Couverture de ROM_188

Article de revue

L’orientalisme des écrivains et des savants du XIXe siècle dans Boussole de Mathias Énard

Pages 118 à 137

Notes

  • [1]
    L’expression est mentionnée au début et à la fin de Boussole (Mathias Énard, Boussole, Arles, Actes Sud, 2015, p. 17 et 367, désormais B) en référence à l’expression forgée par Hofmannsthal en 1917 et qui connut une fortune immense, dont témoigne par exemple le dossier de la revue Austriaca consacré à Vienne porta orientis en 2012 (sous la direction de Dieter Hornig, Johanna Borek et Johannes Feichtinger).
  • [2]
    On notera la référence aux Mémoires de Joseph von Hammer-Purgstall (B 41), dont il est manifeste que Mathias Énard a tiré un certain nombre de références (Joseph von Hammer-Purgstall, Erinnerungen aus meinem Leben 1774-1852, Vienne et Leipzig, Hölder-Pichler-Tempsky, 1940) ; depuis 2011, les souvenirs et lettres de Hammer-Purgstall sont édités en ligne par l’université de Graz (Zentrum für Wissenschaftsgeschichte) : http://gams.uni-graz.at/context:hp (dernière consultation le 6 mars 2020).
  • [3]
    Honoré de Balzac, La Comédie humaine, IV. Études de mœurs : scènes de la vie de province, éd. Pierre-Georges Castex, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1976, p. 965.
  • [4]
    Honoré de Balzac, La Comédie humaine, X. Études philosophiques, éd. Pierre-Georges Castex, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1979, p. 83.
  • [5]
    Voir Marcel Bouteron, « L’inscription de “La peau de chagrin” et l’orientaliste Joseph de Hammer », Revue d’Histoire littéraire de la France, 1950, n° 2, p. 160-167, et également Pierre Larcher, « La “sentence orientale” de La Peau de chagrin ou quand Balzac rencontre Hammer », dans son livre Orientalisme savant, orientalisme littéraire. Sept essais sur leur connexion, Arles, Actes Sud, 2017, chap. IV (p. 91-113, réf. p. 93-95), qui propose en outre une analyse très détaillée de la traduction arabe proposée par Hammer et retrace le passage de sa version calligraphiée à sa version en apparence typographiée.
  • [6]
    On se souviendra qu’en 1829, Victor Hugo avait disposé son poème « Les Djinns » sous une forme crescendo puis decrescendo rappelant un double triangle, pointant d’abord vers haut, puis vers le bas, où l’essaim des djinns grossit puis diminue jusqu’à disparaître. Le poème est indirectement cité dans Boussole p. 259 : « Tout s’efface. Tout fuit. » (cf. la fin du poème : « Tout fuit,/Tout passe/L’espace/Efface/Le bruit. »)
  • [7]
    Marcel Bouteron, « L’inscription de “La peau de chagrin” et l’orientaliste Joseph de Hammer », art. cité, p. 161.
  • [8]
    Sur ce point, voir notamment Michel Espagne, « Silvestre de Sacy et les orientalistes allemands », Revue Germanique Internationale 2008, n° 7 (dossier Itinéraires orientalistes entre France et Allemagne, Pascale Rabault-Feuerhahn et Céline Trautmann-Waller (dir.), p. 79-91), Sabine Mangold, « France Allemagne et retour : une discipline née dans l’émulation », ibid., p. 109-124, et Michel Espagne, « Un Orient franco-allemand : les correspondants de Silvestre de Sacy » dans La Volonté de comprendre. Hommage à Roland Krebs, Maurice Godé et Michel Grunewald (dir.), Berne, Peter Lang, 2004, p. 459-475.
  • [9]
    Honoré de Balzac, La Comédie humaine, X. Études philosophiques, éd. citée., p. 88.
  • [10]
    Joseph von Hammer-Purgstall, Erinnerungen aus meinem Leben 1774-1852, ouvr. cité, p. 224.
  • [11]
    Mohammed Schemsed-din Hafis, Der Diwan, trad. par Joseph von Hammer, Stuttgart et Tübingen, Cotta, 1812 (t. 1) et 1813 (t. 2).
  • [12]
    Hâfez de Chiraz, Le Divân, traduction et commentaires par Charles-Henri de Fouchécour, Lagrasse, Verdier, 2006.
  • [13]
    Le titre a été diversement traduit en français : Le divan oriento-occidental, trad. non mentionné, Paris, J. Albert Merklein, 1835 ; Divan oriental-occidental, trad. Jacques Porchat, Paris, Hachette, 1861 ; Divan oriental-occidental, trad. Alphonse Séché, Paris, L. Michaud, 1909 ; Divan occidental-oriental, trad. Henri Lichtenberger, Paris, Aubier Montaigne, 1940 ; Divan d’Orient et d’Occident, trad. Laurent Cassagnau, Paris, Le Belles Lettres, 2012. Jean-Marie Valentin suggère Divan oriental d’Occident dans le chapitre « La “Weltliteratur” selon Goethe. Réalité et projet », paru dans son ouvrage Minerve et les muses. Essais de littérature allemande, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2007, p. 231-249, réf. p. 236. Dans Boussole, Sarah suggère « divan occidentoriental » (p. 322 notamment).
  • [14]
    Voir Anke Bosse, « Magische Präsenz — zur Funktion von Schrift und Ornament in Goethes West-östlichem Divan », Arcadia, 1998, n° 33, p. 314-336, réf. p. 324.
  • [15]
    Pour une analyse plus détaillée de l’écriture arabe dans le West-östlicher Divan, qu’il me soit permis de renvoyer à mes analyses parues en français (Mandana Covindassamy, « Le(s) sens de l’écriture : Du Divan occidental-oriental au Divan oriental d’occident », Le Texte et l’idée, 2011, n° 25, p. 47-66), et dans une version allemande remaniée (« Im Sinne der Schrift : Orientierung in Goethes West-östlichem Divan », Goethe-Jahrbuch, 2014, n° 131, p. 105-114).
  • [16]
    « Six semaines plus tard je devais partir à Istanbul pour la première fois, et les prémices turques de ce séjour en Styrie m’enchantaient – le jeune drogman Joseph Hammer lui-même n’avait-il pas commencé sa carrière (après tout de même huit ans d’école d’interprète à Vienne) à la légation autrichienne sur le Bosphore ? » (B. 42) ; « et malheureusement j’étais bien loin d’être comme Hammer-Purgstall qui pouvait, dit-il, “traduire du turc ou de l’arabe en français, en anglais ou en italien, et parle le turc aussi bien que l’allemand” » (B. 58) ; « détournons le regard de la maladie et de la mort, comme Goethe, qui a toujours évité les agonisants, les cadavres et les enterrements » (B. 320).
  • [17]
    Le patronyme du personnage évoque irrésistiblement « feu le maréchal du même nom » (B 287), Hubert Lyautey (1854-1934), qui fut le premier résident général de France au Maroc. Il est resté en mémoire pour le respect qu’il voulait témoigner aux populations locales, dont il avait appris les coutumes et étudié la religion.
  • [18]
    Stendhal, De l’amour, éd. Victor Del Litto, Paris, Gallimard, « Folio », 1980, p. 199. Stendhal est par ailleurs évoqué dans Boussole pour le syndrome qui porte son nom (p. 73) et pour les Mémoires d’un touriste (p. 103-104 et 184).
  • [19]
    Stendhal, De l’amour, éd. citée, p. 201.
  • [20]
    Ibid., p. 202.
  • [21]
    Sarga Moussa, « Stendhal et Fauriel : De l’amour chapitre LIII », dans Persuasions d’amour. Nouvelles lectures de « De l’amour » de Stendhal, Daniel Sangsue (dir.), Genève, Droz, 1999, p. 144-161, notamment p. 149-153.
  • [22]
    Trad. Jean-Pierre Lefebvre, Anthologie bilingue de la poésie allemande, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1995, p. 707.
  • [23]
    Wolfram Groddeck, « “Der Asra”. Intertextualität und Poetologie in einem Gedicht aus Heinrich Heines Romanzero », Heine-Jahrbuch, 1992, n° 31, p. 79-91.
  • [24]
    Joseph von Hammer-Purgstall, Geschichte der schönen Redekünste Persiens, Vienne, Heubner und Volke, 1818, qui relate p. 35 la disparition du premier manuscrit, et évoque la réécriture de l’histoire en persan dans le chapitre consacré à « Ansari », p. 46.
  • [25]
    Joseph von Hammer-Purgstall, Wamik und Asra : das ist, Der Glühende und die Blühende. Das älteste persische romantische Gedicht, Vienne, J. B. Wallishausser, 1833, p. 8.
  • [26]
    Pour une étude académique de la source de ce chant, qui conteste l’attribution donnée dans Boussole, on se reportera à Ottmar Pertschi, « “Der Asra” – ein bosnisches Volkslied und/oder eine Übersetzung aus Heine ? : zu einem ungeklärten Thema », Heine-Jahrbuch, 2001, n° 40, p. 129-135.
  • [27]
    Edward Said, L’Orientalisme, trad. Catherine Malamoud, Paris, Le Seuil, 2006. On rappellera que Said avait lui-même nuancé son jugement sur l’orientalisme allemand dans sa postface puis dans sa préface (notamment p. vi et 368). L’ampleur de son revirement au sujet du Divan de Goethe se manifeste dans le nom de l’orchestre qu’il fonde avec Daniel Barenboim et où viennent jouer ensemble en Europe des musiciens d’Israël, des territoires palestiniens, des États arabes voisins : « West-Eastern Divan Orchestra », comme l’évoque Boussole (voir B 147).
  • [28]
    Parmi les études consacrées depuis Said à cette question, on mentionnera notamment Todd Kontje, German orientalisms, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2004, Sabine Mangold, Eine « weltbürgerliche Wissenschaft ». Die deutsche Orientalistik im 19. Jahrhundert, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2004, Andrea Polaschegg, Der andere Orientalismus : Regeln deutsch-morgenländischer Imagination im 19. Jahrhundert, Berlin, New York, De Gruyter, 2005, Suzanne Marchand, German Orientalism in the Age of Empire, New York, Cambridge University Press, 2009, Ursula Wokoeck, German Orientalism : The Study of the Middle East and Islam from 1800 to 1945, Londres, Routledge, 2009, Joseph Croitoru, Die Deutschen und der Orient : Faszination, Verachtung und die Widersprüche der Aufklärung, Munich, Carl Hanser, 2018.
  • [29]
    En écho aux travaux d’Edward Said, L’Orientalisme, ouvr. cité, par exemple p. 17 ou 357.
  • [30]
    Voir Markus Messling et al., Mathias Énard et l’érudition du roman, Boston et Leiden, Brill/Rodopi, 2020.
  • [31]
    Voir Philippe Régnier, Les Saint-Simoniens en Égypte, 1833-1851, Le Caire, Banque de l’Union Européenne/Amin F. Abdelnour, 1989.
  • [32]
    « […] j’allais entrer dans la capitale des peuples barbares », écrit Chateaubriand lorsqu’il évoque son arrivée, en 1806, à Constantinople, la capitale de l’empire ottoman (Itinéraire de Paris à Jérusalem [1811], éd. Jean-Claude Berchet, Paris, Gallimard, « Folio », 2005, p. 256).
  • [33]
    Sur ce point, nous nous permettons de renvoyer à notre essai La Relation orientale. Enquête sur la communication dans les voyages en Orient (1811-1861), Paris, Klincksieck, 1995, p. 85 et suiv.
  • [34]
    Mathias Énard, Boussole, Arles, Actes Sud, 2015, p. 131-134.
  • [35]
    Alphonse de Lamartine, Voyage en Orient, éd. Sarga Moussa, Paris, Champion, 2000, p. 163-179.
  • [36]
    Ibid., p. 166.
  • [37]
    Ibid., p. 169.
  • [38]
    Ibid., p. 172. Lamartine avait déjà évoqué un « christianisme rationnel » dans une brochure parue peu de temps avant de partir pour l’Orient, Sur la politique rationnelle (1831). Dans son Voyage en Orient, il développe cette idée sous l’appellation de « raison générale », dans la partie consacrée à Constantinople : « Cette foi, c’est la raison générale […] – Dieu un et parfait pour dogme, la morale éternelle pour symbole, l’adoration et la charité pour culte ; – en politique, l’humanité au-dessus des nationalités ; – en législation, l’homme égal à l’homme […] ; le christianisme législaté ! » (éd. citée, p. 533).
  • [39]
    Ibid., p. 171.
  • [40]
    « Voulez-vous que je vous révèle à vous-même ? voulez-vous que je vous prédise votre destinée ? » (ibid., p. 170). Sur le messianisme lamartinien, voir Paul Bénichou, Les Mages romantiques, Paris, Gallimard, 1988, p. 23 et suiv. Voir par ailleurs la thèse de Nicolas Courtinat, Philosophie, histoire et imaginaire dans le Voyage en Orient de Lamartine, Paris, Champion, 2003, en particulier p. 408 et suiv. sur la rencontre avec Lady Stanhope comme forme d’initiation. Lamartine apprit son élection comme député à la Chambre des représentants alors qu’il était encore en Syrie, au début de l’année 1832. Sur les aspects politiques et religieux de la pensée de Lamartine à l’époque de son voyage en Orient, voir Gérard Unger, Lamartine. Poète et homme d’État, Paris, Flammarion, 1998, p. 189-207.
  • [41]
    Alphonse de Lamartine, Voyage en Orient, éd. citée, p. 172.
  • [42]
    « Vous devez être poète » (idem).
  • [43]
    Ibid., p. 64.
  • [44]
    Lamartine prononce dès 1834 deux discours sur la question d’Orient à la Chambre des députés. Il plaide pour une intervention active de la France en Méditerranée, considérant, bien à tort, que l’empire ottoman est au bord de l’effondrement. Le « Résumé politique du Voyage en Orient » énonce, en 1835, cette vision cynique d’un dépeçage annoncé : « Voici ce qu’il y a à faire. Rassembler un congrès des principales puissances qui ont des limites sur l’empire ottoman, ou des intérêts sur la Méditerranée ; […] » (ibid., p. 742). Lamartine reviendra, notamment dans la préface de 1849 à l’édition de ses Œuvres complètes, sur cette erreur d’appréciation concernant l’empire ottoman. Voir sur ce point la préface de Sophie Basch à la réédition qu’elle a procurée, avec Henry Laurens, de Lamartine, La Question d’Orient. Articles et discours, Bruxelles, André Versaille, 2011.
  • [45]
    Alphonse de Lamartine, Voyage en Orient, éd. citée, p. 736.
  • [46]
    Voir par exemple Alexis de Tocqueville, qui justifie l’emploi de la violence coloniale (De la colonie de l’Algérie, prés. Tzvetan Todorov, Bruxelles, Complexe, 1988).
  • [47]
    Alphonse de Lamartine, Voyage en Orient, éd. citée., p. 457.
  • [48]
    Sur cette figure que Lamartine a quelque peu mythifiée, nous nous permettons de renvoyer à notre article, « La figure d’Ibrahim dans le Voyage en Orient de Lamartine », dans « L’Ailleurs (1) », dossier coordonné par Franck Laurent et Sylvain Venayre, Écrire l’histoire, n° 7, 2011, p. 63-75.
  • [49]
    Ibrahim Pacha occupe la Syrie (dont une ville comme Beyrouth, qui en fait partie à cette époque) au moment où Lamartine s’y trouve. Sur cette période d’occupation, voir Gilbert Sinoué, Le Dernier Pharaon. Méhémet-Ali, 1770-1849, Paris, Pygmalion/Gérard Watelet, 1997, chap. 24 et 25.
  • [50]
    Voir Edward Said, L’Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident [1978], trad. Catherine Malamoud, Paris, Éditions du Seuil, 1980, en particulier les p. 205 et suiv. concernant le Voyage en Orient de Lamartine.
  • [51]
    Lorsque Lamartine évoque le nom de « Buonaparte » (soulignant par cette graphie étrangère son propre point de vue anti-bonapartiste, à partir de l’assassinat du duc d’Enghien), il évoque, à propos de Lady Stanhope, son « fanatisme pour cet homme » (Voyage en Orient, éd. citée, p. 179).
  • [52]
    Ibid., p. 173. Nous avons conservé la graphie « coude-pied », attestée à l’époque de Lamartine. On écrit aujourd’hui « cou-de-pied » pour désigner l’articulation entre le pied et la jambe.
  • [53]
    Nous renvoyons sur ce point à notre ouvrage Le Mythe bédouin chez les voyageurs aux xviiie et xixe siècles, Paris, PUPS, « Imago Mundi », 2016, en particulier p. 224 et suiv. pour une analyse de ce motif.
  • [54]
    Sauf lorsqu’il entre à Damas (ville d’où partaient des caravanes pour le pèlerinage de La Mecque), dont les habitants avaient la réputation d’être méfiants, voire hostiles à l’égard des Européens : « Nous complétons nos costumes turcs pour n’être pas reconnus pour Francs dans les environs de Damas » (Alphonse de Lamartine, Voyage en Orient, éd. citée, p. 448).
  • [55]
    La fin du premier chapitre des Femmes du Caire se termine ainsi : « Heureusement, j’avais acheté un de ces manteaux en poil de chameau nommés machlah qui couvrent un homme des épaules aux pieds ; avec ma barbe déjà longue et un mouchoir tordu autour de la tête, le déguisement était complet » (Gérard de Nerval, Voyage en Orient, dans Œuvres complètes, éd. Jean Guillaume et Claude Pichois, t. II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1984, p. 264).
  • [56]
    « Les coiffures surtout, destinées à préserver de l’insolation, étaient particulièrement bizarres. […] » (Théophile Gautier, Voyage en Égypte, éd. Sarga Moussa, dans Œuvres complètes, IV, 6, Paris, Champion, 2016, p. 166). Ce morceau de bravoure satirique est un clin d’œil à l’ami Nerval, qui avait lui-même donné un portrait caricatural du touriste anglais dans son Voyage en Orient.
  • [57]
    On retrouve cependant des traces de cette origine arabe fantasmée ailleurs dans l’œuvre de Lamartine, ainsi dans ses Mémoires politiques, où il fait résonner le nom d’Allah dans son propre patronyme (Œuvres complètes, Paris, chez l’auteur, t. XXXVII [1863], p. 67).
  • [58]
    Lamartine rencontre une petite délégation de saint-simoniens lorsqu’il aborde à Smyrne, sur le chemin du retour. Tout en tâchant de se distancier d’eux (« les organisateurs du saint-simonisme ont pris pour premier symbole : Guerre à mort entre la famille, la propriété, la religion et nous ! Ils devaient périr […] », Voyage en Orient, éd. citée, p. 517), il entre en convergence avec leur évocation d’une union pacifique de l’Orient et de l’Occident, qu’on trouve par exemple, au même moment, chez Émile Barrault, dans Occident et Orient (1835).
  • [59]
    « Il n’y a d’homme complet que celui qui a beaucoup voyagé, qui a changé vingt fois la forme de sa pensée et de sa vie », conclut Lamartine, Voyage en Orient, éd. citée, p. 453. Sur le portrait idéalisé de ce personnage en homme hybride, voir notre ouvrage La Relation orientale, ouvr. cité, p. 121-123.
  • [60]
    Alphonse de Lamartine, Voyage en Orient, éd. citée, p. 174.
  • [61]
    Cet ouvrage a été tout récemment traduit de l’anglais par Frédéric Cotton : Richard White, Le Middle Ground. Indiens, Empires et Républiques dans la région des Grands Lacs, 1650-1815 [1991], Toulouse, Anacharsis, 2020.
  • [62]
    « Elle avait sur la tête un turban blanc […] » (Alphonse de Lamartine, Voyage en Orient, éd. citée, p. 169 ; pour d’autres témoignages sur l’habillement de Lady Stanhope, voir la note 163 de la même page).
  • [63]
    Mathias Énard, Boussole, ouvr. cité, p. 133. L’imaginaire de l’Orientale alanguie au harem est surtout véhiculé par la peinture orientaliste, au xixe siècle, que ce soit par des peintres qui ne sont jamais allés en Orient, comme Ingres, ou, plus tard, par un peintre voyageur comme Gérôme. Sur les peintres orientalistes de cette époque, voir les ouvrages de Christine Peltre, en particulier Les Orientalistes, Paris, Hazan, 1997.
  • [64]
    Sur cette question, voir la traduction récente de l’allemand, par Kaja Antonowicz, de l’ouvrage de Natascha Ueckmann, Genre et orientalisme. Récits de voyage au féminin en langue française (xixe-xxe siècles), Grenoble, UGA Éditions, « Vers l’Orient », 2020 (sous presse).
  • [65]
    Mathias Énard, Boussole, ouvr. cité, p. 133-134. L’expression « Circé des déserts », renvoyant à la célèbre magicienne de L’Odyssée qui séduit Ulysse pendant un temps, est en effet employée par Lamartine pour désigner Lady Stanhope (Voyage en Orient, éd. citée, p. 174).
  • [66]
    « Il n’était néanmoins pas possible, soutenait Sarah, de condamner tout ce petit monde en bloc ; […] : il fallait ramener les choses à l’individu et s’abstenir de fabriquer un discours général qui devenait à son tour une construction idéologique, un objet sans autre portée que sa propre justification » (Mathias Énard, Boussole, ouvr. cité, p. 146-147).
  • [67]
    Ibid., p. 147.
  • [68]
    Idem. Edward Said et Daniel Barenboim ont évoqué eux-mêmes la fondation à Weimar, en 1999, de cet orchestre réunissant des musiciens israéliens et arabes, dans un passionnant recueil d’entretiens, traduits en français par Philippe Babo sous le titre Parallèles et Paradoxes. Explorations musicales et politiques, Paris, Le Serpent à plumes, 2003.
  • [69]
    « Pour Sarah, ce qui rendait le personnage de Marga si intéressant était sa passion pour la liberté – liberté si extrême qu’elle s’étendait au-delà de la vie même d’autrui. Marga d’Andurain avait aimé les Bédouins, le désert et le Levant pour cette liberté, peut-être tout à fait mythique, sûrement exagérée, dans laquelle elle pensait pouvoir s’épanouir » (Mathias Énard, Boussole, ouvr. cité, p. 142). Marga d’Andurain, accusée d’avoir assassiné son mari (un Bédouin qu’elle avait épousé avant de tenter de se rendre à La Mecque), est l’auteur de l’ouvrage autobiographique Le Mari passeport (1947).
  • [70]
    Cette dimension est également présente dans l’épisode du récit d’un voyage à Istanbul raconté par Ritter, où il fait une expérience mystique dans une mosquée – expérience bouleversante, qui l’a laissé « désorienté », mais dont le caractère sérieux est ensuite relativisé (sans pour autant être annulé) par le fait qu’il se fasse voler ses chaussures et doive parcourir la ville avec les sandales d’un autre, « comme un derviche, l’âme en peine » (Mathias Énard, Boussole, ouvr. cité, p. 72).
  • [71]
    Ibid., p. 134.
  • [72]
    Voir Jean-Pierre Dubost et Axel Gasquet (dir.), Les Orients désorientés. Déconstruire l’orientalisme, Paris, Kimé, 2013.
  • [73]
    Mathias Énard, Boussole, p. 166 et suiv.
  • [74]
    Voir, dans le dialogue qui s’instaure dans la Range Rover, la question que pose un passager au conducteur : « Tu es sûr qu’on est sur la bonne route ? D’après ta boussole on va plutôt nord-ouest que nord. Direction Homs » (ibid., p. 167).
  • [75]
    Voir Homi K. Bhabha, Les Lieux de la culture. Une théorie postcoloniale, trad. fr. par Françoise Bouillot, Paris, Payot, 2007.
  • [76]
    Alphonse de Lamartine, Voyage en Orient, éd. citée, p. 140-142.
  • [77]
    Mathias Énard, Boussole, ouvr. cité, p. 276.
  • [78]
    Ibid., p. 188.

1Mathias Énard, né en 1972, fait partie des écrivains contemporains pour qui les frontières, spatiales comme temporelles, sont faites pour être franchies. Son lien à l’Orient est intime, puisqu’il passe par la connaissance de l’arabe et du persan, sans parler des nombreux séjours qu’il fit au Moyen-Orient. En ce sens, sa connaissance des cultures orientales est certainement beaucoup plus étendue que celle des voyageurs du xixe siècle, lesquels, à de rares exceptions près, ne parlaient ni ne lisaient les langues en usage dans l’empire ottoman, dont ils parcouraient pourtant rituellement les territoires du bassin oriental de la Méditerranée. Mais, contrairement à Edward Said, dont l’essai Orientalism (1978) fit date, Énard ne voit pas, dans Boussole (2015), les écrivains passionnés par l’Orient et les orientalistes savants du xixe siècle comme des promoteurs, conscients ou inconscients, de l’impérialisme, par ailleurs bien réel, qui caractérise l’histoire européenne de leur temps, mais plutôt comme des prédécesseurs dont la boussole intérieure pointe indéfectiblement la direction de l’est. Énard écrit au fond, à sa manière, une autre histoire de l’orientalisme, fondée sur l’idée d’interculturalité plutôt que sur l’imposition de modèles occidentaux et sur l’imagination créatrice plutôt que sur les discours idéologiques. Il montre que certains voyageurs, malgré une évidente tentation colonialiste, se rêvaient eux-mêmes en hybrides culturels, tel Lamartine face à Lady Stanhope. Il rappelle le rôle précurseur que joua le grand orientaliste autrichien Hammer-Purgstall, véritable passeur de langues et de cultures, et dont il fait l’un des personnages nodaux de son roman. Il suggère par ailleurs qu’il y a, au-delà des voyageurs européens à l’époque romantique, un « Orient second » (celui de Goethe et de Hugo, qui n’ont jamais traversé la Méditerranée). Il s’agit dès lors de comprendre la façon dont Énard pense cette nouvelle relation orientale, dans une perspective pluriculturelle, et, simultanément, de se demander ce que cette « connaissance » peut apporter, aujourd’hui, à la compréhension de la littérature – des littératures, qu’il n’est plus possible de concevoir de manière cloisonnée. Au fond, la question est de savoir pourquoi Boussole fait appel à de nombreuses figures d’un romantisme européen « orientalisé », et en quoi ce recours à l’orientalisme culturel du xixe siècle peut nous éclairer, à l’orée du xxie siècle.

Boussole au prisme de l’orientalisme allemand du xixe siècle

2Mandana Covindassamy

3Étrangement, les premiers mots de Boussole sont en allemand. Le livre s’ouvre sur le dernier quatrain de « Frühlingstraum », onzième lied du Winterreise de Wilhelm Müller et Franz Schubert (Voyage en hiver, dans la traduction donnée par Mathias Énard), suivi de sa traduction en français. Par ces quelques vers, d’emblée, l’orientation vers l’Est du roman est donnée, avant qu’il nous conduise vers un Orient plus lointain. Le point d’où rayonne l’exploration, c’est Vienne, « Porta Orientis[1] », où vit le musicologue autrichien Franz Ritter, dont le roman nous livre les méditations, une nuit d’insomnie durant. Elles s’achèveront par l’envoi de ce même quatrain en français à Sarah, si longuement désirée, désormais présente à lui, à portée de mail, de l’autre côté du globe.

4Si, comme les œuvres de Goethe ou Heine, le Voyage en hiver de Müller/Schubert est bien connu en France, il n’est pas certain que ce soit le cas des écrivains de langue allemande Grillparzer, Rückert ou Wilhelm Hauff, et on peut affirmer que la plupart des lecteurs n’auront jamais entendu parler des orientalistes Joseph von Hammer-Purgstall ou Friedrich von Bodenstedt avant de lire Boussole. Le vertige qui s’empare du lecteur devant l’érudition de l’ouvrage de Mathias Énard ne se résout pas dans une dichotomie entre un « Occident » familier et un « Orient » étranger ; bien au contraire, en perdant ses repères devant des références allemandes autant qu’arabes, persanes ou turques, le lecteur suit un récit qui vient briser « ces miroirs entre Orient et Occident » et « mettre au jour les rhizomes de cette construction commune de la modernité » (B 275).

5Fissurer l’unité de l’Occident passe par le choix d’un narrateur autrichien, vivant à Vienne, né d’une mère française de la région de Tours et de ce fait également locuteur français. Il s’entretient en français avec la polyglotte Sarah dont la connaissance de l’allemand fait pourtant défaut, et prend plaisir à coucher par écrit ses souvenirs d’une après-midi téhéranaise, peut-être « pour le plaisir, si rare, d’écrire en français » (B 285). Dans quelle langue pense-t-il alors durant cette nuit d’insomnie ? La transcription de ses pensées est-elle le fruit d’une traduction ? « Il n’y a pas d’original. Tout est en mouvement. Entre les langages. Entre les temps […]. » (B 337) De cette situation entre les langues qui est aussi propre au narrateur, témoignent des hésitations qui défont l’illusion d’un rapport immédiat au langage et dévoilent son épaisseur matérielle et sa circulation, comme lorsque sont décrits des oiseaux « que l’on appelle Spechte en allemand » (B 310) ou « ces acores odorants qu’on appelle Kalmus, dans lesquels autrefois on taillait les calames » (B 34). Placés en italique comme les citations en arabe ou en persan, les termes allemands se détachent, s’exotisent. Pourtant, le Kalmus allemand désigne la plante dont on fait les calames « français » et les ney persans, ces flûtes qu’évoque Énard dans la suite du passage. Kalmus et calame viennent du latin calamus, du grec kalamos et se retrouvent dans le qalam persan. L’étrangeté de l’allemand vient remettre en jeu le voyage des mots, entre les langues.

De Paris vers l’Inde via Vienne et l’arabe : Hammer-Purgstall et Balzac

6Les acores odorants frémissent devant Franz et Sarah, perdus dans la lecture de poèmes de Rückert dédicacés à son maître en langues orientales Joseph von Hammer-Purgstall. Ils se sont isolés dans la bibliothèque du château de Hainfeld, en Autriche, qui lui avait appartenu et où se trouvent encore ses livres. C’est là que se tient le colloque d’orientalistes qui leur a permis de faire connaissance. Dans ce château, la présence de l’Orient se manifeste par la végétation, par la bibliothèque encore préservée de l’érudit, mais aussi par une inscription « en arabe, calligraphiée en ronde-bosse dans la pierre » où paraît le nom d’Allah. Gravée dans la pierre, elle signe l’échange entre Orient et Occident auquel Hammer-Purgstall contribua toute sa vie durant, lui qui fut formé dès l’âge de quinze ans comme drogman à l’Académie des langues orientales de Vienne, fit plusieurs voyages à Constantinople, fut un traducteur prolixe, également auteur d’histoires littéraires et politiques, fonda la revue Fundgruben des Orients/Mines de l’Orient qui devait se diffuser dans toute l’Europe et fut le premier président de l’Académie autrichienne des sciences (Österreichische Akademie der Wissenschaften) de Vienne. Figure rémanente de Boussole, Hammer-Purgstall nourrit tout un réseau artistique européen de ses connaissances et de ses traductions poétiques. Sa présence contemporaine se manifeste dans Boussole par l’évocation du château de Hainfeld ou de la rue viennoise qui porte son nom (B 366).

7Plutôt que par une longue notice historique de type biographique [2], c’est donc à partir de la présence encore effective de l’orientaliste dans des lieux que se déploie de manière récurrente dans Boussole la référence à Hammer-Purgstall. Présenté comme le « premier grand orientaliste autrichien, traducteur des Mille et Une Nuits et du Divan de Hafez, historien de l’Empire ottoman » (B 26), il est aussitôt situé au cœur du réseau des orientalistes européens de son temps. Le texte précise ainsi qu’il est ami de Silvestre de Sacy, qui fut titulaire de la chaire de persan au Collège de France après avoir enseigné l’arabe à l’École des langues orientales, ce qui jette un pont vers la France notamment. Le lien se fait plus étroit lorsque, par le truchement d’un article que Sarah a écrit sur Honoré de Balzac et l’Orient, la rencontre du romancier français avec Hammer-Purgstall est détaillée. À l’occasion du séjour à Vienne de Balzac en 1835, les deux hommes nouent connaissance et se lient d’amitié, ce dont témoigne la longue dédicace dont Balzac honore Hammer-Purgstall dans Le Cabinet des Antiques en 1838 où il note : « […] vous avez accordé de tels encouragements à mon œuvre, que vous m’avez ainsi donné le droit d’attacher votre nom à l’un des fragments qui en feront partie [3]. »

8L’ampleur de la dédicace se comprend si, comme le montre Sarah dans son article fictif et Marcel Bouteron dans sa contribution réelle, on sait que Hammer-Purgstall est l’auteur de la traduction arabe des paroles qui sont écrites sur la peau de chagrin. La page du roman de Balzac est reproduite dans Boussole (p. 78), tout d’abord dans l’édition de 1838, où figure la traduction arabe, puis dans l’édition originale de 1831, dont le texte arabe est absent. Rappelons ici que le héros de La Peau de chagrin, Raphaël de Valentin, est qualifié d’orientaliste par le marchand d’antiquités chez qui il découvre la mystérieuse peau de chagrin [4]. Entre les deux éditions, Balzac s’était rendu à Vienne pour suivre son amour, Mme Hanska. Il y a fait la connaissance de Hammer-Purgstall, qui traduit pour lui en arabe l’inscription de la peau de chagrin et en fait fabriquer le tampon à Döbling [5]. Ce qui se présente comme l’original arabe est en réalité une traduction produite à partir du français par un orientaliste viennois. Par son truchement, le texte balzacien est adressé à la langue arabe. Le rôle de l’orientaliste n’est ici pas tant de faire connaître l’Orient à l’Europe que de traduire vers l’Orient.

9Dans l’édition originale de 1831, le texte inscrit sur la peau de chagrin est disposé typographiquement sous la forme d’un triangle pointant vers le bas [6]. Selon Marcel Bouteron, ce dispositif avait été inspiré à Balzac par les Mille et Une Nuits dans la traduction de Galland, où l’on retrouve la même disposition triangulaire dans le préambule du sixième voyage de Sindbad le marin [7]. En 1838, l’ajout de l’écriture arabe via la traduction hammerienne vient doubler le dispositif visuel orientalisant d’origine. Mais par la présence de l’arabe dans une véritable traduction, le texte passe de l’évocation imaginaire de l’Orient à une présence réelle de la langue. Hammer-Purgstall se voit donc investi depuis Vienne d’un rôle de passeur du français vers l’arabe. Ce passage par la porta orientis de l’Europe est d’autant plus étonnant que Paris faisait figure à l’époque de centre européen pour la connaissance de l’arabe et formait notamment bien des orientalistes de langue allemande grâce au rôle de Silvestre de Sacy, qui n’avait lui-même jamais voyagé en pays arabe [8]. Ces orientalistes allemands, contrairement à Hammer-Purgstall qui avait suivi une formation pratique d’interprète, étaient issus de l’université. Comme le résume Sarah, « [o]n assiste ici à la formation d’un réseau artistique qui irrigue depuis Hammer-Purgstall l’orientaliste toute l’Europe de l’Ouest, de Goethe à Hofmannsthal, en passant par Hugo, Rückert et Balzac lui-même » (B 79). Bien que français, Balzac a passé par Vienne pour introduire l’arabe dans son œuvre – tout en indiquant que le texte est écrit en sanscrit et que la peau de chagrin est parvenue à l’antiquaire par l’intermédiaire d’un « bramine », renouant ainsi avec l’imaginaire oriental [9]

De Vienne à Weimar et au-delà, via Shiraz : Hammer-Purgstall, Hafez, Goethe…

10Ce réseau artistique est esquissé en d’autres points du livre, qu’il s’agisse de l’amitié entre Lamartine et Hammer-Purgstall, tous deux auteurs d’histoires de l’Empire ottoman (133), de l’intérêt de l’orientaliste autrichien pour le projet de canal de Suez de Prosper Enfantin (B 120-121) ou pour Le Désert du compositeur Félicien David (B 121), ou encore du lien qui rapproche à Vienne Hammer-Purgstall et Beethoven (B 93-95, en référence à un passage des Mémoires de Hammer-Purgstall [10], p. 255). Mais l’autre direction majeure du réseau hammerien pointe en direction de Weimar via la Perse de Hafez. Hammer-Purgstall est en effet demeuré célèbre pour sa traduction intégrale du Divan de Hafez parue en 1812-1813 chez Cotta [11] – il fallut attendre 2006 pour que les lecteurs francophones disposent d’une traduction intégrale du même Divan grâce au travail immense de Charles-Henri de Fouchécour [12]. La traduction de Hammer-Purgstall, qui a la particularité de proposer une translittération systématique du premier vers en caractère latin ainsi que, pour certains poèmes, un schéma rythmique, provoqua chez Goethe un choc esthétique tel qu’il en vint à répondre au poète persan en composant le West-östlicher Divan[13], paru en 1819 dans un contexte littéraire que rappelle le roman de Mathias Énard : « bien avant Les Orientales d’Hugo, au moment même où Chateaubriand invente la littérature de voyage avec l’Itinéraire de Paris à Jérusalem, […] Goethe met la dernière main à son West-östlicher Divan, directement inspiré de la traduction de Hafez qu’a publiée Hammer-Purgstall » (B. 94). Cette circulation du texte induit la création d’un réseau qui, de proche en proche, unit la poésie classique persane et l’Europe. C’est à l’expérience de cette coprésence que nous invite Boussole : « […] il y a le vieux Hafez, et Goethe, et donc Schubert, qui mettra en musique des poèmes du Divan occidental-oriental, et Mendelssohn, et Schumann, et Strauss et Schönberg, eux aussi reprendront ces poèmes de Goethe l’immense […] ; près de Hammer s’assoient Rückert et Mowlana Jalal od-Din Roumi, et Ludwig van Beethoven, leur maître à tous, s’installe au piano. » (B 94-95) Ce moment du roman réalise le mouvement entre les langues, entre les temps, en restituant les fils qui courent dans le tissu poétique et musical unissant ces auteurs, en reconstituant le voisinage des Orients premier, second, troisième : « Il y aurait donc un Orient second, celui de Goethe ou d’Hugo, qui ne connaissent ni les langues orientales, ni les pays où on les parle, mais s’appuient sur les travaux des orientalistes et voyageurs comme Hammer-Purgstall, et même un Orient troisième, un Tiers-Orient, celui de Berlioz ou de Wagner, qui se nourrit de ces œuvres elles-mêmes indirectes. » (B 69) L’évocation de l’assemblée réunie autour du Divan de Goethe se voit complétée vers la fin de l’ouvrage et élargie à l’Italie du xxe siècle : « On devrait plus s’intéresser aux adaptations musicales du Divan occidentoriental, Schubert, Schumann, Wolf, des dizaines de compositeurs sans doute, jusqu’aux émouvants Goethe Lieder pour mezzo-soprano et clarinettes de Luigi Dallapiccola. » (B 325)

11Loin de diverger, la direction balzacienne et la direction goethéenne du rayonnement hammerien entrent en résonance dans Boussole. À la fin du roman, le lecteur met en relation la reproduction de la page bilingue de La Peau de chagrin avec celle de la page de titre de l’édition originale du West-östlicher Divan (B 322) où apparaît également l’écriture arabe en regard du titre allemand. D’un point de vue interne à la narration, l’écho entre ces deux passages est renforcé par le fait que Sarah, qui avait écrit l’article sur Balzac et Hammer-Purgstall, envoie à Franz le fac-similé du Divan en précisant : « tu te rappelles mon article sur Balzac et la langue arabe ? Eh bien je pourrais en écrire un de plus, regarde cette belle page, que tu dois connaître. » Comme dans le cas de Balzac, il s’agit d’une traduction vers l’arabe (et non d’une traduction de l’arabe vers les langues européennes), à laquelle a contribué cette fois-ci un autre orientaliste, l’Allemand Kosegarten [14]. Là encore, l’arabe précède la langue européenne [15]. Mais Goethe joue de la mise en regard, en miroir, des deux titres, ainsi que de l’écart entre le sens de l’allemand et celui de l’arabe, plus explicite : « en arabe, c’est Le Divan oriental de l’écrivain occidental » (B 322). C’est dans cette langue, que bien peu de lecteurs de Goethe pouvaient comprendre en 1819, que le projet poétique de Goethe se précise. Un tel écart signifiant n’existait pas dans la traduction en arabe par Hammer-Purgstall du texte de la peau de chagrin, pas plus que dans le roman de Faris Chidiac, La Vie et les aventures de Fariac, publié intégralement en arabe à Paris en 1855 avec un titre français venant doubler le titre original, dont la page de titre est reproduite dans Boussole en regard du fac-similé du West-östlicher Divan.

12À la différence des pages tirées de La Peau de chagrin et de La Vie et les aventures de Fariac, celle du West-östlicher Divan présente la particularité de montrer une troisième typographie, gothique, qui, bien qu’elle soit plus aisément déchiffrable pour le lecteur francophone que l’écriture arabe, n’en demeure pas moins peu familière, tout comme la langue allemande. La présence de cette typographie renvoie le lecteur aux titres des chapitres du livre que Franz Ritter se voit écrire : « Des différentes fformes de ffolie en Orient » (B 145), composé de quatre volumes et d’un addendum qui donnent sa structure à la table des matières de Boussole. Tous ces titres sont en effet reproduits dans une casse qui rappelle l’écriture gothique, leur conférant une double étrangeté, historique et linguistique, et renvoyant le lecteur à la nationalité autrichienne de Franz Ritter ainsi que, plus largement, au rôle de médiation que joue l’allemand dans le livre.

13Si le nom de Hammer-Purgstall n’est pas rappelé lorsqu’est reproduite la page de titre du Divan, le lecteur n’aura pas oublié que la rédaction du recueil trouvait sa source première dans la lecture du Divan de Hafez traduit par les soins de l’orientaliste viennois. Le lien est renforcé par le parallèle qui s’établit entre cette séquence dans laquelle Sarah écrit à Franz depuis Weimar, où elle participe à un « colloque comparatiste sur la littérature de voyage au xixe siècle » et ne manque pas de visiter la maison de Goethe (B 320), et le souvenir du colloque de Hainfeld dans le château de Hammer-Purgstall. Aux acores odorants de Hainfeld répondent les gingkos biloba de Weimar chantés par Goethe dans son Divan. Cette présence contemporaine de l’orientalisme est redoublée par les moments où le narrateur s’identifie à Hammer-Purgstall ou Goethe [16]. Plus qu’à une plongée rétrospective dans ce xixe siècle qui a largement contribué à la diffusion de la connaissance de l’Orient, c’est en effet à l’actualisation de ce mouvement de rencontre que nous invite Boussole. Nous en montrerons une trajectoire en étudiant les harmoniques contenues dans un nom.

Azra-Sarah-Asra : persan-français-hébreu-allemand-arabe via Heine, Stendhal, Goethe, Hammer-Purgstall

14Dans le texte que Franz Ritter explique avoir rédigé en français, il rapporte le récit que Gilbert de Morgan, directeur de l’IFRI (Institut Français de Recherche en Iran) à Téhéran, a fait de la période où il séjournait dans la capitale iranienne lors de la Révolution. Il s’y était alors épris d’une jeune femme iranienne, Azra, qui fréquentait un Français également en séjour à l’institut, Frédéric Lyautey [17]. Ce dernier disposait d’une connaissance du persan si parfaite qu’il se faisait passer pour un Iranien dénommé Farid Lahouti et composait des poèmes persans dignes de la plus grande admiration. Tous deux mourront, séparés l’un de l’autre, Azra dans le chaos de la révolution iranienne, Frédéric-Farid retrouvé suicidé dans un hôpital en France. Azra et Frédéric-Farid forment l’avatar contemporain de ces couples tragiques qui peuplent et unissent les littératures (Shirin et Khosrow, Leyla et Majnoun, Vis et Ramin, Roméo et Juliette, Tristan et Iseult/Isolde…). Le narrateur s’identifie à cette histoire d’amour : « Je pense Azra, Sarah, presque les mêmes sons, les mêmes lettres. La même passion. » (B 309) Le lecteur pense : « Farid-Frédéric, Franz-François-Joseph (comme l’appelle Sarah), presque les mêmes sons, les mêmes lettres. » Derrière l’histoire d’Azra et Farid-Frédéric se dessine celle de Sarah et Franz.

15Le prénom « Sarah » existe également en persan, tout comme dans l’Ancien Testament. La forme du prénom « Azra » est quant à elle peu fréquente en persan, moins en tout cas que Ozra, ou que le prénom Azar, qui est également proche de Sarah. Mais elle a le mérite d’ouvrir un pont vers l’Europe, du moins vers les littératures française et allemande en tant qu’elles témoignent des « rhizomes de la construction commune de la modernité » par l’Orient et l’Occident.

16Dès la première apparition du prénom « Azra », le lecteur stendhalien aura peut-être pensé au chapitre LIII de De l’amour (1822) où Stendhal, après avoir mentionné le Livre des chansons et l’Histoire des Arabes qui sont morts d’amour[18], cite des fragments du « Divan de l’amour compilé par Ebn-Abi-Hadglat [19] ». Il y évoque notamment la tribu des Azra, « peuple chez lequel on meurt quand on aime [20] ». Comme l’a montré Sarga Moussa, ce chapitre repose sur la connaissance des textes arabes que Stendhal a pu obtenir par l’entremise de Claude Fauriel, qui avait étudié l’arabe auprès de Silvestre de Sacy, et du chrétien d’origine syrienne Michel Sabbagh, lequel avait établi la liste des chapitres du Divan de l’amour[21]. Quant au lecteur germanophone, il entendra l’écho du célèbre poème de Heine « Der Asra ». Paru en septembre 1846 dans le Morgenblatt für gebildete Stände, il est repris en 1851 dans le Romanzero et relate une histoire d’amour muette entre la fille d’un sultan et un esclave qui pâlit de jour en jour. Lorsque cette dernière lui demande son nom, d’où il vient, quelle est sa tribu, il lui répond : « Je m’appelle/Mohamed, je suis du Yémen/Et de la tribu des Asra,/Ceux-là qui meurent quand ils aiment [22]. »

17Dès 1893, la critique avait mis en évidence que Heine avait dû s’inspirer de Stendhal [23] selon un transfert du français vers l’allemand peu étonnant chez le poète exilé à Paris. Mais depuis, Wolfram Groddeck a montré que Heine s’était certainement tout autant inspiré du West-östlicher Divan où mention est faite, dans le poème « Noch ein Paar » (« Encore un couple ») ainsi que dans le chapitre « Künftiger Divan » (« Le Divan à venir »), de l’histoire d’amour entre Wamik et Asra. Goethe en avait eu connaissance grâce à Hammer-Purgstall. Dans son histoire de la littérature persane (Geschichte der schönen Redekünste Persiens, 1818), l’orientaliste la présente comme le poème romantique persan le plus ancien, initialement rédigé en pahlavi sous les Sassanides, désormais perdu, de sorte que seuls les noms des protagonistes sont restés [24]. Parmi d’autres, Onsori en a écrit une version en persan, également largement perdue, dont Hammer a publié une traduction en 1833 à partir d’une version turque sous le titre Wamik und Asra : das ist, Der Glühende und die Blühende. Das älteste persische romantische Gedicht[25]. Il est donc possible que Heine ait aussi eu connaissance de ce texte avant d’écrire son poème. Le nom « Asra » se voit également chargé de l’ensemble de cette histoire tragique persane dont le détail s’est perdu et dont seul persiste le nom. Dans un simple nom, « Azra », viennent s’entrelacer un essai en français de Stendhal, des manuscrits arabes, le Divan de Goethe et un poème persan disparu dont a survécu le nom des protagonistes et dont une version a été donnée en allemand par l’Autrichien Hammer-Purgstall à partir d’une adaptation turque.

18Lorsque Boussole, dans ses dernières pages, évoque explicitement le poème de Heine, la porosité onomastique d’Azra-Asra-Sarah trouve sa confirmation. Franz Ritter offre à Sarah pour son anniversaire une chanson bosniaque mélancolique, une sevdalinka, genre dont les mélodies sont « une version balkanique de la musique ottomane », intitulée « Kraj tanana šadrvana ». Elle raconte l’histoire de la fille du sultan et du jeune esclave issu de la tribu des Asra. « Le texte de cette chanson au motif turco-arabe n’est pas, comme on pourrait le croire, un vieux poème de l’époque ottomane. C’est une œuvre de Safvet-beg Bašagić – une traduction d’un poème célèbre de Heinrich Heine, Der Asra » (B 362) [26]. Heine, parti d’Allemagne pour vivre et mourir à Paris, sur la tombe duquel Franz et Sarah se sont rendus à Montmartre, a été évoqué plus tôt dans Boussole pour son poème « Morphine » ou encore pour ses évocations d’un concert de Berlioz. « Cette sevdalinka joint Heinrich Heine à l’ancien Empire ottoman – le poème orientaliste devient oriental. Il retrouve (après un long chemin imaginaire qui passe par Vienne et Sarajevo) la musique de l’Orient. C’est une des sevdalinke les plus connues et les plus chantées en Bosnie, où peu parmi ceux qui l’entendent savent qu’elle provient de l’imagination du poète de la Lorelei, Juif né à Düsseldorf et mort à Paris » (B 362-363). Azra-Asra-Sarah tissent ensemble, indéfectiblement, le persan, l’arabe, l’hébreu, le français, l’allemand, le turc et les langues balkaniques, par-delà les conflits, les frontières et les siècles, grâce au rôle de passeur joué ici par la poésie allemande de Heine.

19Par le truchement de ses références, Boussole ménage une place de choix à l’orientalisme allemand, qu’il soit académique, littéraire ou musical. Ce faisant, ce roman contribue à nuancer la place qu’Edward Said lui réserve [27], en soulignant son rôle de passeur multidirectionnel [28]. La porta orientis ouverte par le choix d’un narrateur viennois également francophone donne accès à un décentrement fondamental où le passage par l’allemand contribue à défaire les constructions homogénéisantes de l’Orient et de l’Occident. Plaidoyer pour la porosité des mondes, Boussole manifeste à quel point « L’Orient et l’Occident n’apparaissent jamais séparément, ils sont toujours mêlés, présents l’un dans l’autre » (B 187) [29], jusque dans la concaténation des histoires, des noms et des voix.

L’orientalisme lamartinien : une boussole pour Mathias Énard ?

20Sarga Moussa

21De nombreux écrivains et artistes du xixe siècle ayant fait le traditionnel voyage en Orient apparaissent dans Boussole (2015) de Mathias Énard. L’auteur, on le sait, est un romancier érudit [30]. Il n’est donc pas étonnant que se retrouvent cités tous les noms attendus, de Chateaubriand à Flaubert, en passant par Nerval et Gautier. Énard a tout lu, ou presque. Il sait que les saint-simoniens sont eux aussi allés en Orient, au début des années 1830 [31], et qu’un compositeur comme Félicien David les y a accompagnés, ce qui ne resta pas sans conséquence sur sa production musicale. À travers son narrateur, Franz Ritter, un musicologue autrichien malade, enfermé dans sa chambre mais évoquant tous ses souvenirs de voyage, Énard se passionne pour l’influence que la musique orientale a exercée sur la musique occidentale, et plus largement pour les phénomènes d’interculturalité. Mais, parmi les écrivains de l’époque romantique qui ont accompli le périple méditerranéen, c’est Lamartine qui, dans Boussole, fait l’objet d’un traitement privilégié, ce qui n’est pas un hasard, étant donné le renversement que son Voyage en Orient (1835) opère par rapport à l’Itinéraire de Paris à Jérusalem (1811) de Chateaubriand : autant ce dernier voyait les Turcs comme les occupants illégitimes de la Terre sainte – il les considère comme des « barbares [32] » –, autant Lamartine s’emploie à présenter le peuple turc comme pieux et charitable, presqu’un modèle d’évangélisme [33], en tout cas très proche d’une religiosité qu’il veut lui-même incarner, fondée sur l’amour du Dieu unique et non sur la doxa catholique. Autrement dit, et sans pour autant céder à l’illusion téléologique qui conclurait à l’idée d’un abandon définitif des catégories ethnocentriques à l’époque romantique, il est clair que le Voyage en Orient de Lamartine constitue un moment de bascule dans l’orientalisme littéraire de la première moitié du xixe siècle – on peut même dire que le second grand texte qui porte le même titre, le Voyage en Orient (1851) de Nerval, doit sans doute plus qu’on ne pense au Voyage lamartinien, si l’on considère sa représentation plutôt euphorique de la capitale ottomane, et, plus largement, l’intérêt nervalien pour les religions orientales. Le narrateur de Boussole valorise donc, parmi les grands écrivains voyageurs français de cette époque, la figure de Lamartine, et plus particulièrement, l’épisode de sa rencontre avec la célèbre Lady Stanhope, la nièce du ministre anglais William Pitt, laquelle s’était établie, dès 1821, à Djoun, dans la montagne libanaise, où elle mourut en 1839 [34]. De nombreux voyageurs ont tenté de se faire recevoir par cette femme qui avait la réputation d’avoir des dons de prophétesse et dont on connaissait les liens avec les tribus bédouines de la région. Cet épisode est longuement raconté dans le Voyage en Orient, où il est d’ailleurs mis en évidence sur le plan typographique, puisqu’il apparaît comme un chapitre particulier du récit viatique (« Visite à Lady Esther Stanhope [35] »). Voyons d’abord le statut de cet épisode dans le Voyage lamartinien, avant d’examiner son réemploi dans la fiction énardienne.

22Lamartine part pour l’Orient en 1832 avec sa femme, sa fille, trois amis et des domestiques. Ayant traversé la Méditerranée sur un brick, il aborde à Beyrouth après avoir passé par la Grèce. Lorsqu’il arrive en Syrie (dont la région du Liban fait partie à l’époque), les troupes égyptiennes occupent cette province ottomane – elles ne s’en retireront qu’à la suite de la conférence de Londres, en 1840. Lamartine longe ensuite la côte pour se rendre en Palestine, visite Jérusalem (où sévit une épidémie de peste) et la mer Morte, s’enfonce un peu dans les terres pour visiter Baalbek et Damas, puis revient à Beyrouth, où sa fille Julia meurt de tuberculose. Il s’embarque à nouveau pour Constantinople, où il séjournera plusieurs semaines, avant de rentrer par ce qu’on appelait la Turquie d’Europe, à savoir la Bulgarie et la Serbie, dont il exalte le nationalisme naissant.

23C’est donc au début de son voyage en Orient que se situe la rencontre avec Lady Stanhope. Lamartine lui écrit de Beyrouth une lettre pour se faire recevoir d’elle, dans laquelle il la qualifie de « l’une des merveilles de l’Orient que je viens visiter [36] ». Après une expédition dans la montagne qui prend des allures de voyage initiatique (arrivée de nuit, après une marche difficile, sur les crêtes désolées du mont Liban), Lamartine parvient à la résidence de son hôtesse, qui le reçoit « en costume oriental [37] », et qui le fait asseoir pour une conversation où chacun des protagonistes affirme ses convictions philosophiques et religieuses, le voyageur affirmant ce qu’il appelle son « rationalisme chrétien [38] » tandis que son hôtesse affirme qu’un second Messie doit encore venir [39]. Lady Stanhope soutient qu’elle peut prédire la destinée du poète, lequel s’apprête à devenir un homme politique [40] :

24

L’Europe est finie, la France seule a une grande mission à accomplir encore ; vous y participerez, je ne sais pas encore comment, mais je puis vous le dire ce soir, si vous le désirez, quand j’aurai consulté vos étoiles [41].

25Tout en affirmant à son visiteur qu’il doit être « poète [42] », c’est-à-dire, selon la définition que Lamartine donne lui-même dans son Voyage en Orient, un « prophète profane [43] », c’est bien un adoubement politique que le voyageur vient chercher auprès de Lady Stanhope, à savoir une sorte de légitimation de son futur rôle à la Chambre des députés, où il s’exprimera dès son retour en France, notamment sur la « question d’Orient [44] ».

26Le soutien de Lamartine à la colonisation de l’Algérie ne fait pas de doute, il le dit de manière explicite, et même avec une violence surprenante, dans le « Résumé politique du Voyage en Orient » :

27

[…] le coup porté à Alger ne retentit pas à Constantinople : la branche est séparée du tronc, le littoral de l’Afrique n’est ni turc ni arabe ; ce sont des colonies de brigands superposées à la terre, et ne s’y enracinant pas ; cela n’a ni titre, ni droit, ni famille parmi les nations, cela appartient au canon ; c’est un vaisseau sans pavillon, sur lequel tout le monde peut tirer ; la Turquie n’est pas là [45].

28Sur ce point, Lamartine est d’ailleurs en accord avec la plupart de ses contemporains [46]. C’est pourquoi, lorsqu’il parle de « l’inévitable rapprochement de ces deux régions du monde [l’Orient et l’Occident] [47] », juste après avoir fait l’éloge d’Ibrahim [48], fils du pacha égyptien et général en chef de son armée, un homme dont il admire les capacités militaires [49], on peut légitimement se demander si le « rapprochement » préconisé ne serait pas asymétrique et ne camouflerait pas des ambitions impérialistes françaises. En ce sens, il y a bien, dans le récit de voyage lamartinien, un « discours orientaliste », au sens où l’entend Edward Said, c’est-à-dire un ensemble de représentations de l’Orient qui tendent à légitimer une forme de domination occidentale [50].

29Cela dit, le dialogue avec Lady Stanhope ne se laisse pas réduire à cette dimension impérialiste. S’il est vrai qu’elle-même était une grande admiratrice de Napoléon [51], ce qu’elle « révèle » à Lamartine sur lui-même va au-delà de la mission civilisatrice qui est déjà, à l’époque de la conquête de l’Algérie, la justification à long terme de l’action coloniale. Le dialogue suivant – que Mathias Énard a retenu pour en faire un épisode de Boussole, sur lequel nous reviendrons – est riche de significations :

30

[…] – Vous retournerez dans l’Occident, mais vous ne tarderez pas beaucoup à revenir en Orient : c’est votre patrie. – C’est du moins, lui dis-je, la patrie de mon imagination. – Ne riez pas, reprit-elle ; c’est votre patrie véritable, c’est la patrie de vos pères. J’en suis sûre maintenant ; regardez votre pied ! – Je n’y vois, lui dis-je, que la poussière de vos sentiers qui le couvre, et dont je rougirais dans un salon de la vieille Europe. – Rien, ce n’est pas cela, reprit-elle encore : regardez votre pied. – Je n’y avais pas encore pris garde moi-même. – Voyez : le coude-pied est très élevé, et il y a entre votre talon et vos doigts, quand votre pied est à terre, un espace suffisant pour que l’eau y passe sans vous mouiller. C’est le pied de l’Arabe ; c’est le pied de l’Orient ; vous êtes un fils de ces climats, et nous approchons du jour où chacun rentrera dans la terre de ses pères [52].

31En se donnant à voir, à travers le regard de Lady Stanhope, comme un voyageur littéralement orientalisé, Lamartine fait ici bien autre chose que de légitimer une supposée supériorité occidentale. Portant dans son corps même un signe d’orientalité – le pied cambré, qui renvoie, en l’occurrence, à sa fascination pour la figure du Bédouin [53] –, le narrateur du Voyage en Orient se donne à voir non seulement comme un acteur privilégié sur la scène orientale, mais comme un « autochtone », comme un authentique Arabe. Il ne s’agit pas tant, ici, d’une rêverie spirituelle, qui ferait de l’Orient le lieu d’origine du monothéisme chrétien, comme chez Chateaubriand, mais bien plutôt d’une représentation de soi-même comme autre, qui passe par une sémiologie imaginaire valorisant le bas corporel, en l’occurrence le pied comme révélateur d’une appartenance « génétique » à la terre orientale. D’une certaine façon, Lamartine, qui voyage pourtant, le plus souvent, en habits européens [54], va ici plus loin que la génération ultérieure des voyageurs, qui n’hésiteront pas à s’exotiser en revêtant un costume local : il suffit de penser à l’obsession du déguisement oriental chez Nerval [55], ou encore (c’en est la contre-partie) à la façon dont Gautier se moque des coiffures protectrices des invités européens aux fêtes du canal de Suez, en 1869 [56].

32Il est vrai que la scène lamartinienne du « pied de l’Arabe » a quelque chose d’unique dans le Voyage en Orient de Lamartine [57], en ce sens qu’elle traduit la volonté du narrateur de se créer une généalogie imaginaire qui déplace la patrie de l’autre côté de la Méditerranée. Mais elle révèle en même temps une autre obsession qui court dans tout le récit de voyage, celle d’une union entre Orient et Occident – idée d’inspiration saint-simonienne [58] et qui s’incarne parfois dans certains personnages privilégiés, tel l’agent consulaire Beaudin, parfaitement au courant de la politique française, mais aussi totalement immergé dans la ville de Damas [59]. Quant à Lady Stanhope, elle fait elle-même partie de cette galerie de personnages mixtes, y compris sur le plan de la doctrine religieuse, que Lamartine décrit comme une forme de syncrétisme :

33

Il me parut que les doctrines religieuses de Lady Esther étaient un mélange habile, quoique confus, des différentes religions au milieu desquelles elle s’est condamnée à vivre ; mystérieuse comme les Druzes dont, seule peut-être au monde, elle connaît le secret mystique ; résignée comme le musulman, et fataliste comme lui, avec le juif, attendant le Messie, et avec le chrétien, professant l’adoration du Christ et la pratique de sa charitable morale [60].

34Lamartine qualifie de « mélange […] confus » les doctrines de Lady Stanhope, mais au fond, il partage avec elle un intérêt pour les formes non dogmatiques de religion – d’où son éloge d’un islam qu’il voit comme très proche de son propre christianisme, reposant d’abord sur l’amour du dieu unique. Plus généralement, en construisant de lui-même une image d’homme double, venant d’Europe mais dont l’origine serait orientale, Lamartine propose du même coup un nouvel orientalisme, qui se distingue à la fois, en amont, du rejet de l’Autre, et, en aval, d’une tentation exotisante, pour valoriser ce que l’on pourrait appeler, avec l’historien américain Richard White, un middle ground, un terrain de rencontre, où les identités se croisent et se reconfigurent [61].

35C’est manifestement cette dimension impliquant un mélange culturel que Mathias Énard a retenue du récit de voyage lamartinien, et plus particulièrement de la scène de rencontre avec Lady Stanhope. Cette scène est évoquée par Ritter, le narrateur de Boussole, lorsqu’il se remémore, immobilisé dans sa chambre viennoise, un voyage en Orient, accompli avec la femme qu’il aime toujours, la jeune, belle et brillante Sarah, spécialiste d’orientalisme. La scène se passe à Palmyre, où les deux protagonistes principaux du roman sont accompagnés d’un couple d’historiens et d’un archéologue. La nouvelle Shéhérazade qu’est Sarah séduit son auditoire par l’évocation d’un certain nombre de voyageurs, et surtout de voyageuses en Orient, parmi lesquelles Lady Stanhope occupe une place de choix, et dont Sarah veut montrer que dans toute sa façon d’être (et notamment dans son habillement en Oriental : elle porte un turban, attribut masculin [62]), elle était « loin, très loin des images alanguies des femmes dans les harems [63] ». À travers son orientalisation et sa masculinisation, Lady Stanhope apparaît à Sarah comme une femme transgressive, désireuse de mettre en cause les identités ethniques et de genre [64] ; pour tout dire une femme non seulement excentrique, mais aussi émancipée et intelligente, capable de mettre à distance certains clichés orientalistes – ce qui ne veut pas dire qu’elle échappe à tout discours de domination, ne serait-ce que parce qu’elle se présente elle-même comme détentrice d’un pouvoir de divination. Mais voici comment elle est évoquée, par le narrateur de Boussole, qui relaie le récit de Sarah :

36

Lady Stanhope le [Lamartine] fascine car elle est au-delà de ses interrogations ; elle est dans les étoiles, disait Sarah ; elle lit le destin des hommes dans les astres – à peine arrivé, elle propose à Lamartine de lui révéler son avenir ; celle qu’il appelle « la Circé des déserts » lui explique ensuite, entre deux pipes parfumées, son syncrétisme messianique. Lady Stanhope lui révèle que l’Orient est sa patrie véritable, la patrie de ses pères et qu’il y reviendra, elle le devine à ses pieds : « Voyez, dit-elle, le cou-de-pied est très élevé, il y a entre votre talon et vos doigts, quand votre pied est à terre, un espace suffisant pour que l’eau y passe sans vous mouiller – c’est le pied de l’Arabe ; c’est le pied de l’Orient ; vous êtes un fils de ces climats et nous approchons du jour où chacun rentrera dans la terre de ses pères. Nous nous reverrons » [65].

37Mathias Énard cite de manière exacte. Cela dit, le réemploi d’une citation dans un nouveau contexte peut toujours modifier son sens. La question qu’on voudrait poser ici est de savoir dans quelle mesure ce qui, chez Lamartine, constitue un discours sérieux (une croyance sincère en l’idée d’une union à accomplir entre Orient et Occident), peut être interprété exactement de la même façon dans Boussole. La réponse n’est pas univoque, et là réside précisément l’intérêt d’un roman comme celui-ci. Il faut d’abord remarquer que c’est Sarah qui parle, au discours indirect libre, pour raconter la rencontre entre Lamartine et Lady Stanhope. Or, Ritter est le narrateur premier, et, à ce titre, il laisse parfois transparaître son point de vue, fût-ce pour manifester ses hésitations. Ainsi à propos d’Edward Said, qui fait lui-même l’objet d’une petite discussion entre les différents protagonistes réunis à Palmyre. Si Sarah prend clairement ses distances vis-à-vis d’un certain dogmatisme de L’Orientalisme[66], Ritter, sans attaquer de front le théoricien palestinien (« je n’avais pas d’opinion, et je n’en ai toujours pas, je crois [67] »), manifeste implicitement sa préférence pour un autre aspect de la personnalité de Said – préférence qui n’a rien d’étonnant pour un musicologue : « Edward Said était un excellent pianiste, il a écrit sur la musique et créé avec Daniel Barenboim l’orchestre West-östlicher Divan, géré par une fondation basée en Andalousie, où l’on s’attache à la beauté dans le partage et la diversité [68]. »

38Sarah et Franz se retrouvent donc dans une même méfiance à l’égard du « discours orientaliste » et une même passion pour ce que l’on pourrait appeler un humanisme interculturel. Mais ils ne l’expriment pas de la même manière. La première est une enthousiaste raisonnée qui cherche, à travers l’histoire, tout ce qui peut illustrer des phénomènes – vus comme positifs – d’altération du moi occidental au contact de l’Orient. Ce que Sarah admire chez les voyageuses européennes qui l’ont précédée à Palmyre comme Anne-Marie Schwarzenbach et Marga d’Andurain, c’est leur goût de la liberté, dans lequel elle se reconnaît [69]. Franz, lui, est un savant passionné mais mélancolique. Il ne peut énoncer son amour de l’Orient sans l’assortir, de temps à autre, d’une forme d’ironie ou d’auto-ironie [70]. Ainsi lorsqu’il commente le récit, fait par Sarah, de la prédiction adressée par Lady Stanhope à Lamartine (« c’est le pied de l’Arabe… ») :

39

Cette anecdote podologique nous avait beaucoup fait rire ; François-Marie n’avait pas pu s’empêcher d’enlever ses godasses pour vérifier s’il était appelé à revenir en Orient ou non – à son grand désespoir il avait, disait-il, « le pied bordelais », et il retournerait, à la fin des temps, non pas au désert, mais dans une bastide de l’Entre-Deux-Mers, du côté de chez Montaigne, ce qui, tout bien pesé, était déjà aussi enviable [71].

40L’expression « anecdote podologique » constitue déjà une première mise à distance de cet épisode, dont le caractère prophétique, devenu anecdotique, provoque l’hilarité de la petite assemblée des voyageurs. S’y ajoute le changement de registre linguistique introduit par le mot « godasses », volontairement familier, et qui tranche avec le terme à connotation médicale de « podologique ». Enfin vient la réaction de l’historien, qui feint d’entrer dans cette logique à caractère « racial » en rappelant ses propres origines bordelaises. Nous sommes ici dans ce que nous pourrions appeler un Orient déboussolé[72] – Mathias Énard publie son roman en août 2015, au moment même où l’État islamique est en phase de conquête du territoire syrien, et où, symétriquement, l’armée de Bachar El-Assad martyrise des villes comme Alep : le temps de la rédaction devient celui-là même de la rêverie de Ritter, laquelle interfère avec ses propres souvenirs, comme en témoigne le récit de la fuite en voiture de Palmyre par les protagonistes, qui se retrouvent perdus, en plein désert, au milieu d’une zone militaire qu’ils doivent quitter en rebroussant chemin [73]. Du coup, c’est aussi l’Occident qui se trouve déboussolé [74], et qui ne retrouve symboliquement qu’un semblant d’équilibre à travers le commentaire que fait le narrateur, à propos de l’attachement que l’historien manifeste pour sa ville natale : ce qui compte, pour Ritter, c’est non pas la conformation physique de son propre corps, qui traduirait on ne sait quelle identité locale, mais le fait que Bordeaux évoque pour lui Montaigne, l’auteur des Essais, qui incarne à la fois une sagesse méditative dont il doit se sentir proche, et un sens de la relativité des valeurs qui permet de penser la relation aux autres en termes pacifiques – pensons au célèbre essai « Des cannibales » (I, XXX), qui remet en cause la supériorité supposée de la « civilisation » occidentale en introduisant, avant Rousseau, une critique de ce que l’on appellerait aujourd’hui l’ethnocentrisme. Notons enfin l’apparition, dans la citation ci-dessus, de l’expression « l’Entre-Deux-Mers » : au-delà de son sens géographique précis (qui désigne une région de la Nouvelle-Aquitaine située entre la Garonne et la Dordogne, à l’est de Bordeaux), elle met l’accent sur l’entre-deux, c’est-à-dire sur le refus des frontières spatiales, au profit de ce qu’un théoricien comme Homi Bhabha appellerait un « tiers espace » (third space), où les identités (nationales, ethniques, linguistiques, culturelles…) se chevauchent, se recomposent et constituent une zone où se recréent de nouvelles identités hybrides [75].

41L’orientalisme lamartinien peut-il constituer une « boussole » pour Mathias Énard ? Certainement pas de manière univoque, puisque la violence historique, à travers la « question d’Orient », est présente, comme on l’a vu, dans le Voyage en Orient. Mais la scène de la rencontre entre Lamartine et Lady Stanhope a cela d’intéressant qu’elle met en abyme le couple de Franz et Sarah dans Boussole. Le poète romantique en quête de légitimité politique se donne à voir, de manière théâtrale, comme un Occidental orientalisé, à l’image de son hôtesse anglaise, elle-même habillée à l’orientale et vivant depuis longtemps dans la montagne du Liban. D’autres exemples auraient pu être sélectionnés dans le même récit. Ainsi la rencontre entre le voyageur et la femme de l’agent consulaire français à Beyrouth, laquelle est originaire d’Alep, et avec qui le narrateur met en scène une joute poétique où il orientalise à plaisir sa propre langue [76]. Si ce geste qui « performe » l’échange interculturel semble plus difficile à l’aube du xxie siècle, un romancier comme Mathias Énard veut néanmoins en transmettre la mémoire vive.

42Le xixe siècle est celui de l’expansion des empires coloniaux, dont les conséquences n’ont pas fini de se faire sentir dans le monde d’aujourd’hui, mais c’est aussi celui d’autres formes de contact, d’un rêve d’ouverture culturelle de l’Occident à l’Orient. La plongée énardienne dans le passé n’a rien de suspect, elle montre simplement ce que le romantisme portait en lui de potentialités qu’il nous faut tenter d’exploiter, non pas pour revenir à cette époque, mais pour construire un avenir meilleur, fondé sur des idées comme celle de partage et de respect d’autrui. Dans ce roman polyphonique qu’est Boussole, c’est à la jeune et savante Sarah que revient la charge d’exprimer, de la manière la plus forte et la plus ferme, cette exigence éthique : « Il fallait trouver, disait-elle, au-delà de la bête repentance des uns ou de la nostalgie coloniale des autres, une nouvelle vision qui inclue l’autre en soi. Des deux côtés [77]. »

43Le narrateur, qui n’est pas un double de l’auteur, mais qui entretient néanmoins des liens évidents avec lui – ne serait-ce que parce que c’est à travers sa rêverie, pendant une nuit d’insomnie, que nous lisons le roman d’Énard –, aime et admire Sarah, tout en apportant un bémol à ce nouvel orientalisme qu’il appelle certes de ses vœux, mais qui restera pour lui, frappé qu’il est d’une maladie incurable, un objet toujours inatteignable, si ce n’est en imagination, à travers le souvenir de l’histoire des relations interculturelles de l’Europe avec l’Orient méditerranéen, et la constante réinterprétation des voyageurs et voyageuses des deux siècles précédents, comme pour dire qu’afin de mieux penser l’avenir, il faut faire un détour par un passé dans lequel certains, comme Lamartine, avaient peut-être déjà compris que, s’agissant des relations entre l’Orient et l’Occident, le cosmopolitisme est « le seul point de vue possible [78] ».


Date de mise en ligne : 22/06/2020

https://doi.org/10.3917/rom.188.0118

Notes

  • [1]
    L’expression est mentionnée au début et à la fin de Boussole (Mathias Énard, Boussole, Arles, Actes Sud, 2015, p. 17 et 367, désormais B) en référence à l’expression forgée par Hofmannsthal en 1917 et qui connut une fortune immense, dont témoigne par exemple le dossier de la revue Austriaca consacré à Vienne porta orientis en 2012 (sous la direction de Dieter Hornig, Johanna Borek et Johannes Feichtinger).
  • [2]
    On notera la référence aux Mémoires de Joseph von Hammer-Purgstall (B 41), dont il est manifeste que Mathias Énard a tiré un certain nombre de références (Joseph von Hammer-Purgstall, Erinnerungen aus meinem Leben 1774-1852, Vienne et Leipzig, Hölder-Pichler-Tempsky, 1940) ; depuis 2011, les souvenirs et lettres de Hammer-Purgstall sont édités en ligne par l’université de Graz (Zentrum für Wissenschaftsgeschichte) : http://gams.uni-graz.at/context:hp (dernière consultation le 6 mars 2020).
  • [3]
    Honoré de Balzac, La Comédie humaine, IV. Études de mœurs : scènes de la vie de province, éd. Pierre-Georges Castex, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1976, p. 965.
  • [4]
    Honoré de Balzac, La Comédie humaine, X. Études philosophiques, éd. Pierre-Georges Castex, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1979, p. 83.
  • [5]
    Voir Marcel Bouteron, « L’inscription de “La peau de chagrin” et l’orientaliste Joseph de Hammer », Revue d’Histoire littéraire de la France, 1950, n° 2, p. 160-167, et également Pierre Larcher, « La “sentence orientale” de La Peau de chagrin ou quand Balzac rencontre Hammer », dans son livre Orientalisme savant, orientalisme littéraire. Sept essais sur leur connexion, Arles, Actes Sud, 2017, chap. IV (p. 91-113, réf. p. 93-95), qui propose en outre une analyse très détaillée de la traduction arabe proposée par Hammer et retrace le passage de sa version calligraphiée à sa version en apparence typographiée.
  • [6]
    On se souviendra qu’en 1829, Victor Hugo avait disposé son poème « Les Djinns » sous une forme crescendo puis decrescendo rappelant un double triangle, pointant d’abord vers haut, puis vers le bas, où l’essaim des djinns grossit puis diminue jusqu’à disparaître. Le poème est indirectement cité dans Boussole p. 259 : « Tout s’efface. Tout fuit. » (cf. la fin du poème : « Tout fuit,/Tout passe/L’espace/Efface/Le bruit. »)
  • [7]
    Marcel Bouteron, « L’inscription de “La peau de chagrin” et l’orientaliste Joseph de Hammer », art. cité, p. 161.
  • [8]
    Sur ce point, voir notamment Michel Espagne, « Silvestre de Sacy et les orientalistes allemands », Revue Germanique Internationale 2008, n° 7 (dossier Itinéraires orientalistes entre France et Allemagne, Pascale Rabault-Feuerhahn et Céline Trautmann-Waller (dir.), p. 79-91), Sabine Mangold, « France Allemagne et retour : une discipline née dans l’émulation », ibid., p. 109-124, et Michel Espagne, « Un Orient franco-allemand : les correspondants de Silvestre de Sacy » dans La Volonté de comprendre. Hommage à Roland Krebs, Maurice Godé et Michel Grunewald (dir.), Berne, Peter Lang, 2004, p. 459-475.
  • [9]
    Honoré de Balzac, La Comédie humaine, X. Études philosophiques, éd. citée., p. 88.
  • [10]
    Joseph von Hammer-Purgstall, Erinnerungen aus meinem Leben 1774-1852, ouvr. cité, p. 224.
  • [11]
    Mohammed Schemsed-din Hafis, Der Diwan, trad. par Joseph von Hammer, Stuttgart et Tübingen, Cotta, 1812 (t. 1) et 1813 (t. 2).
  • [12]
    Hâfez de Chiraz, Le Divân, traduction et commentaires par Charles-Henri de Fouchécour, Lagrasse, Verdier, 2006.
  • [13]
    Le titre a été diversement traduit en français : Le divan oriento-occidental, trad. non mentionné, Paris, J. Albert Merklein, 1835 ; Divan oriental-occidental, trad. Jacques Porchat, Paris, Hachette, 1861 ; Divan oriental-occidental, trad. Alphonse Séché, Paris, L. Michaud, 1909 ; Divan occidental-oriental, trad. Henri Lichtenberger, Paris, Aubier Montaigne, 1940 ; Divan d’Orient et d’Occident, trad. Laurent Cassagnau, Paris, Le Belles Lettres, 2012. Jean-Marie Valentin suggère Divan oriental d’Occident dans le chapitre « La “Weltliteratur” selon Goethe. Réalité et projet », paru dans son ouvrage Minerve et les muses. Essais de littérature allemande, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2007, p. 231-249, réf. p. 236. Dans Boussole, Sarah suggère « divan occidentoriental » (p. 322 notamment).
  • [14]
    Voir Anke Bosse, « Magische Präsenz — zur Funktion von Schrift und Ornament in Goethes West-östlichem Divan », Arcadia, 1998, n° 33, p. 314-336, réf. p. 324.
  • [15]
    Pour une analyse plus détaillée de l’écriture arabe dans le West-östlicher Divan, qu’il me soit permis de renvoyer à mes analyses parues en français (Mandana Covindassamy, « Le(s) sens de l’écriture : Du Divan occidental-oriental au Divan oriental d’occident », Le Texte et l’idée, 2011, n° 25, p. 47-66), et dans une version allemande remaniée (« Im Sinne der Schrift : Orientierung in Goethes West-östlichem Divan », Goethe-Jahrbuch, 2014, n° 131, p. 105-114).
  • [16]
    « Six semaines plus tard je devais partir à Istanbul pour la première fois, et les prémices turques de ce séjour en Styrie m’enchantaient – le jeune drogman Joseph Hammer lui-même n’avait-il pas commencé sa carrière (après tout de même huit ans d’école d’interprète à Vienne) à la légation autrichienne sur le Bosphore ? » (B. 42) ; « et malheureusement j’étais bien loin d’être comme Hammer-Purgstall qui pouvait, dit-il, “traduire du turc ou de l’arabe en français, en anglais ou en italien, et parle le turc aussi bien que l’allemand” » (B. 58) ; « détournons le regard de la maladie et de la mort, comme Goethe, qui a toujours évité les agonisants, les cadavres et les enterrements » (B. 320).
  • [17]
    Le patronyme du personnage évoque irrésistiblement « feu le maréchal du même nom » (B 287), Hubert Lyautey (1854-1934), qui fut le premier résident général de France au Maroc. Il est resté en mémoire pour le respect qu’il voulait témoigner aux populations locales, dont il avait appris les coutumes et étudié la religion.
  • [18]
    Stendhal, De l’amour, éd. Victor Del Litto, Paris, Gallimard, « Folio », 1980, p. 199. Stendhal est par ailleurs évoqué dans Boussole pour le syndrome qui porte son nom (p. 73) et pour les Mémoires d’un touriste (p. 103-104 et 184).
  • [19]
    Stendhal, De l’amour, éd. citée, p. 201.
  • [20]
    Ibid., p. 202.
  • [21]
    Sarga Moussa, « Stendhal et Fauriel : De l’amour chapitre LIII », dans Persuasions d’amour. Nouvelles lectures de « De l’amour » de Stendhal, Daniel Sangsue (dir.), Genève, Droz, 1999, p. 144-161, notamment p. 149-153.
  • [22]
    Trad. Jean-Pierre Lefebvre, Anthologie bilingue de la poésie allemande, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1995, p. 707.
  • [23]
    Wolfram Groddeck, « “Der Asra”. Intertextualität und Poetologie in einem Gedicht aus Heinrich Heines Romanzero », Heine-Jahrbuch, 1992, n° 31, p. 79-91.
  • [24]
    Joseph von Hammer-Purgstall, Geschichte der schönen Redekünste Persiens, Vienne, Heubner und Volke, 1818, qui relate p. 35 la disparition du premier manuscrit, et évoque la réécriture de l’histoire en persan dans le chapitre consacré à « Ansari », p. 46.
  • [25]
    Joseph von Hammer-Purgstall, Wamik und Asra : das ist, Der Glühende und die Blühende. Das älteste persische romantische Gedicht, Vienne, J. B. Wallishausser, 1833, p. 8.
  • [26]
    Pour une étude académique de la source de ce chant, qui conteste l’attribution donnée dans Boussole, on se reportera à Ottmar Pertschi, « “Der Asra” – ein bosnisches Volkslied und/oder eine Übersetzung aus Heine ? : zu einem ungeklärten Thema », Heine-Jahrbuch, 2001, n° 40, p. 129-135.
  • [27]
    Edward Said, L’Orientalisme, trad. Catherine Malamoud, Paris, Le Seuil, 2006. On rappellera que Said avait lui-même nuancé son jugement sur l’orientalisme allemand dans sa postface puis dans sa préface (notamment p. vi et 368). L’ampleur de son revirement au sujet du Divan de Goethe se manifeste dans le nom de l’orchestre qu’il fonde avec Daniel Barenboim et où viennent jouer ensemble en Europe des musiciens d’Israël, des territoires palestiniens, des États arabes voisins : « West-Eastern Divan Orchestra », comme l’évoque Boussole (voir B 147).
  • [28]
    Parmi les études consacrées depuis Said à cette question, on mentionnera notamment Todd Kontje, German orientalisms, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2004, Sabine Mangold, Eine « weltbürgerliche Wissenschaft ». Die deutsche Orientalistik im 19. Jahrhundert, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2004, Andrea Polaschegg, Der andere Orientalismus : Regeln deutsch-morgenländischer Imagination im 19. Jahrhundert, Berlin, New York, De Gruyter, 2005, Suzanne Marchand, German Orientalism in the Age of Empire, New York, Cambridge University Press, 2009, Ursula Wokoeck, German Orientalism : The Study of the Middle East and Islam from 1800 to 1945, Londres, Routledge, 2009, Joseph Croitoru, Die Deutschen und der Orient : Faszination, Verachtung und die Widersprüche der Aufklärung, Munich, Carl Hanser, 2018.
  • [29]
    En écho aux travaux d’Edward Said, L’Orientalisme, ouvr. cité, par exemple p. 17 ou 357.
  • [30]
    Voir Markus Messling et al., Mathias Énard et l’érudition du roman, Boston et Leiden, Brill/Rodopi, 2020.
  • [31]
    Voir Philippe Régnier, Les Saint-Simoniens en Égypte, 1833-1851, Le Caire, Banque de l’Union Européenne/Amin F. Abdelnour, 1989.
  • [32]
    « […] j’allais entrer dans la capitale des peuples barbares », écrit Chateaubriand lorsqu’il évoque son arrivée, en 1806, à Constantinople, la capitale de l’empire ottoman (Itinéraire de Paris à Jérusalem [1811], éd. Jean-Claude Berchet, Paris, Gallimard, « Folio », 2005, p. 256).
  • [33]
    Sur ce point, nous nous permettons de renvoyer à notre essai La Relation orientale. Enquête sur la communication dans les voyages en Orient (1811-1861), Paris, Klincksieck, 1995, p. 85 et suiv.
  • [34]
    Mathias Énard, Boussole, Arles, Actes Sud, 2015, p. 131-134.
  • [35]
    Alphonse de Lamartine, Voyage en Orient, éd. Sarga Moussa, Paris, Champion, 2000, p. 163-179.
  • [36]
    Ibid., p. 166.
  • [37]
    Ibid., p. 169.
  • [38]
    Ibid., p. 172. Lamartine avait déjà évoqué un « christianisme rationnel » dans une brochure parue peu de temps avant de partir pour l’Orient, Sur la politique rationnelle (1831). Dans son Voyage en Orient, il développe cette idée sous l’appellation de « raison générale », dans la partie consacrée à Constantinople : « Cette foi, c’est la raison générale […] – Dieu un et parfait pour dogme, la morale éternelle pour symbole, l’adoration et la charité pour culte ; – en politique, l’humanité au-dessus des nationalités ; – en législation, l’homme égal à l’homme […] ; le christianisme législaté ! » (éd. citée, p. 533).
  • [39]
    Ibid., p. 171.
  • [40]
    « Voulez-vous que je vous révèle à vous-même ? voulez-vous que je vous prédise votre destinée ? » (ibid., p. 170). Sur le messianisme lamartinien, voir Paul Bénichou, Les Mages romantiques, Paris, Gallimard, 1988, p. 23 et suiv. Voir par ailleurs la thèse de Nicolas Courtinat, Philosophie, histoire et imaginaire dans le Voyage en Orient de Lamartine, Paris, Champion, 2003, en particulier p. 408 et suiv. sur la rencontre avec Lady Stanhope comme forme d’initiation. Lamartine apprit son élection comme député à la Chambre des représentants alors qu’il était encore en Syrie, au début de l’année 1832. Sur les aspects politiques et religieux de la pensée de Lamartine à l’époque de son voyage en Orient, voir Gérard Unger, Lamartine. Poète et homme d’État, Paris, Flammarion, 1998, p. 189-207.
  • [41]
    Alphonse de Lamartine, Voyage en Orient, éd. citée, p. 172.
  • [42]
    « Vous devez être poète » (idem).
  • [43]
    Ibid., p. 64.
  • [44]
    Lamartine prononce dès 1834 deux discours sur la question d’Orient à la Chambre des députés. Il plaide pour une intervention active de la France en Méditerranée, considérant, bien à tort, que l’empire ottoman est au bord de l’effondrement. Le « Résumé politique du Voyage en Orient » énonce, en 1835, cette vision cynique d’un dépeçage annoncé : « Voici ce qu’il y a à faire. Rassembler un congrès des principales puissances qui ont des limites sur l’empire ottoman, ou des intérêts sur la Méditerranée ; […] » (ibid., p. 742). Lamartine reviendra, notamment dans la préface de 1849 à l’édition de ses Œuvres complètes, sur cette erreur d’appréciation concernant l’empire ottoman. Voir sur ce point la préface de Sophie Basch à la réédition qu’elle a procurée, avec Henry Laurens, de Lamartine, La Question d’Orient. Articles et discours, Bruxelles, André Versaille, 2011.
  • [45]
    Alphonse de Lamartine, Voyage en Orient, éd. citée, p. 736.
  • [46]
    Voir par exemple Alexis de Tocqueville, qui justifie l’emploi de la violence coloniale (De la colonie de l’Algérie, prés. Tzvetan Todorov, Bruxelles, Complexe, 1988).
  • [47]
    Alphonse de Lamartine, Voyage en Orient, éd. citée., p. 457.
  • [48]
    Sur cette figure que Lamartine a quelque peu mythifiée, nous nous permettons de renvoyer à notre article, « La figure d’Ibrahim dans le Voyage en Orient de Lamartine », dans « L’Ailleurs (1) », dossier coordonné par Franck Laurent et Sylvain Venayre, Écrire l’histoire, n° 7, 2011, p. 63-75.
  • [49]
    Ibrahim Pacha occupe la Syrie (dont une ville comme Beyrouth, qui en fait partie à cette époque) au moment où Lamartine s’y trouve. Sur cette période d’occupation, voir Gilbert Sinoué, Le Dernier Pharaon. Méhémet-Ali, 1770-1849, Paris, Pygmalion/Gérard Watelet, 1997, chap. 24 et 25.
  • [50]
    Voir Edward Said, L’Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident [1978], trad. Catherine Malamoud, Paris, Éditions du Seuil, 1980, en particulier les p. 205 et suiv. concernant le Voyage en Orient de Lamartine.
  • [51]
    Lorsque Lamartine évoque le nom de « Buonaparte » (soulignant par cette graphie étrangère son propre point de vue anti-bonapartiste, à partir de l’assassinat du duc d’Enghien), il évoque, à propos de Lady Stanhope, son « fanatisme pour cet homme » (Voyage en Orient, éd. citée, p. 179).
  • [52]
    Ibid., p. 173. Nous avons conservé la graphie « coude-pied », attestée à l’époque de Lamartine. On écrit aujourd’hui « cou-de-pied » pour désigner l’articulation entre le pied et la jambe.
  • [53]
    Nous renvoyons sur ce point à notre ouvrage Le Mythe bédouin chez les voyageurs aux xviiie et xixe siècles, Paris, PUPS, « Imago Mundi », 2016, en particulier p. 224 et suiv. pour une analyse de ce motif.
  • [54]
    Sauf lorsqu’il entre à Damas (ville d’où partaient des caravanes pour le pèlerinage de La Mecque), dont les habitants avaient la réputation d’être méfiants, voire hostiles à l’égard des Européens : « Nous complétons nos costumes turcs pour n’être pas reconnus pour Francs dans les environs de Damas » (Alphonse de Lamartine, Voyage en Orient, éd. citée, p. 448).
  • [55]
    La fin du premier chapitre des Femmes du Caire se termine ainsi : « Heureusement, j’avais acheté un de ces manteaux en poil de chameau nommés machlah qui couvrent un homme des épaules aux pieds ; avec ma barbe déjà longue et un mouchoir tordu autour de la tête, le déguisement était complet » (Gérard de Nerval, Voyage en Orient, dans Œuvres complètes, éd. Jean Guillaume et Claude Pichois, t. II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1984, p. 264).
  • [56]
    « Les coiffures surtout, destinées à préserver de l’insolation, étaient particulièrement bizarres. […] » (Théophile Gautier, Voyage en Égypte, éd. Sarga Moussa, dans Œuvres complètes, IV, 6, Paris, Champion, 2016, p. 166). Ce morceau de bravoure satirique est un clin d’œil à l’ami Nerval, qui avait lui-même donné un portrait caricatural du touriste anglais dans son Voyage en Orient.
  • [57]
    On retrouve cependant des traces de cette origine arabe fantasmée ailleurs dans l’œuvre de Lamartine, ainsi dans ses Mémoires politiques, où il fait résonner le nom d’Allah dans son propre patronyme (Œuvres complètes, Paris, chez l’auteur, t. XXXVII [1863], p. 67).
  • [58]
    Lamartine rencontre une petite délégation de saint-simoniens lorsqu’il aborde à Smyrne, sur le chemin du retour. Tout en tâchant de se distancier d’eux (« les organisateurs du saint-simonisme ont pris pour premier symbole : Guerre à mort entre la famille, la propriété, la religion et nous ! Ils devaient périr […] », Voyage en Orient, éd. citée, p. 517), il entre en convergence avec leur évocation d’une union pacifique de l’Orient et de l’Occident, qu’on trouve par exemple, au même moment, chez Émile Barrault, dans Occident et Orient (1835).
  • [59]
    « Il n’y a d’homme complet que celui qui a beaucoup voyagé, qui a changé vingt fois la forme de sa pensée et de sa vie », conclut Lamartine, Voyage en Orient, éd. citée, p. 453. Sur le portrait idéalisé de ce personnage en homme hybride, voir notre ouvrage La Relation orientale, ouvr. cité, p. 121-123.
  • [60]
    Alphonse de Lamartine, Voyage en Orient, éd. citée, p. 174.
  • [61]
    Cet ouvrage a été tout récemment traduit de l’anglais par Frédéric Cotton : Richard White, Le Middle Ground. Indiens, Empires et Républiques dans la région des Grands Lacs, 1650-1815 [1991], Toulouse, Anacharsis, 2020.
  • [62]
    « Elle avait sur la tête un turban blanc […] » (Alphonse de Lamartine, Voyage en Orient, éd. citée, p. 169 ; pour d’autres témoignages sur l’habillement de Lady Stanhope, voir la note 163 de la même page).
  • [63]
    Mathias Énard, Boussole, ouvr. cité, p. 133. L’imaginaire de l’Orientale alanguie au harem est surtout véhiculé par la peinture orientaliste, au xixe siècle, que ce soit par des peintres qui ne sont jamais allés en Orient, comme Ingres, ou, plus tard, par un peintre voyageur comme Gérôme. Sur les peintres orientalistes de cette époque, voir les ouvrages de Christine Peltre, en particulier Les Orientalistes, Paris, Hazan, 1997.
  • [64]
    Sur cette question, voir la traduction récente de l’allemand, par Kaja Antonowicz, de l’ouvrage de Natascha Ueckmann, Genre et orientalisme. Récits de voyage au féminin en langue française (xixe-xxe siècles), Grenoble, UGA Éditions, « Vers l’Orient », 2020 (sous presse).
  • [65]
    Mathias Énard, Boussole, ouvr. cité, p. 133-134. L’expression « Circé des déserts », renvoyant à la célèbre magicienne de L’Odyssée qui séduit Ulysse pendant un temps, est en effet employée par Lamartine pour désigner Lady Stanhope (Voyage en Orient, éd. citée, p. 174).
  • [66]
    « Il n’était néanmoins pas possible, soutenait Sarah, de condamner tout ce petit monde en bloc ; […] : il fallait ramener les choses à l’individu et s’abstenir de fabriquer un discours général qui devenait à son tour une construction idéologique, un objet sans autre portée que sa propre justification » (Mathias Énard, Boussole, ouvr. cité, p. 146-147).
  • [67]
    Ibid., p. 147.
  • [68]
    Idem. Edward Said et Daniel Barenboim ont évoqué eux-mêmes la fondation à Weimar, en 1999, de cet orchestre réunissant des musiciens israéliens et arabes, dans un passionnant recueil d’entretiens, traduits en français par Philippe Babo sous le titre Parallèles et Paradoxes. Explorations musicales et politiques, Paris, Le Serpent à plumes, 2003.
  • [69]
    « Pour Sarah, ce qui rendait le personnage de Marga si intéressant était sa passion pour la liberté – liberté si extrême qu’elle s’étendait au-delà de la vie même d’autrui. Marga d’Andurain avait aimé les Bédouins, le désert et le Levant pour cette liberté, peut-être tout à fait mythique, sûrement exagérée, dans laquelle elle pensait pouvoir s’épanouir » (Mathias Énard, Boussole, ouvr. cité, p. 142). Marga d’Andurain, accusée d’avoir assassiné son mari (un Bédouin qu’elle avait épousé avant de tenter de se rendre à La Mecque), est l’auteur de l’ouvrage autobiographique Le Mari passeport (1947).
  • [70]
    Cette dimension est également présente dans l’épisode du récit d’un voyage à Istanbul raconté par Ritter, où il fait une expérience mystique dans une mosquée – expérience bouleversante, qui l’a laissé « désorienté », mais dont le caractère sérieux est ensuite relativisé (sans pour autant être annulé) par le fait qu’il se fasse voler ses chaussures et doive parcourir la ville avec les sandales d’un autre, « comme un derviche, l’âme en peine » (Mathias Énard, Boussole, ouvr. cité, p. 72).
  • [71]
    Ibid., p. 134.
  • [72]
    Voir Jean-Pierre Dubost et Axel Gasquet (dir.), Les Orients désorientés. Déconstruire l’orientalisme, Paris, Kimé, 2013.
  • [73]
    Mathias Énard, Boussole, p. 166 et suiv.
  • [74]
    Voir, dans le dialogue qui s’instaure dans la Range Rover, la question que pose un passager au conducteur : « Tu es sûr qu’on est sur la bonne route ? D’après ta boussole on va plutôt nord-ouest que nord. Direction Homs » (ibid., p. 167).
  • [75]
    Voir Homi K. Bhabha, Les Lieux de la culture. Une théorie postcoloniale, trad. fr. par Françoise Bouillot, Paris, Payot, 2007.
  • [76]
    Alphonse de Lamartine, Voyage en Orient, éd. citée, p. 140-142.
  • [77]
    Mathias Énard, Boussole, ouvr. cité, p. 276.
  • [78]
    Ibid., p. 188.

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.14.80

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions