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Article de revue

Le spectacle de l’homme de lettres au quotidien : de l’intérieur bourgeois à l’intérieur artiste (1840-1903)

Pages 71 à 80

Notes

  • [1]
    Au sens employé par Marie-Ève Thérenty dans La Littérature au quotidien. Poétiques journalistiques au xixsiècle, Paris, Le Seuil, coll. « Poétique », 2007.
  • [2]
    Alain Viala, Naissance de l’écrivain, Paris, Éditions de Minuit, coll. « Le Sens commun », 1985.
  • [3]
    Jürgen Habermas, L’Espace public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Paris, Payot, [1962] 1991.
  • [4]
    Nathalie Heinich, De la visibilité. Excellence et singularité en régime médiatique, Paris, Nrf Gallimard, 2012. Le terme désigne le statut social qu’une célébrité se voit attribuer en régime médiatique par la reproduction et la diffusion massive de son image.
  • [5]
    Antoine Lilti, Figures publiques. L’invention de la célébrité 1750-1850, Paris, Fayard, 2014 ; les travaux de José-Luis Diaz au plan de l’histoire du genre biographique confirment cette tendance : L’Homme et l'œuvre. Contribution à une histoire de la critique, Paris, PUF, coll. « Les littéraires », 2011.
  • [6]
    La Civilisation du journal, Histoire culturelle et littéraire de la presse française au xixsiècle, Dominique Kalifa, Philippe Régnier, Marie-Ève Thérenty et Alain Vaillant (dir.), Paris, Nouveau Monde éditions, coll. « Opus Magnus », 2012.
  • [7]
    Je propose donc d’introduire le domicile de l’écrivain dans les scénographies mises en lumière par José-Luis Diaz dans L’Écrivain imaginaire. Scénographies auctoriales à l’époque romantique, Paris, Honoré Champion, coll. « Romantisme et modernités », 2007.
  • [8]
    Michelle Perrot « Manières d’habiter » dans Histoire de la vie privée, Alain Corbin, Roger-Henri Guerrand, Michelle Perrot et Georges Duby (dir.), t. IV, Paris, Le Seuil, 1999, p. 307.
  • [9]
    Walter Benjamin, « Exposé de 1935. Louis-Philippe ou l’intérieur », Paris, capitale du xixsiècle. Le livre des passages, Paris, Éditions du Cerf, coll. Passages, 2e éd. 1989, p. 41.
  • [10]
    On ne prétend pas ici à l’exhaustivité. Les innombrables articles de la « bohème » sur toute la période, par exemple, méritent une étude à eux seuls.
  • [11]
    « Intérieur », Dictionnaire de l’Académie française, 6e édition (1832-1835).
  • [12]
    Cat. exp. Intérieurs romantiques. Aquarelles 1820-1890, Cooper-Hewitt, National Design Museum, New York. Donation Eugene V. et Clare E. Thaw, Paris, Musée de la Vie Romantique, 10 septembre 2012-13 janvier 2013.
  • [13]
    Les évolutions biographiques étudiées par José-Luis Diaz vont dans ce sens : voir L’homme et l'œuvre…, ouvr. cité.
  • [14]
    Manuel Charpy, « L’ordre des choses. Sur quelques traits de la culture matérielle bourgeoise parisienne, 1830-1914 », Revue d’histoire du xixsiècle, 34 | 2007 [En ligne], § 49 et suiv. Page consultée le 10 mars 2015.
  • [15]
    Voir l’article sur les extérieurs pittoresques de « Monte-Cristo », L’Illustration, 26 février 1848, t. X, p. 407-411.
  • [16]
    Nathalie Heinich, L’Élite artiste, excellence et singularité en régime démocratique, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque des Sciences humaines, 2005.
  • [17]
    Samuel-Henri Berthoud, « Études biographiques. Victor Hugo », Mercure de France 15 mai-15 juin 1840, repris dans Le Musée des familles, t. VII, p. 285-286.
  • [18]
    Ibid., p. 285.
  • [19]
    Ibid., p. 285.
  • [20]
    Olivier Nora, « La visite au grand écrivain  » dans Les Lieux de mémoire II. La nation, Pierre Nora (dir.), Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque illustrée des histoires », 1986, p. 563-587 : p. 564.
  • [21]
    Samuel-Henri Berthoud, ouvr. cité, p. 285.
  • [22]
    Ibid., p. 286.
  • [23]
    Eugène de Mirecourt, Victor Hugo, Paris, G. Havard, 1859 : « Victor Hugo est le premier qui nous ait rendu le goût des beaux ameublements historiques. », p. 25.
  • [24]
    Théophile Gautier, « Vente du mobilier de Victor Hugo », La Presse, 7 juin 1852, repris dans Histoire du romantisme, Paris, Charpentier, 1874, p. 126-133.
  • [25]
    Ibid., p. 132.
  • [26]
    Charles-Augustin Sainte-Beuve, Nouveaux lundis, I, 240, cité par José-Luis Diaz dans « « Aller droit à l’auteur sous le masque du livre » (« Sainte-Beuve et le biographique », Romantisme, 2000, n° 109, p. 45-67, p. 51). Au sujet de la genèse de cette tendance biographique au xviiisiècle, voir L’homme et l'œuvre, ouvr. cité.
  • [27]
    Nathalie Preiss, Les Physiologies en France au xixsiècle. Étude historique littéraire et stylistique, Mont-de-Marsan, Éditions InterUniversitaires, 1999.
  • [28]
    Ainsi de la « Grande Étude » de Gautier qui « domestique » pour ainsi dire l’excentrique « Honoré de Balzac », L’Artiste, 21,28 mars, 4,18, 25 avril, 2 mai, repris dans Le Moniteur universel.
  • [29]
    « Avis aux abonnés », Supplément à la Sylphide du 23 novembre 1845, 2e série, t. II.
  • [30]
    Michelle Perrot, « Chambre d’écrivains », Histoire de chambres, Paris, Le Seuil, 2014 [2009], p. 114-116.
  • [31]
    « Histoire du Consulat et de l’Empire. Par M. Thiers », L’Illustration du 8 mars 1845, p. 23-25.
  • [32]
    En pleine haussmannisation paraissent des recueils consacrés aux « Demeures de personnages célèbres » : estampes de A.-P. Martial, Cadart et Luquet, Paris, Potémont, 1862-1863.
  • [33]
    Le Monde illustré, 2 novembre 1872, p. 1.
  • [34]
    Martine Lavaud et Marie-Ève Thérenty, Avant-propos, Lieux littéraires/La revue, n° 9-10, 2006, p. 9-25.
  • [35]
    Dans l’interview-type, la description de l’intérieur sert de seuil à l’article et conditionne la prise de parole, voir Joris-Karl Huysmans, Interviews, Jean-Marie Seillan (éd.), Paris, Honoré Champion, coll. « Textes de littérature moderne et contemporaine », 2002, p. 40-44.
  • [36]
    Olivier Nora, ouvr. cité, p. 543.
  • [37]
    Lettre de Gustave Flaubert à George Sand, 15 mars 1874, dans Gustave Flaubert-George Sand. Correspondance, texte édité, préfacé et annoté par Alphonse Jacobs, Paris, Flammarion, 1981, p. 460.
  • [38]
    Paul Alexis, Émile Zola : notes d’un ami. Avec des vers inédits de Émile Zola, Paris, G. Charpentier, 1882, p. 187-189.
  • [39]
    Théodore Gosselin (dit G. Lenotre), « M. Émile Zola », Le Monde illustré, 5 avril 1890, p. 210-212, p. 211.
  • [40]
    Victor Hugo, « Ultima Verba », Les Châtiments, livre VII, XIV, dans Œuvres complètes, Jacques Seebacher et Guy Rosa (dir.), Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », « Poésie », t. II, 1985, p. 198.
  • [41]
    On trouve la question suivante dans un article : « Une curieuse étude à faire ne serait-elle pas celle qui aurait pour titre : Victor Hugo raconté par ses demeures ? », « Courrier de Paris », Le Monde illustré, 30 mai 1885, p. 362.
  • [42]
    Théophile Gautier, ouvr. cité ; Théodore de Banville, Mes Souvenirs, Paris, G. Charpentier, coll. « Petites études », 1882, p. 44-46.
  • [43]
    Ibid., p. 5.
  • [44]
    Ibid., p. 5.
  • [45]
    Ibid., p. 5.
  • [46]
    Jean-Claude Bonnet, Naissance du Panthéon : essai sur le culte des grands hommes, Paris, Fayard, 1998.
  • [47]
    La Cloche d’argent : journal hebdomadaire, illustré, politique, littéraire et artistique, Rouen, 11 et 18 octobre 1884 ; pour les intérieurs, L’Illustration 11 octobre 1884, p. 231-232.
  • [48]
    « Courrier de Paris », Le Monde illustré, 10 novembre 1883, p. 290-299.
  • [49]
    Gustave Flaubert, ouvr. cité, p. 460.
  • [50]
    Ibid., p. 460.
  • [51]
    Edmond de Goncourt, La Maison d’un artiste, Paris, G. Charpentier, 1881. L’approche dégagée est une tendance générale qui continue d’avoir cours tout au long des décennies suivantes dans la presse courante.
  • [52]
    Maurice Guillemot, Villégiatures d’artistes, Paris, Flammarion, 1897.
  • [53]
    L’expression figure au pluriel dans une lettre de Maupassant à Zola [juin ou juillet 1880], Guy de Maupassant. Émile Zola. Correspondance, Rennes, Éditions La Part commune, 2013, p. 66.
  • [54]
    Marie Mallard, Étude de la série de Dornac : Nos contemporains chez eux (1887-1917). Personnalités et espaces de représentation, mémoire de maîtrise, Paris IV, 1999, p. 55.
  • [55]
    Elizabeth Emery a grandement contribué à la valorisation de ce corpus dans son ouvrage Photojournalism and the Origins of the French Writer House Museum (1881-1914) : Privacy, Publicity, and Personality, Farnham et Burlington, Ashgate Press, 2012 ; sur le genre du portrait photographique voir Pascal Durand, « De Nadar à Dornac. Hexis corporelle et figuration photographique de l’écrivain », Le portrait photographique de l’écrivain, COnTEXTES, 14 | 2014 [En ligne]. Page consultée le 12 mars 2015.
  • [56]
    Jean-Benoît Puech, « Du vivant de l’auteur », Poétique, n° 63, sept. 1985, p. 279.
  • [57]
    Michael Fried, La Place du spectateur. Esthétique et origines de la peinture moderne, Paris, Nrf Essais, Gallimard, 1990.
  • [58]
    Dornac, « Nos contemporains chez eux », 1887-1917, album en ligne sur Gallica.
  • [59]
    Adolphe Brisson, « Une heure chez Alphonse Daudet », La Revue illustrée, 15 juin 1892, p. 357-365.
  • [60]
    Ibid., p. 358.
  • [61]
    Ibid., p. 361.
  • [62]
    Huysmans revêt, lui, l’habit de l'« oblat voir Interviews, ouvr. cité, p. 247 et 345.
  • [63]
    Bernard-Henri Gausseron (dit (B.-H.-) G. de Saint Héraye), « Le travail intellectuel à la campagne », L’Art et l’idée : revue contemporaine du dilettantisme et de la curiosité, 1892, p. 168-178 : p. 168.
  • [64]
    Anne-Marie Thiesse, L’Exaltation des régions dans le discours patriotique, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 1997.
  • [65]
    Dominique Pety, Poétique de la collection au xixsiècle. Du document de l’historien au bibelot de l’esthète, Nanterre, Presses universitaires de Paris-Ouest, coll. « Orbis litterarum », 2010.
  • [66]
    Eugène Tardieu, « Une heure chez Victorien Sardou », La Revue illustrée, 15 juin 1892, p. 209-218.
  • [67]
    Georges Pellissier, « Roman », Revue encyclopédique, Paris, Librairie Larousse, 1892, p. 566-570.
  • [68]
    Voir sur ce point Séverine Jouve, Obsessions & perversions dans la littératures et les demeures à la fin du xixsiècle, Paris, Hermann, 1996.
  • [69]
    Jules Michel, « Chez le « Prince des poètes » : Interview de M. Stéphane Mallarmé », Le Grand Journal, n° 6, 11 février 1896, p. 2 ; Charles Maurras, « Paul Verlaine : les époques de sa poésie », Revue encyclopédique, 13 janvier 1895, p. 1-8.
  • [70]
    Jacques de Saint-Cère, « Une heure chez le comte Robert de Montesquiou », La Revue illustrée, Paris, 15 juin 1894, p. 117-124 : p. 123. Le Marais à Paris est le quartier des antiquaires.
  • [71]
    Gaston Mauberger, « La Fête Chinoise : 1903 », Le Figaro, 13 mai 1903, p. 1.
  • [72]
    Un journaliste commente la vente de Médan en ces termes : « L’intérieur de la maison de Zola était rempli d’objets d’art, et d’art religieux […] Si encore Médan avait été plus près de Paris, on aurait pu songer à y créer la Maison de Zola, comme on a créé la maison de Hugo. » Le Petit Bleu, 7 février 1903, Interviews, ouvr. cité, p. 371-373.

1 L’autonomisation [2] de l’homme de lettres se traduit au mitan du xviiie siècle par la conquête de domiciles indépendants de la vie curiale qui acquièrent une certaine publicité [3], en même temps que leur singularité assure à leur illustre habitant une visibilité [4] accrue au sein de l’espace social : ainsi de Voltaire à Ferney et de Rousseau à Ermenonville. L’entrée des sociétés européennes dans l’ère médiatique opère alors un tournant avec la médiatisation des lieux dans la presse, relais d’une opinion publique avide de détails sur la vie domestique [5] des célébrités dans une société où la frontière entre le public et le privé est fluctuante et où la vie mondaine commande de se montrer pour exister. À l’âge de la « civilisation du journal [6] », la presse est ainsi appelée à constituer le creuset et le relais de scénographies auctoriales [7] complexes dans l’économie desquelles les intérieurs des écrivains joueront un rôle fondamental.

2 Or la médiatisation de la vie privée au xixe siècle confine a priori au paradoxe, sinon au sacrilège, tant l’idéologie libérale postrévolutionnaire a érigé le « chez-soi » en forteresse imprenable [8]. En cela, la notion d'« intérieurs », dans ses composantes tant psychique et spatiale que domestique, s’avère centrale : elle cristallise en effet la dialectique intériorité/spécularité, sanctuarisation/exposition à l'œuvre dans la conception du « home », à la fois « asile » et « étui [9] ». De fait, l’intérieur deviendrait, par un jeu étrange de renversement du dehors et du dedans, du public et du privé, la scène proprement théâtrale de l’homme de lettres. Mais quelles sont les causes de l’exposition médiatique des lieux ? Cette dernière ne constitue-t-elle pas un moyen privilégié d’appropriation de l’écrivain et de son œuvre en direction d’un lectorat et d’un public de plus en plus larges au prisme du culte bourgeois rendu au « chez-soi » ?

3 La réflexion proposée ici se donne pour objet d’éclairer, à l’appui de cas emblématiques, la constitution d’un imaginaire de l’homme de lettres du xixe siècle en homme d’intérieur bourgeois au prisme de l’exposition médiatique de ses intérieurs et ce, au fil d’un parcours chronologique et panoramique [10]. Deux bornes temporelles fourniront un cadre à l’étude, placée sous l’égide de Victor Hugo : 1840, date à laquelle paraît un portrait de Hugo place Royale dans la presse, et 1903, date de l’inauguration du Musée Victor Hugo.

1.  L’ouverture contrôlée du sanctuaire au profane (1840-1872)

4 Le premier tiers du siècle, au cours duquel se spécialise le sème domestique du terme « intérieur [11] », voit les élites se passionner de façon inédite pour la personnalisation de leurs demeures au plan de l’architecture extérieure et intérieure [12]. Alors que l’homme de lettres aristocrate avait jusque-là imprimé la marque de son génie aux extérieurs de sa demeure provinciale comme en témoignent le château de Saint-Point de Lamartine et l’ermitage de Chateaubriand à la Vallée-aux-Loups, l’homme de lettres parisien va être conduit à aménager son sanctuaire dans son appartement urbain. Le triomphe de l’ordre bourgeois en 1830 inaugure en outre l’ère du repli dans des intérieurs à la décoration desquels se consacrent nombre de revues de presse, tandis que l’intérêt des contemporains pour les célébrités littéraires se déporte de façon inédite des « minuties » de la vie privée à leur décor domestique [13]. Si le tapage médiatique des « législateurs du goût [14] » de la bohème romantique ou d’un Dumas [15] assure peu à peu avec éclat la diffusion et le succès d’une nouvelle esthétique décorative tournée vers les objets historiques et artistiques de styles variés en tout point contraires aux intérieurs du bourgeois sédentaire, c’est chez Victor Hugo que se donne à voir un romantisme décoratif tout intériorisé pour sa part, au travers d’une médiatisation parcimonieuse et solennelle conduite par une presse de bon aloi.

5 L’intérieur de la place Royale (que Hugo aménage depuis 1832) fait en effet l’objet d’un portrait en 1840 sous la plume de Samuel-Henri Berthoud pour Le Mercure de France. À la lecture du texte, Hugo semble avoir trouvé l’équilibre parfait entre deux aspects jusque-là antithétiques : l’altérité d’un intérieur original propre à « l’élite-artiste [16] » – un « logis poétique [17] » – et un mode de vie bourgeois dans un « chez-soi » confortable et familial. La sanctuarisation des lieux opère dès l’évocation du « quartier solitaire [18] » de la place Royale et de l’accès à la « retraite mystérieuse [19] », réservés aux prêtres du temple en charge du « rituel d’autocélébration conviviale [20] ». Et pour cause : l'« étrange [21] » appartement invite le profane à une véritable initiation. Le décor, résultat de l’intériorisation d’architectures monumentales romantiques (château, monastère, église…) est « orné de haute-lice », meublé « d’armoires, de tables, de bahuts et de chaises du xvsiècle », « traversé de « corridors mystérieux […] (qui) mènent au cabinet de travail du poète, réduit sombre et demi-éclairé [22] ». L’imaginaire romantique à l'œuvre ici alimente ainsi la légende hugolienne par l’intermédiaire des disciples qui ne cesseront pas de souligner le caractère pionnier du génie tapissier de Hugo au cours de la décennie suivante [23] : ici, le long article de Gautier pour La Presse en 1852, à l’occasion de la vente du mobilier de Hugo parti en exil, constitue l’exemple le plus abouti [24]. Au travers de la métaphore filée de la profanation du sanctuaire et du tombeau, Gautier pousse à son extrême la dimension sacrée des lieux dans un texte qui a tout d’une élégie pour intérieur. Le mobilier et les pièces, décrits « hémistiche par hémistiche [25] », semblent en effet transcender les valeurs bourgeoises du « home » et du décoratif pour devenir la châsse ouvragée des reliques du maître disparu.

6 En deçà de cette approche mythographique, l’heure est assurément à l’affirmation d’un double phénomène d’humanisation de l’écrivain et de compréhension de son intériorité au prisme de son intérieur, qui semble converger dans la démarche critique de Sainte-Beuve. Ses portraits n’ambitionnent-ils pas d’éclairer l'œuvre par l’homme « pris sur le vif, saisi dans l’intérieur et dans la familiarité [26] » ? Cette vue, conjuguée à la vogue des classifications naturalistes et physiologistes [27] en tous genres, contribue à expliquer, autour de 1850, l’intérêt porté aux domiciles et aux intérieurs comme cadre structurant des portraits d’écrivains [28] et, plus encore, l’émergence de rubriques de presse ad hoc.

7 Le lancement d’une « revue curieuse et indiscrète des intérieurs les plus célèbres de notre époque » par La Sylphide, revue traitant des beaux-arts, de littérature et de mode en 1845 [29], évoquant pêle-mêle le « cabinet du savant », le « bureau du journaliste », la « chambre de l’homme de lettres », l'« atelier de l’artiste », rend compte de cette tendance. À rebours de l’exposition intime de la chambre d’écriture [30] peu acceptable pour un homme honorable, L’Illustration offre un portrait du cabinet de travail d’Adolphe Thiers [31]. Sa visite est qualifiée de « préface » à l’ouvrage attendu, comme si le cabinet constituait son antichambre. Déjà remarquable en ce qu’il réduit l’intérieur à cette pièce, l’article l’est plus encore par la description et l’illustration qui le distingue de ses concurrents. La caractérisation des objets et d'œuvres d’art conduit à la valorisation du statut « artiste » de l’homme de lettres, amateur d’arts et homme de goût, avec lequel son intérieur et son œuvre ne font qu’un : « noble » et « élégant », « sobre et “sévère” le cabinet est le reflet du « fanatisme de belle simplicité » de Thiers.

8 Dans ce contexte, l’explosion des fortunes littéraires, l’embourgeoisement marqué d’une partie des hommes de lettres sous le Second Empire, et leur corollaire, l’aménagement de vastes demeures [32], conduisent la presse à se lancer dans une course folle aux intérieurs. Ainsi, quand meurt Théophile Gautier, l’excentrique locataire du Doyenné en 1872 dans sa bourgeoise maison de Neuilly, c’est bien à travers le portrait d’intérieur de sa chambre-bibliothèque que l’écrivain défunt, à la une du Monde illustré, entame son apothéose [33].

2.  La surexposition des intérieurs : l’assignation à résidence de l’écrivain ? (1872-1887)

9 Le plein essor des reportages in situ[34] après la chute de l’empire participe en effet du renouveau spectaculaire de la presse et de la conquête d’une légitimité nouvelle que les journalistes en voie de professionnalisation puisent au contact des célébrités en tous genres : comédiens, artistes, savants, hommes politiques et hommes de lettres.

10 L’intrusion médiatique dans la vie privée répond à un intérêt toujours plus marqué des contemporains pour l’intimité des célébrités mais aussi pour le milieu de vie des individus et des groupes humains, reflet métonymique supposé révéler leur nature profonde, à une époque où le naturalisme et les premières théories psychologiques triomphent. L’exposition des intérieurs dans la presse courante répond de fait à une quête de l’intimité, à laquelle le genre alerte de la chronique confère assurément des effets comiques et ironiques. Ainsi, comme l’a montré Jean-Marie Seillan pour Huysmans [35], bien des reporters se plaisent à mettre en scène l’écrivain au prisme d’un « voyeurisme dépréciatif [36] », reposant sur le spectacle de la trivialité du quotidien. Flaubert, chantre de l’impersonnalité, ne déplorait-il pas déjà, non sans humour : « Et on a fait des articles sur mes domiciles, sur mes pantoufles et sur mon chien[37]» ? La trivialité du portrait offre ainsi l’image embourgeoisée de l’écrivain dans un intérieur confortable qui tend à le rapprocher du lecteur bourgeois, égratignant au passage la mystique du sanctuaire et la rhétorique sacrale associée. Le portrait de Zola par G. Lenotre illustre cet état de fait : le journaliste reprend à son compte la description fallacieuse du quotidien à Médan entreprise par Paul Alexis [38] en 1882, dont il semble pratiquer une lecture au premier degré : « Rien n’est pourtant plus simple que la vie qu’on y mène ; dès le matin, le maître s’éveille dans son large lit Louis XVI […]/ à neuf heures, on est de retour pour le déjeuner ; puis, au travail. […]. C’est tout ; et soyez certains que bien des gens se figurent que Médan est un antre, une caverne […] [39]. »

11 En regard des séries d’entretiens consacrés à ses contemporains aux prises avec les profanateurs de leur intimité, Victor Hugo et ses intérieurs continuent de jouir de leur sacre : « Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là [40] ! ». La surexposition médiatique de l’hôtel particulier de l’avenue d’Eylau en 1881 à l’occasion des festivités organisées pour l’anniversaire du poète, puis lors de son agonie en 1885, se traduit en effet par la publication de vastes dossiers illustrés retraçant la biographie de Hugo à travers l’histoire de ses demeures [41]. Les contemporains découvrent alors dans la presse et les mémoires des initiés, en plein essor [42] du reste, le lien étroit qui unit les intérieurs parisiens et anglo-normands à l'œuvre littéraire et artistique du génie hugolien. Aussi Henri Houssaye, critique d’art et critique littéraire, affirme-t-il qu’Hugo, « rénovateur de la poésie [43] », « a été un précurseur en décoration et en ameublement [44] ». Et de noter que l’intérieur de Hauteville-House « est à la mode de 1885 [45] ». Subjugué par le spectacle de la maison, il conclut : « Si riche que soit le vocabulaire technique, les mots manquent pour nommer les motifs architecturaux combinés par Victor Hugo. À des formes nouvelles, il faudrait des termes nouveaux, et ces termes, c’était au grand écrivain de les créer. »

12 De fait, la dimension commémorative des intérieurs des grands écrivains revêt une importance de plus en plus marquée pour le régime républicain depuis le bicentenaire de Corneille en 1884 et la mort de Victor Hugo en 1885, à l’heure des crispations nationales et de la transformation du grand écrivain en porte-drapeau. Dans ce contexte, la question des intérieurs se trouve élargie à celle des maisons qui les renferment puisqu’il ne s’agit plus tant de dévoiler l’intérieur d’un contemporain que de vénérer un mort illustre au travers de ses reliques dans ce qui est devenu un lieu de pèlerinage et de culte monumental au sens fort du terme. Le xixsiècle s’inscrit en cela dans la continuité des pèlerinages littéraires de la fin du xviiisiècle [46]. Les intérieurs monumentalisés de Hugo côtoient ainsi les intérieurs de Pierre Corneille dans son musée de Petit-Couronne dont l’inauguration, en 1879, est couverte par la presse locale et nationale [47]. Textes et illustrations invitent les contemporains à se représenter la vie du Grand Corneille en sa « maison des champs » dans un intérieur sobre, quoiqu’aménagé dans un style bourgeois néo-Louis XIII adapté à la mode du xixsiècle. L’ère des commémorations a bel et bien sonné : elle s’accompagne de l’exhumation d’innombrables intérieurs pour lesquels même les figures extravagantes du romantisme sont concernées, à l’instar d’Alexandre Dumas dont les aménagements du cabinet de travail Renaissance et de la salle mauresque de Monte-Cristo reçoivent les honneurs de la presse [48].

13 Conséquemment, la valorisation du décor domestique s’impose au fil des reportages au point que ce dernier devient inhérent aux représentations de l’écrivain. Flaubert ne remarquait-il pas déjà avec étonnement en 1874 : « les chroniqueurs […] ont vu ``aux murs, des tableaux et des bronzes''. Or il n’y a rien du tout sur mes murs [49] ! » […] » Et de présenter l’explication fournie par le journaliste : « Mais MM. Dumas, Sardou et même Victor Hugo ne sont pas comme vous […] [50]. » Ce constat invite à penser que les reporters ont cherché à rendre les intérieurs dépouillés de Flaubert conformes à un horizon d’attente. Si cet aspect demeure peu approfondi dans la plupart des reportages de la presse courante qui se contentent d’un rapide inventaire des éléments les plus remarquables, il fait en revanche l’objet d’une attention croissante de la presse mondaine et illustrée au fil de la décennie 1880 à la faveur de la parution de La Maison d’un artiste[51]. De fait, si la figuration du sacerdoce de l’écrivain demeure le point de fuite constant des descriptions des intérieurs au travers d’emblèmes professionnels (bureau, plume, livres, bibliothèque, lunettes ou notes manuscrites) mis en scène dans le cabinet de travail où culmine l’évocation, le spectacle des bibelots et des œuvres d’art commence à faire de l’ombre à cet attirail.

3.  Des « intérieurs artistes » aux « villégiatures d’artistes [52] » (1887-1903)

14 Dans la presse illustrée et mondaine, le vif engouement de la (haute)-bourgeoisie pour les nouveaux « législateurs du goût », conjugué à la surenchère médiatique, contribue de fait à la cristallisation de la notoriété des hommes de lettres autour de leurs intérieurs richement décorés.

15 À l’été 1880, Arthur Meyer, directeur du Gaulois et futur fondateur du Musée Grévin (où célébrités et grands hommes sont immergés dans des décors à leur image), profite des entrées de Guy de Maupassant chez Zola à Médan et chez Goncourt à Auteuil pour lui commander des articles portant exclusivement sur leur « intérieur artiste [53] ». Décisive, cette initiative sera bientôt relayée par la presse illustrée à qui profite la vogue des intérieurs dont une ou plusieurs images accompagnent désormais le portrait physique. Les innovations techniques des décennies 1880-1890, qui permettent l’introduction de la photographie dans la presse, opèrent en effet un tournant décisif en donnant à voir les détails précis du décor [54]. De cela témoignent les séries illustrées, à l’instar de « Nos contemporains chez eux » pour laquelle collaborent le journaliste G. Lenotre et le photographe Dornac à partir de 1887. Remarquable, cette série l’est assurément pour les photographies qui font sa renommée aujourd’hui [55] (avec la Revue Encyclopédique), mais aussi parce que son texte préfère à l’actualité la description des intérieurs successifs des écrivains visités. Aussi le soin apporté à la caractérisation de ces intérieurs hors du commun participe-t-il peu à peu de la re-sanctuarisation des domiciles profanés. Des collections d’objets historiques et d'œuvres d’art rares disposés avec soin et érudition chez Victorien Sardou, Dumas fils ou chez Goncourt dans des demeures d’allure aristocratique, aux pièces démesurément grandes des intérieurs romantiques et clinquants que Zola meuble d’objets religieux et anciens pêle-mêle, les intérieurs des têtes d’affiche de ces chroniques mondaines s’affirment plus que jamais comme la vitrine promotionnelle de l'« élite artiste ». Dans ce sens, les illustrations jouent un rôle considérable pour « fixer » le sacerdoce littéraire dans une imagerie « idéalisée, emblématique et mémorisable [56] ». Déjà ancrée dans l’iconographie pluriséculaire du saint et du penseur, dans le spectacle d’un homme introverti et absorbé [57], assis à une table jonchée de livres et de notes manuscrites, l’image moderne et archétypale de l’homme de lettres habillé en bourgeois dans le décor d’un intérieur élégant connaît une diffusion élargie grâce à la presse, ce dont témoignent à l’évidence les portraits de Zola ou de Daudet par Dornac, auxquels les écrivains artistes se confrontent par leur pose alanguie et leur accoutrement extravagant [58].

16 Si le paysage médiatique des intérieurs des écrivains se renouvelle au gré des succès de nouvelles recrues (Mallarmé, Verlaine…), ce sont assurément leurs villégiatures bourgeoises y contribuent tout autant. Bien que certaines d’entre elles fassent l’objet de reportages depuis quelque temps (Flaubert, Zola…), le succès des séries illustrées incite les journalistes à leur prêter plus d’attention encore au vu de leurs extérieurs et intérieurs monumentaux, loin des contraintes de l’architecture urbaine parisienne. C’est ainsi que les séries « Les Parisiens célèbres en villégiature » de Jules Hoche pour Le Paris illustré et surtout « Une heure chez… » pour La Revue illustrée consacrent à ces maisons des dossiers richement illustrés de plusieurs pages, dans lesquels le quotidien et l’interview de l’écrivain occupent désormais une place relative. Si l’inventaire de l’ameublement artistique et bibelotier de la plupart des villégiatures contraste avec l’évocation enthousiaste de la simplicité naturelle des paysages alentours, ces chroniques se plaisent néanmoins à donner l’homme de lettres en spectacle en plein air sous les traits d’un homme d’extérieur jouant les Marie-Antoinette à Trianon. L’hôte de Daudet à Champrosay [59] s’amuse ainsi à dépeindre l’auteur des Lettres de mon moulin sous les traits d’un « meunier » « coiffé d’un chapeau rustique », avec lequel il parcourt le « parc […] semé de constructions pittoresques et de maisonnettes qui lui donnent l’aspect d’un hameau enfoui dans la verdure […] [60] ». Succède néanmoins à la longue évocation du parc la visite de deux intérieurs simples : le chalet de l’assistant de Daudet, et surtout le pavillon d’écriture que le romancier présente en ces termes : « Lorsque je veux travailler sérieusement, je m’enferme en cette tour […] nulle visite importune ne m’y vient distraire ; j’y pourrais vivre en ermite. Quand j’y ai pris ma retraite, il ne me manque qu’une robe de bure et un chapelet pour ressembler au bon saint Antoine. Et puis, le voisinage de la Seine me remet en mémoire les beaux jours de ma jeunesse […] [61]. » Cette mise en scène, sans doute spécieuse, n’en réoriente pas moins le portrait vers un certain intérieur : le cabinet de travail. Au prix du dédoublement de son domicile composé d’une part de son « chez-soi » et d’autre part de son cabinet de travail, situé dans un autre bâtiment, Daudet semble chercher à s’inscrire dans un imaginaire auctorial précisément étranger aux intérieurs artistes et bourgeois pour renvoyer au motif de la cellule monacale, décor topique de l’ascète qui subsume à lui seul le motif romantique de la tour (on pense à la tour d’ivoire de Vigny), la figure du moine Balzac (dont Rodin est en train de réaliser la célèbre sculpture), l’ermite saint Antoine derrière lequel, enfin, il n’est pas interdit de voir Flaubert, dans son ermitage de Croisset en bord de Seine…

17 À nouveau décor, nouvelle pose affectée ? Sans doute. Quoi qu’il en soit, l’ermite reclus à la campagne est en effet le nouveau personnage à la mode [62], la maison de villégiature le pendant des intérieurs parisiens. G. de Saint-Héraye s’amuse d’ailleurs de cette vogue : « Le château de La Brède et Montesquieu, le château de Montbard et Buffon, Voltaire et Ferney, Jean-Jacques Rousseau et Montmorency. Nohant avec George Sand. Médan avec Zola […]. C’est à la campagne, loin des villes, que ces historiens, ces philosophes, ces poètes et ces romanciers ont médité, travaillé, produit. […] Est-ce à dire que la retraite, la solitude, le calme des champs, le spectacle de la nature sont de merveilleuses conditions pour la culture du cerveau humain […] [63] ? » N’est-ce pas à dire surtout que les écrivains du moment rejouent les glorieuses heures des ermites de la littérature française, avant d’entrer eux aussi dans la légende nationale à l’heure de l'« exaltation des régions [64] » ?

4.  Les derniers feux des « intérieurs artistes »

18 Certes, mais alors dans des « châteaux » bien différents. Ainsi, la visite du château de Sardou à Marly dont la description experte fait état de la richesse de la collection [65] du dramaturge [66]. L’attention portée aux objets artistiques et historiques souligne la dimension proprement muséale de l’intérieur au détriment de sa fonction domestique, logique que la maison de Loti à Rochefort pousse à l’extrême, elle dont les pièces monumentalisent une à une les motifs architecturaux du romantisme et de l’exotisme (extrême-)oriental, de la cathédrale à l’Alhambra en passant par la chambre monacale, la mosquée et la pagode chinoise [67]. De fait, la réification et l’artialisation [68] de la figure de l’homme de lettres et de son œuvre dans ces intérieurs deviennent au fil des années 1890 l’apanage revendiqué d’une élite sociale et artiste qui entend bien se démarquer des intérieurs de ses congénères. Conséquemment, on assiste à la fin du siècle à une évidente polarisation du champ littéraire et, par ricochet, des scénographies domestiques, notamment entre les romanciers grands-bourgeois héritiers du naturalisme d’une part, et les poètes des avant-gardes de l’autre, eux-mêmes divisés entre la simplicité petite-bourgeoise, la misère et le raffinement délicat qu’affichent respectivement chez eux Mallarmé, Verlaine et Montesquiou [69]. À ce titre, l’article consacré à l’ermitage versaillais de ce dernier promeut le caractère exclusif – au sens fort du terme – des lieux comme de l'œuvre poétique de l’esthète : « Les meubles de M. de Montesquiou sont parmi les plus beaux parmi ceux qui existent : ils lui viennent d’une grand-mère qui eut l’honneur de bercer le roi de Rome. […] Et maintenant ne comprend-on pas d’après l’extérieur de M. de Montesquiou, d’après le milieu dans lequel il vit, ce que doit être son talent incontestable ? Comprend-on que commencés pour un petit nombre, écrits primitivement pour une élite, ses vers n’ont pas montré le souci de plaire au grand public ; qu’entouré des plus bizarres produits de l’art oriental, M. de Montesquiou ne pouvait que produire des vers ne ressemblant pas plus aux vers courants que l’art japonais ne ressemble aux articles de Paris fabriqués au Marais [70] ? »

19 L’exposition médiatique de cet intérieur inaccessible au commun des mortels constitue par conséquent l’antithèse de ce qui se dessine chez Victor Hugo. De ce point de vue, l’année 1903 voit deux événements se faire face. D’une part, l’inauguration fastueuse de la salle chinoise de la maison de Pierre Loti à Rochefort où les happy-few se pressent autour d’une pseudo-impératrice chinoise, relayée par la presse parisienne mondaine [71], d’autre part l’inauguration, le 30 juin 1903, de la Maison Victor Hugo place des Vosges où se rassemblent dans la tradition républicaine un parterre de représentants officiels et une foule d’anonymes, sous le regard d’une presse venue de tous les horizons [72]. Ainsi, quand Loti s’amuse à célébrer son génie décorateur par la mise en scène divertissante d’une maison qui a tout d’un théâtre érigé en son honneur, le Musée Victor Hugo est porté au rang de lieu de culte collectif que la nation a fait sien.


Date de mise en ligne : 23/06/2015.

https://doi.org/10.3917/rom.168.0071

Notes

  • [1]
    Au sens employé par Marie-Ève Thérenty dans La Littérature au quotidien. Poétiques journalistiques au xixsiècle, Paris, Le Seuil, coll. « Poétique », 2007.
  • [2]
    Alain Viala, Naissance de l’écrivain, Paris, Éditions de Minuit, coll. « Le Sens commun », 1985.
  • [3]
    Jürgen Habermas, L’Espace public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Paris, Payot, [1962] 1991.
  • [4]
    Nathalie Heinich, De la visibilité. Excellence et singularité en régime médiatique, Paris, Nrf Gallimard, 2012. Le terme désigne le statut social qu’une célébrité se voit attribuer en régime médiatique par la reproduction et la diffusion massive de son image.
  • [5]
    Antoine Lilti, Figures publiques. L’invention de la célébrité 1750-1850, Paris, Fayard, 2014 ; les travaux de José-Luis Diaz au plan de l’histoire du genre biographique confirment cette tendance : L’Homme et l'œuvre. Contribution à une histoire de la critique, Paris, PUF, coll. « Les littéraires », 2011.
  • [6]
    La Civilisation du journal, Histoire culturelle et littéraire de la presse française au xixsiècle, Dominique Kalifa, Philippe Régnier, Marie-Ève Thérenty et Alain Vaillant (dir.), Paris, Nouveau Monde éditions, coll. « Opus Magnus », 2012.
  • [7]
    Je propose donc d’introduire le domicile de l’écrivain dans les scénographies mises en lumière par José-Luis Diaz dans L’Écrivain imaginaire. Scénographies auctoriales à l’époque romantique, Paris, Honoré Champion, coll. « Romantisme et modernités », 2007.
  • [8]
    Michelle Perrot « Manières d’habiter » dans Histoire de la vie privée, Alain Corbin, Roger-Henri Guerrand, Michelle Perrot et Georges Duby (dir.), t. IV, Paris, Le Seuil, 1999, p. 307.
  • [9]
    Walter Benjamin, « Exposé de 1935. Louis-Philippe ou l’intérieur », Paris, capitale du xixsiècle. Le livre des passages, Paris, Éditions du Cerf, coll. Passages, 2e éd. 1989, p. 41.
  • [10]
    On ne prétend pas ici à l’exhaustivité. Les innombrables articles de la « bohème » sur toute la période, par exemple, méritent une étude à eux seuls.
  • [11]
    « Intérieur », Dictionnaire de l’Académie française, 6e édition (1832-1835).
  • [12]
    Cat. exp. Intérieurs romantiques. Aquarelles 1820-1890, Cooper-Hewitt, National Design Museum, New York. Donation Eugene V. et Clare E. Thaw, Paris, Musée de la Vie Romantique, 10 septembre 2012-13 janvier 2013.
  • [13]
    Les évolutions biographiques étudiées par José-Luis Diaz vont dans ce sens : voir L’homme et l'œuvre…, ouvr. cité.
  • [14]
    Manuel Charpy, « L’ordre des choses. Sur quelques traits de la culture matérielle bourgeoise parisienne, 1830-1914 », Revue d’histoire du xixsiècle, 34 | 2007 [En ligne], § 49 et suiv. Page consultée le 10 mars 2015.
  • [15]
    Voir l’article sur les extérieurs pittoresques de « Monte-Cristo », L’Illustration, 26 février 1848, t. X, p. 407-411.
  • [16]
    Nathalie Heinich, L’Élite artiste, excellence et singularité en régime démocratique, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque des Sciences humaines, 2005.
  • [17]
    Samuel-Henri Berthoud, « Études biographiques. Victor Hugo », Mercure de France 15 mai-15 juin 1840, repris dans Le Musée des familles, t. VII, p. 285-286.
  • [18]
    Ibid., p. 285.
  • [19]
    Ibid., p. 285.
  • [20]
    Olivier Nora, « La visite au grand écrivain  » dans Les Lieux de mémoire II. La nation, Pierre Nora (dir.), Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque illustrée des histoires », 1986, p. 563-587 : p. 564.
  • [21]
    Samuel-Henri Berthoud, ouvr. cité, p. 285.
  • [22]
    Ibid., p. 286.
  • [23]
    Eugène de Mirecourt, Victor Hugo, Paris, G. Havard, 1859 : « Victor Hugo est le premier qui nous ait rendu le goût des beaux ameublements historiques. », p. 25.
  • [24]
    Théophile Gautier, « Vente du mobilier de Victor Hugo », La Presse, 7 juin 1852, repris dans Histoire du romantisme, Paris, Charpentier, 1874, p. 126-133.
  • [25]
    Ibid., p. 132.
  • [26]
    Charles-Augustin Sainte-Beuve, Nouveaux lundis, I, 240, cité par José-Luis Diaz dans « « Aller droit à l’auteur sous le masque du livre » (« Sainte-Beuve et le biographique », Romantisme, 2000, n° 109, p. 45-67, p. 51). Au sujet de la genèse de cette tendance biographique au xviiisiècle, voir L’homme et l'œuvre, ouvr. cité.
  • [27]
    Nathalie Preiss, Les Physiologies en France au xixsiècle. Étude historique littéraire et stylistique, Mont-de-Marsan, Éditions InterUniversitaires, 1999.
  • [28]
    Ainsi de la « Grande Étude » de Gautier qui « domestique » pour ainsi dire l’excentrique « Honoré de Balzac », L’Artiste, 21,28 mars, 4,18, 25 avril, 2 mai, repris dans Le Moniteur universel.
  • [29]
    « Avis aux abonnés », Supplément à la Sylphide du 23 novembre 1845, 2e série, t. II.
  • [30]
    Michelle Perrot, « Chambre d’écrivains », Histoire de chambres, Paris, Le Seuil, 2014 [2009], p. 114-116.
  • [31]
    « Histoire du Consulat et de l’Empire. Par M. Thiers », L’Illustration du 8 mars 1845, p. 23-25.
  • [32]
    En pleine haussmannisation paraissent des recueils consacrés aux « Demeures de personnages célèbres » : estampes de A.-P. Martial, Cadart et Luquet, Paris, Potémont, 1862-1863.
  • [33]
    Le Monde illustré, 2 novembre 1872, p. 1.
  • [34]
    Martine Lavaud et Marie-Ève Thérenty, Avant-propos, Lieux littéraires/La revue, n° 9-10, 2006, p. 9-25.
  • [35]
    Dans l’interview-type, la description de l’intérieur sert de seuil à l’article et conditionne la prise de parole, voir Joris-Karl Huysmans, Interviews, Jean-Marie Seillan (éd.), Paris, Honoré Champion, coll. « Textes de littérature moderne et contemporaine », 2002, p. 40-44.
  • [36]
    Olivier Nora, ouvr. cité, p. 543.
  • [37]
    Lettre de Gustave Flaubert à George Sand, 15 mars 1874, dans Gustave Flaubert-George Sand. Correspondance, texte édité, préfacé et annoté par Alphonse Jacobs, Paris, Flammarion, 1981, p. 460.
  • [38]
    Paul Alexis, Émile Zola : notes d’un ami. Avec des vers inédits de Émile Zola, Paris, G. Charpentier, 1882, p. 187-189.
  • [39]
    Théodore Gosselin (dit G. Lenotre), « M. Émile Zola », Le Monde illustré, 5 avril 1890, p. 210-212, p. 211.
  • [40]
    Victor Hugo, « Ultima Verba », Les Châtiments, livre VII, XIV, dans Œuvres complètes, Jacques Seebacher et Guy Rosa (dir.), Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », « Poésie », t. II, 1985, p. 198.
  • [41]
    On trouve la question suivante dans un article : « Une curieuse étude à faire ne serait-elle pas celle qui aurait pour titre : Victor Hugo raconté par ses demeures ? », « Courrier de Paris », Le Monde illustré, 30 mai 1885, p. 362.
  • [42]
    Théophile Gautier, ouvr. cité ; Théodore de Banville, Mes Souvenirs, Paris, G. Charpentier, coll. « Petites études », 1882, p. 44-46.
  • [43]
    Ibid., p. 5.
  • [44]
    Ibid., p. 5.
  • [45]
    Ibid., p. 5.
  • [46]
    Jean-Claude Bonnet, Naissance du Panthéon : essai sur le culte des grands hommes, Paris, Fayard, 1998.
  • [47]
    La Cloche d’argent : journal hebdomadaire, illustré, politique, littéraire et artistique, Rouen, 11 et 18 octobre 1884 ; pour les intérieurs, L’Illustration 11 octobre 1884, p. 231-232.
  • [48]
    « Courrier de Paris », Le Monde illustré, 10 novembre 1883, p. 290-299.
  • [49]
    Gustave Flaubert, ouvr. cité, p. 460.
  • [50]
    Ibid., p. 460.
  • [51]
    Edmond de Goncourt, La Maison d’un artiste, Paris, G. Charpentier, 1881. L’approche dégagée est une tendance générale qui continue d’avoir cours tout au long des décennies suivantes dans la presse courante.
  • [52]
    Maurice Guillemot, Villégiatures d’artistes, Paris, Flammarion, 1897.
  • [53]
    L’expression figure au pluriel dans une lettre de Maupassant à Zola [juin ou juillet 1880], Guy de Maupassant. Émile Zola. Correspondance, Rennes, Éditions La Part commune, 2013, p. 66.
  • [54]
    Marie Mallard, Étude de la série de Dornac : Nos contemporains chez eux (1887-1917). Personnalités et espaces de représentation, mémoire de maîtrise, Paris IV, 1999, p. 55.
  • [55]
    Elizabeth Emery a grandement contribué à la valorisation de ce corpus dans son ouvrage Photojournalism and the Origins of the French Writer House Museum (1881-1914) : Privacy, Publicity, and Personality, Farnham et Burlington, Ashgate Press, 2012 ; sur le genre du portrait photographique voir Pascal Durand, « De Nadar à Dornac. Hexis corporelle et figuration photographique de l’écrivain », Le portrait photographique de l’écrivain, COnTEXTES, 14 | 2014 [En ligne]. Page consultée le 12 mars 2015.
  • [56]
    Jean-Benoît Puech, « Du vivant de l’auteur », Poétique, n° 63, sept. 1985, p. 279.
  • [57]
    Michael Fried, La Place du spectateur. Esthétique et origines de la peinture moderne, Paris, Nrf Essais, Gallimard, 1990.
  • [58]
    Dornac, « Nos contemporains chez eux », 1887-1917, album en ligne sur Gallica.
  • [59]
    Adolphe Brisson, « Une heure chez Alphonse Daudet », La Revue illustrée, 15 juin 1892, p. 357-365.
  • [60]
    Ibid., p. 358.
  • [61]
    Ibid., p. 361.
  • [62]
    Huysmans revêt, lui, l’habit de l'« oblat voir Interviews, ouvr. cité, p. 247 et 345.
  • [63]
    Bernard-Henri Gausseron (dit (B.-H.-) G. de Saint Héraye), « Le travail intellectuel à la campagne », L’Art et l’idée : revue contemporaine du dilettantisme et de la curiosité, 1892, p. 168-178 : p. 168.
  • [64]
    Anne-Marie Thiesse, L’Exaltation des régions dans le discours patriotique, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 1997.
  • [65]
    Dominique Pety, Poétique de la collection au xixsiècle. Du document de l’historien au bibelot de l’esthète, Nanterre, Presses universitaires de Paris-Ouest, coll. « Orbis litterarum », 2010.
  • [66]
    Eugène Tardieu, « Une heure chez Victorien Sardou », La Revue illustrée, 15 juin 1892, p. 209-218.
  • [67]
    Georges Pellissier, « Roman », Revue encyclopédique, Paris, Librairie Larousse, 1892, p. 566-570.
  • [68]
    Voir sur ce point Séverine Jouve, Obsessions & perversions dans la littératures et les demeures à la fin du xixsiècle, Paris, Hermann, 1996.
  • [69]
    Jules Michel, « Chez le « Prince des poètes » : Interview de M. Stéphane Mallarmé », Le Grand Journal, n° 6, 11 février 1896, p. 2 ; Charles Maurras, « Paul Verlaine : les époques de sa poésie », Revue encyclopédique, 13 janvier 1895, p. 1-8.
  • [70]
    Jacques de Saint-Cère, « Une heure chez le comte Robert de Montesquiou », La Revue illustrée, Paris, 15 juin 1894, p. 117-124 : p. 123. Le Marais à Paris est le quartier des antiquaires.
  • [71]
    Gaston Mauberger, « La Fête Chinoise : 1903 », Le Figaro, 13 mai 1903, p. 1.
  • [72]
    Un journaliste commente la vente de Médan en ces termes : « L’intérieur de la maison de Zola était rempli d’objets d’art, et d’art religieux […] Si encore Médan avait été plus près de Paris, on aurait pu songer à y créer la Maison de Zola, comme on a créé la maison de Hugo. » Le Petit Bleu, 7 février 1903, Interviews, ouvr. cité, p. 371-373.
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