Notes
-
[1]
P. 22. C’est moi qui souligne.
-
[2]
P. 29 note 3. C’est moi qui souligne.
-
[3]
C’est moi qui souligne.
-
[4]
P. 50. C’est moi qui souligne.
-
[5]
Dictionnaire Jung, sous la direction d’Aimé Agnel, Ed. Marketing, Ellipses, Paris, 2008.
-
[6]
Je me réfère ici à des témoignages de peintres ou d’écrivains qui expriment la nécessité intérieure qui les pousse, quasi malgré eux, à sortir ce qui est en eux, qu’ils ignorent jusqu’à ce qu’ils puissent le découvrir.
-
[7]
Bion, 1978, p. 206/207, cité par Ogden p. 128
-
[8]
C.G. Jung, Le Livre Rouge, Edition établie, introduite et annotée par Sonu Shamdasani, L’iconoclaste / La compagnie du Livre Rouge, Paris 2012, note 165 p. 205.
-
[9]
Cf. note 2.
-
[10]
Ce qui me parait également pouvoir être mis en parallèle avec le domaine des mathématiques au regard de celui des sciences dites expérimentales.
-
[11]
P. 134 note 1.
-
[12]
Monique Salzmann, membre honoraire de la SFPA, a publié Pourquoi la mythologie, éditions La Part Commune, Rennes, 2006, ainsi que La peur du féminin chez le même éditeur.
-
[13]
Aimé Agnel a publié entre autres : L’homme au tablier – le jeu des contraires dans les films de Ford aux éditions La Part Commune, 2002, et Hitchcock et l’ennui – une psychologie à l’œuvre aux éditions Ellipses, 2011
-
[14]
La matière de l’œuvre : sublimatio, Cahiers jungiens de psychanalyse n° 121, 2007 : Le génie alchimique
-
[15]
L’aventure du couple aujourd’hui (2007), éditions Dervy, Paris
THE IMPACT OF EARLY LIFE TRAUMA ON HEALTH AND DISEASE, A HIDDEN EPIDEMIC (L’impact des traumatismes subis dans l’enfance sur la santé et les maladies, une épidémie cachée) Ruth LANIUS, Eric VERMETTEN & Clare PAIN Cambridge University Press, Cambridge, 2010, 315 pages. ISBN : 978-0521880268
1Ce livre remarquable est de la plus haute importance pour tous les psychothérapeutes.
2Il offre un éclairage exhaustif sur le vaste domaine de recherche du rôle crucial des traumatismes subis dans l’enfance, qui sont à l’origine de troubles psychologiques, relationnels et physiques aux différentes étapes de la vie et il débat de ce que cette recherche implique dans le travail clinique avec les enfants et les adultes ayant souffert de traumatismes précoces.
3La plus grande partie de cet ouvrage est centré sur l’impact extrêmement préjudiciable qu’ont sur le développement psychologique et émotionnel du jeune être humain, les dommages causés par la négligence ou l’abus de la part des principaux fournisseurs de soins (parents et éducateurs), créant ainsi des conséquences à long terme sur le développement du cerveau, des troubles de l’attachement et des affects, des altérations de la réponse au stress et un éventail de symptômes psychologiques allant des flashbacks et une hyperexcitation du TSPT jusqu’à des perceptions modifiées, des phénomènes de type épileptiques et des états de dissociation à des degrés de gravité variés, incluant les personnalités borderline et les troubles de l’identité.
4Ce que vient ici prouver la neurobiologie de manière puissante est l’idée que c’est l’expérience de la vie réelle plutôt que l’activité fantasmatique inconsciente innée qui est déterminante dans la plupart des problèmes amenés par nos patients dans le cabinet de consultation, en cela notre pratique clinique est fortement concernée.
5Pendant longtemps la réalité des ravages provoqués par les traumatismes subis dans l’enfance n’a pas été reconnue.
6Plusieurs auteurs dans ce livre évoquent le peu de disposition de la part de certains professionnels à accepter le lien entre les traumatismes de l’enfance et un certain nombre de symptômes physiques et psychologiques constatés chez leurs patients.
7Dans un résumé de la première partie du livre, McFarlane suggère que les capacités de ces « cliniciens » pour l’observation et la description des difficultés rencontrées par leurs patients sont plutôt déterminées par les références de psychopathologie auxquelles ces cliniciens adhèrent que par l’histoire amenée par le patient. (p. 44).
8McFarlane suggère que la théorie psychanalytique porte une responsabilité considérable pour « les millions de patients dont les histoires furent dites mais pas crues, rejetées comme étant des fantaisies œdipiennes » (p44).
9Mais la médecine, la psychologie et la psychiatrie n’ont pas, non plus, reconnu le pouvoir de destruction des abus subis dans l’enfance, participant ainsi au vaste déni de l’importance des traumatismes.
10Van der Kolk souligne l’exemple choquant de ce manuel de psychiatrie, publié dans les années 70, qui carrément prône « les possibles bénéfices de l’inceste sur les enfants » (p. 58).
11Ce déni historique se voit réparé dans cette partie du livre par un large aperçu de preuves accablantes des conséquences à long terme sur la santé mentale et physique d’une personne suite aux traumatismes subis dans l’enfance.
12Le chapitre 6, de van der Kolk et d’Andrea, est l’un des plus puissants, il sert ainsi grandement la cause pour que soit accepté un nouveau diagnostique du « trouble traumatique du développement ».
13La seconde partie du livre explore en détail les modifications neurobiologiques et neuroendocriniennes provoquées par les traumatismes précoces et la persistance de ces effets dans la vie adulte, par exemple les symptômes de dissociation et d’épilepsie du lobe temporal.
14Le chapitre 17 apporte des éléments très probants pour deux formes de dissociation.
15La première est celle de l’hyperexcitation, activité réflexive réduite au niveau du cortex préfrontal médian et du cingulaire antérieur, zones du cerveau qui inhibent le système limbique (cerveau émotionnel).
16Ce qui fait que dans cette forme de dissociation il y a impossibilité à diminuer la réaction émotionnelle provoquée par le rappel des événements traumatiques, ce qui augmente la « re-expérience », les flashbacks, les cauchemars et autres symptômes de TSPT, en raison de la suractivité d’un système limbique non-modulé.
17L’autre forme de dissociation est celle de la sous-activation, lorsqu’il y a une activité élevée du cortex cingulaire antérieur et préfrontal médian, avec sur-inhibition du système limbique, provoquant une augmentation du « retrait subjectif du contenu émotionnel de la mémoire par dépersonnalisation, déréalisation ou autres réactions de dissociation secondaire » (p 182).
18Les auteurs mettent l’accent sur le fait que la dissociation secondaire a une influence très négative dans le travail de psychothérapie, probablement parce qu’elle empêche tout engagement émotionnel dans les informations liées au traumatisme.
19Cela s’explique en partie par le fait que le processus de remémoration du passé, sur lequel s’appuie la psychothérapie, est lui-même altéré par le traumatisme. Dans le chapitre 20, la nature complexe de ces modifications sont exposés par Combs et De Prince, par exemple le fait que « les TSPT sont associés à la fois à un déficit global de la performance de la mémoire explicite et à une mémoire accrue pour les stimuli liés au trauma » (p.218)
Les conséquences du traumatisme relationnel précoce et de la dissociation dans la pratique de la psychothérapie
20Suite à toutes ces recherches il apparaît que tout travail de psychothérapie doit proposer des traitements ciblés de manière à réduire les symptômes de dissociation, tels que la dépersonnalisation, la déréalisation et l’émoussement affectif, avant même de commencer à explorer les souvenirs traumatisants.
21« Ne pas faire cela peut entrainer une augmentation des symptômes de TSPT, y compris une dissociation secondaire, un dérèglement émotionnel et une augmentation chez le patient d’une détresse générale et d’une déficience fonctionnelle » (p.185).
22Aussi, bien que la psychothérapie psychodynamique soit un traitement efficace pour les patients souffrant de TSPT complexe, dans ce livre Judith Herman et ses collègues écrivent qu’une attention particulière doit être portée à l’aspect interpersonnel et à l’accroissement du sentiment de sécurité, à la capacité de gérer les affects et à la mise en œuvre de relations équitables librement choisies (p.298).
23J’ai également suggéré qu’il y a en psychothérapie trois objectifs similaires, ceux de, 1) la gestion des affects (en lien avec l’attachement sécure), 2) du développement de la capacité de mentalisation et 3) du développement de la capacité à agir pour/à s’agencer soi-même (self-agency) (Knox 2009, 2010).
24Ces trois objectifs de la psychothérapie décrits par moi-même sont très proches de ceux que Van der Kolk et d’Andrea (2010) ont récemment mis en lumière comme étant particulièrement importants dans le travail avec les traumas complexes :
Les neurosciences actuelles suggèrent qu’un traitement efficace implique (a) d’apprendre à moduler l’excitation (b) d’apprendre à supporter les ressentis et les sensations en augmentant la capacité d’interoception et (c) d’apprendre que, après avoir été confronté à une forme physique d’impuissance, il est essentiel de s’engager de manière efficace dans une action
26Ce qui revient à une description de a) la gestion des affects, b) la mentalisation et c) self-agency, et met en lumière combien l’expérience inconsciente de la relation avec le thérapeute, même lorsqu’il n’y a pas d’interprétation, est importante.
27De beaucoup de manières, tous les trois sont des processus relationnels qui fonctionnent de façon non détectée, il en est ainsi, en fonction de la dynamique intersubjective implicite de l’interaction clinique plutôt que d’une compréhension consciente.
28Ce ne sont pas seulement les interprétations ou le travail avec le transfert qui permettent à la psychothérapie de quelque intensité qu’elle soit d’être efficace et d’amener un réel et durable changement psychique.
29Un certain nombre de techniques cliniques sont nécessaires pour permettre une gestion des affects, pour construire une conscience de soi et permettre la mentalisation.
30L’accent mis sur ce travail peut varier, pas seulement d’une séance à l’autre, mais d’un moment au suivant à l’intérieur d’une même séance.
Gestion des affects
31L’un des grands axes de cette approche relationnelle est l’attention portée par le thérapeute à la gestion des affects, la diminution de l’hyperexcitation qui accompagne les flashbacks et l’impression de revivre le traumatisme, mais aussi au fait de se re-connecter avec un patient qui est dans un état de fermeture dû à un système parasympathique gelé, ce qui est une des principales caractéristiques de dissociation secondaire.
32Ce qui est crucial car la dissociation secondaire a été montrée comme ayant un effet particulièrement négatif sur les résultats du travail de psychothérapie, probablement parce que cela empêche l’implication émotionnelle dans les informations liées au traumatisme.
33Les schémas non-verbaux de relation et de communication entre le thérapeute et son patient ont été largement décrits et ont fait l’objet d’une recherche approfondie dans la théorie psychanalytique de l’attachement et du lien par, entre autres, le Groupe d’Etude des Processus du Changement de Boston.
34Ces « mécanismes non interprétatifs » d’une dynamique intersubjective du processus clinique œuvrent à des niveaux bien plus profonds que des suggestions et des encouragements et contribuent à un bon résultat dans toute psychothérapie tout autant que les échanges verbaux entre thérapeute et patient.
35Ils dépendent aussi bien du ton de la voix, de l’expression du visage et du rythme du dialogue qu’à ce qui est effectivement dit.
36Tout cela mis ensemble permet une expérience de gestion des affects, au travers des processus en cours de l’équilibre émotionnel, de moments d’émotion intense et de rupture et de réparation.
Mentalisation
37Au premier regard la mentalisation peut apparaître comme la capacité qui dépend le plus des échanges verbaux explicites entre le thérapeute et le patient. Mais il y aussi des aspects relationnels implicites et automatiques qui sont tout aussi importants et qui sous-tendent l’imitation empathique des gestes et du tour de parole si fondamentale pour la communication humaine.
38Une approche en psychothérapie basée sur la mentalisation nécessite de la part du thérapeute une mise en perspective souple et intuitive qui n’essaye pas de figer l’esprit du patient dans des interprétations définitives.
39L’attention portée par le thérapeute à la recherche de signification relève plus d’une attitude implicite que d’une position directement et explicitement déclarée.
40Ce qui rend la pratique clinique efficace c’est la co-construction de sens entre le thérapeute et le patient, plutôt qu’une signification amenée par les interprétations du thérapeute.
41En ce sens, le thérapeute aide également le patient à atteindre petit à petit un point où il sera en mesure de supporter l’insupportable signification du traumatisme ancien – reconnaissant ainsi la trahison inhérente à l’abus ou la négligence de ses principaux fournisseurs de soins.
42Ce sera donc progressivement possible pour cette personne de commencer à mettre du sens sur sa propre expérience du passé, de pouvoir lâcher les sentiments de honte et de culpabilité si souvent amenés en thérapie par les personnes traumatisées.
Self-agency (Agencement de soi)
43Le langage en lui même est une forme d’action-réponse qui a ses propres règles de communication qui relèvent des différentes cultures, races et langues.
44Si l’on étudie une conversation, c’est la réponse de l’écoutant à ce qui vient de se dire, et la production de la réponse suivante plutôt que les interprétations d’un observateur extérieur, qui vont en donner la signification.
45En partant de cette perspective, on peut dire que la psychothérapie est un dialogue, dont le résultat dépend en fait des possibilités que va avoir le patient de rectifier les malentendus et autres ruptures entre le thérapeute et lui.
46Cet échange patient-thérapeute constitue une coopération active dans la recherche de sens de la part du thérapeute et du patient qui est très éloignée de la situation dans laquelle le patient est un destinataire passif des interprétations de l’analyste à propos de son inconscient.
47Toute interprétation trop didactique peut entrainer le thérapeute à raconter au patient ce qui se passe « vraiment » dans son inconscient, au lieu de lui permettre de progressivement développer sa capacité à être en relation, à expérimenter et trouver ce que ses propres souvenirs, espoirs et peurs signifient réellement.
48Le sentiment ou sens de self agency du patient joue par conséquent un rôle vital, à la fois dans la relation avec le thérapeute et dans la manière dont il pourra donner du sens à ses propres émotions et souvenirs.
Les techniques sensorimotrices
49Il peut arriver qu’un travail avec un patient qui a des difficultés à gérer une expérience traumatique passée déclenche une dissociation primaire ou secondaire, alors des outils thérapeutiques supplémentaires deviennent nécessaires.
50Une personne qui souffre de flashbacks terrifiants au cours d’une séance est alors dans un état de régression, en train de revivre le passée dans le présent de façon aigüe, mais il ne s’agit en aucune manière d’une expérience de gestion des affects.
51Lorsqu’une une personne se retrouve plongée dans la honte alors qu’elle en plein travail de re-mémorisation d’une expérience passée, elle n’est pas en mesure de mentaliser.
52Une personne qui vit le froid engourdissement d’un état de dissociation secondaire ne peut faire usage de l’interprétation des fantasmes et de rêves pour développer son self-agency.
53Ce sont dans ces situations là que la gestion des affects, la mentalisation et le self agency ont recours à différentes techniques sensorimotrices, très bien détaillées dans le livre de Babette Rochshild « The body remembers » (2000) (ndt : Le Corps se souvient), et qui, propose-t-elle, permettent de « doser le trauma » par une diminution de l’excitation.
54Par exemple le thérapeute va devoir intervenir de manière active lorsque le patient est dans un état de dissociation primaire pour pouvoir le ramener dans le ici et maintenant, en lui rappelant qu’il est dans un endroit secure avec une personne secure, ceci pour stopper le fait de revivre de façon aigüe le traumatisme passé.
55Demander au patient de se visualiser dans un endroit qu’il aime peut aider, un endroit où il s’est senti en sécurité et heureux, et de parler de comment c’est là bas, de décrire la couleur des feuilles dans les arbres ou bien le bruit d’une cascade.
56Cependant à un certain point il sera nécessaire de relater et de travailler le traumatisme passé pour que graduellement les états de dissociation soient intégrés et pour expliquer cela je vais revenir aux neurosciences.
Le réseau par défaut
57Le réseau par défaut est un ensemble de zones du cerveau qui montre une activité métabolique plus importante lorsque le cerveau est au repos que quand il est occupé par des tâches ayant un objectif précis et qui réclament de l’attention (Raichle et al, 2001).
58Le réseau par défaut est actif lorsque les individus sont centrés à l’intérieur d’eux-mêmes sur des tâches qui incluent la récupération de souvenirs autobiographiques, la planification du futur, le fait de concevoir le point de vue d’autrui.
59Les chercheurs pensent maintenant que le réseau par défaut stocke et met à jour les souvenirs par ordre d’importance du point de vue personnel et selon leur contenu émotionnel et qu’il revient à son activité de tri dès lors que le cerveau n’est plus engagée dans une action.
60Donc l’activité du réseau par défaut est le processus par lequel le cerveau intègre les souvenirs, les émotions et l’expérience de soi.
61L’une des clés qui contribue à ce travail d’intégration est l’imagination, qui provient de l’activité du réseau par défaut et semble intégrer les différents réseaux neuronaux en lien avec l’expérience de soi.
62Nous savons de manière clinique que l’une des conséquences des traumatismes est précisément que la capacité à imaginer à été détruite.
63La caractéristique des processus de dissociation du traumatisme est que les souvenirs ne peuvent être incorporés à l’expérience de soi, mais s’insinuent dans la psyché, de manière intrusive tels des corps étranger sous forme de flashbacks et de cauchemars.
64Souvent les patients se sentent dans trop de détresse pour pouvoir se remémorer les expériences relationnelles de leur enfance et cela déclenche fréquemment de l’automutilation et de la dissociation.
65Une certaine partie de la recherche en neurosciences pourrait expliquer pourquoi il en est ainsi.
66Bluhm et al. (2010) ont montré que chez les patients atteints de TSPT chronique suite à un traumatisme dans l’enfance, il y a une réduction significative de la connexion fonctionnelle entre le précuneus et les autres parties du réseau par défaut pendant les périodes de repos.
67Le précuneus est probablement un nœud crucial dans le réseau par défaut, qui relie les informations du passé avec les évènements de l’environnement actuel, évaluant ainsi ces événements selon leur pertinence avec le self.
68Donc cette connectivité réduite et l’ampleur suivant laquelle elle pourra nuire à l’activité d’intégration du réseau par défaut pourrait expliquer les extraordinaires difficultés rencontrées par les personnes ayant un vécu de traumatisme relationnel à penser leur propre expérience.
69Sans cette capacité à imaginer, inhérente au système par défaut, le patient ne peut développer de nouvelles constructions pour modifier les scénarios de haine de soi et de culpabilité ni non plus imaginer des nouvelles manières de se voir, d’avoir une conscience de soi et un self-agency plus positif dans les relations et c’est pourquoi la honte et la haine de soi que j’ai décrites demeurent si insolubles.
70Dans ce contexte, l’un des objectifs majeurs de la thérapie est de créer une relation secure à l’intérieur de laquelle il devient possible d’imaginer et construire une nouvelle conscience de soi.
71Je vais m’appuyer sur le rêve d’une patiente pour illustrer ce processus d’intégration imaginatif en action.
72Ce rêve montre que les états dissociés passent d’un état corporel, avec peu ou pas de contenu symbolique, à des expériences psychiques, qui peuvent être symbolisées, pensées et potentiellement intégrées.
Dans son rêve la patiente tient dans ses bras le bébé de son cousin et essaye de lui donner le biberon, alors que la mère est absente, mais elle n’y arrive pas. Le lait s’écoule autour de la bouche du bébé et celui-ci semble se détériorer sous ses yeux, se rétrécissant et se transformant en plusieurs petits homoncules – comme des petits adultes en miniatures, de la taille de sa main. Elle voudrait les remettre tous ensemble afin de rendre le bébé à sa mère – elle envisage de les envelopper tous dans une couverture pour pouvoir les redonner.
74Je pense que ceci symbolise sa partie bébé qui a été gravement négligée, qui est devenue un adulte morcelé, sans avoir réellement grandi.
75Il semblerait que le rêve pose la question de comment tous ces morceaux peuvent être rassemblés en un tout et reliés à son expérience de la prime enfance ?
76Il semble que ce soit là une première tentative de construction imaginaire d’une conscience de soi plus intégrée, mais pour l’instant le contenant est externe (la couverture) et non interne.
77Cela a commencé à se voir dans l’amélioration de sa capacité à gérer ses crises de panique, surtout pendant les weekends. Elle peut rester avec cela et sentir qu’il lui est possible d’y survivre.
78Elle a pu prononcer le mot « honte », qui est l’émotion principale qu’elle vit lorsqu’elle est dissociée et qui a son origine dans le fait qu’il lui est intolérable de considérer ce que signifient le traumatisme de ses relations premières et l’abus sexuel pendant son enfance.
79En conclusion, ce livre remarquable apporte la preuve écrasante qui renforce d’autant le puissant et pressant appel évoqué dans l’épilogue :
L’objectif et l’impératif moral de ces dix prochaines années doit être d’atténuer les effets des traumatismes subis dans l’enfance par une action de santé publique majeure centrée sur la prévention et les interventions précoces.
81Si cela est mené avec succès, alors ce sera un des plus grands avancements de notre temps en termes de santé publique et cela limitera la très grande souffrance et les coûts entrainés par les effets dévastateurs des mauvais traitements subis pendant l’enfance. (p 302)
82Il est urgent et impératif pour toutes les sociétés de faire face à la véritable crise de la santé publique causée par les ravages émotionnels, relationnels, psychologiques et physiques des traumatismes subis dans l’enfance.
83Comme le pointe l’un des derniers chapitres du livre (chapitre 27), la psychothérapie psychodynamique est le traitement actuel le plus efficace pour les patients atteints de TSPT complexes, mais avec la réserve essentielle qu’il doit y avoir des modifications afin d’inclure des techniques sensorimotrices qui permettent la gestion des affects, la construction de la conscience de soi et facilitent la mentalisation.
84L’une des manières le plus efficace pour que les instituts de psychothérapie psychodynamique de Grande Bretagne puissent collaborer serait de mettre en place un fond commun de toutes les ressources afin de créer dans ce pays des centres de soin des traumatismes capables d’offrir la forme modifiée de psychothérapie psychodynamique, qui tiendrait compte de la richesse des recherches décrites dans ce livre.
85Jean KNOX
86Traduit de l’anglais par Jeanne-Marie Beaufreton
Références
87BCPSG. (2007). The foundational level of psychodynamic meaning : Implicit process in relation to conflict, defence and the dynamic unconscious. International Journal of Psychoanalysis, 88, 843 –860.
88Bluhm, R.L ; Williamson, P. C ; Osuch, E.A ; Frewen, P.A ; Stevens, T.K et al. (2009) Alterations in default network connectivity in posttraumatic stress disorder related to early-life trauma. J. Psychiatry Neurosci. 34, 3, pp187-194.
89Knox, J. (2009). When words do not mean what they say : Self-agency and the coercive use of language. Journal of Analytical Psychology, 54 25 –41.
90Knox, J. (2010) Self-agency in psychotherapy : attachment, autonomy and intimacy. WW Norton.
91Raichle, M., MacLeod, A. M., Snyder, A. Z., Powers, W. J., Gusnard, D. A., & Shulman, G. (2001). A default mode of brain function. Proceedings of the National Academy of Sciences, 98, 676 –682.
92Rothschild, B (2000) The body remembers : the psychophysiology of trauma and trauma treatment. New York : WW Norton.
CET ART QU’EST LA PSYCHANALYSE. Rêver des rêves inrêvés et des cris interrompus. Thomas H. OGDEN Préface de Florence Guignard. Traduction de l’anglais par Ana de Staal et Mage Montagnol. Les Editions d’Ithaque, Paris, 2012. ISBN : 978-2916120287
93La liberté de penser, tel est le titre de la préface de Florence Guignard du premier ouvrage de Thomas Ogden traduit – enfin ! – en français ; ce titre est parfaitement évocateur de la créativité dont témoigne Ogden en relatant sa lecture de Bion, Winnicott ou Freud ou en rendant compte de sa propre clinique ; le tout ponctué çà et là de références à Borges ; mais il est aussi évocateur de l’expérience analytique authentique qui peut être vue comme un apprentissage à la liberté de penser, à la liberté d’être. Car c’est bien de cela dont il s’agit, et c’est sur cette approche du livre de Ogden que je m’attarderai – et rêverai – essentiellement.
94Florence Guignard rend hommage à Ogden de se référer à Bion « sans (le) réécrire », mais dans une appropriation sans aucune trahison, vivante et réussie, donc. En présentant son Bion, Ogden permet à F. Guignard d’y retrouver également le sien. De mon côté, je ne peux probablement que parler de mon Ogden, et de ce qu’il m’a aidé à développer.
95Ce livre me donne un sentiment déjà éprouvé antérieurement à la lecture de quelques textes (en anglais) de cet analyste freudien, sentiment à la fois d’une familiarité avec le regard analytique jungien, et d’une ouverture essentiellement pragmatique sur des perspectives neuves qui invitent à explorer plus avant les outils psychanalytiques et à en enrichir l’utilisation, avec la touche de jubilation que procure l’équilibre de ces deux éléments antagonistes et complémentaires : la familiarité et la découverte d’espaces inexplorés qui étaient pourtant à portée de main.
96D’emblée, nous sommes plongés dans la matière même à travailler : « La psychanalyse est une expérience émotionnelle. » (p. 21)
97La référence à Bion (pour qui la fonction alpha de l’analyste aide le patient à intégrer ses éléments bêta) est exposée avec clarté et éclaire les évènements psychiques que sont les rêves, mais aussi les cauchemars et les terreurs nocturnes, éléments béta par excellence. Mais Ogden ouvre un autre champ de réflexion qui donne à cette référence une ampleur, un contexte et un ancrage décisif, en affirmant : « Les rêves rêvés par le patient et l’analyste sont en même temps leurs propres rêves (et rêveries) et ceux d’un sujet tiers qui est à la fois les deux ensemble, patient et analyste, sans être aucun d’eux séparément. » [1]
98À cela s’associe dans mon esprit la définition donnée par Edgar Morin du terme d’émergence qui s’applique si parfaitement à mes yeux à la relation transférentielle et dont j’ai dit ailleurs (Raguet, 2012) qu’il m’aidait à m’en représenter la dynamique telle que Jung la décrit en particulier dans la Psychologie du Transfert (Jung, 1936 [1980]) :
« Les émergences sont des propriétés ou qualités issues de l’organisation d’éléments constituants divers associés en un tout, indéductibles à partir des qualités ou propriétés des constituants isolés, et irréductibles à ces constituants. Les émergences ne sont ni des épiphénomènes, ni des superstructures, mais les qualités supérieures issues de la complexité organisatrice. Elles peuvent rétroagir sur les constituants en leur conférant les qualités du tout. »
100Si « les rêves rêvés par le patient et l’analyste sont en même temps leurs propres rêves (et rêveries) et ceux d’un sujet tiers qui est à la fois les deux ensemble, patient et analyste, sans être aucun d’eux séparément » on peut en dire autant, je crois, de tous les évènements psychiques (émotions, pensées, sentiments …) expérimentés lors d’une rencontre ; produits par ce tiers formé par la relation analytique, donc par l’intrication des inconscients des deux protagonistes, ils rétroagissent sur chacun d’eux, ce qui modifie en retour le “tiers”. Et ainsi de suite.
101Ogden insiste : « Les rêveries ne sont pas le produit du psychosoma de l’analyste seul, mais proviennent des inconscients combinés du patient et de l’analyste » (p. 27, note 2). La combinaison des inconscients… L’image du quaternio alchimique convoquée par Jung à propos du transfert surgit bien évidemment à l’esprit.
102Liberté de penser, expérience émotionnelle, et maintenant voici que Ogden parle de la nécessité de “réinventer la psychanalyse pour chaque patient” et ceci “tout au long de l’analyse”… D’aucuns pourraient s’effrayer qu’une telle liberté ne devienne du n’importe quoi dans un libre arbitre débridé. Mais Ogden avertit :
« Si je conçois la psychanalyse comme une expérience, je ne pense pas pour autant que patient et analyste soient libres d’agir à leur guise ; leur liberté est plutôt celle de pratiquer la psychanalyse d’une manière qui reflète ce qu’ils sont, individuellement et ensemble, en tant qu’analyste et analysant : ils n’inventent pas une relation amoureuse, une amitié pas plus qu’une expérience religieuse. »
104On comprend que pratiquer en tant qu’analyste, cela ne s’improvise pas. Plus loin d’ailleurs, Ogden précisera que l’expérimentation analytique devra « être menée conformément aux modalités de la situation psychanalytique » (p.30). Or l’apprentissage de cette pratique amène inévitablement le questionnement du (jeune) analyste qui se demande si l’évènement psychique, émotionnel en particulier, dont il se sent assailli ‘vient de lui ou bien du patient’, s’il voit juste ou s’il est victime d’une projection. La question ainsi formulée – mais c’est déjà bien qu’il se la pose – mène vite à une impasse, me semble-t-il, mais Ogden ouvre un débouché : « …les rêveries de l’analyste fournissent une forme d’accès indirect à la vie inconsciente de la relation analytique. » [2] Et encore : « C’est la tâche de l’analyste en tant que sujet séparé (…) d’appréhender ce qu’il expérimente dans le tiers analytique et du tiers analytique (…) » (p.29)
105Cette phrase n’est pas sans rappeler la pensée de Jan Wiener (2009) qui distingue le travail dans le transfert et le travail avec le transfert. Ici, Ogden parle clairement de la double face de la place de l’analyste d’une part en tant qu’il est engagé tout entier dans l’œuvre, comme le postule Jung, et d’autre part en tant qu’il reste le garant du déroulement du processus et de la persistance/fiabilité du temenos. La relation transférentielle, « ce tiers analytique inconscient intersubjectif est toujours en voie d’advenir dans ce champ de forces émotionnelles engendré par l’échange entre les inconscients du patient et de l’analyste. Ce troisième “sujet de l’analyse” est un sujet construit conjointement, mais asymétriquement, par la paire analytique. » (p. 29).
106Cette expression ‘en voie d’advenir’, nous renvoie à nouveau vers la notion d’émergence telle qu’il en est question plus haut. C’est un processus toujours en cours où l’analyste, se libérant en permanence de ce qu’il croyait connaître et maitriser, s’ouvre à ce qui advient nouvellement au sein de ce tiers dont il est, ainsi que le patient, partie prenante, pour suivre ce tiers, ce ‘troisième sujet de l’analyse’dans son évolution singulière, et se laisser modifier par lui. C’est le processus d’auto-organisation décrit par Edgar Morin, dans lequel chacun des protagonistes, analysant et analyste, modifie le ‘troisième sujet de l’analyse’et sont modifiés par lui, et ainsi de suite. Faute de quoi l’on resterait dans le même et aucun changement ne serait possible. C’est pourquoi, dit Ogden, l’analyste doit être capable de ‘grandir émotionnellement’à la suite de son expérience avec son patient (p.30), ce qui fait écho à la capacité d’être l’analyste dont le patient a besoin, précise-t-il en se référant à Searles (1975). Mais j’ai envie d’ajouter un point qui me parait essentiel : et ceci, sans vouloir contrôler, fusse après-coup, ce que le patient aura ainsi reçu et utilisé de son analyste ; en d’autres termes, il ne décide pas ce dont le patient a besoin, ce qui est ‘bon pour lui’mais l’ignore le plus souvent, ainsi que le patient d’ailleurs, précisément parce que cela relève de l’alchimie largement inconsciente de la relation. C’est ce qui me paraît faire partie du respect de l’analyste vis-à-vis du patient, incluant une humilité (ne pas savoir et ne pas contrôler) assortie de vigilance (sens de la responsabilité) ce qui résulte en somme d’une castration symbolique et symbolisante. De tout cela, Ogden fait largement état dans le cours du livre, en particulier dans la première partie où il énonce “ce dont [il] ne pourrait pas se passer”, à savoir la position profondément humaine qui est la sienne.
107Au passage, Ogden nous livre implicitement un message essentiel, qui est la prééminence du travail intérieur de l’analyste sur la parole concrète adressée au patient – donc de la réalité intérieure sur la réalité extérieure. Qu’est-ce à dire ? Ogden se dit en désaccord avec l’idée courante selon laquelle le patient ne peut pas tout connaitre de son analyste, car il est supposé ne rien connaitre de la vie de celui-ci. Connaitre signifiant ici avoir une connaissance consciente de faits concrets. Il affirme au contraire (p.32) que tout ce que vit l’analyste change son être, que ce changement a un effet sur la relation analytique et que par conséquent, le patient en connait quelque chose. Et, là, il s’agit d’une connaissance intérieure – inconsciente pour l’essentiel – et non factuelle. J’entends dans cette position la relativisation de l’évènementiel et du faire, au profit de l’être.
108De la même façon, l’analyste tente de ne pas s’attacher trop exclusivement aux évènements réels, extérieurs de la vie d’un patient – son histoire, la composition de sa famille, les évènements factuels de sa vie – au profit de leur écho dans sa vie intérieure et son état affectif. C’est à mon sens pour la même raison que ce qui donne à un objet ou une image, valeur de symbole n’est que son contexte situationnel et la manière dont il entre en résonance avec l’intériorité du sujet.
109C’est aussi, je crois, ce qui se produit dans le travail clinique de supervision en groupe où toute la place nécessaire est laissée à l’écoute, dans la sphère émotionnelle du groupe, de la résonance de ce qui est relaté par l’un des participants. De même, l’exposé spontané (sans recours à des notes) d’une situation clinique, laisse la place au travail effectué dans et par l’inconscient depuis les séances relatées.
110A propos du questionnement sur la pertinence de la ‘technique analytique’pour certains patients, Ogden offre une formulation très juste à mes yeux de ce qui peut/doit être proposé. Dans certaines situations, il souligne qu’« […] il incombe à l’analyste non pas de cesser d’être un analyste, mais de devenir un psychanalyste qui fait autre chose » (p.48), Ogden place ainsi la psychanalyse pour ce qu’elle ne peut cesser d’être : au service de l’humanité de l’être humain. « Le but de l’analyse […] est d’accompagner analytiquement le patient dans son dilemme d’homme » [3] dit-il. Les valeurs éthiques de l’attitude analytique ne sont aucunement une valeur rajoutée, mais une valeur intrinsèque à l’être analyste et à la pratique analytique. « Si [les initiatives de l’analyste] ont une valeur analytique, c’est parce qu’elles sont à la fois humaines et propices à un important travail psychologique, c’est-à-dire un travail conscient et inconscient. » (p. 49) C’est dire que, dans l’analyse, exigences techniques et exigences éthiques se rejoignent dans la recherche de ce qui est authentique – vrai dit Ogden – dans l’expérience émotionnelle.
111La description que fait Ogden du Penser à haute voix, avec un langage qui soit une « invention unique » et des paroles capables « d’exprimer ce qui est vrai » (p.55) fait écho chez moi à la parole bwiti des ngangas (médecins traditionnels du Cameroun) qui désigne une parole authentique et par là-même transformante.
112À ce sujet, Ogden précise : « En interprétant, l’analyste symbolise verbalement son intuition de ce qui est vrai au regard de l’expérience inconsciente du patient, et ce fait même modifie ce qui est vrai et contribue à la création d’une expérience potentiellement nouvelle […] » [4] Cette affirmation me parait particulièrement intéressante pour les lecteurs jungiens. En effet, pour Jung, le symbole a une « capacité à transformer l’énergie instinctuelle par des ‘représentations propres à traduire la libido par des équivalences et à la conduire ainsi vers une forme autre que la primitive’ ». « […] C’est par le symbole que peu à peu les contenus de l’inconscient peuvent être assimilés par le conscient. » [5]
113Ogden fait un rapprochement entre la responsabilité de l’analyste et celle du poète ; ainsi, Cet art qu’est la psychanalyse me semble parfois faire écho au Livre Rouge de Jung lorsque celui-ci, au début de sa plongée dans le travail avec l’inconscient, évoque la ‘voix’ féminine qui lui affirme que ce travail c’est de l’art – ce que Jung nie. Et pourtant … C’est une vaste question que de déterminer ce qui définit l’art. Mais dans la mesure où l’œuvre d’art émane de, et exprime ce qui habite l’artiste à un moment donné [6], sans nécessairement chercher à produire un effet esthétique – pour ne pas dire mondain – alors peut-être la voix entendue par Jung énonce-t-elle une affirmation assez juste. En tout cas, c’est une création, comme l’est toute démarche et tout geste habité. Vrai.
114Puis, Ogden se livre à une nouvelle lecture des origines de la théorie des relations d’objet, convoquant des textes fondamentaux. Il illustre Deuil et Mélancolie d’un exemple clinique qui lui est propre, et effectue de la Théorie du narcissisme une lecture critique (au sens large et non pas péjoratif), évoquant le lien entre mélancolie et narcissisme. Il examine également la question du sadisme, celle de la manie, pointant notamment le moment où Freud, lui semble-t-il, « peut-être même sans s’en rendre compte, commence à envisager […] le versant psychotique de la manie et de la mélancolie, à savoir la fuite devant la douleur et devant une bonne partie de la réalité extérieure. » (p. 77) Sur toute cette partie je ne m’attarderai pas.
115L’éclairage que Ogden apporte sur la terminologie bionienne relative à la question du rêve et du ‘rêver’, permet de ‘penser plus loin’. Il souligne en particulier que l’incapacité de rêver est différente de l’incapacité de se souvenir de ses rêves. Rêver c’est faire des liaisons émotionnelles. C’est un travail de raffinage des impressions sensorielles qui permet l’émergence de la pensée. Toutes les images oniriques ne sont des rêves que s’ils sont assortis d’un travail psychique propice à la croissance.
116Ces réflexions autour de la rêverie, du rêve et du rêver, du travail onirique et du travail du rêve, nous font alors déboucher de façon saisissante sur un nouvel espace d’exploration : la question de la conscience. « Rêver, désormais entendu comme activité onirique, est ce qui crée la conscience et l’inconscience et maintient la différence entre les deux. » (p. 87) Et encore : « … le rêver, en tant qu’activité onirique, est ce qui nous permet de créer la structure de notre esprit […] ». Non pas refléter la différenciation entre vies consciente et inconsciente, mais la créer, engendrer cette différenciation entre esprit conscient et esprit inconscient. Rien moins. On se souvient que le récit mythique, chrétien en particulier, de la création est le récit d’une différenciation – eaux/terre, nuit/ jour …
117L’idée de la co-création revient dans le livre par la mise en parallèle de la relation d’un lecteur avec l’auteur du livre, d’une part et de la relation analysant-analyste d’autre part, dans l’influence mutuelle qui aboutit à l’élaboration d’une expérience émotionnelle, d’une idée et d’une parole ; cela prend une importance que je crois cruciale dans la question de la vérité – qu’est-ce qui est vrai – en analyse. « […] penser des pensées qui expriment ce qui est vrai modifie la chose même qui est en passe d’être pensée. » (p. 111) Cette affirmation propre à éclairer la question du trauma, peut-on dire au passage, renvoie à la physique quantique aussi bien qu’à la dynamique de la démarche analytique. Ce qui est vrai est une découverte, mais en la faisant, nous créons quelque chose de nouveau. Dans cette création de nouveau en analyse, l’analyste, dit Ogden, doit à la fois être « émotionnellement présent et transparent » (p. 114) comme un bon auteur qui ne doit pas gêner le lecteur ni être l’objet de son attention. Ce qui nous ramène à l’idée que l’analyste peut largement ignorer la façon dont il aura pu être utilisé par le patient, ce qui est évidemment pour lui moins narcissiquement gratifiant que d’être clairement pris pour modèle identificatoire. Mais ce qui permet sans aucun doute à l’analysant de s’autonomiser plus sûrement – et d’abord vis-à-vis de son analyste – et également, de grandir et d’évoluer en fonction de son être propre.
118Le questionnement à propos de Ce qui est vrai, amène peu à peu Ogden à explorer les tâches humaines qui, dit-il « alimentent un corpus d’expériences qui est […] commun à l’humanité entière. […] dans une analyse, l’universellement vrai est aussi tout à fait personnel et unique […] » (p. 115). Ainsi présentées, ces tâches humaines et son corpus d’expériences ne me semblent pas très éloignés de ce que les jungiens appellent le processus d’individuation où l’universel et le singulier se trouvent joints.
119Ainsi, chaque expérience est unique, singulière. Ogden cite Bion : « La manière dont je mène une analyse n’a d’importance pour personne d’autre que moi, mais cela peut vous donner une idée de la façon dont vous pratiquez l’analyse, et ça, c’est important. » [7] Jung en est convaincu et l’affirme dans le Livre Rouge : « […] mon exemple se mettra sur votre chemin comme un obstacle. Puissiez-vous me suivre, mais non pas sur mon chemin, sur le vôtre. » [8] Il s’agit de toute la différence entre ‘donner un exemple’ et ‘se donner en exemple’.
120Ogden partage le point de vue de Bion sur l’écriture psychanalytique qui consiste en « un effort non pas de rapporter, mais de créer une expérience émotionnelle très proche de celle que l’analyste a vécue […] » (p. 130). Chaque lecture crée une expérience nouvelle dans ce lien auteur-lecteur, texte écrit-texte lu, qui transforme le lecteur, lequel modifie le message en l’assimilant. Ogden crée, parle de son Bion. Il y a, pourrait-on dire aussi, ‘co-création’ auteur-lecteur, ou artiste-spectateur.
121C’est pourquoi Ogden ne fait qu’évoquer « le O » de Bion, si difficile à définir qu’il ne cherche pas à le faire mais à provoquer chez le lecteur, « l’émergence de ses signification (les effets qui doivent être éprouvés) à mesure de notre cheminement » (p. 136). L’émergence [9] implique l’apparition d’authentiques propriétés nouvelles. C’est une ‘expérience imprévue’ et ce concept sert à Ogden pour évoquer ce “O” : « une expérience dans O est une expérience de ce qui est et de ce qui devient » (p. 137). Je me demande si cela ne pourrait pas être rapproché, chez Jung, de la notion d’archétype (ce qui est) qui ‘informe’, donne forme au complexe (ce qui devient) [10]. Activité de création, liberté de penser …
122Souvent, remarque Ogden, au cours d’une séance d’analyse, poser des questions – et y répondre – risque de « distraire de la tâche qui [s’accomplit], au niveau inconscient, de faire connaissance l’un avec l’autre » (p. 142). Le plus important est l’être là (p.146) – terme qui n’est pas sans évoquer celui que Jung emploie dans le Livre Rouge : l’étant. Il s’agit, je crois, d’une qualité de conscience dans la profondeur du moment présent, d’une réceptivité sans jugement et sans pensée rationnelle. Non pas comprendre et réfléchir, mais, se laisser transformer par la conscience de l’expérience relationnelle de l’instant. Peut-être est-ce simplement ce que Jung appelle la fonction transcendante qui n’a rien à voir avec une quelconque mystique ou religiosité, mais parle du lien de communication qui se fait entre le conscient et l’inconscient.
123« La rêverie […] est une forme d’expérience sans médiation […] En ce sens, je considère la rêverie comme une expérience de ce qui est à un niveau inconscient dans la relation analytique » (P.147). Ogden précise que dans cette expérience, il n’y a pas intervention d’un soi réflexif ce qui, me semble-t-il, est proche de ce que les bouddhistes appellent le ‘mental’. Il y a seulement le “vivre l’instant présent”, en pleine conscience. Ogden avait d’ailleurs souligné [11] la différence entre penser à propos d’une expérience et être dans une expérience. Ce qui rend évidente, si besoin était, la nécessité d’avoir vécu une authentique analyse personnelle pour être soi-même analyste. Ainsi, dans la relation analytique, le cheminement des rêveries de l’analyste, si éloignées du patient qu’elles puissent paraître en séance, peuvent être écoutées comme la forme que prend l’expérience émotionnelle partagée dans l’instant vécu. Si je me mets à penser à une personne de ma famille, à une lettre à poster ou à tout autre élément réel ou imaginaire, je ne dois pas me gourmander de me laisser aller à une telle digression au lieu d’écouter le patient, je dois plutôt en observer le cheminement et la tonalité émotionnelle pour discerner le sens (signification et direction) de ce cheminement. Tout cela fait partie du « O de l’inconscient de l’analyste et de l’analysant vivant dans l’expérience du “tiers analytique” inconscient. » (p. 147)
124En contrepoint de ses larges réflexions sur les travaux de Bion, Ogden réfléchit enfin sur le concept de ‘holding’ de Winnicott, moins simple qu’il n’y paraît, dit-il, montrant en effet la teneur complexe de cette fonction qui consiste à offrir à l’enfant la possibilité de “continuer-à-être” mais évolue au fur et à mesure que l’enfant commence à se nourrir de relations d’objet afin qu’il puisse créer « la matrice de sa psyché, un environnement porteur interne ». Ogden, ce faisant, tisse des allers et venues entre la position de la mère et celle de l’analyste d’une part, et d’autre part entre les vues de Winnicott et celles de contenant-contenu présentes de la pensée de Bion.
125Ce livre de Ogden est pour moi un de ces ouvrages précieux qui libère (un peu, car c’est rude tâche !) ma pensée, la stimule et en fait une authentique – vraie, dirait Ogden – expérience intérieure. Transformante par conséquent.
126Claire RAGUET
Références
127JUNG Carl Gustav ((1936 [1980]) Psychologie du Transfert, Paris, Albin Michel — (2012) Le Livre Rouge, Edition établie introduite et annotée par Sonu Shamdasani, Paris, L’iconoclaste / La compagnie du Livre Rouge
128MORIN Edgar (2004) La Méthode, Vol. VI Ethique, Paris, Seuil
129RAGUET Claire (2012) ‘The end of the analysis for the analyst’, in Journal of Analytical Psychology, 57/2, p. 149-166
130WIENER Jan (2009) The Therapeutic Relationship, transference, countertransference and the making of meaning, Texas A&M University Press, USA
SUR JUNG ET LE YI KING. Intuition et synchronicité dans la préface de C. G. Jung au Livre des changements. Nathalie PILARD. Arché Milano, Milan, 2010. ISBN : 978-8872522943
131C’est un livre à la fois léger, joueur, plein de résonances et d’ouvertures, et, dans certains chapitres, alourdi de références livresques et d’exigences méthodologiques. Il m’a fallu plusieurs lectures pour pouvoir y entrer, le laisser résonner et comprendre les contradictions et les affects qu’elles éveillaient.
132Voici un livre qui parle de Jung – et l’on sait la difficile reconnaissance de Jung dans le milieu académique –, du Yi King – un vieux livre de divination chinoise –, de l’intuition et de la synchronicité qui ne peuvent se dire dans un langage uniquement rationnel. Et cela dans le cadre d’une recherche universitaire, mémoire ou thèse, là où l’esprit scientifique est de rigueur. C’est presque un défi, un pari, ou au moins une gageure.
133Cependant, l’auteur a trouvé sa propre méthode pour nous faire ressentir et vivre ce qu’est l’intuition, la sienne et celle de Jung : c’est ce qu’elle appelle les “collages”.
134Voici comment elle en parle dans le chapitre 2, « La reconnaissance intuitive du Yi King par Jung » : « Afin de révéler l’harmonie des paroles (celles de Jung et celles du Yi King), j’ai “collé” les unes à côté des autres quelques-unes de leurs pensées. Ces citations, collectées durant mes recherches, se sont réunies sous mes yeux par évidence » (p. 39). Ici, c’est l’intuition à l’œuvre, qui n’explique pas mais propose et dispose. Elle dit encore, à propos des collages : « Pour suggérer l’écho, la résonance, chaque forte du chant de Jung, signalé par un caractère gras, appelle dans l’ordre celui du chant du Yi King. Ce dispositif rigoureux, très éloigné de la méthode scientifique, veut mettre en valeur le plus justement possible l’étrange familiarité que ressent Jung avec le Yi King » (p. 40). Dans ce même chapitre, l’auteur nous donne encore à voir comment elle laisse se déployer et travailler sa propre intuition en rapprochant les premières illustrations du Rosaire des Philosophes des hexagrammes tirés par Jung pour la préface de 1949. Et le lecteur peut s’ouvrir, accompagner et « se mettre au diapason ».
135Dans les chapitres 3, 4 et 5, elle revient à une rigueur scientifique en proposant une méthodologie comparative qui ne peut, à mon avis, atteindre l’objectif fixé.
136En effet, les trois préfaces étudiées sont extrêmement différentes.
137Dans la préface de 1948 (chapitre 3), Jung semble écrire à contrecœur, par obligation, envers sa traductrice du Yi King et envers Wilhelm ; il parle du Yi King et des tirages de façon très peu claire, n’aborde pas du tout la synchronicité. Finalement, il n’utilisera pas cette préface. Le commentaire qu’en fait N. Pilard est le suivant : « La maladresse (de Jung), trop évidente, nous parle déjà (et seulement) du rapport de Jung avec ses pairs scientifiques » (p. 57). Le chapitre 5 est en rapport avec la préface de 1956 (pour les Collected Works, traduction de Hull). Nathalie Pilard nous donne des exemples de traduction/trahison, où l’esprit scientifique, le désir de logique et de clarté viennent trahir l’intuition et ses obscurités. Ces deux chapitres sont pris dans un champ, une constellation autour de ce que N. Pilard entend comme « la solitude du chercheur et son obligation perpétuelle pour se battre et diffuser ses idées dans un climat de confiance parfois inexistant. » C’est peut-être écho, partage pour l’auteur de ce qu’elle a ressenti du vécu de Jung à certains moments.
138Le chapitre 4, lui, est très différent. Il concerne la préface de 1949 dans laquelle Jung présente de façon claire, sûre et directe le principe de synchronicité, puis décrit l’hexagramme obtenu à la question posée et le dialogue qu’il mène avec le livre personnifié (selon sa façon de faire avec les contenus de l’inconscient). N. Pilard nous donne à voir les “collages” qu’elle fait entre le texte des hexagrammes tirés par Jung et les commentaires qu’il en fait. C’est son intuition à l’œuvre.
139Et c’est bien ce à quoi l’auteur nous invite dans le dernier chapitre. Elle y approfondit la notion d’intuition et relie intuition et synchronicité en nous invitant à partager son écoute et à entrer en résonance dans les dix chants qu’elle nous propose. Lorsque l’auteur laisse chanter, jouer son intuition – comme un instrument de musique –, le langage est rigoureux à sa façon, nourri d’images, de métaphores et d’expressions musicales. Elle sait alors nous faire entendre « l’indicible de l’intuition ».
140Catherine LOVERING
LA PEUR DU FEMININ. Monique SALZMANN. La part Commune, Rennes, 2011. ISBN : 978-2844182340
141Regroupant des textes publiés au fil des années dans les Cahiers jungiens de psychanalyse, La peur du féminin nous confronte à celle que peut en avoir l’homme mais aussi la femme, à des interrogations tant théoriques (notamment sur l’animus, peu travaillé par Jung) que cliniques.
142En théoricienne jungienne, M. Salzmann nous rappelle l’incontournable nécessité de sortir de l’identité inconsciente pour que se constitue l’ombre, première étape vers la différenciation de l’anima comme de l’animus. Mais l’amalgame qu’a fait Jung entre anima et âme entretient, selon elle, une ambigüité lourde de conséquences pour la clinique du féminin. Éternelle question de la femme qui aurait ou non une âme. Reprenant le point de vue de Jung quant au lien anima-fonction inférieure, elle nous invite à l’appliquer à l’animus et à découvrir l’existence d’un « animus sentiment » chez la femme de type pensée ; point de vue original, loin des idées reçues sur l’animus.
143Dans son parcours pour affronter sa peur du féminin, l’homme devra accepter le sacrifice du dur au mou, et, s’il est pris dans un complexe mère devra peut-être, comme Alberto Giacometti l’a trouvé dans ses minuscules figurines précédant ses œuvres les plus connues, créer un symbole vivant entre les pôles alors clivés de l’archétype de la mère.
144La femme contemporaine, quant à elle, avec un collectif qui ne fournit plus les moyens d’opérer la séparation symbolique des sexes, éprouve de grandes difficultés à affronter le monde de l’homme, surtout lorsque la relation de la fille au féminin de la mère s’est faite dans de mauvaises conditions. En rencontrant l’œuvre de Marion Milner et son parcours expérimental au travers des images, M. Salzmann nous interroge sur le masochisme féminin comme désir de se soumettre au non-moi qui animerait la vie intérieure.
145Un parcours riche et varié, un parcours jungien.
146Maryse PAULIN-MAHIEUX
LE LIVRE ROUGE DE JUNG. Cahiers Jungiens de Psychanalyse, n°134, septembre 2011
147Après la présentation au public du Livre Rouge de Jung, au musée Guimet, à Paris les Cahiers Jungiens de Psychanalyse lui consacre leur numéro de fin d’année 2011. Ce « livre objet » tant attendu vient nous y être présenté par certains, pendant que d’autres tentent une approche précautionneuse de ce monument et nous livrent leurs premières réactions.
148Par un entretien avec Bertrand Eveno (éditeur en France du Livre Rouge), une interview par Robert S Henderson, de Murray Stein - qui voit dans ce livre Jung « à la recherche de son âme » - et par un article de Leslie de Galbert nous décrivant la préhistoire, l’histoire et les étapes de la construction de ce monument, nous entrons de plein pied dans sa présentation.
149Les autres articles voient leurs auteurs s’y avancer, chacun sur son chemin. Déjà Murray Stein s’y étonne des nombreuses références à la figure du Christ et trouve que ce livre ouvre la réflexion sur ce que Jung comprend au sujet de Dieu. Balade dans les images pour Dominique Guilbault et Christian Gaillard. La première parcourt une suite particulière d’images dans un choix subjectif et traque ce qui insiste et s’y transforme là pour elle : la question de l’incarnation. A travers certaines images de Livre Rouge, commentées par Jung, à travers la transformation de la figure d’Izdubar et le rapprochement avec l’œuvre contemporaine d’Anselm Kiefer, Christian Gaillard s’interroge sur le rapport pour Jung entre psychologie et religion ; la question de ce rapport se poursuivra, selon lui, dans Réponse à Job.
150Christine Maillard elle aussi, voit dans la portée de la notion « d’à- venir » qui se découvre pour elle, au fil des pages au texte quelque peu prophétique, se profiler une vision jungienne d’un post-christianisme et une conception d’une vie symbolique.
151Laurent Meyer et Nathan Schwartz-Salant s’interrogent sur le processus en cours dans la création du Livre Rouge. En opposition au livre Les Bienveillantes de J Littel (prix de l’Académie française et prix Goncourt 2006) incarnant la fascination de notre époque pour la violence extrême et sa banalisation (réponse au vide laissé par la mort de Dieu ?), Laurent Meyer s’interroge sur le Livre Rouge en tant qu’œuvre d’art et donc recherche d’une parole vraie et créatrice de vie. Le processus escarpé et dangereux que Nathan Schwartz-Salant voit en action dans le Livre Rouge est pour lui, celui là même qui œuvre chez Jung et qui transforme sa fusion avec le soi en relation moi-soi. Le désordre, là expérimenté devient source de transformation.
152Maryse PAULIN-MAHIEUX
TOURS ET DÉTOURS DE LA CRÉATION. Cahiers Jungiens de Psychanalyse n°136, novembre 2012
153Après la parution de l’édition française du Livre Rouge de Jung et du numéro 134 qu’elle lui a consacré, l’équipe des « Cahiers » a choisi de s’attarder sur la question de la création :d’abord avec le n°135, qui reprend en partie certains des exposés présentés lors du colloque organisé en octobre 2011 par la S.F.P.A. « La créativité de l’Inconscient » ; puis avec le n°136, « Tours et détours de la création », qui traite plus spécifiquement de l’artiste et la création.
154Un large panel d’auteurs a participé à ce cahier. La plupart sont psychanalystes dans leur œuvre ; parmi eux, certains s’essayent à la création ; ou s’adonnent à l’art, en rupture avec la pratique analytique mais dans une certaine continuité. D’autres, artistes, rendent compte de leur cheminement en s’adossant à des travaux ou concepts psychanalytiques. D’autres encore, ni artistes ni psychanalystes, rendent compte de la créativité d’auteurs. Tout au long de ce Cahier, en filigrane, se pose la question du renouvellement, de la transformation. Tout aussi bien, il pourrait être lu à travers la grille des fonctions d’adaptation du moi : intuition, sensation, sentiment et pensée. Et encore sous l’angle du rapport de l’image à l’écrit. Et aussi à travers le thème du lien entre art et psychanalyse. Le texte d’une conférence donnée par Jung en 1925, jusque là inédite en français, est présentée : la conférence 7 ; elle fait partie du volume 3 des Séminaires donnés en 1925, qui devraient paraitre chez Albin Michel. Jung, répondant aux questions de ses interlocuteurs, y développe quelques unes de ses idées et remarques sur l’art moderne.
155Phénomène étrange que la création …
156Voici Monique Salzmann qui, à travers ses « Ecritures », se laisse aller à la création littéraire - courte, concise et ô combien efficace [12].
157Voilà Christiane Fonseca, qui, pour faire face au départ précipité et inattendu d’une petite patiente abandonnique, trouve, par l’écriture d’un conte « La vieille dame, l’enfant et l’oiseau », le moyen de travailler en elle la séparation.
158Aimé Agnel est là aussi, qui propose une nouvelle organisation théorique du couple transférentiel - pour lui plus opératoire et en adéquation avec son expérience clinique et personnelle : « Le sextolet du couple ». Réévaluation théorique illustrée, comme à son habitude maintenant, par des œuvres cinématographiques [13] ; ce qui donne à ce travail une vie, un dynamisme, une simplicité dans l’exposé remarquables. A noter aussi un passage sur le féminin de l’homme, qui situe son propos. Tout cela avec un art de la pédagogie qui vaut tous les dictionnaires : les concepts vivent, et, pour des concepts jungiens, voilà qui est plutôt bien venu (« Le sextolet du couple – anima, animus, complexe et archétype »).
159Christian Marnette, dans « Intuition dans le transfert : de la cryptomnésie à l’interprétation », suit le chemin de l’intuition, la sienne, et tente de capter le processus de cette fonction dans le cadre analytique. Ceci sur fond de culture littéraire commune avec sa patiente ; avec un zeste de mystère entourant ces connections interpersonnelles semblant venir d’un autre monde que le nôtre – je veux dire celui qu’on aimerait rationnel et scientifique.
160J’ai eu le vif plaisir de retrouver dans ce Cahier le travail remarquable de Bertrand Eveno, éditeur du Livre Rouge en France, « Les arabesques multicolores », sur la calligraphie et les représentations picturales qui accompagnent le texte de Jung dans le Livre Rouge. Il caractérise les représentations formelles en quatre groupes, fait transparaitre le jeu des opposés à travers les couleurs bleu et rouge, et démontre que, pour lui, ces illustrations du texte se révèlent être représentatives de l’élaboration théorique que Jung entreprendra plus tard tout au long de sa vie. Il a donné dernièrement plusieurs conférences sur ce thème ; on ne peut que regretter le traitement en noir et blanc des illustrations – d’où la nécessité de se référer à l’ouvrage, ce qui en vaut la peine.
161Dans une démarche comparable, Arnaud Barbet-Massin vient rappeler que Victor Hugo ne fut pas seulement un poète et un écrivain, mais également un dessinateur (« Victor Hugo, la créativité libérée »). Comme Bertrand Eveno avec le Livre Rouge », il propose un travail de réflexion autour du lien entre l’écriture et la représentation graphique. Ce que l’image, le dessin, la peinture peuvent « dire », que l’écriture et les mots ne peuvent dire, ou pas encore dire. Cela m’a remis en mémoire le travail de Mariette Mignet sur la réalisation des enluminures [14] au Moyen Age, où le même processus est observé. Sans doute également cela a quelque chose à voir avec cette « autre façon de penser » dont Jung fait état dès la première parution de Métamorphoses et symboles de la libido.
162Comme en écho – c’est le cas de le dire – aux « arabesques multicolores », les « arabesques sonores » de Véronique Beldent (« L’espace sonore analytique et ses arabesques ») entrainent dans le champ musical. Le rythme est envisagé comme organisateur du chaos sonore et archétype de la temporalité en lien avec la motricité. L’auteur questionne la pertinence d’une écoute analytique et « musicale », tente de cerner ses fondements, ses exigences et son potentiel de transformation.
163Du côté des artistes, deux peintres sont interrogés :
- Susan Bostrom-Wong est une psychanalyste jungienne qui a mis fin à sa pratique pour s’adonner exclusivement à la peinture ; elle est interviewée par Michaël Bala, analyste jungien en formation (San Francisco). C’est un évènement vécu qui l’a amenée à la peinture, dans un abandon de cette posture que l’on retrouve chez beaucoup d’entre nous, où l’œuvre d’art est placée dans un champ inatteignable. S’autoriser à peindre, est déjà franchir ce pas. Au cours de l’entretien, elle fait part de cette démarche, des difficultés rencontrées lors de ce choix qui finalement s’est imposé à elle. Le croisement entre la pratique analytique et la peinture est omniprésent. S’abandonner au processus de la création, retrouver des motifs connus de son expérience d’analyste, et comment elle s’adosse sur sa pratique d’analyste pour nourrir sa création, voilà très brièvement résumés les thèmes de cet entretien (« Devenir peintre »).
- Jean-Paul Marcheschi est peintre et sculpteur d’origine corse, interrogé par Dominique Guilbault, notamment au sujet de ses « livres rouges » personnels. La finesse des interventions de cette dernière et la connaissance de son œuvre permet au peintre de se livrer sur sa démarche créatrice et son évolution. Peintre de la sensation, il considère que l’artiste est totalement engagé dans son œuvre. L’entretien permet de dégager ses conceptions et les changements importants dans son œuvre.
- Les « Livres rouges » : compilations de dessins, couleurs ; formes, brutes, sans idée préalable ni recherche de qualité ou de style, jetées sur le papier, reliées et recouvertes de rouge. Le peintre est soutenu par l’idée que cela finira par former un tout, une unité ; il souhaite montrer le travail de la pensée, plutôt que l’œuvre finie (« la pensée de la main », dit-il joliment et justement).
- Le « pinceau de feu », technique toute personnelle avec le feu et la cire, et le travail sur l’obscur. Le processus dans l’œuvre est comparé à celui du rêve, qui mène à l’« arké » – d’où peut survenir le renouvellement et la transformation. Cette démarche le mène, à l’occasion de l’escalade du volcan Stromboli, au « pinceau de feu », pinceau des origines, marquant un tournant dans sa technique – et probablement bien plus que cela (« Les livres rouges, le feu, la nuit »). Je renvoie au livre de Jean-Paul Marcheschi Le Livre du Sommeil - Notes sur la flamme, la peinture et la nuit, éditions Somogy ,2001.
164Viviane Thibaudier s’attarde sur la souffrance chez des patients ayant une fonction intuition introvertie, au détriment de la fonction sensation extravertie. La possibilité d’un changement passe par la reconnaissance de leur souffrance, et la nécessité de lui donner du sens (« La souffrance a-t-elle un sens ? ») Son propos nous amène à réviser vigoureusement la conception des fonctions d’adaptation du moi.
165Marie-Laure Colonna, comme toujours [15], s’intéresse au couple masculin-féminin, à l’évolution du patriarcat dans la culture occidentale - entre autres, à travers les grands rêves des patients (« La fin du patriarcat : pour quelles mutations ? »)
166Claudine GIRAULT
JOURNAL OF ANALYTICAL PSYCHOLOGY - Vol 58 N° 1 – Février 2013
Editorial [Éditorial]
167Dans son dernier éditorial en tant que « Editor in Chief » du « Journal of Analytical Psychology », Warren Colman passe en revue ses cinq années dans ce rôle, en remerciant ses collaborateurs et en rappelant les étapes et les moments forts de son mandat. Il trace le fil de l’histoire de la revue et s’en va en témoignant de la joie qu’il a ressentie d’avoir pu accompagner tant de collègues dans l’élaboration de leurs travaux que le JAP a vu naître. Pour rien au monde, déclare-t-il, il n’aurait manqué cette expérience.
« Temperament and typology » [Tempérament et typologie], De Kesstan Blandin
168Cet article est une intéressante mise en relation d’une étude neuroscientifique récente avec la typologie de Jung. Blandin introduit son propos en notant l’intuition qu’a eue Jung dès 1929 de questionner le lien – non démontrable à l’époque – entre, d’un côté, ce qu’il théorisait des attitudes d’introversion et d’extraversion et, de l’autre, la neurophysiologie, ou la neurobiologie. L’article est centré sur une étude menée par deux neuroscientifiques de l’université de Harvard sur onze années, qui a permis d’établir des liens formels entre le fonctionnement neurobiologique du cerveau (en particulier le système limbique et plus précisément l’amygdale) et le tempérament des sujets suivis pendant ces onze années. Une importante corrélation est remarquée entre les interprétations et les conclusions des deux scientifiques et la théorie de Jung à propos de ces deux types d’attitudes : introversion et extraversion. Blandin souligne l’une des principales difficultés dans la rencontre ou le rapprochement entre la psychanalyse et les neurosciences, à savoir que la subjectivité n’est pas quantifiable. À noter aussi le fait que dans cet article, la discussion sur la typologie se limite aux deux types d’attitudes et ne prend pas en compte les quatre fonctions et leur rapport dynamique et dialectique avec l’inconscient, ce qui est regrettable.
« Ego consciousness in the Japanese psyche : culture, myth and disaster » [La conscience du Moi dans la psyché japonaise : culture, mythe et désastre], De Megumi Yama
169À partir de sa double expérience d’homme biculturel et de psychothérapeute, Megumi Yama explore dans cet article les différences profondes entre la conscience du moi dans les cultures occidentales et orientales. Il explique l’émergence de la conscience du moi oriental à travers une lecture et une interprétation des mythes originaires japonais, la différenciant du moi qui, dans la culture occidentale, émerge bien évidemment tout autrement, d’une autre source. Ses réflexions sur la formation du sujet dans une culture qui valorise autant l’homogénéité, passent par une analyse des relations humaines et en particulier de la solidarité des japonais pendant le désastre de 2011. Il explore ensuite le « rien » au cœur de la psyché japonaise dans un cas clinique qui illustre la manière dont le silence dans les séances d’analyse peut contenir, au lieu d’un vide apparent, les germes d’une conscience émergeante.
« Cognitive aesthetics of alchemical imagery » [Esthétique cognitive de l’imagerie alchimique], De Angela M. Connolly
170Décidément et définitivement post-jungienne, Angela Connolly nous offre une passionnante lecture de l’alchimie dans des dimensions qui dépassent de loin la place originale et originelle dans la psychologie des profondeurs qu’avait donnée Jung à cette « science » à partir de 1928. Elle nous engage à reconnaître la nécessité de prendre en compte l’histoire des images alchimiques ainsi que les techniques esthétiques utilisés dans la production des images, pour dépasser les ‘limites’imposées par la vision qu’avait Jung de l’alchimie. Jung, dit Connolly, n’insistait que sur le contenu des images. Connolly nous montre qu’une approche plus complète des images révèle non seulement leur dimension psychologique mais aussi leurs aspects esthétiques et cognitifs. L’attention prêtée à ces aspects conduit à considérer non seulement le sens que peut avoir le contenu d’une image, mais aussi les « feelings of meaning », les « affects associés au sens ». Lorsqu’elle insiste sur l’importance de considérer l’histoire des images alchimiques à travers des siècles de pratique de cette science, en notant les évolutions de certaines d’entre elles, nous pouvons penser à l’expérience clinique dans nos cabinets lorsqu’un(e) patient(e) vit l’émotion d’une importante prise de conscience et peu après peut déclarer : « mais je savais cela, déjà ! » Nous savons que la nouvelle représentation est le fruit d’un processus inconscient qui produit des images qui ont un même contenu mais une nouvelle forme et qui émergent au sein de la relation transférentielle. Ce n’est qu’un petit exemple des liens que nous pouvons faire entre cet article et notre compréhension de l’alchimie, et la place qu’elle peut prendre dans la pratique analytique. Toutefois, on peut regretter le fait de reprocher à Jung les limites de sa vision de l’alchimie ; il me semble qui la multitude d’écrits récents et amplement cités par Connolly, tout comme et sa propre élaboration dans cet article qui, je répète, est passionnante, s’enracine dans l’ouverture faite par Jung à l’importance de l’alchimie pour la psychologie des profondeurs.
« Nostalgia and lost identity » [Nostalgie et perte d’identité], De Elena Pourtova
171À partir de débats sur la nostalgie dans la littérature philosophique et psychanalytique, Elena Pourtova porte un regard sur un certain vécu nostalgique chez les russes pendant la période soviétique qu’a connue leur pays. D’un certain point de vue, dit l’auteur, les russes peuvent être considérés comme des immigrés dans leur propre pays ; certains d’entre eux vivraient dans la nostalgie du pays « quitté », ou du pays « perdu ». La nostalgie a plusieurs facettes et selon le regard que l’on lui porte, elle peut être soit « une régression défensive vers le passé, soit un effort de progression vers une totalité en se reconnectant avec ce qui a été perdu au service d’une plus grande intégration ». Un cas clinique éclaire cette réflexion riche et profonde.
« ‘Black holes’ : escaping the void » [‘Trous noirs’ : échapper au vide], De Sharn Waldron
172En empruntant comme métaphore le ‘trou noir’ de l’astrophysique pour décrire le monde psychique des individus ayant subi un trauma complexe dans les débuts de la vie, Sharn Waldron explique d’abord que le ‘trou noir’, au lieu d’être un vide absolu d’inertie, émet un champ de particules créant de la chaleur qui modifie la nature même du ‘trou’. Le ‘trou noir’ psychique chez certains individus est créé par une absence de l’objet, l’objet-mère, avec comme conséquence une absence d’objet interne et une incapacité pour l’enfant à se développer. À travers l’exposé d’un cas clinique fort intéressant, Waldron démontre la manière dont l’analyste, au sein du transfert, peut « absorber les projections » du patient et ainsi réanimer le noyau non-développé du soi qui était jusqu’alors emprisonné dans le ‘trou noir’. Celui-ci, dit l’auteur, peut être une « réponse créative à une situation insoluble ; en tant que tel, il n’est ni une solution ni un dysfonctionnement mais plutôt une réponse temporaire reconnue pour son génie malgré ses imperfections ».
« Trauma and the transference-countertransference : working with the bad object and the wounded self » [Trauma et la relation transférentielle : travailler avec le mauvais objet et le Soi blessé], De Marcus West
173Dans cet article, Marcus West expose en profondeur le cas clinique d’une femme ayant vécu dans l’enfance le traumatisme d’abus sexuel de la part de son père. Son exposé et l’analyse du cas s’appuient sur une impressionnante lecture compréhensive de la littérature psychanalytique et psychothéra-peutique concernant le travail avec les victimes d’abus, en particulier d’abus sexuel, dans la petite enfance. Ses propos se centrent tout au long de l’article sur la dynamique du transfert-contretransfert. West note d’emblée la nécessité d’aller au-delà de l’aspect « victime » de l’expérience du trauma pour pouvoir aborder la nature « duelle » du complexe et du traumatisme tel qu’ils sont vécus et exprimés, l’élément duel étant aussi bien l’aspect passif, traumatisé de « victime » que l’aspect agressif d’abuseur de l’agresseur. Très tôt, comme défense vitale, la victime aura clivé ces deux aspects, et celui dit agressif de l’abuseur aura été refoulé, (dé)nié et projeté. Il décrit le trauma comme une violation du « core self » ou « noyau du Soi », et l’assimile à un « meurtre de l’âme ». Après avoir exposé plusieurs niveaux des dynamiques psychiques en jeu et leurs intrications intra- et inter-psychique (au sein du transfert-contretransfert), West conclut avec une réflexion sur des considérations éthiques dans le travail avec ces patients, et quelques mots autour de l’attitude analytique.
174Leslie de GALBERT
THE INTERACTIVE BRAIN HYPOTHESIS. Ezequiel Alejandro Di Paolo & Hanne De Jaegher. Frontiers in human neuroscience, 7 juin 2012
175Ezequiel di Paolo et Hanne De Jaegher sont professeurs au département de logique et philosophie de la science à l’Université Basque de San Sebastian (Espagne) et au département de neurosciences computationnelles et robotiques de l’Université de Sussex (Grande Bretagne). Ils ont évidemment une formation de neuroscientifiques cognitivistes mais ils ont vite adopté le point de vue de l’énaction forgé par Varela, Thompson et Rosch en 1993(L’inscription corporelle de l’esprit, Paris, Seuil).
176Dans ce livre les auteurs montrent comment le cognitivisme s’est profondément transformé avec le connexionnisme. « En simplifiant […] on peut dire que le cognitivisme consiste en l’hypothèse selon laquelle la cognition — humaine comprise — est la manipulation de symboles à la manière des ordinateurs digitaux. » (Varela, 1993, p. 32) (il faut ici préciser que la notion de symbole des cognitivistes se rapproche de celle de signe pour les psychanalystes). Le connexionnisme postule, quant à lui, que le traitement des symboles est distribué. Il y aurait ainsi « un grand nombre de composants simples qui, quand ils sont connectés selon des règles appropriées, donnent lieu à un comportement global correspondant à la tâche désirée. » (Varela, 1993, P.34). Le présupposé d’un monde donné dont l’esprit serait à même de se construire des représentations est ici conservé, mais le comportement qui résulte de ces traitements parallèles est appréhendé comme une émergence. Au niveau neurologique cette approche s’adosse sur la notion de réseaux distribués, c’est-à-dire l’idée que chaque traitement cognitif implique de nombreuses structures cérébrales qui travaillent de concert.
177En proposant leur notion d’énaction, Varela, Thompson et Rosch ont déplacé le traitement cognitif du seul cerveau à l’interaction de l’individu avec son environnement. Ici la représentation que le sujet se construit du monde est appréhendée comme agissant rétroactivement sur la perception que le sujet en a, de telle sorte que l’émergence ne concerne plus seulement la représentation du monde et le comportement du sujet, mais le monde lui-même qui co-émerge avec la représentation que le sujet s’en fait. Pour l’énaction la complexité interne du cerveau est en interaction complexe avec le monde et sa perception. Il n’y a plus de différence radicale entre le sujet et l’objet.
178Di Paolo et de Jaeger précisent : « L’idée principale de l’approche énactive est que la cognition n’est pas exclusivement déterminée par les processus neurologiques, mais implique que ces processus soient incarnés au sein d’un corps vivant, lui-même incarné au sein d’un monde. » (Traduction personnelle)
179Et ils poursuivent cette hypothèse encore plus avant, en l’appliquant au monde des relations sociales, et en posant l’hypothèse que les activités du cerveau sont modulées par les interactions complexes avec son environnement humain, que ce soit durant son développement ou au quotidien de ces relations.
180L’activité cérébrale est, selon cette hypothèse, interconnectée avec celle de ceux avec qui l’individu est en relation. Mais cette hypothèse va plus loin, puisqu’elle pose que ces interrelations modifient les dynamiques neuronales non seulement durant ces interactions, mais aussi en leur absence. Nous retrouvons là, de mon point de vue, une forte parenté avec la notion d’objets internes de la psychanalyse, et aussi avec le transfert comme processus impliquant les deux protagonistes de la cure et susceptible d’entraîner des modifications de l’un et de l’autre, c’est-à-dire le transfert tel que Jung l’aborde.
181Si depuis quelques années de plus en plus de publications de neuroscientifiques laissent imaginer qu’à terme des ponts solides pourront être construits entre la psychanalyse et les neurosciences, cet article est le plus avancé de tous ceux que j’ai pu lire en la matière, et il semble confirmer que l’étude du fonctionnement cérébral et cognitif est susceptible de déboucher sur un rapprochement de plus en plus profond avec la psychanalyse.
182François MARTIN-VALLAS
Notes
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[1]
P. 22. C’est moi qui souligne.
-
[2]
P. 29 note 3. C’est moi qui souligne.
-
[3]
C’est moi qui souligne.
-
[4]
P. 50. C’est moi qui souligne.
-
[5]
Dictionnaire Jung, sous la direction d’Aimé Agnel, Ed. Marketing, Ellipses, Paris, 2008.
-
[6]
Je me réfère ici à des témoignages de peintres ou d’écrivains qui expriment la nécessité intérieure qui les pousse, quasi malgré eux, à sortir ce qui est en eux, qu’ils ignorent jusqu’à ce qu’ils puissent le découvrir.
-
[7]
Bion, 1978, p. 206/207, cité par Ogden p. 128
-
[8]
C.G. Jung, Le Livre Rouge, Edition établie, introduite et annotée par Sonu Shamdasani, L’iconoclaste / La compagnie du Livre Rouge, Paris 2012, note 165 p. 205.
-
[9]
Cf. note 2.
-
[10]
Ce qui me parait également pouvoir être mis en parallèle avec le domaine des mathématiques au regard de celui des sciences dites expérimentales.
-
[11]
P. 134 note 1.
-
[12]
Monique Salzmann, membre honoraire de la SFPA, a publié Pourquoi la mythologie, éditions La Part Commune, Rennes, 2006, ainsi que La peur du féminin chez le même éditeur.
-
[13]
Aimé Agnel a publié entre autres : L’homme au tablier – le jeu des contraires dans les films de Ford aux éditions La Part Commune, 2002, et Hitchcock et l’ennui – une psychologie à l’œuvre aux éditions Ellipses, 2011
-
[14]
La matière de l’œuvre : sublimatio, Cahiers jungiens de psychanalyse n° 121, 2007 : Le génie alchimique
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[15]
L’aventure du couple aujourd’hui (2007), éditions Dervy, Paris