Notes
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[1]
Michael Ruse, Philosophy of biology today, Albany, State University of New York Press, 1988, chap. 5.
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[2]
Selon l’expression de Larry Wright, voir infra.
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[3]
Ce point est l’objet de la réflexion de John H. Campbell, « An organizational interpretation of evolution », in Evolution at Crossroads : The New Biology and the New Philosophy of Science, D. J. Depew, et B. H. Weber (eds), Cambridge, MIT Press, 1985, p. 133-167, qui réfléchit sur les mécanismes de contrôle régissant l’expression des gènes ; voir François Duchesneau, Philosophie de la biologie, Paris, PUF, 1997, p. 138-143. Campbell distingue une interprétation faible et une interprétation forte de la future causality. L’interprétation faible, selon cet auteur, « affirme seulement que seuls les systèmes faisant référence à leur propre futur peuvent se comporter comme si le futur agissait causalement sur eux, même s’il ne s’agit que d’une simulation (mimicry) », art. cité, p. 162. Pour Campbell, loin d’éviter le ralliement à l’interprétation forte, l’interprétation faible prépare celui-ci. Pour qui tient au principe énoncé ci-dessus, l’interprétation faible, si elle n’a donc pas pour but d’éviter le recours à l’interprétation forte, perd évidemment beaucoup de l’attrait qui pourrait autrement être le sien.
-
[4]
Robert Cummins, « Functional analysis », in Conceptual Issues in Evolutionary Biology, édité par Elliott Sober, MIT Press, 1994, p. 52-53.
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[5]
Eric Russert Kraemer, « On the causal irreducibility of natural function statements », in Transactions of Nebraska Academy of Sciences, 7, 1979, p. 149-152.
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[6]
Exemple emprunté à Lowell Nissen, Teleological Language in the Life Sciences, Rowman & Littlefield, 1997, p. 219.
-
[7]
Cf. note précédente. Issu de comptes rendus minutieux des principales publications relatives au sujet, ce livre constitue à la fois une importance source bibliographique, et un ensemble de critiques rigoureuses de l’approche « constructiviste » décrite ici.
-
[8]
Nissen, ibid., p. 211.
-
[9]
Ernest Nagel, The Structure of Science, Indianapolis et Cambridge, Hackett Publishing Co, 1979, chap. XII.
-
[10]
Ibid., p. 403.
-
[11]
John Searle, The Construction of Social Reality, New York et Londres, The Free Press, 1995 (La construction de la réalité sociale, trad. C. Tiercelin, Paris, Gallimard, 1998). Searle distingue entre fonction agentive (celle du tournevis) et fonction non agentive (celle du cœur), mais il refuse de doter les fonctions d’une existence propre, indépendante de toute attribution par un observateur.
-
[12]
Nagel, op. cit., p. 408 sq. Cf. aussi, du même auteur, « Teleology revisited », The Journal of Philosophy, LXXIV, no 5, mai 1977, p. 261-301.
-
[13]
Ruse, op. cit., p. 45. L’exemple de Waddington est celui de la couleur de la fourrure de l’ours polaire.
-
[14]
Michael Ruse, « Functional Statements in Biology », Philosophy of Science, mars 1971, p. 87-95.
-
[15]
Lowell Nissen, op. cit., p. 101.
-
[16]
Dérivée de Cummins, art. cité, p. 59-60.
-
[17]
Larry Wright, Teleological Explanations, University of California, 1976 ; « Functions », in Conceptual Issues in Evolutionary Biology, sous la direction d’Elliott Sober, MIT Press, 1994, p. 27-47.
-
[18]
Lowell Nissen, op. cit., p. 152-154.
-
[19]
Karen Neander, « Misrepresenting and malfunctioning », Philosophical Studies, 79, 1995, p. 111.
-
[20]
Ruth Millikan, Language, Thought and Other Biological Categories, Cambridge, MIT Press, 1984. Voir son analyse, in Joëlle Proust, Comment l’esprit vient aux bêtes, Gallimard, 1997, chap. VI et VII, qui lui oppose une autre conception des fonctions, la théorie propensionniste.
-
[21]
Il en va de même pour l’analyse d’un comportement déterminé pour l’espèce, comme une parade nuptiale.
-
[22]
En rigueur de termes, la définition de la « fonction propre directe » fait intervenir l’existence de m (le cœur par ex.) et la famille des ancêtres de m (les cœurs similaires dont le cœur actuel est la copie génétique). Elle ne fait pas intervenir explicitement l’existence de l’individu pourvu d’un tel cœur. Cependant Millikan peut écrire que « les choses dotées de cœurs primitifs ont été supplantées par des choses dotées de cœurs modernes », ibid., p. 27, ce qui est une manière de dire que la reproduction de m, doué de la configuration C, contribue à rendre compte de l’existence de porteurs de m.
-
[23]
Millikan, op. cit., p. 17.
-
[24]
Ibid., Définition complète de la fonction propre directe, p. 28.
-
[25]
Ibid., p. 26.
-
[26]
Sur la provenance du travail de Kettlewell, sa nature et sa portée, voir Jean Gayon, Darwin et l’après-Darwin, Kimé, 1992, p. 371-384.
-
[27]
Comme l’a vu Lowell Nissen, op. cit., p. 185, la difficulté est plutôt alors de rendre compte dans ce cadre de la disparition d’une fonction (celle d’organes vestigiaux, en particulier).
-
[28]
Nissen, op. cit., p. 183.
-
[29]
Voir J. Proust, op. cit., p. 249-251.
-
[30]
Millikan, 1984, p. 28 et 49.
-
[31]
Nissen, op. cit., p. 184-185.
-
[32]
Andrew Woodfield, Teleology, Cambridge, Cambridge University Press, 1976.
-
[33]
Millikan, 1984, p. 35.
-
[34]
Elliott Sober, The Nature of Selection, Evolutionary Theory in Philosophical Focus, Bradford Book, 1984, p. 147-155.
-
[35]
Fred Dretske, Explaining behaviour, MIT Press, 1988, p. 89-95.
-
[36]
Dretske, op. cit., p. 95.
-
[37]
Karen Neander, « What does Natural Selection explains ? Correction to Sober », Philosophy of Science, 55, 1988, p. 422-426.
-
[38]
Explaining behaviour, op. cit., chap. II.
-
[39]
Millikan, op. cit., p. 34 ; et « Biosemantics », The Journal of Philosophy, LXXXVI, no 6, juin 1989, p. 284 : « “Normal” tel que je l’utilise devrait être pris en un sens normatif, historique, et relatif à une fonction spécifique. » Ainsi, les conditions normales de l’exécution de la fonction propre directe de fertilisation ne coïncident pas pour les spermatozoïdes avec leurs conditions d’existence ordinaires.
-
[40]
L’explication sélectionniste n’implique ainsi nullement une justification utilitariste étroite de tout exercice actuel des fonctions : cf. du même auteur, « Misrepresentation », in Belief, Form, Content and Function, édité par R. Bogdan, Oxford, Clarendon Press, 1986, en particulier p. 28-29.
1Une option possible en philosophie de la biologie consiste à s’intéresser, non d’abord à l’objet de la connaissance du vivant, mais à ce que disent les propositions d’une telle connaissance [1]. Si la question choisie est la question des fonctions, le parti pris sera alors, non pas de privilégier l’histoire de la physiologie comme point de départ, la manière dont on détermine empiriquement la fonction des organes, ou encore la manière dont on donne un statut à la finalité dans un univers de causes efficientes, mais de s’intéresser plutôt à l’interprétation des énoncés du type La fonction de X dans Y est de faire Z selon les exemples canoniques que sont La fonction de la chlorophylle chez les plantes est de rendre possible la photosynthèse et La fonction du cœur est d’entretenir la circulation régulière du sang.
2Si une analyse sémantique patiente est nécessaire en ce domaine, c’est parce que les énoncés téléologiques ou fonctionnels, si inévitables qu’ils paraissent être dans la connaissance de la vie, semblent avoir des implications indésirables. À cet égard, deux difficultés fondamentales doivent être signalées. La première implication indésirable réside dans la référence implicite à une forme de causalité inversée. Dire La fonction du cœur est d’entretenir la circulation régulière du sang, c’est faire comme si je rendais compte de la présence du cœur par la conséquence bénéfique de sa présence, à savoir la circulation, comme si l’effet (futur et éventuel) était cause de l’occurrence de sa cause. L’énoncé fonctionnel ne mentionne pas seulement ce que fait X, il entend renseigner aussi sur la raison pour laquelle c’est le cas que « X est là » [2], il ambitionne de justifier sa présence. Or, le futur ne peut agir sur le passé dans le cadre légal des sciences de la nature : la photosynthèse ne peut rendre raison de la présence de la chlorophylle qui la rend possible, pas plus que la capture des insectes ne semble pouvoir rendre raison de la construction de la toile d’araignée. Il paraît difficile de renoncer à un principe comme : le futur n’est pas, donc il est causalement inerte [3]. Quand bien même cette difficulté serait surmontée, le projet de rendre raison (d’une raison nécessitante) de ce qui est donné par les effets qui en sont la conséquence n’est pas moins problématique. Selon la remarque frappante de Robert Cummins, déduire la présence de la chlorophylle de l’occurrence de la photosynthèse n’expliquerait pas la présence de la chlorophylle dans les plantes, puisque de même, déduire la présence et la hauteur d’un bâtiment à partir de l’existence et de la longueur de son ombre échoue à expliquer pourquoi le bâtiment se trouve là où il est, et pourquoi il a la hauteur qui est la sienne [4].
3La seconde implication indésirable n’est autre que l’analogie inévitablement suggérée entre finalité naturelle et comportement intentionnel. C’est l’ancienne question de l’anthropomorphisme de la représentation téléologique de la nature, mais c’est aussi, plus modestement, l’embarras que cause l’usage de la préposition pour. L’énoncé Les plantes utilisent la chlorophylle pour réaliser la photosynthèse ne prétend prêter aux plantes aucune intention, et pourtant pour semble utilisé de la manière dont il est utilisé dans Pierre est venu pour donner une conférence. Or, d’un point de vue sémantique, l’analyse révèle une parenté réelle, et non pas superficielle entre énoncés rapportant des intentions et énoncés attribuant des fonctions. Comme l’a fait remarquer par exemple Eric Kraemer [5], à la différence des énoncés des sciences physiques, les énoncés du langage téléologique partagent avec l’expression des attitudes propositionnelles la propriété d’être intensionnels : la substitution dans de tels énoncés d’expressions coréférentielles ne préserve pas nécessairement leur valeur de vérité. Ainsi :
41. Le fait de heurter un iceberg a causé le naufrage du Titanic.
52. Le Titanic est le bateau le plus luxueux du monde.
6D’où :
73. Le fait de heurter un iceberg a causé le naufrage du bateau le plus luxueux du monde.
8Mais en revanche :
91. Œdipe souhaite punir le meurtrier.
102. Œdipe est le meurtrier.
11Il n’est pourtant pas (nécessairement) vrai que :
123. Œdipe souhaite se punir lui-même.
13De même :
141. La fonction des ouvrières chez les termites est de creuser des galeries dans le bois.
152. Creuser des galeries dans le bois est une cause de l’effondrement des charpentes.
16Il n’est pourtant pas vrai que :
173. La fonction des ouvrières chez les termites est d’être une cause de l’effondrement des charpentes.
18ou encore :
191. La fonction des moteurs de voiture est de convertir l’essence en énergie mécanique.
202. La conversion de l’essence en énergie mécanique est une source majeure de pollution de l’air.
213. Ce n’est pas la fonction des moteurs de voiture d’être une source majeure de pollution de l’air, bien que les moteurs soient une cause majeure de pollution de l’air [6].
22Un médicament peut avoir pour fonction de faire X et pour effet secondaire indésirable de faire aussi Y, sans qu’il soit possible d’avoir effectivement recours à lui pour faire X (guérir le patient) sans faire aussi Y (pour prendre un exemple extrême, le rendre suicidaire). Le rapprochement entre ce qui est d’ordre fonctionnel et ce qui est d’ordre intentionnel se justifie donc ainsi : en des cas exemplaires, il y a conjonction entre ce qui est soit subjectivement souhaité, soit utile, et ce qui dans les faits ne se confond ni avec le souhaitable, ni avec l’utile. La question qui est inévitablement posée par cette analogie est donc : Existe-t-il un irréductible résidu de vision mentaliste de la nature impliqué dans l’usage du langage téléologique ?
23Le constat de ces implications indésirables des expressions fonctionnelles et du langage téléologique en général amène alors à un choix théorique. Soit on estime, avec Lowell Nissen [7], qu’il est impossible de dissocier le langage des fonctions de ses implications supposées indésirables. Il faut alors choisir entre d’une part renoncer à employer un tel langage, et d’autre part en assumer pleinement les conséquences en termes de « téléologie externe » [8]. Soit, et c’est la voie suivie en particulier depuis 1961 et le livre d’Ernest Nagel [9], on estime que les énoncés fonctionnels peuvent recevoir une paraphrase (c’est-à-dire une expression développée) qui en conserve la signification propre tout en éliminant toute allusion à la causalité inversée et à l’intention subjective. La tâche de la philosophie de la biologie et de son programme « constructiviste » est alors de faire disparaître l’ambiguïté des énoncés fonctionnels usuels et de montrer que de tels énoncés peuvent entrer dans le cadre légal des sciences de la nature.
24La proposition initiale de Nagel [10] était de réécrire
25la fonction de A dans le système S est P
26comme
271. S (avec l’organisation C dans l’environnement E) fait P.
282. Si S ne possède pas A, alors S ne fait pas P.
293. A est nécessaire pour que S produise P (S avec C doit avoir A).
30Il existe deux difficultés liées à cette analyse. La première est liée à la clause de nécessité, qui est trop contraignante, puisqu’à l’appliquer rigoureusement on s’écarterait fréquemment du référent biologique. Il peut être vrai que La fonction de A dans le système S est P sans que pour autant l’énoncé 3 de la paraphrase soit vrai. Par exemple, il est vrai que la moelle des os a pour fonction de produire des cellules du sang (les hématies et certains leucocytes). Cependant, dans le cas d’une déficience fonctionnelle de la moelle des os, la production de ces cellules peut être assumée par d’autres organes (le foie, et la rate). Ce n’est donc pas parce que la relation entre la moelle des os et la production des cellules du sang n’est pas une relation nécessaire qu’on peut dénier à la moelle des os la fonction de produire de telles cellules. Et on peut observer que la capacité à pallier un déficit étant une propriété importante des systèmes biologiques, ce n’est pas un accident si la clause de nécessité ne peut être conservée.
31La deuxième difficulté est que, si l’on essaie de maintenir la paraphrase initiale en abandonnant la référence au nécessaire, une formulation comme S produit P du fait de A est à ce point triviale qu’elle pourrait convenir à des cas où nul n’irait défendre que le langage téléologique est approprié à leur description. Par exemple, Le déplacement des glaciers laisse derrière lui des vallées glaciaires du fait de l’érosion est un énoncé de forme S produit P du fait de A. Et pourtant, si Les glaciers creusent des vallées glaciaires au moyen de l’érosion due à leur déplacement est encore admissible, nul n’ira sérieusement dire que La fonction de l’érosion est de permettre aux glaciers de laisser derrière eux des vallées glaciaires. Si l’idée initiale était de ne pas considérer le domaine des fonctions comme un empire dans un empire, le risque existe alors d’assimiler abusivement le tout à la partie, puisque si la relation de moyen à fin se ramène à une relation de cause à effet, on pourra parler de la seconde (relation de l’érosion à la vallée glaciaire) comme on parlerait de la première (relation de la chlorophylle à la photosynthèse). Au lieu de maîtriser l’emploi des énoncés fonctionnels, on s’expose alors à en disperser l’usage de manière inconsidérée. Or, la différence entre cause et moyen doit être défendue parce qu’il est impossible de considérer un enchaînement causal quelconque comme un dispositif fonctionnel, et de nier la différence entre fonctions authentiques et attributions intentionnelles de fonctions. La rivière n’est pas à la baignade ce que le cœur est à la circulation du sang, parce que la fonction du cœur, à la différence de l’utilité de la rivière, et contrairement à ce qu’a pu affirmer John Searle, ne dépend d’aucune décision [11]. La fonction du cœur ne dépend pas, en particulier, de l’importance ou de la valeur que nous accordons à la vie : si l’humanité devenait collectivement suicidaire, les lois de la physiologie n’en seraient pas changées et la fonction du cœur humain demeurerait ce qu’elle est.
32Nagel en vient alors à reconnaître qu’un système biologique est un système qui est fondamentalement goal-directed [12], dirigé vers un but. Mais il reste à rendre compte de ce caractère sans en revenir à une référence aux intentions. Il est difficile, comme Nagel a essayé de le proposer, de préciser le sens de goal-directed en termes purement behaviouristes. Par exemple, une propriété supposée du comportement orienté vers un but est sa persistance. Or, un torrent peut avoir la propriété de persistance dans le comportement qu’une créature épuisée ne possède pas. De même toute fonction ne se laisse pas appréhender en termes de comportement persistant orienté vers un but, comme l’a remarqué C. H. Waddington en distinguant adaptabilité et adaptation [13]. Dès lors, une autre solution paraît préférable, qui consiste à tenir compte explicitement de la dimension de bénéfice pour le système biologique considéré que comporte la réalisation de la fonction. Michael Ruse propose ainsi de réécrire
33la fonction de X dans Y est Z
34comme
351. Y fait Z en utilisant X
362. Z est une adaptation [14].
37L’analyse de la fonction Z de X se fait, avec la notion d’adaptation, à travers la contribution positive de X à la survie de Y. Le problème des énoncés fonctionnels doit donc trouver sa solution à travers la référence à Darwin et à la théorie de l’évolution. Plus précisément, on retient comme hypothèse qu’a en propre une fonction, ou un rôle fonctionnel, tout ce dont l’absence nuirait ceteris paribus aux chances de survie et de reproduction de l’organisme. Or l’analyse a révélé que la formule ne peut être utilisée telle quelle. Considérons le contre-exemple célèbre des bruits du cœur. Le cœur produit des bruits en faisant circuler le sang ; et personne ne pense que la fonction du cœur est d’émettre de tels bruits. Pourtant, comme cesser d’émettre de tels bruits serait aussi pour le cœur cesser de faire circuler le sang, et donc affecter les conditions de vie de l’organisme, on peut écrire :
381. Y fait Z en utilisant X
392. Z est une adaptation (puisque Y ceteris paribus ne survit pas sans Z)
403. Donc Z (les bruits) est une fonction de X chez Y.
41Le caractère néfaste des conséquences de la suppression des bruits cardiaques ne permet pas d’attribuer un rôle fonctionnel à de tels bruits, ne permet pas d’assigner au cœur la fonction de les produire. Non seulement, la clause ceteris paribus ne peut être impunément violée, mais, on ne peut pas, pour échapper à la difficulté, utiliser l’expérience de pensée où le cœur n’émettrait aucun bruit et où le sang circulerait encore, du fait de battements cette fois devenus silencieux. Car alors on peut faire une autre expérience de pensée [15] où le sang circule sans que le cœur en soit la cause. L’élimination des bruits du cœur est possible, mais celle de la fonction du cœur lui-même l’est tout autant par le même procédé.
42La relation entre fonction et adaptation appelle alors une seconde remarque [16], dont un exemple imaginaire peut donner l’occasion. De deux espèces d’oiseaux apparentées, dérivant d’ancêtres communs, on peut supposer que l’une a perdu l’usage de ses ailes et vit au sol, l’autre a conservé la faculté de voler. On peut faire l’hypothèse que la première prospère tandis que la seconde est décimée par l’apparition d’une population de rapaces qui ont l’habitude de chasser des proies volantes. Il est clair que pour la seconde espèce, la fonction des ailes a cessé de pouvoir être décrite comme une adaptation (le vol est responsable de la décimation) ; et pourtant la fonction doit être décrite intrinsèquement dans les mêmes termes. Il semble donc qu’il existe un plan de l’analyse fonctionnelle qui doit être découplé de la description des mécanismes adaptatifs : les fonctions demeurent lorsque l’adaptation disparaît. L’assimilation des fonctions aux avantages adaptatifs ne peut donc être acceptée telle quelle.
43D’autres stratégies ont tenté de faire usage de la même idée d’adaptation. Ainsi, la proposition de Larry Wright est [17]
44la fonction de X chez Y est Z si, et seulement, si
451. Z est la conséquence du fait que « X est là » (is there)
462. X est là parce qu’il fait Z.
47La première difficulté est celle d’un retour subreptice à la causalité inversée [18]. Comment (par l’énoncé 2) le fait que Z est aujourd’hui la conséquence de X pourrait-il avoir un rôle dans la présence de X, c’est-à-dire dans sa production passée ? La solution consiste selon Wright à préciser que dans l’énoncé 1, il s’agit de Z comme exemplaire et dans l’énoncé 2 de Z comme type. Pour une toile d’araignée donnée ce n’est pas la capture des mouches qu’elle rend possible (Z dans l’énoncé 1) qui explique qu’elle est là, mais bien l’effet typique de X en général (Z dans l’énoncé 2). L’énoncé 1 se rapporte à la détermination des conditions de l’exécution de la fonction, l’énoncé 2, au « recrutement » de ces conditions, selon un processus sélectif.
48La deuxième difficulté est liée aux exemples essentiels des dysfonctionnements et des pathologies. Dans le cas d’un exemplaire déficient de la catégorie « cœur », il est encore vrai que la fonction de X est Z, l’énoncé 2 doit être conservé, mais il n’est pas vrai ou plus vrai (selon l’énoncé 1) que Z est la conséquence du fait que X est là. La question est alors : Quelle est la légitimité de l’attribution d’une fonction à ce qui ne l’exerce pas ? L’une des particularités des réalités auxquelles des fonctions peuvent être attribuées est en effet la définition de ces réalités par ce qu’elles doivent faire, ou sont censées faire, définition qui vaut encore lorsque les fonctions ne sont plus accomplies. Tout comme une loi positive demeure synonyme d’obligation lorsqu’elle est transgressée, la transgression d’une loi n’étant pas l’abrogation de cette même loi, un cœur qui ne bat plus conserve en propre la fonction de faire circuler le sang ; un mot mal employé conserve son sens ; un moteur en panne est encore un moteur. Pathologies et dysfonctionnements attestent du fait que les exigences normatives survivent à leur réalisation, si l’on admet qu’il demeure une différence cruciale entre l’œil qui ne permet pas de voir (et même qui, de naissance, n’a jamais permis de voir) et le cœur en tant qu’il ne permet pas de voir. Présumée non arbitraire, l’attribution doit posséder un fondement intrinsèque. Pourtant le caractère normatif qui s’attache ainsi à la fonction ne dérive pas non plus d’une moyenne, qui suffirait à spécifier le sens de « normal » : car si c’était le cas, selon la remarque simple et profonde de Karen Neander, l’unique alternative serait de soutenir, ce que nul ne fera sérieusement, que pour guérir les maladies, il suffit de les répandre [19]. Nul ne peut croire que la cécité, si elle frappait soudainement la majorité de ceux qui voient, cessait de ce seul fait d’être une pathologie. Le philosophe qui fait sien un programme naturaliste doit donc concilier la dimension normative de la définition des fonctions et l’impossibilité d’en rendre compte aussi bien en invoquant une simple constante objective qu’en postulant un mystérieux phénomène émergent ou, comme on l’a déjà refusé, en en subordonnant systématiquement l’existence à celle d’une intention.
49La suggestion de Ruth Millikan dans son ouvrage de 1984 [20] tire alors son importance de ce qu’elle modifie la référence à la théorie de l’évolution d’une manière qui permet d’affronter directement le problème du fait pathologique ou de la déficience native. L’idée centrale est que le cœur conserve la fonction qui est la sienne lorsqu’il cesse de l’exercer, parce que ce cœur déficient conserve, indépendamment de cette déficience, la relation qui est la sienne à ses ancêtres au sein d’une « famille établie par reproduction » comme peuvent en former les mécanismes biologiques, les artefacts, les structures linguistiques. Cette relation de reproduction n’est pas dans le cas du cœur une relation directe de modèle à copie, mais une relation indirecte impliquant la copie des gènes des ancêtres du cœur actuel [21]. Or pour l’organisme considéré, le fait que ses ancêtres avaient le cœur qu’ils avaient, ayant une configuration particulière, et non un cœur en général, en étant la cause du fait qu’il a le cœur qu’il a, avec les caractéristiques qui sont les siennes, est aussi une des causes de son existence [22]. Là est le déplacement fondamental : le lien n’est plus recherché entre fonction et adaptation chez le même individu biologique, mais entre capacité d’une configuration d’organe à effectuer dans le passé une fonction donnée avec succès et existence actuelle de cette configuration. Lorsque l’organe ne fait pas ce qu’il est censé faire, la mesure de ce qu’il est censé faire est donnée par le modèle ou la famille de modèles qu’il copie. La relation mystérieuse du fait à la norme [23] se ramène à une relation de la copie au modèle exemplaire reproduit et à la justification de la reproduction du modèle. Elle se ramène à la comparaison entre le cœur existant aujourd’hui et ce qui, dans ce qu’étaient ou que faisaient ses ancêtres, a contribué significativement à leur prolifération d’une part, et à son existence actuelle, de l’autre [24].
50Cette théorie fonde donc l’attribution de la fonction à un organe sur la base d’un ensemble de faits avérés, lui enlevant le caractère d’une évaluation arbitraire. Elle peut rendre à la cohérence des assertions tout un ensemble de services, en application de la formule « une fonction F est une fonction propre directe de X si X existe en ayant le caractère C parce que C peut faire F » [25]. Par exemple, dans l’exemple du mélanisme industriel rendu fameux par le travail de Kettlewell [26], on peut dire que les ailes (X) en ayant le caractère C (la couleur noire) exercent la fonction propre directe F du camouflage en milieu pollué ; et que dans un milieu où la pollution diminue ou disparaît, les ailes noires de leur descendance possèdent encore cette fonction propre sans plus l’exercer efficacement [27]. En second lieu, cette théorie permet d’éliminer le problème des bruits du cœur. Les bruits cardiaques ne sont pas une fonction propre directe du cœur parce qu’on ne peut pas dire que le cœur (X) est configuré de manière C de sorte qu’il produise de tels bruits ; et on ne peut pas le dire parce que ce n’est pas en produisant de tels bruits que le cœur de mes ancêtres a formé une famille capable de proliférer : aucune corrélation entre la configuration du cœur et la production de bruits n’est un facteur expliquant la reproduction de cette configuration. On possède désormais un critère de démarcation entre les fonctions biologiques et les effets secondaires de l’exercice de ces mêmes fonctions. Car être un effet secondaire, c’est être un aspect inessentiel de cette similarité avec ses modèles qui est pertinente, ou efficace, dans l’explication de la configuration et de l’existence actuelles de tel mécanisme biologique.
51Plusieurs des difficultés que rencontre la théorie de Millikan méritent cependant d’être relevées. En premier lieu, Lowell Nissen remarque que nous jugeons des fonctions des objets en ignorant leur histoire, que la fonction d’un organe est généralement découverte sans que son histoire aide à la déterminer [28]. L’histoire intervient lorsqu’on cherche à distinguer entre un tableau ou un billet authentiques et leur contrefaçon, non lors de l’attribution d’un rôle fonctionnel. Lorsqu’un cœur artificiel se substitue à un cœur déficient et en assume le rôle physiologique, on comprend que l’histoire qui est la sienne interdise de le classer parmi les membres de la « catégorie biologique » correspondante, mais c’est également un fait physiologique, donc biologique, que l’organisme, en ignorant la genèse de ce dont il s’accommode, ignore aussi cette frontière entre catégories [29]. Millikan propose d’assigner une fonction propre seulement dérivée (des intentions de celui qui le conçoit) au premier artefact d’un genre défini, et d’y adjoindre une fonction propre directe pour ses reproductions ultérieures. Sa théorie implique aussi que la fonction propre directe d’un objet lui est attribuée sur la base de son exercice par des objets similaires dans le passé [30]. Mais l’échec de la greffe du ou des premier(s) cœur(s) artificiel(s) – ou des premières machines volantes – change-t-il nécessairement quelque chose à la définition fonctionnelle des suivant(e)s, greffés – ou volant avec un succès inédit ? Il convient de se souvenir qu’il existe des familles établies par reproduction qui comprennent des objets dont la fonction propre est parfaitement définie et dont on ne peut pas dire qu’ils reçoivent cette fonction d’un succès passé, comme les élixirs d’éternelle jeunesse [31] et les boules de cristal : il vaudrait mieux spécifier la différence entre conditions biologiques et critères sociaux du succès reproduit. Mais ces remarques concernent plutôt la vraisemblance de la thèse et l’extension de son champ d’application au domaine technique que sa pertinence en philosophie de la biologie.
52En second lieu, la théorie de Millikan rencontre un problème déjà présent dans d’autres théories étiologiques des fonctions biologiques, comme celle d’Andrew Woodfield [32]. Selon Woodfield, A a la fonction F chez X si, et seulement si X possède l’organe A parce que A ⇒ F et que F est un bien (le symbole ⇒ dénote une relation causale). Mais on peut demander : À partir de quand peut-on légitimement passer de l’existence d’un lien causal entre une structure et une activité bénéfique à l’attribution à cette structure de la fonction correspondante ? Pour choisir un exemple extrême, un organe vital, parce qu’il contribue à rendre possible toute une famille d’activités, devrait dès lors se voir reconnaître toutes les fonctions correspondantes. C’est un des mérites de Millikan d’assumer cette difficulté [33] : la notion de fonctions sérielles donne un statut légal à la multiplicité des fonctions de l’organe dans la perspective choisie (exercer la fonction de faire circuler le sang, c’est causer l’exercice d’une autre fonction, celle de faire circuler l’oxygène dans les vaisseaux sanguins ; la circulation de l’oxygène cause l’afflux d’oxygène dans le cerveau ; elle cause in fine l’émission de paroles sensées). La notion de proximité explicative, présentée conjointement, permet de distinguer entre une fonction que le cœur exerce et une fonction dont l’exercice par l’organisme présuppose seulement l’activité cardiaque, à condition de prendre garde au fait qu’une fonction qui intervient plus tôt dans la chaîne n’est pas nécessairement plus spécifique.
53Un problème voisin naît du projet de faire dépendre la définition de la fonction de l’explication de la prolifération de la famille R des m qui assument cette fonction. Cette fois la difficulté n’est plus dans la multiplicité des fonctions de m, mais dans le lien étroit entre fonction et existence de m. Il n’est pas évident en effet de passer d’une manière spéciale pour m (par C) d’exercer la fonction F à un rôle spécial de C dans la prolifération des ancêtres de m. La famille R de m pourrait proliférer, non du fait des mérites de C, le caractère propre à m, mais du fait de la liaison constante entre R et une autre famille R′ dont le caractère C′, caractéristique de ses membres, en assurant le succès reproductif de R′, assurerait aussi celui de R. En ce cas, il pourrait y avoir divergence entre la fonction propre de m et l’explication de la prolifération de R. Seul le biologiste peut sans doute se prononcer sur la plausibilité d’un tel schéma, mais on peut remarquer qu’il présuppose la validité de la thèse de Millikan (pour R′) au moment où il en conteste l’universalité. Si une particularité de cette thèse consiste à opposer, non des créatures pourvues d’un cœur à d’autres qui en seraient dépourvues, mais des créatures pourvues de cœurs inégalement efficients (dotés ou non de C), l’analyse de la fonction bénéficie de cette précision, mais elle ne doit pas supposer nécessairement que la sélection optimise toutes les solutions retenues.
54Reste la question générale de ce qu’explique la sélection naturelle. On trouve des raisons d’y réfléchir avec la distinction présentée par Elliott Sober entre explications en termes de développement et explications en termes de sélection [34]. L’exemple est celui de l’explication du fait que tous les enfants réunis dans une pièce savent lire. On peut en donner une explication en termes de développement en disant pourquoi chacun d’eux sait lire, en disant comment ils ont individuellement effectué l’apprentissage nécessaire (en spécifiant comment, grâce à qui, etc.). Mais on peut aussi dire qu’ils ont été admis dans la pièce parce qu’ils savent lire : pourtant en ce cas, donner le critère de leur admission nous dit ce qui les réunit, mais ne rend pas compte de la raison pour laquelle ils satisfont un tel critère. L’explication sélectionniste est alors perçue comme incomplète : elle ne dispense pas, en effet, de l’explication en termes de développement. Un organe a la fonction qu’il a du fait du programme dont il est l’exécution. La sélection, elle, rend compte ou contribue à rendre compte de la diffusion ou de l’élimination d’un tel programme dans une population donnée, mais elle ne définit pas sa nature propre. Un état interne C chez la noctuelle lui permet de détecter la présence de son prédateur, et cause le mouvement en spirale M par lequel elle le fuit. Selon l’analyse proposée par Dretske [35], la sélection explique pourquoi il y a surtout à présent des papillons chez lesquels C cause M, mais c’est le patrimoine génétique du papillon (de tel papillon) qui lui confère la capacité de lier C et Dretske traduit cette différence par un apologue [36]. Pierre est en prison parce qu’il a volé des voitures, Paul parce qu’il a fabriqué de fausses cartes de crédit, Patrick parce qu’il a dévalisé une banque. Leur comportement antisocial est le critère de leur emprisonnement, comme la détection des chauves-souris est le critère de la diffusion des conditions de C dans l’espèce ; mais on ne peut pas expliquer par l’emprisonnement des personnes qui dévalisent des banques le fait qu’elles dévalisent des banques, ni par la diffusion de C l’apparition effective de C.
55Cette distinction et sa visée limitative ont été contestées [37]. Il semble que la défense d’une thèse comme celle de Millikan peut passer en particulier par la remarque selon laquelle les deux explications offrent en fait deux récits inégalement détaillés de la même séquence d’événements. La critique de Sober présentée par Neander, comme certains aspects de la philosophie de Dretske lui-même, invitent à réintégrer dans le cas des fonctions biologiques l’explication par le développement dans la perspective de l’explication sélectionniste. L’explication par le développement (ou explication génétique) explique la relation de fait, ici et maintenant, entre la configuration de l’organe et ce qu’elle permet en termes de réalisation de la fonction. Mais la théorie de Millikan entend expliquer pourquoi c’est cette relation entre l’organe ou le comportement et la fonction correspondante qui est normalement présente aujourd’hui, et non une autre, au moyen des services rendus dans le passé par cette configuration de l’organe, qui a entraîné une multiplication reproductive de formes similaires. L’explication génétique a pour programme la détermination de la configuration de l’organe, et donc du type d’activité qui en dépend. Mais l’explication sélectionniste a pour objet, non pas de dire ce qui cause la configuration actuelle, mais pourquoi cette configuration est retenue. En ce sens, et telle est son insuffisance, l’explication en termes de développement appliquée au problème des fonctions est une explication qui considère seulement le cœur comme cause de l’effet qu’il produit ; seule l’explication sélectionniste fait véritablement du cœur actuel le moyen de la fonction correspondante. La conception étiologique des fonctions suppose donc un étagement des niveaux d’analyse où toute relation causale n’est pas à la source d’une explication probante. La référence à la prolifération d’une famille établie par reproduction grâce à la reproduction des gènes inclut cette reproduction comme un moment de l’explication qui doit être complété. Il existe une distinction propre à Dretske entre causes déclenchantes et causes structurantes [38], entre explication de l’occurrence d’un effet et explication du processus qui lie une cause à tel effet plutôt qu’à un autre. Elle peut contribuer à décrire la complémentarité entre définition génétique des causes et façonnement sélectif des moyens.
56La réponse proposée consiste moins, semble-t-il, à réduire la norme au fait [39] qu’elle ne tend à proposer une explication de la distinction entre ce qui est et ce qui doit être qui ne présuppose pas elle-même la normativité comme un fait ultime, mais qui la caractérise comme un effet de l’agencement des faits biologiques. Que faut-il alors prêter à l’ordre biologique lui-même qui lui permette de jouer un tel rôle ? On peut risquer que tout succès dans l’exercice d’une fonction biologique est dans l’univers naturel tel que nous le connaissons l’écho d’un succès reproductif qui en est à la fois la condition de possibilité et la condition d’intelligibilité. L’histoire de la vie est l’histoire de la modification des formes et des circonstances, des instruments et des conséquences de ce succès [40]. Mais le terme de « succès » serait lui-même dépourvu de sens si la potentialité ne pouvait pas ne pas être actualisée. À la différence d’une conciliation entre nexus effectivus et nexus finalis qui concéderait au pathologique un statut d’exception, l’analyse des fonctions est instruite par Darwin en ce qu’elle montre que l’historicité de la vie implique la possibilité permanente d’un décalage entre ce qui est et ce qui doit être, la reproduction de ce qui a naguère réussi n’étant jamais elle-même nécessairement reproduction réussie, ni réussite renouvelée de ce qui a réussi à se reproduire.
Notes
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[1]
Michael Ruse, Philosophy of biology today, Albany, State University of New York Press, 1988, chap. 5.
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[2]
Selon l’expression de Larry Wright, voir infra.
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[3]
Ce point est l’objet de la réflexion de John H. Campbell, « An organizational interpretation of evolution », in Evolution at Crossroads : The New Biology and the New Philosophy of Science, D. J. Depew, et B. H. Weber (eds), Cambridge, MIT Press, 1985, p. 133-167, qui réfléchit sur les mécanismes de contrôle régissant l’expression des gènes ; voir François Duchesneau, Philosophie de la biologie, Paris, PUF, 1997, p. 138-143. Campbell distingue une interprétation faible et une interprétation forte de la future causality. L’interprétation faible, selon cet auteur, « affirme seulement que seuls les systèmes faisant référence à leur propre futur peuvent se comporter comme si le futur agissait causalement sur eux, même s’il ne s’agit que d’une simulation (mimicry) », art. cité, p. 162. Pour Campbell, loin d’éviter le ralliement à l’interprétation forte, l’interprétation faible prépare celui-ci. Pour qui tient au principe énoncé ci-dessus, l’interprétation faible, si elle n’a donc pas pour but d’éviter le recours à l’interprétation forte, perd évidemment beaucoup de l’attrait qui pourrait autrement être le sien.
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[4]
Robert Cummins, « Functional analysis », in Conceptual Issues in Evolutionary Biology, édité par Elliott Sober, MIT Press, 1994, p. 52-53.
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[5]
Eric Russert Kraemer, « On the causal irreducibility of natural function statements », in Transactions of Nebraska Academy of Sciences, 7, 1979, p. 149-152.
-
[6]
Exemple emprunté à Lowell Nissen, Teleological Language in the Life Sciences, Rowman & Littlefield, 1997, p. 219.
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[7]
Cf. note précédente. Issu de comptes rendus minutieux des principales publications relatives au sujet, ce livre constitue à la fois une importance source bibliographique, et un ensemble de critiques rigoureuses de l’approche « constructiviste » décrite ici.
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[8]
Nissen, ibid., p. 211.
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[9]
Ernest Nagel, The Structure of Science, Indianapolis et Cambridge, Hackett Publishing Co, 1979, chap. XII.
-
[10]
Ibid., p. 403.
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[11]
John Searle, The Construction of Social Reality, New York et Londres, The Free Press, 1995 (La construction de la réalité sociale, trad. C. Tiercelin, Paris, Gallimard, 1998). Searle distingue entre fonction agentive (celle du tournevis) et fonction non agentive (celle du cœur), mais il refuse de doter les fonctions d’une existence propre, indépendante de toute attribution par un observateur.
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[12]
Nagel, op. cit., p. 408 sq. Cf. aussi, du même auteur, « Teleology revisited », The Journal of Philosophy, LXXIV, no 5, mai 1977, p. 261-301.
-
[13]
Ruse, op. cit., p. 45. L’exemple de Waddington est celui de la couleur de la fourrure de l’ours polaire.
-
[14]
Michael Ruse, « Functional Statements in Biology », Philosophy of Science, mars 1971, p. 87-95.
-
[15]
Lowell Nissen, op. cit., p. 101.
-
[16]
Dérivée de Cummins, art. cité, p. 59-60.
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[17]
Larry Wright, Teleological Explanations, University of California, 1976 ; « Functions », in Conceptual Issues in Evolutionary Biology, sous la direction d’Elliott Sober, MIT Press, 1994, p. 27-47.
-
[18]
Lowell Nissen, op. cit., p. 152-154.
-
[19]
Karen Neander, « Misrepresenting and malfunctioning », Philosophical Studies, 79, 1995, p. 111.
-
[20]
Ruth Millikan, Language, Thought and Other Biological Categories, Cambridge, MIT Press, 1984. Voir son analyse, in Joëlle Proust, Comment l’esprit vient aux bêtes, Gallimard, 1997, chap. VI et VII, qui lui oppose une autre conception des fonctions, la théorie propensionniste.
-
[21]
Il en va de même pour l’analyse d’un comportement déterminé pour l’espèce, comme une parade nuptiale.
-
[22]
En rigueur de termes, la définition de la « fonction propre directe » fait intervenir l’existence de m (le cœur par ex.) et la famille des ancêtres de m (les cœurs similaires dont le cœur actuel est la copie génétique). Elle ne fait pas intervenir explicitement l’existence de l’individu pourvu d’un tel cœur. Cependant Millikan peut écrire que « les choses dotées de cœurs primitifs ont été supplantées par des choses dotées de cœurs modernes », ibid., p. 27, ce qui est une manière de dire que la reproduction de m, doué de la configuration C, contribue à rendre compte de l’existence de porteurs de m.
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[23]
Millikan, op. cit., p. 17.
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[24]
Ibid., Définition complète de la fonction propre directe, p. 28.
-
[25]
Ibid., p. 26.
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[26]
Sur la provenance du travail de Kettlewell, sa nature et sa portée, voir Jean Gayon, Darwin et l’après-Darwin, Kimé, 1992, p. 371-384.
-
[27]
Comme l’a vu Lowell Nissen, op. cit., p. 185, la difficulté est plutôt alors de rendre compte dans ce cadre de la disparition d’une fonction (celle d’organes vestigiaux, en particulier).
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[28]
Nissen, op. cit., p. 183.
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[29]
Voir J. Proust, op. cit., p. 249-251.
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[30]
Millikan, 1984, p. 28 et 49.
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[31]
Nissen, op. cit., p. 184-185.
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[32]
Andrew Woodfield, Teleology, Cambridge, Cambridge University Press, 1976.
-
[33]
Millikan, 1984, p. 35.
-
[34]
Elliott Sober, The Nature of Selection, Evolutionary Theory in Philosophical Focus, Bradford Book, 1984, p. 147-155.
-
[35]
Fred Dretske, Explaining behaviour, MIT Press, 1988, p. 89-95.
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[36]
Dretske, op. cit., p. 95.
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[37]
Karen Neander, « What does Natural Selection explains ? Correction to Sober », Philosophy of Science, 55, 1988, p. 422-426.
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[38]
Explaining behaviour, op. cit., chap. II.
-
[39]
Millikan, op. cit., p. 34 ; et « Biosemantics », The Journal of Philosophy, LXXXVI, no 6, juin 1989, p. 284 : « “Normal” tel que je l’utilise devrait être pris en un sens normatif, historique, et relatif à une fonction spécifique. » Ainsi, les conditions normales de l’exécution de la fonction propre directe de fertilisation ne coïncident pas pour les spermatozoïdes avec leurs conditions d’existence ordinaires.
-
[40]
L’explication sélectionniste n’implique ainsi nullement une justification utilitariste étroite de tout exercice actuel des fonctions : cf. du même auteur, « Misrepresentation », in Belief, Form, Content and Function, édité par R. Bogdan, Oxford, Clarendon Press, 1986, en particulier p. 28-29.