Notes
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OCDE, Direction des statistiques, 4, Quai du Point du Jour, 92100 Boulogne Billancourt. Pol-Vincent.Harnay@oecd.org. Je tiens à remercier Pascal Engel, Pétronille Rème-Rousseau et Audrey Harnay pour leurs commentaires sur ce texte.
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[1]
Pour une présentation de ces débats et une mise en perspective avec Davidson, voir Maurice Salles dans Engel (1997).
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[2]
Comme il l’écrit : « Et puisqu’au fond de nous-mêmes nous ne croyons pas que les satisfactions tirées par différents individus de moyens semblables soient également appréciables, il est assez ridicule de continuer à prétendre que notre façon de présenter les choses a une justification scientifique […] On peut la justifier en invoquant des normes ultimes d’obligation. Mais on ne peut la justifier en invoquant un genre quelconque de science positive » (Robbins 1947, p. 137).
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[3]
L’indicateur utilisé doit être cardinal c’est à dire qu’il doit autoriser à la fois des comparaisons de niveaux d’utilité (c’est ce que permet l’indicateur ordinal) et de différences d’utilité (au niveau intra et interpersonnel).
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[4]
Méthode initiée par Francis Ysidro Edgeworth.
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[5]
Cepedant pour Fleurbaey et Hammond (2004), le théorème d’Arrow montre que toute procédure de choix social rationnel est impossible sans faire usage de comparaisons interpersonnelles.
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[6]
Nous évoquerons ici uniquement les auteurs représentatifs des deux approches mentionnés par ce dernier.
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[7]
Il est à noter sur ce point que cette distinction ne recoupe pas la précédente, à savoir les auteurs qui se réclament d’une démarche ordinale, et ceux qui ont recours à une approche cardinale. En effet, certains auteurs, comme Waldner par exemple, privilégie une approche descriptive tout en utilisant la propriété cardinale des nombres. Ceci s’explique par les deux sens du terme cardinal : il y a la cardinalité mathématique et la cardinalité – ou plutôt l’usage de celle?ci – dans le cadre d’une théorie éthique.
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[8]
Voir sur ce point l’exemple de Little (1957, p. 54-55).
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[9]
Je reprends l’exemple de Davidson (1984/2001, p. 11).
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[10]
Nous y reviendrons dans la partie 2.
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[11]
Je préciserai dans le paragraphe A.2.2 que l’argument utilisé par Davidson est celui du monisme anomal.
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[12]
Davidson parle d’objets « before the mind » dans Davidson (1987/2001).
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[13]
Il s’agirait en quelque sorte d’un niveau privé et d’un niveau social.
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[14]
Cette méthodologie est directement influencée par les travaux de Frank Ramsey et ceux de Davidson, Suppes, Siegel (1957). Sur ce point, voir Harnay (2008).
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[15]
Précisons que les critiques qu’adresse Davidson à Jeffrey ne porte pas sur les deux premières étapes évoquées au paragraphe suivant mais essentiellement sur la troisième. Davidson a, en effet, repris, à partir de 1980 le modèle de Bolker-Jeffrey où il était question notamment de mesurer les préférences d’un individu en alliant théorie de la décision standard et la logique des propositions. Pour une présentation de ce modèle, voir Davidson (1980/2004, 1985), Bourgeois-Gironde et Giraud (2005), Harnay (2008).
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[16]
Nous ne disons pas ici que le relativiste pose l’existence d’un point de vue neutre mais qu’il la présuppose.
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[17]
C’est ce que Davidson appelle la triangulation.
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[18]
Nous reviendrons sur point dans la partie 2.2.
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[19]
Voir par exemple John Kagel and Alvin E. Roth (1995).
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[20]
Nous faisons référence ici à la deuxième édition de leur ouvrage The Theory of Games and Economic Behavior où figure l’axiomatique de l’utilité espérée.
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[21]
Pour une présentation détaillée de cette méthode et de l’ensemble de l’axiomatique de 1957 voir Harnay (2008).
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[22]
Les attitudes propositionnelles représentent chez Davidson les états mentaux servant de prémisses à l’explication de l’action.
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[23]
Davidson (1984/2001, p. 6).
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[24]
Davidson (2001, p. 4).
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[25]
Passage cité dans Davidson (1984).
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[26]
Wittgenstein (1953/2001, § 377).
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[27]
Pour une présentation plus poussée de l’autorité à la première personne voir Descombes (2004).
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[28]
Sur ce point, Davidson est encore une fois proche de Wittgenstein, notamment dans l’ouvrage De la certitude.
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[29]
Une différence majeure a trait aux objectifs respectifs des deux auteurs. Ainsi, là où Quine évoque un manuel de traduction, Davidson tente de résoudre un problème d’interprétation.
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[30]
Notons que Davidson utilise ici le terme de traduction alors que dans d’autres articles il se refuse à utiliser ce concept car il l’estime trop proche de celui de signification.
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[31]
Il faut toutefois être prudent et relativiser les deux usages de la charité chez Quine et Davidson. Quine semble en effet plus sceptique et mesuré dans l’usage de ce principe. Pour des développements sur ce point et sur l’ensemble de l’œuvre de Quine voir Laugier (1992).
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[32]
Pour une présentation détaillée du principe de charité chez Davidson, voir Engel (1994).
Introduction
1Dans son compte rendu des Foundations of Social Choice Theory, Peter J. Hammond évoque, notamment, l’article du philosophe américain Donald Davidson concernant les comparaisons interpersonnelles – Judging Interpersonal Interests (1986, légèrement corrigé dans l’article de 2004 sous le titre The Interpersonal Comparison of values) – paru dans ce même ouvrage, en ces termes : « Franchement, j’ai trouvé qu’il était le plus difficile à comprendre, sans doute parce qu’il semble plus éloigné de la théorie éthique de la décision et plus proche du domaine de la philosophie dont je suis moins familier » (Hammond 1989, p. 190-191).
2La position de Hammond peut se comprendre si l’on s’en tient aux travaux de Davidson en théorie de l’action ainsi qu’en philosophie du langage. On pourrait ainsi en conclure que les préoccupations de l’auteur relèvent quasi exclusivement de la philosophie, et que l’intérêt de cet essai pour l’économiste est relativement limité. Cet article vise à montrer que l’apport de Davidson au débat sur les comparaisons interpersonnelles en éco-nomie est, au contraire, loin d’être négligeable et peut s’exprimer en une idée centrale : en attribuant des préférences à autrui, je procède nécessairement à des comparaisons interpersonnelles et ces dernières ont un lien avec les comparaisons intrapersonnelles. Plus précisément, il existe une imbrication entre le niveau intra- et le niveau interpersonnel des comparaisons : ils ne fonctionnent pas de manière déliée mais par interdépendance. Cette position constitue selon Davidson une remise en cause des positions standards en la matière (Davidson 1986/2004, p. 62).
3Deux types de comparaisons sont généralement distingués dans la littérature : les comparaisons de niveaux d’utilité, et les comparaisons de différences d’utilité.
4Les premières consistent en des comparaisons de nombres réels. Pour reprendre l’exemple de Hammond (1991, p. 207), soit une société d’individus i appartenant à un ensemble fini N, chacun ayant une fonction d’utilité Ui(.) qui représente le classement de bien-être Ri sur le domaine X des états sociaux. Une comparaison de niveaux d’utilité entre deux individus i, j ? N est un énoncé de la forme : ui ? uj où ui et uj sont deux niveaux des fonctions d’utilité Ui et Uj pour les personnes i et j. La signification empirique des comparaisons provient des préférences exprimées par les individus. Le problème consiste à comprendre comment interpréter l’inégalité Ui(x) ? Uj(y) lorsque i ? j. Une personne i peut vouloir être à la place de l’individu j et vice versa, on peut interpréter l’énoncé Ui(x) > Uj(y) comme signifiant : si x est l’état social, la personne i préfèrerait ne pas devenir la personne j au cas où c’est l’état social y qui survient.
5Les secondes consistent à donner un sens à l’énoncé : Ui(x) - Ui(y) > Uj(w) - Uj(z). On considère que l’expression Ui(x) - Ui(y) mesure l’intensité de la préférence d’une personne de x par rapport à y. Deux types de question se posent à ce niveau : quel sens donné à l’intensité de préférence d’une personne et sur quelle base empirique peut-on comparer les intensités de préférences de différentes personnes ?
6L’article de Davidson (1986/2004) consiste à souligner l’interdépendance des niveaux intra- et interpersonnel et plus précisément leur imbrication. Notre article cherche à montrer l’originalité du point de vue de ce dernier à la fois par l’accent qu’il choisit de mettre sur l’interdépendance entre le niveau intra et le niveau inter mais aussi par le rôle qu’il fait jouer à la théorie du langage dans la formation des comparaisons.
7Cette position trouve sa source dans une série de critiques adressée par l’auteur aux deux types d’approches des comparaisons interpersonnelles : les approches descriptives et les approches prescriptives (section 1) que nous présenterons successivement (1.1) avant d’analyser les critiques de l’auteur à celles-ci (1.2). Nous pourrons ainsi, dans une seconde partie, mettre en évidence l’apport de la théorie de Davidson à l’analyse des comparaisons interpersonnelles. Pour ce faire, nous analyserons la troisième voie proposée par Davidson en insistant sur les rapports qu’il établit entre les comparaisons intrapersonnelles et interpersonnelles (section 2) et ceci en évoquant d’une part l’autorité à la première personne – qui sert de socle aux comparaisons intrapersonnelles (section 2.1), et d’autre part, ce que Davidson appelle la « triangulation », lui permettant de passer du niveau intra- au niveau interpersonnelles des comparaisons (section 2.2).
1 – Deux approches des comparaisons interpersonnelles : le débat descriptif/prescriptif
8Les comparaisons interpersonnelles sont l’objet de multiples débats au sein de la théorie économique, débats aux implica- tions décisives puisqu’elles renvoient à la fois à la théorie de la décision individuelle mais aussi aux théories du bien-être. Nous commençons ici par présenter succinctement les termes des débats économiques en jeu dès lors que l’on choisit ou non de procéder à des comparaisons interpersonnelles [1] (1.1).
9Puis, afin de mettre en évidence la position de Davidson, nous choisissons de nous focaliser sur un débat particulier au sein de ceux qui choisissent de faire des comparaisons interpersonnelles, le débat positif/prescriptif. En effet, c’est en réponse à ces conceptions traditionnelles que le philosophe choisit de construire sa théorie (1.2.).
1.1 – La position des comparaisons interpersonnelles au sein de la discipline
10Les comparaisons interpersonnelles occupent une place centrale au sein de deux débats étroitement liés au cœur de la théorie économique : le premier (A) oppose les partisans d’une conception positive de la théorie économique à ceux qui défendent une conception normative de celle-ci et le second (B), les auteurs qui utilisent des comparaisons interpersonnelles et ceux qui se refusent à le faire.
A – Les comparaisons interpersonnelles au cœur du débat entre conception positive et conception normative de la théorie économique
11La distinction terminologique entre une forme positive et une forme normative de l’économie remonte au moins à John Neville Keynes : « On peut définir une science positive comme un ensemble de connaissances systématiques portant sur ce qui est [what is] ; une science normative ou régulative, comme un ensemble de connaissances systématique relatif aux critères de ce qui doit être [what ought to be], et traitant donc de l’idéal par opposition au réel […] » (1917, p. 34 cité par Mongin 2001, p. 702). A l’économie de rechercher des lois, à l’éthique de formuler des idéaux.
12Lionel Robbins est l’un des défenseurs les plus actifs de cette distinction mais aussi l’un des auteurs les plus marquants dans le rejet de l’usage de comparaisons interpersonnelles, précisément au nom de cette distinction. Dans son Essay on the Nature and Signifiance of Economic Science (1 re éd. 1932, traduit en français en 1947), Robbins insiste sur la nécessité de séparer les deux sphères : « L’économie s’occupe de faits déterminables ; l’éthique d’appréciations et d’obligations » (Robbins 1947, p. 142-143). Pour Robbins, la vérification scientifique est l’« abîme » qui sépare le champ scientifique de l’économie de celui de l’éthique (1947, p. 143). En effet, seul le premier champ se prête à la vérification de la validité des hypothèses car celles-ci concernent le réel et non l’idéal. L’économie et l’éthique sont déconnectées logiquement (Robbins 1947, p. 144). Or, pour Robbins, les comparaisons interpersonnelles sont des jugements de valeur. Elles relèvent d’une conception normative de l’économie en raison du caractère non scientifique des comparaisons interpersonnelles [2]. Une première distinction doit donc s’opérer, d’une part, entre les partisans d’une conception positive de la théorie économique, refusant de procéder à des comparaisons interpersonnelles et, d’autre part, entre les partisans d’une conception normative, voulant mêler économie et éthique et acceptant de faire usage de telles comparaisons.
B – Les comparaisons interpersonnelles, enjeu de l’économie du bien-être
13Une seconde distinction, immédiatement imbriquée à la première, peut être présentée. Il s’agit cette fois d’appréhender les comparaisons interpersonnelles comme étant la pierre de touche de l’économie du bien-être. Les débats en économie concernant les comparaisons interpersonnelles sont en effet, dans le même temps, au cœur de l’économie du bien-être.
14La « vieille économie du bien-être » (Fleurbaey 2006) autorise les comparaisons interpersonnelles. Cette notion de bien-être est empruntée à l’utilitarisme ancien de Jeremy Bentham. L’idée de ce dernier était de mesurer numériquement la satisfaction des individus afin d’avoir une représentation scientifique du bien-être individuel. Cette représentation numérique deviendra par la suite une fonction d’utilité, dépouillée du caractère hédoniste instauré par Bentham. En agrégeant ces indicateurs numériques, Bentham parvenait à une représentation du fameux précepte : le plus grand bonheur du plus grand nombre [3].
15Nombre de critiques ont remis en cause l’usage de comparaisons intra- ou interpersonnelles en économie. La position de Robbins est justement révélatrice d’un tournant comme le souligne Philippe Mongin : « Que Robbins ait su influencer les économistes ou qu’il s’en soit uniquement fait l’interprète, son “argument” va jouer un rôle de premier plan dans la théorie économique à partir de 1920-1930. […] Antérieurement, toute l’analyse économique du “bien-être” [welfare] exigeait que l’on fit de telles comparaisons » (Mongin 2001, p. 704).
16Ainsi, la « nouvelle économie du bien-être » a, au début du XXe siècle, rejeté cette idée d’utilité comparable lui préférant le critère d’efficacité de Vilfredo Pareto. Ce dernier considérait les comparaisons interpersonnelles comme un symbole de la « pseudo-science » : « Comment peut-on comparer ces sensations agréables, ou pénibles ou les additionner ? […] Pour voir si le vol est, ou n’est pas, moral, devons-nous comparer les sentiments pénibles des volés aux sentiments agréables des voleurs, et rechercher ceux dont l’intensité est la plus grande ? » (Pareto 1909, p. 68). Ce type de raisonnement que Pareto considérait comme « métaphysique » n’a aucune valeur objective selon l’auteur. Dans l’appendice de son Manuel d’économie politique, Pareto préfèrait la méthode des courbes d’indifférence [4] – relevant d’une approche ordinale – pour représenter le comportement des individus.
17Dans la seconde moitié du XXe siècle, la théorie du choix social constitue un prolongement de la nouvelle économie du bien-être puisqu’elle définit un concept général de « fonction de choix social » à partir des préférences individuelles. Les travaux les plus marquants dans ce domaine sont ceux de Arrow (1951) et le fameux théorème d’impossibilité niant la possibilité d’une telle fonction du fait de son incapacité à respecter à la fois le critère de Pareto, l’idée que le classement de deux options par la fonction de choix social doit respecter le classement de ces deux options au niveau des préférences individuelles et enfin la condition de non-dictature. Ce théorème ne fait pas usage des comparaisons interpersonnelles lui préférant la notion de profils de préférences [5].
18John Harsanyi (1955) est l’un des premiers à avoir réhabilité l’usage des comparaisons interpersonnelles en renouant avec l’utilitarisme benthamien et en utilisant les équations de von Neumann et Morgenstern (1947). Les comparaisons interpersonnelles d’utilité ne sont pas, selon lui, des jugements de valeur basées sur des postulats éthiques mais bien plutôt sur des propositions factuelles établies sur des principes de la logique inductive (Harsanyi 1955, p. 320). L’observation du comportement verbal ou non joue un rôle central. Le problème est de savoir, selon Harsanyi, quelle est la base logique pour les comparaisons interpersonnelles. L’auteur mentionne deux indicateurs relatifs à l’utilité que nos semblables accordent à différentes situations : leurs préférences révélées par leurs choix réels d’une part et leurs expressions (verbales ou non verbales) de satisfaction ou de mécontentement dans chaque situation d’autre part. Une difficulté majeure survient lorsqu’il est question de comparer l’utilité que différentes personnes attribuent à chaque situation. Pour Harsanyi, le problème a deux aspects : un aspect métaphysique et un aspect psychologique.
19L’aspect métaphysique du problème correspond à ce que l’auteur appelle le principe de la « différenciation non justifiée » (Harsanyi 1955, p. 317). Selon ce principe, si deux objets ou activités humaines manifestent le même comportement sous tous les aspects ouverts à l’observation, l’hypothèse qu’il existerait des différences cachées non observables, doit être considérée comme une hypothèse gratuite et contraire à la science. Dans la réalité, les différentes préférences des individus ainsi que leurs réactions expressives peuvent varier assez fortement même si l’individu en question se trouve face à la même situation.
20L’aspect psychologique s’exprime comme suit : comment des différences psychologiques entre des personnes au sens large affectent la satisfaction que chaque personne tire de chaque situation ? Par exemple si un individu préfère l’alternative X à l’alternative Y alors qu’un autre préfère Y à X, peut-on expliquer cela en disant que le premier accorde une utilité supérieure à X ou parce qu’il accorde une plus petite utilité à Y par rapport à la deuxième personne ? (Harsanyi 1955, p. 318). Harsanyi défend l’idée que si deux personnes ont des préférences opposées entre deux situations, on peut faire appel à des facteurs psychologiques qui peuvent être responsables de ces différences pour éclairer la situation : si un individu est prêt, pour un niveau de salaire donné, à travailler plus qu’un autre, nous pourrions dire que la désutilité du travail pour lui est plus faible que celle de l’autre individu.
21Au travers de la succincte histoire de l’économie du bien être que nous venons de retracer, nous espérons avoir montré que l’utilisation des comparaisons interpersonnelles était étroitement lié au statut que leur accordent les auteurs : soit qu’elles soient rejetées car considérées comme des jugements de valeur, soit qu’elles soient autorisées car, comme l’écrit Harsanyi, fondées sur des propositions factuelles.
22Toutefois parmi cette seconde catégorie d’auteurs (qui utilisent les comparaisons interpersonnelles) il n’existe pas de conception homogène, consensuelle des comparaisons.
1.2 – Le débat descriptif-prescriptif
23Parmi ceux qui acceptent de faire usage de comparaisons interpersonnelles, on peut de nouveau distinguer plusieurs approches.
24Afin de mettre en relief la démarche de Davidson, nous choisissons ici de nous intéresser aux théories qui sont la cible de ses critiques. Pour ce faire, nous distinguons plus précisément deux types d’auteurs à qui Davidson adresse deux critiques différentes [6] : ceux qui utilisent une approche descriptive et ceux qui utilisent une approche normative [7].
25Cette distinction est en fait relativement habituelle. Amartya Sen (1982) par exemple distingue, au sein des comparaisons interpersonnelles, celles qui relèvent d’une approche descriptive, de celles qui relèvent d’une approche prescriptive.
26L’approche descriptive considère que les comparaisons interpersonnelles sont des jugements de faits, déliés de toute connotation normative. L’approche prescriptive fonde les comparaisons interpersonnelles sur un critère comme par exemple le critère benthamien.
27Nous les présentons toutes deux successivement tout en mettant en relief les critiques exprimées par Davidson (1986/2004).
A – L’approche descriptive
28On distingue généralement deux types d’interprétations descriptives : l’approche behavioriste et l’approche introspective qui se décompose en deux variantes comme le mentionne Sen (1982) : l’approche introspective par comparaison de bien-être et l’approche du choix introspectif.
29Je vais d’abord présenter l’approche behavioriste ainsi que les critiques de Davidson relatives à celles-ci (A. 1). Je suivrai la même démarche dans un second temps (A. 2), mais cette fois-ci en évoquant l’approche introspective.
A.1 – L’approche behavioriste défendue par Little (1957) et Waldner (1972)
30L’ouvrage de Little, A critique of welfare economics, s’attache à explorer les fondements de la théorie du bien-être. L’objectif n’est pas tant d’ouvrir une réflexion méthodologique (Little 1957, p. 1) que de reconsidérer ses principaux questionnements et notamment ceux qui concernent les comparaisons interpersonnelles. Selon l’auteur, on ne peut nier l’usage quotidien par tout un chacun de telles comparaisons (Little 1957, p. 56). Nier ceci reviendrait à nier l’existence même des autres esprits, c’est-à?dire nier que nos semblables existent. Dans la lignée du philosophe anglais Gilbert Ryle (1900-1976), Little considère que le comportement, qu’il soit verbal ou non verbal, constitue une preuve de l’existence des autres esprits. Mieux, le comportement donne accès aux états mentaux de l’individu en question. Or, pour Little, si l’on considère que le comportement est une preuve de l’existence des autres esprits, on doit admettre que l’on compare les autres esprits sur la base de telle preuve (Little 1957, p. 56). Le postulat de Little – repris par Waldner – est que le comportement révèle des dispositions [8]. Ces dispositions, sur lesquelles se fondent les comparaisons interpersonnelles selon Little, ne sont pas des propositions prescriptives dans la mesure où elles ne témoignent pas d’un jugement de valeur. La proposition « A est plus heureux que B » n’est pas un jugement de valeur dans la mesure où elle est sous-tendue par une preuve comportementale. Plus précisément, rien n’oblige à considérer cette proposition comme un jugement de valeur. Elle pourrait être considérée comme tel dans certains contextes mais nullement, de l’avis de l’auteur, dans tous les contextes (Little 1957, p. 58).
31Cette position est reprise dans l’article de Waldner (1972). Il propose d’observer les choix et de supposer que l’individu choisit l’alternative qu’il désire le plus (Waldner 1972, p. 94). Cependant, les choix ne sont pas des préférences révélées comme chez Paul Samuelson (1938) mais plutôt des manifestations de dispositions, dans la même optique que celle de Little. L’objectif de Waldner est de relier l’observation du comportement à des états mentaux. Il s’agit d’observer des comportements comme des expressions du visage puis de les relier à des états mentaux comme la frustration par exemple (Waldner 1972, p. 95). Waldner propose aussi de considérer d’autres éléments comme la probabilité qu’un individu manifeste à choisir telle option plutôt qu’une autre, ou encore le temps qu’un individu prend à choisir telle option comme autant de dispositions révélatrices d’états mentaux. Comme Little, Waldner se propose de procéder à des comparaisons interpersonnelles sur la base de données comportementales. Ainsi, si parmi deux individus ayant la même santé et les facultés physiques, l’un est prêt à travailler plus longtemps que l’autre, c’est qu’il a un désir plus fort que l’autre.
A.2 – Les critiques de Davidson à Little et Waldner
32Cette approche behavioriste est rejetée par Davidson. Deux types d’arguments sont en jeu : le premier est relatif au behaviorisme comme programme réductionniste, c’est-à?dire comme tentative de réduire les états mentaux, comme les comparaisons interpersonnelles, à des manifestations purement physiques (a). Ce premier type d’argument trouve sa source dans les écrits de Davidson relatif à la théorie de l’action mais aussi à la théorie de la connaissance qu’il élabore. Le second type d’argument est relatif à la position singulière de Little et Waldner (b).
33a) Pour Davidson, le behaviorisme pose d’abord problème dès lors qu’il considère que les états mentaux ne sont rien d’autre que ce que nous considérons comme preuves pour ces derniers ; autrement dit qu’ils peuvent être définis explicitement en termes comportementaux. Le problème est que le behaviorisme ne réussit pas à expliquer le fait que nous n’ayons pas besoin de preuves lorsque nous nous attribuons des attitudes – lorsque nous procédons à des comparaisons intrapersonnelles. Le point essentiel ici est de comprendre que Davidson se refuse à toute forme de réductionnisme et plus particulièrement au réductionnisme des états mentaux aux états physiques. Autrement dit, les attitudes évaluatives comme les comparaisons interpersonnelles ne peuvent pas se réduire à manifestations comportementales physiques.
34En effet, selon Davidson, il semble difficile de construire une théorie strictement physique des états mentaux. En termes de comparaisons interpersonnelles, cela signifie qu’il est impossible de concevoir de telles comparaisons sans faire appel à des états mentaux et donc à des éléments qui ne se manifestent pas directement lors d’observations.
35b) Toutefois l’analyse de Davidson va plus loin puisque celui-ci engage une différenciation entre le niveau intra et le niveau inter des comparaisons.
36Ainsi, lorsqu’il est question du niveau intrapersonnel, nous n’avons pas besoin de preuves empiriques pour savoir ce que nous voulons, pensons ou mieux encore ce que nous valorisons le plus. Nous le savons grâce à ce que Davidson appelle l’autorité à la première personne. Cette notion se définit comme suit : chaque personne sait, mieux que quiconque, ce qu’elle a dans la tête sans faire appel à la moindre preuve pour cela. Toutes les attitudes propositionnelles comme les désirs, les croyances ou encore les comparaisons intra- et interpersonnelles sont des manifestations de cette autorité. Il y a une asymétrie entre moi et les autres quant à l’accès à mes propres pensées et cette asymétrie s’explique par le fait que lorsque je dis « Wagner est mort heureux » [9], vous et moi savons que je tenais cette phrase pour vraie quand je l’ai énoncé et que je savais ce que cette phrase signifiait lors de mon énonciation. La différence entre moi et autrui est que je sais ce que je crois alors qu’autrui non [10].
37Lorsque nous nous plaçons au niveau interpersonnel en revanche, il semble être d’usage de faire appel à des preuves comportementales de telles comparaisons. La croyance à l’œuvre à ce niveau se résume à ce constat de l’auteur : « on peut généralement dire que ce qui compte comme preuve pour l’application d’un concept, aide à définir ce concept » (Davidson 1987/2001, p. 16). Autrement dit, il est habituel, même dans le cas des comparaisons interpersonnelles d’utiliser des éléments du comportement accessibles à l’observation non seulement pour identifier les comparaisons interpersonnelles mais aussi pour en repérer les manifestations. Seulement cette différence de traitement entre le niveau intra et le niveau inter des comparaisons pose problème. Si nous n’utilisons aucun type de preuves pour nous même concernant nos comparaisons intra alors que nous en avons besoin lorsqu’il s’agit des comparaisons inter, cela signifie que nous n’utilisons pas le même concept. Cette dichotomie réside dans une asymétrie entre moi et les autres quant à notre accès à nos attitudes évaluatives.
38Lorsque l’on mêle ces deux types d’arguments (celui relatif au niveau intra et celui relatif au niveau inter), la critique que fait Davidson à Little et Waldner devient : nous n’avons pas besoin de preuves comportementales pour nos comparaisons intrapersonnelles mais nous en faisons usage lorsque nous procédons à des comparaisons interpersonnelles. Cependant, nous n’avons pas la possibilité de réduire de telles comparaisons à de simples manifestations physiques comme le suggère Little et Waldner ne serait?ce que parce que nous ne le faisons pas lorsqu’il est question de nous?mêmes [11].
A.3 – L’approche introspective
39Si Davidson rejette l’approche behavioriste des comparaisons interpersonnelles au nom de l’antiréductionnisme et l’asymétrie concernant notre accès à nos attitudes évaluatives relativement à celles des autres, il n’adhère pas non plus au second type d’approche descriptive, la démarche introspective.
A.3.1 – Deux variantes d’une même approche
40Le deuxième type d’approche descriptive relève d’une démarche introspective dont on peut plus précisément identifier deux variantes : l’approche introspective par comparaison de bien-être et l’approche du choix introspectif.
41La première approche consiste en une expérience de l’esprit déjà utilisée par Emmanuel Kant dans ses Fondements de la métaphysique des mœurs. L’idée consiste à tenter de se mettre à la place d’autrui. C’est ce type de comparaisons qui est à l’œuvre dans le type de question suivante : « Me sentirais-je dans une meilleure situation si j’étais la personne i dans l’état social x plutôt que la personne j dans l’état social y ? ».
42L’approche du choix introspectif diverge de l’approche par comparaison de bien-être dans la mesure où l’on ne s’intéresse pas à la situation que l’individu considère la meilleure pour lui mais laquelle il choisirait. Ici, le bien-être est révélé par le choix tout comme la préférence est révélée par le choix dans la théorie des préférences révélées de Samuelson (1938).
43L’idée de s’imaginer à la place d’un autre est utilisée à la fois par Harsanyi (1955) mais aussi par John Rawls (1971) lorsque celui-ci évoque le voile d’ignorance, comme le souligne Hammond : « pour se libérer d’une perspective égoïste excessive en évaluant les problèmes moraux, un observateur éthique devrait prétendre être complètement incertain de ce qu’il sera après que le problème soit résolu » (Hammond 1989, p. 13). Il s’agit ici soit de s’imaginer virtuellement à la place d’un individu dans une situation donnée et d’essayer de savoir comment nous sentirions nous relativement à une autre situation ; soit de se dire quelle situation nous aurions choisi si nous avions été à la place de l’autre. La particularité d’Harsanyi est de supposer que l’individu, même s’il ne sait pas ce qu’il sera, est rationnel au sens bayésien du terme et maximise l’utilité espérée de la fonction d’utilité de von Neumann et Morgenstern (Hammond 1989, ibid.).
A.3.2 – Les critiques de Davidson
44Le rejet de l’introspection trouve sa source dans une critique qu’adresse Davidson à tous ceux qui, comme Hilary Putman, considèrent qu’il existe deux types d’objets psychologiques ou mentaux : I) ceux purement internes – ceux auxquels l’esprit fait face ou qui sont saisis par l’esprit [12] – et II) ceux qui permettent d’identifier la pensée, comme ceux par lesquels nous attribuons à nos semblables des croyances et des désirs [13]. Il s’agit alors d’utiliser des éléments extérieurs comme le comportement pour identifier les états mentaux des individus. La difficulté pour concilier (I) et (II) réside dans le fait que si nous considérons des entités externes à l’individu pour expliquer ce qui se passe dans l’esprit de ce dernier, cela signifie que tous les états mentaux ne résident pas à strictement parlé dans l’esprit de l’individu, d’où une remise en cause de (I). Or pour Davidson, on peut concilier (I) et (II) en utilisant une forme spécifique du « monisme anomal » utilisé par l’auteur relativement à la théorie de l’action. La position de Davidson est la suivante : l’action d’un individu peut être décrite en termes purement physiques comme les mouvements du corps par exemple mais elle peut tout autant être décrite en termes purement mentaux comme le fruit d’un désir et d’une croyance. Les événements mentaux sont des événements physiques ; c’est en cela qu’ils trouvent place dans l’esprit de l’agent mais ils ne peuvent pas se réduire à des événements physiques dans la mesure où nous ne pouvons pas établir de lois psychologiques qui aient la même valeur scientifique et la même validité que les lois de la physique. Cette idée, appliquée à la distinction entre (I) et (II) devient : les états internes mentionnés dans (I) sont des états physiques dans la mesure où ils correspondent à des états du corps mais ils sont dans le même temps « non-individualisables » dans la mesure où ils sont en partie déterminés par des relations causales entre des événements et des objets extérieurs au sujet (Davidson 1987/2001, p. 36). La position de Davidson ne correspond pas à de l’introspection comme (I) semble le suggérer mais bien plutôt à une forme de matérialisme. Le problème est qu’aucun objet ne peut satisfaire les deux conditions (I) et (II). Pour Davidson, seules les idées et les impressions décrites dans la philosophie humienne peuvent « être à la fois ce qu’elles paraissent et paraître ce qu’elles sont ». Mais il n’existe pas de tels objets, ni publics ni privés, ni abstraits ni concrets (Davidson 1987/2001, p. 37). La raison à cela est un argument récurrent de Davidson, argument souvent défendu par l’auteur lorsqu’il évoque le langage : « il n’existe pas quelque chose comme un langage […] nous faisons seulement sens de l’idée que deux personnes “ont le même langage” même si nous ne pouvons pas expliquer ce qu’est un langage » (Davidson 1986/2004, p. 106). Il n’existe pas de langage strictement privé ou strictement social. De la même manière, il n’existe pas d’états mentaux strictement privés ou strictement sociaux.
B – Les positions normatives
45Si Davidson adresse quantité de reproches aux approches descriptives des comparaisons interpersonnelles, l’approche normative semble critiquable pour d’autres raisons.
46Ces approches des comparaisons interpersonnelles fondent ces dernières sur une norme comme par exemple la possibilité d’agréger les fonctions d’utilités individuelles pour obtenir une fonction d’utilité collective. Les positions de Frederic Schick (1971) et de Jeffrey (1971) sont tout à fait illustratrices de cette manière de procéder comme nous le montrons dans un premier paragraphe (B.1) avant de présenter les critiques que Davidson leur adresse (B.2). Pour ce dernier, en effet, une base pour les comparaisons interpersonnelles ne peut pas être choisie librement car le risque serait qu’elle convienne à une personne mais pas à une autre. En effet, une norme n’est pas nécessairement valable pour tous les individus selon l’auteur et le choix de celle-ci est arbitraire.
B.1 – Les positions de Schick et de Jeffrey
47Cette position normative est notamment utilisée par Frederic Schick (1971). Schick focalise son analyse sur un agent fictif, Adam, dont l’intensité des préférences peut être représentée par des fonctions d’utilité. Il s’intéresse à la fonction d’utilité qui classe les préférences d’Adam de 0 à 1, 0 correspondant au plus grand malheur (summum malum) pour Adam et 1 au plus grand bonheur (summum bonum). On peut imaginer que les utilités des différentes alternatives accessibles à Adam sont conditionnées à la réalisation d’une condition q. Par exemple, Adam accordera une grande utilité au fait d’aller camper s’il fait beau temps (le temps correspond à la condition q). Cette condition peut recouvrir l’utilité d’une autre personne, nommée Ève. Ainsi, l’utilité du camping peut être de x pour Adam à condition que l’utilité du camping soit de y pour Ève. Plus généralement, toute alternative r peut avoir une utilité de x pour Adam à condition que r ait une utilité de y pour Ève. La question que pose Schick est la suivante : « Qu’est?ce qu’Adam a en tête lorsqu’il croit que Ève attribue une utilité de y à r ? On pourrait supposer qu’Adam pense à l’intensité absolue des sentiments de Ève par rapport à r. Mais il est difficile de rendre cela clair. Je suggère l’idée qu’il se focalise sur leur intensité relative. Il estime la signification proportionnelle qu’elle attache à r » (Schick 1971, p. 658). Schick analyse la situation où Adam et Eve accordent la même utilité à la proposition que chacun place le plus haut sur son échelle d’utilité. Rien n’empêche d’harmoniser les échelles individuelles de préférences à partir du moment où une norme est utilisée dès le départ (Schick 1971, p. 665). A un niveau strictement théorique, comme le souligne Schick, cette situation ne correspond pas à des comparaisons interpersonnelles au sens usuel dans la mesure où les échelles sont normalisées suivant une transformation linéaire croissante, chacun est donc considéré sur un pied d’égalité. Cependant, au niveau technique, la procédure utilisée implique l’usage de comparaisons interpersonnelles (Schick 1971, p. 666). Plus précisément, l’auteur fait usage de différences d’utilité, ce qu’il nomme une « comparabilité par intervalle ».
48La position de Jeffrey (1971), autre auteur représentatif de cette tradition selon Davidson, est elle aussi normative. L’idée centrale développée par l’auteur est que les comparaisons interpersonnelles doivent être pensées au cœur des théories au sein desquelles elles jouent un rôle. La procédure utilisée par Jeffrey consiste à remplacer le concept d’utilité de von Neumann et Morgenstern par la théorie politique normative de Bentham (Jeffrey 1971, p. 647). Plus précisément, il s’agit de passer de comparaisons interpersonnelles d’utilité à des comparaisons interpersonnelles de préférences. Ce glissement sémantique recèle un changement de paradigme profond. L’argumentation se décompose en trois étapes.
49– Premièrement, on part de la position standard de von Neumann et Morgenstern, à savoir l’hypothèse de l’utilité espérée. L’objectif est ici de receuillir les préférences de l’individu sur des issues pondérées par des probabilités. Si des nombres peuvent être attribués aux différentes issues, on peut représenter ces préférences par une fonction d’utilité.
50– Deuxièmement, on tente de comparer des paires d’issues à un pari équiprobable de manière à obtenir une échelle de préférences par intervalles [14]. Il existe une multitude de fonctions d’utilité qui représentent les préférences de l’individu i, elles sont toutes une transformation linéaire croissante de la fonction wi, ce qui s’écrit : ui(A) = ai wi(A) + bi où A représente une issue (Jeffrey 1971, p. 649).
51– Enfin, Jeffrey assimile la fonction d’utilité wi à une fonction de bien-être individuel. Jeffrey se place dans le cadre de ce qu’il appelle le « néo-utilitarisme ». C’est pourquoi il considère que la fonction de bien-être social n’est autre que la somme des fonctions de bien-être individuelles : w0(A) = ?i wi(A). w0 correspond à la fonction de bien-être social du Leviathan – individu fictif représentant la société. Cette représentation peut être affinée comme le souligne Jeffrey en introduisant une constant ci qui représente le degré avec lequel le bien-être individuel de i est prise en compte au sein de la fonction de bien-être social : w0(A) = ?i ci wi(A).
B.2 – Les critiques de Davidson
52Pour Davidson, le problème avec cette position normative est qu’elle laisse entendre que nous avons la possibilité de trouver un point de vue à partir duquel nous pouvons comparer les préférences, et qu’il existe un critère pour effectuer cette opération [15]. Cette idée trouve un écho dans la critique élaborée par Davidson vis-à-vis de ce qu’il appelle le relativisme conceptuel (Davidson 1974, 1984). Le relativisme revient à dire que ce qui a de la valeur est relatif à un contexte [16] et sous le prédicat « conceptuel » il exprime l’idée que les personnes, communautés ou cultures conceptualisent ou organisent le monde de manière différente (Davidson 1986/2004, p. 40). Or l’une des caractéristiques de ce relativisme conceptuel est qu’il postule l’existence de quelque chose de « neutre » – un point de vue sur une montagne – et de « commun » en dehors de tous les schèmes (Davidson 1974/1984, p. 277). Autrement dit, nous pouvons trouver un point où nous pouvons considérer les différentes représentations ; l’agent qui observe pouvant être délié de son propre schème. Lorsque l’on ramène cette discussion aux comparaisons interpersonnelles et plus précisément à leur acception normative, cela revient à dire que les préférences des individus ne peuvent être comparables que si l’on utilise une norme, un point de vue moral ou éthique. Le point de vue sur une montagne correspondrait à cette norme. Normaliser les échelles permettrait de trouver un système de coordonnées commun mais utiliser un jugement de valeur normatif reviendrait à s’élever à un certain point de vue qui permettrait de comparer les préférences en se débarrassant des nôtres – c’est-à?dire sans les utiliser comme base pour les comparaisons, leur préférant une norme qui d’une personne à l’autre peut varier.
53Voici comment se décompose le raisonnement de Davidson.
54Tout d’abord il présente un trait représentatif du relativisme conceptuel : « Bergson nous dit où nous pouvons aller pour parvenir à un point de vue sur une montagne qui ne soit pas faussé par telle ou telle perspective provinciale » (Davidson 1974/1984, p. 268). Or pour Davidson « Il n’y a donc aucune chance pour que quelqu’un puisse s’élever à un certain point de vue qui lui permette de comparer les langages en se débarrassant temporairement du sien » (Davidson 1974/1984, p. 270).
55L’analogie est claire. De même que « la signification, en un sens relâché de ce mot, est contaminée par la théorie », l’attribution d’attitudes comme des désirs et des croyances – et donc l’établissement du préordre – est contaminée par la compréhension – donc la traduction – et l’opération de comparaison est nécessairement à l’œuvre (Davidson 1974/1984, p. 273). Nous n’avons pas la possibilité d’assigner une attitude à quelqu’un si l’on pense que son rôle dans les pensées de l’autre est différent du rôle qu’elle joue dans les nôtres (Davidson 1986/2004, p. 69). Rendre les attitudes propositionnelles intelligibles pour nous implique nécessaire- ment de les rendre appropriées à notre schème jusqu’à un certain degré et cela ne les rend pas moins objectives (Davidson 1986/ 2004, p. 69).
56Les comparaisons interpersonnelles lorsqu’elles sont utilisées par les économistes sont l’objet de plusieurs débats, débats décisifs pour la théorie économique puisque ces comparaisons sont au cœur de la théorie de la décision et des théories du bien-être.
57Pourtant pour Davidson, les termes traditionnels du débat ne semblent pas pouvoir donner une réponse définitive à la question du fondement des comparaisons interpersonnelles.
58Chaque réponse traditionnelle avancée, prescriptive ou descriptive, la preuve comportementale, la norme, l’introspection, paraît selon lui sujette à objection. Reste à savoir si la théorie proposée par Davidson permet de dépasser ces objections pour apporter de nouveaux éléments de réponse
2 – Des rapports entre comparaisons intrapersonnelles et interpersonnelles chez Davidson
59La présentation des débats autour des comparaisons interpersonnelles et de leurs enjeux pour la théorie économique nous a permis de faire apparaître ce que Davidson considère comme des défaillances de la théorie de la décision.
60Nous cherchons, dans cette seconde partie, à mettre en évidence les apports de Davidson à cette théorie de la décision et ce, en présentant ce que nous appelons une troisième voie qui ne fonde les comparaisons interpersonnelles ni sur une approche descriptive ni sur une approche prescriptive. Notre thèse est que cette troisième voie repose en grande partie sur le lien nécessaire et indéfectible que Davidson met en évidence entre les comparaisons inter et intra, lien qui permet de jeter un éclairage nouveau sur l’analyse des premières.
61Nous insistons plus précisément sur deux étapes de son raisonnement qui constituent aussi selon nous deux apports majeurs à l’analyse du fondement des comparaisons interpersonnelles. Puisque pour Davidson, l’analyse de ces dernières est étroitement liée à celle des comparaisons intra, nous cherchons d’abord à restituer son explication des comparaisons intra (2.1). Nous pourrons alors faire apparaître les modalités du passage intra/inter qui, parce qu’elles se situent au carrefour de sa théorie du langage, et de sa théorie de l’action revêt un caractère particulièrement complexe (2.2).
62Précisons avant tout que pour Davidson, il existe trois variétés de connaissance [17] : « ce que je sais de moi », « ce que je sais du monde », « ce que je sais des autres ». Ce qui diffère entre ces trois variétés, c’est le mode d’accès à la réalité (Davidson 1991/2001, p. 205). Dans ce qui suit nous considérerons que « ce que je sais de moi » correspond à ce que Davidson nomme les attitudes propositionnelles ou évaluatives au sein desquelles se placent les comparaisons intrapersonnelles ; et « ce que je sais des autres » correspond aux comparaisons interpersonnelles ; sachant que ces variétés de connaissances comprennent évidemment des questions bien plus larges dans la théorie de Davidson que celles concernant les comparaisons.
63Cette hypothèse de travail s’explique par une raison simple : Davidson traite des différentes variétés de connaissance lorsqu’il tente de répondre non seulement aux doutes sceptiques qui ont parcouru toute la philosophie mais aussi lorsqu’il tente de trouver un fondement à la connaissance en général. C’est pourquoi lorsque celui-ci évoque la connaissance de soi, il englobe toutes les attitudes propositionnelles qui peuvent être présentes dans l’esprit, et lorsqu’il évoque la connaissance des autres, il se demande comment nous pouvons être sûrs de l’existence des autres esprits mais surtout sur quelle base empirique peut?on certifier de l’existence de tels esprits. Or une grande partie de nos attitudes sont à la fois privées et sociales. Elles sont le fruit de notre histoire et de notre apprentissage du langage. Un trait constitutif de cet apprentissage consiste dans la possibilité de communiquer et, par ce biais, d’appliquer aux autres le même type d’attitudes que celles que nous nous attribuons à nous-mêmes [18]. C’est l’une des raisons pour lesquelles les comparaisons interpersonnelles sont en partie fondées par les comparaisons intrapersonnelles.
2.1 – Les comparaisons intrapersonnelles et l’autorité à la première personne
64Donald Davidson est l’un des initiateurs de l’axiomatisation des comparaisons intrapersonnelles de différences d’utilité. Grâce à ces travaux au cours des années 50, il est considéré comme l’un des pionniers de l’économie expérimentale [19].
65Afin d’examiner la manière dont Davidson analyse les comparaisons intrapersonnelles, nous présentons d’abord, dans les grandes lignes, les fondements de l’axiomatique telle qu’elle est développée en 1957 (A). Toutefois l’examen de la théorie de l’action qu’il construit à partir de 1963 montre que Davidson ne s’est pas contenté d’axiomatiser ces comparaisons et permet de donner un autre éclairage à l’analyse de ces comparaisons, et en particulier ce qui permet d’avoir accès à celles?ci (B).
A – L’axiomatisation de la théorie de la décision, les comparaisons intra 1957
66L’ouvrage de Davidson, Suppes et Siegel (1957) est l’aboutissement d’un programme de recherches entamé en 1954 à l’université de Stanford par Davidson et Suppes. L’objectif central est de présenter toute une série de recherches et de travaux expérimentaux visant à évaluer la validité empirique de la théorie de l’utilité espérée ; mieux, d’apporter une « interprétation empirique de la théorie qui soit testable ».
67L’axiomatique proposée dans cet ouvrage est une variante de celle proposée par von Neumann et Morgenstern en 1947 [20] (noté VNM à présent) et Savage en 1954. L’idée est de rendre la théorie de la décision empiriquement testable. En effet, en tentant de vérifier expérimentalement la théorie de VNM et de Savage, Davidson s’aperçoit d’une part que les agents ne satisfont pas les conditions de rationalité car elles sont trop restrictives, et d’autre part, qu’aucune interprétation empirique satisfaisante de la théorie n’a été donnée, ce qui empêche de vérifier sa validité.
68Davidson, Suppes et Siegel (1957) formulent un ensemble d’hypothèses théoriques testables en reformulant la théorie de VNM et Savage et tentent de vérifier si les individus maximisent leur utilité espérée en leur proposant un ensemble de paris risqués. A partir des données empiriques récoltées, les auteurs sont en mesure de construire une échelle d’utilités également espacées vérifiant l’hypothèse d’utilité espérée. La méthode utilisée pour construire cette échelle est directement inspirée des travaux de Ramsey et tout particulièrement de sa méthode opérationnelle permettant de déterminer simultanément les utilités et les probabilités [21].
69Par l’intermédiaire de cette axiomatisation, l’objectif de l’ouvrage de 1957 est de montrer comment l’utilité peut être mesurée expérimentalement à l’aide de différences d’utilité mais aussi d’insister sur la dimension expérimentale de la théorie de la décision.
70Cet ouvrage de 1957 peut être considéré comme l’un des travaux fondateurs de l’axiomatisation des comparaisons intrapersonnelles, ainsi que la première tentative de test de la théorie de la décision avec des probabilités subjectives.
B – Les comparaisons intra et la théorie de l’action, 1963
71En 1963, lorsque Davidson écrit son premier article majeur en philosophie de l’action, « Actions, raisons et causes », la notion de comparaison intrapersonnelle se trouve intégrée au sein d’une catégorie bien particulière que Davidson appelle « attitudes évaluatives ».
72Ce faisant, nous allons montrer que Davidson enrichit leur définition et leur contenu (a) et l’analyse des comparaisons intrapersonnelles qu’il en propose ne fait appel à aucune norme éthique sous-jacente (b). Enfin, nous montrerons que cette troisième voie repose sur une notion tout à fait particulière que Davidson emprunte à Ludwig Wittgenstein (1953) (c).
73a) Les préférences individuelles évoquées plus haut deviennent – dans le champ lexical de la théorie de l’action – un type d’attitudes propositionnelles [22] que Davidson appelle des « pro-attitudes » :
Chaque fois que quelqu’un fait quelque chose pour une raison, on peut dire a) qu’il avait une sorte de pro-attitude à l’égard d’actions d’un certain type, b) qu’il croyait […] que cette action était de ce type. Dans la rubrique a) il faut inclure des désirs, des volontés, des envies, des incitations, une grande variété de conceptions morales […] pour autant qu’on puisse interpréter ceux-ci comme les attitudes d’un agent dirigées vers des actions d’un certain type.
75Les préférences, tout particulièrement, sont considérées comme des attitudes évaluatives. Par évaluations, Davidson entend « toute attitude évaluative comme vouloir, désirer, tenir comme étant correct ou obligatoire, ainsi que les versions négatives et comparatives de ces attitudes » (Davidson 1980, p. 20). Les comparaisons intrapersonnelles sont un type particulier d’attitude évaluative. Elles correspondent à une situation où l’individu s’attache à comparer en lui-même des niveaux d’utilité ou des différences de niveaux d’utilité. Davidson mentionne précisément le raisonnement qui prévaut dans ce type de situation lorsqu’il s’intéresse au lien entre intention et action. L’argumentation de l’auteur se décompose en deux temps : premièrement, on s’attache à décrire la relation qui existe entre « vouloir ou désirer quelque chose, et l’action » (principe P1) ; deuxièmement, il s’agit de relier « les jugements sur ce qu’il est meilleur de faire à la motivation ou au vouloir » (principe P2) (Davidson 1970/1980, p. 39). Ces deux niveaux forment deux principes :
77b) Dans ce cadre, les comparaisons intrapersonnelles constituent un type d’attitude qui lie le jugement, le vouloir ou désir, et l’action. Ce qu’il faut ici souligner c’est qu’aucune norme n’est utilisée. La raison à cela est que P2 ne recouvre pas une « doctrine quant à la signification des jugements de valeur » (Davidson 1970/1980, p. 44). Il n’y a pas de théorie éthique sous-jacente aux comparaisons intrapersonnelles. Ceci nous permet d’ores et déjà de comprendre – comme j’y reviendrai dans le point 2.2 – pourquoi les comparaisons interpersonnelles ne supposent pas une théorie éthique particulière non plus, étant donné qu’elles sont basées sur les comparaisons intra.
78c) La particularité des attitudes propositionnelles que l’agent s’attribue à lui-même et à plus forte raison, des attitudes évaluatives, est qu’elles sont liées à ce que Davidson appelle « l’autorité à la première personne ». Dans son acception la plus claire, cette notion signifie qu’une personne « ne perd jamais son droit spécial à avoir raison par rapport à ses propres attitudes même si ce droit est contesté » [23]. Ainsi, j’ai une certaine légitimité à dire que mon niveau d’utilité est supérieur si, par exemple, je pars en vacances comparativement à la situation où je ne pars pas. Le point essentiel sur lequel insiste Davidson est que je n’ai pas besoin de preuves permettant d’attester l’existence d’une telle comparaison, contrairement aux attitudes que j’observe chez les autres. L’asymétrie qui existe entre moi et les autres est que je sais ce que je crois alors que l’autre ne peut pas le savoir (Davidson 1984/2001, p. 12). L’idée ne consiste pas à dire que l’autorité à la première personne est infaillible mais que le fait qu’elle le soit n’entache pas l’asymétrie entre moi et les autres.
79Cette idée, Davidson l’attribue à Ludwig Wittgenstein [24] dans ses Philosophical Investigations (1953/2001) lorsque celui-ci s’interroge sur le critère de la « rougéité » d’une image [25]. L’auteur répond : « pour moi, lorsqu’il s’agit de l’image de quelqu’un d’autre, ce qu’il dit ou fait ; lorsqu’il s’agit de ma propre image : rien » [26]. Plus généralement, dans l’optique de Wittgenstein, la particularité de certains prédicats mentaux est que nous avons besoin de preuves comportementales pour les attribuer aux autres, mais que nous n’en avons pas besoin lorsqu’il s’agit de nous-mêmes. De plus, le caractère interpersonnel du langage assure une attribution correcte de ces prédicats aux autres et nous savons dès lors qu’ils pensent. L’autorité à la première personne complète, selon Davidson, la réponse de Wittgenstein puisqu’elle assure que chacun sait qu’il pense [27].
80Cette position est parfaitement décrite dans ce passage de Davidson (2001) :
Nous savons, d’une certaine manière dont nul autre ne dispose, ce que nous croyons, craignons, voulons, évaluons et attendons. Nous savons comment les choses nous parviennent, comment elles nous apparaissent, comment nous les sentons et les entendons. Nous savons ces choses d’une manière dont nous ne pourrions jamais connaître le monde autour de nous. Même si parfois nous nous trompons au sujet du contenu de nos propres esprits, même si nous pouvons douter de nos propres sensations et pensées, une chose au moins de ces croyances est vraie : elles ne peuvent être massivement fausses. Si nous pensons que nous avons une certaine pensée ou sensation, il y a une très forte présomption que nous ayons raison.
82En revanche, nous ne pouvons atteindre la même certitude vis-à-vis de nos croyances concernant le monde et l’esprit des autres.
83En utilisant cette notion d’autorité à la première personne, Davidson propose une analyse des comparaisons intrapersonnelles qui ne relève ni de l’introspection, ni d’une quelconque forme de behaviorisme mais d’un argument transcendantal, autrement dit un argument dont on ne peut pas faire l’expérience. Cette position se précise dans le passage qui suit :
Nous avons montré qu’il était absurde de chercher un fondement justifiant la totalité des croyances, quelque chose d’extérieur à cette totalité qui puisse être utilisé pour tester ou comparer nos croyances. La réponse à notre problème doit donc être de trouver une raison pour supposer que la plupart de nos croyances sont vraies, c’est à dire une sorte de preuve.
85Cet argument transcendantal est plus précisément décomposé en deux. Premièrement, un argument insistant sur le caractère holiste des états mentaux : « j’insiste sur le fait qu’une compréhension correcte du discours, des croyances, des désirs, des intentions et des autres attitudes propositionnelles d’une personne mène à la conclusion que la plupart des croyances d’une personne doivent être vraies et il y a donc une présomption légitime suivant laquelle l’une d’elles, si elle est cohérente avec les autres, est vraie » (Davidson 1983/2001, p. 146, nos italiques).
86Deuxièmement, il existe un argument relatif à la vérité de ces états mentaux : « Ensuite je continue d’affirmer que quiconque ayant des pensées, et donc en particulier toute personne qui se demande s’il a une raison de supposer qu’il a généralement raison concernant la nature de son environnement, doit savoir ce qu’est une croyance, et comment en général les croyances sont détectées et interprétées » (ibid.).
87Sur la base de ces deux arguments, Davidson propose de dépasser les failles des approches behavioristes et introspectives. Ni norme éthique, ni observation du comportement ne sont nécessaires pour déterminer les comparaisons intra. Car l’accès à celles?ci repose sur un principe simple, l’autorité à la première personne et ce que Davidson appelle la triangulation qui n’est autre que le processus par lequel je suis lié à autrui dans un même environnement. Reste à déterminer la manière dont se fondent effectivement ces comparaisons.
2.2 – Passage des comparaisons intrapersonnelles aux comparaisons interpersonnelles
88Nous venons de montrer que Davidson est l’un des fondateurs de l’axiomatisation des comparaisons intrapersonnelles. Afin d’analyser l’apport de sa théorie à l’analyse des comparaisons interpersonnelles, nous nous intéressons ici aux modalités de passage des comparaisons intra aux comparaisons inter.
89Pour ce faire, nous analysons en premier lieu leur codétermination en combinant des éléments de la théorie de langage et de l’action de Davidson et en faisant intervenir la triangulation (A). Celle-ci ne peut être achevée que par le biais du principe de charité emprunté à Quine, principe jouant selon Davidson, le même rôle en théorie de l’interprétation que les conditions de rationalité en théorie de la décision (B).
A – Triangulation
90Nous allons d’abord montrer que pour Davidson, toute tentative pour fonder « la connaissance que j’ai de moi » (y compris les comparaisons intra), « la connaissance des autres » (y compris les comparaisons inter) et « la connaissance du monde » sur des éléments objectifs (comme des éléments physiques dans le cas du behaviorisme comme nous l’avons vu dans la section précédente) ou arbitrairement choisis (comme des normes), échoue (1). Pour lui en effet, seule l’activité de communication, l’usage du langage offrent un accès aux autres, et par la même occasion, permettent les comparaisons interpersonnelles (2).
911) Pour Davidson, l’hypothèse de l’autorité à la première personne consiste à dire que nous avons généralement raison par rapport au contenu de nos propres esprits (Davidson 1990/2001 p. 194). Comme nous l’avons dit, toutes les attitudes propositionnelles comme les désirs, les croyances ou les comparaisons intrapersonnelles sont des manifestations de cette autorité à la première personne.
92Puisque chacun de nous a un accès particulier a ses propres pensées, selon l’auteur, le problème n’est pas tant de savoir si notre esprit existe ou non. Le problème est relatif à l’existence des autres esprits : il s’agit de déterminer à la fois comment ces autres esprits influencent la connaissance de « mes propres pensées » mais aussi comment fournir une base pour la connaissance de ces autres esprits et donc du monde extérieur. Dans le champ lexical des comparaisons interpersonnelles cette question se décline en deux niveaux : l’un relatif aux comparaisons intrapersonnelles, l’autre aux comparaisons interpersonnelles.
93Concernant la première question, nous avions conclu dans la section précédente que le fait de faire appel à des éléments extérieurs pour expliquer nos propres pensées ne constitue en rien une atteinte à l’autorité à la première personne, au contraire. Cette autorité n’est pas amoindrie du fait qu’elle dépende et soit expliquée par les facteurs publics et sociaux qui sont censées amoindrir cette autorité. Si l’accès aux comparaisons intra est donné par cette autorité, leur fondement est donc à la fois public et interne.
94En fait, il existe un lien causal fort entre les utilisateurs du langage, les événements qui surviennent et les objets du monde et tout ceci détermine la manière dont nous apprenons et communiquons avec les autres. Mieux, cela rend un esprit accessible à un autre en principe (Davidson 1988/2001, p. 52). Davidson refuse de faire appel aux conceptions qu’il qualifie de « standards » de la subjectivité (1988/2001, p. 50). Ces conceptions considèrent uniquement les états mentaux qui occupent l’esprit sans faire référence au monde extérieur. Ce point recouvre les critiques de Davidson à l’égard de l’introspection. Pour l’auteur, il n’existe pas de tels états. Il n’y a aucun mot ou concept qui ne soit pas compris ou interprété directement ou indirectement en termes de relations causales entre les gens et le monde (1988/2001, p. 51). De manière plus générale, il n’est d’aucune utilité de vouloir séparer ce qui provient de moi et ce qui provient du monde.
95Pour l’auteur, l’existence de la pensée et de la communication – et donc de toutes les attitudes évaluatives – est le fait que deux créatures ou plus réagissent au monde extérieur et se répondent mutuellement (Davidson 1997/2001, p. 83). Mieux encore, la source même de l’objectivité réside précisément dans cette intersubjectivité (ibid.).
96On comprend dès lors que toutes les tentatives visant à fonder les comparaisons intrapersonnelles et interpersonnelles à l’aide de normes ou d’éléments physiques considérés comme objectifs, sont, pour l’auteur, vouées à l’échec car notre connaissance empirique n’a besoin d’aucun fondement épistémologique (Davidson 2001, p. XIV).
97Nous en venons donc à la deuxième question, celle relative aux comparaisons interpersonnelles. Cette question est liée à celle des comparaisons intra. Le point de connexion est le suivant : nous avons un accès privilégié à nos propres pensées, mais cela ne veut pas dire que celles?ci sont déterminées uniquement par des éléments internes. Cela ne veut pas pour autant dire qu’elles sont entièrement déterminées par des éléments externes. Pour pouvoir dire que j’ai une pensée ou que j’utilise un langage, il faut être au moins deux. Ceci implique une forte imbrication à autrui. Comme nous le verrons dans le point 2, le point de départ pour répondre à cette question relative aux comparaisons interpersonnelles, consiste à s’imaginer que l’autre est un peu comme moi sans pour autant se mettre à sa place. Le fait de partager un même monde et, de ce fait, un ensemble cohérent de croyances assure cette liaison.
982) L’autre argument utilisé par Davidson pour montrer que les comparaisons inter et intra sont codéterminées est relatif au langage. Selon l’auteur, il n’existe pas de langage privé car à moins que celui-ci soit partagé, il n’y a aucune manière de distinguer entre le fait d’utiliser le langage correctement et l’utiliser de manière incorrecte (Davidson 1991/2001, p. 209). Le langage est l’élément qui à la fois nous met en contact avec autrui, et qui nous permet d’attribuer et de se voir attribuer des attitudes évaluatives. Dès lors, nous sommes à la fois un locuteur et un interprète. Nous devons comprendre pour être compris. En tant qu’interprète, comme le souligne Davidson : « je ne peux pas faire mieux au départ que de supposer que ce qui pousse quelqu’un à avoir telle croyance, provoque la même croyance chez moi si la même cause [de celle?ci] survient » (Davidson 1986/2004, p. 69) [28]. Cette méthode repose sur un principe essentiel : nous n’avons pas la possibilité d’assigner une attitude à quelqu’un si l’on pense que son rôle dans les pensées d’un autre est différent du rôle qu’elle joue dans les nôtres (ibid.). L’idée fondamentale qui rend la triangulation possible et qui assure la connexion entre « moi », « autrui » et « le monde » est le fait que les systèmes de pensée (le mien et celui d’autrui) doivent concorder.
99Comme le souligne Davidson : « Pour comprendre le discours de quelqu’un, je dois être capable de dire les même choses que cette personne ; je dois partager son monde » (1982/2001, p. 105).
100Or, rendre les attitudes propositionnelles intelligibles pour nous implique nécessairement de les rendre appropriées à notre propre schème, c’est-à?dire à notre propre représentation, et ceci jusqu’à un certain degré, sans jamais que l’objectivité ne soit menacée, puisqu’elle trouve sa source dans l’intersubjectivité (Davidson 1986/2004, p. 69). Une condition sine qua non à cette opération de triangulation consiste à supposer que les autres sont largement cohérents dans leurs croyances. C’est ce que Davidson appelle le principe de Charité. Ce principe nous enjoint de maximiser l’accord entre le sujet et autrui : « cette stratégie nous permet d’apparier les phrases que le locuteur énonce avec celles de nos phrases que nous tenons pour vraies dans des circonstances semblables. Quand on le fait systématiquement, on obtient une méthode de traduction » (1974/1980, p. 317).
101Nous allons voir que le principe de charité est un élément central du passage des comparaisons intra aux comparaisons interpersonnelles.
B – Principe de charité
102Comme le souligne Isabelle Delpha (2001), dans sa forme la plus générale, le principe de charité est un principe de correction qui nous enjoint de « faire crédit aux autres » et pour cela de « chercher l’interprétation la plus favorable à leurs propos » (Delpha 2001, p. 7). Créé dans les années 1950 par Neil Wilson, il sera surtout utilisé par Quine pour sa traduction radicale avant d’être repris par Davidson.
103Chez Quine, le principe de charité prend place dans une entreprise de traduction radicale d’un langage étranger que nous ne comprenons pas. Ce principe constitue pour lui une maxime de traduction indiquant que « la stupidité de notre interlocuteur, au?delà d’un certain point, est moins probable qu’une mauvaise traduction » (Quine 1960/1977, p. 101). Autrement dit, Quine suggère de privilégier l’entente et la correspondance entre les énoncés du locuteur et ceux de l’interprète.
104Davidson reprend l’usage que fait Quine du principe de charité [29]. Selon lui, « déchirés entre la nécessité de donner un sens aux mots du locuteur et la nécessité de donner un sens à la trame de ses croyances, le mieux que nous puissions faire est de choisir une théorie de la traduction qui maximise l’accord » [30] (Davidson 1968/1984, p. 155).
105En ce sens, le principe de charité constitue, comme chez Quine, une maxime de rationalité ainsi qu’une règle de méthodologie [31]. Ce principe assure [32], dans la conception de Davidson, le lien entre les comparaisons intra et interpersonnelles et rend la triangulation possible : « Quand je me mets à mesurer les contenus de mon propre esprit je dois utiliser mes propres phrases, et là il ne peut pas y avoir de problème […] Ma connaissance des contenus d’un autre esprit, comme toute connaissance, est possible seulement dans le contexte d’une vision du monde largement correcte et partagée » (Davidson 1991 p. 148).
106Ainsi, notre connaissance des autres commence avec celle de nous-mêmes et celle-ci est immédiatement sociale. Les comparaisons interpersonnelles sont donc constituées par nos comparaisons intrapersonnelles mais aussi par des données de l’environnement.
Conclusion
107Il existe au sein de la théorie économique de multiples conceptions des comparaisons qui constituent pourtant le point de départ de la théorie de la décision standard. Comment s’effectuent les comparaisons ? Sur quelles bases sont-elles fondées ? Il semble que la théorie économique n’en donne pas de réponse unique et définitive. Au contraire, les éléments de réponses ne sont que le reflet des débats qui traversent notre discipline.
108Davidson est, comme nous l’avons dit, l’un des fondateurs de l’axiomatisation des comparaisons intrapersonnelles et de l’économie expérimentale dans les années 1950. En ce sens, il aurait pu être considéré comme l’un des économistes, agent de ce débat. Pourtant, trente ans après avoir procédé à cette axiomatisation, il considère n’avoir pas définitivement répondu aux questions ci?dessus. Cependant, le champ d’analyse où cette question des comparaisons est réexaminée par Davidson dans les années 1980 n’est plus le même puisqu’il inclut la théorie du langage.
109L’apport de Davidson est alors multiple. Premièrement, il propose un lien entre les comparaisons intrapersonnelles et les comparaisons interpersonnelles. Il fait appel à l’autorité à la première personne, au processus de triangulation et au principe de charité pour souligner non seulement l’interdépendance entre ces deux types de comparaisons mais aussi la manière dont ils se conçoivent mutuellement. Deuxièmement, il réfute l’existence d’une base pour de telles comparaisons. En effet, toute recherche d’un fondement épistémologique aux comparaisons intra- et interpersonnelles est inutile puisque celui-ci est diffus et nécessairement à l’œuvre dans notre usage du langage.
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Mots-clés éditeurs : connaissance, théorie de la décision, comparaisons intra- et interpersonnelles, cardinalité, philosophie du langage, Davidson
Date de mise en ligne : 21/04/2011
https://doi.org/10.3917/rpec.112.0103Notes
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[*]
OCDE, Direction des statistiques, 4, Quai du Point du Jour, 92100 Boulogne Billancourt. Pol-Vincent.Harnay@oecd.org. Je tiens à remercier Pascal Engel, Pétronille Rème-Rousseau et Audrey Harnay pour leurs commentaires sur ce texte.
-
[1]
Pour une présentation de ces débats et une mise en perspective avec Davidson, voir Maurice Salles dans Engel (1997).
-
[2]
Comme il l’écrit : « Et puisqu’au fond de nous-mêmes nous ne croyons pas que les satisfactions tirées par différents individus de moyens semblables soient également appréciables, il est assez ridicule de continuer à prétendre que notre façon de présenter les choses a une justification scientifique […] On peut la justifier en invoquant des normes ultimes d’obligation. Mais on ne peut la justifier en invoquant un genre quelconque de science positive » (Robbins 1947, p. 137).
-
[3]
L’indicateur utilisé doit être cardinal c’est à dire qu’il doit autoriser à la fois des comparaisons de niveaux d’utilité (c’est ce que permet l’indicateur ordinal) et de différences d’utilité (au niveau intra et interpersonnel).
-
[4]
Méthode initiée par Francis Ysidro Edgeworth.
-
[5]
Cepedant pour Fleurbaey et Hammond (2004), le théorème d’Arrow montre que toute procédure de choix social rationnel est impossible sans faire usage de comparaisons interpersonnelles.
-
[6]
Nous évoquerons ici uniquement les auteurs représentatifs des deux approches mentionnés par ce dernier.
-
[7]
Il est à noter sur ce point que cette distinction ne recoupe pas la précédente, à savoir les auteurs qui se réclament d’une démarche ordinale, et ceux qui ont recours à une approche cardinale. En effet, certains auteurs, comme Waldner par exemple, privilégie une approche descriptive tout en utilisant la propriété cardinale des nombres. Ceci s’explique par les deux sens du terme cardinal : il y a la cardinalité mathématique et la cardinalité – ou plutôt l’usage de celle?ci – dans le cadre d’une théorie éthique.
-
[8]
Voir sur ce point l’exemple de Little (1957, p. 54-55).
-
[9]
Je reprends l’exemple de Davidson (1984/2001, p. 11).
-
[10]
Nous y reviendrons dans la partie 2.
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[11]
Je préciserai dans le paragraphe A.2.2 que l’argument utilisé par Davidson est celui du monisme anomal.
-
[12]
Davidson parle d’objets « before the mind » dans Davidson (1987/2001).
-
[13]
Il s’agirait en quelque sorte d’un niveau privé et d’un niveau social.
-
[14]
Cette méthodologie est directement influencée par les travaux de Frank Ramsey et ceux de Davidson, Suppes, Siegel (1957). Sur ce point, voir Harnay (2008).
-
[15]
Précisons que les critiques qu’adresse Davidson à Jeffrey ne porte pas sur les deux premières étapes évoquées au paragraphe suivant mais essentiellement sur la troisième. Davidson a, en effet, repris, à partir de 1980 le modèle de Bolker-Jeffrey où il était question notamment de mesurer les préférences d’un individu en alliant théorie de la décision standard et la logique des propositions. Pour une présentation de ce modèle, voir Davidson (1980/2004, 1985), Bourgeois-Gironde et Giraud (2005), Harnay (2008).
-
[16]
Nous ne disons pas ici que le relativiste pose l’existence d’un point de vue neutre mais qu’il la présuppose.
-
[17]
C’est ce que Davidson appelle la triangulation.
-
[18]
Nous reviendrons sur point dans la partie 2.2.
-
[19]
Voir par exemple John Kagel and Alvin E. Roth (1995).
-
[20]
Nous faisons référence ici à la deuxième édition de leur ouvrage The Theory of Games and Economic Behavior où figure l’axiomatique de l’utilité espérée.
-
[21]
Pour une présentation détaillée de cette méthode et de l’ensemble de l’axiomatique de 1957 voir Harnay (2008).
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[22]
Les attitudes propositionnelles représentent chez Davidson les états mentaux servant de prémisses à l’explication de l’action.
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[23]
Davidson (1984/2001, p. 6).
-
[24]
Davidson (2001, p. 4).
-
[25]
Passage cité dans Davidson (1984).
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[26]
Wittgenstein (1953/2001, § 377).
-
[27]
Pour une présentation plus poussée de l’autorité à la première personne voir Descombes (2004).
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[28]
Sur ce point, Davidson est encore une fois proche de Wittgenstein, notamment dans l’ouvrage De la certitude.
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[29]
Une différence majeure a trait aux objectifs respectifs des deux auteurs. Ainsi, là où Quine évoque un manuel de traduction, Davidson tente de résoudre un problème d’interprétation.
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[30]
Notons que Davidson utilise ici le terme de traduction alors que dans d’autres articles il se refuse à utiliser ce concept car il l’estime trop proche de celui de signification.
-
[31]
Il faut toutefois être prudent et relativiser les deux usages de la charité chez Quine et Davidson. Quine semble en effet plus sceptique et mesuré dans l’usage de ce principe. Pour des développements sur ce point et sur l’ensemble de l’œuvre de Quine voir Laugier (1992).
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[32]
Pour une présentation détaillée du principe de charité chez Davidson, voir Engel (1994).