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Article de revue

L'utopie de la non-analyse

Pages 163 à 174

Une ré-écriture analytique de la non-philosophie

1Le futur de la psychanalyse, nous pouvons le remplir avec les nouvelles sciences, avec des métissages encore inconnus et des concepts plus raffinés encore que les actuels. Mais la non-analyse est autre chose. Ce n’est pas une métapsychanalyse, une nouvelle métapsychologie de l’Inconscient. C’est une théorie conjecturale qui explique que le Réel de l’inconscient soit susceptible de recevoir plusieurs interprétations équivalentes, en particulier des modèles psychanalytiques différents. Ce n’est pas une théorie supplémentaire qui dirait ce que doit être l’analyse et qui entrerait en concurrence avec les théories déjà existantes. Au contraire, c’est la seule théorie universelle et d’une certaine manière non constituante ou non suffisante et qui dans cette mesure pose l’équivalence de toutes les théories qui se présentent comme des décisions positives sur la pratique de l’analyse. Toutefois ce n’est pas un simple espace de possibilité neutre et qui n’aurait pas d’effets sur la pratique supposée être un noyau de clinique irréductible. Elle a des effets sur les théories du fait même qu’elle les prive de leur prétention spontanée d’omnipertinence ou de suffisance – et, par conséquent, des effets sur la pratique. Il y a certes un noyau clinique invariant mais il ne faut pas concevoir cette invariance empiriquement comme statique mais comme transcendantale et donc admettant des variations. Cette invariance clinique, faite de règles traditionnelles longuement expérimentées et informées par les théories, est plutôt comme un matériel pour la non-analyse, matériel d’objets et de pratiques qu’elle transforme selon une tout autre règle fondée sur une autre conception du Réel.

Révision, réduction, démocratie

2Commençons par compliquer le problème, simplifiant ses données mais se les donnant toutes. Les rapports de la philosophie et de la psychanalyse sont doublement insatisfaisants. D’un côté, si l’époque n’est plus à l’assimilation théorique de la découverte révolutionnaire de Freud, elle est plus que jamais à sa sauvegarde. L’adversaire principal de la psychanalyse est le « révisionnisme » ou la « révision » ; c’est pourquoi il a été et reste la philosophie, c’est le plus sérieux et le plus digne mais c’est aussi le plus dangereux et le plus retors, et de toute façon le guide du retour de l’analyse à la culture. De l’autre côté, la position inverse et complémentaire est tout aussi insatisfaisante et contradictoire. L’adversaire principal de la philosophie est le réductionnisme et c’est ici la psychanalyse qui mène la lutte. Contre le tranchant de l’inconscient, la révision par les généralités des sciences humaines et de la philosophie. Contre les ambitions de la philosophie, une certaine réduction par le matérialisme que l’analyse traîne à sa suite. Autrement dit, si un retour à Freud est encore nécessaire pour mettre sa découverte à l’abri du révisionnisme de la philosophie et réciproquement pour mettre la philosophie à l’abri de sa réduction analytique, il est urgent de quitter leurs rapports traditionnels de lutte et de changer de terrain, car cette guerre n’est pas très intéressante, elle est surtout répétitive, de passer sur un terrain qui ne soit plus celui de l’Inconcient classique mais qui permette cependant une véritable analyse de la philosophie. Ni celui de l’être ou du Logos mais qui permette cependant une véritable pensée de l’analyse.

3Notre problème n’est donc pas celui d’un nouveau métissage entre disciplines humaines ou non, d’une nouvelle capture sauvage ou d’un traité de paix toujours provisoire mais du principe de ces métissages. Quel principe ? Celui de la démocratie entre ces disciplines, donc du principe qui règle a priori en quelque sorte à égalité leur association dans l’exercice de la pensée et pas seulement, comme d’habitude, dans le seul objet de la pensée. La démocratie n’est plus ici l’objet d’une théorie ou un idéal de la raison politique, mais l’essence de la théorie. Il signifie l’équivalence de validité de la philosophie et de la psychanalyse au regard du Réel, cette équivalence des méthodes ayant un sens de métaphore « non euclidienne », de là le terme de « non-analyse » et pas seulement d’analyse « non freudienne » ou « non lacanienne ».

4Quel est ce Réel non empirique capable de valoir et pour la philosophie sans la réduire et pour l’analyse sans la réviser ? Qui n’aboutisse ni à une nouvelle philosophie de l’analyse ni à une nouvelle psychanalyse de la philosophie ? Par son côté de « Réel », ce sera un nouvel « inconscient » s’il mérite encore ce terme. Une claire détermination des objets de la philosophie et de l’analyse est exigée mais plus encore une élucidation de ce nouvel objet (au sens large) dont le leur serait maintenant un symptôme. De là un déplacement global de ces deux disciplines et leur reposition sur un nouveau terrain. Au regard de ce Réel que nous hésiterons à baptiser encore du terme d’ « Inconscient » ou du terme d’ « être », ces deux disciplines acquièrent l’égalité d’être toutes deux des symptômes et de ne plus valoir ou prétendre valoir absolument l’une contre l’autre. Cette instance devrait donner lieu à une analyse ou une interprétation universelles des énoncés philosophiques et analytiques. Elle ne peut être de l’ordre d’un Inconscient de type psychologique et donc réducteur de la philosophie à de l’imaginaire du même type. Comme symptôme, illusion ou fantasme, elle n’est pas du même type que ceux de la psyché. L’analyse fournit un modèle possible mais sous réserve d’une adaptation ou d’un renouvellement de son outillage théorique, concepts et procédures. Plus qu’une adaptation, un vrai changement de terrain de l’Inconscient lui-même est nécessaire.

5Ce projet est moins celui d’une méta-analyse que d’une non-analyse. La première procéderait par ajout, excès et dépassement philosophique de l’analyse combiné avec un dépassement analytique de la philosophie, une sorte de potentialisation réciproque des deux discours à la manière de Deleuze et aussi de Derrida. La seconde procède plutôt par soustraction de la suffisance philosophique et du pouvoir analytique à partir d’un changement de terrain des concepts de la philosophie et de l’analyse. Le nouveau « terrain » est le Réel-en-personne, soit l’Un comme simplement en-Un, donc immanent et vide, Vide immanent, en tant qu’il est soustrait au complexe philosophico-analytique. Et ce n’est justement pas en toute rigueur un terrain ou un sol positif à la manière philosophique. Le Réel-en-personne est une condition conjecturale et « négative », nécessaire mais sans suffisance, pour une analyse qui vaudrait enfin pour la philosophie sans la réduire, pour l’analyse sans la réviser, pour le mélange ou les métissages des deux sans les opposer de manière adverse en face à face. L’axiome fondamental de la non-analyse est que le Réel de l’Inconcient et de l’être est forclos à tout discours, au discours qu’il manifeste lui-même ou donne, et que c’est justement cet être forclos qui détermine un discours et une pratique non analytiques.

Une théorie unifiée de la philosophie et de l’analyse

6Schématiquement la non-analyse se fonde sur le rejet réglé du mythe de l’homo philosophicus et de l’homo analyticus. Plus qu’une analyse pour la philosophie, une philosophie pour l’analyse, nous cherchons à les mettre en un non-rapport. Il n’y a pas de rapport de l’analyse et de la philosophie, le Réel le veut ainsi. Comment déterminer une théorie unique qui les dé-lie en une pratique unique ? Toutes ces exigences (une nouvelle définition de l’Inconscient, de la pratique qu’il implique et de l’usage ou du statut qui en résulte de ces deux disciplines) dépendent de leur introduction au Réel. Celui-ci nous met dans une situation « utopique », qui n’est pas de retour à Freud (Lacan et Althusser) ou à Platon (pour certains philosophes) ou encore à Marx par exemple. Elle est d’avoir à aller pour la première fois à Freud, à découvrir, inventer le langage de cette découverte, l’instance qui peut transformer philosophie et analyse en symptômes d’un nouveau genre indéfinissable en termes philosophiques et analytiques. Concepts et pratiques ne sont plus que des symptômes pour lesquels nous cherchons une nouvelle intelligibilité que ni la philosophie ni l’analyse ne connaissent. Nous allons à Freud, nous n’y retournons pas, nous avons à les transformer-connaître comme de nouveaux symptômes, pas à les reconnaître ou les répéter comme de vieux symptômes.

Le désir philosophique

7Pourquoi maintenant une analyse spéciale de la philosophie qui passe pour la conscience lucide de soi ? L’analyse existante a de toute façon soupçonné déjà le peu de vérité de la conscience philosophique mais d’une manière somme toute vague et psychologique, procédant aussi au coup par coup, réductrice de toute façon. Le problème n’est pas de sauver une nouvelle fois la philosophie de la concurrence analytique et de procéder à une revanche comme cela a été le cas avec Ricœur, Henry, Derrida, Foucault et Deleuze. Il faut plutôt identifier un mal ou un malaise propre à la philosophie et peut-être plus considérable que l’analyse ne l’imaginait parce qu’il n’est pas d’origine psychologique. Mais aussi une positivité et une consistance qui ne se laisse pas réduire et démembrer aussi facilement que l’analyse le penserait. Ni dans la critique ni dans la sauvegarde de la philosophie, notre projet ne recoupe celui des philosophes acculés à une posture d’autodéfense plutôt stérile.

8La philosophie n’est pas opératoire au sens scientifique sur le Monde. Elle se projette spéculairement sur lui par le moyen d’une identification à la connaissance par exemple scientifique et de sa capture. Intervenir philosophiquement, c’est opérer de cette manière et croire qu’il s’agit d’une pratique « véritable ». Son problème tient à ce que l’on appellera une spécularité de fond qui a trois effets. Le premier est un tout-fonctionnement ou un tout-englobant immanent qui empêche la quasi-objectivation de l’examen théorique. Une analyse de la philosophie ne peut que suspecter cette spontanéité qui refuse d’être examinée théoriquement et qui ne s’examine qu’elle-même selon ses propres règles, critères et tribunaux, et s’empresse de se ré-approprier toute tentative venant d’ailleurs que de soi. Le second est une pratique de hiérarchie et de domination, de surmontement et de maîtrise de soi et des autres, une constante activité de dépassement parfois freiné ou retardé, ou bien inhibé, mais jamais réellement analysé de manière théorique dans ses propriétés. La seule pratique de la philosophie, dans la mesure où il y en a une, n’est pas théorique mais politique en un sens du terme qui a quelque titre à être dit « fondamental » et pas seulement métaphorique. Le désir philosophique ne donne lieu, pas plus qu’il ne la permet, ni à une pratique ni à une théorie rigoureuses ou une connaissance. Le troisième est une certaine stérilité liée à l’autocontemplation et à l’idéalité qu’elle suppose, un idéalisme et un théoricisme qui font système et se consument dans des actes de domination de soi qui, vides de toute connaissance, se dispersent en effet dans les hallucinations et les apparences. La philosophie est donc un désir qui a des aspects théorique, pratique et surtout politique, mais sans plus, donc des effets ou des apparences.

9On peut ainsi faire une lecture quasi analytique de la philosophie. Nous sommes fascinés et prisonniers de la foi philosophique au moins à l’égal, mais le principe est le même, que par l’attitude naturelle selon Husserl. Nous fondons nos jugements et nos objectifs les plus élevés dans l’évidence philosophique sans avoir interrogé celle-ci dans les raisons et surtout la portée de son désir. C’est la force du désir philosophique comme jouissance du Réel compris comme l’Absolu, de se justifier lui-même, et la philosophie est experte entre toutes en matière de légitimation. Il faut concentrer toutes les résistances philosophiques dans une seule forme, un seul principe, comme Lacan dans la jouissance de l’Autre, suprême illusion qui conduit l’imaginaire. Ce sera la jouissance du Réel, à exploiter dans tous les concepts et registres.

Les concepts fondamentaux de la non-analyse

10C’est le fameux trépied RSI qu’il faut prendre comme fil directeur, non seulement parce qu’il fait une place reconnue au Réel, mais parce qu’il est globalement analytico-philosophique. Ses triades systématiques sont le résidu inéliminable du système philosophique dans la théorie lacanienne où elles apparaissent avec plus de clarté qu’ailleurs. Nous sommes condamnés aux langages des deux sources, en particulier condamnés à imiter Lacan parlant de la dimension du Réel comme essentielle à l’Inconscient.

1. Le Réel

11Les types de réalité sont au moins trois. La Conscience avec ses modes, l’Inconscient et sa transcendance ontique noire, enfin le Réel comme être-donné-en-personne ou radicalement immanent. Conscience et Inconscient sont des modes de la transcendance, soit idéelle pour la première, soit réelle pour la seconde, ontique, où l’objet absorbe le mouvement idéel de l’objectivation et de sa projection. Quant au Réel, il n’a jamais la forme de transcendance de l’objet, soit idéelle, soit réelle. Ce sont trois types de manifestation qui ne sont comparables qu’en général mais foncièrement hétérogènes. La non-analyse consiste à déterminer les deux formes d’objet imaginaire possibles par l’être-donné radical du Réel.

12C’est la grande invention tardive et hésitante de Lacan, l’une de ses découvertes majeures péniblement arrachée à la révision de la psychanalyse, qu’il place au fond et au-delà du symbolique. C’est d’avoir tiré le Réel de sa confusion avec l’Inconscient même symbolique et réciproquement. Lorsque son concept sera transformé dans le sens de son immanence radicale, le Réel formera à son tour le roc de la non-analyse. L’Inconscient est plutôt de l’ordre général d’une syntaxe. La distinction de l’Inconscient et du Réel, de la causalité de celui-ci sur celui-là est toutefois une découverte préformée dans la philosophie. L’Inconscient comme, d’ailleurs, l’être en philosophie entretiennent avec le Réel et l’Un, et entre eux, les rapports les plus étroits mais sans se confondre. Le trait unaire est l’essence ou plutôt le Réel déterminant du signifiant, et le Réel tel que nous allons l’entendre est l’être-séparé ou l’Autre que... déterminant du nouveau concept de l’Inconscient comme de l’être. Le Réel ne se confondra donc pas, et ici encore moins que chez Lacan, avec la chaîne signifiante.

13Le problème auquel répond le Réel est celui de la cause. La cause philosophique est soit présente ou posée par le Logos, avec tous les mirages de la positivité qui imprègne encore le néant ou le néantir et jusqu’à la différence, soit absente ou manquante comme dans le structuralisme et le lacanisme. Dans les deux cas, elle est un mode de la transcendance, le corrélat d’une altérité, le terme de son néant ou de son manque. On dira qu’elle est déterminante en première instance. Or nous allons poser une cause certes négative mais parce que nécessaire et non suffisante, négative plutôt qu’absente ou encore que manquante, et nous dirons qu’elle est déterminante, mais seulement en-dernière-instance, de la transcendance.

14Le Réel est bien de l’ordre de l’Un mais pas de l’Un transcendant et du trait unaire, celui dont l’analyse et la religion ont la maîtrise. Ni de l’Un transcendantal, celui dont la philosophie cette fois a la maîtrise. Il est difficile de définir le Réel comme tenant de l’Inconscient (parce qu’il exclut ou qu’il est sans-(la)-conscience et sans-l’objet comme idéel). Et comme tenant de la Conscience (parce qu’il exclut l’opacité de l’Inconscient comme savoir écrasé et chiffonné). De tels Uns, « unaires » ou transcendantaux, ne sont pas phénomène, ils trouvent leur phénoménalité soit dans une division et un redoublement, dans un autre Un encore plus élevé au moins en droit, soit dans un trait, marque ou trace dite « Un ». Si bien que l’Un est finalement un attribut et n’est pas phénoménal de part en part. Au contraire, l’Un phénomène de part en part, qui est son propre phénomène, est dit ici « Un-en-Un » ou « Un-en-personne ». Avant de parler de trait unaire, il faut savoir ce qu’est l’Un de l’ « unaire » et cesser de faire de l’Un un adjectif ou une propriété. C’est le seul moyen d’expliquer que l’Inconscient ne soit pas une chose même logique, un savoir extérieur ex machina pour un analyste, et que l’analysant comme être humain et pas seulement comme logicien puisse avoir malgré tout, certes avec une aide, accès à son inconscient. Voulant éviter le chosisme biologique, Lacan a donné dans un chosisme logico-linguistique et en général a conservé, lui donnant un autre contenu, la transcendance ontique de l’Inconscient biologico-philosophique. Il faut admettre qu’il y a une forme de savoir propre au sujet ou du moins à l’ « homme » et irréductible à un savoir pour un tiers ou un observateur comme est le savoir logique, une phénoménalité de l’Inconscient irréductible au Logos et par exemple à la phénoménologie. Le Réel-en-Un est ainsi une apparente tautologie mais, à la différence des tautologies logico-philosophiques, celle-ci est effective comme une immanence radicale et non comme la dualité ou l’égalité du Principe d’identité tel qu’il se déploie en se redoublant dans la transcendance.

15Cette cause, le Réel, est donc « par immanence ». C’est ce qui explique qu’elle soit hétéronome universellement pour les deux disciplines dont nous faisons notre imaginaire. La cause est radicalement univoque, donc indifférente ou forclose à toute pensée, mais valant universellement aussi pour chacune d’elles deux. L’Un est ainsi Autre que... ou séparé, autre-que... les deux discours tout en s’y rapportant, les prenant pour objet ou les déterminant d’une manière que l’on dira, étant donné cette indifférence réelle, en-dernière-instance seulement. Il faut comprendre que cette indifférence réelle, cet être-séparé ou forclos dans son essence au langage, n’est pas la séparation d’un Absolu philosophique mais peut être en même temps une indifférence transcendantale et se rapporter à un donné de langage. Ainsi effectuée par l’imaginaire des deux discours comme transcendantale, elle est évidemment la cause du flottement de l’attention analytique et suspend toute prise de position ou jugement sans du tout négliger le discours donné qui lui sert de matériel. L’attention flottante n’est pas une « règle », c’est l’indifférence transcendantale telle que le Réel peut l’assumer.

16Le Réel comme identité de l’Un-en-Un n’épuise donc pas l’être ni l’Inconscient. De ce point de vue, il est insuffisant, mais il les détermine en leur imposant une certaine syntaxe. Celle-ci n’est pas le « trait unaire » qui reste transcendant et finalement philosophique. On vient de le dire, l’Un comporte une altérité mais immanente ou un Autre-que... par immanence, non relative par exemple au symbolique. C’est un être-séparé mais tel qu’il n’est pas le résultat d’une opération de séparation.

17La vraie mutation de l’analyse est dans son devenir ultimement phénoménal de part en part, certainement pas de manière phénoménologique, sans qu’il soit un retour subreptice à la philosophie. Elle n’est pas dans le passage d’un Inconscient biologique et mécaniste à un Inconscient logico-linguistique, mais plus généralement dans la substitution d’un Inconscient immanent de manière radicale à un Inconscient transcendant, voire « transcendantal » si c’est possible. La psychanalyse comme science rigoureuse ne passe peut-être pas d’abord par une rigueur conceptuelle et mathématique mais par une lutte sur un front qui est double, philosophique et scientifique-analytique.

2. L’imaginaire

18Quel sera l’imaginaire de la non-analyse ? Certainement pas celui du psychisme relevé métaphoriquement, mais l’imaginaire philosophico-analytique, ses structures qui combinent celles de l’analyse et celles de la philosophie dans une entreprise réciproque. Cet imaginaire est tout à fait consistant, il est décelable par une résistance (philosophique et analytique) au Réel-Un. Inversement, la résistance est supportée par cet imaginaire le plus universel, celui qui assume maintenant la double et unique forme du discours qui est notre objet. Cet imaginaire n’est plus intraphilosophique mais constitue le bras séculier de la suffisance philosophique elle-même.

19Quelle est cette structure à l’origine de la résistance la plus universelle ? C’est l’auto-englobement, l’autoposition philosophique qui déborde toute théorie de la Conscience et même de l’Inconscient. La conception radicale du Réel permet de concilier à la fois l’autonomie absolue illusoire et l’autonomie relative de l’imaginaire comme sphère de la réalité.

3. L’apparaître phénoménal de l’Inconscientou le symbolique unilatéral

20Qu’est-ce alors maintenant que l’Inconscient en tant que déterminé par le Réel ? Nous le comprenons provisoirement par rapport au langage analytico-philosophique qui est l’une de ses sources et sans distinguer entre les deux langages. Sa structure sera celle que l’Un-en-Un extrait ou prélève comme un filtre sur le Trois du discours analytico-philosophique. L’Inconscient de la non-analyse sera à l’intersection de ce Trois et du Un. Ce sera le Deux mais un Deux spécial ou « unilatéral ». Ici encore, Lacan a découvert la nature différentielle ou binaire minimale de l’Inconscient, mais il s’est empressé d’effectuer cette binarité dans le signifiant et surtout de la mettre sous la loi de la chaîne signifiante, de sa continuité et de sa légalité de chaîne, soit du trait unaire. Mais, en non-analyse, elle est déterminée par le Réel qui y laisse non pas une marque mais sa propre immanence d’Un sous la forme d’une Identité cette fois transcendantale qui est l’Inconscient proprement dit ou, du moins, son essence. L’Inconscient vient ici maintenant en deuxième position par son essence transcendantale (en un nouveau sens) et non plus en première comme c’est le cas dans la constitution historique de la pensée de Lacan.

211 / Avec le Réel, l’Un comme en-Un, il est dans un rapport de dualité unilatérale parce que l’Un affecte le matériel discursif d’origine de son immanence, de son identité et de son altérité. Le symbolique est rejeté par l’Un réel qui lui est forclos, mais en même temps il devient lui aussi identité ou Un séparé mais qui se dit d’une transcendance et qui est donc transcendantal. On appellera essence du symbolique cet Un qui se dit immédiatement d’une transcendance et qui prend la forme cette fois d’une Identité transcendantale. Le symbolique est du discours déterminé par le Réel sans que celui-ci se confonde ou s’aliène en lui, et qui lui communique en même temps son être-séparé par rapport à son matériel d’origine. Autrement dit, le Réel est forclos au discours imaginaire primitif mais aussi au symbolique dans la mesure où il tient de cet imaginaire. On dira que l’imaginaire mais aussi le symbolique sont dans un rapport de dualité unilatérale avec le Réel.

222 / Quant à sa forme interne, c’est celle de la dualité de mixte ou de la binarité. C’est seulement un quasi-signifiant ou un signifiant unilatéral par rapport à l’Un, nous venons de le dire, mais il est aussi dans un rapport, un non-rapport qui n’est plus de différence finalement réversible avec un autre. Au symbolique correspond non plus une forme de différence signifiante mais une dualité statique et flottante, un Deux. Il faudra décrire cette entité qui n’est définitivement plus de l’ordre linguistico-logique, sinon par son matériel imaginaire.

233 / Quant au sujet, il est l’articulation (effectuée ou complète) du Réel et de l’Inconscient comme ce symbolique unilatéral. Le sujet inconscient a donc pour essence le non-rapport réel-dernière-instance qui se réalise comme Identité transcendantale, tandis que sa logique interne ou son existence est plutôt le mixte, le Deux phénoménal caractéristique de l’Inconscient devenu universel.

L’analyse future. Le langage de l’utopie

24Nous donnons l’apparence d’être à la recherche d’une utopie, mais c’est le genre d’utopie que l’on ne chercherait pas si on ne l’avait déjà trouvée. Plus exactement, nous cherchons à habiter par le langage et la pensée une utopie que nous, les humains, sommes déjà et qui, de l’habiter ou d’effectuer cette habitation, ne va pas à la faire cesser d’être une utopie et à la réaliser, ou à en faire la simple réalisation d’une utopie imaginaire. La pensée-monde, le Monde-en-personne est justement notre imaginaire, la réalité même, tandis que le Réel-en-personne est l’utopie que nous sommes comme humains, nous les déterminants en-dernière-identité, le présupposé réel de la pensée qui a pour objet la réalité ou la « matérialité » de l’imaginaire.

25Nous pouvons induire le langage avec lequel nous l’habitons, des réquisits posés. Si philosophie et analyse sont des symptômes, ce sont nécessairement des symptômes eux-mêmes non analytiques et ils ont donc une universalité elle-même non philosophique. D’où la question : comment cette hyperbole qui use de ces pensées en les excédant avec leurs propres moyens est-elle, a-t-elle été possible ? Ce participe passé signifie justement que nous avons déjà la réponse, que cette découverte est déjà faite et que nous disposons même des langages pour la dire mais encore à l’état de symptômes. Philosophie et analyse sont des pensées du type « total » et méritent même d’être mises sous la forme de principe, Principe de philosophabilité de l’expérience et Principe d’analysabilité de l’expérience. Ces deux principes ne sont pas de même nature, mais il est ici essentiel que chacun à sa manière vaille pour la pensée-monde, du moins tel qu’il la définit sans laisser de reste, philosophie et analyse étant des possibilités plus universelles que leur réalisation effective. Comment peut-on excéder des principes ou des possibilités universelles ? Il y faut une instance définissable sans doute dans les termes des deux discours existants mais indéfinissable dans l’usage suffisant et dominant de ces termes. Autrement dit, il faut un usage non philosophique des termes philosophiques et un usage non analytique des termes analytiques, en tant que le philosophique et l’analytique désignent, eux, un usage du langage, sans doute spontané mais qui se propose de rendre impossible ou contradictoire cette instance inconnue du Réel. C’est l’instance qui transforme cet usage dominant en symptôme. Instance inconnaissable en mode philosophique et analytique mais utopie habitée par nous, c’est-à-dire désignable ou pensable avec nos langages.

26Il n’est plus nécessaire de penser l’avenir de la philosophie et de l’analyse à partir de leur passé historique, de ce qu’elles ont été et de ce qu’elles peuvent encore prétendre être dans l’histoire, car de ce point de vue elles ne veulent qu’elles-mêmes et leur répétition comme mort et survie. Il faut les penser/transformer à partir du futur ou de la conjecture qui leur sont forclos. Non pas en deçà de leur histoire avérée et reconstituée, ou d’un éternel retour mythique, mais en fonction d’un futur radical. Futur-en-personne qui n’est pas lui-même un détachement du passé refoulé. Le problème d’une analyse de la philosophie est de faire advenir celle-ci à l’instance de l’Inconscient plutôt que de porter l’Inconscient à la philosophie. Il faut renoncer à la vision philosophique de l’usage de l’analyse, alors que le rapport vrai en-dernière-instance est inverse, comme Lacan l’a dit pour les rapports de l’Inconscient et du sujet. La philosophie doit advenir au non-lieu selon lequel elle sera. Et ainsi la non-philosophie prendre de court la psychanalyse elle-même.

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