Notes
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[1]
« Révolutions du romantisme : 1970-2013 », Nuovi Quaderni del CRIER : « Il Romanticismo oggi », Anno X - 2013, Verona, Fiorini, p. 69-86 ; « Penser le romantisme français en 1970 », Journée d’études de la SERD : « Lectures critiques du romantisme au xxe siècle », 13 février 2015, Musée de la vie romantique, Actes parus aux Classiques Garnier, 2017, p. 123-143.
-
[2]
Le Bulletin est annoncé comme « à l’étude » dans le n° 44 (1984), p. 126.
-
[3]
Gilbert Nigay, « Bulletins et publications spécialisés sur un écrivain (Préromantisme - Romantisme - xixe siècle) », n° 3, 1972, p. 117-122.
-
[4]
. Hans Peter Lundt rend compte de ces deux ouvrages dans le n° 7, 1974 (« Le romantisme et son histoire »).
-
[5]
« Femmes écrites », n° 63, 1989 ; « Les Femmes et le bonheur d'écrire », n° 7, 1992 ; « Pouvoirs, puissances : qu'en pensent les femmes ? », n° 85, 1994.
-
[6]
Jean-Jacques Thomas, « Lexicologie et études romantiques », n° 7, 1974, p. 117-127.
-
[7]
Voir ma contribution à un volume d’hommages, sous la direction de Christophe Charle et Jacqueline Lalouette : « Maurice Agulhon : les usages de la littérature », Maurice Agulhon, aux carrefours de l’histoire vagabonde, Paris, Publications de la Sorbonne, coll. « Histoire de la France aux xixe/xxe siècles », 2017, p. 23-33.
-
[8]
De quoi contredire heureusement le constat fait par Claude Duchet en 1971 : « La place réservée aux problèmes de l'histoire ne fait qu'accuser l'absence des historiens ». Ce qui explique peut-être le titre du n° 19.
-
[9]
Sans le nom encore, elle est déjà présente en termes d’histoire du livre, dès 1984-1985 : « Le livre et ses images » (n° 44), « Le livre et ses mythes » (n° 45), « Le livre et ses lectures » (n° 47). Quant au « Spectacle romantique », il est l’objet d’un numéro dès 1982 (n° 38). Plus tard, un numéro portera sur la notion de représentation : « De la représentation, histoire et littérature », n° 110, 2000.
-
[10]
« L'ouverture vers “la fraternité des arts” est encore, à notre goût, bien timide », reconnaît Claude Duchet en 1971.
-
[11]
Voir cependant : Pierre Georgel, « Publications sur l'art romantique (1970-1971) », n° 4, 1972 ; Alain Montandon, « De la peinture romantique allemande », n° 16, 1977.
-
[12]
Voir les contributions de Frank Paul Bowman, le colloque de Metz, « Romantisme et religion », et l’article de synthèse de Jean-Claude Fizaine : « Les aspects mystiques du romantisme français. État présent de la question », n° 11, 1976, p. 4-14.
- [13]
1Lancé en 1971, Romantisme vient tout juste d’atteindre le demi-siècle d’existence en décembre 2020 avec son numéro 190. C’est aussi l’âge respectable de l’instance qui, depuis l’origine, l’a inventé, inspiré, alimenté : la Société des études romantiques, née sous ce nom en 1970, mais qui décida de se revendiquer aussi « dix-neuviémiste » à partir de 1989. Le comité de rédaction de lancement du présent numéro, auquel apporta sa dynamique le si regretté Dominique Kalifa, a choisi de ne pas s’astreindre à la logique commémorative, comme l’indique l’intitulé retenu, tourné vers l’avenir. De quoi prendre à contrepied la rétrospection complaisante, toujours menaçante en pareil cas. Mais difficile de faire tout à fait l’impasse sur ce passé, car ce serait renoncer à ponctuer ce demi-siècle. Pour les quelques-uns parmi nous qui étions présents à la naissance de la société et de sa revue – un jour de 1969, dans les locaux de l’ENS de Saint-Cloud, sous l’impulsion de Pierre Barbéris —, tenter de le faire expose à la mélancolie. Mais plutôt que d’y succomber, essayons d’exercer le devoir de mémoire de la manière la plus simple qu’il se puisse : en regardant fonctionner Romantisme pendant sa première décennie (1971-1980), entre le n° 1 et le n° 30. Ce qui, pour l’auteur de ces lignes, consiste à varier la perspective déjà prise sur des sujets complémentaires [1]. En vue de retenir, non des antithèses cousues de fil blanc, mais quelques éléments de notre histoire, peut-être quelques enseignements.
Romantisme à l’inchoatif
2Vu de ses tout premiers pas, Romantisme s’élance, mais se cherche encore. Point encore du tictac des quatre numéros annuels, auquel on en viendra sans trop tarder (1976). Pendant cinq ans, la revue est semestrielle, et après un gros numéro de lancement (« L’Impossible unité ? »), elle égrène diverses perspectives censées elles aussi définir l’indéfinissable romantisme : « Le romantisme, c’est le bariolé » (n° 3), « Théorie des harmonies » (n° 5), « Figures du lyrisme » (n° 6), « Écriture et désir » (n° 8), etc. Point encore non plus de Bulletin, comme ce sera le cas à partir de 1984 [2], pour donner plus ample témoignage des activités de la société. Aussi, à la fin de chaque numéro, des « Informations », des « Bibliographies » relativement courtes remplissent cette fonction, tout en tenant chronique de la recherche dix-neuviémiste. De quoi, grâce à ce syncrétisme éditorial auquel nous avons renoncé en diversifiant nos organes (Bulletin d’abord, plus récemment Lettre électronique, Site et Magasin du xixe siècle), donner, dans le sein de la revue même, une vue dynamique de tout ce qui alors s’élance dans le secteur. C’est ainsi toute la recherche nationale sur le xixe siècle qui s’expose dans les dernières pages de la revue. Le premier numéro nous apprend que c’est d’une alliance entre chercheurs en littérature française issus de divers organismes universitaires que société et revue sont nées : dans l’ordre (de présentation), Clermont-Ferrand (Paul Viallaneix), l’ENS de Saint-Cloud (Pierre Barbéris), Lille (Pierre Reboul, Raphaël Molho), Besançon (Jacques Petit) ; puis, quelques numéros plus tard, Paris VIII (Claude Duchet), Paris III (Pierre Citron), Paris VII (Pierre Albouy), Amiens (Michel Crouzet), Montpellier (Claudine Lacoste, Jean-Claude Fizaine), Paris IV (Léon Cellier, Arlette Michel). Signe de cette collaboration : de 1972 à 1984, tant que Paul Viallaneix exerce la fonction de secrétaire général de la Société, le Centre de recherches révolutionnaires et romantiques de Clermont-Ferrand assure le secrétariat de la revue. Puis celui-ci passera à l’Université de Saint-Étienne quand Stéphane Michaud lui succédera en cette fonction. Dès le numéro 3 (1971), tout en annonçant un futur Annuaire, qui ne verra le jour qu’en 1991, Romantisme publie la liste de ses 318 abonnés à jour de cotisation, en mentionnant leur rattachement universitaire. Nombre qui grossira jusqu’à atteindre plus de 800 dans les années fastes, pour décroître ensuite régulièrement, en raison des conditions de diffusion plus diversifiées qu’a imposées Internet, mais aussi de la logique disséminante des équipes de recherche. À la fin du numéro 8 paraît une table des matières des premières livraisons : « Romantisme de A à Z ». Autre signe d’une volonté – d’affichage et donc d’existence – collective, qu’on retrouve dans la manière qu’a la revue de rendre compte de la recherche nationale et internationale sur le romantisme, tout comme dans la liste publiée dans le numéro 3 des diverses « Sociétés des amis » d’écrivains, penseurs et artistes du xixe siècle [3] : prémonition de ce qui, plus de quatre décennies plus tard, est devenu le « CL 19 »,
3En ces années d’élan de la recherche dix-neuviémiste, la revue, en ses brèves dernières pages, suit l’actualité. Équipes qui se créent : Heine, Balzac, Stendhal (n° 3), Hugo (n° 9), Sand (n° 16), Zola (n° 19), Gautier (n° 24) ; grands livres qui paraissent auxquels sont consacrées des recensions (Le Romantisme de Max Milner, les deux volumes de l’Histoire littéraire de la France publiées aux Éditions sociales, sous la direction de Pierre Barbéris et Claude Duchet, n° 11 [4]) ; lancement d’éditions au long cours d’œuvres complètes et de correspondances (Berlioz, Sainte-Beuve, Zola, Lamennais, Hugo) ; débuts du dépouillement de la presse périodique du xixe siècle (Suzanne Bérard, Pierre Albouy, Raphaël Molho, 1972, n° 3). Pendant un temps (n° 12 et suivants), Montpellier assume la chronique bibliographique, qui sera plus tard (1998) elle aussi autonomisée par la création d’un organe annuel spécial dû à l’incessante passion de Claude Duchet : la Bibliographie du dix-neuvième siècle. Sur le plan éditorial, les années sont fastes. Diverses collections sont lancées : la « Nouvelle Bibliothèque romantique » sous la direction de Léon Cellier, puis d’Arlette Michel et de Claude Pichois chez Klincksieck ; « Romantiques », lancée par Pierre Citron à l’Âge d’homme ; « Études romantiques », dirigée par Pierre Albouy puis par Max Milner aux Presses universitaires de Grenoble ; une série « Colloques » aux éditions CDU et SEDES. Malheureusement, plus rien de cet ordre aujourd’hui, le paysage éditorial ayant été réduit à bien peu dans nos disciplines.
4Complétant les numéros de la revue, et en synergie avec eux, ce sont les colloques qui sont alors à l’honneur, souvent fondés sur la collaboration de la Société avec diverses équipes de recherche nationales ou internationales, habitude qui s’est perdue depuis notre Ier Congrès, tenu à Lyon en 2003 (« La Production de l’immatériel »), puis notre IIe congrès (« L’Esthétique en acte »), tenu entre Caen et Nanterre en 2005. Ainsi du premier grand colloque organisé à Clermont-Ferrand au nom de la société par Paul Viallaneix : « Le Préromantisme, hypothèse ou hypothèque » (juin 1972). Ont suivi, dans les mêmes conditions, « Intime, intimité, intimisme », organisé à Lille par Pierre Reboul (juin 1973) ; un colloque sur Michelet, organisé à Vascœuil (Eure) par le Centre de recherches révolutionnaires et romantiques de Clermont-Ferrand (juin 1974), dont une partie des actes a constitué le numéro 10 de Romantisme ; « Jules Verne dans le xixe siècle », organisé à Amiens par Michel Crouzet (novembre 1977) ; « Romantisme et religion », organisé à Metz par Michel Baude (octobre 1978) ; « Nature et société », organisé à Neuchâtel par Marc Eigeldinger (avril 1979) ; « Poésie et société en France au xixe siècle », organisé par Hartmut Stenzel et Heinz Thoma à Wuppertal (Pâques 1981). Selon une pratique qui n’est plus en usage aujourd’hui, et qu’on peut regretter, certaines des communications de ces deux « grands » colloques paraissent dans Romantisme (n° 30 et n° 39).
5Le rayonnement international de la Société se trouve ainsi affirmé par quelques-unes de ses manifestations publiques, tout comme par le fait que certains des numéros de Romantisme sont dirigés par des collègues étrangers (Ross Chambers, australien, le n° 4, Frank Paul Bowman, américain, le n° 5, un groupe de collègues franco-britanniques pour le n° 7 (« Byron », 1974), de collègues allemands pour « Le Romantisme allemand » (n° 20, 1978) tout comme pour « Poésie et société » (n° 39, 1983), etc. Des colloques tenus en Allemagne et en Suisse ont droit à une annonce ou une recension dans la revue : Jean-Paul à Bayreuth (1976, n° 12), Balzac à Bielefeld (1978, n° 23), un colloque tenu à Sonnenwil par un « Groupe de travail en Critique » de l’université de Fribourg (juin 1979, n° 27), un colloque sur « L’Art social et l’Art industriel » organisé par H. R. Jauss et l’EHESS à l’université de Constance (1980, n° 27).
6Dès le n° 19, commence à se manifester la scansion des activités de recherche par les années commémoratives : année Jules Verne, année Flaubert, année Nodier, etc. Quant au texte d’agrégation de l’année en cours, il pointe son nez à partir de 1978 (Lorenzaccio et Les Caprices de Marianne) et 1979 (La Peau de chagrin), et devient ensuite l’objet d’un colloque rituel. Ce à quoi s’ajoutent des rencontres sur des auteurs (Gautier en 1971, Lamennais, Quinet et Berlioz en 1975, Sand en 1976). Mais par ses « grands » colloques, équivalents de nos « Congrès » actuels, la Société imprime sa marque : ainsi de tous ceux en collaboration déjà mentionnés, comme de celui sur « Le Peuple », tenu à Paris, et en partie publié dans Romantisme (n° 8).
Le romantisme comme engagement
7Côté revue, pendant les premières années ce sont pour une part des numéros doubles qui mettent l’accent sur ce à quoi la Société attache de l’importance : « Le Bourgeois » (n° 17-18). « Les Positivismes » (n° 21-22). « Conscience de la langue » (n° 25-26), « Mille huit cent trente » (n° 28-29). Deux d’entre eux manifestent un souci redoublé d’interdisciplinarité, les deux autres, tout comme le numéro sur « Le Peuple », ancrent l’importance à venir de la focale sociohistorique et sociocritique. Mais des numéros simples prennent eux aussi une signification stratégique : celui sur le romantisme allemand confirme l’inspiration comparatiste, marquée déjà par le numéro sur Byron ; d’autres reprennent des mots de passe alors en faveur : « Écriture et désir » (n° 8, 1974), « Écriture et folie » (n° 24, 1979), « Poétiques » (n° 33, 1981) ; celui sur les « Mythes et représentations de la femme » ouvre une véritable série [5].
8Sont alors admis dans Romantisme des numéros monographiques (Byron, Michelet, Berlioz), et cette attention portée aux auteurs, aujourd’hui perdue, se retrouve dans l’impressionnante série de « Dossiers » qui, numéro après numéro, font le point sur l’état présent des recherches en cours – sur Lamartine (Christian Croisille, n° 1-2), Quinet (Simone Bernard-Griffiths, n° 5), Baudelaire (Claude Pichois, n° 8), Lamennais (Louis Le Guillou, n° 9), Michelet (Paul Viallaneix, n° 10), Sand (Georges Lubin, n° 11), Chateaubriand (Jean-Claude Berchet, n° 13-14), Nodier (Raymond Stebon, n° 15), Poe (Jean-Marie Bonnet, n° 27), Heine (Almuth Grésillon, n° 30), etc. Paraissent aussi des numéros qu’on dit déjà « panoramiques », soit donc sans problématique unifiée, réunis autour d’un simple titre, souvent redoublé par des épigraphes : « Il faudrait pouvoir écrire des cris » (Bloy) pour « Figures du lyrisme » (n° 8), « Le pays des chimères est le seul digne d’être habité » (Rousseau) pour « Mythes, rêves, fantasmes » (n° 15) « Un chant sommeille en toutes choses » (Eichendorf) pour « Autour de l’âge d’or » (n° 16). Pratique qui se confirme dans les numéros pourvus d’introduction : « Courtisane ou ménagère » (Proudhon) pour « Mythes et représentations de la femme », « Le Bourgeois est pour moi quelque chose d’infini » (Flaubert) pour « Le Bourgeois », etc. Dans deux cas même (n° 3 et n° 4), l’épigraphe tient lieu de titre : « Le Romantique réside dans le bariolé » (Kierkegaard), « Voyager doit être un travail sérieux » (Flaubert). Les argumentaires ne sont pas alors systématiques, ce qui rend plus notables les exceptions : Paul Viallaneix introduisant « Michelet », Michel Crouzet « Le Peuple » (« Pour commencer et pour finir »), Max Milner le numéro « Sangs » (1981), Claude Duchet « Le Bourgeois » (« Le Bourgeois majuscule »), mais rédigeant aussi sans le signer, pour mieux en marquer la dimension consensuelle, le beau texte programmatique intitulé « Pour Romantisme » ouvrant le premier numéro. Comme dans le titre qui figure sur la couverture de la présente livraison, Romantisme y renvoie aussi bien au mouvement qu’à la revue, qui déjà se lance vers l’avenir, le « pour » ayant valeur d’engagement, et comme de complicité collective. Coïncidence qui prouve, s’il en était besoin, la continuité d’un même état d’esprit, cinquante ans après, après quelques aléas surmontés. Le titre ici adopté s’en veut le témoignage.
9C’est de nouveau Claude Duchet qui par une adresse « À nos lecteurs » justifie le virage que prend la revue lorsque, au début de 1976, passant à quatre numéros annuels, elle renonce à se désigner comme « Revue de la Société des études romantiques » et choisit d’élargir sa perspective en adoptant pour sous-titre : « Revue du dix-neuvième siècle (Littératures. Arts. Sciences. Société) » (n° 11). « Cette transformation, annonce ce nouveau prospectus, permettra à notre revue de servir plus efficacement la cause de la recherche pluridisciplinaire, d’étendre à la longue durée, de la crise des Lumières aux ruptures du xxe siècle, le registre de sa compétence, de s’ouvrir plus résolument à l’histoire sociale des idées, aux études des comportements et des mentalités, à l’analyse des représentations, de rendre compte régulièrement des publications et travaux récents, tout en conservant le double souci de synthèse et de confrontations qui justifie, à nos yeux, la création de notre société et caractérise ses orientations scientifiques ». Programme qui reste le nôtre, même si la création du Magasin du xixe siècle (2011) nous a poussés récemment, à tort peut-être, à supprimer le sous-titre en raison du risque de double emploi.
10Conformément à cette annonce, deux numéros entiers seront enfin consacrés au second xixe siècle, mais cela pas avant 1983 : « La Machine fin-de-siècle » (n° 41) et « Décadence » (n° 42), préludes à une entrée progressivement plus consistante de la période. En sens inverse, mais selon la même stratégie, un numéro sera consacré aux « Premiers combats du siècle » (n° 51, 1986). Quant à la transdisciplinarité, présente déjà dans les premiers numéros, elle va s’accentuer encore : du côté des philosophes (« Philosophies », n° 32), des comparatistes (surtout germanistes : Alain Montandon et Stéphane Michaud), des linguistes, en particulier lexicologues (Maurice Tournier, Jean-Jacques Thomas [6]), et surtout des historiens. C’est qu’en cette même année 1976, à la suite du décès de Pierre Albouy, Maurice Agulhon est devenu l’un des deux vice-présidents de la Société. Il va souvent accueillir rue Malher, dans des locaux de Paris I, les réunions de son Conseil d’administration. En échange, la Société d’Histoire de la Révolution de 1848 et des Révolutions du xixe siècle, dont il est le premier responsable, se voit, faute alors de solution éditoriale autonome, hébergée dans les dernières pages de Romantisme pour y tenir sa « Chronique ». Ce qui a lieu depuis le numéro 20 (1978), massivement littéraire pourtant, intitulé, de manière doublement paradoxale, « L’Ombre de l’histoire », jusqu’au numéro 30 (1980). La collaboration de Maurice Agulhon à la revue, n’en persiste pas moins, de manière régulière [7], notamment dès le numéro suivant (« Sangs »), auquel participe aussi Alain Corbin, qui pendant trois décennies sera lui aussi un membre particulièrement actif de la Société. Présents par leurs propres contributions, tous deux le sont aussi par leurs recensions : celle du Célibataire français de Jean Borie pour le premier (n° 16, 1977), celle de l’Histoire des passions françaises pour le second (n° 23, 1979). Plus près de nous, ils seront rejoints par d’autres historiens venus en renfort : Jean-Yves Mollier, Jean-Claude Yon, Jean-Claude Caron, Emmanuel Fureix, Judith Lyon-Caen, dans le Conseil d’administration de la société ; Nathalie Richard et Dominique Kalifa, dans le conseil de rédaction de Romantisme [8]. Ce qui témoigne mieux que d’une continuité : d’une confirmation chaque année croissante du lien établi entre littéraires et historiens, qui tient, entre autres, à la montée en puissance de cette histoire encore plus aisément partageable : l’histoire culturelle [9]. En matière d’histoire de l’art, le retard sera plus long à combler – tout comme, c’est un peu lié, en matière d’illustrations de couverture, qui n’entrent dans les mœurs qu’en 1984, en noir et blanc (n° 46). Car si Berlioz dès le numéro 12 représente la musique, les arts visuels sont d’abord assez timidement présents [10], y compris dans les numéros qui portent sur l’art et les artistes (n° 54, 55, 66, 67), et plutôt par des recensions bibliographiques que par des articles [11].
Le romantisme selon Romantisme
11Quel(s) Romantisme(s) dans Romantisme, pendant la première décennie d’existence de la revue qui arbore cet étendard ?
12Ce qui est sûr, c’est la commune attitude apologétique. On la déduit de l’épigraphe du n° 8 : « On a voulu tuer le romantisme. Il a la vie dure » (P. Reverdy), mieux encore du rappel fait par Jean Gaulmier des longues années d’antiromantisme qui ont marqué l’université française : « Il ne faudrait pas croire que les sarcasmes de Brunetière et de Faguet, contemporains de l’absurde thèse de Pierre Lasserre (1907) n’eussent été que feu de paille : le Romantisme n’a cessé d’inspirer pendant longtemps de furibondes caricatures. Des générations de Khâgneux de Louis-le-Grand ont été nourries, de 1910 à 1925, de la hargne antiromantique d’André Bellessort ». Selon le même auteur, « un changement radical s’est produit, dont le grand livre d’Albert Béguin, L’Âme romantique et le rêve, a marqué le début en 1939. La libération politique de 1944 a été aussi la libération de Rousseau et de Senancour, de Hugo et de Balzac, de Baudelaire et de Nerval, et les trente dernières années ont vu une rénovation en profondeur des études romantiques – dont la création de notre Société a été la révélatrice » (n° 16, 1977). Mais pas un mot en revanche, et jamais alors dans la revue, sur le lien entre création de Romantisme et après-68. Point non plus de reprise des catégories de Pierre Barbéris opposant un romantisme de droite et un romantisme de gauche, dont, en 1973, Paul Bénichou allait montrer que leur confluence à la fin de la Restauration fut, en France, un grand atout de succès.
13Le numéro 1-2 de la revue quête l’unité du Romantisme, tout en la disant d’avance impossible à trouver. La brève « Parade » (au sens footballistique ?) de Jacques Seebacher qui ouvre le dossier prétend dire que le coordinateur, « commis à rassembler quelques études disparates », a tendu cette lanterne de « l’impossible unité », sans savoir lui-même « ce que c’était ». Mais quelle sorte d’unité alors, et quelle sorte de romantisme ? Est-ce Romantisme qui formule cette interrogation quant à une hypothétique philosophie d’ensemble du romantisme, tout en évoquant la problématique unité de ses divers moments, pays et écoles – peut-être aussi, en sourdine, celle des membres fondateurs de la revue ? Tout cela ensemble sans doute. Ce fil directeur fait retour dans le numéro suivant qui, en forme de palinodie, part dans l’autre sens. Paul Viallaneix se demande : « Dans la Cité des études romantiques, l’“impossible unité” serait-elle une utopie ? » Et de rappeler une observation de Kierkegaard (avril 1836) : « Le romantique réside dans le bariolé ; un besoin insatisfait (d’unité) l’а suscité, sans y trouver pourtant sa satisfaction. » En revanche, le numéro sur la « Théorie des harmonies » revient à une quête d’unité bien moins impossible, puisque Franck Bowman estime que « l’harmonie décèle la quête d’une unité organique qui pourrait prendre la relève du christianisme traditionnel bien mort », et qu’il ajoute : « Nous espérons corriger ainsi la vision du romantisme comme le culte de la différence, voire d’un individualisme anarchique ; toute l’époque se voue plutôt à la recherche de l’unité perdue et à créer. » Réponse à l’antiromantisme justement honni d’un Brunetière, mais affirmation à son tour bien réductrice.
14Dans ces premiers numéros, c’est, conformément à ce premier débat, le romantisme en tant que système de pensée, bien plus qu’en tant que moment historico-social, sensible et textuel qui est en vedette. Ce que soutient de nouveau Franck Bowman : « Nous espérons aussi avoir corrigé cette autre impression mensongère d’un romantisme français émotif mais peu intellectuel, d’où l’excès du sentiment aurait chassé toute pensée. » Insistance qu’on retrouve dans l’accent mis alors sur les formes de pensées religieuses ou mystiques [12] associées au romantisme, sur son idéalisation de l’âge d’or (n° 16), sur la « philosophie romantique de la vie » de Novalis commentée par Lukacs (n° 20), tout comme sur les romantismes humanitaires (Michelet, Quinet, Lamennais, Sand). Insistance que ne compensent pas tout à fait des pistes lancées dans l’autre sens, côté Byron, côté 1830, côté « modernité » (n° 23), alors que, bien qu’annoncés d’emblée (n° 9), des numéros pouvant aussi y contribuer se font attendre : « Le Frénétique » qui ne paraîtra pas, « L’Énergie » ne paraissant qu’en 1984. Le romantique comme excès, et non plus comme unité et harmonie…
15Pourtant, la ligne qui reste encore aujourd’hui la nôtre se trouve alors définie déjà, et c’est de nouveau Claude Duchet qui la trace. Dans l’introduction du n° 1-2, il est de ceux qui insistent sur l’impossible du titre plus que sur l’unité : « Incertitudes sur la nature du phénomène, disparité de ses manifestations, contradictions dans ses effets, ambiguïté de ses formes spécifiques d’expression, étendue de son aura sémantique, à travers métamorphoses et résurgences : le fait romantique échappe à toute prise sûre. » Dans sa nouvelle introduction intitulée « À nos lecteurs » de 1976, il définit un programme qui reste d’actualité, tout en justifiant la fidélité de la revue à son titre d’origine, alors même qu’elle embrasse désormais tout le siècle : « Il nous a paru beau de courir ce risque, aucun autre terme n’ayant, à notre avis […] plus de compréhension et d’extension pour rendre compte des contradictions et des mouvances de ce passé dont nous vivons. Mais aucune définition ne l’épuise. […] Nous conservons le mot par fidélité et par hypothèse, considérant qu’il n’est guère, au xixe siècle, de courants d’idées ou d’écoles artistiques qui ne se soient ou bien nourris des apports du romantisme dans ses diverses acceptions, ou bien définis en fonction de lui, dans un rapport dialectique qu’il est artificiel de rompre. C’est parce que le mouvement de cette dialectique n’est pas achevé que le romantisme n’est pas pour nous un objet de nostalgie ou une matière à rétrospectives, mais un foyer de questions posées à notre civilisation et à notre époque. »
16Et d’énoncer qu’à son avis, « comme le remarquait naguère Alphonse Dupront lors du colloque où naquit l’idée de notre entreprise, seule la notion de crise, permet de penser le romantisme, […] avec ses paroxysmes, ses absolus, ses libérations, ses gravités parturientes et ses mystères [13] ». Mieux que celle de révolution, « trop vite schématisable ou partialisable ». « Voilà, concluait Claude Duchet, qui nous installe dans l’inconfort, mais nous permet de situer l’axe d’une recherche, au cœur de notre présent. »
17Un esprit qui reste aujourd’hui d’avenir, et un numéro de Romantisme qu’il reste urgent de faire, quarante-cinq ans après.
Notes
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[1]
« Révolutions du romantisme : 1970-2013 », Nuovi Quaderni del CRIER : « Il Romanticismo oggi », Anno X - 2013, Verona, Fiorini, p. 69-86 ; « Penser le romantisme français en 1970 », Journée d’études de la SERD : « Lectures critiques du romantisme au xxe siècle », 13 février 2015, Musée de la vie romantique, Actes parus aux Classiques Garnier, 2017, p. 123-143.
-
[2]
Le Bulletin est annoncé comme « à l’étude » dans le n° 44 (1984), p. 126.
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[3]
Gilbert Nigay, « Bulletins et publications spécialisés sur un écrivain (Préromantisme - Romantisme - xixe siècle) », n° 3, 1972, p. 117-122.
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[4]
. Hans Peter Lundt rend compte de ces deux ouvrages dans le n° 7, 1974 (« Le romantisme et son histoire »).
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[5]
« Femmes écrites », n° 63, 1989 ; « Les Femmes et le bonheur d'écrire », n° 7, 1992 ; « Pouvoirs, puissances : qu'en pensent les femmes ? », n° 85, 1994.
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[6]
Jean-Jacques Thomas, « Lexicologie et études romantiques », n° 7, 1974, p. 117-127.
-
[7]
Voir ma contribution à un volume d’hommages, sous la direction de Christophe Charle et Jacqueline Lalouette : « Maurice Agulhon : les usages de la littérature », Maurice Agulhon, aux carrefours de l’histoire vagabonde, Paris, Publications de la Sorbonne, coll. « Histoire de la France aux xixe/xxe siècles », 2017, p. 23-33.
-
[8]
De quoi contredire heureusement le constat fait par Claude Duchet en 1971 : « La place réservée aux problèmes de l'histoire ne fait qu'accuser l'absence des historiens ». Ce qui explique peut-être le titre du n° 19.
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[9]
Sans le nom encore, elle est déjà présente en termes d’histoire du livre, dès 1984-1985 : « Le livre et ses images » (n° 44), « Le livre et ses mythes » (n° 45), « Le livre et ses lectures » (n° 47). Quant au « Spectacle romantique », il est l’objet d’un numéro dès 1982 (n° 38). Plus tard, un numéro portera sur la notion de représentation : « De la représentation, histoire et littérature », n° 110, 2000.
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[10]
« L'ouverture vers “la fraternité des arts” est encore, à notre goût, bien timide », reconnaît Claude Duchet en 1971.
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[11]
Voir cependant : Pierre Georgel, « Publications sur l'art romantique (1970-1971) », n° 4, 1972 ; Alain Montandon, « De la peinture romantique allemande », n° 16, 1977.
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[12]
Voir les contributions de Frank Paul Bowman, le colloque de Metz, « Romantisme et religion », et l’article de synthèse de Jean-Claude Fizaine : « Les aspects mystiques du romantisme français. État présent de la question », n° 11, 1976, p. 4-14.
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