Notes
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[1]
« Elle était un centre, un lieu de camaraderies ; de haines aussi, groupement plus solide ; quelque chose comme une patrie », Catulle Mendès, La Première Maîtresse, Paris, Charpentier, 1887, p. 91.
-
[2]
Ibid., p. 91, p. 92.
-
[3]
Ibid., p. 91.
-
[4]
Ibid., p. 92.
-
[5]
Élisabeth Pillet, Marie-Ève Thérenty (dir.), Presse, chanson et culture orale au xixe siècle : la parole vive au défi de l’ère médiatique, Paris, Nouveau Monde éditions, 2012.
-
[6]
Émile Goudeau, Dix ans de bohème, Paris, À la librairie illustrée, 1888, p. 9.
-
[7]
Ernest Raynaud, La Mêlée symboliste I. (1870-1890), Portraits et souvenirs, Paris, 1920-1922, p. 4.
-
[8]
Ibid., p. 4.
-
[9]
Ibid., p. 5.
-
[10]
Daniel Grojnowski, Au commencement du rire moderne. L’esprit fumiste, Paris, Corti, 1997, p. 88.
-
[11]
Daniel Grojnowski, « Laforgue fumiste : l’esprit de cabaret », Romantisme, n° 64, 1989, p. 7.
-
[12]
Leur multiplication anarchique a pu faire parler de « groupisme » chez les historiens de la sociabilité artiste, notamment Anthony Glinoer et Vincent Laisney qui utilisent le terme pour qualifier l’éclatement de la forme du « cénacle » à partir de 1870. Anthony Glinoer, Vincent Laisney, L’Âge des cénacles. Confraternités littéraires et artistiques au xixe siècle, Paris, Fayard, 2013. Vincent Laisney y revient dans « Cénacles et cafés littéraires : deux sociabilités antagonistes », RHLF, vol. 110, 2010/3, p. 563, p. 588.
-
[13]
Laurent Tailhade, Quelques fantômes de jadis, Paris, Albert Messein, 1912, p. 6.
-
[14]
Selon le titre de l’ouvrage de Verlaine paru pour la première fois en 1884.
-
[15]
Léon Bloy, Belluaires et porchers, Paris, Tresse et Stock, 1905, p. XIX.
-
[16]
Éléonore Reverzy, Portrait de l’artiste en fille de joie, Paris, CNRS éditions, 2016.
-
[17]
Willem Gertrud Cornelis Byvanck, Un Hollandais à Paris en 1891. Sensations de littérature et d’art, préface d’Anatole France, Paris, Perrin et Cie, 1892. Dans cette description du Paris artiste, le terme est convoqué pour qualifier les conversations sur des sujets touchant à l’esthétique, les brillants conversationnistes y sont appelés « causeurs ».
-
[18]
Sur l’importance de ce sujet signalons la thèse en cours de Sandrine Carvalhosa Martins « La causerie au xixe siècle : les voix d’une écriture médiatique » sous la direction de Corinne Saminadayar-Perrin.
-
[19]
Jean Ajalbert, Mémoires en vrac au temps du symbolisme 1880-1890, Paris, Albin Michel, 1938, p. 191.
-
[20]
Un temps, Barbey d’Aurevilly pensa intituler Les Diaboliques « Ricochets de Conversation ». Sur l’étude de l’oralité chez cet auteur citons, entre autres travaux, Marie-Christine Natta « La conversation de Barbey d’Aurevilly », Littérature, n°58-59, 2008, p. 153-164 ; Gilles Negrello, « De la parole au livre », Revue des Lettres modernes, n° 18 « Sur la critique », 2004, p. 12-34 ; Vigor Caillet, « Le roman comme art oratoire », Écritures de l’hybride et de l’excès dans l’œuvre romanesque de Barbey d’Aurevilly, Paris, Honoré Champion, 2013, p. 27-104.
-
[21]
Jean Ajalbert, Mémoires en vrac au temps du symbolisme 1880-1890, ouvr. cité, p. 192.
-
[22]
Ibid., p. 192.
-
[23]
Laurent Tailhade, Quelques fantômes de jadis, Paris, L’Édition française illustrée, 1920, p. 143.
-
[24]
Pour nuancer l’ésotérisme du culte mallarméen, Patrick Thériault appelle à faire la part de « communication publicitaire » chez le poète. Les mardis seraient au cœur d’une « stratégie communicationnelle fondée non sur la communication et l’amplification, mais sur une raréfaction méticuleusement contrôlée de l’information ». Voir Patrick Thériault, « Le 89 rue de Rome : à l’enseigne du secret. Une mise à profit moderne d’un mode de communication à caractère initiatique », Romantisme, 2012/4, n° 158, p. 70.
-
[25]
Laurent Tailhade, Quelques fantômes de jadis, ouvr. cité, p. 145.
-
[26]
Camille Mauclair, Servitude et grandeur littéraires, Paris, Ollendorff, 1922 [6ème édition], p. 7.
-
[27]
Depuis les travaux de Pierre Jourde et de Jean de Palacio, le « silence » est identifié comme un thème central de la poétique fin de siècle. Voir Pierre Jourde, L’Alcool du silence. Sur la Décadence, Paris, Champion, 1994 ; Jean De Palacio, Le Silence du texte. Poétique de la décadence, Paris-Louvain, Peeters, 2003.
-
[28]
Dans L’Art en silence Mauclair écrira que « Mallarmé nous donna maintes fois l’impression haute de l’âme de Socrate, dont Verlaine nous évoquait le visage ». L’Art en silence, Paris, Ollendorff, 1901, p. 84. Han Ryner, commentant le livre de Mauclair, parle quant à lui de « Socrate sans familiarités ». Han Ryner [Jacques Elie Henri Ambroise Ner], Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres aujourd’hui, Paris, Société parisienne d’édition, 1904, p. 277.
-
[29]
Camille Mauclair, Servitude et grandeur littéraires, ouvr. cité, p. 75.
-
[30]
Ibid., p. 84.
-
[31]
Ibid.
-
[32]
Laurent Tailhade, Quelques fantômes de jadis, ouvr. cité, p. 143, p. 144.
-
[33]
Jean-Nicolas Illouz, « "Sur le nom de Paphos" : Mallarmé et le mystère d’un nom », dans La littérature symboliste et la langue, sous la direction d’Olivier Bivort, Paris, Classiques Garnier, 2012, p. 93.
-
[34]
De Delfel à Genette, nombreux sont les critiques qui ont souligné le « cratylisme » de Mallarmé. Dans « Mallarmé traducteur ou le contresens heuristique », Pierre Gobin commente la complémentarité de l’écriture et de la Parole chez le poète. « Les rapports mutuels de la « Parole » et de l’« Écriture », et la relation spécifique de chacune de ces manifestations du « Langage », l’une au son, l’autre au geste (dont Mallarmé rappelle plus loin l’insertion physique et physiologique) renvoient ainsi à un rapport des mots et des choses. Si ce rapport inhérent doit être « créé » (par l’écriture, à la fois invention et arabesque, et par la lecture, à la fois déchiffrement et modulation), il est nécessaire et originel (Pierre Gobin, « Mallarmé traducteur », TTR : traduction, terminologie, rédaction, vol. 2, n° 2, 1989, p. 143) ». Dans une logique cratylienne, le son fait office de lien entre le mot et la chose. C’est lui qui « imite » la chose avant de se fixer en signe. Revenir au son revient à remonter à l’origine du signe. Les recherches sur l’oralité ont pu relever de ce type de logique.
-
[35]
Stéphane Mallarmé, « Avant-dire », Traité du Verbe de René Ghil, Paris, Alcan Lévy, 1887, p. 8.
-
[36]
Charles Baudelaire, Le Peintre de la vie moderne, Œuvres complètes, t. III, Paris, Calmann Lévy, 1885, p. 69.
-
[37]
À propos de ce souci de conservation des manifestations de l’oralité, on peut également noter l’invention du « Paléophone » par Charles Cros, ancêtre de notre actuel phonographe.
-
[38]
Émile Goudeau, Fleurs du bitume. Petits poèmes parisiens, Paris, Ollendorff, 1885, p. 3.
-
[39]
Comme a pu l’être la bohème romantique, souvent caricaturée sous les traits d’une bohème à la pauvreté tapageuse, mais gaie (Francisque Sarcey, Le Mot et la Chose, Paris, coll. « Bibliothèque contemporaine », 1863, p. 20, p. 30).
-
[40]
Émile Goudeau, Fleurs du bitume, ouvr. cité, p. 83.
-
[41]
Extrait de lettre de Jehan Rictus [Gabriel Randon] citée par Léon Bloy dans Les Dernières Colonnes de l’Église, Paris, Mercure de France, p. 189, p. 190.
-
[42]
Robert de Souza, La Poésie populaire et le lyrisme sentimental : études sur la poésie nouvelle, Paris, Mercure de France, 1899 [2e édition], p. 31.
-
[43]
Ibid., p. 28.
-
[44]
Ibid., p. 47.
-
[45]
Ibid., p. 53.
-
[46]
Ibid., p. 44.
-
[47]
Ibid., p. 58.
-
[48]
Ibid.
-
[49]
Théorie de la « révélation » du langage exposée par Bonald dont la formule « l’homme pense sa parole avant de parler sa pensée ». On trouve la remise en cause de cette révélation au nom de sa création spontanée chez Renan notamment, qui adopte cette dernière théorie dans la seconde préface de son Origine du langage, appelant à prendre cette révélation dans un sens moins « littéral ». Voir Ernest Renan, De l’origine du langage, Paris, M. Lévy frères, 1858 [2e éd.], p. 80-81. Sur le foisonnement conceptuel qui accompagne la question des origines du langage au xixe siècle, voir Sylvain Auroux « Les embarras de l’origine des langues », Marges linguistiques, n°11, mars 2006, p. 58-92.
-
[50]
Jules de Gaultier, « Essai de physiologie poétique », La Revue blanche, mai 1894, cité dans Revue Blanche 1-30 (1891-1903), Genève, Slatkine reprints, 1ç68, p. 396.
-
[51]
Ibid., p. 397.
-
[52]
Ibid.
-
[53]
Ibid. Malgré l’analyse « physiologique » de Jules de Gaultier, on ne peut s’empêcher d’y voir une référence à Rousseau. À la fois parce que les passions sont, comme chez Robert de Souza, à l’origine du langage, mais aussi parce que ces théories posent l’hypothèse d’une musicalité primordiale qui précéderait sa formation, hypothèse qu’alimentent ici les recherches symbolistes sur le rythme.
-
[54]
Léon Bloy, « Le mot », Sueur de sang, Paris, Dentu, 1893, p. 326.
-
[55]
« Il avait une espèce de voix de buccin, assez semblable à son style monstrueusement oratoire et calculé, semblait-il, pour la vocifération. Il lisait mal, comme il convient à tout prophète. Houleux et tumultuaire, ce vaticinateur déchaîné était plein de sanglots, de catafalques et de huées », Léon Bloy, Le Désespéré, édition de Pierre Glaudes, Paris, Flammarion, coll. « GF », 2010, p. 342.
-
[56]
Léon Bloy, Exégèse des Lieux Communs, Paris, Mercure de France, 1902, p. 8.
-
[57]
Adjectif qu’il applique au style de Mallarmé et de Verlaine dans un chapitre où il note la nostalgie paradoxale des auteurs contemporains écrivant que : « chez les uns, c’est un retour aux âges consommés, aux civilisations disparues, aux temps morts ; chez les autres, c’est un élancement vers le fantastique et vers le rêve, c’est une vision plus ou moins intense d’un temps à éclore dont l’image reproduit, sans qu’il le sache, par un effet d’atavisme, celle des époques révolues » (Joris-Karl Huysmans, À rebours, Paris, Gallimard, 1977, p. 321, p. 298).
1En 1887, dans La Première Maîtresse, Catulle Mendès met en scène la bohème de son temps. Il y présente deux personnages, Straparole, le bien nommé, poète plein d’une verve débordante, et Jean Morvieux, alias Léon Bloy, écrivain cynique et tonitruant qu’il décrit comme le type de l’écrivain de Brasserie. Mendès dépeint la « Brasserie [1] » comme le lieu par excellence de la sociabilité artiste des années 1880, un lieu qui dessine les contours d’une société particulière, celle des auteurs qui ne vendent pas : « on ne s’y montrait plus, dès qu’on avait conquis la gloire [2] », écrit Mendès pour décrire les exigences de ses habitués. En effet, ce lieu bruyant, mêlant « cris et paroles [3] », ne supporte pas le passage à l’écrit, témoignant de la vitalité d’une bohème qui tolère mal la sacralisation par le papier. Jalousie ou conviction, la « Brasserie » de cette époque rejette le livre et compense, par sa parole débordante, les infidélités de la gloire. « Il parlait encore et toujours, parce qu’il ne pouvait pas écrire [4] », constatera le romancier à propos de ces écrivains sans éditeur qui cherchent réparation dans les ressources de l’oralité.
2Comme le notent Élisabeth Pillet et Marie-Ève Thérenty dans Presse, chanson et culture orale [5], les années 1880 se caractérisent par une résurgence de l’oralité. Le phénomène se traduit notamment par la création de « cabarets artistes », dont le plus connu reste le Chat noir. Ce regain, notable dès la décennie 1870, a pu être expliqué de diverses manières. Émile Goudeau cherchera à en analyser les causes dans Dix ans de bohême :
Écrire une tragédie dans un coin sombre, semble être aujourd’hui le dernier mot du crétinisme. Les directions du théâtre sont archicloses aux inconnus ; d’autre part les salons ont perdu beaucoup de leur ancienne influence ; il faut donc, en une ville telle que Paris, descendre dans la foule, se mêler aux passants, et vivre, comme les Grecs ou les Latins sur l’agora et le forum [6].
4Goudeau attribue le retour de l’oralité à la saturation du marché du livre. Au lendemain de la guerre de 1870, la jeune génération trouve porte close. Elle se tourne alors vers d’autres moyens pour faire connaître sa production : la place publique. Elle renoue ainsi avec un mode de diffusion traditionnel dans les milieux littéraires, la lecture, qui est une façon de faire connaître ses écrits : avant publication pour essayer son texte, trouver un éditeur, après pour le diffuser. Mais il ne s’agit pas uniquement de pragmatisme : Ernest Raynaud constate vers cette même époque un renouveau du lyrisme. Une partie de la jeune génération remet en question le modèle parnassien, jugé « didactique [7] », relevant d’un travail privilégiant la « ciselure, le relief, la couleur [8] ». C’est un modèle monolithique contre lequel Verlaine convoquera l’art « soluble » de Romances sans paroles. On lui préfère l’impressionnisme et le modèle musical, la pratique des « arts vivants » qui s’opposerait à l’« indifférence et l’impassibilité [9] » du Parnasse, à un détachement qui ne serait plus de mise après la Commune. Ce retour à des sources orales accompagne la critique du matérialisme, notamment économique, critique à laquelle n’échappent pas le livre et l’écrivain de métier.
Tapages ?
5Le chant (Lautréamont), le soliloque (Jehan Rictus), la complainte (Laforgue), le monologue (Charles Cros) montrent assez la résistance d’un modèle oral sur la fin de siècle. Daniel Grojnowski a consacré une partie de ses travaux à démontrer l’importance matricielle de la « profération orale [10] ». Il y revient dans un article intitulé « Laforgue fumiste : l’esprit de cabaret », insistant sur l’importance de l’oralité à une période qu’on aurait trop tendance à étudier au prisme du « spiritualisme symboliste ». Il rappelle que la plupart des productions de l’époque « proférées sans être publiées […] découlent des conditions de la production en salle publique : elles se savent éphémères, elles visent à la communion immédiate [11] ».
6En effet, on voit fleurir à cette période des lieux et des modes de sociabilité nouveaux [12]. Le Procope, le Soleil d’Or, le François Ier et bientôt le Chat noir accueillent une nébuleuse de jeunes artistes. Les disciples de Verlaine, « gens altérés de gloire et de boissons fortes : pierreuses en cheveux, éphèbes dépourvus de linge, péripatéticiens aux ongles noirs [13] », forment un groupe hétérogène où « Bibi-la-purée » tutoie Robert de Montesquiou. Ces modes de sociabilités trouvent leur cohésion dans un rejet des écrivains à tirage et une commune admiration pour le sacerdoce de l’écrivain pauvre : c’est le temps des « poètes maudits [14] ». Comme l’analyse Léon Bloy, les écrivains industriels sont des « porchers de la littérature » « dont le cœur est une pierre d’évier et le cerveau un trottoir pour les idées publiques [15] ». Éléonore Reverzy a décrit la façon dont certains écrivains considéraient l’entrée du livre dans une logique mercantile comme une prostitution [16]. De ce fait, accéder à la gloire de la publication éveille la méfiance. L’écrit devient suspect. Se délestant du papier, on en revient à l’honnêteté de la « place publique » et à l’art sans prétention du cabaret. L’oralité se substitue à la communication à distance et l’entre-soi artiste à l’anonymat du livre.
7Les manifestations orales de cette époque ont souvent été discréditées pour leur exubérance. Elles exprimeraient une revendication rageuse et bien souvent désordonnée. Le cabaret serait un lieu bruyant, ses productions appartiendraient au folklore fin de siècle. En cela fort différent du hiératisme qui entourerait les expérimentations symbolistes sur le Verbe, son bouillonnement anarchique traduirait les derniers feux d’une bohème tapageuse. Or on sait que le symbolisme est une nébuleuse bien difficile à délimiter. Si ce constat est vrai quand il s’agit d’isoler des groupes, il l’est encore plus quand il est question d’en définir les pratiques. Pourtant l’oralité, bien plus répandue qu’on ne le croit, enjambe les frontières assignées aux écoles.
Les causeurs
8Une caractéristique semble unifier la scène littéraire de l’époque : une même admiration pour la profération orale, qu’elle soit sacrée ou profane, qu’elle fasse l’objet d’un culte, donne lieu à une performance de cabaret ou qu’elle soit simple conservation. En effet, sous la Troisième République, ce sont les « causeurs » qui suscitent l’admiration et font le piquant des réunions littéraires. Le livre de W. G. C. Byvanck, Un Hollandais à Paris en 1891, qui explore la scène artistique parisienne à la fin du siècle s’ouvre sur une « causerie [17] ». Le terme, popularisé par les Causeries du Lundi de Sainte-Beuve, connaît un formidable succès au xixe siècle. Désignant à l’origine une conversation familière, le verbe « causer » devient extrêmement courant à cette époque dans les milieux artistes [18]. Il sert à caractériser une conversation sur une question d’esthétique, mais convoque également les sèmes de la camaraderie littéraire et du dilettantisme. La causerie se comprend comme l’envers de la discussion sérieuse, comme un échange débarrassé de ses ambitions livresques, rendu au plaisir de l’improvisation. Elle est un art en soi qu’on admire pour ses qualités plastiques.
9Jean Ajalbert donne un portrait d’un de ces brillants « causeurs » dans Mémoires en vrac au temps du symbolisme. Aux côtés de Barbey d’Aurevilly, « le plus étonnant, causeur de ce temps [19] », il dépeint Villiers de l’Isle-Adam. La caractéristique de l’esthétique de Villiers réside dans un art total. Mariant le geste et la voix, c’est d’abord son éloquence qui frappe les contemporains. Mais contrairement à Barbey d’Aurevilly qui a traduit une grande partie de ses talents conversationnels dans son œuvre [20], la postérité a perdu « cette flamme qui brûlait en lui, dont il incendiait, illuminait ses auditeurs [21] ». Il ne subsiste dans les livres de Villiers que de « minces filons » du « génie [22] » de l’artiste que l’écriture n’a pas su entièrement retenir.
10Aussi a-t-on cherché à en conserver la mémoire, comme en témoigne la multiplication à cette époque des livres sur la vie littéraire. Alors que Jules Vallès, Camille Mauclair, Gustave Guiches, Léon Bloy, Catulle Mendès lui consacrent romans et essais, Le Vice suprême de Péladan ou Là-bas de Huysmans en transcrivent des scènes. Les Goncourt, Jules Renard, Paul Léautaud, l’éditeur Paul-Victor Stock enregistrent des conversations dans leurs journaux, comme le fera Émile Goudeau dans Dix ans de bohème, ou encore Jean Ajalbert, Ernest Raynaud Gustave Kahn pour ne citer qu’eux. En effet, par-delà les différences entre les sensibilités littéraires s’exprime un souci commun de retenir le caractère éphémère de la parole.
11L’importance de l’oralité se dévoile parfois chez des auteurs plus inattendus. C’est le cas de Stéphane Mallarmé. Mallarmé fait partie de ces « causeurs plus exquis, plus varié, plus fécond en trouvailles [23] » que décrivent les participants de ses mardis de la rue de Rome [24]. Ses invités se sont efforcés de traduire la magie de sa conversation insistant sur son éloquence, sa gestuelle, la beauté de sa voix, voyant en lui « un héritier avantagé des Rivarol, des Chamfort, de ces maîtres qui faisaient tenir en un mot la substance d’un livre et poussèrent l’art de causer dans son intégrale perfection [25] ».
12Camille Mauclair note une contradiction inhérente à la démarche artistique de Mallarmé. Le poète serait pris entre un désir de communication, de transmission de son savoir et la « stérilité apparente de son secret martyre de poète extatique préférant se taire à n’être point parfait [26] » : Mallarmé, poète du silence [27] certes, mais aussi « Socrate [28] » pour toute une génération qui recueillera son enseignement. Dans Servitude et grandeur littéraires, Mauclair évoquera le « causeur incomparable dont la parole rêveuse et lumineuse ne se retrouvera pas [29] ». Pour ce disciple de Mallarmé, cette perte est « capitale [30] ». Mallarmé trouvait dans l’oralité un débouché pour son enseignement, « car cet homme dès qu’il écrivait était torturé de scrupules [31] ». L’hermétisme de la poésie mallarméenne et la limpidité de sa conversation sont deux faces d’une même pratique qui semblent pourtant inséparables pour ses contemporains :
En mots vivants, précis, diaphanes, exacts et lumineux, en phrases limpides comme le cristal, d’une voix sourde et qui par instant, faisait songer au timbre de Villiers, sans fatigue ni trêve, il déroulait, trésor infini, ses nobles paradoxes. Il formulait une sagesse rare, une philosophie élégante et dédaigneuse, en axiomes imprévus. Son éloquence tout d’abord, surprenait par sa clarté [32].
14Jean-Nicolas Illouz a souligné la dimension énonciative de la démarche artistique de Mallarmé rappelant que la « conversation » a pu être chez lui un « champ d’expérimentation privilégié [33] ». En effet, que ce soit sous forme de toast ou de conférence, d’oraison ou d’hommage, la performance orale fait partie intégrante du rapport de Mallarmé à la littérature [34]. Dans sa préface au Traité du verbe de René Ghil, Mallarmé décrit un « double état de la parole, brut ou immédiat ici, là essentiel ». À côté de l’« idée rieuse » et de la « notion pure » persiste une dimension « incantatoire [35] » du langage. Cette dimension n’est pas absente des réflexions symbolistes sur le statut de l’oralité.
Retour aux sources du lyrisme
15L’idée de préserver le paysage sonore contemporain semble en effet distinguer la démarche de bien des écrivains de la fin de siècle. Si l’intention de Baudelaire de fixer « cet élément transitoire, fugitif dont les métamorphoses sont si fréquentes [36] » concernait les aspects visuels de la vie moderne, on note également un regain d’intérêt pour ses manifestations sonores. La modernité inspire aux poètes de scruter le réel, mais aussi d’en reproduire la musique [37]. Cette intention semble tout d’abord trouver son origine dans une volonté d’en sauvegarder l’expression populaire. C’est ce dont témoigne le premier recueil de vers du jeune Émile Goudeau intitulé Fleurs du bitume. Si les vers de jeunesse du chef de file des Hydropathes sont relativement classiques, on y perçoit la volonté du poète de trouver l’inspiration dans la rue « seule souveraine [38] ». Mais il ne s’agit plus seulement de faire pittoresque. À partir des années 1870, la bohème cesse d’être insouciante et de chanter les vertus naïves du dénuement. La misère n’est plus un accessoire de la vie d’artiste [39]. En conséquence, on abandonne l’idée de dépeindre une pauvreté haute en couleur pour opérer une saisie de l’intérieur. On cherche alors à capter les manifestations fragiles du paysage visuel et sonore toujours menacées par le silence, comme la « musique naïve/qui monte du pavé des cours,/romance traînarde et plaintive,/ou pauvre chanson maladive/qu’un aveugle crie à des sourds [40] ». Si le débat sur les parlers populaires et notamment la valeur de l’« argot » traverse le xixe siècle porté par les préoccupations romantiques, on constate une résurgence de ces questions sur la fin de siècle, notamment en raison de l’usage qu’en fait le naturalisme.
16En effet, certains artistes comme Jehan Rictus cherchent à se démarquer de la démarche d’Émile Zola. C’est d’abord la musicalité d’une langue simple, d’un langage brut que s’essaie à trouver le poète. La langue orale est avant tout source de lyrisme :
Comment ! je ne respecte pas la langue, moi qui ai l’âpre besoin de revenir à sa source, à sa saveur raide et naïve ! Ceci n’a rien à voir avec la blennorrhagie zolaïque, sapristi ! Certes, j’ai écouté la musique des conversations faubouriennes, si terriblement gouailleuses, si résignées ! C’est une longue chanson dolente, toujours par strophes de 6, 7, 3 ou 8 vers, et ces vers sont toujours octosyllabiques : c’est-à-dire la coupe même et la verve des vieux poètes de l’Île-de-France [41].
18Les recherches sur la langue populaire servent au renouvellement du vers et elles alimentent un travail sur le rythme. La fin de siècle se caractérise par le refus d’un usage purement pittoresque du langage populaire. Bien au contraire, la démarche artistique est menée par une logique essentialiste. Dans La poésie populaire et le lyrisme sentimental Robert de Souza cherche à retrouver les voies d’un lyrisme authentique dans un siècle où la poésie a été galvaudée par des recherches savantes. Sa conception passe par un retour à la poésie populaire. Il fait la distinction entre lyrisme folklorique et lyrisme vrai, critique Lamartine et Brizeux pour avoir « tendance à confondre ce qui inspire des motifs champêtres avec l’accent même de la spontanéité populaire [42] ». Pour le commentateur, ce sont les poètes actuels qui ont su retranscrire le « sens vrai et simple des choses [43] », non pas en pratiquant une poésie thématique qui parlerait du peuple et de la nature, mais par le biais d’une démarche poétique qu’il nomme « expression directe [44] » : une manifestation non médiatisée du sentiment dont Verlaine serait le grand représentant. On quitte alors une conception imitative de l’oralité pour rejoindre une perspective ontologique. Cette évolution prendra appui sur les recherches des poètes symbolistes, seuls capables de revenir aux sources du langage en entrant en résonance avec leur « lyrisme intérieur [45] ».
19En conséquence, Robert de Souza distingue deux types de poète, le « poète traditionnel », celui des chansons et ballades, et le « poète novateur », celui des expérimentations musicales sur le verbe :
Les poètes traditionnels s’efforcèrent d’acquérir le sens de l’art populaire, pour ainsi dire, par le dehors, par la préoccupation du sujet, par l’exactitude de la mise en scène. C’est par le dedans que les poètes novateurs le retrouvèrent d’instinct, tout d’abord sans y penser, par le seul fait d’une analogique manière de sentir [46].
21Cette « analogique manière de sentir » jette le soupçon sur le passage par l’écrit comme sur la versification traditionnelle chez des poètes qui « s’aperçurent que la figure scriptive des syllabes était loin de transcrire toujours avec exactitude leur valeur orale, que les mots formaient bien une matière malléable, presque fluide [47] ». La vraie poésie réclame de se fier à son « oreille » pour découvrir comme les « inspirés des premiers âges », le « jeu secret des rythmes et des harmonies [48] », une musique originelle qui existerait encore à l’état latent chez le peuple et que peut retrouver le poète génial par le biais de l’« instinct » poétique.
22C’est du moins la thèse de Jules de Gaultier dans ses Essais de physiologie poétique. En effet, le poète est celui qui possède un « instinct » qui lui permet de rétablir la généalogie des mots. Nous ne sommes pas loin de toucher à la question des origines du langage, dont la naissance « spontanée » a été une alternative à l’hypothèse chrétienne de sa « révélation [49] ». Mais si cette question implique l’analyse historique d’un processus d’évolution des langues : la recherche de ses racines, elle nourrit également un discours de « décadence ». Robert de Souza et Jules de Gaultier partagent la thèse selon laquelle la civilisation aurait obscurci le sens primitif des mots. Il serait donc du devoir de la recherche poétique de le retrouver. Pour Jules de Gaultier la poésie est en effet « la forme primitive du langage [50] », le « signe phonétique [51] » depuis lors devenu « signe écrit [52] » était à l’origine « un cri modulé, et un simple cri [53] ». Le véritable poète est celui capable de retrouver les accents de ce langage primitif. À côté de Verlaine, le philosophe convoque l’exemple de Flaubert et de son « gueuloir » pour démontrer la nature orale du rapport à la littérature chez les grands artisans du style. Le texte paru dans la Revue blanche la même année que « La Musique et les Lettres » de Mallarmé prend l’allure d’un manifeste.
23Mais à côté des théoriciens, c’est peut-être Léon Bloy qui s’est le plus exprimé sur le sujet. Bloy est à la fois un familier du Chat noir, parent d’un de ses fondateurs Émile Goudeau et poète chrétien ; une rencontre qui pourrait paraître curieuse si les deux tendances ne se complétaient pas. Or Léon Bloy donne à l’exercice de la « profération » une dimension religieuse, si ce n’est sacrée. Pour l’écrivain qui partage une conception révélée du langage, « les mots ne sont pas de l’homme [54] ». En conséquence, il ne peut y avoir de création verbale proprement dite, mais seulement un retour à son sens originel. L’exercice de la « profération » dans ce cadre est compris comme une mise en branle des puissances du langage : c’est la « vocifération [55] » qui s’impose chez Bloy comme une version orthodoxe de l’incantation poétique. Le poète est un prophète dans le sens où il est celui qui sait « prononcer » les mots de Dieu, c’est-à-dire revenir à leur sens originel perverti par l’usage. Il y consacre un ouvrage, l’Exégèse des Lieux Communs, où il met en garde le « patron de brasserie » contre l’efficace de la profération chez ceux qui ne savent pas que « telle parole qu’ils viennent de proférer, après des centaines de milliers d’autres acéphales, est réellement dérobée à la Toute-Puissance créatrice et que, si une certaine heure est arrivée, cette parole pourrait très-bien faire jaillir un monde [56] ». La profération bloyenne jette un dernier pont entre conception hermétique du langage et exubérance des pratiques fin de siècle de l’oralité.
24In fine, ce que Mendès attribue à une forme de dépit amoureux de la part d’une bohème en mal de reconnaissance apparaît comme un phénomène complexe. L’oralité n’est pas seulement le débouché d’écrivains qui n’accèdent pas à la reconnaissance du livre, mais un mode de vie, une esthétique et peut-être même une philosophie du langage. Les recherches sur le lyrisme populaire le montrent, il ne s’agit plus d’imiter les effets pittoresques d’une langue orale jugée rustique mais de revenir aux sources du langage.
25Si le discours de décadence assume la pratique de l’artifice et semble se complaire dans ce que Huysmans appelait le « faisandé [57] », il nourrit également des aspirations rétrospectives. La déploration des progrès de la modernité alimente une volonté de retour en arrière, une nostalgie fondée sur le sentiment d’un excès de civilisation. La raison graphique a pu figurer au premier rang des coupables, on lui oppose l’éloquence vraie de la parole vive. Mais c’est bien plus une aspiration à la synthèse et à l’intégration de toutes les dimensions du langage qui domine. Malgré l’interdiction sur la question de l’origine du langage par la Société de linguistique, la théorie du langage naturel fait retour. La poésie devient cette langue primitive dont seuls les poètes savent reconnaître la musique. Elle nourrit une pratique de la profération qui est à la fois quête d’un rythme primordial et démonstration des puissances du verbe.
Notes
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[1]
« Elle était un centre, un lieu de camaraderies ; de haines aussi, groupement plus solide ; quelque chose comme une patrie », Catulle Mendès, La Première Maîtresse, Paris, Charpentier, 1887, p. 91.
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[2]
Ibid., p. 91, p. 92.
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[3]
Ibid., p. 91.
-
[4]
Ibid., p. 92.
-
[5]
Élisabeth Pillet, Marie-Ève Thérenty (dir.), Presse, chanson et culture orale au xixe siècle : la parole vive au défi de l’ère médiatique, Paris, Nouveau Monde éditions, 2012.
-
[6]
Émile Goudeau, Dix ans de bohème, Paris, À la librairie illustrée, 1888, p. 9.
-
[7]
Ernest Raynaud, La Mêlée symboliste I. (1870-1890), Portraits et souvenirs, Paris, 1920-1922, p. 4.
-
[8]
Ibid., p. 4.
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[9]
Ibid., p. 5.
-
[10]
Daniel Grojnowski, Au commencement du rire moderne. L’esprit fumiste, Paris, Corti, 1997, p. 88.
-
[11]
Daniel Grojnowski, « Laforgue fumiste : l’esprit de cabaret », Romantisme, n° 64, 1989, p. 7.
-
[12]
Leur multiplication anarchique a pu faire parler de « groupisme » chez les historiens de la sociabilité artiste, notamment Anthony Glinoer et Vincent Laisney qui utilisent le terme pour qualifier l’éclatement de la forme du « cénacle » à partir de 1870. Anthony Glinoer, Vincent Laisney, L’Âge des cénacles. Confraternités littéraires et artistiques au xixe siècle, Paris, Fayard, 2013. Vincent Laisney y revient dans « Cénacles et cafés littéraires : deux sociabilités antagonistes », RHLF, vol. 110, 2010/3, p. 563, p. 588.
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[13]
Laurent Tailhade, Quelques fantômes de jadis, Paris, Albert Messein, 1912, p. 6.
-
[14]
Selon le titre de l’ouvrage de Verlaine paru pour la première fois en 1884.
-
[15]
Léon Bloy, Belluaires et porchers, Paris, Tresse et Stock, 1905, p. XIX.
-
[16]
Éléonore Reverzy, Portrait de l’artiste en fille de joie, Paris, CNRS éditions, 2016.
-
[17]
Willem Gertrud Cornelis Byvanck, Un Hollandais à Paris en 1891. Sensations de littérature et d’art, préface d’Anatole France, Paris, Perrin et Cie, 1892. Dans cette description du Paris artiste, le terme est convoqué pour qualifier les conversations sur des sujets touchant à l’esthétique, les brillants conversationnistes y sont appelés « causeurs ».
-
[18]
Sur l’importance de ce sujet signalons la thèse en cours de Sandrine Carvalhosa Martins « La causerie au xixe siècle : les voix d’une écriture médiatique » sous la direction de Corinne Saminadayar-Perrin.
-
[19]
Jean Ajalbert, Mémoires en vrac au temps du symbolisme 1880-1890, Paris, Albin Michel, 1938, p. 191.
-
[20]
Un temps, Barbey d’Aurevilly pensa intituler Les Diaboliques « Ricochets de Conversation ». Sur l’étude de l’oralité chez cet auteur citons, entre autres travaux, Marie-Christine Natta « La conversation de Barbey d’Aurevilly », Littérature, n°58-59, 2008, p. 153-164 ; Gilles Negrello, « De la parole au livre », Revue des Lettres modernes, n° 18 « Sur la critique », 2004, p. 12-34 ; Vigor Caillet, « Le roman comme art oratoire », Écritures de l’hybride et de l’excès dans l’œuvre romanesque de Barbey d’Aurevilly, Paris, Honoré Champion, 2013, p. 27-104.
-
[21]
Jean Ajalbert, Mémoires en vrac au temps du symbolisme 1880-1890, ouvr. cité, p. 192.
-
[22]
Ibid., p. 192.
-
[23]
Laurent Tailhade, Quelques fantômes de jadis, Paris, L’Édition française illustrée, 1920, p. 143.
-
[24]
Pour nuancer l’ésotérisme du culte mallarméen, Patrick Thériault appelle à faire la part de « communication publicitaire » chez le poète. Les mardis seraient au cœur d’une « stratégie communicationnelle fondée non sur la communication et l’amplification, mais sur une raréfaction méticuleusement contrôlée de l’information ». Voir Patrick Thériault, « Le 89 rue de Rome : à l’enseigne du secret. Une mise à profit moderne d’un mode de communication à caractère initiatique », Romantisme, 2012/4, n° 158, p. 70.
-
[25]
Laurent Tailhade, Quelques fantômes de jadis, ouvr. cité, p. 145.
-
[26]
Camille Mauclair, Servitude et grandeur littéraires, Paris, Ollendorff, 1922 [6ème édition], p. 7.
-
[27]
Depuis les travaux de Pierre Jourde et de Jean de Palacio, le « silence » est identifié comme un thème central de la poétique fin de siècle. Voir Pierre Jourde, L’Alcool du silence. Sur la Décadence, Paris, Champion, 1994 ; Jean De Palacio, Le Silence du texte. Poétique de la décadence, Paris-Louvain, Peeters, 2003.
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[28]
Dans L’Art en silence Mauclair écrira que « Mallarmé nous donna maintes fois l’impression haute de l’âme de Socrate, dont Verlaine nous évoquait le visage ». L’Art en silence, Paris, Ollendorff, 1901, p. 84. Han Ryner, commentant le livre de Mauclair, parle quant à lui de « Socrate sans familiarités ». Han Ryner [Jacques Elie Henri Ambroise Ner], Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres aujourd’hui, Paris, Société parisienne d’édition, 1904, p. 277.
-
[29]
Camille Mauclair, Servitude et grandeur littéraires, ouvr. cité, p. 75.
-
[30]
Ibid., p. 84.
-
[31]
Ibid.
-
[32]
Laurent Tailhade, Quelques fantômes de jadis, ouvr. cité, p. 143, p. 144.
-
[33]
Jean-Nicolas Illouz, « "Sur le nom de Paphos" : Mallarmé et le mystère d’un nom », dans La littérature symboliste et la langue, sous la direction d’Olivier Bivort, Paris, Classiques Garnier, 2012, p. 93.
-
[34]
De Delfel à Genette, nombreux sont les critiques qui ont souligné le « cratylisme » de Mallarmé. Dans « Mallarmé traducteur ou le contresens heuristique », Pierre Gobin commente la complémentarité de l’écriture et de la Parole chez le poète. « Les rapports mutuels de la « Parole » et de l’« Écriture », et la relation spécifique de chacune de ces manifestations du « Langage », l’une au son, l’autre au geste (dont Mallarmé rappelle plus loin l’insertion physique et physiologique) renvoient ainsi à un rapport des mots et des choses. Si ce rapport inhérent doit être « créé » (par l’écriture, à la fois invention et arabesque, et par la lecture, à la fois déchiffrement et modulation), il est nécessaire et originel (Pierre Gobin, « Mallarmé traducteur », TTR : traduction, terminologie, rédaction, vol. 2, n° 2, 1989, p. 143) ». Dans une logique cratylienne, le son fait office de lien entre le mot et la chose. C’est lui qui « imite » la chose avant de se fixer en signe. Revenir au son revient à remonter à l’origine du signe. Les recherches sur l’oralité ont pu relever de ce type de logique.
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[35]
Stéphane Mallarmé, « Avant-dire », Traité du Verbe de René Ghil, Paris, Alcan Lévy, 1887, p. 8.
-
[36]
Charles Baudelaire, Le Peintre de la vie moderne, Œuvres complètes, t. III, Paris, Calmann Lévy, 1885, p. 69.
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[37]
À propos de ce souci de conservation des manifestations de l’oralité, on peut également noter l’invention du « Paléophone » par Charles Cros, ancêtre de notre actuel phonographe.
-
[38]
Émile Goudeau, Fleurs du bitume. Petits poèmes parisiens, Paris, Ollendorff, 1885, p. 3.
-
[39]
Comme a pu l’être la bohème romantique, souvent caricaturée sous les traits d’une bohème à la pauvreté tapageuse, mais gaie (Francisque Sarcey, Le Mot et la Chose, Paris, coll. « Bibliothèque contemporaine », 1863, p. 20, p. 30).
-
[40]
Émile Goudeau, Fleurs du bitume, ouvr. cité, p. 83.
-
[41]
Extrait de lettre de Jehan Rictus [Gabriel Randon] citée par Léon Bloy dans Les Dernières Colonnes de l’Église, Paris, Mercure de France, p. 189, p. 190.
-
[42]
Robert de Souza, La Poésie populaire et le lyrisme sentimental : études sur la poésie nouvelle, Paris, Mercure de France, 1899 [2e édition], p. 31.
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[43]
Ibid., p. 28.
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[44]
Ibid., p. 47.
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[45]
Ibid., p. 53.
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[46]
Ibid., p. 44.
-
[47]
Ibid., p. 58.
-
[48]
Ibid.
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[49]
Théorie de la « révélation » du langage exposée par Bonald dont la formule « l’homme pense sa parole avant de parler sa pensée ». On trouve la remise en cause de cette révélation au nom de sa création spontanée chez Renan notamment, qui adopte cette dernière théorie dans la seconde préface de son Origine du langage, appelant à prendre cette révélation dans un sens moins « littéral ». Voir Ernest Renan, De l’origine du langage, Paris, M. Lévy frères, 1858 [2e éd.], p. 80-81. Sur le foisonnement conceptuel qui accompagne la question des origines du langage au xixe siècle, voir Sylvain Auroux « Les embarras de l’origine des langues », Marges linguistiques, n°11, mars 2006, p. 58-92.
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[50]
Jules de Gaultier, « Essai de physiologie poétique », La Revue blanche, mai 1894, cité dans Revue Blanche 1-30 (1891-1903), Genève, Slatkine reprints, 1ç68, p. 396.
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[51]
Ibid., p. 397.
-
[52]
Ibid.
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[53]
Ibid. Malgré l’analyse « physiologique » de Jules de Gaultier, on ne peut s’empêcher d’y voir une référence à Rousseau. À la fois parce que les passions sont, comme chez Robert de Souza, à l’origine du langage, mais aussi parce que ces théories posent l’hypothèse d’une musicalité primordiale qui précéderait sa formation, hypothèse qu’alimentent ici les recherches symbolistes sur le rythme.
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[54]
Léon Bloy, « Le mot », Sueur de sang, Paris, Dentu, 1893, p. 326.
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[55]
« Il avait une espèce de voix de buccin, assez semblable à son style monstrueusement oratoire et calculé, semblait-il, pour la vocifération. Il lisait mal, comme il convient à tout prophète. Houleux et tumultuaire, ce vaticinateur déchaîné était plein de sanglots, de catafalques et de huées », Léon Bloy, Le Désespéré, édition de Pierre Glaudes, Paris, Flammarion, coll. « GF », 2010, p. 342.
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[56]
Léon Bloy, Exégèse des Lieux Communs, Paris, Mercure de France, 1902, p. 8.
-
[57]
Adjectif qu’il applique au style de Mallarmé et de Verlaine dans un chapitre où il note la nostalgie paradoxale des auteurs contemporains écrivant que : « chez les uns, c’est un retour aux âges consommés, aux civilisations disparues, aux temps morts ; chez les autres, c’est un élancement vers le fantastique et vers le rêve, c’est une vision plus ou moins intense d’un temps à éclore dont l’image reproduit, sans qu’il le sache, par un effet d’atavisme, celle des époques révolues » (Joris-Karl Huysmans, À rebours, Paris, Gallimard, 1977, p. 321, p. 298).