Couverture de ROM_165

Article de revue

La pureté impossible. Le monde catholique face au roman honnête

Pages 21 à 30

Notes

  • [1]
    « Prenez le moment où l’on aimerait à se recueillir avec les siens dans une pensée commune, au repos du soir, à la table de famille ; là chez vous, à votre foyer, hasardez-vous à dire un mot de ces choses. Votre mère secoue tristement la tête ; votre femme contredit ; votre fille, tout en se taisant désapprouve... Elles sont d’un côté de la table ; vous de l’autre, et seul. On dirait qu’au milieu d’elles, en face de vous, siège un homme invisible, pour contredire ce que vous direz », Michelet, Du prêtre, de la femme et de la famille, Paris, Hachette-Paulin, 1845, 6.
  • [2]
    Ibid., p. 8.
  • [3]
    Raymond Trousson, « Michel-Ange Marin et les Pensées philosophiques », Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, 1992, vol n° 13, p. 47-55.
  • [4]
    Les grandes librairies catholiques comme Mame, Perisse, Mégard ont leur édition de Virginie. Nous donnons quelques références d’éditions du XIXe siècle par ordre chronologique : Lyon édition Leroy, 1807 ; Lyon, édition Rusan, 1813 ; Lyon édition Mégard, 1813 ; Paris, édition Méquignon junior, 1825 ; Besançon édition Montarsolle, 1825 ; Lyon, édition Périsse, 1837 ; Tours, édition Mame, 1851, 1859.
  • [5]
    Sur cette question, on peut consulter Claude Savart, Les catholiques en France au XIXe siècle. Le témoignage du livre religieux, Paris, Beauchesne, 1985, pour un travail sur un profil éditorial spécifique : Cécile Boulaire (dir.), Mame. Deux Siècles d’édition pour la jeunesse, Rennes, Tours, Presses universitaires de Rennes, 2012.
  • [6]
    Nous empruntons l’expression au livre de Loïc Artiaga Des torrents de papier. Catholicisme et lectures populaires au XIXe siècle, Limoges, Pulim, 2007.
  • [7]
    « Le mal est incontestable et avéré : ses causes ne le sont pas moins pour ceux qui veulent voir et juger sans prévention. Une des principales et des plus dangereuses, ce sont les mauvais livres, ce poison de doctrines subversives qui corrompt les intelligences et les mœurs, pervertit les cœurs et anéantit la foi [...] La religion catholique, l’Église de France surtout est le but de ses traits et de ses attaques journalières. Destinés d’abord aux intelligences élevées, les mauvais livres qu’elle propage, multipliés à l’infini, sont descendus jusqu’aux classes populaires ; véritable torrent qui, du haut des montagnes dont il a déchiré les flancs, se précipite vers les vallées, se répand dans les places publiques, couvrant partout la terre de son impur limon. », Bibliographie catholique : revue critique des ouvrages de religion, de philosophie, d’histoire, de littérature, d’éducation, etc., 1841-1842 (T1, A1, ED2), p. 1,2.
  • [8]
    Ibid., p. 3.
  • [9]
    Sur cette question nous renvoyons à la Fable mystique de Michel de Certeau qui étudie l’émergence d’un modèle narratif fondé sur « la construction d’itinéraires fictifs et/ou normatifs, schémas d’« ascensions » spirituelles ou modèles biographiques du « progrès » (scénarios destinés à classer et hiérarchiser chronologiquement des opérations aléatoires) ; l’établissement de liste de « règles » pour « discerner les esprits » (c’est-à-dire pour juger de ces mouvements ou « motions » d’après leur connexions et leur aptitude à former des séries) ». Michel de Certeau, La Fable mystique 1, XVIe-XVIIe, Paris, Gallimard, 1982, p. 166.
  • [10]
    Hermance ou L’Éducation chrétienne est publié chez Mame, dans la collection « Bibliothèque de écoles chrétiennes ». La première édition de l’ouvrage est datée de 1852, la dernière et huitième paraît en 1861. Nous utiliserons l’édition de 1858.
  • [11]
    L’Abbé P. qui signe Hermance est vraisemblablement l’abbé Arnold Prau, responsable d’une Vie de sainte Angèle de Foligno, Tournai, Casterman, 1850, et d’une Vie de sainte Rose de Lima, Tournai, Casterman, 1856.
  • [12]
    Hermance, ouvr. cité, p. 3.
  • [13]
    Ibid., p. 2.
  • [14]
    François de Sales, Introduction à la vie dévote : à l’usage des maisons d’éducation, Paris, Lecoffre, 1894, p. IX, X.
  • [15]
    Céline Fallet, Les Trois Sœurs ou la Piété filiale, Rouen, Mégard, 1856.
  • [16]
    Octave Feuillet, Histoire de Sybille, Paris, Michel Lévy frères, 1863.
  • [17]
    Pensée politique qui opposa, comme nous le rappelle Claude Pichois, Feuillet à George Sand et sa Melle La Quintinie, roman publié quelques mois plus tard dans la Revue des Deux Mondes. Claude Pichois « Notes sur le roman bourgeois du Second Empire », Romantisme, n° 17-18, p. 158. Le dialogue qu’entretiennent les romans fut perçu comme l’affrontement des thèses du « catholicisme et du spiritualisme libéral » : d’un côté le verrouillage dogmatique, de l’autre la liberté de conscience. Charles Potvin, De la corruption littéraire en France. Étude de littérature comparée sur les lois morales de l’art, Bruxelles et Leipzig, Muquardt, 1873, p. 169.
  • [18]
    Zénaïde Fleuriot, Aigle et Colombe, Paris, Firmin Didot, 1873.
  • [19]
    Hermance, ouvr. cité, p. 13.
  • [20]
    Nous empruntons l’expression au panégyrique de Jeanne d’Arc par Mgr Dupanloup. On retrouve cette insistance sur la vertu qui fait de l’héroïne de la patrie française une sainte. L’« Héroïsme des vertus » est ce qui permet de rendre la « sainte laïque » de Michelet à l’Église. La chasteté ou virginité apparaît comme un argument de la sainteté : « J’aime la simplicité des champs de son origine, la chasteté dans son cœur, sa vaillance dans les combats, son amour de la patrie française, mais surtout la sainteté de sa vie et de sa mort [...] Je salue la Sainte en elle : avec l’héroïsme du courage, et plus encore, je veux saluer l’héroïsme des vertus. », « Panégyrique de Jeanne d’Arc », Nouvelles Œuvres choisies de Mgr Dupanloup, t. I Œuvres oratoires, Paris, Plon, 1873, p. 396.
  • [21]
    Sybille, ouvr. cité, p. 313.
  • [22]
    Cette sensibilité religieuse dite « mystique » fait les frais des attaques de la littérature anticléricale. On peut lire à ce sujet La France Mystique d’Alexandre Erdan. La France Mystique. Tableau des excentricités religieuses, Amsterdam, R.C. Meijer, 1858.
  • [23]
    Le mysticisme assimilé à l’hystérie est un lieu de la littérature anticléricale. Nous renvoyons au portrait de Lisette Cabarous, pseudonyme à peine déguisé de Bernadette Soubirous dans Le Maudit d’Hippolyte Michon. Ce portrait, qui propose une analyse du phénomène des apparitions mariales au XIXe, condamne la politique ultramontaine qui encourage le développement d’une sensibilité religieuse mystique. Hippolyte Michon, L’abbé ***, Le Maudit, t. II., Paris, librairie internationale, A. Lacroix, Verboecken et Cie éditeur à Bruxelles, Livourne, Leipzig, 1864, p. 17.
  • [24]
    Les Trois Sœurs, ouvr. cité, p. 20, 21.
  • [25]
    L’expression est de Barbey d’Aurevilly. Barbey, Bloy et Huysmans dénoncent le virage puritain de l’art catholique. Bloy proclame l’indigence du « style sulpicien » sous les expressions de « glaire sulpicienne » ou de « catinisme de la piété » (Léon Bloy, Le Désespéré, Paris, Soirat, 1886, p. 235, p. 224). Huysmans fustige l’« l’atchnie et l’inart » des productions catholiques qu’il qualifie de « blasphème de la laideur » (Joris-Karl Huysmans, Les Foules de Lourdes, Paris, Stock, 1906, p. 109, p. 107).
  • [26]
    Jules Vallès, Les Réfractaires, Paris, Achille Faure, 1866, p. 22.
  • [27]
    Ces chiffres nous sont donnés par Michel Manson : « Céline Fallet ou l’écriture catholique de l’histoire de la jeunesse (1850-1880) », Histoires d’historiennes, Saint-Étienne, Presses universitaires de Saint-Étienne, 2006, p. 285-306.
  • [28]
    Jean-Hippolyte Michon, Les Odeurs ultramontaines, Paris, Librairie internationale, Bruxelles, Leipzig, Livourne, A. Lacroix, Verboeckhen et Cie éditeurs, 1867, p. 28.
  • [29]
    Le Désespéré, ouvr. cité, p. 229.
  • [30]
    Les Odeurs ultramontaines, ouvr. cité, p. 246.
  • [31]
    Le Désespéré, ouvr. cité, p. 226.
  • [32]
    Alfred Nettement, Le Roman contemporain, Paris, Lecoffre, 1864, p. 408.
  • [33]
    Ibid., p. 408.
  • [34]
    L’abbé Louis Bethléem, Romans à lire et romans à proscrire, essai de classification au point de vue moral, des principaux romans et romanciers (1500-1932) avec notes et indications pratiques, Paris, éditions de la revue des livres, 1932, p. 411.
  • [35]
    C’est ce que note Eugène-Melchior de Vogüé quand il appelle à la « résurrection morale » de la littérature française. Eugène-Melchior de Vogüé, Le Roman russe, seconde édition, Paris, Plon, Nourrit et Cie, 1888, p. 36.
  • [36]
    Cette équivalence entre jeune fille et imagination fera le fond d’un roman comme Le Rêve de Zola. Si chez le promoteur du roman expérimental, l’équivalence sert une critique du mysticisme, la figure de la jeune fille sera chez les Goncourt le moyen de dépasser le naturalisme pour atteindre la « réalité élégante ». Edmond de Goncourt, Chérie, préface de la première édition, dans Jules et Edmond de Goncourt, Préfaces et manifestes littéraires, Paris, Charpentier, 1888, p. 65.
  • [37]
    Jules Lemaître, Les Contemporains, troisième série, Paris, édition H. Lecène et H. Oudin, 1887, p. 9.
  • [38]
    Jules Amédée Barbey d’Aurevilly, Œuvres romanesques complètes, t. I, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1964, p. 985

1 Au cours du XIXe siècle, le corps de la jeune fille devient le lieu d’un combat idéologique opposant catholiques et libres penseurs, combat qui s’intensifie dans le second XIXe du fait de la politique anticléricale de la Troisième République. Une nouvelle mythologie de la femme voit le jour, mythologie qui développe un panthéon de figures féminines au sommet duquel se trouve la mère, pierre angulaire du foyer, garante de la moralité républicaine. Au cœur de ce débat, l’instruction de la jeune fille devient un enjeu politique d’importance auquel le monde catholique n’est pas étranger. En 1845, dans Du prêtre, de la femme et de la famille[1], Michelet dénonce déjà l’emprise du monde ecclésiastique sur la femme. Il brocarde l’influence du prêtre comme introduisant la division dans la famille et proclame la nécessité de l’« unité morale [2] », qui passe par le refus de laisser l’éducation des femmes à l’Église.

2 Cette importance de l’éducation féminine, le monde catholique l’a comprise très tôt. Le livre et plus particulièrement le roman, sont considérés dès le XVIIIe siècle comme un outil puissant dans la propagation de l’idéologie catholique. Les premiers essais de romans édifiants à destination des jeunes filles voient le jour par l’entremise du R.P. Marin qui publie en 1753 Virginie ou la Vierge chrétienne. Selon Raymond Trousson, ce type de littérature aurait produit 900 ouvrages de 1715 à 1789 [3]. Au siècle suivant, le roman de Virginie verra se succéder 23 éditions jusqu’en 1893 [4]. Le roman catholique rencontre un succès réel, grâce à l’activité des bibliothèques paroissiales et à la vitalité des maisons d’édition catholiques : comme Mame, Perisse, Pélagaud ou Lefort [5].

3 Si au niveau du dogme l’Église adopte une politique réactionnaire, affirmant un repli sur la tradition que signent le pontificat de Pie IX et l’encyclique Quanta Cura de 1864, elle n’en développe pas moins une politique pragmatique qui prend en compte la révolution médiatique. Le roman revient au cœur des préoccupations avec d’autant plus de force que l’Église veut s’opposer au « torrent de papier [6] » de la « mauvaise presse » et du roman-feuilleton. Cette nouvelle politique, qui voit dès 1830 le développement des Bibliothèques paroissiales chargées de diffuser le « bon livre », s’accompagne à partir des années 1860 d’une recrudescence des inscriptions à l’Index avec la condamnation en 1863 de Dumas père et fils et de George Sand, puis en 1864 avec celle de Hugo, Soulié, Stendhal, Flaubert, Feydeau, Champfleury, Mürger et Balzac. Dans les années 1840 une entreprise de classement du bon et du mauvais livre se met en place avec la Bibliographie catholique proclamant à son ouverture son souci de contrer l’influence du « mauvais livre » et de la « mauvaise presse [7] ».

4 L’Église s’inquiète de la révolution médiatique en ce qu’elle touche les classes populaires. Ce n’est pas le « philosophisme » des hautes classes qui préoccupe les autorités ecclésiastiques, mais « les cabinets de lecture, les librairies ambulantes, les publications à tous les prix et à tous les formats [qui] pullulent de toutes parts [8] ». Cet accès du peuple au livre incrimine le roman, ouvrage de divertissement dont la lecture alarme d’autant plus le monde catholique qu’elle est d’accès facile. Le roman, largement propagé par le roman-feuilleton et la littérature de colportage, est soupçonné de détourner les ouailles du droit chemin. Dans ce contexte va se créer une littérature de contre-offensive, le « bon roman » ou « roman honnête ».

5 La librairie catholique se cherche une littérature qui soit le contrepoint de la production romanesque du monde laïc. Contre l’invasion du « mauvais livre » s’ébauche une réaction qui trouve dans le personnage de la jeune fille le garant de sa bonne moralité. Le monde catholique se représente le roman comme le grand agent de corruption du siècle et aspire à écrire une œuvre digne d’être mise entre toutes les mains. La jeune fille ou la vierge chrétienne devient l’étalon d’une littérature honnête, dont l’ambition est de convertir le romanesque à la pureté.

DE LA « VIE DE JEUNE FILLE » AU ROMAN HONNÊTE

6 Le roman pour jeune fille est avant tout un roman d’édification. Expression qui sonne comme une antiphrase, si l’on prend en compte le point de vue catholique sur le roman. La conciliation de l’édifiant et du romanesque ne va pas sans difficultés. Traditionnellement la littérature d’édification se fonde sur l’Imitation et l’hagiographie qui en est le corollaire. L’exemplarité passe par une relation verticale. L’évolution spirituelle est conçue comme un cheminement vers la perfection, rythmé par un certain nombre d’étapes apparentées à l’ascension de l’âme vers Dieu [9].

7 La conversion du monde catholique à un public plus populaire redéfinit le mouvement qui anime l’édification. D’une relation verticale tendue vers l’absolu de la sainteté, on passe à une relation horizontale : celle du « bon exemple » qui remplace l’idée de perfection spirituelle. L’évolution de l’édification repose sur le recours à une structure en miroir facilitant l’identification. On voit apparaître des vies de jeunes filles qui prennent pour exemple la vie de saint. Hermance ou l’Éducation chrétienne[10], publié chez Mame par un auteur d’hagiographie : l’abbé Prau [11], constitue ce moyen terme où la vie de saint se convertit au modèle prosaïque de la vie de jeune fille. L’œuvre qui se veut le récit des « vertus ordinaires [12] » met en scène le quotidien d’une jeune fille dans le cadre d’une maison d’éducation religieuse. L’auteur présente Hermance comme la modeste biographie d’une demoiselle originaire de Richelieu, écrite à la demande de sa mère. L’ancrage réaliste du récit tient à une rhétorique de l’exemplarité en miroir. Le livre destiné aux « Bibliothèques des écoles chrétiennes » offre l’exemple de ce vers quoi doit tendre toute bonne jeune fille. Le choix d’une héroïne comme Hermance Gordeau, née le 12 février 1822 dans le département d’Indre-et-Loire, aide à fonder l’exemplarité du récit sur un personnage auquel la pensionnaire peut s’identifier. L’abbé Prau défend ce processus de « prosaïsation » de la littérature d’édification. Recourant à l’intertexte salésien, il soutient la nécessité de faire appel à une muse modeste :

8

Qui donc, me disais-je, à l’exception de sa mère et des personnes qui ont eu pour elle un cœur de mère et de sœur, qui donc s’intéressera à sa vie, bien édifiante assurément, mais de la plus grande modestie ? [...]
Cependant, après avoir mûrement réfléchi, j’ai éprouvé ce qu’éprouve celui qui s’arrête à contempler les fleurs partout répandues sur la terre. La première fois, il ne s’imagine pas qu’elles puissent fixer longtemps son admiration ; mais plus il les considère attentivement, plus il les trouve remarquables, et souvent il finit par connaître en elles des preuves plus incontestables de la sagesse divine que dans celles qui passent pour les plus distinguées de toutes dans le vaste parterre de la nature [13].

9 La référence à la parabole du bouquet de la boutiquière Glycera, qui dans l’Introduction à la vie dévote justifie la diversité des chemins empruntés par le Saint-Esprit pour communiquer avec ses ouailles [14], autorise une parole qui s’éloigne des formes consacrées de la littérature d’édification. Le passage au roman est un mal nécessaire. Il répond à une politique réaliste désireuse de concurrencer les productions de la littérature contemporaine. La librairie catholique compose des romans pieux destinés à remplir les collections des « Bibliothèques morales de la jeunesse ». Une œuvre comme Les Trois Sœurs ou La Piété filiale[15] de Céline Fallet importe les techniques du roman populaire pour les appliquer au discours de l’édification. Elle est exemplaire de cette volonté de trouver une littérature à la fois morale et romanesque.

10 Les Trois Sœurs, qui raconte le destin des trois filles Dervilliers, s’ouvre par une première partie sur les effets de l’éducation, portée par le couple archétypal de la bonne et de la mauvaise sœur : Cécile et Mathilde. Le roman, qui suit le parcours de ces deux personnages, progresse au rythme d’événements qui sont des poncifs de l’action romanesque. L’œuvre fait se succéder voyage en Amérique, scènes de séparation et de retrouvailles et se clôt sur la découverte du trésor de la tante avare Rose Ledoux. Le dénouement, précédé par le retour en grâce de Mathilde édifiée par la conduite de ses sœurs, ne lie pas destins individuels et trame narrative. C’est au gré de circonstances rocambolesques que l’œuvre s’achemine vers une fin non moins fantaisiste. Le discours moral peine à s’intégrer à la progression dramatique. D’où des effets de placage d’autant plus prononcés que les énoncés moraux conservent la forme de maximes détachables. Le roman intègre le discours édifiant sous la forme sentencieuse d’épiphonèmes qui semblent tout droit tirés de manuels d’éducation pour jeune fille. Le discours moral ne se coule qu’avec peine dans le moule du roman populaire et montre que la conversion de la littérature édifiante au romanesque s’avère un exercice difficile.

11 La librairie catholique n’a pas été la seule à tenter l’aventure du roman pour jeune fille. Cette dernière est également l’héroïne privilégiée de la littérature idéaliste. Octave Feuillet, élu à l’Académie française en 1862, écrit Histoire de Sybille[16], un roman qui retrace la vie d’une jeune fille chrétienne. L’œuvre fonde son intrigue sur la rencontre entre Sybille et Raoul à la « Roche à la fée », alors que Sybille est encore dans l’enfance. Cette première rencontre décide d’une cristallisation amoureuse. Raoul retrouvera Sybille quelques années plus tard dans un salon parisien et reconnaîtra la jeune fille grâce à l’esquisse qu’il avait levée d’elle alors qu’elle était encore une enfant. Ce roman, qui appartient à la tradition du roman sentimental, est un essai de définition de l’amour chrétien. La deuxième partie de l’œuvre présente deux couples qui sont également deux conceptions de l’amour : le couple formé par Sybille et Raoul et celui constitué par Gandrax et Clotilde. Sybille et Raoul incarnent l’amour chrétien, amour platonique, dont la vocation est d’être une union spirituelle exempte de tout commerce charnel. Gandrax et Clotilde représentent quant à eux les affres de la chair toujours insatisfaite, et dont les démons mèneront le matérialiste Gandrax au suicide. Le roman de Feuillet, bien qu’il prenne la forme légère du roman d’amour, est un roman à thèse qui oppose de façon binaire positivisme et spiritualisme. L’amour dans le roman n’est qu’un prétexte, celui de Sybille et Raoul ne s’accomplira jamais dans une union réelle. Sybille meurt au sortir de l’histoire en faisant promettre à Raoul fidélité au catholicisme.

12 Le roman pour jeune fille réalise une forme d’idéal du spiritualisme chrétien. Le personnage de Sybille porte une réflexion sur le catholicisme. Son enfance, narrée dans la première partie de l’œuvre, reproduit les étapes d’une évolution spirituelle : la prime enfance et son panthéisme primitif, la tentation du protestantisme, celle d’un catholicisme ascétique, et enfin l’accès à une spiritualité apaisée. Histoire de Sybille est également une histoire de la sensibilité religieuse au XIXe siècle. Le roman pour jeune fille n’est pas seulement ce roman édifiant destiné à la pieuse pensionnaire, il est aussi le véhicule d’une pensée politique [17]. Des romans comme ceux de Zénaïde Fleuriot, auteur de librairie catholique qui collabora à la « Bibliothèque rose », sont des romans dont la violence politique détonne au regard de l’onction édifiante des maisons d’édition chrétiennes.

13 Récompensé par l’Académie française, Aigle et Colombe[18] raconte le destin d’Anne et Hervé Darganec pendant la guerre de 1870. Hervé Darganec, notaire à Quimperlé est amoureux de la noble Franséza de Kérouan, dont il se voit refuser la main par son père. La déception amoureuse le pousse dans les bras des Drassart, famille parisienne qui se révèle être l’incarnation diabolique de la bourgeoisie d’affaires. Jeté dans la tentation de Paris, il est bientôt rejoint par sa sœur qui tente de le préserver de l’influence néfaste de Marcellin Drassart, alias Méphistophélès. Le roman, partagé entre la province et Paris, exprime une géographie politique au service des valeurs traditionnelles de la très catholique Bretagne. La guerre de 1870, qui vient précipiter les événements, décide du retour d’Hervé à la foi. Son engagement auprès des Versaillais est un anoblissement par les armes qui lui gagnera la main de Franséza. La Commune, représentée comme la manifestation d’un esprit révolutionnaire sanglant, consomme la mort de Noémi Drassart rebaptisée Tullia. Elle est blessée sur une barricade et meurt dans les bras d’Anne après être revenue au christianisme. Le roman est une ode en l’honneur de la Tradition. Le duo de jeunes filles, qui confronte la républicaine Noémi à la conservatrice Anne, ébauche l’issue d’un combat en faveur d’un retour aux valeurs de la Réaction. Le roman d’Aigle et Colombe est un manifeste qui trouve son image dans la ville de Quimperlé : dominée par le château et l’église.

DE LA VIERGE CHRÉTIENNE

14 La jeune fille porte des ambitions politiques. Figure-étendard des valeurs catholiques, elle est cette vierge chrétienne dont la pureté est garante du salut de la famille et de l’intégrité de la nation. Vestale christianisée, elle apparaît dans Hermance comme un remède à la corruption de la patrie :

15

L’Histoire rapporte que le plus célèbre des peuples de l’antiquité avait confié à la garde de jeunes filles publiquement vénérées un feu sacré à la conservation duquel il s’imaginait devoir sa conservation et sa gloire. L’antiquité n’a guère eu que l’ombre des réalités produites par le christianisme. Le feu dont la conservation assure aux peuples la puissance et la gloire, c’est la charité. Les vestales destinées à le garder, ce sont les vierges chrétiennes, dans le cœur desquelles ce feu sacré se trouverait encore, lors même qu’il serait éteint déjà par toute la terre [19].

16 L’Anne d’Aigle et Colombe remplit la mission de la vierge chrétienne. Si Hervé défend la France par les armes, Anne en assure la cohésion par l’exercice de la charité. Elle est l’héroïne de la fable morale. La jeune fille redéfinit les termes d’un héroïsme chrétien fondé sur le dévouement : un héroïsme de la patience, qui vient compléter l’héroïsme de l’action. Anne sauve la France en pansant les blessures de la Commune. Son geste est symbolique, elle est le principe d’une régénération morale qui assure la santé du corps social. Cet « héroïsme des vertus [20] » joint aux valeurs masculines de l’action, les valeurs féminines de la charité et du pardon. Le personnage de Noémi Drassart, fourvoyé sur le chemin viril de l’action politique, représente une inversion révélatrice d’une décadence de la société française. Noémi, blessée sur les barricades de la Commune, est soignée par Anne qui accomplit son retour à la foi par l’efficace de son baiser. La vierge chrétienne, perpétuant l’enseignement de l’Église, oppose aux forces perturbatrices de la révolte révolutionnaire, la puissance de l’acceptation et du pardon. Elle est un remède contre l’idéologie progressiste, son humilité détermine une éthique du renoncement. La modestie, le retrait, l’effacement, font d’elle une antithèse au principe de l’ambition, qui perturbe l’agencement d’une société qu’on voudrait voir revenir à l’ordre immuable d’une hiérarchie sacrée. La vierge chrétienne apparaît comme un antidote au mouvement de la modernité.

17 Dans Sybille, Octave Feuillet en fait l’agent d’une réforme spirituelle. Raoul de Chalys personnifie le désenchantement d’une aristocratie ayant perdu la foi. Il est le rejeton de l’« incrédulité triste [21] » du XIXe siècle. Contrairement au matérialiste Gandrax, son indifférence en matière de religion n’est pas le fruit d’un système, c’est une incrédulité subie qui provoque la nostalgie et la révolte. L’amour pour Sybille, qui le refuse parce qu’il a perdu la foi, est à l’origine d’un parcours spirituel au terme duquel Raoul revient au catholicisme. La mort de la jeune fille agit comme une révélation qui substitue l’illumination d’un chemin de Damas, à l’obscurité du doute. Sybille, martyre moderne, meurt pour accomplir la conversion d’une génération romantique pleurant la perte du lien à la transcendance. La vierge chrétienne est l’incarnation d’un spiritualisme qui combat les progrès du positivisme athée. Sa diaphanéité concurrence le matérialisme, son innocence enchantée est synonyme du retour à un âge d’or où la raison n’aurait pas encore triomphé.

18 Cet idéalisme est accusé de propager des illusions mystiques [22]. Le discours anticlérical reproche au monde catholique de favoriser un illuminisme apparenté à de l’hystérie [23]. La naïveté de la jeune fille devient de l’ignorance, son ingénuité de la niaiserie. On fait le procès d’une dévotion coupable d’éloigner les jeunes filles des préoccupations mondaines. C’est en réponse à cette accusation qu’une œuvre comme Les Trois Sœurs de Céline Fallet s’essaye à convertir la vierge chrétienne aux vertus domestiques. Le roman quitte les régions de l’idéal pour adopter une vision plus pratique des devoirs de la jeune fille. La dévotion est abandonnée au profit des soins du ménage. La spiritualité, nettement en retrait, laisse place aux valeurs de la famille. Les Trois Sœurs répond à la critique du mysticisme en inventant une jeune fille capable de concilier devoirs de la religion et entretien du foyer. Le terme de l’œuvre n’est pas la conversion, mais l’économie ménagère enfin comprise. La mort de Berthe à l’ouverture du récit consomme la disparition de la vierge chrétienne, convertie aux valeurs bourgeoises. La jeune fille ne laisse derrière elle que les oripeaux d’une dévotion faussement idéaliste, qui rencontre le regard critique de la vierge domestique :

19

Figure-toi une toute petite pièce entièrement tendue de mousseline blanche ; une étroite couchette en bois des îles, de couleur paille, cachée sous des rideaux de tulle blanc, doublés de taffetas bleu de ciel ; entre les rideaux est un bénitier représentant un ange aux ailes déployées ; à la tête du lit, un prie-Dieu en tapisserie au petit point, dont le dessin est une couronne de ces jolies petites fleurs bleues qu’on appelle : Ne m’oubliez pas. Au-dessus de ce prie-Dieu, une belle image de la Vierge d’après Raphaël [24].

IDÉALISME OU BÉGUEULISME

20 Ce style décoratif, qui érige la virginité en canon d’une esthétique dont le puritanisme verse dans la niaiserie, a pu nourrir l’accusation de « bégueulisme [25] ». Les romans pour jeune fille attirent la réprobation de la critique, moins attentive au véhicule idéologique qu’ils représentent qu’à la médiocrité de leur réalisation esthétique. La littérature idéaliste d’Octave Feuillet apparaît comme une exception qui se perd dans la masse pléthorique d’une librairie catholique alimentée par ceux que Vallès épinglait du titre peu flatteur de « bondieusards [26] ». Un contingent d’écrivains mercenaires approvisionne les catalogues des maisons d’édition catholiques. Céline Fallet dont les ventes s’élèvent à 1.1 millions d’exemplaires [27] entre dans cette catégorie d’auteurs qu’Hippolyte Michon nommait le « troisième sexe ultramontain [28] ». L’expression, qui désigne les femmes écrivant sous pseudonyme masculin pour dissimuler une industrie malséante au beau sexe, renchérit sur la réputation de sentimentalisme bête qui pèse sur la littérature du monde catholique.

21 Le roman honnête, assimilé au roman pieux de la librairie catholique, entre dans ce que Léon Bloy nommait le « cloaque de l’innocence [29] », cet équivalent littéraire du style sulpicien. L’accusation n’est pas sans fondement. Le développement d’une industrie religieuse autour du quartier Saint-Sulpice, donne le ton aux maisons d’édition catholiques situées en province. Hippolyte Michon, pourfendeur du catholicisme ultramontain, décrit les dérives d’une esthétique qui s’adonne aux puérilités mièvres du joli :

22

Images à dentelles et à ressorts, lyres colombes roucoulantes, échelles mystérieuses, orangers à surprises, guitares, cœurs trop enflammés, Vierges mielleuses, Enfant-Jésus en cire et en carton-pâte, petites chapelles mécaniques, petites horreurs de tout genre, que voulez-vous de moi [30] ?

23 L’invention d’un roman catholique pour jeune fille s’accompagne de l’évolution d’une littérature pieuse alimentée par le développement des petites dévotions : dévotion à la Vierge, au Sacré-Cœur, au Saint-Sacrement, à saint Joseph. Symptôme d’un retour de la sensibilité religieuse à un mysticisme sentimental, le roman pour jeune fille souffre d’une double accusation. Il corromprait l’esprit des jeunes filles en les poussant à l’illuminisme et pervertirait leur goût par le biais d’une esthétique sentimentaliste, celles des « innumérables Immaculées Conceptions de Lourdes, en premières communiantes azurées d’un large ruban, offrant au ciel, à mains jointes, l’indubitable innocence de leur émail et de leur carmin [31] ».

24 La production de la librairie catholique a mauvaise presse. Identifiée à une littérature industrielle, elle rencontre jusque dans son camp des détracteurs. Alfred Nettement, critique catholique, fondateur de la Semaine des familles et découvreur de Zénaïde Fleuriot, pointait la littérature de la librairie catholique comme composée d’« ouvrages de pacotille exécutés à la toise ou au rabais par des écrivains qui ne s’élèvent pas beaucoup au-dessus des manœuvres [32] ». Renâclant dans Le Roman contemporain à reconnaître l’existence d’un roman catholique, il ne parle qu’avec réticence de ce qu’il appelle le roman de piété. L’idéal de pureté du roman honnête se heurte à la médiocrité de ses réalisations. Pour Nettement, le roman honnête constitue un oxymore :

25

On fait dire à un homme de beaucoup d’esprit qu’en fait de roman il n’y avait de bon que les mauvais. Ils sont une des plaies de la littérature contemporaine, et je crains qu’ils ne rendent aucun service à la religion [33].

26 Au tournant du siècle, la question reviendra sous la plume de l’abbé Bethléem dans Romans à lire et romans à proscrire. Cette entreprise de classement en vertu de critères moraux, dénonce le roman comme un genre à ne pas mettre entre toutes les mains. Son immoralité est intrinsèque à son appartenance générique. Pourtant, la section « romans honnêtes » défend l’existence d’un roman moral. Pour ce faire l’abbé Bethléem réduit le roman à la production des libraires catholiques, à ce roman pour jeune fille qui fait de la vierge l’idéale lectrice d’une littérature à la moralité irréprochable :

27

Que Lire ? Louis Veuillot, qui pourtant connaissait Fabiola, et avait écrit Corbin et d’Aubecourt, inclinait à penser que le roman, sans défaut et catholique, n’existe qu’à l’état de glorieuse exception. Nous ne discutons pas cette affirmation de l’illustre écrivain, nous constatons seulement avec joie, que l’exception s’est depuis généralisée, et après avoir recherché parmi les célébrités et les succès, des auteurs et des ouvrages honnêtes et intéressants, personne n’a le droit, en stricte justice de dresser un procès-verbal de carence [34].

28 La défense de l’abbé Bethléem cache mal les insuffisances du roman honnête. La référence à Louis Veuillot est révélatrice d’une concession faite à un avis partagé par le monde catholique : le roman honnête est un roman introuvable. Louis Veuillot après avoir écrit une vie de jeune fille destinée à la congrégation des enfants de Marie : Agnès de Lauvens récit de la vie conventuelle d’une sœur converse, écrivit deux romans L’Honnête Femme et Corbin et d’Aubecourt avant d’abandonner le genre. Le désaveu du roman, consommé dans la troisième préface de L’Honnête Femme, se fonde sur son incompatibilité avec la vertu.

29 Le rêve de l’idéalisme de trouver une esthétique qui ait un fondement moral, se heurte à une définition réaliste du roman français [35]. Le roman d’imagination, qui met en scène des figures idéales, est renvoyé à une enfance de l’art [36]. Il relève, comme l’écrivait Jules Lemaître au sujet de la Sybille de Feuillet, de la « poésie des créatures sentimentales, de celles qui connaissent peu la vie, qui n’éprouvent pas un grand besoin de vérité et pour qui l’art ne consiste pas avant tout dans l’expression : c’est-à-dire la poésie des enfants, des vierges et des jeunes filles [37] ». Le roman pour jeune fille, qui ne possède ni l’observation objective du roman réaliste, ni son travail sur le style, est privé de dimension herméneutique comme de qualités proprement littéraires. Il est perçu comme un roman sans idées, mais qui participe d’un idéalisme naïf reposant sur l’innocence peuplée de rêves de ses lectrices. À propos de la Calixte d’Un Prêtre marié, Barbey d’Aurevilly parle de la « désolante pureté de ces êtres parfaits [38] », comme d’un défi lancé à la littérature.

Notes

  • [1]
    « Prenez le moment où l’on aimerait à se recueillir avec les siens dans une pensée commune, au repos du soir, à la table de famille ; là chez vous, à votre foyer, hasardez-vous à dire un mot de ces choses. Votre mère secoue tristement la tête ; votre femme contredit ; votre fille, tout en se taisant désapprouve... Elles sont d’un côté de la table ; vous de l’autre, et seul. On dirait qu’au milieu d’elles, en face de vous, siège un homme invisible, pour contredire ce que vous direz », Michelet, Du prêtre, de la femme et de la famille, Paris, Hachette-Paulin, 1845, 6.
  • [2]
    Ibid., p. 8.
  • [3]
    Raymond Trousson, « Michel-Ange Marin et les Pensées philosophiques », Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, 1992, vol n° 13, p. 47-55.
  • [4]
    Les grandes librairies catholiques comme Mame, Perisse, Mégard ont leur édition de Virginie. Nous donnons quelques références d’éditions du XIXe siècle par ordre chronologique : Lyon édition Leroy, 1807 ; Lyon, édition Rusan, 1813 ; Lyon édition Mégard, 1813 ; Paris, édition Méquignon junior, 1825 ; Besançon édition Montarsolle, 1825 ; Lyon, édition Périsse, 1837 ; Tours, édition Mame, 1851, 1859.
  • [5]
    Sur cette question, on peut consulter Claude Savart, Les catholiques en France au XIXe siècle. Le témoignage du livre religieux, Paris, Beauchesne, 1985, pour un travail sur un profil éditorial spécifique : Cécile Boulaire (dir.), Mame. Deux Siècles d’édition pour la jeunesse, Rennes, Tours, Presses universitaires de Rennes, 2012.
  • [6]
    Nous empruntons l’expression au livre de Loïc Artiaga Des torrents de papier. Catholicisme et lectures populaires au XIXe siècle, Limoges, Pulim, 2007.
  • [7]
    « Le mal est incontestable et avéré : ses causes ne le sont pas moins pour ceux qui veulent voir et juger sans prévention. Une des principales et des plus dangereuses, ce sont les mauvais livres, ce poison de doctrines subversives qui corrompt les intelligences et les mœurs, pervertit les cœurs et anéantit la foi [...] La religion catholique, l’Église de France surtout est le but de ses traits et de ses attaques journalières. Destinés d’abord aux intelligences élevées, les mauvais livres qu’elle propage, multipliés à l’infini, sont descendus jusqu’aux classes populaires ; véritable torrent qui, du haut des montagnes dont il a déchiré les flancs, se précipite vers les vallées, se répand dans les places publiques, couvrant partout la terre de son impur limon. », Bibliographie catholique : revue critique des ouvrages de religion, de philosophie, d’histoire, de littérature, d’éducation, etc., 1841-1842 (T1, A1, ED2), p. 1,2.
  • [8]
    Ibid., p. 3.
  • [9]
    Sur cette question nous renvoyons à la Fable mystique de Michel de Certeau qui étudie l’émergence d’un modèle narratif fondé sur « la construction d’itinéraires fictifs et/ou normatifs, schémas d’« ascensions » spirituelles ou modèles biographiques du « progrès » (scénarios destinés à classer et hiérarchiser chronologiquement des opérations aléatoires) ; l’établissement de liste de « règles » pour « discerner les esprits » (c’est-à-dire pour juger de ces mouvements ou « motions » d’après leur connexions et leur aptitude à former des séries) ». Michel de Certeau, La Fable mystique 1, XVIe-XVIIe, Paris, Gallimard, 1982, p. 166.
  • [10]
    Hermance ou L’Éducation chrétienne est publié chez Mame, dans la collection « Bibliothèque de écoles chrétiennes ». La première édition de l’ouvrage est datée de 1852, la dernière et huitième paraît en 1861. Nous utiliserons l’édition de 1858.
  • [11]
    L’Abbé P. qui signe Hermance est vraisemblablement l’abbé Arnold Prau, responsable d’une Vie de sainte Angèle de Foligno, Tournai, Casterman, 1850, et d’une Vie de sainte Rose de Lima, Tournai, Casterman, 1856.
  • [12]
    Hermance, ouvr. cité, p. 3.
  • [13]
    Ibid., p. 2.
  • [14]
    François de Sales, Introduction à la vie dévote : à l’usage des maisons d’éducation, Paris, Lecoffre, 1894, p. IX, X.
  • [15]
    Céline Fallet, Les Trois Sœurs ou la Piété filiale, Rouen, Mégard, 1856.
  • [16]
    Octave Feuillet, Histoire de Sybille, Paris, Michel Lévy frères, 1863.
  • [17]
    Pensée politique qui opposa, comme nous le rappelle Claude Pichois, Feuillet à George Sand et sa Melle La Quintinie, roman publié quelques mois plus tard dans la Revue des Deux Mondes. Claude Pichois « Notes sur le roman bourgeois du Second Empire », Romantisme, n° 17-18, p. 158. Le dialogue qu’entretiennent les romans fut perçu comme l’affrontement des thèses du « catholicisme et du spiritualisme libéral » : d’un côté le verrouillage dogmatique, de l’autre la liberté de conscience. Charles Potvin, De la corruption littéraire en France. Étude de littérature comparée sur les lois morales de l’art, Bruxelles et Leipzig, Muquardt, 1873, p. 169.
  • [18]
    Zénaïde Fleuriot, Aigle et Colombe, Paris, Firmin Didot, 1873.
  • [19]
    Hermance, ouvr. cité, p. 13.
  • [20]
    Nous empruntons l’expression au panégyrique de Jeanne d’Arc par Mgr Dupanloup. On retrouve cette insistance sur la vertu qui fait de l’héroïne de la patrie française une sainte. L’« Héroïsme des vertus » est ce qui permet de rendre la « sainte laïque » de Michelet à l’Église. La chasteté ou virginité apparaît comme un argument de la sainteté : « J’aime la simplicité des champs de son origine, la chasteté dans son cœur, sa vaillance dans les combats, son amour de la patrie française, mais surtout la sainteté de sa vie et de sa mort [...] Je salue la Sainte en elle : avec l’héroïsme du courage, et plus encore, je veux saluer l’héroïsme des vertus. », « Panégyrique de Jeanne d’Arc », Nouvelles Œuvres choisies de Mgr Dupanloup, t. I Œuvres oratoires, Paris, Plon, 1873, p. 396.
  • [21]
    Sybille, ouvr. cité, p. 313.
  • [22]
    Cette sensibilité religieuse dite « mystique » fait les frais des attaques de la littérature anticléricale. On peut lire à ce sujet La France Mystique d’Alexandre Erdan. La France Mystique. Tableau des excentricités religieuses, Amsterdam, R.C. Meijer, 1858.
  • [23]
    Le mysticisme assimilé à l’hystérie est un lieu de la littérature anticléricale. Nous renvoyons au portrait de Lisette Cabarous, pseudonyme à peine déguisé de Bernadette Soubirous dans Le Maudit d’Hippolyte Michon. Ce portrait, qui propose une analyse du phénomène des apparitions mariales au XIXe, condamne la politique ultramontaine qui encourage le développement d’une sensibilité religieuse mystique. Hippolyte Michon, L’abbé ***, Le Maudit, t. II., Paris, librairie internationale, A. Lacroix, Verboecken et Cie éditeur à Bruxelles, Livourne, Leipzig, 1864, p. 17.
  • [24]
    Les Trois Sœurs, ouvr. cité, p. 20, 21.
  • [25]
    L’expression est de Barbey d’Aurevilly. Barbey, Bloy et Huysmans dénoncent le virage puritain de l’art catholique. Bloy proclame l’indigence du « style sulpicien » sous les expressions de « glaire sulpicienne » ou de « catinisme de la piété » (Léon Bloy, Le Désespéré, Paris, Soirat, 1886, p. 235, p. 224). Huysmans fustige l’« l’atchnie et l’inart » des productions catholiques qu’il qualifie de « blasphème de la laideur » (Joris-Karl Huysmans, Les Foules de Lourdes, Paris, Stock, 1906, p. 109, p. 107).
  • [26]
    Jules Vallès, Les Réfractaires, Paris, Achille Faure, 1866, p. 22.
  • [27]
    Ces chiffres nous sont donnés par Michel Manson : « Céline Fallet ou l’écriture catholique de l’histoire de la jeunesse (1850-1880) », Histoires d’historiennes, Saint-Étienne, Presses universitaires de Saint-Étienne, 2006, p. 285-306.
  • [28]
    Jean-Hippolyte Michon, Les Odeurs ultramontaines, Paris, Librairie internationale, Bruxelles, Leipzig, Livourne, A. Lacroix, Verboeckhen et Cie éditeurs, 1867, p. 28.
  • [29]
    Le Désespéré, ouvr. cité, p. 229.
  • [30]
    Les Odeurs ultramontaines, ouvr. cité, p. 246.
  • [31]
    Le Désespéré, ouvr. cité, p. 226.
  • [32]
    Alfred Nettement, Le Roman contemporain, Paris, Lecoffre, 1864, p. 408.
  • [33]
    Ibid., p. 408.
  • [34]
    L’abbé Louis Bethléem, Romans à lire et romans à proscrire, essai de classification au point de vue moral, des principaux romans et romanciers (1500-1932) avec notes et indications pratiques, Paris, éditions de la revue des livres, 1932, p. 411.
  • [35]
    C’est ce que note Eugène-Melchior de Vogüé quand il appelle à la « résurrection morale » de la littérature française. Eugène-Melchior de Vogüé, Le Roman russe, seconde édition, Paris, Plon, Nourrit et Cie, 1888, p. 36.
  • [36]
    Cette équivalence entre jeune fille et imagination fera le fond d’un roman comme Le Rêve de Zola. Si chez le promoteur du roman expérimental, l’équivalence sert une critique du mysticisme, la figure de la jeune fille sera chez les Goncourt le moyen de dépasser le naturalisme pour atteindre la « réalité élégante ». Edmond de Goncourt, Chérie, préface de la première édition, dans Jules et Edmond de Goncourt, Préfaces et manifestes littéraires, Paris, Charpentier, 1888, p. 65.
  • [37]
    Jules Lemaître, Les Contemporains, troisième série, Paris, édition H. Lecène et H. Oudin, 1887, p. 9.
  • [38]
    Jules Amédée Barbey d’Aurevilly, Œuvres romanesques complètes, t. I, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1964, p. 985
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