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Article de revue

Leibniz, Budde et Wolff.

Trois modèles de théodicée

Pages 293 à 306

Notes

  • [1]
    Sur l’ordre de dépendance de ces principes leibniziens – harmonie préétablie fondée sur la notion de monade, celui-ci sur le principe de raison suffisante –, cf. L. Couturat, « Sur la métaphysique de Leibniz (avec un opuscule inédit) », Revue de métaphysique et de morale, X, 1902, p. 1-25.
  • [2]
    Sur le « principe du fondement », cf. O. Saame, Der Satz vom Grund bei Leibniz. Ein konstitutives Element seiner Philosophie und ihrer Einheit, Diss. Tübingen, Mainz, 1961 ; J. E. Gurr, The Principle of Sufficient Reason in Some Scholastic Systems 1750-1900, Milwaukee, The Marquet University Press, 1959, p. 11-49.
  • [3]
    La thèse leibnizienne fut toutefois interprétée comme un authentique spinozisme en raison de la nécessité qu’elle accordait aux actions divines : un exemple en est le compte rendu de la Théodicée paru de janvier à juin 1737 dans les Mémoires pour l’histoire des sciences et des beaux-arts, mieux connues comme Mémoires de Trévoux, selon lesquelles l’optimisme de Leibniz serait un « spinosisme spirituel », « un spinosisme tout pur » (on en trouve une analyse in W. Hübener, « Sinn und Grenzen des Leibnizschen Optimismus », Studia Leibnitiana, X/2, 1978, p. 232-234, 236-239 ; et aussi in L. Fonnesu, « Der Optimismus und seine Kritiker im Zeitalter der Aufklärung », Studia Leibnitiana, XXVI/2, 1994, p. 132-135).
  • [4]
    Les implications éthiques et gnoséologiques de la « perfection » leibnizienne ont été remarquées par N. Rescher, « Leibniz und die Vollkommenheit der Welten », Studia Leibnitiana Supplementa, vol. XIV (Akten des II. Internationalen Leibniz-Kongresses, Hannover, 17.-22. Juli 1972, Bd. 3), Wiesbaden, Steiner, 1975, p. 1-14. Sur le « meilleur monde possible » : A. Heinekamp / A. Robinet (hg.), « Leibniz : le meilleur des mondes », Studia Leibnitiana (Sonderheft 21), Stuttgart, Steiner, 1992.
  • [5]
    Sur J. F. Buddeus : M. Wundt, Die deutsche Schulphilosophie im Zeitalter der Aufklärung, Tübingen, Mohr, 1945, p. 63-75 ; A. F. Stolzenburg, Die Theologie des Jo. Franc. Buddeus und des Chr. Matth. Pfaff. Ein Beitrag zur Geschichte der Aufklärung in Deutschland, Aalen, Scientia Verlag, 1979 (réimpression de l’édition Berlin, 1927) ; W. Sparn, Auf dem Wege zur theologischen Aufklärung in Halle : Von Johann Franz Budde zu Siegmund Jakob Baumgarten, in N. Hinske (hg.), Zentren der Aufklärung. I. Halle. Aufklärung und Pietismus, Heidelberg, Schneider, 1989, p. 71-89.
  • [6]
    J. F. Budde, Institvtiones theologiae moralis variis observationibvs illvstratae, Lipsiae, Fritsch, 1711, I, IV, § VIII, p. 125 ; Id., Institvtiones theologiae dogmaticae variis observationibus illvstratae, Lipsiae, Fritsch, 1723, II, 1, § XXX, p. 313-314 ; Id., Elementa philosophiae theoreticae sev institvtionvm philosophiae eclecticae. Tomvs secvndvs, Halae, 1703, Pars VI, Cap. IV, § XVIII, p. 375-376.
  • [7]
    G. Ch. Knoerr / J. F. Budde, Doctrinae orthodoxae de origine mali contra recentiorum quorundam hypotheses modesta assertio, Jenae, 1712, Cap. III, § IV, p. 65 ; Cap. III, § V, p. 72-73.
  • [8]
    Ibid., Cap. III, § XIII, p. 86-87 ; Cap. I, § IX, p. 11.
  • [9]
    J. F. Budde, Elementa philosophiae instrumentalis sev institvtionvm philosophiae eclecticae. Tomvs I, Halae, 1703, Pars IV, Cap. II, § X, p. 277.
  • [10]
    G. Ch. Knoerr / J. F. Budde, Doctrinae orthodoxae de origine mali, cit., Cap. I, § VI, p. 6 ; Cap. III, § I, p. 64 et § VI, p. 76 ; Cap. III, § IV, p. 68-69 ; Cap. III, § V, p. 74-75 ; Cap. III, § IIX, p. 81.
  • [11]
    Ibid., Cap. I, § IX, p. 9 ; Cap. III, § XI, p. 84.
  • [12]
    De toute façon c’est aussi le cas de F. W. Bierling avec sa Dissertatio theologica de origine mali, Rintelii, 1719, 16, § VI. Sur la dissertation de Bierling, cf. S. Lorenz, De mundo optimo. Studien zu Leibniz’ Theodicee und ihrer Rezeption in Deutschland (1710-1791) (Studia Leibnitiana Supplementa, vol. XXXI), Stuttgart, Steiner, 1997, p. 124-128.
  • [13]
    G. Ch. Knoerr / J. F. Budde, Doctrinae orthodoxae de origine mali, cit., Cap. I, § IX, p. 8 ; Cap. I, § XXII, p. 23 ; Cap. I, § XIIX, p. 20 ; Cap. II, § X, p. 47 ; Cap. III, § VII, p. 78-80.
  • [14]
    Sur la relation Leibniz-Wolff : J. École, « Cosmologie wolffienne et dynamique leibnizienne. Essai sur les rapports de Wolff avec Leibniz », Les Études philosophiques, XIX, n. 1, 1964, p. 3-9 ; F. L. Marcolungo, Wolff e il possibile, Padova, Antenore, 1982, p. 35-71.
  • [15]
    Cf. aussi H. Wuttke, Christian Wolffs eigene Lebensbeschreibung, Leipzig, 1841, p. 82 : « [J’enseignais] comment les monades de M. von Leibnitz étaient encore une énigme, bien qu’encore aujourd’hui peu de gens les connaissent et aient compris son [Leibniz] SYSTèME qui commence seulement là où finit le mien [?]. »
  • [16]
    Cf. H. Poser, « Zum Begriff der Monade bei Leibniz und Wolff », Studia Leibnitiana Supplementa, vol. XIV, Bd. 3, cit., p. 383-395.
  • [17]
    Cf. Ch. A. Corr, « Did Wolff follow Leibniz ? » : G. Funke (hg.), Akten des 4. Internationalen Kant-Kongresses. Mainz, 6-10 April 1974, Teil II . 1, Berlin-New York, de Gruyter, 1974, p. 11-21.
  • [18]
    Cf. H. M. Wolff, Die Weltanschauung der deutschen Aufklärung in geschichtlicher Entwicklung, München, Lehnen, 1949, p. 114.
  • [19]
    Cf. M. Casula, « Die Lehre von der prästabilierten Harmonie in ihrer Entwicklung von Leibniz bis A. G. Baumgarten », Studia Leibnitiana Supplementa, vol. XIV, Bd. 3, cit., p. 397-414.
  • [20]
    Cf. M. Campo, Cristiano Wolff e il razionalismo precritico, Milano, Vita e Pensiero, 1939, vol. 2, p. 563.
  • [21]
    Sur la discussion de la liberté leibnizienne dans la scolastique allemande, cf. K. Schröder, Das Freiheitsproblem bei Leibniz und in der Geschichte des Wolffianismus, Diss. Halle-Wittenberg, 1938.
  • [22]
    Sur la théodicée wolffienne, cf. O. Willareth, Die Lehre vom Uebel bei Leibniz, seiner Schule in Deutschland und bei Kant, Diss. Strassburg, 1903, p. 29-37 ; O. Lempp, Das Problem der Theodicee in der Philosophie und Literatur des 18. Jahrhunderts bis auf Kant und Schiller, Leipzig, Dürr, 1910, p. 65-75 ; H. Günther, Das Problem des Bösen in der Aufklärung, Frankfurt/M., Lang, 1974, p. 55-72.
  • [23]
    Cet anthropocentrisme contraste évidemment avec la transposition de la pensée leibnizienne pour laquelle le but de Dieu dans la création serait la manifestation de sa magnificence (Mét. allem. I, § 1045).
  • [*]
    Cet article a été rédigé durant un séjour d’études à Munich financé par la Deutsche Forschungsgemeinschaft (DFG). Je désire exprimer à cette institution mes remerciements les plus cordiaux.

1Les principales questions auxquelles les Essais de théodicée leibniziens entendent répondre sont bien connues : d’un côté, la liberté humaine et sa compatibilité avec la nature divine ; de l’autre, le mal présent dans notre monde et sa pensabilité en relation avec l’idée d’un Dieu sage et bon. À y regarder de plus près, on a toutefois délimité de cette façon un objet d’enquête beaucoup plus ample que les deux thèmes mentionnés ci-dessus : puisqu’il est question de liberté, il s’agit de rechercher tout d’abord les conditions qui la rendent possible, c’est-à-dire d’établir quelle faculté est libre et dans quelle mesure ; puisqu’on veut aussi défendre l’œuvre divine, il s’agit de montrer deuxièmement que les qualités de la nature de Dieu ne sont pas en contradiction avec la douleur et l’état de misère que les hommes ont devant leurs yeux. Il est maintenant évident que cette double justification passe par la réponse à la question qui traite de la relation entre Dieu et l’homme – en d’autres termes, à la question qui considère la place et le rôle de l’homme à l’intérieur de l’univers voulu par Dieu.

2Ce que nous souhaitons mettre ici en évidence, c’est la différence relative à l’anthropologie qui se trouve à la base de certains systèmes philosophiques, en particulier en ce qui concerne l’élaboration de la théodicée leibnizienne – au sens positif ou négatif. Notre recherche se développera en deux phases : on verra que, au-delà d’une division centrale entre positions spéculatives, qui pourraient être définies en termes de « rationalisme » contre « volontarisme », il en existe aussi une qui met en évidence le développement des paramètres théoriques qui sont à leur fondement. Ce qui vaut pour Leibniz ne vaut pas pour Wolff ou Budde. Cette vision diachronique correspond, à notre avis, à un double besoin : avant tout à celui d’adoucir, pour ainsi dire, certaines formules aussi bien que certaines catégories spéculatives (rationalisme-volontarisme), et d’obtenir par conséquent un cadre des positions en jeu le plus contrasté possible ; ensuite à celui de montrer que cela devient possible lorsqu’une conception bien précise de l’homme et de Dieu – parlons d’ « anthropologie » et de « théologie » – est considérée comme fondement explicatif d’une certaine forme de théodicée.

31 / La réfutation des objections proposées par Pierre Bayle qu’on trouve dans les Essais de théodicée leibniziens s’appuie sur une notion bien précise de l’homme et de Dieu. Leur être en tant que monades – substances simples sans fenêtres, toutefois dotées d’un principe interne qui est à la base de leurs changements (Monadologie, n. 7, 11) – implique, par rapport à la question de la liberté (la première des thématiques énoncées auparavant), que l’indépendance qui caractérise l’être humain trouve une signification seulement en relation à l’ordre qui détermine les relations entre l’homme et les autres monades finies. C’est l’harmonie préétablie qui soutient et dirige, pour ainsi dire, ces différents centres de force ; c’est donc Dieu, comme monade suprême, qui donne un sens à leurs causes efficientes. Le primat de ce « sens » par rapport au pouvoir brut parle en faveur d’une finalité gouvernée par un principe, celui de convenance, qui gouverne l’agir même de Dieu (Principes de la Nature et de la Grâce, n. 11) [1].

4Les conséquences qui en découlent sont au moins au nombre de deux : a) La liberté humaine ne peut pas être opposée au vouloir divin, si c’est en relation avec ce dernier qu’elle devient possible. Elle ne peut pas non plus s’opposer aux autres monades finies ; au contraire, elle existe grâce aux impulsions qui lui en viennent. On comprend que, dans cette « philosophie des relations », la liberté n’est jamais un acte absolu, sans contexte, mais un acte qui est conditionné. D’où la prise de position de Leibniz contre l’ « indifférence d’équilibre » (Théodicée, II, 175, 176, 199, 232) – « une chimère », qui ne considère pas le nombre infini de mouvements imperceptibles de l’âme qui la détermine, sans cependant la rendre nécessaire. Indifférence, oui, mais déterminée – autrement, on nierait le principe de raison suffisante qui est au fondement des vérités de fait, contingentes et dont l’opposé est possible (Monadologie, n. 33, 36) [2]. Un choix peut alors être considéré comme certain, mais pas comme absolument nécessaire. b) Ici prévaut le primat de l’entendement sur la volonté, ce qui signifie qu’une activité libre suppose la représentation d’un objet désiré, qui peut inciter l’homme, mais non le déterminer, à agir. De plus, cela parle en faveur d’une signification bien spécifique de la liberté : puisque toute volition a à son origine une raison, celle qui possède le mobile le plus clair possible, c’est-à-dire le plus proche de l’entendement et le plus éloigné de la sensibilité, serait libre. L’identification entre liberté et rationalité qui se dessine ici s’inscrit d’une façon tout à fait conséquente dans la réfutation leibnizienne de l’indifférence d’équilibre en faveur d’une spontanéité éclairée par la raison : « Le sage ne veut que le bon : est-ce donc une servitude, quand la volonté agit suivant la sagesse ? Et peut-on être moins esclave, que d’agir par son propre choix suivant la plus parfaite raison ? » (Théodicée, II, 228).

5Puisque Dieu représente la monade parfaite, il se distingue des autres monades par une différence non de nature, mais de degré : dans le monde des relations leibniziennes, une solution de continuité – comme le serait la dissemblance absolue entre le Créateur et les créatures – impliquerait la destruction de l’ordre. Autrement dit, le réfléchissement réciproque entre Dieu et les hommes – comme il est réglé par l’harmonie préétablie – n’est rien d’autre qu’un corollaire du refus de l’ « arbitrarisme » ou d’un « nécessitarisme » créateur, éloigné donc du cartésianisme autant que du spinozisme [3]. L’image de Dieu qui se forme de cette façon n’est pas celle d’un Créateur caché, absolument incompréhensible dans ses choix et dans son agir, mais celle d’un être suprême excusable – en cela la théodicée n’existe pas par hasard : il est donc vrai que l’homme ne connaît pas les plans de Dieu (Théodicée, II, 134), ce qui ne signifie toutefois pas que grâce à sa raison – la même que Dieu quant à l’essence, bien que différente quant à l’extension – il ne puisse pas donner un sens à l’œuvre divine. Dieu n’a pas alors un pouvoir tout à fait despotique et irrationnel : sa volonté est aussi soumise à l’entendement, en particulier aux vérités éternelles qui y sont contenues : malgré cela – ou, pour mieux l’exprimer, pour cette raison – ses choix sont toujours parfaits, parce que, à la différence de l’homme, il n’est pas conditionné par ses sens et possède donc une vision absolument distincte des choses. Cela va dans le sens d’une liberté parfaite. Ses qualités – puissance, bonté, sagesse (la justice n’étant pour Leibniz pas « autre chose que la bonté conforme à la sagesse ») –, comme leurs relations, se conforment à cette dépendance, en réfléchissant, pour ainsi dire, leur ordre hiérarchique. On ne peut donc pas parler de puissance en soi, sans la rapporter à la sagesse ; d’autre part, la bonté divine, séparée d’une sage intuition du monde, n’est rien d’autre qu’une chimère (Principes de la Nature et de la Grâce, n. 9, 13). Cet ordre hiérarchique entre l’entendement et la volonté, auquel correspond celui entre la bonté et la sagesse – la souveraine bonté divine est aussi sage et se plie par conséquent à « des raisons supérieures invincibles », – porte en soi le dédoublement de l’agir volontaire. À côté d’une volonté antécédente, détachée ou particulière, qui « repousse tout mal », il y en a une conséquente ou décrétoire, qui corrige, pour ainsi dire, les prétentions trop hautes de l’autre et qui agit selon le principe de la convenance ou du meilleur (Théodicée, II, 114-116, 119, 209, 222). Même pour l’homme, la distinction ainsi considérée existe et passe dans son cas par le refus de l’indifférence d’équilibre. « L’infinité de grands et petits mouvements internes et externes » (Théodicée, I, 46) est en effet à l’origine des différentes prédéterminations qui inclinent la volonté humaine sans la déterminer avec nécessité. De la même façon qu’en Dieu chacune des volontés est particulière et détachée, c’est en s’unissant aux autres qu’on obtient la détermination finale. Cependant, si l’entendement divin est parfait, et pour cette raison toujours capable de proposer à la volonté le meilleur, l’entendement humain est souvent confus, les représentations qu’il offre à la volonté résultent donc du degré inférieur de la perfection suprême.

6Sur la base d’une telle caractérisation de l’homme et de Dieu, on comprend les réponses de Leibniz à Bayle sur les questions de l’existence du mal dans le monde (notre seconde thématique). En ce qui concerne le Créateur, fondement suprême de l’harmonie préétablie et donc raison dernière de l’univers dans lequel les monades finies se trouvent, il est illégitime de parler, comme Bayle prétend le faire, d’un pouvoir absolu que Dieu aurait de ne pas permettre le mal ; puisque lui aussi est soumis aux vérités éternelles qui sont dans son entendement, il doit créer un univers comme le nôtre. La nécessité qui gouverne sa puissance et sa volonté n’est cependant pas métaphysique – cela signifierait donner raison à Spinoza –, mais seulement morale. Il aurait pu créer un autre monde – cela n’aurait pas été contradictoire –, ce monde-là n’aurait toutefois pas été le meilleur, celui que son entendement voit comme le plus parfait [4]. Il faut donc reconnaître que la permission du mal représente au contraire une suite indispensable de la bonne volonté divine : « Permettre le mal, comme Dieu le permet, c’est la plus grande bonté. » La nécessité morale qui l’y contraint, c’est « une nécessité heureuse », « elle met la perfection divine dans son plus grand lustre » (Théodicée, II, 121 ; III, 374).

7On comprend dès lors que, dans le meilleur monde possible, utiliser le terme de « mal » ne peut avoir qu’une valeur relative : ses trois formes s’inscrivent dans une constellation telle qu’elles sont amoindries dans leur signification absolue. On remarque un tel decrescendo, par exemple dans la définition de la cause du mal métaphysique : elle « doit être cherchée dans la nature idéale de la créature, autant que cette nature est renfermée dans les vérités éternelles qui sont dans l’entendement de Dieu, indépendamment de sa volonté » (Théodicée, I, 20). Cette limitation originaire constitue une imperfection originale précédant le péché – une thèse, qui, comme on le verra, sera bientôt critiquée –, c’est-à-dire une privation par rapport à Dieu. La cause du mal métaphysique n’est donc pas efficiente, mais déficiente. Puisque l’homme, en conséquence de cette limitation, ne comprend pas tout distinctement, il se décide souvent pour quelque action qu’il croit bonne, mais qui est en réalité mauvaise. Le mal moral qui en dérive a donc son fondement dans le mal métaphysique, toutefois il reste imputable, parce qu’il n’est pas nécessaire, mais contingent : l’homme aurait pu, sans pour cela donner lieu à une contradiction, faire un autre choix. En ce qui concerne enfin le mal physique, la douleur, les souffrances, il faut les considérer d’un côté comme conséquences nécessaires de la justice divine, dans la mesure où Dieu punit les mauvaises actions – dans ce sens on peut affirmer que le Créateur « est la cause du mal physique » – ; d’un autre côté, en tant que l’homme produit ce mal, comme fait émanant et mérité par l’homme même : sinon, comment comprendre la damnation ? (Théodicée, II, 155 ; III, 266).

8Nous souhaitons mettre en évidence un dernier caractère de la théodicée leibnizienne, parce que, comme on le verra, il constitue un moment central dans notre évaluation des critiques qui lui ont été adressées : son prétendu anti-anthropocentrisme, et par conséquent son théocentrisme, qui essaie d’élever la vision de l’homme de sa condition individuelle et absolument personnelle à une vision plus générale et objective. Dieu aurait pu choisir un monde dans lequel quelques-uns n’auraient fait ou subi aucun mal, mais, en faisant cela, il aurait manqué « à ce qui est dû à l’univers, c’est-à-dire à ce qu’il doit à soy même » (Théodicée, II, 120). Le choix du meilleur est en effet le fruit de la manifestation de sa gloire – et c’est une thématique que Leibniz reprend de Malebranche.

92 / À cette conception leibnizienne s’oppose de façon marquante la réflexion théologique-philosophique de Johann Franz Budde [5]. Connu avant tout pour sa polémique avec Christian Wolff dans les Bedenken über die Wolffianische Philosophie de 1724, Budde appartient à ce qu’on appelle l’Übergangstheologie, moment où la théologie évangélique allemande, s’ouvrant aux études philosophiques, s’éloigne d’une certaine conception orthodoxe de la religion, sans pour autant s’identifier complètement avec les réformes augurées par le mouvement piétiste.

10Si Leibniz avait traité la question de la théodicée en se servant du principe de raison suffisante – pour lequel Dieu est soumis à une nécessité morale de créer le meilleur des mondes possibles – comme levier, Budde met en évidence, au contraire, l’absoluité du choix divin. Il est vrai que tous les vouloirs, même ceux de Dieu, supposent une représentation de l’entendement ; il est vrai que Dieu peut réaliser seulement le possible ; il est vrai que sa puissance est ordonnée et non accidentelle : cela ne signifie toutefois pas que son agir doive s’orienter selon le critère du meilleur [6]. Budde peut donc affirmer que, si cela était – comme Leibniz le soutient au contraire –, la nécessité hypothétique avec laquelle Dieu choisit le meilleur se transformerait en une nécessité absolue, car, à y regarder de plus près, l’idée que Dieu possède d’un certain monde devient tout de suite réalité. Si, par rapport à la matière, il est permis de parler d’une infinité de mondes possibles, parce que cela n’implique pas de contradiction logique, par rapport à la cause efficiente, c’est-à-dire Dieu, parler d’un monde différent de celui qu’on connaît se révèle une contradiction. Leibniz peut le faire parce qu’il sépare d’une façon tout à fait illégitime l’entendement de la volonté de Dieu : les vérités éternelles dont il parle ne se trouvent pas au-dessus de la puissance divine, mais en dépendent. La relation entre « meilleur » et volonté ne peut donc que se renverser : « Nam tunc Deus mundum non elegit quia optimus est, sed optimus est, quia elegit. » Son être meilleur ne constitue pas une qualité en soi, mais représente le produit du choix divin. La plénitude qui caractérise la nature de l’entendement divin parle, de plus, en faveur d’une infinité d’idées, toutes également très bonnes [7]. Budde peut donc refuser la distinction leibnizienne entre volonté antécédente et volonté conséquente : « Sed proprie loquendo in re vna, vnica Dei est voluntas ; Deus enim prout simplex est & immutabilis, semper vult idem. » La diversité de la volonté est alors seulement formelle et non réelle, il n’est donc pas vrai que Dieu veut le bien par une volonté antécédente et le meilleur seulement par une volonté conséquente ; au contraire, c’est l’unique volonté divine qui se distingue par rapport à l’objet : ainsi, on peut soutenir que la volonté antécédente est toujours efficace. Suite à ces préliminaires, le concept de « permission » que Leibniz avait fait valoir contre Bayle perd donc sa signification : si Dieu n’avait pas permis à l’homme de pécher, on aurait perdu la liberté humaine, un prix trop haut à payer au nom de l’économie du meilleur des mondes possibles [8].

11Si Leibniz avait mis l’accent sur la sagesse avec laquelle est réglée la puissance de Dieu, de sorte que l’agir divin, pour avoir créé le meilleur des mondes possibles avec les moindres imperfections possibles, puisse être défini comme sage, Budde peut maintenant affirmer que la sagesse divine ne peut pas être mesurée en reconnaissant les imperfections qui forment une totalité avec les perfections : il faut en effet considérer le possible selon la cause efficiente, qui, en tant que Dieu, est parfaite. Cela signifie que les effets doivent être aussi parfaits que l’est la cause, et pour cela plus Dieu commettra d’imperfections, plus il devra être considéré comme impuissant. « Perfection » n’indique plus le caractère de totalité ; au contraire, chaque essence individuelle, en provenant de Dieu, est parfaite [9]. Le monde considéré dans sa totalité ne peut donc plus être meilleur, parce que cela laisserait ouverte la possibilité que ses parties soient très mauvaises ; ce monde où il n’y a pas du mal est au contraire meilleur. Et le nôtre n’est certainement pas dépourvu de maux, il faut plutôt refuser selon Budde la thèse selon laquelle le bien surmonte le mal. N’est donc vrai – comme Leibniz le soutient – ni que ce monde serait moins parfait s’il y avait un mal en moins, ni qu’un mal mineur est un bien, par extension qu’un bien mineur est un mal. La raison que Leibniz avait posée comme fondement à sa thèse, à savoir qu’entre le bien et le mal il n’y a pas d’opposition absolue, mais que de leur union dérive le meilleur, s’effondre : pour Budde il n’existe pas d’harmonie entre ces deux extrêmes, comme le prouvent leurs effets contraires [10]. Le sens de la doctrine du mal métaphysique est ainsi réfuté, les créatures n’ont pas été créées avec des défauts, mais aussi parfaites qu’elles peuvent l’être ; si elles ne le sont plus, c’est parce qu’il s’est passé quelque chose, elles ont désobéi à Dieu. En d’autres termes, on ne peut pas parler d’un mal métaphysique sans tenir compte de la chute de l’homme de son état de perfection, dans lequel il se trouvait après avoir été créé par Dieu [11].

12Si Leibniz s’était déclaré pour une théodicée hors du temps – dans le sens où les raisons qu’il avance pour justifier le mal dans le monde prenaient en considération seulement les natures intemporelles de l’homme et de Dieu –, Budde [12] admet une fracture dans l’évolution du monde, celle produite par le péché originel, que toute argumentation rationnelle bien-fondée devrait prendre en compte. Le christocentrisme de l’histoire de la rédemption remplace le développement dynamique entre les monades : de même, la felix culpa leibnizienne se transforme en une infelix culpa. Budde reconnaît que la venue du Sauveur n’est pas nécessaire au maintien d’un monde très bon, qui d’ailleurs n’est pas très bon ; elle se révèle au contraire contingente, bien qu’indispensable au rétablissement de cette alliance entre Créateur et créatures perdue par rapport au vrai monde meilleur, celui précédant le péché originel. L’anthropocentrisme implicite dans cette thèse se heurte évidemment au théocentrisme leibnizien. Budde peut donc revendiquer d’un côté la priorité du mal moral, en tant qu’il résulte du libre choix de l’homme, sur le mal métaphysique : « Vnde ergo malum ? creaturis intelligentibus. » Bien que pour lui, contrairement à Leibniz, l’erreur morale ne vienne pas d’une volonté qui décide de suivre un entendement ignorant et peu éclairé, la raison dernière qui se trouve à son fondement n’est pas une imperfection essentielle de l’homme par rapport à Dieu. La théorie du mal comme privatio est ici uniquement justifiée en relation à l’acte libre et mauvais. D’autre part, même en ce qui concerne le mal physique, toutes les allusions au mal métaphysique disparaissent en faveur de la relation déjà établie par Leibniz qui le définissait comme suite du mal moral [13].

133 / Nous avons vu dans quelle mesure tant la vision de l’homme comme monade que l’harmonie préétablie qui donne un ordre à ses relations jouent un rôle fondamental dans la théodicée leibnizienne. On peut trouver une confirmation de cette thèse dans le système wolffien qui passe pour être le plus proche de celui de Leibniz : ce n’est pas un hasard si on parle de philosophie leibniziano-wolffienne [14].

14Wolff renonce en premier lieu au concept de monade : on connaît ses doutes par rapport à ce sujet, car – comme il l’avoue lui-même – il n’y a aucune nécessité que les choses simples aient « une seule espèce de force » ; on pourrait envisager, au contraire, qu’aussi « dans les éléments des choses corporelles puisse se trouver une force, de laquelle pourrait dériver d’une façon significative la force des corps, que ceux-ci manifestent dans le mouvement aux côtés des mêmes changements » (Mét. allem. II, 1740, § 215) [15]. Cela signifie, entre autres, que non seulement les monades sans fenêtres, auxquelles correspond le monde des corps, mais ces corps mêmes – substances composées d’êtres simples – sont des substances. La reconnaissance de la réalité empirique du monde matériel n’en est qu’une conséquence directe. Pour cela, Wolff peut affirmer contre Leibniz que ce n’est pas la seule force présente dans les éléments primaires (c’est-à-dire l’appetitus) qui « produit des représentations confuses et obscures », du moment que même les choses extérieures jouent un rôle déterminant. Dans le monde leibnizien, il n’y a par exemple, pour Wolff, aucune force de résistance, d’où ses doutes par rapport à l’harmonie préétablie : « Puisque la force de mouvement doit être originairement dans les éléments et qu’on doit expliquer à partir de ceux-ci de quelle façon elle vient dans le corps, cette considération m’a empêché d’accepter les monades de M. de Leibnitz, du moment que je ne peux pas comprendre de quelle façon une force résistante en peut dériver » (Mét. allem. II, § 216, 251). Le rétablissement du parallélisme psycho-physique d’origine cartésienne, qui devient pour cette raison possible [16], éclaire en deuxième lieu – mais d’une façon tout à fait conséquente – pourquoi Wolff refuse le sens leibnizien de l’harmonie préétablie : dans une telle connexion ce ne sont en effet pas les monades, qu’il a abandonnées, mais les corps et les âmes, dont l’harmonie occupait au contraire chez Leibniz seulement une position secondaire, qui occupent une position première. L’harmonie préétablie se transforme chez Wolff de principe métaphysique – comme elle l’était chez Leibniz – en hypothèse meilleure pour l’explication des faits [17]. Il n’est pas étonnant que Wolff affirme clairement que les déterminations de sa psychologie ne se fondent pas sur la thèse de l’harmonie préétablie, ni non plus étonnant, en admettant le réalisme du système wolffien, qu’une valeur décisive soit attribuée à la perception (Psyc. rat., 1740, § 64) [18].

15Les conséquences en sont, pour ce qui nous intéresse, la fondation d’une anthropologie et d’une théologie différentes de celles de Leibniz. En premier lieu, en ce qui concerne la vision wolffienne de l’homme : si, chez Leibniz, l’accent avait été mis sur la clôture des monades et sur leur réfléchissement réciproque – de manière qu’il puisse y avoir des monades dormantes avec une représentation obscure du monde –, maintenant que les fenêtres ont été ouvertes l’accent est mis sur la conscience de soi et des choses extérieures. Ce n’est pas un hasard que la Métaphysique allemande commence précisément de cette façon : puisque seule l’âme peut avoir une force représentative, elle peut être définie comme une chose consciente de soi et des autres choses hors d’elle (Mét. allem. I, 1751, § 192) [19]. De plus, puisque la sensation acquiert chez Wolff un rôle plus important que chez Leibniz, Wolff définit le vouloir par rapport au principe du plaisir : c’est par exemple l’idée d’agréable et de désagréable qui guide avant tout la percepturitio de l’âme – définie comme le « conatus mutandi perceptionem presentem » (Psyc. rat., § 481). La perfection prend une tournure eudémonistique, si bien qu’elle peut maintenant être définie en fonction de la voluptas [20]. En ce qui concerne Dieu : il est « une chose simple » ; comme l’homme, il est conscient de soi et possède, comme pour Leibniz, un entendement qui l’en distingue : Dieu a, en effet, toujours une vision parfaite des choses, ses choix sont donc les meilleurs. Le meilleur des mondes, c’est celui que Dieu a choisi parmi une infinité d’autres mondes possibles, mû dans sa décision par un principe de détermination bien précis, celui de la plus grande perfection du monde (Mét. allem. I, § 936, 956, 978, 981). Dans sa toute-puissance infinie, Dieu aurait pu réaliser tous les mondes possibles (Th. nat. I, 1739, § 342-343).

16Comme c’était le cas déjà chez Leibniz, aussi bien pour l’homme que pour Dieu la subordination du vouloir à l’entendement prévaut : dans ce contexte, on maintient l’idée que l’homme peut vouloir seulement le bien, et si parfois il veut le mal c’est par défaut ; en revanche, ce n’est pas le cas pour Dieu qui ne peut vouloir que parfaitement. Le rétablissement wolffien de la distinction entre « volonté antécédente » et « volonté conséquente », qui est ainsi affirmé, se heurte toutefois à la thèse selon laquelle c’est la distinction entre fini et infini – entre une créature qui ne comprend pas tout de façon bien claire, parce que soumise aux passions, et le Créateur qui voit tout parfaitement – qui justifie l’assertion selon laquelle Dieu peut vouloir seulement « tout dans le même instant », en un acte unique et inséparable. Même la liberté de l’indifférence d’équilibre est refusée en faveur d’une liberté rationnelle que seul Dieu possède d’une façon complète (Mét. allem. I, § 506-507, 511 ; II, 161, 374) [21]. Pour Wolff, comme déjà pour Leibniz, parmi les qualités divines, bonté et sagesse, la deuxième est plus importante que la première ; la permission du mal se fonde donc sur la relation existante entre le vouloir tout-puissant de Dieu et la nécessité hypothétique – c’est-à-dire morale – avec laquelle il se plie aux raisons de son entendement : Dieu aussi agit suivant un principe de raison suffisante constitué de la plus grande perfection. Le choix de ce monde n’est donc pas absolument nécessaire, il n’y a aucune contradiction à penser que Dieu aurait pu choisir un autre monde ; s’il avait choisi un monde pire, il faudrait toutefois penser à un autre vouloir, différent du vouloir divin, capable de faire toujours le meilleur (Th. nat. I, § 698, 741 ; Mét. allem. I, § 984-986, 1058, 1060).

17Si notre thèse est valide, chez Wolff aussi une anthropologie et une théologie distinctes conduisent à une autre théodicée [22]. Et cela dans un sens bien précis : si l’enchaînement présent dans l’harmonie préétablie leibnizienne disparaît en faveur d’un parallélisme, certes organique, entre le corps et l’âme, alors même le sens principal du mal métaphysique – qui pour Wolff aussi constitue la racine principale de tout mal (Mét. allem. I, § 1056) – change : il n’est plus le résultat de la limitation posée au niveau des vérités éternelles, entre les différentes monades, mais le produit nécessaire d’un rétrécissement, au niveau des mêmes vérités éternelles, de la vis corporum activa agendi patiendive, à comprendre comme définition de la nature d’une chose (Cosm. gen., 1737, § 145). La différence n’est pas moindre, du moment que la nécessité de la présence d’un tel mal métaphysique n’est plus, comme chez Leibniz, le résultat de l’interpénétration organique des monades (qui se retrouve au niveau des vérités éternelles posées dans l’entendement de la monas monadum, c’est-à-dire de Dieu), mais l’effet mécanique de l’action et de la réaction des différentes natures des choses qui se trouvent dans l’entendement divin au niveau des vérités éternelles. Le mal métaphysique est certes défini, comme chez Leibniz, en termes de privation – « malum metaphysicum est absentia perfectionis alienæ, non propriæ » –, mais cette absence n’est cependant pas celle de la monade (Th. nat. I, § 375, 548). Même le mal physique et le mal moral trouvent chez Wolff une explication différente. En ce qui concerne le premier, il constitue, comme déjà dans les Essais de théodicée, la suite du mal moral, car ce dernier dépend de la liberté de l’homme ; il peut être considéré aussi comme peine (Th. nat. I, § 723, 1077). Dans la mesure où le parallélisme d’origine cartésienne règle les événements du monde naturel, ce mal physique est aussi réglé par les lois de ce monde, considéré comme une « machine », à travers lesquelles se manifeste, entre autres, la sagesse divine (Mét. allem. I, § 1036-1037). Il devient, en outre, ce qui pèse sur la perfection de la condition du monde ; les tempêtes et les inondations peuvent en ce sens être définies comme des maux naturels, dès qu’elles causent des dommages aux hommes et aux terrains. Le sens eudémoniste compris dans une telle déclaration n’est rien d’autre que la conséquence de la « psychologisation » intervenue avec Wolff par rapport à Leibniz.

18Le théocentrisme soutenu par le système de la monadologie n’a plus cours, il ne peut en résulter qu’une vision théologique différente : elle n’est pas davantage orientée, comme chez Leibniz, vers un bien objectif, impossible à définir seulement par rapport à une partie de l’univers, mais en particulier vers l’homme. Parmi toutes les créatures vivantes, celui-ci est en effet la seule qui soit en mesure de connaître Dieu, donc l’unique à travers laquelle « Dieu peut réaliser son objectif principal, pourquoi il a créé le monde » (Vernünfftige Gedancken von den Absichten der natürlichen Dinge, 1726, § 241) [23]. Sur la base du primat de l’homme, Wolff peut donc affirmer que le mal moral est un vrai mal, du moment que les actes moralement répugnants rendent notre état pire, soit en ce qui concerne le corps, soit en ce qui concerne l’âme. D’une part, l’accent est mis ici sur la liberté de l’homme et sa responsabilité, sans qu’elles se heurtent au vouloir et à la prescience divines ; d’autre part, les actes mauvais reçoivent une signification particulière en tant qu’ils sont source d’imperfection et non pas seulement de peine. D’où l’affirmation wolffienne selon laquelle le mal moral déplaît à Dieu parce qu’il est la cause de l’imperfection et non pas, comme chez Leibniz, parce qu’il en souffre (Th. nat. I, § 576, 580, 585-588 ; Théodicée, III, 246) [*].

Notes

  • [1]
    Sur l’ordre de dépendance de ces principes leibniziens – harmonie préétablie fondée sur la notion de monade, celui-ci sur le principe de raison suffisante –, cf. L. Couturat, « Sur la métaphysique de Leibniz (avec un opuscule inédit) », Revue de métaphysique et de morale, X, 1902, p. 1-25.
  • [2]
    Sur le « principe du fondement », cf. O. Saame, Der Satz vom Grund bei Leibniz. Ein konstitutives Element seiner Philosophie und ihrer Einheit, Diss. Tübingen, Mainz, 1961 ; J. E. Gurr, The Principle of Sufficient Reason in Some Scholastic Systems 1750-1900, Milwaukee, The Marquet University Press, 1959, p. 11-49.
  • [3]
    La thèse leibnizienne fut toutefois interprétée comme un authentique spinozisme en raison de la nécessité qu’elle accordait aux actions divines : un exemple en est le compte rendu de la Théodicée paru de janvier à juin 1737 dans les Mémoires pour l’histoire des sciences et des beaux-arts, mieux connues comme Mémoires de Trévoux, selon lesquelles l’optimisme de Leibniz serait un « spinosisme spirituel », « un spinosisme tout pur » (on en trouve une analyse in W. Hübener, « Sinn und Grenzen des Leibnizschen Optimismus », Studia Leibnitiana, X/2, 1978, p. 232-234, 236-239 ; et aussi in L. Fonnesu, « Der Optimismus und seine Kritiker im Zeitalter der Aufklärung », Studia Leibnitiana, XXVI/2, 1994, p. 132-135).
  • [4]
    Les implications éthiques et gnoséologiques de la « perfection » leibnizienne ont été remarquées par N. Rescher, « Leibniz und die Vollkommenheit der Welten », Studia Leibnitiana Supplementa, vol. XIV (Akten des II. Internationalen Leibniz-Kongresses, Hannover, 17.-22. Juli 1972, Bd. 3), Wiesbaden, Steiner, 1975, p. 1-14. Sur le « meilleur monde possible » : A. Heinekamp / A. Robinet (hg.), « Leibniz : le meilleur des mondes », Studia Leibnitiana (Sonderheft 21), Stuttgart, Steiner, 1992.
  • [5]
    Sur J. F. Buddeus : M. Wundt, Die deutsche Schulphilosophie im Zeitalter der Aufklärung, Tübingen, Mohr, 1945, p. 63-75 ; A. F. Stolzenburg, Die Theologie des Jo. Franc. Buddeus und des Chr. Matth. Pfaff. Ein Beitrag zur Geschichte der Aufklärung in Deutschland, Aalen, Scientia Verlag, 1979 (réimpression de l’édition Berlin, 1927) ; W. Sparn, Auf dem Wege zur theologischen Aufklärung in Halle : Von Johann Franz Budde zu Siegmund Jakob Baumgarten, in N. Hinske (hg.), Zentren der Aufklärung. I. Halle. Aufklärung und Pietismus, Heidelberg, Schneider, 1989, p. 71-89.
  • [6]
    J. F. Budde, Institvtiones theologiae moralis variis observationibvs illvstratae, Lipsiae, Fritsch, 1711, I, IV, § VIII, p. 125 ; Id., Institvtiones theologiae dogmaticae variis observationibus illvstratae, Lipsiae, Fritsch, 1723, II, 1, § XXX, p. 313-314 ; Id., Elementa philosophiae theoreticae sev institvtionvm philosophiae eclecticae. Tomvs secvndvs, Halae, 1703, Pars VI, Cap. IV, § XVIII, p. 375-376.
  • [7]
    G. Ch. Knoerr / J. F. Budde, Doctrinae orthodoxae de origine mali contra recentiorum quorundam hypotheses modesta assertio, Jenae, 1712, Cap. III, § IV, p. 65 ; Cap. III, § V, p. 72-73.
  • [8]
    Ibid., Cap. III, § XIII, p. 86-87 ; Cap. I, § IX, p. 11.
  • [9]
    J. F. Budde, Elementa philosophiae instrumentalis sev institvtionvm philosophiae eclecticae. Tomvs I, Halae, 1703, Pars IV, Cap. II, § X, p. 277.
  • [10]
    G. Ch. Knoerr / J. F. Budde, Doctrinae orthodoxae de origine mali, cit., Cap. I, § VI, p. 6 ; Cap. III, § I, p. 64 et § VI, p. 76 ; Cap. III, § IV, p. 68-69 ; Cap. III, § V, p. 74-75 ; Cap. III, § IIX, p. 81.
  • [11]
    Ibid., Cap. I, § IX, p. 9 ; Cap. III, § XI, p. 84.
  • [12]
    De toute façon c’est aussi le cas de F. W. Bierling avec sa Dissertatio theologica de origine mali, Rintelii, 1719, 16, § VI. Sur la dissertation de Bierling, cf. S. Lorenz, De mundo optimo. Studien zu Leibniz’ Theodicee und ihrer Rezeption in Deutschland (1710-1791) (Studia Leibnitiana Supplementa, vol. XXXI), Stuttgart, Steiner, 1997, p. 124-128.
  • [13]
    G. Ch. Knoerr / J. F. Budde, Doctrinae orthodoxae de origine mali, cit., Cap. I, § IX, p. 8 ; Cap. I, § XXII, p. 23 ; Cap. I, § XIIX, p. 20 ; Cap. II, § X, p. 47 ; Cap. III, § VII, p. 78-80.
  • [14]
    Sur la relation Leibniz-Wolff : J. École, « Cosmologie wolffienne et dynamique leibnizienne. Essai sur les rapports de Wolff avec Leibniz », Les Études philosophiques, XIX, n. 1, 1964, p. 3-9 ; F. L. Marcolungo, Wolff e il possibile, Padova, Antenore, 1982, p. 35-71.
  • [15]
    Cf. aussi H. Wuttke, Christian Wolffs eigene Lebensbeschreibung, Leipzig, 1841, p. 82 : « [J’enseignais] comment les monades de M. von Leibnitz étaient encore une énigme, bien qu’encore aujourd’hui peu de gens les connaissent et aient compris son [Leibniz] SYSTèME qui commence seulement là où finit le mien [?]. »
  • [16]
    Cf. H. Poser, « Zum Begriff der Monade bei Leibniz und Wolff », Studia Leibnitiana Supplementa, vol. XIV, Bd. 3, cit., p. 383-395.
  • [17]
    Cf. Ch. A. Corr, « Did Wolff follow Leibniz ? » : G. Funke (hg.), Akten des 4. Internationalen Kant-Kongresses. Mainz, 6-10 April 1974, Teil II . 1, Berlin-New York, de Gruyter, 1974, p. 11-21.
  • [18]
    Cf. H. M. Wolff, Die Weltanschauung der deutschen Aufklärung in geschichtlicher Entwicklung, München, Lehnen, 1949, p. 114.
  • [19]
    Cf. M. Casula, « Die Lehre von der prästabilierten Harmonie in ihrer Entwicklung von Leibniz bis A. G. Baumgarten », Studia Leibnitiana Supplementa, vol. XIV, Bd. 3, cit., p. 397-414.
  • [20]
    Cf. M. Campo, Cristiano Wolff e il razionalismo precritico, Milano, Vita e Pensiero, 1939, vol. 2, p. 563.
  • [21]
    Sur la discussion de la liberté leibnizienne dans la scolastique allemande, cf. K. Schröder, Das Freiheitsproblem bei Leibniz und in der Geschichte des Wolffianismus, Diss. Halle-Wittenberg, 1938.
  • [22]
    Sur la théodicée wolffienne, cf. O. Willareth, Die Lehre vom Uebel bei Leibniz, seiner Schule in Deutschland und bei Kant, Diss. Strassburg, 1903, p. 29-37 ; O. Lempp, Das Problem der Theodicee in der Philosophie und Literatur des 18. Jahrhunderts bis auf Kant und Schiller, Leipzig, Dürr, 1910, p. 65-75 ; H. Günther, Das Problem des Bösen in der Aufklärung, Frankfurt/M., Lang, 1974, p. 55-72.
  • [23]
    Cet anthropocentrisme contraste évidemment avec la transposition de la pensée leibnizienne pour laquelle le but de Dieu dans la création serait la manifestation de sa magnificence (Mét. allem. I, § 1045).
  • [*]
    Cet article a été rédigé durant un séjour d’études à Munich financé par la Deutsche Forschungsgemeinschaft (DFG). Je désire exprimer à cette institution mes remerciements les plus cordiaux.
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