragmatism » du dictionnaire de Baldwin ; « The Issues of Pragmatism ». Lalande utilise en outre le texte de « Comment rendre nos idées claires ».
-
[79]
Le catalogue Robin des manuscrits et lettres de Peirce mentionne trois brouillons de lettres de Peirce à Lalande datés des 22 et 23 novembre 1905. La lettre du 22 novembre a été publiée par Gérard Deledalle (« La nature du pragmatisme », Revue philosophique, 159, 1969, p. 38).
-
[80]
André Lalande, « Pragmatisme et pragmaticisme », art. cit. Jean Bourdeau, dans Pragmatisme et modernisme (op. cit., 1909, chapitre écrit en 1907, p. 40), confesse ne connaître d’autre étude d’ensemble sur le pragmatisme que cet article de Lalande, qui est « le meilleur guide » en la matière.
-
[81]
André Lalande, « Le Mouvement logique », Revue Philosophique, 63.3, mars 1907, p. 256-288.
-
[82]
Giovanni Vailati, « Pragmatism and Mathematical Logic », The Monist, 16.4, 1906, p. 481-491.
-
[83]
Cf. F.C.S. Schiller, « Axioms as Postulates », in H. Sturt (éd.), Personal Idealism, Londres et New York, Macmillan, 1902, p. 47-133. En réalité, Peirce se prononce contre cette position, cf. sa recension de Personal Idalism dans The Nation du 4 juin 1903.
-
[84]
Cf. René Berthelot, op. cit., dont un chapitre du premier livre porte explicitement sur Peirce et Nietzsche.
-
[85]
André Lalande, Recension de Truth and reality de John Elof Boodin, Revue philosophique, 77, 1914, p. 194.
-
[86]
Recension par Lalande du Dictionnaire philosophique de l’Abbé Elie Blanc, Revue Philosophique, 63.3, 1907, p. 425-8.
-
[87]
« Le Mouvement logique », art. cit., p. 285.
-
[88]
Cf. Ivor Grattan-Guinness: « From 1904 the word “logistic” was adopted to denote the new mathematical logic; but it covered both the position of the Peanists and that of Russell. » (The Search for Mathematical Roots 1870-1940, Princeton University Press, 2000, p. 10)
-
[89]
André Lalande, « Philosophy in France (1905) », Philosophical Review, 15.3, mai 1906, p. 241-266.
-
[90]
Louis Couturat avait en outre été rendu sensible aux travaux de Peirce par son amie personnelle Christine Ladd-Franklin, l’une des élèves les plus brillantes de Peirce. Le trio a du reste co-écrit l’article « Symbolic Logic » du dictionnaire de Baldwin.
-
[91]
« Le Mouvement logique », art. cit., p. 86.
-
[92]
Pour Couturat, la philosophie pragmatiste « consiste à juger de la vérité d’une proposition par ses conséquences pratiques ; elle subordonne ainsi la vérité à l’utilité, ou plutôt elle la définit par l’utilité. » (« La Logique et la philosophie contemporaine », Revue de métaphysique et de morale, 14.3, mai 1906, p. 334.)
-
[93]
On réserve cette acception étroite au mot « logicisme » depuis Fraenkel et Carnap, cf. Ivor Grattan-Guinness, op. cit., p. 4.
-
[94]
Recension de The Development of Symbolic Logic, a critical-historical study of the logical calculus, par A.-T. Shearman, Revue de métaphysique et de morale, supplément, juillet 1906, p. 9.
-
[95]
« Les Principes des mathématiques », Revue de Métaphysique et de Morale 12, 1904, p. 19-50.
-
[96]
Idem, p. 22.
-
[97]
Recension de The Development of Symbolic Logic, art. cit., p. 9-10.
-
[98]
Cette vision est pourtant très commune. Cf. par exemple M.H. Fehr, « Sur la fusion progressive de la logique et des mathématiques » (discours d’ouverture), in Congrès international de Philosophie, iie Session, Rapports et Comptes Rendus, Genève, Kundig, 1905, p. 677-679. Ernest Nagel écrit à propos des tentatives peirciennes sur les algèbres généralisées : « There can be little question that Whitehead’s Universal Algebra represents the culmination of some of Peirce’s attempts in that direction » (« Charles Peirce’s Guesses at the Riddle », The Journal of Philosophy, 31, 1934, p. 188).
-
[99]
Le récent livre de Christiane Chauviré, L’Œil mathématique. Essai sur la philosophie mathématique de Peirce (Paris, Kimé, 2008), propose une clarification de la question en prouvant que Peirce maintient une notion d’analycité logique forte sans verser pour autant dans le logicisme.
-
[100]
« Les Principes des mathématiques », art. cit., p. 22.
-
[101]
Louis Couturat, La logique de Leibniz d’après des documents inédits, Paris, Félix Alcan, 1901, p. 387. Cf. aussi Revue des questions scientifiques de la société scientifique de Bruxelles, p. 679.
-
[102]
Louis Couturat, « L’algèbre universelle de Whitehead », Revue de Métaphysique et de Morale, 8, 1900, p. 323-362.
-
[103]
Recension de The Development of Symbolic Logic, art. cit.
-
[104]
« Les Principes des mathématiques », art. cit., p. 39.
-
[105]
Léon Brunschvicg rend un même hommage à Peirce, Schröder et Russell pour leur logique des relations dans Les Étapes de la philosophie mathématique, Paris, Félix Alcan, 1912, p. 559.
-
[106]
Théodore Flournoy, La Philosophie de William James, op. cit., p. 62.
-
[107]
Précis de philosophie, Paris, Poussielgue, 1913, p. 74.
-
[108]
Il est vrai que les textes de la Logique de la science ont une tendance un peu « scientiste » qui n’est pas représentative de l’œuvre de Peirce. Ils ont été écrits à une période où Peirce, depuis 1872, se consacrait entièrement à ses travaux scientifiques et ne donnait aucune conférence de philosophie.
-
[109]
Recension de M. Calderoni et G. Vailati, « Origine et idée fondamentale du Pragmatisme », Revue Philosophique, 69, 1910, p. 438.
-
[110]
« La jeunesse académique et la foi catholique », dans La liberté, journal politique, religieux et social de Fribourg, 21 février 1914.
-
[111]
Pragmatisme et sociologie : cours inédit prononcé à la Sorbonne en 1913-1914 et restitué par Armand Cuvillier d’après des notes d’étudiants, Paris, Vrin, 1955, p. 35.
1Depuis une vingtaine d’années au moins, Peirce commence à être reconnu en France [2] comme l’un des plus grands philosophes des deux derniers siècles. Ses débuts s’y sont pourtant avérés particulièrement difficiles. Resté dans l’ombre de William James, lequel, plus accessible, fut considéré de son vivant comme le porte-étendard de la pensée américaine, Peirce ne fit guère recette en France avant la deuxième moitié du xxe siècle. Il y fut davantage méconnu qu’ignoré : sa pensée, tantôt confondue avec celle de James, voire de Nietzsche ou de Bergson, tantôt au contraire exagérément distinguée d’un pragmatisme « officiel », fut systématiquement distordue. Se fiant à l’adage, Peirce crut pouvoir prophétiser hors de son pays ; mais l’Europe ne le comprit guère, prise qu’elle était dans sa propre tourmente. C’est surtout dans son versant technique (mais non exclusivement logique) que l’œuvre de Peirce pénétra certains cercles de spécialistes, qui lui assurèrent par la suite une réception plus large. Les raisons de ces mésinterprétations sont complexes, liées notamment à la difficulté des écrits, mais aussi certainement à une absence d’ancrage institutionnel. On peut espérer de leur analyse un éclairage nouveau sinon sur Peirce, du moins sur son lectorat [3].
I – Contributions techniques
1 – Peirce physicien
L’ingénieur du Coast Survey
2Chimiste de formation, Peirce s’est vu offrir une position dans le Coast and Geodetic Survey, l’une des sociétés scientifiques les plus importantes des États-Unis. Sa tâche est de cartographier les côtes américaines et surtout de mesurer avec précision la constante gravitationnelle terrestre en différents points de la planète. Ses résultats ont donc une portée mondiale, et intéressent tout particulièrement l’observatoire de Paris. Ses mémoires pour le Coast and Geodetic Survey y sont examinés dans le détail [4].
3C’est en vrai physicien qu’il est traité, car sans se borner à de fastidieux relevés dans le prolongement de la « Magnetic Crusade » victorienne [5], Peirce engage une réflexion poussée sur la nature de la précision physique et la détermination de l’incertitude. De nombreuses considérations théoriques et méthodologiques accompagnent donc l’usage du pendule, « l’une des conquêtes les plus intéressantes de la science » selon son rapporteur Hervé Faye [6]. Le physicien suisse Émile Plantamour diffuse son mémoire « De l’influence de la flexibilité du trépied sur l’oscillation du pendule à réversion » en 1877, et Jules Louis Gabriel Violle mentionne Peirce au sujet du pendule dans son Cours de physique de 1883. Dix ans plus tard encore, la « Revue chronométrique de la Chambre syndicale de l’horlogerie de Paris » publie une note de sa main.
S’ils peuvent paraître anecdotiques ou marginaux, les travaux de Peirce au Coast Survey touchent en fait à de nombreux problèmes cruciaux en physique. Ses contemporains français ne s’y trompent pas, qui s’intéressent notamment au système original de cartographie « quinconciale » qu’il met au point [7]. En outre, les observations de Peirce fournissent de précieux renseignements sur l’implication de la gravitation et l’influence de l’attraction des corps célestes sur la forme de la Terre [8].
Le fils de Benjamin
4Peirce est aussi le digne héritier de son astronome de père, au point qu’on les a plusieurs fois confondus [9]. La liste des étoiles qu’il a identifiées est impressionnante. Ses études astronomiques reposent principalement sur la photométrie : c’est par l’analyse des couleurs de la lumière transmise dans l’univers que Peirce détermine les grandeurs relatives des étoiles, par exemple celles de l’Uranometria nova, comme le mentionne un traité français [10].
5L’apport des études chromatiques de Peirce est diffusé dans des revues scientifiques [11], et aussi grâce à la traduction française, en 1881, de l’ouvrage d’Ogden Nicholas Rood, Théorie scientifique des couleurs et leurs applications à l’art et l’industrie. Rood connaissait bien Peirce, lequel a publié une critique de son livre en 1879 dans The Nation, et s’appuie sur « les expériences encore inédites de Charles Pierce (sic) », qui viennent compléter celles de Von Bezold.
Le maître de Jastrow
6Comme l’ont compris ses contemporains, l’œuvre astronomique de Peirce touche de près à la physiologie : un versant de la photométrie consiste en l’analyse des sensations de lumière. Mais c’est surtout la collaboration avec son élève Jastrow à la Johns Hopkins University qui fait de Peirce un psychologue expérimental.
7Sa critique de la loi de Fechner est acceptée comme un progrès majeur. « On small differences of sensation » est dans la liste des livres déposés au bureau de la Revue philosophique en 1886. Dix ans plus tard, L’année psychologique (1896, p. 409) et L’année biologique (1898, p. 667) se disent d’accord avec Peirce et Jastrow pour critiquer la notion de seuil différentiel introduite par Fechner. Selon ce dernier, « Toute excitation, aussi bien que toute différence d’excitation, doit avoir atteint une certaine grandeur finie avant de commencer à devenir perceptible ». En 1907, alors que l’on commence à concevoir le pragmatisme comme une école de pensée, les Annales de bibliographie théologique remarquent finement que la thèse peircienne s’oppose directement à celle de James (p. 97).
8Certains auteurs ont singulièrement contribué à populariser la critique peircienne de la thèse de Fechner, à commencer par Paul Tannery. Il conteste l’égalité des plus petites différences perceptibles : comme l’ont montré « les ingénieuses expériences de Peirce et Jastrow » utilisant la « méthode des cas vrais ou faux », les unités de sensation sont variables [12].
« Supposons qu’un sujet soumis à deux excitations très voisines l’une de l’autre, au lieu d’avoir à dire si ces excitations lui paraissent égales ou non, soit au contraire avisé qu’elles sont différentes, mais qu’il ait à se prononcer sur le sens de la différence, fût-il à cet égard dans une indécision complète de jugement. » [13]
10S’il existait un seuil différentiel, les expérimentateurs auraient obtenu autant de vrai que de faux. Dans le cas contraire, le taux d’erreur suit une loi très précise ; or, les résultats se conforment au principe de la loi mathématique de probabilité des erreurs. Malgré qu’il en eût, Fechner a fait porter ses expériences « non pas en fait sur les perceptions, mais bien sur des jugements de comparaison entre des perceptions ». La prétendue loi psychophysique donne en fait une valeur moyenne grossière entre des « éléments sensationnels secondaires », états de conscience complexes et fugitifs.
Marcel Foucault a pratiqué des expériences similaires, et témoigne dans « Mesure de la clarté de quelques représentations sensorielles » que les résultats du père du canard-lapin sont tout à fait fiables [14]. Cette validation française vient porter un coup fatal à la théorie de Fechner.
2 – Peirce mathématicien et logicien
Le fils de son père, derechef
11Ce qui frappe le lecteur d’aujourd’hui est de voir Peirce traité comme un mathématicien professionnel [15]. Digne successeur de son père, « Benj. Pierce (sic), l’un des mathématiciens américains les plus connus » [16], il en prolonge l’œuvre, notamment en réduisant les algèbres linéaires associatives à la forme matriciale [17]. « C.S. Peirce fils » [18] n’hésite pas à s’en faire le porte-parole posthume en envoyant à Édouard Lucas, pour ses Récréations mathématiques, le mémoire de son père sur le « problème des jeunes filles » [19] – ce qui révèle d’une part que Peirce était à l’affût des ouvrages mathématiques français, d’autre part qu’un mathématicien français pouvait dire de Peirce en 1883 qu’il était « bien connu pour ses curieuses publications sur l’Algèbre de la Logique » [20]. On peut même se demander s’il n’était pas devenu plus célèbre que son père, puisque c’est parfois Benjamin que l’on doit présenter, en référence à son célèbre mathématicien de fils [21].
Un autre aspect de l’œuvre du « mathématicien américain Charles-S. Peirce » [22], aujourd’hui largement passé sous silence, consiste en ses travaux sur les nombres [23] : “On the logic of number” est mentionné à la fois dans les Nouvelles annales des mathématiques de 1881 et dans la Revue philosophique de 1882 [24]. Peirce est traité à égalité avec les plus grands sur ce sujet, et l’Encyclopédie des sciences mathématiques pures et appliquées reconnaît en 1904 que les approches de Peirce et de Dedekind, en termes de chaîne chez ce dernier, sont équivalentes (se fiant du reste probablement aux dires un peu présomptueux de notre auteur) [25].
Le continuateur de Boole
12Les mathématiciens français de la fin du xixe siècle sont donc très attentifs à des innovations peirciennes (algèbre de la logique modifiée, logique du nombre et logique des relatifs essentiellement) qui relèvent en fait tout autant de la logique. Si, en ce début de xxie siècle, la prééminence des écrits logiques nous frappe, Peirce était alors psychologue chez les psychologues, astronome chez les astronomes et mathématicien chez les mathématiciens. En raison notamment de la confidentialité de ses textes philosophiques, la logique ne semblait que l’une des multiples facettes de son œuvre, plutôt que sa pierre angulaire. Sa théorie de l’inférence probable publiée dans les Studies in logic au milieu des travaux de ses élèves n’est certes pas omise par la Revue philosophique [26]. Mais le plus souvent, on se contente d’insérer son nom dans la liste des protagonistes de la nouvelle logique. S’il est cité comme contribuant à la logique déductive (au milieu de Boole, Grassmann, Schröder, Clifford, Jevons, Liard et Peano [27]), c’est surtout dans l’esprit de la « nouvelle logique anglaise » de Boole (de même que Jevons, MacColl, Schröder ou Venn), pour son langage symbolique censé fonder la science formelle [28].
13Le perfectionnement de l’algèbre de la logique est la partie la plus visible de son œuvre logique. Deux pages du Bulletin des sciences mathématiques et astronomiques de 1881 [29] sont, par exemple, consacrées à l’article « Sur l’algèbre de la logique » qui venait de paraître. Son « algorithme applicable à la logique » est ailleurs timidement rapproché des tentatives de Peano [30], sans que l’on sache si l’identification de la logique symbolique à la logique mathématique italienne engage à lire chez Peirce les prémices d’une axiomatique.
14Dans la revue de Ribot, c’est Paul Tannery qui fait la critique de cet article fondamental. Il commence par lui reprocher, en citant Louis Liard à propos de Boole [31], de « voiler les procédés simples du raisonnement déductif sous de mystérieuses opérations algébriques, d’employer des symboles obscurs, parfois même incompréhensibles, et de faire ainsi de la logique, cette chose de tous, la chose de quelques initiés aux mathématiques » [32]. Il discute l’avantage de la présupposition d’existence, et surtout la possibilité d’une algèbre logique : ne poursuit-on pas une chimère en voulant créer cette langue universelle ? « Si M. Peirce était un hellène, je tiens pour assuré qu’il n’eût point adopté ni les notations qu’il propose, ni les significations qu’il leur donne » [33]. Cela suffit, selon Tannery, à discréditer l’entreprise.
15Le « philonéisme » de The Monist, où Peirce publie « The Regenerated Logic » et « The Logic of Relations » en 1896 et 1897 respectivement, est encore moins au goût de la Revue de Métaphysique et de Morale. Un numéro de celle-ci identifie de manière intéressante ce qui « paraît constituer un défaut dans la méthode de M. Peirce » :
Et l’article de conclure que le résultat le plus clair de la « logique nouvelle » est de « démontrer la non-identité du raisonnement géométrique, d’une part, de la syllogistique de l’autre, avec la méthode symbolique de l’algèbre » : Peirce fait fausse route. Cette amorce de discussion sera magistralement reprise par Louis Couturat (cf. ci-dessous).« Tantôt il transporte au raisonnement logique soit le symbolisme de l’algèbre, soit les diagrammes représentatifs des combinaisons chimiques ; tantôt il improvise des signes nouveaux (par exemple, le symbole de la queue de scorpion). » [34]
II – Les débuts philosophiques de Peirce en France
16Si Peirce fut, comme ses contemporains surent s’en apercevoir, un authentique homme de sciences, la partie de son œuvre qui a le mieux survécu est sa contribution à la philosophie. À cet égard, les erreurs d’interprétation, contresens et approximations sont très révélatrices, à la fois des complexités du texte peircien et du filtrage de sa réception française.
1 – La Logique de la Science (1878-1879)
17La Revue Philosophique gratifie Peirce d’un « notre collaborateur de New York » [35] : c’est qu’en décembre 1878 et janvier 1879, elle publiait dans ses pages et en français, sous le titre général « La Logique de la science », deux des articles fondateurs du pragmatisme, « Comment se fixe la croyance » [36] et « Comment rendre nos idées claires » [37], parus aux États-Unis un an plus tôt [38]. La pensée de Peirce était donc vouée à lier son destin à la France [39]. Ce fut une rencontre manquée : sans être absolument indifférents, les lecteurs français ne surent pas y déceler sur le moment la force d’une nouvelle philosophie. Il est vrai que quelques infortunes de traduction estompèrent la vigueur de sa théorie de l’enquête : comme l’a montré Gérard Deledalle [40], Léo Seguin, le correcteur des versions françaises, anarchiste, discipline de Blanqui et communard exilé, a systématiquement remplacé la vision communautaire de la recherche scientifique par un parti pris individualiste. Aussi, être « vivement louées » [41] par la revue où ces « études de logique » parurent ne suffit pas à les populariser. La publication des deux articles de Peirce retombe sans susciter le débat attendu – comme le déploreront plus tard un certain nombre de partisans de la deuxième heure [42] –, malgré un coup de pouce de l’ami James qui y renvoie encore en 1881 dans un volume de Critique philosophique [43], et le mot de Paul Tannery évoquant la même année ces articles « intéressants et d’une remarquable originalité » [44].
2 – La cosmologie des années 1890
18Quoique peu enthousiastes, les revues françaises se font l’écho d’une majorité des articles publiés par Peirce. Après la série des « Illustrations of the Logic of Science, » [45] c’est dans The Monist que paraissent « The Architecture of Theories », « The Law of Mind » et trois autres articles où se manifeste le tournant cosmologique de Peirce. Les Français se montrent très attentifs à cette nouvelle revue qu’est The Monist, dont la naissance coïncide à peu près avec la Revue de métaphysique et de morale [46].
19C’est la querelle du déterminisme qui ressort principalement des comptes-rendus français. Pour le deuxième numéro de la Revue de Métaphysique et de Morale, « Une polémique sur le libre arbitre, à laquelle prennent part MM. Dewey, Carus, Peirce et Macbrie (sic), est réellement philosophique » [47]. Cette polémique survient après la crise du déterminisme et la promotion de la contingence qui eurent lieu en France à partir des années 1870. Son avatar américain oppose le tychisme de Peirce au déterminisme régnant, que représente le directeur du Monist en personne, Paul Carus. Elle est assez bien relayée par les revues francophones, notamment par un numéro de la toute jeune Revue thomiste, peut-être en raison des échos médiévaux de la pensée de Peirce, lequel « déclare qu’il n’est ni un pur empiriste, ni un idéologue, ni un nominaliste comme Hume [48]. Il a toujours incliné vers le réalisme et certaines idées scotistes » [49]. L’auteur de l’article y discute avec précision l’argument de Peirce selon lequel le nécessitariste confond équivalence ou ressemblance et nécessité.
Mais malgré sa proximité avec des thématiques de Boutroux ou Bergson, le débat ne prend pas en France – peut-être parce qu’il arrive trop tard, alors que la question y semble avoir été déjà sinon réglée, du moins épuisée. Ainsi, les spéculations métaphysiques de Peirce sont-elles à peu près ignorées des philosophes français du dernier xixe siècle, et ne trouvent pas place dans leurs ouvrages, à l’exception anecdotique des papiers d’Alfred Fouillée, qui ne se souvient probablement de la position tychiste que parce que Peirce la lui avait attribuée par erreur [50].
3 – Le parrain du pragmatisme
20Tout change avec la naissance officielle, « jamesienne », du pragmatisme. Peirce sort de son quasi-anonymat philosophique pour devenir le fondateur partout célébré du pragmatisme américain.
Le pragmatisme en France
21La réception de Peirce en France devient à certains égards inséparable de celle de James et du pragmatisme. L’histoire de ses distorsions, des malentendus et des récupérations au service de rivalités franco-françaises dépasse largement la perspective de cet article [51] : nous ne ferons qu’esquisser brièvement quelques traits de cette chronique.
22Le pragmatisme arrive en France dans un contexte politique, social et culturel très troublé. La mémoire de l’affaire Dreyfus est encore vive, le petit père Combes met des bâtons dans les roues des congrégations, la République réquisitionne les biens du clergé : loi de 1901 sur l’association, dissolution du Concordat, certitude d’une guerre imminente ne sont que quelques-unes des causes de clivages au sein de la société française. On peut raisonnablement penser que c’est à leur lumière que sont lues les thèses pragmatistes de James et de Schiller, sans même parler de l’influence des relations diplomatiques avec les États-Unis ou de l’image fantasmée de l’Amérique. Ainsi, la théorie pragmatiste de la vérité défendue par James, tout comme sa thèse sur la volonté de croire, ne sont pas reçues pour elles-mêmes en vue d’un examen philosophique impartial, mais utilisées comme armes de guerre dans des polémiques constituées indépendamment. Un des effets en est qu’un texte peut être utilisé à presque n’importe quelle fin. Le volontarisme doxastique a ainsi pu passer pour une incitation au fidéisme aux yeux de certains [52], pour un appel à la libre pensée chez d’autres. Le pragmatisme sert de bouclier contre le positivisme ou le mysticisme au choix, à moins qu’il ne soit un positivisme mystique [53] ; il est scientifique, obscurantiste, romantique, utilitariste, prophétique… Mais dans tous les cas, rationalisme, anti-intellectualisme, comtisme, modernisme sont des grilles françaises plaquées sur les textes américains [54].
23À cela s’ajoute que l’acte de naissance du « pragmatisme » de Maurice Blondel est à peu près contemporain de ses homonymes anglo-saxons [55], sans en partager aucun principe. Blondel aurait lui-même confessé avoir eu la conscience de forger le mot, qu’il n’avait alors jamais rencontré [56]. L’amalgame qui a pu s’ensuivre a contribué à faire passer James et Peirce pour des philosophes de l’action tendant ultimement à démontrer la nécessité de la foi religieuse.
Pour ces raisons et probablement beaucoup d’autres, les philosophes français réinterprètent le pragmatisme à leur manière. Se revendiquant de la formule de James pour placer sous l’étiquette pragmatiste de vieilles manières de penser [57], ils n’hésitent pas à faire côtoyer dans leur panthéon pragmatiste le plus grand des pourfendeurs de la vérité, Nietzsche, et des auteurs aussi hétéroclites que Bergson, Poincaré ou Duhem. Les philosophes américains se trouvent ainsi « politisés » sur l’échiquier hexagonal, sans que personne n’aperçoive le cocasse de la situation. Ainsi, pour Lalande, le pragmatiste « d’extrême droite » aime les dissensions, tandis que le bon peircien, « “pragmaticiste” de gauche », favorise l’accord et la clarté des idées [58]. Pour Berthelot au contraire, les partisans de Peirce, notamment les italiens Calderoni et Vailati, appartiennent « à ce qu’on pourrait appeler l’extrême droite du pragmatisme », tandis que les nietzschéens, tels Papini et Prezzolini, seraient « des pragmatistes d’extrême gauche. »
Charles le baptiste
24C’est vers 1900 que la geste pragmatiste fait son entrée en France [59]. Se met en place une doxa inlassablement répétée avec plus ou moins d’approximations sur les origines du courant. Iteratio et variatio sont moteurs dans la diffusion du mythe fondateur : le grand prêtre de ce qui n’est pas encore une école ni un mouvement, William James, introduit dans une brochure de 1898 intitulée « Philosophical Conceptions and Practical Results » « le principe de pragmatisme » ou « point de vue pragmatiste », dont il emprunte l’idée principale à un certain « Charles Pierce » – à moins qu’il n’ait au contraire inventé lui-même l’idée mais extrait le mot des Illustrations of the Logic of Science de 1878 [60]. Cette idée est que « toute doctrine doit se juger d’après ses résultats » [61], que « toute croyance n’est qu’une règle d’action » [62], qu’il faut quitter « l’empyrée de la métaphysique ontologiste » pour considérer l’homme et ses besoins [63], et juger « toute pensée d’après ses effets seulement » [64]. Une certaine latitude demeure dans l’importance accordée à Peirce, tantôt simple parrain du système créé par James, qui a œuvré « dans un esprit prudent, modéré, prosaïque » [65], tantôt son génial inspirateur (« beaucoup plus âgé » que James [66], et hélas trop tôt disparu [67]). Quoi qu’il en soit, le rappel des origines du pragmatisme n’a d’autre but que d’introduire aux thèses de William James, et nullement à Peirce ; c’est en particulier la définition de la vérité par ses conséquences pratiques (« le vrai, c’est l’efficace ») qui est visée le plus souvent.
Le pragmatisme de Peirce en 1907 : un ancien nom pour de nouvelles manières de penser ?
25L’année 1907 voit la publication du recueil de conférences intitulé Pragmatism par William James. À partir de cette date, le pragmatisme acquiert une notabilité irréversible. Sa mythologie continue à se constituer en France sur le thème de : « C’est au savant américain, Charles Sanders Peirce, que revient l’honneur du mot pragmatisme et la première esquisse de cette philosophie pratique » [68], ou encore de : « Peirce fut seulement l’accoucheur qui délivra le cerveau anglais d’une longue gestation » [69] – cerveau britannique prêté à William James. Les approximations et erreurs se multiplient en effet (ne serait-ce qu’en prenant pour une philosophie de l’action la philosophie de « Pierce », voire de « Samuel Peirce » [70]). Mais c’est aussi le moment où quelques rares lecteurs français se penchent vraiment sur la lettre du texte peircien, et surtout sur la maxime pragmatiste [71] (plus généralement nommée « principe de Peirce » à la suite de James). Outre ceux de Couturat et de Lalande, plusieurs ouvrages et articles réservent à « Charles S. Pierce, philosophe de haut mérite » [72], une place de choix.
26Comme en miroir, Léon Noël, futur président de l’Institut supérieur de philosophie de Louvain, propose dans la Revue Néoscolastique (ou Revue Philosophique de Louvain) un commentaire sur Peirce [73]. Il souligne comme la plupart que « How to Make Our Ideas Clear » « contenait la moelle du futur système » (p. 224) – sans du reste sembler conscient de la fortune (ou plutôt de l’infortune) francophone de l’article. Il en retient une théorie du doute et de la croyance : la seule fonction de la pensée est de produire la croyance, c’est-à-dire de parvenir à un repos provisoire, demi-cadence dans la symphonie de notre vie. D’autre part, le sens d’une chose consiste simplement dans les habitudes qu’elle implique. Les nuances de significations produisant des différences dans la pratique, le sens d’une idée est donné par ses conséquences. La tâche du philosophe est donc de déterminer quelles habitudes la pensée produit. Cette lecture de Peirce est assez fidèle, mais l’auteur tient à y lire une apologie de l’action : « M. Peirce a horreur du dilettantisme philosophique. Penser pour penser, chercher pour chercher, sans se préoccuper d’arriver à une certitude quelconque, sans avoir un but pratique, lui semble le mal suprême. » (p. 225) La paraphrase est proche de l’original, à cela près que le primat du pratique était, admet-on aujourd’hui, bien éloigné des préoccupations de Peirce. L’auteur émet quelques réserves relatives à la notion d’habitude, « un peu vague », qui « ne signifie pas, semble-t-il, des manières d’agir, mais plutôt des manières d’être affecté, qui peuvent d’ailleurs aller jusqu’à l’action » (ibid.). Dans le même esprit, il propose une remarque intéressante sur le « principe de Peirce » tel que vu par James : alors que ce dernier insiste sur le caractère d’expérience particulière, mais non nécessairement active où s’inscrit la conséquence que l’on déduit d’une proposition, Noël montre qu’il ne saurait en réalité s’agir que d’une action. L’objet du pragmatisme n’est autre chose que l’agir, l’intellectualisme étant pour ses sectateurs une véritable débauche de l’esprit.
27La « Note sur la valeur pragmatique du pragmatisme » de Françoise Mentré assimile encore plus crûment pragmatisme, « esprit anglais » et philosophie de l’action, qui doivent finalement mener de conserve à l’humanisme, « c’est-à-dire à la justification de toutes les recherches qui ont du prix pour celui qui les effectue » [74]. Peirce n’aurait fait que trouver la formule qui inspirait Wall Street de longue date.
28Une lecture bien plus subtile est celle de Marcel Hébert, qui consacre en 1908 tout un ouvrage au Pragmatisme [75]. Il commence par moquer ces préjugés sur le pragmatisme yankee [76] :
« Je m’imaginais alors que les expressions pragmatistes n’étaient qu’une sorte d’idiome américain des formules d’usage pratique destinées à mettre les vérités à la portée d’hommes d’affaires et d’hommes d’action peu exigeants au point de vue de la logique et de la critique. »
30Hébert se réfère précisément à l’article « A Neglected Argument for the Reality of God », publié par Peirce en octobre 1908 dans The Hibbert Journal (qu’en appelant seulement « The Reality of God » il détourne déjà de son propos), pour conter les origines du pragmatisme, système exposé par « M. Pierce » dès 1871, et mot abondamment employé dans sa conversation quoique jamais imprimé par lui avant le dictionnaire de Baldwin en 1902. Hébert résume précisément la thèse du doute comme irritation, les quatre méthodes de fixation de la croyance, et affirme que la tâche de la philosophie est de reconnaître les habitudes générales impliquées par une croyance. Il ne serait pas loin d’y voir une série de truismes : « Sauf la manière personnelle dont les choses sont présentées, il n’y a rien de bien nouveau, certes, dans de pareilles affirmations » [77]. Mais les objections ne tardent pas à pleuvoir, car Hébert comprend Peirce comme un irrationnaliste qui préférerait n’importe quelle croyance au doute, un peu dans le sillage d’une volonté de croire anti-évidentialiste : « impossible de le suivre. »
Il semble qu’Hébert manque l’argument de Peirce, lequel consiste précisément à montrer que c’est le désir d’une croyance fermement assurée, plutôt que la quête de vérité, qui mène à considérer celle-ci comme éminemment désirable : la méthode scientifique est seule apte à procurer une satisfaction vraiment durable. Pour la même raison, Hébert conteste que l’apaisement du doute, c’est-à-dire d’une émotion désagréable, soit l’unique motif de l’enquête : Peirce négligerait encore l’attrait qu’ont sur nous la vérité et le désir de connaissance, en les remplaçant par des critères pratiques seulement adventices. « Le pragmatisme de M. Pierce, en ne tenant compte que de l’appréciation d’utilité, modifie donc, diminue, altère les données du problème tel qu’il se pose dans la complexe réalité » (p. 22). Hébert a d’autres sujets de mécontentement encore. La fameuse analyse peircienne de la transsubstantiation (qui suggère que les conceptions de l’hostie respectivement comme symbole du corps du Christ ou comme présence réelle n’opposent pas protestants et catholiques, puisque d’elles découle une même conséquence pratique, la consommation d’une nourriture spirituelle, et qu’il s’agit donc d’une même conception) est pour lui pleine d’à-peu-près : comme d’autres, cet exemple montre « à quel degré de simplification il est amené à réduire les difficultés pour que son pragmatisme y puisse répondre. » L’accord final des esprits laisse également notre auteur rêveur. Quant à l’idéalisme de Peirce, il n’est pas plus satisfaisant, puisqu’il voit dans les effets perceptibles des choses toute leur réalité : « Leur réalité par rapport à nous, évidemment, mais ne peut-on rien en induire sur leur réalité en elles-mêmes ? » (p. 21).« Que bien des gens, en effet, cherchent seulement une opinion qui les calme, les rassure, une “conviction”, on ne le constate que trop souvent ; mais pourquoi l’homme ne demeure-t-il pas satisfait de la “méthode de ténacité”, pourquoi cherche-t-il à en sortir et à parvenir à la “méthode scientifique”, sinon parce que le doux sommeil de la certitude subjective ne lui suffit plus, et que s’est éveillé le besoin d’une certitude objective ? »
En d’autres termes, Peirce aurait choisi d’adopter le point de vue de l’action et de l’utile, celui du « pragmatisme-méthode pur » qui laisse de côté la valeur représentative de la connaissance. L’instrumentalisation du savoir a pour résultat que toutes ses assertions sont vraies, mais seulement partiellement vraies : « pour se contenter de la méthode pragmatiste, il faut considérablement diminuer, amputer choses et pensée. Je ne m’étonne donc point que l’on ait combattu le pragmatisme en affirmant qu’il cache, qu’il voile le scepticisme sous de simples expédients pratiques. » (ibid.) Hébert ne précise pas la source, vraisemblablement non française, de cette critique bien paradoxale : le contempteur du doute de papier, celui-là même qui définit la pensée par son besoin de fixer des croyances, serait en fait un sceptique. Par-là, c’est le peu de cas que Peirce semble faire du souci de vérité que blâme Hébert.
III – ?Quelques passeurs
31La chronique des débuts de Peirce en France n’aurait été que l’histoire pathétique des mésinterprétations, confusions et erreurs auxquelles donnèrent lieu les quelques textes accessibles de son vivant, si des passeurs n’avaient eu à cœur de saisir les intentions au principe de cette pensée, et de la distinguer du pragmatisme mainstream.
1 – André Lalande
32Bien avant de consacrer au pragmatisme un article séminal dans son célèbre dictionnaire, André Lalande s’intéressa de près aux théories de James et de Peirce. Il eut le soin minutieux d’en exposer les différences, et ne cacha guère sa préférence, alors très hétérodoxe, pour le pragmaticisme. Ses propos trahissent une admiration indéniable pour Peirce, et l’on peut dire que Lalande fut sûrement le premier Français à reconnaître en lui un très grand philosophe. C’est à partir des textes de 1905 sur le pragmatisme [78] que Lalande aborde Peirce, et l’on sait que les deux hommes entretinrent à cette occasion une correspondance [79]. L’article « Pragmatisme et pragmaticisme » [80] propose une mise au point sur les thèses originales de Peirce, nettement distinctes des déclarations de James depuis ce que Lalande nomme son « Discerne causam meam ». La raison d’être d’« au moins une des formes du pragmatisme », explique Lalande, est de dire « Le roi est tout nu ! » :
« Penser de bonne foi, ne plus chercher pour chercher, vouloir aboutir ; et par suite, changer le standard de la vérité métaphysique : voilà l’esprit qui a fait naître cette nouvelle philosophie. »
34On remarque que si les mots sont presque les mêmes que chez Noël (cf. ci-dessus, p. 193), puisque ce sont ceux de Peirce, l’intention est complètement différente : Lalande comprend que Peirce ne prône pas l’action, mais la clarification des significations. Il compose une prosopopée dans laquelle Peirce invite à balayer les « vieux déchets » de la « métaphysique ontologique », « fatras vide de sens » ou ramassis de « parfaites absurdités », pour parvenir à des « problèmes accessibles selon la méthode expériencielle (sic) des vraies sciences ». Conscient de la confusion de ses compatriotes, Lalande entend aussi corriger « l’un des grands moyens d’altération du pragmatisme » en traduisant belief par « conviction » plutôt que « croyance », ou même par « certitude » en un sens purement subjectif : il n’est question dans le pragmaticisme ni de foi religieuse ni de degrés de connaissance, mais seulement, en un sens très humble, de l’attitude mentale contraire au doute. À cet égard, James est « avancé » par rapport à Peirce : « Je veux dire qu’il accorde beaucoup à la croyance », et sûrement trop par rapport au belief peircien.
35Lalande développe ensuite la « règle fondamentale de la méthode pragmatique », dont les conséquences, écrit-il, sont acceptées par James et Peirce de conserve : « révolte contre le dilettantisme philosophique, revendication d’une homogénéité stricte entre la vérité scientifique et la vérité philosophique, expériencialisme absolu. » Autre point commun, l’idée que la signification rationnelle ne réside pas dans une expérience particulière, mais dans un « phénomène expérimental ». « Le pragmatisme est donc un réalisme », en ce qu’il admet la réalité du général dans la nature et non seulement dans l’esprit. Lalande peut ainsi corriger le contresens de Hébert : Peirce ne soutient pas, en idéaliste, que la réalité consiste toute dans des effets perceptibles particuliers, mais bien que l’idée de réalité s’identifie aux effets perceptibles qu’elle implique, comme toute autre idée ; en d’autres termes, la réalité est ce qui met fin à la controverse.
36Selon Lalande, le « sens-communisme critique » se rapproche surtout du Spinoza du De Intellectus Emendatione par sa « foi dans la vérité » et sa méthode « ad datæ veræ ideæ normam ». On a tort d’opposer pragmatisme et rationalisme : en tant qu’il combat le fidéisme et le recours à l’autorité, le pragmatisme est un rationalisme. De cette lecture ressort un biais quelque peu scientiste : la philosophie de Peirce est vue comme un empirisme radical, l’application d’un programme scientifique. Du moins une telle interprétation a-t-elle le mérite de redresser l’anamorphose anti-intellectualiste infligée à la philosophie américaine.
37Dans un autre article d’importance, « Le mouvement logique » [81], Lalande souligne que c’est le même Charles S. Peirce qui a créé le pragmatisme d’une part, et de l’autre, a mené les recherches du Syllabus of Logic et publié les Studies in Logic. Autrement dit, si l’article précédent, en rendant au pragmatisme et au pragmaticisme ce qui leur revient respectivement, cherchait à extraire Peirce de la geste jamesienne, le présent texte contribue à reconstituer l’unité de la philosophie peircienne. Rien que Peirce et tout Peirce : Lalande entend désormais montrer la cohérence des deux versants d’une même œuvre, l’un formel et l’autre métaphysique. Il était en effet loin d’être évident pour les Français, avant cet effort de synthèse, que le fils de Benjamin, le célèbre mathématicien, le cartographe et l’enfant terrible de la philosophie américaine fussent animés d’une même intention, et même, qu’il s’agît d’une seule et même personne.
Lalande reprend les sept points de convergence entre pragmatisme et logique mathématique identifiés par Vailati dans un article traduit pour The Monist en 1906 [82]. Les deux courants partagent une tendance à « considérer la valeur de toute assertion comme dépendant avant tout de ses conséquences », ce qui se manifeste dans la logique par le traitement des postulats, qui perdent leur prééminence pour n’être plus que des propositions choisies en fonction des conséquences où l’on veut aboutir [83]. Ils opèrent le même élargissement des définitions comme sommes de conséquences : la maxime pragmatiste équivaut à la « définition implicite » des logiciens modernes, analogue à la définition par postulats qui détermine une opération ou relation par l’ensemble des règles qui s’y appliquent. Remarque précieuse prouvant la lucidité de Lalande, « logistique » et pragmatisme conduisent à prendre au sérieux des questionnements sur le langage. Ils veulent substituer au vague des déterminations précises. Ils visent donc la concision et la simplicité, pour guérir la science de sa « dégénérescence graisseuse ». Pour ce faire, ils n’omettent pas de retourner aux faits particuliers : « par ce besoin qu’a la logique pure de revenir toucher terre, comme Antée, pour y reprendre des forces, elle donne les mains au pragmatisme, qui soutient qu’une bonne méthode ne doit jamais déparer l’intuition du particulier et la généralité la plus abstraite. » (p. 286). Notamment, l’histoire y acquiert une importance pour représenter la continuité du réel : « Les théories n’y sont plus exposées sous leur aspect statique, comme des animaux empaillés avec des yeux de verre », mais comme des « figures cinématographiques ». Lalande reconnaît que certaines de ces analogies sont un peu extérieures, mais les raisons d’accord entre logique moderne et pragmatisme résident moins dans « un parallélisme ou dans des coïncidences de détail que dans le caractère complémentaire de ces deux conceptions logiques. » (ibid.).
Cette transmission de Peirce par Lalande et via Vailati nous rappelle que l’Italie fut beaucoup plus réceptive au pragmatisme, et qu’elle en facilita aussi l’introduction en France. Surtout, elle fait apparaître, à contre-courant des interprétations anti-intellectualistes, voire nietzschéennes [84], du pragmatisme, selon lesquelles James et Peirce associent leur hostilité à la ratiocination dans une visée d’action et de profit, le caractère essentiellement logique et scientifique des propositions peirciennes : la maxime pragmatiste est susceptible d’une conception formelle, qui correspond à « l’application aux vérités philosophiques de la critique scientifique, c’est-à-dire de la méthode employée en commun par les physiciens pour définir clairement les concepts » [85].
2 – Louis Couturat
38Si Lalande est très attentif à interpréter correctement le pragmatisme de Peirce, véritable philosophe de la logique plutôt qu’éclaireur de James, il inscrit en revanche le logicien Peirce dans le « groupe des logisticiens » [86], aux côtés de Boole, Schröder, Peano et Russel (sic), voyant en lui « l’initiateur d’un mouvement original dans le champ de la logistique » [87]. Ce dernier mot est surtout employé par Louis Couturat pour désigner la logique mathématique, en particulier le projet d’axiomatisation de Peano [88]. Lalande s’explique sur ce gallicisme dans une revue américaine :
« I give it the name of logistique from an old word which appears to be revived, and means formal logic in the sense of the algorithmic works of Schröder, of Boole, of Peirce, and of M. Peano. Its principal representative [in France], is M. Couturat, who has been led to this standpoint by his study of Leibniz. » [89]
40Couturat a contribué à la fortune de Peirce en France par l’étude de ses écrits logiques techniques, à l’exclusion du versant pragmaticiste [90]. En effet, comme le rappelle Lalande, « tout le monde sait que M. Couturat est un adversaire très décidé du pragmatisme, contre lequel il a plusieurs fois parlé ou écrit » [91]. Cette hostilité, similaire à celle de Russell contre la théorie de la vérité de James [92], épargne donc la logique de Peirce, preuve bien plutôt de la nécessaire désolidarisation de James et Peirce que de l’indépendance entre logique et pragmaticisme chez ce dernier.
41Peirce apparaît sous la plume de Couturat à deux titres, comme successeur de Boole ayant perfectionné l’algèbre de la logique d’une part, et de l’autre au titre de fondateur de la logique des relations. Le préfacier de la traduction anglaise de son Algèbre de la logique de 1905 ne manque pas de remarquer que ces deux aspects sont sinon antithétiques, du moins complémentaires : dans des termes leibniziens chers à Couturat, les travaux de Boole, Schröder et Peirce (ainsi que de De Morgan, Jevons, Venn et Ladd-Franklin) relèvent plutôt de l’aspect calculus ratiocinator de la logique symbolique, tandis que Frege, Peano, Russell et Whitehead ont œuvré à une lingua characteristica ; mais Peirce a également travaillé aux fondements de l’arithmétique avec son calcul des relations. Si elle n’est pas de Couturat, cette manière de présenter les choses correspond bien à son style russellien. En effet, l’opposition du calcul aveugle à la caractéristique universelle (dualité qui chez Leibniz n’a rien d’une opposition) correspond globalement à deux relations possibles entre logique et mathématiques : la première rapporte la logique à un calcul algébrique, la seconde réduit les mathématiques à des règles logiques.
42Il est vrai que cette seconde option fut un espoir avéré, le programme logiciste [93], dans lequel Couturat vit « une nouvelle phase de la logistique » : « tandis que leurs prédécesseurs faisaient rentrer la logique dans les mathématiques, ils font rentrer les mathématiques dans la logique » [94]. La conscience d’une crise des fondements des mathématiques rend alors urgent de prouver que les concepts mathématiques sont déductibles de principes logiques. C’est à bon droit que Couturat inscrit dans ce programme les travaux de Weierstrass et Cantor [95], ce dernier parce qu’il réduisit l’arithmétique à la théorie des ensembles, et plus généralement les deux pour leurs méthodes de fondation des irrationnels sur les rationnels qui, avec les axiomes de Peano pour les nombres réels, accréditèrent la possibilité de réduire les mathématiques, en grande partie au moins, à quelques notions primitives.
43En revanche, en présentant les travaux de Boole, Schröder et Peirce comme une tentative symétrique de fusion de la logique et de la mathématique pure réalisée « implicitement et presque inconsciemment » [96], et en jugeant « assez juste » l’idée qu’il n’y a pas « divers systèmes de calcul logique, mais un seul qui s’est développé régulièrement depuis cinquante ans » [97], il introduit une cohérence artificielle [98] : une lecture précise de ces auteurs ne révèle aucun programme de réduction de la logique au calcul, ni aucune profession de foi philosophique sur le caractère fondateur des mathématiques par rapport aux lois de la logique ou de la pensée [99]. L’algèbre de la logique est explorée comme une technique efficace notamment dans le traitement des probabilités. Peirce est particulièrement clair sur le caractère purement opératoire de l’algèbre, et sur l’absence d’isomorphisme entre phénomènes mentaux, comme entre principes logiques fondamentaux, et opérations de l’algèbre.
Réfractaire à l’algèbre de la logique, le programme logiciste de Russell implique en outre « une reconstruction logique de toute la Mathématique pure au moyen de l’algorithme logique de M. Peano, complété et perfectionné par l’auteur dans le domaine encore neuf de la Logique des relations » [100]. Or, la logique des relations a été développée par les partisans de l’algèbre logique, « entrevue par De Morgan, fondée par Ch. S. Peirce et développée par Schröder » [101]. Le fait que Peirce ne s’inscrive pas univoquement dans le courant algébrique se lit dans son choix de substituer la copule d’inclusion au signe d’égalité [102]. Couturat refuse de se prononcer sur l’idée que la logique des relations se réduirait à la doctrine des quantifications multiples, doctrine développée par Peirce, Mitchell et Johnston [103], mais il doit admettre que « la partie la plus originale et la plus neuve de l’œuvre de M. Russell » [104], celle qui traite des relations, est lointainement inspirée de Leibniz et plus directement de Peirce [105]. Toutefois, il a été obligé de « réformer radicalement le symbolisme de Peirce et de Schröder » en corrigeant le traitement peircien de la logique dyadique parfois confus.
3 – Peirce positiviste ?
44Couturat, Lalande et quelques autres ont contribué à élargir l’audience de Peirce, « un penseur trop peu connu et dont le principal écrit […] a passé presque inaperçu jusqu’au jour où, vingt ans après, James le tira de l’ombre pour lui donner l’éclat de son adhésion » [106]. Peirce fait son entrée discrète dans les programmes de l’enseignement secondaire, grâce à l’abbé Louis Lévesque qui l’inscrit dans son Précis de philosophie [107]. En outre, Couturat et Lalande ont corrigé les contresens des pourfendeurs de l’irrationalisme et ceux des suppôts des intérêts pragmatiques. Cependant, on pourrait craindre qu’ils n’aient induit un autre biais : l’ingénieur Peirce est devenu chantre de « la méthode scientifique » dans la lignée d’Auguste Comte et de Claude Bernard [108].
45Premier contresens tenace, la maxime de Peirce est entendue comme injonction vérificationniste : « La méthode nommée par Peirce pragmatisme n’érige pas l’utile en critérium du vrai, mais exclut les questions inutiles en retenant de toute assertion ce qui se réduit à des prévisions vérifiables » [109]. Cette lecture, en partie due à la médiation de Vailati et Calderoni, est à la source du rapprochement plus tard établi entre Peirce et Carnap. Mais la théorie dispositionnaliste des possibles réels de Peirce (reprise par Karl Popper, lecteur des Collected Papers et interlocuteur du Cercle de Vienne pour un temps) est au contraire bâtie sur les traces de Duns Scot afin d’éviter de recourir nécessairement à la vérification temporelle (plutôt que modale).
46Deuxième contresens, Peirce serait hostile à la métaphysique. Or, si la méthode pragmatiste veut clarifier les conceptions abstruses et insensées de la métaphysique, elle ne vise pas à éliminer cette dernière : nombre d’écrits peirciens alors inconnus en France visent à donner à la « métaphysique scientifique » le statut de « plus haute des sciences positives », en reprenant les contributions de la scolastique médiévale en particulier. Pas plus ne tend-elle à l’éradication de la religion, comme le craint ce journal « politique, religieux et social » de Fribourg :
« Les systèmes de Peirce et de James, qui nous sont arrivés d’au-delà l’Océan portés par une vague de popularité si soudaine et qui se sont répandus si rapidement en Europe, mesuraient les titres de créance des opinions qui se donnent pour la vérité à leur valeur pratique. On comprend qu’une doctrine semblable fasse fi de la métaphysique comme d’un vain effort pour saisir ce qu’elle regarde comme l’inconnaissable. À l’encontre de cet utilitarisme à prétentions philosophiques, la Jeunesse nouvelle se porte résolument à l’étude de la métaphysique dans les œuvres des grands maîtres de la pensée catholique, surtout dans celles de saint Thomas. » [110]
48Que l’ordre moral se rassure, la « jeunesse nouvelle » peut lire Peirce en toute sécurité.
49Durkheim enfin contribue à faire passer Peirce pour positiviste en creusant un gouffre entre pragmatisme et pragmaticisme, notamment relativement à la question de la vérité. Il propose une lecture certes fine des écrits de Peirce dans son cours professé en Sorbonne en 1913-14, publié ultérieurement sous le titre Pragmatisme et sociologie, mais le propos d’ensemble demeure assez rétrograde et peu clairvoyant : les « vrais » pragmatistes seraient James, Dewey et Schiller, Peirce n’intervenant dans le tableau qu’au titre d’aïeul qui « n’annonce encore le Pragmatisme que d’assez loin ». Cette approche classique reconnaît le pragmatisme à sa théorie utilitariste de la vérité. Peirce a bien « quelque parenté » avec le pragmatisme relativement au lien entre idée et action ou au rejet des « discussions verbales », mais « le problème de la vérité n’est pas posé » selon Durkheim : « Peirce admet, avec la théorie classique, que la vérité s’impose avec une sorte de “fatalité”, que l’esprit ne peut pas ne pas s’incliner devant elle. » En l’excluant de sa critique, Durkheim banalise pour ainsi dire la théorie de la vérité de Peirce, et la ramène à ce qu’elle n’est pas, une contemplation passive. La théorie de la vérité de Peirce, fondée sur l’idée d’une fin idéale de l’enquête, est pourtant loin d’être consensuelle. On aimerait savoir ce que Durkheim entend par « théorie classique » de la vérité : adéquation thomasienne avec la chose, intuition interne du vrai, foi dans le progrès, rien de cela n’exprime en tout cas la position peircienne. Peut-être s’agit-il seulement de dire que l’idée d’une vérité objective – et « tous les chercheurs sont obligés de l’admettre » – est préservée par Peirce, alors que pour James le vrai est affaire d’opinion personnelle. Durkheim conclut ainsi du rationalisme de Peirce : « C’est tout le contraire du principe pragmatiste » [111].
Peirce distordu, Peirce « piercé », Peirce enterré, mais Peirce connu et reconnu : cette image mérite un ultime correctif. Notre méthode, en évaluant les lectures du texte peircien, masque le fait le plus important : Peirce brille surtout par son absence dans la France du tournant du siècle. Ignoré, oublié, expédié en une formule convenue, éclipsé par James et Schiller, il n’est pas à l’honneur. Mais malgré cette inexistence statistique, les écrits accessibles du vivant de Peirce furent sinon compris, du moins lus et étudiés en France par quelques philosophes attentifs. Sans doute l’exotérisme des textes disponibles a-t-il favorisé l’introduction de Peirce : départi de l’« agapasticisme », des « sinsignes indiciels dicents » et autres « relations nonsibinecalio », le pragmaticisme perd de la bizarrerie qui a rebuté nombre de ses lecteurs ultérieurs. Le savant admiré a depuis lors fait place au philosophe cabalistique, empêtré dans ses idiotismes obsidionaux ; mais s’il est quelque leçon à retenir de l’histoire que nous venons d’esquisser, peut-être est-ce avant tout que tous les clichés sont bons à bousculer, et que le « vrai » Peirce, s’il existe, reste à découvrir.
Notes
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[1]
Ce travail a été rendu possible grâce à une bourse Lavoisier du ministère des Affaires Étrangères. Nos remerciements vont à Rahul Markovits et aux deux lecteurs anonymes pour leurs remarques.
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[2]
Cette étude inclut aussi la francophonie belge et suisse.
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[3]
C’est le pari de lecture d’un sociologue comme Romain Pudal. Il écrit dans « La difficile réception de la philosophie analytique en France » (Revue d’histoire des sciences humaines, 2004/2, n° 11, p. 71-2) : « La distance géographique, souvent doublée d’un décalage temporel, fait donc apparaître une série de malentendus qui ont souvent le mérite d’être très éclairants sur les principes de fonctionnement et les a priori propres à un champ intellectuel donné. L’effet d’étrangeté produit par une théorie “exotique” contraint ceux des acteurs qui s’y intéressent à expliciter leur habitus intellectuel et professionnel, largement surdéterminé par les enjeux et les principes régulateurs du champ auquel ils appartiennent. » Et lui-même de citer Bourdieu, « les textes voyagent sans leur contexte », et Gérard Mauger, dans sa « Note sur le commerce international des idées » : « ceux qui les reçoivent ignorent tout le plus souvent du champ de production dont ils sont le produit, ignorent aussi le sens et la fonction de ces textes dans leur champ d’origine et les réinterprètent spontanément en fonction de la structure du champ de réception ».
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[4]
Cf. en particulier son mémoire « Sur la valeur de la pesanteur à Paris », publié dans les Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences, t. 90, Paris, Gauthier-Villars, 21 juin 1880, p. 1401-3 ; et examiné dans La Revue scientifique de la France et de l’étranger, Paris, Mallet-Bachelie, 1880, p. 454 ; Le Cosmos, revue des sciences et de leurs applications, vol. 52, Paris, Germer Baillière, 1880, p. 168 ; L’Année scientifique et industrielle, vol. 25, Paris, Hachette, 1882, p. 32 ; Collection de mémoires relatifs à la physique, vol. 5, Paris, Gauthier-Villars, 1891, p. xxxix.
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[5]
On a identifié une véritable « croisade magnétique » dans la science britannique du xixe siècle, conduite notamment par Edward Sabine, H. Lloyd et J. Herschel. La détermination du géomagnétisme apparut à cette époque comme la nouvelle tâche du newtonianisme. Cf. notamment J. Cawood, « The Magnetic Crusade: Science and Politics in Early Victorian Britain », Isis, vol. 70, 1979, n° 254, p. 493-518.
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[6]
La Revue scientifique de la France et de l’étranger, vol. 26, 1880, p. 22. L’astronome Hervé Faye, Président du Conseil de l’Observatoire de Paris et auteur d’une méthode d’oscillation des pendules discutée par Peirce en 1879 (cf. Writings of Charles S. Peirce, vol. 4, p. 12-20), avait en effet été chargé par Peirce, dans une missive joliment tournée en français (lettre du 23 juill. 1880, cf. Writings of Charles S. Peirce, vol. 4, p. 157-60), de lire pour lui une note sur le « meilleur appareil pour l’établissement du pendule » lors d’une conférence à Munich, à laquelle il ne put assister à cause de tristes nouvelles sur la santé de son père qui l’obligèrent à repartir pour l’Amérique (Benjamin Peirce devait mourir quelques mois plus tard).
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[7]
Cf. Adrien Guérhard, « Une curieuse représentation géographique. La mappemonde carrée de M. C.-S. Peirce », La Nature : revue des sciences et de leurs applications aux arts et à l’industrie, vol. 14, Paris, Masson, 1886, p. 114-8.
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[8]
Cf. Pierre Puiseux, La Terre et la Lune. Forme extérieure et structure interne, Paris, Gauthier-Villars, 1908, p. 57.
-
[9]
Cf. Léon Cristiani, qui fait de W. James et de F.C.S. Schiller les continuateurs d’un mystérieux « Samuel Peirce » (Le Problème de dieu et le pragmatisme, Paris, Bloud et Cie, 1908, p. 8). Même Gérard Deledalle (La Philosophie peut-elle être américaine ?, Paris, Jacques Grancher, 1995, p. 164) prétend que l’astronome Le Verrier connaissait Peirce, mais il s’agit évidemment du père.
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[10]
C. André et A. Angot, L’astronomie pratique et les observatoires en Europe et en Amérique, Paris, Gauthier-Villars, 1877, p. 61.
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[11]
La Revue scientifique, 1880, p. 592. Les résultats de Charles S. Pierce (sic) à partir des données fournies par Maxwell y sont qualifiés de fiables.
-
[12]
Paul Tannery, « Critique de la loi de Weber », Revue Philosophique, 15, 1884, p. 15-35.
-
[13]
Paul Tannery, « À propos de la loi de Weber », Revue Philosophique, 21, 1886, p. 386-387.
-
[14]
Revue Philosophique, 12, décembre 1896, p. 613-634.
-
[15]
Il figure notamment dans l’Annuaire des mathématiciens de l’Académie des sciences des États-Unis en 1901-1902. La Revue Philosophique évoque « le mathématicien C.S. Peirce » (7, 1879, p. 588) ; la Revue d’apologétique fait de même en 1907, p. 620.
-
[16]
Revue philosophique, 9, 1880, p. 366.
-
[17]
Souligné dans les Mémoires de la Société des Sciences Physiques et Naturelles de Bordeaux, Société des sciences naturelles et physiques du Maroc, Institut scientifique chrétien, 1890, p. lxxvii.
-
[18]
Bulletin des sciences mathématiques et astronomiques, 1884, p. 77.
-
[19]
« Cyclis solutions of the school-girl puzzle, by Benjamin Peirce, professor of Astronomy and Mathematics in Harvard University », Astronomical Journal, vol. 6, n° 142, Cambridge, 7 décembre 1860, p. 169-174.
-
[20]
« Solutions de Peirce », Récréations mathématiques par Édouard Lucas, Paris, Gauthier-Villars et fils, 1883, p. 196.
-
[21]
Par exemple en 1897 dans L’Intermédiaire des mathématiciens, la revue de Charles-Ange Laisant, p. 162.
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[22]
Revue pratique d’apologétique, 1907, p. 620. À cette date (et surtout de la part de cette revue), il ne serait pas impossible que l’appellatif signifie un refus délibéré de le considérer comme un philosophe.
-
[23]
Sur ces travaux, cf. notamment Paul Shields, « Peirce’s Axiomatization of Arithmetic », in Houser, N., Don D., et Van Evra, James W. (éd.), Studies in the Logic of Charles S. Peirce, Bloomington, Indiana University Press, 1997, p. 43-52.
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[24]
Revue Philosophique, 13, 1882, p. 339. La Revue Philosophique a également reçu en 1882 Brief Description of the Algebra of Relatives et, du père, la fameuse Linear Associative Algebra.
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[25]
Cf. « As for Dedekind, his little book Was sind und was sollen die Zahlen ? is most ingenious and excellent. But it proves no difficult theorem that I had not proved or published years before, and my paper had been sent to him. » (Collected Papers of Charles S. Peirce, 4.331, c. 1905). Peirce revient sur les avantages comparés de leurs approches dans une lettre publiée adressée à l’éditeur de Science (aaas, vol. 11, n° 2, 16 mars 1900, p. 430-3). Sur cette querelle de priorité, cf. notamment Jean-Pierre Belna, La Notion de nombre chez Dedekind, Cantor, Frege. Théories, conceptions et philosophie, Paris, Vrin, 1996 (p. 58-60 en particulier). J.-P. Belna soutient que, malgré la revendication peircienne, la rédaction primitive de Dedekind serait antérieure. En outre, l’exposé de Peirce semble moins précis et rigoureux, et omet la définition par récurrence (théorème n° 126 chez Dedekind).
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[26]
Revue Philosophique, 15, 1883, p. 584.
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[27]
Revue Philosophique, 31, 1891, p. 218.
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[28]
Cf. Sophie Bryant, « Sur la nature et les fonctions d’un langage symbolique complet », Mind, recensé dans la Revue Philosophique, 26, 1888, p. 206 ; cf. aussi Paul Tannery, « La connaissance mathématique », Revue Philosophique, 46, 1898, p. 432-3.
-
[29]
Ministère de l’Instruction publique, p. 213-5.
-
[30]
Histoire générale du ive siècle à nos jours, Ernest Lavisse, Alfred Rambaud (dir.), Paris, Armand Colin, 1901, p. 562. Nous reviendrons sur le rapprochement avec Peano.
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[31]
Louis Liard, Les Logiciens anglais contemporains, Paris, Germer Baillière, 1878, p. 148.
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[32]
Paul Tannery, Recension de « C. S. Peirce, On the algebra of logic », Revue Philosophique, 12, 1881, p. 647.
-
[33]
Idem, p. 650.
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[34]
Revue de Métaphysique et de Morale, 5, supplément au numéro de novembre 1897, p. 11.
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[35]
Revue Philosophique, 15, 1883, p. 584.
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[36]
Revue Philosophique, décembre 1878, p. 553-569.
-
[37]
Revue Philosophique, janvier 1879, p. 39-57.
-
[38]
Popular Science Monthly, novembre 1877, p. 1-15 et janvier 1878, p. 286-302 respectivement.
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[39]
Peirce, dont la maîtrise de la langue de Molière était plus qu’honorable, est censé avoir rédigé « Comment rendre nos idées claires » directement en français avant de le traduire dans sa langue natale, puis avoir lui-même traduit en français « The Fixation of Belief ». Une lettre à Christine Ladd-Franklin de 1904 nous apprend que ce dernier a été écrit au cours d’un de ses voyages en Europe, « by way of practice, » pour préparer une de ses présentations en français devant l’Association géodésique à Paris. Les versions françaises ont été revues par Léo Seguin, ancien communard et professeur de français à New York où Peirce le rencontra, et à qui Peirce fait crédit (dans une note épinglée au volume intitulé « Papers in Logic » qu’il laissa à la Johns Hopkins University Library) de la supériorité du texte français sur la version parue dans le Popular Science Monthly. Sur les différences entre ces versions, cf. Gérard Deledalle, « English and French versions of C.S. Peirce’s “The Fixation of Belief” and “How to make our ideas clear” », Transactions of the Charles S. Peirce Society, 1981, vol. 17, n° 2, p. 141-152. La conclusion en est : « Peirce loved France, its language, its wines, its liberalism, and its culture. There can be no other reason than this blind love to account for the fact that Peirce preferred the French versions of the articles on pragmatism to the English versions ».
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[40]
Gérard Deledalle, art. cit.
-
[41]
Revue Philosophique, 7, 1879, p. 588.
-
[42]
Par exemple, René Berthelot, Un Romantisme utilitaire : Étude sur le mouvement pragmatiste. vol. 1 : Le Pragmatisme chez Nietzsche et chez Poincaré, Paris, Félix Alcan, 1911, p. 7 : « L’article de Peirce fut traduit en français […] ; il n’attira que peu d’attention et jusqu’en 1898, il paraît avoir été oublié. » Cf. aussi Georges Sorel : « La traduction de cet article, qui a paru dans la Revue philosophique (janv. 1879) ne semble pas avoir eu d’influence avant l’époque où les idées de William James eurent pénétré chez nous » (De l’utilité du pragmatisme, Paris, Marcel Rivière, 1921, p. 5). On apprend dans (Willy Gianinazzi, Naissance du mythe moderne. Georges Sorel et la crise de la pensée savante (1889-1914), Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2006, p. 53) que Sorel n’a lu Peirce qu’en référence aux écrits de James, bien qu’il ait emprunté à la bibliothèque en 1885 le fascicule de la Revue philosophique de 1879 qui contenait la traduction du texte de Peirce.
-
[43]
« Action réflexe et théisme », Critique Philosophique, 1881, p. 403. James mentionne en particulier « Comment rendre nos pensées claires ? », lui-même ou son traducteur commettant de la sorte une imprécision sur le titre.
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[44]
Paul Tannery, Recension de « C. S. Peirce, On the algebra of logic », Revue Philosophique, 12, 1881, p. 646.
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[45]
C’est-à-dire l’ensemble des six articles, parmi lesquels « The Fixation of Belief » et « How to Make Our Ideas Clear, » publiés en 1876-7 dans le Popular Science Monthly.
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[46]
La première a été fondée en 1890 par Paul Carus, la seconde date, comme la Revue thomiste, fondée par des dominicains, de 1893, la Revue philosophique de Louvain (ou Revue néoscolastique) ayant été créée un an plus tard.
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[47]
Revue de Métaphysique et de Morale, 1, n° 2, 1893. « Macbrie » est certainement G.M. McCrie, l’auteur de « Issues in “Synechism” », article qui critique la conception peircienne de la continuité et du hasard absolu.
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[48]
Le rapprochement avec Hume est fait par Carus dans « Mr. Charles S. Peirce’s Onslaught on the Doctrine of Necessity », The Monist 2, 1892, p. 560-582. Les deux hommes estiment en effet, contrairement à Carus, que la nécessité n’est ni a posteriori ni postulée.
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[49]
Revue Thomiste, 1894, p. 813-4.
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[50]
Esquisse d’une interprétation du monde, Paris, Félix Alcan, 1913, p. 195.
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[51]
On pourrait renvoyer à de nombreux ouvrages. Cf., entre autres, Hans Joas, Pragmatism and Social Theory, Chicago, The University of Chicago Press, 1993, p. 74: « The portrayals of pragmatism are often distorted to the point of caricature […]. The characterizations range from a description of pragmatism as a particularly primitive form of empiricism, utilitarianism, or positivism through to pragmatism as the ideology of “big business” or to protofascist decisionism. »
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[52]
Des catholiques modernistes tels Blondel, Le Roy ou Loisy peuvent ainsi se dire pragmatistes. Sorel se dit convaincu que Dogme et critique (1907) a été inspiré à Édouard Le Roy par la lecture de Peirce. Cela semble à tout le moins improbable. L’influence de James est en revanche avérée.
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[53]
Dans Pragmatisme et modernisme, Jean Bourdeau fait du pragmatisme « une réaction contre la philosophie rationaliste, intellectualiste », et « un nouveau positivisme, lequel diffère de l’ancien en ce qu’il n’exclut pas les problèmes religieux et métaphysiques » (Paris, Félix Alcan, 1909).
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[54]
Cf. Hans Joas, op. cit., p. 55 : « Pragmatism fared no better in Europe, where its reception was burdened from the very beginning by a shortsighted identification of its underlying these with those of the philosophies of life projected by Nietzsche and Bergson. For all the undeniable affinities between these discrete currents of thought, pragmatism was unhappily received because it accentuated aspects to which well-rehearsed critical arguments about the philosophy of life could easily be applied. This perhaps explains why so much more attention was devoted to the work of William James than to that of Charles Peirce […] »
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[55]
Il se qualifie de pragmatiste à partir de 1888 (cf. H.S. Thayer, Meaning and Action. A Critical History of Pragmatism, Indianapolis, The Bobbs-Merrill Company, 1968, p. 6).
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[56]
D’après André Lalande dans « Pragmatisme et pragmaticisme », Revue philosophique, 61, 1906, p. 123. Cf. aussi Lizzie Susan Stebbing, Pragmatism and French Voluntarism, Cambridge, Cambridge University Press, 1914, p. 84. Afin de limiter l’équivoque, Blondel cesse de se qualifier de pragmatiste après 1902.
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[57]
Cf. le sous-titre de son essai : Pragmatism, A New Name for some Old Ways of Thinking.
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[58]
« L’idée de vérité d’après William James et ses adversaires », Revue Philosophique, 71.4, avril 1911, p. 1-26.
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[59]
1898 est une approximation raisonnable, correspondant à la diffusion du mot par James. J. Bourdeau écrit en 1907 que les vocables pragmatisme et pragmaticisme « indiquent une nouvelle mode en philosophie […] un nouveau mode de philosopher, qui s’est répandu depuis une quinzaine d’années ». Mais en 1902 encore, la Société française de philosophie, au cours d’une discussion de l’emploi du mot « pragmatisme » par Blondel, semble complètement ignorante de son usage anglo-américain (cf. Bulletin de la Société française de philosophie, t. 2, juill. 1902 (séance du 29 mai 1902), p. 190-2).
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[60]
Cette version, moins partagée, est celle de C. Dessoulavy, dans « Le Pragmatisme », Revue de Philosophie, 7.1, juillet 1905, p. 89-94.
-
[61]
Recension de l’article « Pragmatism » de Cadwell paru dans The Monist, Revue Philosophique, 51, 1901, p. 223.
-
[62]
Revue Philosophique, 54, 1902, p. 526.
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[63]
Revue de Métaphysique et de Morale, 10, 1902, p. 522.
-
[64]
Recension de l’article « Le Pragmatisme comme méthode philosophique » de Irving King paru dans Philosophical Review en 1903, Revue philosophique, 58, 1904, p. 426.
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[65]
René Berthelot, op. cit., p. 8. Ces qualificatifs préparent surtout le contraste avec le « pragmatisme » audacieux et poétique du « prophète des aristocraties futures », Nietzsche.
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[66]
Théodore Flournoy, La philosophie de William James, St-Blaise, 1911, p. 62. Peirce n’avait en réalité que trois ans de plus que James, mais il n’est pas anodin que l’outsider de Milford se trouve ainsi remisé dans le placard de l’histoire.
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[67]
La Revue Philosophique (54, 1902, p. 526) déplore ainsi douze ans avant l’heure fatidique la mort de « feu son compatriote, trop peu connu en Europe, le philosophe Peirce ».
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[68]
Mercure de France, vol. 70, 1907, p. 390. Cf. de même la Revue philosophique de Louvain, 1907, p. 221 ; Émile Boutroux, William James, Paris, Colin, 1911, p. 69 ; Carlos Vaz Ferreira, Le pragmatisme, Montevideo, Tall. graf. A. Barreiro y Ramos, 1914 (cours prononcé à Montevideo en 1908).
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[69]
Françoise Mentré, « Note sur la valeur pragmatique du pragmatisme », Revue de Philosophie, 11.1, 1er juillet 1907, p. 6.
-
[70]
Léon Cristiani, Le Problème de dieu et le pragmatisme, Paris, Bloud et Cie, 1908.
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[71]
Par exemple citée par le Bulletin de la société française de philosophie, vol. 8, 1907, p. 336.
-
[72]
Jean Bourdeau, Pragmatisme et modernisme, Paris, Félix Alcan, 1909, p. 41.
-
[73]
Léon Noël, « Bulletin d’épistémologie : Le Pragmatisme », Revue néoscolastique 14.2, mai 1907, p. 220-243.
-
[74]
Art. cit., p. 18.
-
[75]
Le Pragmatisme, étude de ses formes anglo-américaines, françaises et italiennes, Paris, Émile Nourry, Bibliothèque de critique religieuse, 1908. Sa recension par François Pillon dans L’Année philosophique de 1908 (vol. 19, Paris, Félix Alcan, p. 208-9) est globalement sympathique, et se confronte au « paradoxe diamétralement opposé à l’intellectualisme exagéré » que propose le pragmatisme selon Hébert (op. cit., p. 100).
-
[76]
Dont on trouve un très bon exemple dans l’Anti-pragmatisme du Suisse Albert Schinz (Anti-pragmatisme : Examen des droits respectifs de l’aristocratie intellectuelle et de la démocratie sociale, Paris, Félix Alcan, 1909), lequel ne mentionne du reste Peirce (p. 11) que pour annoncer qu’il ne s’occupera pas des « nuances diverses » qui traversent le courant pragmatiste !
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[77]
Op. cit., p. 12. Cette critique s’inspire vraisemblablement de Schiller, qui se voit obligé de radicaliser le principe pour ne pas verser dans l’insignifiance.
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[78]
« What Pragmatism is » ; article « Pragmatism » du dictionnaire de Baldwin ; « The Issues of Pragmatism ». Lalande utilise en outre le texte de « Comment rendre nos idées claires ».
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[79]
Le catalogue Robin des manuscrits et lettres de Peirce mentionne trois brouillons de lettres de Peirce à Lalande datés des 22 et 23 novembre 1905. La lettre du 22 novembre a été publiée par Gérard Deledalle (« La nature du pragmatisme », Revue philosophique, 159, 1969, p. 38).
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[80]
André Lalande, « Pragmatisme et pragmaticisme », art. cit. Jean Bourdeau, dans Pragmatisme et modernisme (op. cit., 1909, chapitre écrit en 1907, p. 40), confesse ne connaître d’autre étude d’ensemble sur le pragmatisme que cet article de Lalande, qui est « le meilleur guide » en la matière.
-
[81]
André Lalande, « Le Mouvement logique », Revue Philosophique, 63.3, mars 1907, p. 256-288.
-
[82]
Giovanni Vailati, « Pragmatism and Mathematical Logic », The Monist, 16.4, 1906, p. 481-491.
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[83]
Cf. F.C.S. Schiller, « Axioms as Postulates », in H. Sturt (éd.), Personal Idealism, Londres et New York, Macmillan, 1902, p. 47-133. En réalité, Peirce se prononce contre cette position, cf. sa recension de Personal Idalism dans The Nation du 4 juin 1903.
-
[84]
Cf. René Berthelot, op. cit., dont un chapitre du premier livre porte explicitement sur Peirce et Nietzsche.
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[85]
André Lalande, Recension de Truth and reality de John Elof Boodin, Revue philosophique, 77, 1914, p. 194.
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[86]
Recension par Lalande du Dictionnaire philosophique de l’Abbé Elie Blanc, Revue Philosophique, 63.3, 1907, p. 425-8.
-
[87]
« Le Mouvement logique », art. cit., p. 285.
-
[88]
Cf. Ivor Grattan-Guinness: « From 1904 the word “logistic” was adopted to denote the new mathematical logic; but it covered both the position of the Peanists and that of Russell. » (The Search for Mathematical Roots 1870-1940, Princeton University Press, 2000, p. 10)
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[89]
André Lalande, « Philosophy in France (1905) », Philosophical Review, 15.3, mai 1906, p. 241-266.
-
[90]
Louis Couturat avait en outre été rendu sensible aux travaux de Peirce par son amie personnelle Christine Ladd-Franklin, l’une des élèves les plus brillantes de Peirce. Le trio a du reste co-écrit l’article « Symbolic Logic » du dictionnaire de Baldwin.
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[91]
« Le Mouvement logique », art. cit., p. 86.
-
[92]
Pour Couturat, la philosophie pragmatiste « consiste à juger de la vérité d’une proposition par ses conséquences pratiques ; elle subordonne ainsi la vérité à l’utilité, ou plutôt elle la définit par l’utilité. » (« La Logique et la philosophie contemporaine », Revue de métaphysique et de morale, 14.3, mai 1906, p. 334.)
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[93]
On réserve cette acception étroite au mot « logicisme » depuis Fraenkel et Carnap, cf. Ivor Grattan-Guinness, op. cit., p. 4.
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[94]
Recension de The Development of Symbolic Logic, a critical-historical study of the logical calculus, par A.-T. Shearman, Revue de métaphysique et de morale, supplément, juillet 1906, p. 9.
-
[95]
« Les Principes des mathématiques », Revue de Métaphysique et de Morale 12, 1904, p. 19-50.
-
[96]
Idem, p. 22.
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[97]
Recension de The Development of Symbolic Logic, art. cit., p. 9-10.
-
[98]
Cette vision est pourtant très commune. Cf. par exemple M.H. Fehr, « Sur la fusion progressive de la logique et des mathématiques » (discours d’ouverture), in Congrès international de Philosophie, iie Session, Rapports et Comptes Rendus, Genève, Kundig, 1905, p. 677-679. Ernest Nagel écrit à propos des tentatives peirciennes sur les algèbres généralisées : « There can be little question that Whitehead’s Universal Algebra represents the culmination of some of Peirce’s attempts in that direction » (« Charles Peirce’s Guesses at the Riddle », The Journal of Philosophy, 31, 1934, p. 188).
-
[99]
Le récent livre de Christiane Chauviré, L’Œil mathématique. Essai sur la philosophie mathématique de Peirce (Paris, Kimé, 2008), propose une clarification de la question en prouvant que Peirce maintient une notion d’analycité logique forte sans verser pour autant dans le logicisme.
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[100]
« Les Principes des mathématiques », art. cit., p. 22.
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[101]
Louis Couturat, La logique de Leibniz d’après des documents inédits, Paris, Félix Alcan, 1901, p. 387. Cf. aussi Revue des questions scientifiques de la société scientifique de Bruxelles, p. 679.
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[102]
Louis Couturat, « L’algèbre universelle de Whitehead », Revue de Métaphysique et de Morale, 8, 1900, p. 323-362.
-
[103]
Recension de The Development of Symbolic Logic, art. cit.
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[104]
« Les Principes des mathématiques », art. cit., p. 39.
-
[105]
Léon Brunschvicg rend un même hommage à Peirce, Schröder et Russell pour leur logique des relations dans Les Étapes de la philosophie mathématique, Paris, Félix Alcan, 1912, p. 559.
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[106]
Théodore Flournoy, La Philosophie de William James, op. cit., p. 62.
-
[107]
Précis de philosophie, Paris, Poussielgue, 1913, p. 74.
-
[108]
Il est vrai que les textes de la Logique de la science ont une tendance un peu « scientiste » qui n’est pas représentative de l’œuvre de Peirce. Ils ont été écrits à une période où Peirce, depuis 1872, se consacrait entièrement à ses travaux scientifiques et ne donnait aucune conférence de philosophie.
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[109]
Recension de M. Calderoni et G. Vailati, « Origine et idée fondamentale du Pragmatisme », Revue Philosophique, 69, 1910, p. 438.
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[110]
« La jeunesse académique et la foi catholique », dans La liberté, journal politique, religieux et social de Fribourg, 21 février 1914.
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[111]
Pragmatisme et sociologie : cours inédit prononcé à la Sorbonne en 1913-1914 et restitué par Armand Cuvillier d’après des notes d’étudiants, Paris, Vrin, 1955, p. 35.