Notes
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Valérie Clément : MCU, LAMETA UMR 5474 Université Montpellier 1, UFR des Sciences économiques.
Daniel Serra : PR., LAMETA UMR 5474 Université Montpellier 1, UFR des Sciences économiques.
Nous tenons à remercier les deux rapporteurs anonymes de la revue pour leurs suggestions. -
[1]
Rappelons que la métrique des Qalys (Quality-adjusted life years) appartient à la classe générale des mesures connues sous le nom de Halys (Health-adjusted life years). L’intérêt essentiel de ces indicateurs est de permettre de décrire par un nombre unique les spéci-ficités d’une population en termes de morbidité et de mortalité, i.e. de prendre en compte simultanément l’amélioration de la santé et la durée espérée de cette amélioration. Par exemple, pour chaque personne, un Qaly va assigner à chaque période de temps un nombre compris entre 0 et 1, qui correspond à sa qualité de vie en rappport avec son état de santé au cours de cette période, sachant que 1 correspond à une parfaite santé et 0, à un état de santé jugé équivalent à la mort.
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[2]
Voir Konow [(2003)], Serra [(2007)] et Clément, Le Clainche et Serra [(2008), chap. 9], pour des synthèses.
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[3]
En outre, cet objectif ne saurait représenter un impératif éthique absolu car d’autres conditions, susceptibles de promouvoir également un épanouissement de la personne humaine (flourishing), peuvent rentrer en conflit avec l’égalitarisme en matière de santé.
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[4]
Wagstaff [(1991)] et Dolan [(1998)] utilisent une fonction de bien-être social iso-élastique. Bleichrodt [(1997)] étudie les propriétés d’équité d’une fonction multiplicative. Bleichrodt et alii [(2004)] définissent un modèle de Qaly dépendant du rang.
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[5]
Pour le critère du fair innings par exemple, les valeurs sociales des gains en Qalys sont déterminées par rapport à la situation de référence qui est le niveau de santé égalitaire équivalent et elles sont appliquées « en pondérant les années de vie gagnées avec les ressources en santé en fonction de la classe sociale du récipiendaire » [Williams (1997), p. 121], puisque le statut socio-économique explique largement les inégalités d’espérance de vie.
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[6]
Cet argument renvoie à une limite classique du welfarisme, connue sous le nom de « critique des goûts modestes et des préférences adaptatives » en économie de la justice. Voir notamment Clément, Le Clainche et Serra [(2008), chap 6].
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[7]
Afin de déterminer l’utilité que les individus attachent à leur propre état de santé, on les soumet à des choix du type : « quelle est la combinaison aléatoire entre une parfaite santé et la mort qui vous rend indifférent entre cette loterie et un état de santé intermédiaire certain ? » (méthode des loteries standard) ou encore : « quelle est la période de temps en parfaite santé que vous considérez comme équivalente à une période de temps plus longue mais durant laquelle vous jouiriez d’une mauvaise santé ? » (méthode des arbitrages temporels). Ces méthodes sont détaillées notamment dans Dolan [(2000)].
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[8]
Le travail pionnier de Frohlich et Oppenheimer [(1992)] a ouvert la voie à l’« éthique expérimentale ». Les travaux pouvant être classés sous cette rubrique sont recensés notamment dans Serra [(2007)] et Clément, Le Clainche et Serra [(2008), chap. 9].
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[9]
Les réponses montrent que les sujets sont prêts à échanger 1 Qalys des mieux dotés contre 0.45 pour les moins bien dotés.
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[10]
Dans le cas où les inégalités initiales sont faibles, le taux d’échange est de 0.35 ; dans le cas où les inégalités initiales sont plus élevées, les individus sont prêts à échanger 1 Qaly des mieux dotés pour 0,11 Qaly supplémentaire au moins bien doté.
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[11]
Cette typologie est proposée par Cookson et Dolan [(1999)].
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[12]
Sur les méthodes délibératives, voir notamment Jordan et alii [(1998)].
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[13]
Pour une définition du concept de « groupe focus » voir Morgan [(1998)].
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[14]
Au Royaume Uni, le recours aux jurys citoyens est institutionalisé au sein du National Institute for Health and Clinical Excellence.
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[15]
On trouve dans Cookson [(2000)] une étude comparative des avantages et limites des approches standards par questionnaire et des approches délibératives.
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[16]
L’existence de framing effect est reconnue comme l’un des biais fréquents des travaux d’économie expérimentale. Voir notamment Blondel et Serra [(2009), chap. 1].
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[17]
L’enquête auprès des professionnels de santé a été réalisée par internet.
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[18]
Sur les enseignements susceptibles d’être tirés de cette littérature dédiée à l’éthique empirique en santé, on consultera avec profit la revue alternative proposée par Dolan et alii [(2005)]. Leur survey présente les résultats des études qui témoignent d’un écart des observations empiriques par rapport aux hypothèses qui caractérisent les évaluations tradionnelles par la méthode des Qalys en les ordonnant autour de quatre questions controversées : 1) la linéarité des changements dans la qualité et la durée de la vie (qui exclut notamment la prise en compte de la sévérité de la maladie…), 2) l’indé-pendance à l’égard d’autres caractéristiques (exclusion des causes du besoin de soins, de l’étendue des conséquences du traitement, du bénéfice différencié du traitement selon les patients…), 3) l’indépendance à l’égard de l’âge des patients (absence de priorité accordée aux jeunes, non prise en compte des effets escomptés sur l’intégralité de la vie future…), 4) la neutralité vis-à-vis des inégalités (statut socio-économique, genre…).
Introduction
1Depuis l’article de Wagstaff [(1991)] le dilemme efficacité-équité dans l’allocation des ressources en santé s’est orienté vers une critique du critère de maximisation des gains de santé, mesuré par la métrique des Qalys. Comme tout critère agrégatif, celui-ci ignore les considérations d’équité au sens où les propriétés de la distribution des Qalys n’interviennent pas dans le choix de l’allocation. Seul compte le nombre de Qalys obtenu à partir du budget santé [1]. Ce questionnement des fondements normatifs des méthodes d’évaluation traditionnelles telles que l’analyse coût-efficacité et l’analyse coût-bénéfice s’est traduit par l’apparition de nombreux travaux théoriques intéressés prioritairement par l’introduction de considérations d’équité dans les règles de répartition des ressources. Mais si l’argumentation théorique est certes nécessaire pour déterminer quels sont les principes éthiques susceptibles de guider les décisions d’allocation, le caractère collectif de ces décisions impose qu’elles soient aussi socialement acceptables. Dans cette logique, l’opinion publique importe dans le choix des priorités à appliquer dans l’affectation de ressources forcément limitées. Il convient de se préoccuper de ce que pense l’« homme de la rue » quand on l’interroge sur sa conception de l’équité en matière de santé.
2Il existe aujourd’hui une vaste littérature consacrée aux questions d’« éthique empirique ». Ces travaux s’attachent à révéler et à étudier les préférences des individus lorqu’ils émettent des opinions ou opèrent des choix face à des problèmes d’affectation de ressources afin d’identifier les valeurs sociales susceptibles de guider les politiques et d’être intégrées dans les choix du décideur public [2]. Nous nous intéressons dans cet article aux études qui, dans cet esprit, portent sur les préférences des individus dans la distribution des ressources en santé.
Les questions d’éthique empirique dans le domaine de la santé seront abordées en trois temps, sous forme de réponses aux questions suivantes : 1) Quelles conceptions de l’équité retenir dans la distribution des soins de santé ? 2) Quelles méthodes employer pour révéler les préférences sociales des individus ? 3) Quels sont à ce jour les principaux résultats obtenus ? Il s’agit de rendre compte de cette littérature sans viser à l’exhaustivité mais en cherchant plutôt à illustrer les questions qui se posent, les méthodes employées et les grandes leçons qu’il est possible de tirer de ces travaux empiriques.
I – Les conceptions de l’équité dans la mise à disposition des soins de santé
1 – Les multiples définitions de l’équité
3Si l’objectif d’efficience peut se traduire sans grande difficulté par la maximisation des gains de santé (health maximization), le souci d’équité semble renvoyer à des formes multiples d’égalitarisme en prônant la réduction des inégalités. La santé ferait partie de ces « biens » dont la distribution, contrairement à d’autres, participerait d’un « égalitarisme sélectif » [Tobin (1970)]. Mais pour reprendre l’interrogation fameuse lancée par Sen [(1980)] : « égalité de quoi ? ». Parmis les nombreuses réponses apportées à cette question, quatre définitions de l’équité dans la distribution des ressources en santé se distinguent : « égalité des dépenses par tête » (ED), « égalité de traitement, à besoin égal » (EB) [Lookwood (1988), Broome (1988)], « égalité d’accès » (EA) [Le Grand (1982), Mooney (1983)], « égalité des états de santé » (health equality) (ES) [Towsend et Davidson (1982)]. Toutes ces définitions, cependant, peuvent être sujettes à certaines objections.
4On peut reprocher au principe ED son indifférence aux besoins. Le principe EB laisse subsister de larges indéterminations car nul accord existe sur la signification à retenir du « besoin » (état de santé déficient, capacité à bénéficier des soins…). Une critique analogue peut être adressée au principe EA car plusieurs interprétations de l’« accès » peuvent être également défendues. Mooney et alii [(1991)], par exemple, privilégient une interprétation en termes de coût d’utilisation ; car ce serait ce que les décideurs politiques ont en tête quand ils parlent d’équité, et qu’en outre, à l’encontre des autres principes, l’égalité d’accès resterait compatible avec l’économie du bien-être parétienne (i.e. respect des préférences individuelles). Pour Le Grand [(1984), (1991)], l’égalité d’accés s’entend comme une « égalité des ensembles de choix ». À partir du moment où les individus effectuent leurs choix en étant confrontés à des contraintes identiques, les inégalités de santé qui en résultent ne devraient pas être considérées comme inéquitables. Pour autant, ce n’est qu’au niveau du financement du système de soins que certains comportements à risque devraient être pris en compte. Il serait injuste que la prise en compte de ces comportements interviennent aussi dans le système de prestation des soins.
5Culyer et Wagstaff [(1993)] ont montré en outre que les diverses interprétations que l’on pouvait retenir des principes EB et EA pouvaient se révéler mutuellement incompatibles.
Quant au principe ES, son application peut se révéler délicate lorsque par exemple sont concernées des personnes d’âge différent. Cuyler et Wagstaff [(1993)], tout en reconnaissant les limites de ce principe, choisissent le principe d’« égalité des états de santé » en appuyant leur argumentation sur une réflexion philosophique plus générale. Si le bien « santé » doit être distribué de manière égalitaire, c’est parce qu’il s’agit d’un bien nécessaire à l’épanouissement de l’individu comme être humain. La santé appartient à la classe des « biens premiers » (primary goods), tels que définis par Rawls [(1987)] ; elle doit être assimilée à une « capacité » (capability) au sens où l’entend Sen [(1985)]. Bien sûr, ce principe d’égalisation doit être assujetti à une contrainte : une plus grande égalité ne doit pas résulter de la détérioration de la santé de certaines personnes [3]. Le principe ES peut également se concevoir comme une égalisation de la santé sur la durée de vie des individus. Ainsi, le critère du fair innings proposé par Williams [(1997)] pose comme point de départ que les individus ont droit dans leur existence à une expérience égale en termes d’états de santé, de sorte que la distribution des ressources en santé devrait servir prioritairement à réduire les inégalités de santé pour parvenir à une égalisation des espérances de vies à la naissance. Le critère du fair innings est quantifiable ; Williams en donne du reste un exemple illustratif pour le Royaume-Uni. La situation de référence destinée à guider la distribution des ressources est le niveau de santé égalitaire équivalent, défini en réponse à la question suivante : quel est le niveau de santé égal pour tous (equally distributed health) qui définit une situation équivalente pour la population à la situation actuelle ? Ce niveau de référence sert ensuite à déterminer les poids d’équité qui doivent être utilisés dans la répartition des gains de santé de façon à mettre en œuvre le fair innings.
2 – L’intégration des considérations d’équité dans une fonction de bien-être social
6Il est important de relever à ce niveau que l’introduction d’un critère d’équité dans la distribution des soins de santé traduit une opposition capitale entre d’une côté, la valeur individuelle des gains de santé et de l’autre, leur valeur sociale. Pour mieux cerner cette opposition, il n’est peut-être pas inutile de rappeler l’une des propriétés de la métrique des Qalys.
7La procédure standard utilisée dans le choix entre deux traitements repose sur une agrégation directe des Qalys associés aux traitements ; on parle d’« utilitarisme de Qalys » car cela revient à pondérer les gains en santé de chaque individu de façon égale et débouche sur un critère de maximisation des gains de santé totaux. Imaginons un choix simple entre deux traitements : le traitement A coûte deux fois plus cher que le traitement B. La question de savoir si la société va choisir de dépenser l’argent pour deux traitements B plutôt que pour un traitement A va alors dépendre de l’arbitrage des individus en termes de valeurs : est ce que les préférences des individus attribuent une valeur plus grande à deux B plutôt qu’à un A ? La réponse traditionnelle à la question de la valeur sociale des arbitrages conduit à calculer les Qalys gagnées grâce aux différents traitements. C’est ainsi que si A fournit 20 Qalys et B fournit 5 Qalys par personne traitée, un traitement A possède quatre fois plus de « valeur » qu’un traitement B. Pour un traitement A qui coûte seulement deux fois plus cher qu’un traitement B, il vaut mieux dépenser le budget sur A car le nombre de Qalys généré est plus élevé : telle est la logique de l’utilitarisme des Qalys. Le point qui pose problème dans cette logique est que, par construction même de la métrique des Qalys, le score en termes de qualité de vie associé à un état de santé donné est invariant entre les individus. Une amélioration donnée de l’état de santé reçoit la même valeur sociale (i.e. le même poids dans le bien-être social) quels que soient les individus ou le groupe concernés. Or l’équité consiste précisément à différencier les individus en déterminant les caractéristiques sur lesquelles il est juste d’établir un ordre de priorité entre eux ; ce qui passe par un système de pondération des gains en Qalys. Ces poids d’équité, en somme, rendent compte de l’importance qui est donnée à un individu dans l’évaluation sociale du profil des gains en Qalys. Ils permettent de distinguer entre la valeur individuelle et la valeur sociale des gains en Qalys. L’introduction de considération d’équité consiste donc à remplacer l’utilitarisme des Qalys sans pondération par une procédure d’agrégation pondérée des gains en Qalys.
Le problème théorique est ensuite de définir la règle d’agrégation ainsi que les différents poids d’équité. Les modèles théoriques proposés dans cette perspective reposent sur l’utilisation d’une fonction de bien-être social (FBES) [4]. L’intérêt de cet outil est double. Il permet d’expliciter le coût de la réduction des inégalités en santé que la société est prête à assumer à travers la définition d’un paramètre d’aversion à l’inégalité du décideur social. Mais surtout il rend possible la définition de la population « cible » de la distribution des gains en Qalys. Les Qalys mesurent les bénéfices procurés par les ressources en santé dans une unité standard et les poids d’équité permettent que les bénéfices soient spécifiques à la personne qui les reçoit. Dans ces conditions, la définition de cette population peut intégrer des caractéristiques individuelles relatives à la santé mais aussi des caractéristiques hors du champs de la santé stricto sensu : le sexe, le statut socio-économique, l’existence de descendants [5]… C’est précisément l’objet des travaux empiriques, notamment, que de révéler les jugements des individus composant la société sur le choix de ces caractéristiques.
Plus généralement, face aux multiples acceptions de l’équité dans la distribution des ressources en santé, les fondements individualistes du choix social invitent à se tourner vers les préférences de l’opinion publique pour lever cette indétermination. Telle est l’ambition des travaux d’éthique empirique en matière de santé. Mais comment parvenir à appréhender ces conceptions « profanes » de l’équité ?
II – Les méthodes de révélation des préférences des individus
8La révélation des préférences en matière de distribution des soins de santé amène à se poser trois types de question que l’on peut schématiquement résumer ainsi : Qui ? Quoi ? Comment ?
1 – Qui choisir pour représenter l’opinion publique ?
9Il s’agit d’abord de s’interroger sur les personnes dont les opinions ou les comportements doivent être considérés comme recevables. A priori elles peuvent être choisies librement au sein des populations qui auraient à subir potentiellement les effets des politiques mises en œuvre. C’est l’usage le plus répandu dans la littérature empirique. Mais il peut être quelquefois utile de recueillir l’opinion des professionnels de santé, ne serait-ce que pour tester la sensibilité des résultats au caractère plus ou moins « autorisé » des avis fournis [Ubel et alii (2000)]. Un autre débat important sur cette question est de savoir s’il est préférable d’interroger directement les patients eux-mêmes à la place de la population générale. À l’appui de la première solution – privilégiée notamment par Dolan et Kahneman [(2008)] – il apparait en effet que le public a tendance à surestimer les pertes en bien-être associées à un état de maladie, ce qui biaise l’allocation des ressources. Néanmoins, il faut souligner que l’adaptation des patients à leur états de santé ne va pas sans poser de problème puisque plus un patient s’adapte à sa condition moins il est prioritaire dans l’attribution des ressources [6].
10Se pose ensuite le problème de la taille de l’échantillon à retenir. À vrai dire, cette question est conditionnée par la méthode retenue pour révéler les préférences : autant une enquête par questionnaires peut concerner un large public (quelques centaines de personnes en général, voire plusieurs milliers, si elle est menée par voie postale ou par internet), autant une étude délibérative ou une étude expérimentale en laboratoire ne peut porter que sur des échantillons de taille limitée.
2 – Que cherche-t-on à révéler ?
11La seconde série de questions qui intervient se réfère au type et à la nature des préférences que l’on cherche à révéler.
- Il s’agit d’abord de savoir quelle perspective on attend des individus questionnés. Quels types de préférences doit-on prendre en considération ? Cette question fondamentale est commune à tous les travaux d’éthique empirique. Effectue-t-on un simple sondage d’opinions ou cherche-t-on à recueillir les préférences « sociales » des personnes, i.e. leurs jugements vis-à-vis d’un problème distributif dans la société ? Cette interrogation renvoie notamment à la séparation classique opérée par Harsanyi [(1953)] entre : a) la préférence « subjective » ou « personnelle » d’un individu, qui exprime son intérêt propre lors de ses choix quotidiens, b) sa préférence « sociale » ou « morale », qui reflète son jugement sur l’intérêt de la société prise dans son ensemble. Il parait souhaitable de privi- légier l’étude des préférences « sociales » car elles garantissent une certaine impartialité aux opinions émises [Dolan et Olsen (2002), p. 129]. Reste à imaginer un protocole apte à favoriser ce type de jugements. La procédure du « voile d’ignorance », instrument classique de l’éthique « expérimentale », peut être à cet égard mobilisée. Mais d’autres procédures peuvent être mises en place dans une perspective analogue. Nous reviendrons plus loin sur cette question. D’un aute côté, il faut être conscient que cet objectif d’impartialité peut se heurter à d’autres objectifs, comme celui de ne retenir dans l’étude que des personnes malades afin d’éviter certains biais.
- Une autre question porte sur la nature des utilités individuelles prises en compte dans l’évaluation des états de santé. Les économistes distinguent deux sortes d’utilité : l’utilité « préférentialiste », qui définit le bien-être individuel par la satisfaction d’une préférence et l’appréhende à travers un choix, et l’utilité « expérientaliste », qui associe à chaque expérience hédonique une mesure directe du bien-être ressenti, dans la tradition des premiers utilitaristes à la Bentham. Les mesures traditionnelles des états de santé reposent sur la conception préférentialiste. Or, pour Dolan et Kahneman [(2008)] seule une enquête directe auprès des individus qui ont l’expérience réelle d’un état de santé permet d’obtenir une évaluation pertinente de cet état. Ces auteurs défendent donc une conception expérientialiste de l’utilité, qui les conduit à privilégier des enquêtes auprès des patients, et non de la population générale, pour obtenir une mesure du bien être associée à chaque état de santé.
3 – Quelles méthodes employer ?
- Une première méthode destinée à mettre à jour les préférences sociales des individus a été proposée par Nord [(1995)] sous la dénomination de méthode de « l’arbitrage entre les personnes » (person trade-off method). La particularité de cette méthode tient au fait qu’elle promeut une mesure directe de la valeur sociale des gains en santé dans la construction des Qalys.
Dans le cadre de la métrique des Qalys, les poids utilisés (i.e. la valeur des Qalys) représentent l’utilité associée par les individus à un état de santé donné. Différentes techniques sont utilisées pour mettre à jour ces valeurs individuelles comme la méthode des « loteries standards » (standart gamble method) ou encore la méthode des « arbitrages temporels » (time trade-off method) [7]. La critique de Nord [(1994)] souligne que ces valeurs privilégient une optique de préférences personnelles alors qu’elles sont utilisées comme des valeurs sociales pour décider des priorités entre les différents programmes de santé. Il défend alors l’idée selon laquelle les poids attribués aux années de vie dans l’élaboration des Qalys ne devraient pas être dérivés en demandant aux individus de valoriser les états de santé pour eux mêmes, dans une perspective de préférences personnelles – comme c’est le cas –, mais qu’ils devraient refléter plutôt les réponses formulées dans un contexte d’allocation des ressources. La méthode de « l’arbitrage entre les personnes » répond à cette préoccupation : les valeurs obtenues pour les états de santé incorporent une perspective impersonnelle qui reflète la préférence sociale des individus. Elle consiste à leur demander combien de « résultats » d’un certain type ils considèrent comme équivalents en termes de valeur sociale à x « résultats » d’un autre type. Cette méthode est employée dans les études empiriques qui cherchent à savoir quelles sont, selon le public, les caractéristiques des patients qui devraient rentrer en jeu pour établir des priorités dans l’allocation des ressources en santé [Nord (1993a), (1993b), Nord et alii (1993), Rodriguez et alii (2000), Dolan et alii (1998), Pinto Prades (1997), Ubel et alii (1999)]. - L’optique impersonnelle, recherchée pour caractériser des préférences sociales, peut être atteinte également en se référant à la méthode du « voile d’ignorance » défendue par certains philosophes politiques comme Rawls [(1987)] pour parvenir à une définition de la « justice comme impartialité ». Les individus se trouvant dans l’impossibilité d’imaginer avec certitude leur propre situation dans la société sont contraints d’adopter un point de vue impartial. Le programme de recherche novateur lancé par Frohlich et Oppenheimer [(1992)] en vue de tester empiriquement la validité de deux grandes théories de la justice (l’utilitarisme et la théorie de la justice de Rawls) propose de simuler au plan expérimental le voile d’ignorance de manière à révéler les préférences sociales des individus [8].
Dans le domaine de la santé, l’étude pionnière utilisant le voile d’ignorance en vue de mettre à jour les préférences pour l’équité est celle de Johanneson et Gerdtham [(1996)]. Le procédé du voile d’ignorance est défendu comme un moyen empirique de déterminer les poids d’équité dans la FBES. Le protocole expérimental prévoit de demander aux sujets de choisir entre différentes sociétés se distinguant par la distribution de l’espérance de vie au sein de la population. Le questionnaire invite les individus à effectuer un arbitrage entre l’équité – la distribution des Qalys entre les deux groupes composant la société - et l’efficience - le nombre total de Qalys dans la société. Mais lorsqu’ils effectuent leur choix, les individus ignorent à quel groupe ils appartiennent. Le but est alors de déterminer empiriquement le taux d’échange entre les gains en Qalys de groupes différents : combien en moins pour les mieux dotés pour combien en plus pour les moins bien dotés [9]. Dans une étude similaire, Andersson et alii [(1999)] étudient différentes variantes du voile d’ignorance (« à la Rawls », avec des probabilités inconnues sur l’appartenance à un groupe, puis « à la Harsanyi » [(1953)], avec une hypothèse d’équiprobabilité d’appartenir à l’un des deux groupes de la société) et font varier le niveau initial d’inégalité entre les deux distributions [10]. L’étude de Clément et Serra [(2001)] utilise également la méthode du voile d’ignorance pour tester un principe de justice dans un contexte de politiques de santé. Elle propose un protocole expérimental qui rend possible un test d’impartialité par comparaison des choix ex ante des sujets (quand les sujets sont derrière le « voile d’ignorance ») avec leurs choix ex post (une fois dissipée leur ignorance). - Il est possible de compléter cette présentation des méthodes employées dans les travaux d’éthique empirique en matière de santé en dressant un typologie qui consiste à croiser deux critères : i) la mise à disposition des personnes participant à l’étude d’un ensemble d’informations détaillées sur les divers choix, ii) la mise en œuvre de procédures de discussion et de délibération au sein de petits groupes [11]. Pourquoi mettre en avant ces deux spécificités – « informationnelle » et « délibérative » – des protocoles ? Leur intérêt essentiel réside dans le caractère « réfléchi et motivé » des opinions recueillies lorsqu’elles sont remplies [Cookson (2000)]. À ce titre, les méthodes dotées de ces spécificités permettent également de nourrir la connaissance des préférences sociales des individus.
13Les méthodes délibératives sont pourtant des approches largement employées dans les sciences sociales en général [12]. On y distingue traditionnellement la méthode des « jurys de citoyens » (citizen’s jury) (appellée encore « conférences de citoyens » ou « panels de citoyens » en langue française) de l’approche des « groupes de convergence » (group focus) (appelée aussi « groupes de discussion »).
14La méthode des « jurys de citoyens » est une forme participative innovante qui repose sur l’idée que tout citoyen, informé et formé sur des sujets politiques ou des questions de société, est à même de produire des opinions pertinentes. Le panel, qui doit être représentatif, comprend peu de personnes (une vingtaine). Les jurys construisent leurs opinions et leurs propositions sur des thèmes de société qui les concernent avec l’aide d’experts. Les sessions durent en général plusieurs jours et les membres des jurys sont indemnisés pour que les conditions matérielles ne soient pas un frein à la participation.
15La méthode des « groupes de convergence » est une technique de collecte de données qualitatives largement employée en sociologie et en marketing en particulier. Les groupes de discussion sont formés d’un petit nombre de personnes représentatives (une dizaine de personnes). L’ambition est d’essayer de reconstruire la réalité à travers ce que les personnes transmettent comme information lors des discussions en recueillant leurs perceptions, leurs attitudes, leurs croyances, sans chercher forcément à établir un consensus. Cette méthode, strictement inductive, conduit ainsi à faire une analyse-synthèse qui permet de relever les principaux messages clés émis par les participants et leurs points de convergence et de divergence. On mise ici sur la force de l’interaction de groupe [13].
Ces méthodes ont été employées dans de rares travaux d’éthique empirique en santé : Lenaghan et alii [(1996)] et Lenaghan [(1999)] notamment utilisent l’approche des « jurys citoyens » [14] ; Dolan, Cookson et Ferguson [(1999)], l’approche des « groupes de convergence ». À noter que Cookson et Dolan [(1999)] proposent une méthode délibérative originale en ce qu’elle est à la fois plus directive (les débats sont animées par des spécialistes) et qu’elle interprète les conclusions à l’aide de principes théoriques de justice bien identifiés. Quant à Cookson [(2000)], il combine une approche délibérative et une méthode d’évaluation sous forme de questionnaire [15].
III – Les résultats des études d’éthique empirique en santé
16On dispose aujourd’hui d’une masse de résultats empiriques dont il est possible de tirer quelques enseignements. Ces résultats peuvent être regroupés au sein de quatre rubriques renvoyant à des questionnements spécifiques destinés à tester : 1) certaines conceptions particulières de l’équité, 2) l’arbitrage efficience-équité, 3) l’influence des méthodes sur les résultats.
1 – Le test de diverses conceptions de l’équité
17Les travaux visent à tester empiriquement des conceptions particulière de l’équité ou encore cherchent, de manière plus inductive, à traduire en termes d’équité les principes distributifs sur lesquels s’accordent de petits groupes de personnes à l’issue d’une discussion.
- Abellan-Perpinan et Pinto-Prades [(1999)] testent l’« équité comme bénéfice maximal ». Doit-on accorder la priorité à ceux pour lesquels le traitement est le plus efficace ? Cette étude peut être rapprochée de celle de Nord [(1993a)], qui aborde le même sujet, mais elle s’en distingue au niveau du protocole expérimental : alors que Nord ne pose la question que d’une seule manière, ces auteurs la pose de quatre manières différentes ; ce qui permet entre autres de tester un éventuel « effet de présentation » (framing effect). En demandant aux gens de choisir entre des patients possédant le même état de santé initial mais se différenciant par leur état de santé après traitement, Nord conclut au caractère non significatif de l’efficacité. Les résultats auxquels parviennnent Abellan-Perpinan et Pinto-Prades, dans leur étude impliquant environ 200 étudiants, sont plus nuancés. Les préférences sociales semblent se situer en fait entre deux extrêmes : soit la discrimination fondée sur l’efficacité n’est jamais recevable, soit elle l’est toujours. En outre, les réponses sont très sensibles à la manière dont la question est formulée [16]. Dans ces conditions, il semble souhaitable d’entreprendre des études empiriques supplémentaires avant de conclure que l’opinion publique ne souhaite pas prendre en compte les « potentialités » de santé des patients dans la mise en œuvre des priorités d’affectation de ressource.
- Dolan et Cookson [(2000)] montrent que les gens sont prêts à donner la même priorité à certains patients, quelle que soit leur espérance de vie, manifestant une préférence pour une forme d’égalitarisme pur.
- Plusieurs études [Nord (1993b), Ubel (1999)] montrent que les gens préférent donner la priorité à ceux dont l’état de santé serait très dégradé si le traitement n’intervenait pas. L’équité fait référence ici au besoin, en assimilant le besoin à l’urgence.
- Nombreuses sont les études qui révèlent l’influence de l’âge [Cropper et alii (1994), Johanneson et Johansson (1997), Mortimer-Segal (2008), notamment] : en général, les individus donnent la priorité aux personnes jeunes plutôt qu’aux personnes âgées. Mais cette spécificité des préférences distributives peut se voir attribuer plusieurs sortes de motivation, comme la capacité à bénéficier des soins, l’interaction entre la capacité à bénéficier des soins et la contribution productive nette attendue pour la société, ou encore l’« utilité viscérale » associée à une réponse émotionnelle qui consiste à sauver certains types de personnes comme les enfants ou leurs parents.
- Certains travaux adoptent une posture méthodologique différente. Plutôt que de partir de conceptions de l’équité données et de chercher à savoir si ces conceptions semblent bien correspondre à ce que les gens ont en tête dans certaines circonstances, il s’agit ici d’essayer de faire émerger d’une discussion « guidée » au sein de petits groupes de personnes un certain nombre de principes distributifs que l’on interprête ensuite en termes d’équité. Le travail de Cookson et Dolan [(1999)] est représentatif de cette démarche. Trois principes de priorité émergent de leur étude délibérative : i) une règle de sauvegarde, qui octroie la priorité à ceux qui ont le plus besoin de soins, ii) la maximisation de l’état de santé pour l’ensemble de la population, iii) une réduction des inégalités en matière de santé au cours de la vie. Leurs conclusions militent ainsi en faveur d’une position pluraliste de l’opinion publique en matière de santé.
2 – Le test de l’arbitrage efficience versus équité
18Cette question est abordée directement ou indirectement dans de nombreuses études.
- Ubel et alii [(2000)] notamment abordent la question directement en se livrant à une enquête par questionnaire portant sur un échantillon de près de 1800 participants comprenant à la fois des professionnels de santé et des personnes sélectionnées sur les registres de jurés potentiels [17]. Le protocole met en œuvre une série de scénarios décrivant des arbitrages divers entre efficience et équité dans l’accès à un service médical (détection d’un cancer du colon). Leurs résultats indiquent que l’équité l’emporte largement sur l’efficience mais uniquement lorsque’elle est « absolue ». C’est ainsi que lorsque l’équité signifie que 100% de la population peut recevoir le service, la plupart des participants à l’enquête manifestent une préférence pour l’équité, alors qu’un nombre bien moindre maintient cette préférence quand 40%, voire 25% seulement de la population y a accès. Ce qui, pour les auteurs, amène à suggérer que la préférence pour l’équité prend quelquefois la forme d’un « tout ou rien ». On peut interpréter aussi ce résultat comme révélant l’existence d’un seuil en deça duquel, pour les gens, la dispersion des bénéfices entre un nombre limité de personnes ne l’emporte plus sur l’efficience, rejoignant les conclusions d’études menées dans d’autres contextes [Olsen (2000), Dolan et Cookson (2000)].
- Dolan et Tsuchiya [(2005)] entreprennent un test indirect en s’interrogeant sur l’influence de facteurs non pris en compte par les Qualys mais intervenant dans l’évaluation de l’équité. Sachant que les Qalys ne prennent en compte que les gains de santé futurs à la suite du traitement (efficience), ils testent l’impact de deux séries de facteurs influençant l’équité : les profils d’états de santé futurs sans traitement et les profils d’états de santé antérieurs. On a rappelé plus haut que certaines études avaient dévoilé une priorité aux personnes dont l’espérance de vie se révèlerait faible si elles ne bénéficiaient pas du traitement et que, d’un autre côté, une priorité en faveur des jeunes semblait la règle. Dolan et Tsuchiya [(2005)] se livrent alors à un test de l’arbitrage entre ces deux priorités. Procédant à une enquête par questionnaire qui a mobilisé au total 100 sujets répartis en quatre groupes confrontés à des scénarios faisant intervenir chacun des attributs spécifiques (âge, état de santé antérieur, espérance de vie sans traitement, espérance de vie avec traitement), il parviennent aux conclusions suivantes : a) une forte influence de l’âge, b) l’état de santé antérieur n’est significatif que lorsqu’il y a imminence du décès, c) l’espérance de vie avec ou sans traitement ne sont pas significatifs.
- On trouve également dans la littérature des études qui visent à tester certaines propriétés attribuées à la FBES, qui se ramènent indirectement à évaluer empiriquement l’arbitrage efficience-équité. Il se trouve en particulier que si les préoccupations distributives dominent le souci d’efficience en matière de santé, l’hypothèse classique de « monotonie » – selon laquelle tout accroissement de l’état de santé de quiconque implique un accroissement du bien-être social – se retrouve violée. Abasolo et Tsuchiya [(2004)] réalisent une étude empirique destinée à tester cette hypothèse. À partir d’une enquête portant sur près de 1000 individus (interwiew en face à face), ils démontrent la validité de leur hypothèse, confirmant la prédominance de l’équité sur l’efficience dans l’opinion publique (en l’occurrence espagnole).
3 – Le test des diverses méthodes de révélation des préférences
19Un dernier ensemble de travaux, moins nombreux, se livre à une réflexion critique vis-à-vis des méthodes et des protocoles retenus pour révéler les préférences distributives en matière de santé. Ces méthodes sont-elles neutres ? C’est ainsi notamment que Dolan, Cookson et Ferguson [(1999)], envisagent cette problématique en recourant à une procédure délibérative. Leur étude, qui porte sur un échantillon aléatoire de 60 personnes, consiste à le scinder en 10 groupes de 5 à 7 personnes, au sein desquels des discussions s’engagent sur l’opportunité de donner une priorité dans l’accès aux soins à des patients qui diffèrent à de multiples points de vue. Adoptant la méthode des « groupes de convergence », ils sont alors à même de tester si les opinions qui se manifestent au début d’une première réunion sont sensibles aux arguments échangés par la suite dans les discussions, en procédant à une nouvelle collecte de données à la fin d’une seconde réunion. La leçon de cette étude est claire : les opinions se révèlent systématiquement différentes lorsque les gens ont le temps de réfléchir suffisamment longtemps et de discuter entre eux avant d’émettre un jugement. Ce qui laisse peser un certain doute sur la fiabilité des enseignements que l’on veut tirer des enquêtes qui ne laissent pas le temps pour une réflexion approfondie ni l’opportunité d’un échange de points de vue aux personnes interrogées [18].
Conclusion
20Un consensus semble désormais atteint dans le milieu académique des économistes de la santé autour de l’idée selon laquelle les préférences que les individus formulent concernant les différentes règles d’affectation des ressources doivent être intégrées dans les processus de décision en santé [Johanneson et alii (1996)]. Le recours au jugement du public a été institutionnalisé dans certains systèmes de santé [Sabik-Lie (2008)] ; c’est le cas notamment du N.H.S anglais depuis le livre blanc « Local Voices » [(1992)]. Bien sûr, la question de savoir quelle perspective devraient adopter les individus lors du recueil de leurs jugements ou de leurs choix conditionne largement la méthode de révélation des préférences à employer. En outre, la posture pertinente à privilégier peut avoir un lien avec la nature du système de santé et son financement. S’il existe un lien direct entre les contributions personnelles et l’utilisation des ressources santé au niveau individuel, le recours aux préférences personnelles des individus semble s’imposer ; c’est le cas par exemple pour définir des systèmes de co-paiement ou pour des assurances privées. En revanche, dans le cas d’un système de santé avec financement socialisé, l’importance de disposer d’outils qui permettent d’étudier les préférences sociales des individus se révèle cruciale. L’article s’est attaché à présenter ces outils et à proposer un bilan des résultats obtenus.
La construction de méthodes d’évaluation intègrant des valeurs sociales à la place des valeurs individuelles reste l’ambition sous jacente au travail de mise à jour des jugements du public. Les enjeux théoriques sont d’importance car ils touchent au fonde- ment individualiste du choix social et posent la question de la souveraineté des préférences individuelles.
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : distribution des soins de santé, valeur sociale des gains en santé, révélation des préférences, Qalys, équité
Mise en ligne 01/01/2010
https://doi.org/10.3917/rpec.101.0055Notes
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Valérie Clément : MCU, LAMETA UMR 5474 Université Montpellier 1, UFR des Sciences économiques.
Daniel Serra : PR., LAMETA UMR 5474 Université Montpellier 1, UFR des Sciences économiques.
Nous tenons à remercier les deux rapporteurs anonymes de la revue pour leurs suggestions. -
[1]
Rappelons que la métrique des Qalys (Quality-adjusted life years) appartient à la classe générale des mesures connues sous le nom de Halys (Health-adjusted life years). L’intérêt essentiel de ces indicateurs est de permettre de décrire par un nombre unique les spéci-ficités d’une population en termes de morbidité et de mortalité, i.e. de prendre en compte simultanément l’amélioration de la santé et la durée espérée de cette amélioration. Par exemple, pour chaque personne, un Qaly va assigner à chaque période de temps un nombre compris entre 0 et 1, qui correspond à sa qualité de vie en rappport avec son état de santé au cours de cette période, sachant que 1 correspond à une parfaite santé et 0, à un état de santé jugé équivalent à la mort.
-
[2]
Voir Konow [(2003)], Serra [(2007)] et Clément, Le Clainche et Serra [(2008), chap. 9], pour des synthèses.
-
[3]
En outre, cet objectif ne saurait représenter un impératif éthique absolu car d’autres conditions, susceptibles de promouvoir également un épanouissement de la personne humaine (flourishing), peuvent rentrer en conflit avec l’égalitarisme en matière de santé.
-
[4]
Wagstaff [(1991)] et Dolan [(1998)] utilisent une fonction de bien-être social iso-élastique. Bleichrodt [(1997)] étudie les propriétés d’équité d’une fonction multiplicative. Bleichrodt et alii [(2004)] définissent un modèle de Qaly dépendant du rang.
-
[5]
Pour le critère du fair innings par exemple, les valeurs sociales des gains en Qalys sont déterminées par rapport à la situation de référence qui est le niveau de santé égalitaire équivalent et elles sont appliquées « en pondérant les années de vie gagnées avec les ressources en santé en fonction de la classe sociale du récipiendaire » [Williams (1997), p. 121], puisque le statut socio-économique explique largement les inégalités d’espérance de vie.
-
[6]
Cet argument renvoie à une limite classique du welfarisme, connue sous le nom de « critique des goûts modestes et des préférences adaptatives » en économie de la justice. Voir notamment Clément, Le Clainche et Serra [(2008), chap 6].
-
[7]
Afin de déterminer l’utilité que les individus attachent à leur propre état de santé, on les soumet à des choix du type : « quelle est la combinaison aléatoire entre une parfaite santé et la mort qui vous rend indifférent entre cette loterie et un état de santé intermédiaire certain ? » (méthode des loteries standard) ou encore : « quelle est la période de temps en parfaite santé que vous considérez comme équivalente à une période de temps plus longue mais durant laquelle vous jouiriez d’une mauvaise santé ? » (méthode des arbitrages temporels). Ces méthodes sont détaillées notamment dans Dolan [(2000)].
-
[8]
Le travail pionnier de Frohlich et Oppenheimer [(1992)] a ouvert la voie à l’« éthique expérimentale ». Les travaux pouvant être classés sous cette rubrique sont recensés notamment dans Serra [(2007)] et Clément, Le Clainche et Serra [(2008), chap. 9].
-
[9]
Les réponses montrent que les sujets sont prêts à échanger 1 Qalys des mieux dotés contre 0.45 pour les moins bien dotés.
-
[10]
Dans le cas où les inégalités initiales sont faibles, le taux d’échange est de 0.35 ; dans le cas où les inégalités initiales sont plus élevées, les individus sont prêts à échanger 1 Qaly des mieux dotés pour 0,11 Qaly supplémentaire au moins bien doté.
-
[11]
Cette typologie est proposée par Cookson et Dolan [(1999)].
-
[12]
Sur les méthodes délibératives, voir notamment Jordan et alii [(1998)].
-
[13]
Pour une définition du concept de « groupe focus » voir Morgan [(1998)].
-
[14]
Au Royaume Uni, le recours aux jurys citoyens est institutionalisé au sein du National Institute for Health and Clinical Excellence.
-
[15]
On trouve dans Cookson [(2000)] une étude comparative des avantages et limites des approches standards par questionnaire et des approches délibératives.
-
[16]
L’existence de framing effect est reconnue comme l’un des biais fréquents des travaux d’économie expérimentale. Voir notamment Blondel et Serra [(2009), chap. 1].
-
[17]
L’enquête auprès des professionnels de santé a été réalisée par internet.
-
[18]
Sur les enseignements susceptibles d’être tirés de cette littérature dédiée à l’éthique empirique en santé, on consultera avec profit la revue alternative proposée par Dolan et alii [(2005)]. Leur survey présente les résultats des études qui témoignent d’un écart des observations empiriques par rapport aux hypothèses qui caractérisent les évaluations tradionnelles par la méthode des Qalys en les ordonnant autour de quatre questions controversées : 1) la linéarité des changements dans la qualité et la durée de la vie (qui exclut notamment la prise en compte de la sévérité de la maladie…), 2) l’indé-pendance à l’égard d’autres caractéristiques (exclusion des causes du besoin de soins, de l’étendue des conséquences du traitement, du bénéfice différencié du traitement selon les patients…), 3) l’indépendance à l’égard de l’âge des patients (absence de priorité accordée aux jeunes, non prise en compte des effets escomptés sur l’intégralité de la vie future…), 4) la neutralité vis-à-vis des inégalités (statut socio-économique, genre…).