Couverture de ROM_165

Article de revue

Construction auto et intertextuelle du vocéro dans « Salomé » de Jules Laforgue

Pages 101 à 114

Notes

  • [1]
    « Morceau de bravoure strictement verbal », « monologue improvisé tout à la fois hermétique et extravagant », écrivent à son propos Daniel Grojnowski et Henri Scepi dans leur édition des nouvelles laforguiennes (Jules Laforgue, Moralités légendaires, Paris, GF-Flammarion, 2000, p. 241).
  • [2]
    Lorsque François Ruchon demande à celui qui fut l’un des plus proches amis de Laforgue, Charles Henry, « quelles étaient ses lectures préférées », celui-ci répond d’une manière catégorique, mais paradoxalement assez juste : « il lisait tout. » (Jules Laforgue, Œuvres complètes, tome III, Genève, L’Âge d’Homme, 2000, p. 11 ; à partir de maintenant, les volumes des Œuvres complètes seront désignés par OC suivi du numéro du tome en chiffres romains).
  • [3]
    OC I, p. 259-449.
  • [4]
    OC III, p. 891-901.
  • [5]
    OC II, p. 147-262.
  • [6]
    Lettre à Gustave Kahn, jeudi [3 juin 1886], OC II, p. 852.
  • [7]
    La critique laforguienne traditionnelle adopte ce point de vue quelque peu réducteur (voir Daniel Grojnowski, Jules Laforgue et l’« originalité », Neuchâtel, La Baconnière, « Langages », 1988, ou encore Michele Hannoosh, Parody and Decadence. Laforgue’s Moralités légendaires, Colombus, Ohio State University Press, London, European, 1989).
  • [8]
    La place nous manque ici pour citer de manière systématique toutes les façons dont les hypotextes interviennent dans les Moralités légendaires. Mais ces apports sont très divers : du canevas narratif globalement respecté de l’intertexte premier, à la citation incrustée comme un joyau, sans conséquence sur l’économie globale ni même locale du texte, en passant par quelques passages pasticheurs, Laforgue use d’une multitude de moyens pour s’approprier les textes hétérogènes et les intégrer à sa propre écriture.
  • [9]
    Du nom d’une des sections qui les rassemblent dans le tome III des Œuvres complètes aux éditions L’Âge d’Homme.
  • [10]
    OC III, p. 847.
  • [11]
    L’adjectif « Bien-Veillante » est d’ailleurs déjà en partie présent dans cette prose poétique où il est question de la « force unique, toujours veillante ».
  • [12]
    OC III, p. 338.
  • [13]
    OC III, p. 342.
  • [14]
    Cela est encore plus évident dans un premier état du texte, tel qu’on le trouve dans le manuscrit qui appartient à Marvyn Carton, où les reprises lexicales sont plus nombreuses : « Plongez donc, et dès après-demain, en l’harmonique mansuétude des moralités pré-établies, le ventre en l’air, florissant à la dérive du laisser passer – laisser faire, dans les rafales des gaspillages où l’on n’entendra plus battre ni son cœur, ni le pouls de la conscience ! » (Jules Laforgue, Moralités légendaires, Daniel Grojnowski (éd.), Genève, Paris, Droz, « Textes littéraires français », 1980, p. 234 ; dorénavant, nous y ferons simplement référence par l’expression « édition critique »).
  • [15]
    On se rapproche alors du moment d’écriture de la nouvelle, mai 1885.
  • [16]
    OC III, p. 1159.
  • [17]
    On relève également la collocation des deux fleuves sacrés du christianisme et de l’hindouisme, Jourdain et Gange, comme dans le vocéro : « fatals Jourdains, Ganges baptismaux ».
  • [18]
    OC III, p. 1159 et p. 1164-1166.
  • [19]
    Léon Tolstoï, La Guerre et la paix, t. II, Paris, Hachette, 1884, p. 225-226.
  • [20]
    Ibid., p. 267.
  • [21]
    Ibid., p. 268-269.
  • [22]
    Ibid., p. 360.
  • [23]
    Voir ci-dessous ce qu’Hartmann dit sur la nécessité d’une « réconciliation » avec la vie.
  • [24]
    Jules Laforgue, ouvr. cité, p. 148.
  • [25]
    Arthur Schopenhauer, Pensées et fragments, traduction J. Bourdeau, Paris, Germer Baillière, 1881, p. 77.
  • [26]
    Jules Laforgue, ouvr. cité, p. 148.
  • [27]
    Arthur Schopenhauer, ouvr. cité, p. 124-125.
  • [28]
    Dans la première version du texte, on lit « vous aller mettre au vert des pâturages empiriques et des Édens des réflexes ! » (Jules Laforgue, édition critique, p. 228), ce qui se justifie par le fait que pour Eduard von Hartmann, les actions réflexes sont parmi celles où l’Inconscient se manifeste avec le plus d’évidence (Éduard von Hartmann, La Philosophie de l’Inconscient, t. I, traduit par D. Nolen, Paris, Germer Baillière, 1877, Première partie, chapitre V : « L’Inconscient dans les mouvements réflexes »).
  • [29]
    Jules Laforgue, ouvr. cité, p. 148.
  • [30]
    Eduard von Hartmann, ouvr. cité, t. II, p. 535.
  • [31]
    D’où l’emploi de l’expression « c’est peut-être une âme simple », en lieu et place de « c’est une belle âme » dans la première version du texte, pour signifier que ce désir de faire persister la vie par le moyen de la reproduction correspond, en effet, à un désir simple et sans questionnement (Jules Laforgue, édition critique, p. 228).
  • [32]
    Jules Laforgue, ouvr. cité, p. 148. La première version du texte, dans le manuscrit Carton, comporte la phrase suivante : « Oui, théosophes hydrocéphales, tout comme vous, douces volatiles, vertigineux groupes de phénomènes d’une heure, redevenez des tempéraments atteints d’incurie [...] » (Jules Laforgue, édition critique, p. 228-230). L’emploi du pronom de deuxième personne éclaire la syntaxe du début de la phrase, puisqu’il permet immédiatement de comprendre que les groupes nominaux désignent les interlocuteurs (peut-être même précisément les invités du Tétrarque qui l’écoutent). Quant à la mention « d’une heure », elle dit plus explicitement la brièveté de la vie des individus au regard de la temporalité de l’univers.
  • [33]
    Il s’agit de l’expression que Schopenhauer mais aussi Hartmann appliquent aux individus : « On comprend alors l’unité substantielle de tous les individus physiques et spirituels, qui ne sont que des phénomènes » (Eduard von Hartmann, ouvr. cité., t. II, p. 196).
  • [34]
    Ibid., t. II, p. 243.
  • [35]
    C’est l’analyse qui est faite par les éditeurs de l’édition GF. Voir leur note, p. 241. On trouve, en effet, dans un texte consacré à quelques tableaux, « À propos de toiles çà et là », publié dans Le Symboliste, en octobre-novembre 1886, la description suivante : « – M. Carolus Duran. Psychologie de revendeuse à la toilette. [...] Son nu du Salon, modelé sans accent par un riche amateur. Et la pose en valait la facture rose et confite. Et puis on a pu voir ce delta duveté d’ombre chaude. Des jeunes filles en rose et en deuil s’arrêtaient devant avec des mines de profession de foi. C’est du propre. [...] On ne nous a pas habitués à tout le nu féminin, comme pour le mâle dans la statuaire grecque ; tans pis, ou tant mieux. Maintenant, il est trop tard. » (OC III, p. 323). Le terme delta en tout cas est donc bien mis pour le sexe féminin.
  • [36]
    Jules Laforgue, ouvr. cité, p. 148.
  • [37]
    Ibid.
  • [38]
    Voir les notes de l’édition GF p. 241 et des OC II, p. 586. Dans la première version du texte, l’auteur souligne ironiquement le réemploi de cette formule dans un contexte totalement différent du contexte originel, en ajoutant : « « selon un mot célèbre que je ne m’attendais pas à ouïr en cette affaire. » (Jules Laforgue, édition critique, p. 230)
  • [39]
    Eduard von Hartmann, ouvr. cité, t. II, p. 497-498.
  • [40]
    Jules Laforgue, ouvr. cité, p. 148-149. Le manuscrit Carton comporte « les matrices délivrées » en lieu et place de « des épidermes » (Jules Laforgue, édition critique, p. 230). L’image est plus crue et fait écho aux nombreuses réflexions de l’auteur sur la reproduction.
  • [41]
    Jules Laforgue a mis également en avant la puissance transcendante de cette Vertu curative dans ses notes philosophiques : « la Loi – une VERTU (La vertu curative de la nature – ), la vertu d’incarnation incessante (agrégation et désagrégation rythmique) de l’Idéal. » (OC III, p. 1146).
  • [42]
    Voir le chapitre VI du premier tome de la Philosophie de l’Inconscient. On notera cependant que Hartmann ne parle que de la vertu curative à l’œuvre dans le règne animal et que Laforgue l’étant au règne végétal avec la mention des « prairies ».
  • [43]
    Par exemple Ernest Renan qui dit : « Le mieux est de se soumettre à l’esprit, bon ou mauvais, de l’Univers » (cité par Paul Bourget, Essais de psychologie contemporaine, dans Œuvres, Critique t. I, Paris, Plon, 1899, p. 51-52).
  • [44]
    Mais l’on trouve également dans un passage de l’introduction de Théodule Ribot une mention qui va dans le sens de cet abandon des classifications scientifiques : « la nouvelle méthode des sciences naturelles élimine les notions de genre et d’espèce, rompt les cadres des classifications logiques, et introduit le devenir sans limites dans l’univers vivant » (Théodule Ribot, La Philosophie de Schopenhauer, Paris, Germer Baillière, 1874, p. 94).
  • [45]
    L’Imitation de Jésus-Christ, traduction nouvelle avec des réflexions à la fin de chaque chapitre par M. l’abbé F. de Lamennais, nouvelle édition, Paris, Garnier Frères, 1865, p. 18 et 20.
  • [46]
    Gustave Flaubert, « Hérodias », Trois contes, Paris, GF-Flammarion, 2007 (1877), p. 138.
  • [47]
    Pour Laforgue, héritant en cela des théories de Schopenhauer sur la question, l’amour ne peut être qu’un jeu de dupes dans lequel hommes et femmes poursuivent des buts différents : la procréation pour les femmes, la communion avec un autre être pour les hommes.

1 Dans « Salomé », nouvelle qui réécrit le mythe biblique et le conte « Hérodias » de Flaubert, Jules Laforgue remplace par un discours (nommé depuis par la critique vocéro) ce qui est dans les Évangiles, et encore chez l’auteur des Trois contes, une danse de séduction de la jeune fille à destination d’Hérode. Un discours qui n’est pas sans créer la perplexité des convives, mais plus encore peut-être celle du lecteur. Car si le texte des Moralités légendaires est réputé difficile, voire obscur, ce passage est assurément l’un des plus ardus à comprendre, au point qu’il donne l’impression de ne pas chercher à faire sens [1].

2 Or la difficulté des textes laforguiens ne vient pas d’une volonté délibérée de la part de l’auteur de se détacher du sens (par le recours à une écriture automatique avant la lettre), mais du processus par lequel il intègre et se réapproprie des hypotextes multiples, dont la non-connaissance condamne le lecteur à un déficit au niveau de ses capacités réceptrices. En d’autres termes, l’obscurité des textes de Laforgue provient, du côté du lecteur, d’un déficit de connaissance des nombreux hypotextes et, du côté de l’auteur, d’une pratique très particulière de la réécriture, dans le processus de laquelle le lien de l’hypotexte à l’hypertexte tend à s’amincir au point de n’être plus discernable que par l’auteur lui-même ou par quelques lecteurs savants, quelques happy few partageant ses goûts et ses lectures.

3 L’écriture laforguienne trouve en effet son origine dans la lecture – et ce phénomène atteint son apogée dans le recueil de nouvelles Moralités légendaires. Par goût personnel (il passe deux ans de sa vie à lire tous les jours à la Bibliothèque Nationale, entre 19 et 20 ans) et par nécessité professionnelle (il devient lecteur de l’Impératrice d’Allemagne en 1881), Jules Laforgue est un lecteur hors pair. Tant pour le nombre de pages parcourues que pour la diversité des champs abordés [2]. Aussi est-ce très naturellement que ses divers essais en tant qu’écrivain se nourrissent de cet apport extérieur. Son premier recueil de poèmes, Le Sanglot de la Terre, non publié, se donne ainsi à lire comme une mise en vers de la philosophie d’Arthur Schopenhauer et Édouard von Hartmann [3] ; une nouvelle inédite de 1882, « Les drames de province. Mort étrange de Mme Tissandier, femme de ce professeur d’histoire naturelle », cultive le genre du « à la manière de » en prenant exemple sur les Histoires extraordinaires d’Edgar Poe [4] ; plusieurs poèmes du recueil Des fleurs de bonne volonté se dotent d’une épigraphe tirée de Shakespeare [5]. Que ce soit par un ancrage stylistique, formel, ou encore thématique, l’apport des textes hétérogènes est toujours largement présent dans ses écrits.

4 Mais dans son recueil de nouvelles posthume, Moralités légendaires, la dimension intertextuelle prend une tout autre ampleur. Cette spécificité est tout d’abord due au projet qui guide ces nouvelles. Ainsi qu’il l’explique à son ami et correspondant Gustave Kahn : « Mon volume de nouvelles, tu en connais le principe : de vieux canevas brodés d’âmes à la mode [6]. » Il s’agit donc de réécrire à nouveaux frais et de manière très distanciée des « canevas » bien connus : Hamlet de Shakespeare, Lohengrin de Wagner, et les mythes de Salomé, de Persée et d’Andromède, entre autres. Mais ceux-ci ne constituent que les intertextes premiers et l’entreprise de Laforgue ne s’épuise pas dans la parodie de ces grands hypotextes [7]. D’une part parce que l’attitude de Laforgue à l’égard de ces modèles n’est pas uniformément parodique, et d’autre part, parce que viennent se greffer aux intertextes premiers une multitude d’autres intertextes dont la réappropriation – laquelle s’accomplit selon différents modes [8] – fait du texte final un montage beaucoup plus complexe que celui impliqué par la simple relation binaire hypotexte parodié/hypertexte parodique. Les Moralités légendaires reposent, pour une très large part, sur un feuilletage intertextuel, dans les profondeurs duquel il est profitable au lecteur de se plonger, car il en retire un incontestable gain de sens.

5 Une telle étude est particulièrement adaptée au texte du vocéro, dont l’abord complexe, qui lui donne l’air d’être le produit d’une écriture automatique avant la lettre, dissimule en réalité l’apport de multiples lectures dûment assimilées par Laforgue.

AUTOTEXTUALITÉ DU VOCÉRO

6 Avant de plonger dans les intertextes de ce morceau de bravoure, il est toutefois important de souligner que le vocéro n’est pas produit par l’auteur ex nihilo. Ce texte ne naît pas en un jour mais il est l’aboutissement d’un processus d’appropriation de diverses influences, notamment philosophiques. Influences qu’il a, dans un premier temps, digérées dans de nombreuses notes et textes réflexifs qui apparaissent, pour une très large part comme les premiers états du texte du vocéro. Non pas des brouillons à proprement parler (puisque ces réflexions sont déconnectées de toute inscription dans une narration quelle qu’elle soit) mais bien des premières mises en mots de ces idées.

7 Les premiers textes dans lesquels nous trouvons des thèmes et expressions très proches du vocéro, sont des réflexions et des notes, recueillies sur nombre de « Feuilles volantes [9] » et de papiers dispersés. La difficulté est bien sûr de dater ces écrits, mais il est plus que probable qu’ils précèdent la rédaction de « Salomé ».

8 Ainsi, dans ce qui semble être les notes les plus anciennes de Laforgue (datées de 1879 à 1882), on trouve déjà ces phrases :

9

s’abandonner à cette force unique, toujours veillante, à la g [ran] de vertu curative, inconsciente, maternelle, veillante, présente partout ! (Voilà l’ange gardien détaché pour chacun de nous du g [rand] ange de l’Histoire et délégué de l’évolution terrestre détaché lui-même de celui de l’omnivers) qui fait tout sans bruit, qui m’a fait croître selon un certain type élu au moral et en forme, qui me guide, me suggère des instincts inconnus et précieux et divins, qui nous sauvent, raccommode ma chair quand je me suis blessé, qui présida aux unions bien trouvées [, ] heureuses de tous mes ascendants en vue de moi, qui donna le divin amour maternel à maman, qui me poussa à la puberté vers la jeune fille adorable, élue, me donna le sens esthétique, la moralité, l’harmonie préétablie, me garde mélancolique et attendri le long de la vie parmi les loups, et enfin qui m’a en si spéciale dilection, moi pourtant si jeune, qu’elle m’a permis de la contempler, qu’elle [a] soulevé un peu son voile et s’est distraite de son Œuvre éternel et infini pour se donner à moi, SPONTANÉMENT ! atome et minute et m’a ravi dans ce baiser de la bonne Loi du monde de la réflexion, du raisonnement, du calcul, des préméditations pour l’en allé à la dérive sur les jourdains de l’Inconscient où fleurissent les lotus de la Vraie moralité (L’Univers, la historia farà da se [10]).

10 Certes, le texte n’est pas forcément beaucoup plus limpide que le vocéro. L’on y reconnaît cependant « la Grande Vertu Curative [...] qui raccommode les accrocs [...] des épidermes », et il semble également que l’expression « l’harmonieuse mansuétude des moralités préétablies » provienne de la contraction de deux groupes nominaux de l’énumération centrale, « la moralité, l’harmonie préétablie ». Mais c’est surtout dans le verbe abandonner qui commence le fragment et dans la dernière partie de la phrase (« m’a ravi dans ce baiser de la bonne Loi du monde de la réflexion, du raisonnement, du calcul, des préméditations pour l’en allé à la dérive sur les jourdains de l’Inconscient ») que l’on trouve une première formulation de l’injonction, faite par Salomé, de délaisser la voie de la conscience pour celle d’un abandon au fil de l’eau de l’Inconscient (« Soyez, vous, les passifs naturels ; entrez automatiques comme Tout, dans les Ordres de l’Harmonie Bien-Veillante[11] ! », « redevenez des êtres atteints d’incurie » et « flottons aux dérives » où le pluriel remplace le singulier du fragment poétique). En outre, le passage se clôt sur une première reprise de la citation modifiée en italien « ... farà da se » (« ... se fera de lui ou d’elle-même ») qu’on rencontre à plusieurs autres reprises dans les notes de Laforgue et en conclusion du quatrième paragraphe du vocéro.

11 De manière peut-être un peu surprenante, on trouve également les mêmes thèmes et expressions, appliqués non plus à une philosophie de vie générale mais à une philosophie de l’art, dans un texte non publié écrit probablement au tournant de 1883-1884. Dans cet article intitulé « L’Art moderne en Allemagne », on lit :

12

Au-dessus donc du monde changeant des phénomènes se développerait un Idéal, la Loi. – Faisons observer [...] aux idéalistes classiques, que le vice radical de leurs constructions est qu’ils se sont toujours mis, comme sujets, à un point de vue autre que celui de simple étape éphémère et bornée d’une évolution indéfinie, et qu’une formule esthétique vaste et féconde comme la Loi, [...] ne saurait venir que d’un Idéal placé dans un devenir indéfini et dans une catégorie telle – l’inconscience, nous le verrons, – que le sujet ne puisse le concevoir que dans la limite de ses pouvoirs d’étape éphémère d’une évolution indéfinie [12].

13 Il semble bien que l’on trouve là l’idée que tous les êtres ne sont que des « groupes quelconques de phénomènes » et qu’on entende les échos de la phrase « Ô passagers de cette Terre, éminemment idem à d’incalculables autres aussi seules dans la vie en travail indéfini d’infini ». La Terre, mais aussi ceux qui l’habitent, ne sont que des « étape[s] [...] d’une évolution indéfinie », celle de l’Inconscient. Et c’est comme tels, tant dans l’art que dans la vie, que les êtres doivent se penser. En outre, il conclut la première partie de son article sur la réflexion suivante :

14

son principe [celui de l’Idéal appliqué aux arts plastiques] est l’anarchie même de la vie : laissez faire, laissez passer ; ne sachons que nous enivrer des paradis sans fond de nos sens et fleurir sincèrement nos rêves sur l’heure qui est à nous ; l’Inconscient souffle où il veut, le génie « saura reconnaître les siens », et le parfum unique qui doit naître de tous ces riches gaspillages anonymes d’un jour, en naîtra sublimé selon l’infaillible Loi et montera vers les templa serana de l’acquis à l’Inconscient [13].

15 Ici, comment ne pas reconnaître – et notamment par l’emploi du même mot de gaspillage – une première formulation du conseil donné par Salomé à ses auditeurs :

16

flottons aux dérives, le ventre florissant égaré à l’air ; dans le parfum des gaspillages et des hécatombes nécessaires ; vers le là-bas où l’on entendra plus battre son cœur ni le pouls de la conscience [14] [?]

17 Plus tard encore, dans des notes moins écrites et plus difficilement datables, mais postérieures à 1884 [15] :

18

Épier des instincts avec autant que possible absence de calcul, de volonté, de peur de les faire dévier de leur naturel, de les influencer – [...]
Aujourd’hui tout préconise et tout se précipite à la culture exclusive de la Raison, de la logique, de la conscience –
La culture bénie de l’avenir est la déculture, la mise en jachère. [...]
Retournons mes frères vers les grandes eaux de l’Inconscient, et mêlons ce Jourdain dont le baptême à notre front ne serait pas effacé par « tous les parfums de l’Arabie », mêlons ce Jourdain au Gange des ancêtres [16].

19 On reconnaît encore une fois une formulation de la proposition d’abandon de la « conscience » au profit des « cinq sens[17] ».

20 Mais plus intéressantes sont les phrases qui suivent : « le salut nous viendra de la Russie, des Tolstoïciens », et : « L’idéal de la vie, la vie inconsciente, végétative. – (Tolstoï et quelques autres russes) », « nirvâna – opium de la marmotte – suicide – Platon Karataïeff », et plus loin : « O siècles allez – vivottez – tout simplement votre petit bonhomme de chemin, sans plus que vos aînés vous inquiéter d’un lendemain [18]. »

SOURCE HÉTÉROGÈNE DE CETTE AUTOTEXTUALITÉ

21 Cela nous amène à considérer une nouvelle strate de profondeur pour l’écriture de ces textes, strate intertextuelle cette fois. Car Laforgue cite ici comme une de ses inspirations philosophiques, non pas un philosophe, mais un romancier russe et plus précisément l’un des personnages de son grand ouvrage Guerre et paix. Platon Karataïew n’est qu’un personnage secondaire dans cette œuvre ; il s’agit simplement d’un camarade de prison de Pierre, l’un des personnages principaux, et il n’est présent que durant quelques pages. Mais il professe une philosophie de vie très proche du stoïcisme, laquelle fait grande impression sur Pierre, puisque ce dernier, jusque-là toujours tourmenté, décide, après sa rencontre avec Platon, de se laisser aller au fil de l’eau. Voici quelques extraits de Guerre et paix, traitant de Platon Karataïew et de son influence sur Pierre :

22

Pierre passa quatre semaines dans cette baraque avec vingt-trois soldats, trois officiers, et deux fonctionnaires, prisonniers comme lui. Ces jours laissèrent à peine une trace dans sa mémoire : seule la figure de Platon y resta comme un de ses plus chers et de ses plus vifs souvenirs, comme la personnification la plus complète de tout ce qui est véritablement russe, bon et honnête.
Platon Karataïew avait environ cinquante ans, à en juger par le nombre des campagnes auxquelles il avait pris part ; lui-même n’aurait pu dire au juste son âge, et lorsqu’il riait, ce qui lui arrivait du reste souvent, il laissait voir deux rangées de dents blanches et saines ; sa barbe et ses cheveux n’avaient pas un poil gris, et son corps portait l’empreinte de l’agilité, de la résolution, et surtout du stoïcisme [19]. Pendant tout ce temps il [Pierre] eut à subir les plus grandes privations, mais sa forte constitution et sa belle santé les lui rendirent presque insensibles, d’autant plus qu’elles se produisirent graduellement, et qu’il les supportait même avec une certaine joie. Il se sentit enfin pénétré de cette paix de l’âme, de ce contentement de soi-même, que jusque-là il avait en vain appelés de tous ses vœux. C’est ce qui l’avait si vivement frappé dans les soldats à Borodino, et ce qu’il avait inutilement cherché dans la philanthropie, dans la franc-maçonnerie, dans les distractions de la vie mondaine, dans le vin, dans l’héroïsme du sacrifice, dans son amour romanesque pour Natacha, et tout à coup les terreurs de la mort, les privations et la philosophie résignée de Karataïew firent naître en lui cet apaisement et ce contentement intérieur qui lui avaient toujours fait défaut [20].
Il pensait souvent au prince André, qui assurait, avec une nuance d’amertume et d’ironie, que le bonheur était absolument négatif, et insinuait que toutes nos aspirations vers le bonheurréel nous étaient données pour notre tourment, puisque nous ne pouvions jamais les réaliser... Mais aujourd’hui l’absence de souffrance, la satisfaction des besoins de la vie, et, par conséquent, la liberté dans le choix des occupations ou du genre d’existence, se présentaient à Pierre comme l’idéal du bonheur sur cette terre. Ici seulement, et pour la première fois, Pierre apprécia, parce qu’il en était privé, la jouissance de manger lorsqu’il avait faim, de boire lorsqu’il avait soif, de dormir lorsqu’il avait sommeil, de se chauffer lorsqu’il faisait froid, et de causer lorsqu’il avait envie d’échanger quelques paroles [21].
[après sa libération] Par suite d’une ancienne habitude, il se demandait parfois : « Que vais-je faire à présent ? » et il se répondait : « Rien, je vivrai... Dieu ! que c’est bon [22] ! »

23 En fin de compte, et contrairement à ce qui est écrit dans ses notes, c’est moins Platon Karataïew que Laforgue perçoit comme un modèle que l’effet que sa rencontre produit sur la philosophie de vie de Pierre. Car, malgré la référence au Gange, cet abandon aux plaisirs des cinq sens que Salomé prône n’est en rien bouddhiste. Le bouddhisme – par ailleurs important pour Laforgue – prêche le détachement de la vie, à commencer par son aspect matériel. Ici, il s’agit au contraire d’un retour aux instincts les plus simples et les plus matériels (la nourriture, la satisfaction sexuelle) pour vivre une vie libérée de tout raisonnement et tout questionnement, en particulier métaphysique. Cependant, et comme nous le verrons par la suite, l’idée que le règne de l’Inconscient viendra de lui-même, sans intervention des individus conscients, est une idée que l’on trouve chez l’un des deux philosophes qui ont le plus marqué Laforgue, Édouard von Hartmann [23]. Par conséquent, il trouve moins, dans l’œuvre de Tolstoï, une nouvelle philosophie de vie à suivre qu’une expression nouvelle d’idées qu’il a déjà rencontrées ailleurs. On voit donc comment il retient de sa lecture des 1200 pages de Guerre et paix le passage spécifique qui résonne en lui, qui rencontre un terrain favorable et fait écho à une pensée préexistante chez lui.

INTERTEXTUALITÉ DU VOCÉRO

24 Le vocéro, bien loin d’être le résultat d’un unique moment d’écriture quelque peu halluciné, est l’aboutissement de la mise en forme de thèmes qui occupent Laforgue depuis longtemps. Bien qu’ils soient très largement transformés par l’auteur tout au long de ce processus de réappropriation, ils gardent une origine hétérogène qui donne au discours de Salomé une dimension largement intertextuelle. Il convient donc d’approfondir encore l’étude des strates d’écriture de ce texte en s’intéressant à la façon dont chacune de ses phrases ou presque réécrit un passage – le plus souvent précis – des lectures philosophiques de Jules Laforgue.

25 Les œuvres qui nourrissent le plus sa réflexion métaphysique sont la Philosophie de l’Inconscient d’Édouard von Hartmann et les textes d’Arthur Schopenhauer, qu’il connaît moins dans l’œuvre originale (non encore traduite en français) que dans les fragments publiés par Théodule Ribot dans La Philosophie de Schopenhauer (1874) et ceux traduits par J. Bourdeau dans Pensées et fragments (1881). C’est donc à cette double intertextualité que nous allons nous intéresser à présent, en nous laissant guider, pour plus de clarté, par la linéarité du texte.

26 « Que le Néant, c’est-à-dire la Vie latente qui verra le jour après-demain au plus tôt, est estimable, absolvant, coexistant à l’Infini, limpide comme tout [24] ! » Cette entrée en matière prend des airs de déclaration de foi, ce qui en fait probablement une reformulation d’un passage des Pensées et fragments :

27

À considérer la vie sous sa valeur objective, il est au moins douteux qu’elle soit préférable au néant ; et je dirais même que si l’expérience et la réflexion pouvaient se faire entendre, c’est en faveur du néant qu’elles élèveraient la voix [25].

28 L’équivalence créée entre le Néant et la Vie, par le syntagme c’est-à-dire, s’explique par la connaissance du contexte : le Néant, c’est le Nirvâna, soit la forme de vie désindividualisée à laquelle aspirent les bouddhistes et les tenants de Schopenhauer.

29 Salomé s’adresse ensuite à l’amour qui constitue un sujet de réflexion privilégié pour les deux philosophes :

30

Amour ! inclusive manie de ne pas vouloir mourir absolument (piètre échappatoire) ! ô faux frère, je ne te dirai pas qu’il est temps de s’expliquer. [...] Mais qu’il serait vrai de se faire des concessions mutuelles sur le terrain des cinq sens actuels, au nom de l’Inconscient [26] !

31 Le terme d’Inconscient fonctionne comme un signal qui indique l’intertexte hartmannien. Mais la distinction de l’apport respectif de chaque philosophe n’a pas d’importance ici tant les deux systèmes philosophiques sont mêlés dans la reformulation – et la réappropriation – laforguienne. La périphrase définitionnelle de l’Amour, « inclusive manie de ne pas vouloir mourir absolument », est la reprise d’une des idées principales de la « Métaphysique de l’Amour » de Schopenhauer :

32

Pourquoi donc l’amoureux est-il suspendu avec un complet abandon aux yeux de celle qu’il a choisie, et est-il prêt à lui faire tout sacrifice ? – Parce que c’est la partie immortelle de son être qui soupire vers elle ; tandis que tout autre de ses désirs ne se rapporte qu’à son être fugitif et mortel [27].

33 Dans l’instinct qui attire les êtres les uns vers les autres s’exprime la volonté de vivre, cette force indestructible, qui cherche à se perpétuer par la création de nouveaux êtres. Mais cela n’est qu’une « piètre échappatoire », à la différence du Néant, qui est la véritable solution et le seul moyen de mettre fin à la souffrance de la vie. La suite du paragraphe est plus difficile à rapprocher d’un intertexte et, sans la connaissance des notes philosophiques dont nous venons de parler, semble particulièrement obscure. C’est d’ailleurs la difficulté de compréhension de passages comme celui-ci qui amène généralement les commentateurs à n’y voir qu’une parodie de discours philosophique. Mais les mots employés par Laforgue ne sont pas choisis au hasard et ce vocéro est le lieu d’expression d’un véritable message philosophique, malgré l’obscurité des formules. Passons plus rapidement sur les phrases suivantes dont l’une est une première formulation de la « réconciliation avec la vie » que nous avons vue proclamée chez Tolstoï (« aller pâturer les vergers empiriques[28] ») et dont l’autre est déjà présente, dans des termes assez proches, dans les écrits sur l’art ainsi que nous l’avons vu auparavant.

34

L’Essentiel actif s’aime (suivez-moi bien), s’aime dynamiquement, plus ou moins à son gré : c’est une belle âme qui se joue du biniou à jamais, ça la regarde. Soyez, vous, les passifs naturels ; entrez automatiques comme Tout, dans les Ordres de l’Harmonie Bien-Veillante ! Et vous m’en direz des nouvelles [29].

35 Là encore, la formulation est obscure, et les concepts qui se cachent sous les termes à majuscule ne sont pas évidents, puisqu’il ne s’agit plus (hormis le mot Tout) du vocabulaire des philosophes. Mais l’intertexte philosophique nous semble pouvoir être retrouvé à travers l’opposition entre actif et passifs. Cette opposition se trouve, en effet, chez Hartmann, qui l’applique à deux grands concepts, l’Idée et la Volonté. Selon lui, pour atteindre à la réalisation,

36

la Volonté attire à elle et saisit l’Idée ; et également de son côté l’Idée se livre à la Volonté. Cet abandon que l’Idée fait d’elle-même est purement passif, n’exige aucune activité positive de sa part ; et suppose seulement qu’elle n’oppose à la volonté aucune action négative, aucune résistance. On voit clairement ici que la Volonté et l’Idée sont vis-à-vis l’une de l’autre dans le rapport du principe masculin au principe féminin [30].

37 L’Essentiel actif serait donc l’autre nom de la Volonté, principe qui persiste dans la vie grâce à l’amour entre les sexes. Le verbe aimer est alors à prendre au sens propre, au sens physique, comme le souligne l’expression jouer du biniou, qui est très probablement une allusion érotique [31]. Les individus, quant à eux, devraient donc s’abandonner à la puissance active qu’est la Volonté – comme le fait l’Idée –, ce qui implique aussi de s’abandonner à sa principale expression : l’instinct de reproduction.

38 Le paragraphe suivant développe encore cette même idée d’abandon et de passivité, en apportant quelques précisions :

39

Oui, théosophes hydrocéphales, comme douces volatiles du peuple, tous groupes quelconques de phénomènes sans garantie du gouvernement d’au-delà, redevenez des êtres atteints d’incurie, broutez-moi, au jour le jour, de saisons en saisons, ces Deltas sans sphinx [...] [32].

40 La diversité des interlocuteurs est spécifiée par trois expressions : celle aux termes techniques de théosophes hydrocéphales, qui semble globalement désigner les religieux, la métaphore péjorative – employant la forme féminine vieillie du substantif – volatiles du peuple, qui fait probablement référence, en renouvelant l’image traditionnelle, à leurs ouailles, et celle qui les résume et les rassemble dans le substantif phénomènes, qui a également un caractère intertextuel [33]. Tous sont, malgré leurs croyances, « sans garantie du gouvernement d’au-delà », c’est-à-dire qu’ils n’ont aucune certitude sur l’existence ou non d’une vie après la mort. Cette croyance dans un bonheur après la mort est le deuxième stade de l’illusion chez Hartmann, illusion dont il démontre la vanité dans son système : « Se consoler par l’espérance de l’immortalité ne sert de rien ici : même dans l’autre vie, le nombre des élus est infiniment petit en regard de celui des damnés [34]. » Aussi Salomé les invite-t-elle à se désintéresser de l’avenir, à retrouver l’état « d’incurie » et de vie « au jour le jour » propres aux animaux, à connaître une régression dans le temps même de leur vie, avant de connaître l’anéantissement par leur mort. Mais, il est aussi possible de voir dans le verbe brouter et dans l’image des « Deltas sans sphinx » une métaphore sexuelle [35]. Cet abandon serait donc, encore une fois, un abandon à l’instinct de la volonté de vivre, celui de la chair. Cela semble être confirmé par l’apostrophe, dans la phrase suivante : « C’est là le plus bienséant, ô générations incurablement pubères[36] ». Bien loin de lancer un appel à gagner le Nirvâna par la voie de la chasteté, Salomé invite les êtres humains à céder à leur nature d’êtres sexués, à se laisser faire par la Volonté et sa manifestation, l’Amour.

41 La dernière phrase de ce paragraphe apporte un argument radical – bien souvent présent chez Laforgue, ainsi que nous l’avons déjà montré – ayant pour tâche d’emporter l’adhésion de l’auditoire : « L’inconscient farà da se [37] ». L’intertextualité hartmannienne se complique d’une autre référence culturelle : celle de la formule du roi de Sardaigne en 1848 : « L’Italia fara da se » (« L’Italie se fera par elle-même [38] »). Selon Hartmann, en effet, cette force transcendante utilise de toute façon les individus pour parvenir à ses fins, que ceux-ci reconnaissent ou non son existence. Ces derniers ont donc tout intérêt à se laisser faire, à s’abandonner à cette puissance qui les dépasse, sans se soucier de faire advenir son règne par une pratique comme celle de l’ascétisme. C’est la conclusion du philosophe :

42

La philosophie pratique et la vie exigent un principe positif d’action ; nous le trouvons dans l’entier dévouement de la personne au processus universel en vue de sa fin : l’universelle délivrance du monde [...]. En d’autres termes, le principe de la philosophie pratique est que l’homme fasse des fins de l’Inconscient les fins de la conscience. [...] C’est seulement par l’absolu dévouement à la vie et à ses souffrances, non par le lâche renoncement de l’individu qui se retire de la lutte [c’est-à-dire l’ascétisme], que le processus du monde peut être efficacement servi. Le lecteur intelligent comprendra aisément quelle philosophie pourrait se construire sur ces principes. Il entendra sans peine qu’elle n’enseignerait pas le divorce, mais l’absolue réconciliation avec la vie [39].

43 Réconciliation avec la vie, dont Laforgue a également trouvé la célébration chez Tolstoï et dont il fait maintenant le chantre sa petite vocératrice.

44 Salomé appelle donc, comme le philosophe, à la fin de l’ère de la logique, à la fin du règne de l’intellect. Ainsi, l’individu se rendra pleinement disponible à l’Inconscient, qui pourra se saisir de lui et l’utiliser pour atteindre ses fins – ce que la jeune fille énonce dans la fin de la phrase : « que nous soyons d’avance mâchés en charpie pour la Grande Vertu curative (disons palliative) qui raccommode les accrocs des prairies, des épidermes, etc.[40] » La métaphore de la charpie – appelée par le terme, encore une fois hartmannien de Vertu curative – dit bien l’instrumentalisation des individus par cette puissance transcendante, et donc leur attitude passive [41]. Il s’agit toujours de se laisser faire par l’Inconscient, lequel, selon les idées que Hartmann développe dans son chapitre « L’Inconscient dans la vertu curative de la nature », est encore une fois à l’œuvre dans cette capacité qu’ont les éléments naturels à retrouver leur forme et leurs fonctions premières après une quelconque blessure ou maladie [42]. L’auteur, néanmoins, en rebaptisant la « Vertu curative » Vertu « palliative », prend quelque peu ses distances avec l’intertexte et signifie que cette capacité de guérison des éléments naturels et des êtres vivants ne les soigne pas pour autant de leur principale maladie : la vie.

45 Cette recherche précise des intertextes pourraient être poursuivie pour la deuxième partie du vocéro. Mais le travail effectué pour la première partie montre déjà suffisamment combien ce vocéro doit à Hartmann et Schopenhauer, et combien, également, la connaissance des intertextes précis tend à éclaircir un texte qui reste sans cela largement obscur.

46 Nous pourrions continuer cette étude avec d’autres intertextes philosophiques, qui, de manière plus lointaine, ont sans doute aussi nourri le vocéro [43]. Car Hartmann et Schopenhauer n’épuisent pas la richesse intertextuelle de ce passage. Ainsi les expressions « Est-ce une vie que de s’obstiner à se mettre au courant de soi-même et du reste » et « Loin, les cadres, les espèces, les règnes » peuvent être lues comme ayant été inspirées par certains des préceptes de L’Imitation de Jésus-Christ, livre de dévotion comptant parmi les livres de chevet de Laforgue [44]. On y lit à plusieurs reprises des condamnations de la connaissance scientifique et métaphysique au profit de la seule soumission à la loi de Dieu :

47

Notre raison et nos sens voient peu et nous trompent souvent.
À quoi servent ces disputes subtiles sur des choses cachées et obscures, qu’au jugement de Dieu on ne nous reprochera point d’avoir ignorées ?
C’est une grande folie de négliger ce qui est utile et nécessaire, pour s’appliquer curieusement à ce qui nuit. [...]
Que nous importe ce qu’on dit sur les genres et sur les espèces ? [...]
L’humble connaissance de vous-même est une voie plus sûre pour aller à Dieu que les recherches profondes de la science [45].

48 Et que dire de ces « pastilles » intertextuelles (Molière, Lavoisier, Beaumarchais) qui, sans que leur origine ait une véritable importance pour autant, ajoutent encore à l’étrange hétérogénéité du discours de la « petite vocératrice » ?

49 Mais dans tous les intertextes plus ou moins probables mis en évidence, rien ne semble se rapporter à l’intertexte premier, le conte « Hérodias ». Ce vocéro paraît n’avoir plus aucun lien avec la danse décrite par Flaubert. Pourtant, par une expression – de dimension restreinte, certes –, ce discours fait également signe vers l’intertexte principal de la nouvelle. La description de la danse de la jeune fille comporte en effet chez Flaubert le passage suivant :

50

Ses pieds passaient l’un devant l’autre, au rythme de la flûte et d’une paire de crotales. Ses bras arrondis appelaient quelqu’un qui s’enfuyait toujours. Elle le poursuivait, plus légère qu’un papillon, comme une Psyché curieuse, comme une âme vagabonde et semblait prête à s’envoler [46].

51 Laforgue conserve cette comparaison avec la figure mythologique dans le qualificatif que Salomé confère aux êtres du sexe féminin : « nous sommes les petites amies d’enfance (toujours en Psychés insaisissables, il est vrai). » Dans le geste de la réécriture (et conformément à sa propre philosophie de l’amour, jamais apaisé [47]), il retourne le sens de la poursuite et fait d’une Psyché qui recherche l’être aimé, une Psyché qui cherche à lui échapper (« insaisissable » reformulant assez fidèlement « qui s’enfuyait toujours »).

52 Le texte de Laforgue s’éclaire sensiblement grâce à la connaissance des intertextes car sa pratique de la réécriture, qui n’est pas simple parodie et bien moins encore citation fidèle, tend à flouter les sens et les références. Mais un lien persiste entre le texte des Moralités légendaires et ses nombreux intertextes, et la mise au jour de ces derniers permet de comprendre le cheminement qui fait passer Laforgue de la lecture à l’écriture. On peut ainsi trouver quelques pistes pour analyser les techniques employées par Laforgue dans son activité de réécriture, parmi lesquelles on retiendra, comme nous l’avons mis en évidence ici, la reformulation intense de ces textes, qui sont plus que de simples sources et innervent véritablement le texte final, ainsi qu’une sélection précise, dans des lectures infiniment variées, de passages trouvant en lui un écho parce qu’ils correspondent à des idées qui préexistent à ces lectures.


53 Texte du « vocéro », dans Jules Laforgue, Moralités légendaires, « Salomé », édition de Daniel Grojnowski et Henri Scepi, Paris, GF-Flammarion, 2000, p. 147-150.

54 Or, délicatement campée sur le pied droit, la hanche remontée, l’autre jambe infléchie en retard à la Niobide, Salomé, ayant donné cours à un petit rire toussotant, peut-être pour faire assavoir que surtout fallait pas croire qu’elle se prenait au sérieux, pinça sa lyre noire jusqu’au sang, et, de la voix sans timbre et sans sexe d’un malade qui réclame sa potion dont, au fond, il n’a jamais eu plus besoin que vous ou moi, improvisa à même :

55

« Que le Néant, c’est-à-dire la Vie latente qui verra le jour après-demain au plus tôt, est estimable, absolvant, coexistant à l’Infini, limpide comme tout ! »
Se moquait-elle ? Elle continuait :
« Amour ! inclusive manie de ne pas vouloir mourir absolument (piètre échappatoire) ! ô faux frère, je ne te dirai pas qu’il est temps de s’expliquer. D’éternité, les choses sont les choses. Mais qu’il serait vrai de se faire des concessions mutuelles sur le terrain des cinq sens actuels, au nom de l’Inconscient !
« Ô latitudes, altitudes, des Nébuleuses de bonne volonté, aux petites méduses d’eau douce, faites-moi donc la grâce d’aller pâturer les vergers empiriques. Ô passagers de cette Terre, éminemment idem à d’incalculables autres aussi seules dans la vie en travail indéfini d’infini ! L’Essentiel actif s’aime (suivez-moi bien), s’aime dynamiquement, plus ou moins à son gré : c’est une belle âme qui se joue du biniou à jamais, ça la regarde. Soyez, vous, les passifs naturels ; entrez automatiques comme Tout, dans les Ordres de l’Harmonie Bien-Veillante ! Et vous m’en direz des nouvelles.
« Oui, théosophes hydrocéphales, comme douces volatiles du peuple, tous groupes quelconques de phénomènes sans garantie du gouvernement d’au-delà, redevenez des êtres atteints d’incurie, broutez-moi, au jour le jour, de saisons en saisons, ces Deltas sans sphinx, dont les angles égalent quand même deux droits. C’est là le plus bienséant, ô générations incurablement pubères ; et surtout feignez l’empêtrement dans les limbes irresponsables des virtualités que je vous ai dites. L’inconscient farà da se.
« Et vous, fatals Jourdains, Ganges baptismaux, courants sidéraux insubmersibles, cosmogonies de Maman ! lavez-vous, à l’entrée, de la tache plus ou moins originelle du Systématique ; que nous soyons d’avance mâchés en charpie pour la Grande Vertu Curative (disons palliative) qui raccommode les accrocs des prairies, des épidermes, etc. – Quia est in ea virtus dormativa. – Va... »
[...]
Et Salomé insistait follement :
« C’est l’état pur, vous dis-je ! Ô sectaires de la conscience, pourquoi vous étiqueter individus, c’est-à-dire indivisibles ? Soufflez sur les chardons de ces sciences dans le Levant de mes Septentrions !
« Est-ce une vie que s’obstiner à se mettre au courant de soi-même et du reste, en se demandant à chaque étape : « Ah ça ! qui trompe-t-on ici ? »
« Loin, les cadres, les espèces, les règnes ! Rien ne se perd, rien ne s’ajoute, tout est à tous ; et tout est apprivoisé d’avance, et sans billet de confession, à l’Enfant Prodigue (on le fera chavirer comme il faut, à demi-mot).
« Et ce ne seront pas expédients à expiations et rechutes ; mais les vendanges de l’Infini piétinées ; pas expérimental, mais fatal ; parce que...
« Vous êtes l’autre sexe, et nous sommes les petites amies d’enfance (toujours en Psychés insaisissables, il est vrai). Plongeons donc, et dès ce soir, dans l’harmonieuse mansuétude des moralités préétablies ; flottons aux dérives, le ventre florissant égaré à l’air ; dans le parfum des gaspillages et des hécatombes nécessaires ; vers le là-bas où l’on n’entendra plus battre son cœur ni le pouls de la conscience.
« Ça s’avance par stances, dans les salves des valves, en luxures sans césures ; en surplis appâlis, qu’on abdique vers l’oblique des dérives primitives ; tout s’étire hors du Moi !
– (Peux pas dire que j’en sois.) »
La petite vocératrice jaune à pois funèbres rompit sa lyre sur son genou, et reprit sa dignité.

Notes

  • [1]
    « Morceau de bravoure strictement verbal », « monologue improvisé tout à la fois hermétique et extravagant », écrivent à son propos Daniel Grojnowski et Henri Scepi dans leur édition des nouvelles laforguiennes (Jules Laforgue, Moralités légendaires, Paris, GF-Flammarion, 2000, p. 241).
  • [2]
    Lorsque François Ruchon demande à celui qui fut l’un des plus proches amis de Laforgue, Charles Henry, « quelles étaient ses lectures préférées », celui-ci répond d’une manière catégorique, mais paradoxalement assez juste : « il lisait tout. » (Jules Laforgue, Œuvres complètes, tome III, Genève, L’Âge d’Homme, 2000, p. 11 ; à partir de maintenant, les volumes des Œuvres complètes seront désignés par OC suivi du numéro du tome en chiffres romains).
  • [3]
    OC I, p. 259-449.
  • [4]
    OC III, p. 891-901.
  • [5]
    OC II, p. 147-262.
  • [6]
    Lettre à Gustave Kahn, jeudi [3 juin 1886], OC II, p. 852.
  • [7]
    La critique laforguienne traditionnelle adopte ce point de vue quelque peu réducteur (voir Daniel Grojnowski, Jules Laforgue et l’« originalité », Neuchâtel, La Baconnière, « Langages », 1988, ou encore Michele Hannoosh, Parody and Decadence. Laforgue’s Moralités légendaires, Colombus, Ohio State University Press, London, European, 1989).
  • [8]
    La place nous manque ici pour citer de manière systématique toutes les façons dont les hypotextes interviennent dans les Moralités légendaires. Mais ces apports sont très divers : du canevas narratif globalement respecté de l’intertexte premier, à la citation incrustée comme un joyau, sans conséquence sur l’économie globale ni même locale du texte, en passant par quelques passages pasticheurs, Laforgue use d’une multitude de moyens pour s’approprier les textes hétérogènes et les intégrer à sa propre écriture.
  • [9]
    Du nom d’une des sections qui les rassemblent dans le tome III des Œuvres complètes aux éditions L’Âge d’Homme.
  • [10]
    OC III, p. 847.
  • [11]
    L’adjectif « Bien-Veillante » est d’ailleurs déjà en partie présent dans cette prose poétique où il est question de la « force unique, toujours veillante ».
  • [12]
    OC III, p. 338.
  • [13]
    OC III, p. 342.
  • [14]
    Cela est encore plus évident dans un premier état du texte, tel qu’on le trouve dans le manuscrit qui appartient à Marvyn Carton, où les reprises lexicales sont plus nombreuses : « Plongez donc, et dès après-demain, en l’harmonique mansuétude des moralités pré-établies, le ventre en l’air, florissant à la dérive du laisser passer – laisser faire, dans les rafales des gaspillages où l’on n’entendra plus battre ni son cœur, ni le pouls de la conscience ! » (Jules Laforgue, Moralités légendaires, Daniel Grojnowski (éd.), Genève, Paris, Droz, « Textes littéraires français », 1980, p. 234 ; dorénavant, nous y ferons simplement référence par l’expression « édition critique »).
  • [15]
    On se rapproche alors du moment d’écriture de la nouvelle, mai 1885.
  • [16]
    OC III, p. 1159.
  • [17]
    On relève également la collocation des deux fleuves sacrés du christianisme et de l’hindouisme, Jourdain et Gange, comme dans le vocéro : « fatals Jourdains, Ganges baptismaux ».
  • [18]
    OC III, p. 1159 et p. 1164-1166.
  • [19]
    Léon Tolstoï, La Guerre et la paix, t. II, Paris, Hachette, 1884, p. 225-226.
  • [20]
    Ibid., p. 267.
  • [21]
    Ibid., p. 268-269.
  • [22]
    Ibid., p. 360.
  • [23]
    Voir ci-dessous ce qu’Hartmann dit sur la nécessité d’une « réconciliation » avec la vie.
  • [24]
    Jules Laforgue, ouvr. cité, p. 148.
  • [25]
    Arthur Schopenhauer, Pensées et fragments, traduction J. Bourdeau, Paris, Germer Baillière, 1881, p. 77.
  • [26]
    Jules Laforgue, ouvr. cité, p. 148.
  • [27]
    Arthur Schopenhauer, ouvr. cité, p. 124-125.
  • [28]
    Dans la première version du texte, on lit « vous aller mettre au vert des pâturages empiriques et des Édens des réflexes ! » (Jules Laforgue, édition critique, p. 228), ce qui se justifie par le fait que pour Eduard von Hartmann, les actions réflexes sont parmi celles où l’Inconscient se manifeste avec le plus d’évidence (Éduard von Hartmann, La Philosophie de l’Inconscient, t. I, traduit par D. Nolen, Paris, Germer Baillière, 1877, Première partie, chapitre V : « L’Inconscient dans les mouvements réflexes »).
  • [29]
    Jules Laforgue, ouvr. cité, p. 148.
  • [30]
    Eduard von Hartmann, ouvr. cité, t. II, p. 535.
  • [31]
    D’où l’emploi de l’expression « c’est peut-être une âme simple », en lieu et place de « c’est une belle âme » dans la première version du texte, pour signifier que ce désir de faire persister la vie par le moyen de la reproduction correspond, en effet, à un désir simple et sans questionnement (Jules Laforgue, édition critique, p. 228).
  • [32]
    Jules Laforgue, ouvr. cité, p. 148. La première version du texte, dans le manuscrit Carton, comporte la phrase suivante : « Oui, théosophes hydrocéphales, tout comme vous, douces volatiles, vertigineux groupes de phénomènes d’une heure, redevenez des tempéraments atteints d’incurie [...] » (Jules Laforgue, édition critique, p. 228-230). L’emploi du pronom de deuxième personne éclaire la syntaxe du début de la phrase, puisqu’il permet immédiatement de comprendre que les groupes nominaux désignent les interlocuteurs (peut-être même précisément les invités du Tétrarque qui l’écoutent). Quant à la mention « d’une heure », elle dit plus explicitement la brièveté de la vie des individus au regard de la temporalité de l’univers.
  • [33]
    Il s’agit de l’expression que Schopenhauer mais aussi Hartmann appliquent aux individus : « On comprend alors l’unité substantielle de tous les individus physiques et spirituels, qui ne sont que des phénomènes » (Eduard von Hartmann, ouvr. cité., t. II, p. 196).
  • [34]
    Ibid., t. II, p. 243.
  • [35]
    C’est l’analyse qui est faite par les éditeurs de l’édition GF. Voir leur note, p. 241. On trouve, en effet, dans un texte consacré à quelques tableaux, « À propos de toiles çà et là », publié dans Le Symboliste, en octobre-novembre 1886, la description suivante : « – M. Carolus Duran. Psychologie de revendeuse à la toilette. [...] Son nu du Salon, modelé sans accent par un riche amateur. Et la pose en valait la facture rose et confite. Et puis on a pu voir ce delta duveté d’ombre chaude. Des jeunes filles en rose et en deuil s’arrêtaient devant avec des mines de profession de foi. C’est du propre. [...] On ne nous a pas habitués à tout le nu féminin, comme pour le mâle dans la statuaire grecque ; tans pis, ou tant mieux. Maintenant, il est trop tard. » (OC III, p. 323). Le terme delta en tout cas est donc bien mis pour le sexe féminin.
  • [36]
    Jules Laforgue, ouvr. cité, p. 148.
  • [37]
    Ibid.
  • [38]
    Voir les notes de l’édition GF p. 241 et des OC II, p. 586. Dans la première version du texte, l’auteur souligne ironiquement le réemploi de cette formule dans un contexte totalement différent du contexte originel, en ajoutant : « « selon un mot célèbre que je ne m’attendais pas à ouïr en cette affaire. » (Jules Laforgue, édition critique, p. 230)
  • [39]
    Eduard von Hartmann, ouvr. cité, t. II, p. 497-498.
  • [40]
    Jules Laforgue, ouvr. cité, p. 148-149. Le manuscrit Carton comporte « les matrices délivrées » en lieu et place de « des épidermes » (Jules Laforgue, édition critique, p. 230). L’image est plus crue et fait écho aux nombreuses réflexions de l’auteur sur la reproduction.
  • [41]
    Jules Laforgue a mis également en avant la puissance transcendante de cette Vertu curative dans ses notes philosophiques : « la Loi – une VERTU (La vertu curative de la nature – ), la vertu d’incarnation incessante (agrégation et désagrégation rythmique) de l’Idéal. » (OC III, p. 1146).
  • [42]
    Voir le chapitre VI du premier tome de la Philosophie de l’Inconscient. On notera cependant que Hartmann ne parle que de la vertu curative à l’œuvre dans le règne animal et que Laforgue l’étant au règne végétal avec la mention des « prairies ».
  • [43]
    Par exemple Ernest Renan qui dit : « Le mieux est de se soumettre à l’esprit, bon ou mauvais, de l’Univers » (cité par Paul Bourget, Essais de psychologie contemporaine, dans Œuvres, Critique t. I, Paris, Plon, 1899, p. 51-52).
  • [44]
    Mais l’on trouve également dans un passage de l’introduction de Théodule Ribot une mention qui va dans le sens de cet abandon des classifications scientifiques : « la nouvelle méthode des sciences naturelles élimine les notions de genre et d’espèce, rompt les cadres des classifications logiques, et introduit le devenir sans limites dans l’univers vivant » (Théodule Ribot, La Philosophie de Schopenhauer, Paris, Germer Baillière, 1874, p. 94).
  • [45]
    L’Imitation de Jésus-Christ, traduction nouvelle avec des réflexions à la fin de chaque chapitre par M. l’abbé F. de Lamennais, nouvelle édition, Paris, Garnier Frères, 1865, p. 18 et 20.
  • [46]
    Gustave Flaubert, « Hérodias », Trois contes, Paris, GF-Flammarion, 2007 (1877), p. 138.
  • [47]
    Pour Laforgue, héritant en cela des théories de Schopenhauer sur la question, l’amour ne peut être qu’un jeu de dupes dans lequel hommes et femmes poursuivent des buts différents : la procréation pour les femmes, la communion avec un autre être pour les hommes.
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.14.81

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions