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Article de revue

Il nous faut dire la fin, et parler d'Âge romantique

Pages 97 à 110

Notes

  • [1]
    On a beaucoup analysé et raffiné là-dessus, et très utilement, en analysant le concept même d’époque et de cohérence des ensembles géographiques, historiques, culturels, etc., en diversifiant les domaines de référence et les ressorts épistémologiques de la périodisation, en assignant des ressorts anthropologiques et herméneutiques, méthodologiques et idéologiques aux divers domaines de la vie sociale, politique et économique des états et des nations, des régions et des traditions historiques. Il reste que 1789 est la plaque tournante.
  • [2]
    La chute du Mur de Berlin, qui signe la fin des répliques du séisme de 1789, marque la fin de la période qui a épuisé le dynamisme de la Révolution française, un épuisement qui, au seuil du troisième millénaire de l’ère chrétienne, au moment où l’Histoire générale engage son propos et sa pertinence sur le terrain de la mondialisation et – donc – de la relativisation des discours dominants jusqu’ici établis, n’a d’autre fécondité herméneutique que de signifier l’instabilité – et les alarmes – de la civilisation occidentale, une civilisation qui avait été jusque-là le modèle et le moteur de l’Histoire.
  • [3]
    On sait que c’est lui qui fut l’un des tout premiers à utiliser l’adjectif « romantique », dans la « Cinquième Promenade » des Rêveries du promeneur solitaire (O. C. I, P., Gallimard, 1961. – [P. 1040] ; Bibliothèque de la Pléiade ; 11) et que ce sont ses œuvres d’à partir de 1760 – La Nouvelle Héloïse, Émile, Du contrat social, les Confessions – qui donnèrent son premier branle au romantisme (sinon innommé, du moins non consacré). On ne saurait assez souligner que cet adjectif introduit et qualifie l’univers de la nouvelle « situation » que décrit cette « Cinquième Promenade », où, dans un « instant » d’éternité, se révèle un nouvel état de la conscience, qui deviendra une des nouvelles évidences de l’absolu : « De quoi jouit-on dans une pareille situation ? De rien d’extérieur à soi, de rien sinon de soi-même et de sa propre existence, tant que cet état dure on se suffit à soi-même comme Dieu. » (p. 1047)
  • [4]
    Marc Fumaroli voit « le romantisme comme rhétorique de l’ironie et du sublime » (Histoire de la rhétorique dans l’Europe moderne (1450-1950), PUF, 1999, p. 1292).
  • [5]
    Rappelons que le sens premier du mot « époque » indique une rupture pour un commencement et que, finitude oblige, il a désigné aussitôt, implicitement, la fin qui correspond à ce début.
  • [6]
    Résistance typique de l’esprit classique aux tendances de la conscience romantique, attitude encore souveraine dans l’Université et donc dans les classes, les manuels et les truismes historiographiques ; résistance puissamment soutenue par la didactique, au nom des convenances et des congruences psycho-pédagogiques des taxinomies ordinales (il faut toujours et encore permettre de compter sur les doigts). Mais que signifierait le cent quarante-huitième siècle ?
  • [7]
    L’abandon du socle gréco-latin dans l’enseignement secondaire en est un indice très net. L’abandon, dans l’enseignement primaire et secondaire, des références littéraires françaises antérieures au XIXe, voire au XXe siècle en est le signe le plus universel.
  • [8]
    Historien, c’est-à-dire tout à la fois historique (daté et faisant date) et historiographique (d’extension durable dans la conscience historique des générations qui se sont succédé depuis l’émergence de son sens – et, à ce titre, reconnu, repris, établi dans les références, notamment savantes, de la mémoire commune).
  • [9]
    Nous sommes ici dans une logique qui, toute romantique, appartenait déjà à G. Vico (1668-1744) qui, bien qu’isolé et ignoré en son temps, fut une des lumières qui, rétrospectivement, nous paraissent avoir signifié l’aube herméneutique de l’Âge romantique.
  • [10]
    La célébration du « génie » atteint son sommet en Europe dès 1750-1770. Voir Peter France, « Lumières, politesse et énergie (1750-1776) », dans Marc Fumaroli, Histoire de la rhétorique dans l’Europe moderne (1450-1950), PUF, 1999, p. 981.
  • [11]
    Ce qui est vrai des qualifications et des déterminations d’une époque ou d’une période en général l’est aussi en particulier pour chaque mouvement cohérent et constitué qui la compose : c’est ainsi que son unité est confortée aussi bien que qualifiée par les divers aspects qu’on y découvre et les divers points de vue sous lesquels on peut les aborder : géographiques, historiques, culturels, etc. C’est par le filtre de ces divers aspects que Claude Pichois, par exemple, a donné à voir l’Histoire de la littérature française.
  • [12]
    Pour l’édition de poche Arthaud (1985), puis Garnier-Flammarion, il s’associera avec Max Milner. Les deux auteurs, dans leur Introduction (Arthaud, t. 7, p. 7-17), concluent en effet : « Ce livre veut montrer que le romantisme n’est pas avant tout un “mouvement littéraire”, qu’il est d’abord une conception du monde et de l’existence, d’un monde que structure l’analogie, d’une existence par laquelle l’homme est restauré dans sa dignité de reflet de Dieu ou de l’âme du monde. » (p. 16)
  • [13]
    Max Milner et Claude Pichois achèvent leur Introduction par cette phrase : « L’ère romantique est-elle close ? On en peut douter. » (p. 17)
  • [14]
    Nous renvoyons ici principalement à l’Histoire de la rhétorique dans l’Europe moderne (1450-1950) publiée sous la direction de Marc Fumaroli (PUF, 1999). D’autres études confortent, nous semble-t-il, le cadre de la présente réflexion, comme Le Discours littéraire. Paratopie et scène d’énonciation (Armand Colin, 2004), un livre de Dominique Maingueneau qui prend appui sur la mutation d’époque en cours depuis 1989 et entend élaborer un nouvel outillage « pour aborder d’autres régimes de la littérature que celui qui prévaut depuis deux siècles, et dont la pérennité n’est d’ailleurs pas assurée » (p. 6).
  • [15]
    Cette motilité est sensiblement active dans le mouvement où s’opère la rupture, l’autonomisation, puis la progressive indépendance de l’esprit scientifique (l’analytique, finalement mathématique, contre la rhétorique, la dialectique et même la logique, finalement condamnées à se diviser contre elles-mêmes en réductions analytiques quasi-scientifiques et productions censément référentielles mais aléatoirement langagières). Ce mouvement, latent dès l’origine, s’est manifesté dans divers moments de crises tout au long de l’histoire européenne, rythmant ou accentuant ce qu’il est convenu, dans les conceptions politiquement dominantes de l’histoire, de considérerer comme autant d’étapes du « progrès de la Raison ». Ainsi, au seuil de l’Âge romantique, appuyé sur Galilée, Bacon, Descartes, D’Alembert ou Condorcet, on en est venu à assimiler la dialectique à la rhétorique, disqualifiant l’une et l’autre face au raisonnement proprement scientifique. La dialectique et la rhétorique « servent à expliquer à autrui les choses qu’on sait » (Descartes, Discours de la méthode, AT VI, 17, cité par Fernand Hallyn, « Dialectique et rhétorique devant la “nouvelle science” du XVIIe siècle », dans Fumaroli, op. cit., p. 614). On ruine ainsi l’une et l’autre en les assimilant toutes deux à un art de parler et non de penser. « La révolution scientifique […] voudra diminuer le prestige de la logique et faire passer la dialectique, en tant que science formelle du raisonnement, pour une partie de la rhétorique, un art de parler et non de penser. » (idem, ibid., p. 603) Seule l’analytique aristotélicienne est préservée, mais seulement dès lors qu’elle se règle sur les mathématiques. C’est ce que montrent, tout au long des cinq derniers siècles, d’autres chapitres de l’Histoire de la rhétorique dans l’Europe moderne (1450-1950).
  • [16]
    C’est-à-dire la belle façon de savoir bien dire le vrai tel qu’on le pense exactement dans l’assentiment de la conscience commune.
  • [17]
    Ce qui habite ma conscience n’a de consistance et de pertinence que dans l’expression spécifique qu’elle se donne pour se dire à tous, à charge pour chacun d’opérer la reprise qui conduit à adhérer à cette expression et fait ainsi émerger en tous le lieu d’un sujet créateur participable.
  • [18]
    Non pas pour exprimer l’exprimable à nouveaux frais, mais pour « inexprimer l’exprimable » (Roland Barthes) par une infinie variation exploratoire, et finalement différante (Derrida), inéluctablement intertextuelle, du dispositif langagier établi dans la ou les langues de référence. En effet, l’esthétique de l’Âge romantique « exige une inspiration toujours originale, dont le comble se touve atteint dans l’écriture automatique des surréalistes » ou qui consiste à « prendre le contre-pied des œuvres défuntes » (Jean Paulhan, cité par Antoine Compagnon, « La réhabilitation de la rhétorique au XXe siècle », dans Fumaroli, op. cit., p. 1266). Cette originalité n’étant que l’équation mobile et proprement variationniste d’une écriture-lecture/ production-réception, il s’ensuit naturellement ceci, seule manière de « sauver » le Sujet, comme par compensation : « tout ce que la rhétorique expressionniste du XXe siècle prétend, c’est que nous sommes tous des génies. […] D’autres sources se sont mêlées pour donner l’expressionnisme du XXe siècle, comme les idées postfreudiennes sur l’éducation, assurant que chaque individu a des possibilités uniques de création, et que l’école doit encourager le développement libre de ces possibilités. La synthèse du romantisme patricien, de l’expressionnisme esthétique et du freudisme banalisé a abouti aux cours de creative writing dans de nombreuses écoles, permettant la libre créativité dans le cadre du cours de composition » (Antoine Compagnon, « Déclin et renouveau de la rhétorique américaine », dans Fumaroli, op. cit., p. 1257). On pourrait y ajouter la multiplication actuelle des « Ateliers d’écriture », l’appel à l’universelle récolte des journaux intimes, l’exhibitionnisme des intimités médiatisées et toutes les attentions à l’ « écriture de soi ». Ce que vise toute rhétorique, et ce que visait absolument la rhétorique classique, à savoir l’assentiment de tous à une formulation communément idéale, de tension monologique, se transforme ici en une dissémination individualiste où, à l’inverse de la sphère d’Alain de Lille et de Pascal, c’est le centre qui est nulle part et la circonférence partout.
  • [19]
    Dire exactement, pour tout un chacun, le savoir vrai de l’être, transformer ainsi la conscience à la mesure des vérités de l’être, travailler la conscience et l’être au profit de tous et de chacun, sans préjuger de rien, en défiance du savoir dire établi.
  • [20]
    « L’idée même qu’il existerait une aire spécifique et bien délimitée de la production verbale qui s’appellerait “littérature” est caractéristique de la conjoncture qui a émergé au début du XIXe siècle et dans laquelle nous sommes encore largement pris aujourd’hui. » (Dominique Maingueneau, Le Discours littéraire. Paratopie et scène d’énonciation, Armand Colin, 2004, p. 192)
  • [21]
    Si « La nature parle le langage des mathématiques » (Galilée) est devenu l’enseigne des savoirs scientifiques, c’est l’assurance du progrès matériel que les technologies puis les technosciences ont promis ou promettent qui a fait d’elles le lieu de l’évidence et de l’adhésion des esprits au cours de l’Âge romantique. Or les technologies et les technosciences (sciences sans conscience) se situent au-delà, ou en-deçà, et du langage de raison proprement scientifique et d’un langage verbal fondé sur la congruence de l’expérience existentielle du sens et des structures de l’esprit.
  • [22]
    Cet ornatus demeure tributaire de sa « réception ». Ce n’est en effet plus désormais le créateur qui est individu d’élite exprimant le sens, mais le lecteur, qui coopère avec lui et qui, dans la même solitude respective, devient co-auteur. Rien, cependant, ne vient corriger l’individualité du sujet, rien ne vient lui conférer ou lui donner des dimensions d’universalité partagée, « objective », c’est-à-dire fondée sur le vraisemblable et la convergence des opinions obtenues par voie d’assentiment au vraisemblable réfléchi (ce que font dialectique et rhétorique).
  • [23]
    « Le littéraire, jadis ouvert au théâtre du monde et désormais captif de la boucle critique, ne peut plus parler que de l’art de parler, ne peut plus écrire que sur l’art d’écrire. » (Françoise Douay-Soublin, « La rhétorique en France au XIXe siècle à travers ses pratiques et ses institutions : restauration, renaissance, remise en cause », dans Fumaroli, op. cit., p. 1199)
  • [24]
    « C’est surtout à partir du XIXe siècle que l’écrivain les [les rites génétiques] a donnés en spectacle ou que la société s’est prise à rêver sur eux […]. Cette exhibition comme cette curiosité sont précisément liées à une esthétique romantique qui a valorisé la genèse et voulu retrouver l’ “energeia” de la production dans le produit achevé. Cela va de la publication des “brouillons” par l’auteur lui-même (voir La Fabrique du pré de F. Ponge) jusqu’à la confusion entre l’œuvre et l’histoire des conditions de sa propre genèse (À la recherche du temps perdu). Avant le XIXe siècle, les œuvres évoquaient peu les rites génétiques qui les avaient rendues possibles ; ce faisant, les auteurs présupposaient une définition de la littérature fort différente de celle qui a prévalu ensuite. » (D. Maingueneau, op. cit., p. 123)
  • [25]
    Petit côté de la lorgnette : la littérature, à l’Âge romantique, a créé nombre de cénacles, de chapelles, d’apôtres, de disciples, de fidèles, de dévots, de congrégations, de temples et de chaires « littéraires »… Plus sérieusement, il faut voir combien « les structures anthropologiques de l’imaginaire » (c’est le titre de l’ouvrage-phare de Gilbert Durand) firent leur jonction avec les études d’histoire des religions. Car c’est de l’ « imaginaire » que relèveraient bientôt tous les arts (formes, contenus, herméneutiques), aussi bien que le « sentiment religieux », aux yeux de ceux qui, au nom du mystère, du mythe, du symbole, du génie et de l’intériorité subjective, entendraient s’opposer aux prétentions explicatives des systèmes rationalistes du formalisme et du structuralisme (bien plus encore qu’aux programmes de pensée et de vie déduits de l’universalité objective des révélations dogmatiques). C’est cependant – centrisme idéologique et herméneutique – à une version moins religieuse de cet imaginaire sacré qu’aboutit, au mitan de l’Âge romantique, « la découverte progressive des secrets structurés de l’inconscient humain » et la correspondante « accession aux couches les plus profondes d’un langage apte à remettre perpétuellement en question “le lieu et la formule” qu’il appréhende » (Michel Décaudin et Daniel Leuwers, De Zola à Apollinaire [1869-1920], nouvelle édition révisée, 1996, P., GF Flammarion, p. 8).
  • [26]
    « C’est donc moins la montée de l’histoire que le repli de la Littérature sur la fiction, qui rend l’histoire littéraire des années 1890 si peu compatible avec la pensée rhétorique. » (Françoise Douay-Soublin, dans Fumaroli, op. cit., p. 1160).
  • [27]
    Michel Décaudin et Daniel Leuwers, De Zola à Apollinaire (1869-1920), nouvelle édition révisée, 1996, P., GF Flammarion, p. 7.
  • [28]
    Germaine Brée et Édouard Morot-Sir, Littérature française 9. Du surréalisme à l’empire de la critique, P., Arthaud, 1984, p. 7.
  • [29]
    Idem, ibid., p. 8.
  • [30]
    Ibid.
  • [31]
    Où l’œuvre désigne soit l’intentio auctoris, soit ses conditionnements originels comme référence herméneutique de son sens, à moins qu’elle n’atteste la clôture de l’œuvre sur soi par, voire pour la mise en scène de son appareil, comme, dans ce dernier cas Paludes (1895), au milieu de la marée de l’Âge romantique, et Trois jours chez ma mère (2005) de François Weyergans, au moment où la vague romantique achève sa rétraction.
  • [32]
    Surtout depuis qu’elle prit le train des Lettres pour le doubler.
  • [33]
    Qui tend à réduire la critique aux logiques du marketing.
  • [34]
    C’est ce qu’évoque Dominique Maingueneau lorsqu’il écrit : « Ce type de réflexion sur les relations entre constituances littéraire et philosophique devrait être étendu à d’autres discours constituants : religieux et scientifique en particulier, dont les lignes de partage apparaissent d’une extrême complexité mais gagnent à être traitées dans le cadre d’une réflexion sur les régimes de constituance qui fasse la part des zones de recouvrement et d’irréductibilité. » (op. cit., p. 52)
  • [35]
    Il ne s’agit plus de considérer, sociologiquement, le champ de la pratique littéraire comme une zone ou une modalité du champ des pratiques sociales. Il s’agit de repenser la place du langage verbal dans la pratique du sens, du savoir et du dire et, proprement, de refonder la rhétorique.
  • [36]
    C’est pourquoi, envers et contre tout, le Patrimoine littéraire européen a recueilli dans son anthologie des textes de toutes les « disciplines » du savoir et de l’expérience, depuis la philosophie, le droit et la médecine, jusqu’à la chimie, la physique et les mathématiques.
  • [37]
    Chaignet et Deltour (voir Antoine Compagnon, dans Fumaroli, op. cit., p. 1229) qui paraissaient les lanternes rouges de la tradition rhétorique « classique » pourraient bien être les témoins, et les annonciateurs d’un retour du langage vers sa nature première, qui est de partager la condition humaine de la parole.
  • [38]
    D. Maingueneau, op. cit., p. 248.
  • [39]
    Si tant est qu’elle ne se veuille pas nouvelle manière de sémiotique, dans la mesure où celle-ci se révéla strictement dépendante, dans ses fondements autant que dans ses références utlimes, de l’abstraction de logique formelle et, ainsi, en revint à la mathématisation du savoir du sens.
  • [40]
    Cesare Vasoli, « L’humanisme rhétorique en Italie au XVe siècle », dans Fumaroli, op. cit., p. 57.
  • [41]
    En assimilant, puis en filtrant, comme l’a fait la langue de la Renaissance, tout ce qu’il faut des jargons spécialisés et des nécessaires néologismes.
  • [42]
    « L’examen des programmes et des curricula des écoles humanistes montre que […] même quand il s’est agi de former des savants, ces derniers devront s’exprimer dans un langage pur et choisi, en un équilibre parfait entre la doctrine et la forme du discours. » (C. Vasoli, op. cit., p. 58)
  • [43]
    « Les maîtres humanistes associèrent leur intérêt pour la rhétorique classique à l’idée d’une réforme générale de l’enseignement et à la recherche d’une via docendi, qui soit capable non seulement de renouveler le langage, mais aussi d’opérer une mutation profonde dans l’ordre du savoir. » (C. Vasoli, ibid., p. 59-60)

1 D’abord, une mise au point générale : cet article entend stimuler la réflexion en proposant des positions qui ne sont, pour beaucoup, que des défis adressés à l’esprit de synthèse. On ne trouvera donc pas ici d’analyses approfondies ni de démonstrations patientes et érudites. Il y faudrait plus qu’un livre : il y faudra surtout l’assentiment et la convergence d’un grand nombre d’historiens de la culture. C’est donc un article consciemment risqué, qui répond à une invitation, et qui se fonde sur une expérience et un point de vue personnels.

2 Ensuite, une mise au point particulière, qui explique la présente réflexion dans ce recueil d’articles : il ne paraît plus guère acceptable aujourd’hui de faire l’histoire de la littérature en suivant, le nez dans l’aujourd’hui d’hier, les événements et les séquences de la vie littéraire et d’en rendre compte en y distinguant, avec la susceptibilité de leurs acteurs et de leurs tenants, les différentes écoles, mouvements et courants qui s’y sont succédé ou combattus : romantisme, réalisme, naturalisme, symbolisme, modernisme, futurisme, unanimisme, surréalisme, existentialisme, post-modernisme et tous les -ismes intermédiaires, parasitaires ou surnuméraires. Nous avons pris suffisamment de recul pour que le moment de la synthèse et de l’enseigne soit venu ; et une rupture historique majeure s’est récemment produite qui autorise à déterminer une séquence d’époque ad quem, et de proposer une dénomination qui couvre la période esthétique – intellectuelle et artistique – ainsi déterminée.

3 C’est dans ce cadre que je propose, pour l’histoire de la culture, dont la littérature a encore été – peut-être pour une dernière fois à ce degré – la récapitulation la plus explicite, de parler non plus d’époque ou de période contemporaine (comme on le fait encore en Histoire générale) mais d’Âge romantique. Il semble en effet qu’une cohérence périodique se propose aujourd’hui à l’évidence, qui commence, si l’on veut des repères d’Histoire générale, en 1789  [1] pour s’achever en 1989  [2], deux siècles plus tard (à tout le moins, cette précaire exactitude est, providentiellement, mnémotechnique). Et si l’on veut des repères d’histoire intellectuelle et artistique, elle commencerait en 1778 (mort de Voltaire et de Rousseau  [3]) pour s’achever en 1989 (mort de Beckett).

4 Certes, le continuum historique étant sans défaut, on sait que les dates sont des mesures arbitraires, mais on ne peut s’en passer pour penser l’histoire et le rythme de ses mutations. Il paraîtra inutile de justifier les 1778 et 1789, déjà passés dans les manuels et qui structurent valablement les mémoires ; il paraîtra – on peut l’espérer – assez évident à nos contemporains que la chute du Mur de Berlin et l’abolition conséquente des derniers empires ayant survécu à 1789 ou nés de la Révolution sont en droit d’apparaître comme des événements décisifs de rupture historique, de même que, dans l’ordre culturel, la mort de Beckett qui, en conduisant le langage et ses hachures à l’extrême de l’ironie significative – ironie et esthétique du fragment sont des traits primordiaux du Romantisme naissant  [4] –, a réduit les formes et leurs mesures de formalisation au silence, à l’absence.

POURQUOI ÂGE ROMANTIQUE ?

5 Parce que les savantes querelles terminologiques, souvent synonymiques, n’ont généralement pas de postérité dans la langue, donc dans la possibilité de conditionner durablement l’historiographie, et ne reflètent le plus souvent que des querelles d’école, des contraintes de régime ou des rapports de pouvoir ; mais, parce qu’il faut bien choisir, si nous parlons d’Âge plutôt que de période ou d’époque, c’est par analogie avec le Moyen Âge, car il nous semble urgent de remplacer les lapalissades expectatives d’Époque ou Période contemporaine et qu’il nous faut surtout tenir compte du fait que le monde qui est advenu par la Révolution française dans la postérité de Voltaire et de Rousseau, et qui a fait époque  [5], pourrait bien marquer, en 1989, le temps d’arrêt de cet Âge.

6 Pour l’immédiat des sensibilités terminologiques, cependant, dans la dénomination d’Âge romantique, c’est l’adjectif qui compte le plus. Quid, à ce propos ?

7 Première constatation : l’adjectif vient, cette fois, directement, du monde intellectuel et artistique et implique la rupture – système métrique révolutionnaire ayant obligé – avec l’arithmétique distinction par siècle  [6]. Cet adjectif, issu des hauteurs intuitives du génie intellectuel d’époque, est passé, depuis deux siècles, au firmament des évidences esthétiques. Il indique, aussi bien dans la conscience érudite que dans la conscience moyenne, et jusqu’à la banalisation, la constellation polaire de la conscience perceptive contemporaine (il n’y a presque plus, dans la récente génération, et malgré qu’on en ait, de conscience classique [7]).

8 Référence de ressort principalement esthétique et d’ancrage historien  [8], l’adjectif romantique, associé à toute la période qui nous sépare de la Révolution française peut cependant choquer les cadres d’Histoire générale qui nous ont habitués, dès l’enfance, 1° à rythmer le long terme selon les relativités chronologiques les plus élémentaires (AntiquitéVieux –, Moyen Âge – Entre vieux et maintenant (pour aujourd’hui, ce qui complique les choses, c’est un maintenant d’alors) –, Temps Modernes – Maintenant (pour aujourd’hui, c’est un maintenant passé) –, et Époque contemporaine – Pas le Maintenant d’hier, mais celui d’aujourd’hui), 2° à compter le temps historique comme on compte le temps calendaire et les anniversaires, par an, mois et jours, 3° à penser l’Histoire selon la conscience vive, une conscience qui se donne elle-même comme principe d’évidence suffisante et qui, assise sur son train, mesure les différences irréductibles, les spécificités anecdotiques, l’universalité potentielle et la pertinence actuelle des réalités du passé. Seul ce dernier cadre (la conscience vive) de l’Histoire générale est problématique, proprement herméneutique, qui regarde, puis fait voir, par et dans la perception réactive d’aujourd’hui, la réalité d’hier telle qu’elle fut pour elle-même et telle qu’elle reste dès lors, pour la conscience actuelle, une énigme à découvrir, une altérité définitivement étrangère, autant qu’une charge à assumer, une obligation d’agir en responsabilité et en connaissance de cause, pour la rupture ou la continuité.

9 Pour accepter cette innovation (parler d’Âge romantique) que nous proposons, il s’agit d’accepter que l’histoire de la culture  [9] est, de tous les registres de l’Histoire, celui qui en configure le plus explicitement et le plus durablement le sens, la culture se déroulant dans un cadre 1° où s’élabore la libre correspondance (impliquée par la gratuité et l’idéalité des idées et des arts) entre le mouvement des subjectivités exprimées et le style des formes produites, et 2° où les transformations qui sont opérées et signifiées se font, non dans la violence physique, mais, par les labeurs et les dialogues des langages, en défiance et au défi des souverainetés de la puissance, à l’appel, entendu et respecté, du libre génie créateur. Romantique, cette conception ?  [10] peut-être, mais cela même indiquerait que le firmament du concevable est, aujourd’hui encore, sous le régime des évidences instauré au début de la période qui porte ce qualificatif.

10 Ainsi, choisir le qualificatif qui, le premier, a entendu signifier la mutation esthétique de l’époque qui commençait, dont on savait qu’elle commençait, et dont on entendait qu’elle commence, pour qualifier l’ensemble de l’Âge inauguré et, en attendant qu’il donne les signes de son achèvement, pour désigner la cohérence périodique qu’il semble avoir accomplie, paraîtra à nos yeux légitime, dès lors qu’on met ainsi les choses au point.

11 Cela dit, il ne s’agit nullement de qualifier globalement la période 1789-1989 de Romantisme et de nier que le Romantisme proprement et strictement dit soit une période, de une, deux ou trois générations (d’ailleurs en décalage de pays en pays), que c’est un mouvement, un courant, une école, une esthétique, une poétique, une idéologie, etc.  [11], qui a connu un programme, une structure, un consensus de définition tunc, dans la conscience de son temps, aussi bien que nunc, dans la conscience historiographique. Quant à savoir si le Romantisme a une fin, il nous semble qu’il faut répondre par l’affirmative, même si on le divise, comme le fit naguère Claude Pichois pour le Romantisme français (Littérature française, Paris, Arthaud, 16 volumes), en trois phases et si on le fait aller, à bon droit, jusqu’en 1896. Mais ce serait sans doute heurter la réalité de la vie intellectuelle, artistique et littéraire, l’histoire littéraire, de l’art et des idées, et l’histoire générale de la culture que de vouloir pousser un -isme jusqu’à la désignation d’une période historique de longue durée, a fortiori un Âge. Lorsque le spécialiste de Baudelaire, de Nerval, de Colette, de Philarète Chasles, et le comparatiste averti que l’on sait (songeons seulement à son étude sur Jean-Paul en France), lorsque le regretté Claude Pichois décida de diviser le XIXe siècle français en Romantisme I (1820-1843), II (1843-1869) et III (1869-1896) – ce dernier volume paru en 1968 ! –  [12], il mena aussi loin que possible une intuition, dont nous avons largement bénéficié, mais dont il nous semble qu’il faut disjoindre la double inspiration. Deux idées, en effet, ont habité cette intuition : la première, c’est que le Romantisme recèle l’inspiration décisive, voire définitive de l’esthétique du XIXe siècle ; la seconde, c’est que l’eau même et le flux de la source romantique traversent les phases proprement dites du Romantisme et se prolongent ou se diffusent au-delà, à travers les appellations nouvelles que les consciences esthétiques successives ont choisies pour marquer leur originalité [13]. Une fois aperçue et acceptée, cette disjonction permet de satisfaire aux nécessités analytiques de l’histoire intellectuelle, littéraire et artistique, soucieuse de décrire le mouvant en insistant sur la différence, et de situer ces différences dans la mouvance même des rythmes où, se produisant, elles attestent la cohérence unifiante de leur commun ressort et de leurs références générales. Cette disjonction conserve ainsi toute sa pertinence à l’acception restreinte du Romantisme et, ouvrant à la consistance d’un Âge homogène l’acception large du qualificatif romantique, permet à ce même qualificatif de nommer la totalité de cet Âge.

12 Comme l’histoire intellectuelle et artistique est, pour son rapport au sens, tributaire et actrice de l’histoire de l’instrumentation des langages qui en médiatise la signification ; comme, de tous les langages, c’est le langage verbal, ses langues et ses littératures, qui en est l’expression la plus explicite ; comme la rhétorique et la poétique sont les modes de référence les plus fondamentaux de l’expression verbale  [14], nous allons à présent, brièvement, en indiquant seulement certains traits des attentes et des requêtes de l’esprit d’époque à l’égard des modalités d’expression du sens par le langage verbal, tenter de montrer combien, au cours de cet Âge, s’impose, par étapes mais continûment, un nouveau ciel d’évidences, de références, de cohérences et de connivences – une nouvelle esthétique, témoin d’une nouvelle conscience vive d’époque, dont la motilité  [15] s’est accomplie dans la déconstruction progressive et conquérante des cadres établis par la tradition classique, à savoir la déconstruction de la réflexion à partir de (et l’abolition d’un commentaire déductif sur –) la réfraction et la réflection, de l’une à l’autre, de la langue et de la pensée (le « signifiant » et le « signifié » du logos).

13 Une des caractéristiques de la rhétorique et de la poétique du Romantisme déjà et, de plus en plus, de l’esthétique de l’Âge romantique, c’est d’avoir conduit à sa limite, d’étape en étape et dans la logique abyssale de son aporie constitutionnelle, le paradoxe qui conjoint l’irréductible spécificité existentielle et esthétique (d’expression autant que de perception) du langage « littéraire » pour tous, tel qu’il fut établi par la tradition classique  [16] (dont l’armature est anthropologique, rhétorique et poétique), et l’universalité potentielle du langage verbal pour chacun [17] (dont l’armature est à la mesure, inscrutable, indécidable, de l’intelligibilité de l’être). C’est ce qu’ont fait, plus ou moins consciemment, depuis le Sturm und Drang jusqu’au post-modernisme, chacune à sa façon, – d’originalité en originalité [18], de manifeste en manifeste, de « scandale » en « scandale », d’avant-garde en avant-garde –, les générations successives de l’Âge, afin de faire face (sans espérer, ni vouloir, leur faire pièce), aux immenses progrès des sciences et à leurs extensions technologiques et industrielles triomphantes, universellement pertinentes pour tous et pour chacun [19]. Car ces extensions ont réduit comme peau de chagrin les spécificités et l’éminence du langage « littéraire »  [20], au profit des langages qui font avancer l’humanité, le langage technoscientifique  [21] et le langage de la communication. Ce dernier, surtout depuis l’ « invention des sciences humaines » (dont la « rhétorique » est censément scientifique en raison de son « univocité conceptuelle », d’une épistémologie fondée sur la spécialité de ses objets et de ses méthodes, et en raison de sa « technicité » lexicale – son jargon), tend à occuper, comme médium desdites sciences humaines et de tout ce qui en relève, la totalité du territoire de la parole, réduisant la rhétorique et la poétique « littéraires » au rang d’ « exceptions culturelles », coincées entre la gratuité virtuose du pur ornatus [22] et celle du pur loisir de fiction  [23].

14 Il a fallu à chacune de ces générations imposer, sur le mode d’une innovation de plus en plus radicale – entropie ayant obligé –, l’originalité de leur esthétique du dire par soi et pour le Soi de tous l’en soi du monde, et cela, pour et contre le dire tout simplement et tout exactement vrai de tout par l’abstraction et les techniques, qui est le dire de la science. Il leur a fallu, en effet, démontrer que la « littérature » couvrait encore, comme par le passé et pour toujours, le bien savoir dire le vrai autant que le beau savoir dire vrai y compris par le faux et au-delà de ses apparences. Claire et distincte aussi bien que biaisée par les ressources aporistiques de son optique, la réalité, symbolique et conventionnelle, du langage verbal, soulignée dans son porte-à-faux par les détours de la rhétorique et de la poétique « littéraire », était impérieusement condamnée à réaffirmer, de moment en moment, qu’elle touchait, comme elle l’avait toujours touchée et continuerait à le faire, l’intégralité de l’humainement expérimentable et à affronter ainsi « victorieusement » l’évidence nouvelle que le siècle des philosophes, déjà, avait attestée, à savoir que tout l’essentiel de la vérité à connaître et à dire serait désormais du ressort de la rationalité et des langages d’abstraction qui la manifestent dans sa pure nudité. L’urgence et la fébrilité des tenants de l’esthétique « littéraire » fut d’en revenir – c’est le tremplin de toutes les battues initiales du Romantisme – à une métaphysique de l’imagination créatrice et d’y situer tout à la fois, paradoxalement, follement même, et l’origine de la rationalité, et le lieu spécifique de tout principe esthétique autant que de la subjectivité authentique  [24]. Les chefs-d’œuvre annoncés, célébrés, consacrés, des « grands créateurs » – hypostasiations de l’individu absolu et souverain –, par leur irrésistible efficacité à constituer, au-delà de leur univers autarcique et par lui, la conscience collective, singulièrement la nationale, et par leur non moindre capacité à susciter – idéal du beau savoir dire obligeant – l’évidence d’une conscience universelle, furent ainsi conviés par les plus hautes autorités de l’institution politique et littéraire à figurer de leur vivant dans les manuels d’histoire littéraire et nationale, et à montrer la continuité transcendentale de l’imagination, de la rationalité et de la subjectivité, continuité existentiellement nécessaire au maintien de l’identité, du sens et des valeurs de chacun, de chaque nation et de l’humanité tout entière. Face à la science, la littérature se sauvait ainsi, et l’humanisme avec elle, par le sacré  [25].

15 Ce sacré-là (se-acer : « un acre en dehors ») n’allait pas longtemps faire illusion. Sous couvert de séparer l’ « art littéraire » pour le situer, au terme d’une procession ascendante, au même amble que les vieux ânes chargés de reliques, dans un fanum solennel, on le fit aspirer au temple désaffecté du Panthéon et, sur la longue voie sacrée qui y conduit, on lui ménagea des reposoirs dans les petites maisons de la fiction  [26]. De 1869 à 1920, « de l’impressionnisme naissant au cubisme triomphant », on assista à « une profonde mutation, politique, économique, sociale, littéraire, artistique, dans un monde lui-même en mouvement »  [27]. Puis le surréalisme, « le mouvement le plus dynamique du siècle »  [28] entendit, en écho aux sciences et aux techniques, « changer la vie, transformer le monde »  [29]. De 1936 à 1952, c’est alors le constat de « l’effondrement de la civilisation occidentale »  [30], du moins de ses cadres dominants et censément établis. La tension, foncièrement suicidaire, de l’existentialisme sartrien, dont tous les lendemains déchanteront, tenta d’expliquer les causes de cet effondrement en en précipitant les conséquences. De 1952 à 1968, l’invasion technologique déstabilise la culture tout entière et, peu à peu, désarticule et dissémine les cohérences de la durée vécue : les arts et la littérature, mais surtout l’autorité et la critique éclatent. Ce n’est pas qu’il n’y ait quelques relances de la roulette, comme ce fut le cas avec Tel quel qui, selon Germaine Brée, « comme le surréalisme […] se propose aussi de transformer la relation de l’homme avec sa condition humaine en transformant son langage » (Littérature française, Le XXe siècle II, 1920-1970, P. Arthaud, 1978, p. 205). Avec et après 1968, esthétique, poétique, rhétorique veulent en revenir au fait et aux affaires. Mais les impassibles croupiers qui dirigent désormais la roue du temps et la consommation des siècles veillent. Le sens par le langage verbal artistement exercé sera reconduit, débraillé et roué de coups, sur la voie de ses originelles légitimités romantiques, dans la fidélité au culte solipsiste d’une ipséité de participation seulement ironique, ou parodique. La liberté, cependant, cherchera à s’en sortir. Résignée au rire jaune du fragment, condamnée aux pirouettes dignement exécutées, prostituée dans l’indiscrète logorrhée ou cherchant une nouvelle imago mundi, qui réfléchisse la conscience contemporaine dans la sagesse, la littérature, entrée désormais dans l’économie des médias, navigue entre le Charybde du « vécu » des psychologues, des politologues et des sociologues, et le Scylla de l’imaginaire « infini » de la référence, mise en abyme et au défi d’elle-même, confinant au Possible autant qu’au Vide.

L’AVENIR DE LA LITTÉRATURE ?

16 La question se pose, qui fait époque, car c’est la fin de l’Âge romantique, où l’ « autotélisme »  [31] de l’œuvre, de régressions à l’origine en retraitements des données, en est arrivé à l’épuisement. Ont en effet, bien au-delà du soupçon, été remis en cause, derniers bastions de la citadelle romantique, le caractère référentiel et même métonymique du nom de l’auteur à l’égard de l’œuvre, et la fonction censément spécifique, voire absolue, du langage « littéraire » – de la rhétorique subjective – pour dire adéquatement l’essence d’un sens qui échapperait à la rationalité formulaire. Et ce n’est pas la critique littéraire, épuisée elle aussi  [32], qui a éveillé l’évidence de cet épuisement, mais bien, en creux, l’ingérence et l’indécence nouvelles des médias dans l’institution littéraire  [33] et, en plein, certaines recherches en pragmatique et les nouvelles évidences sous-jacentes à l’analyse des discours  [34]. À la fin de l’Âge romantique, donc, il reste à repartir, à nouveaux frais, de l’énonciation première, c’est-à-dire de l’usage immédiatement efficace d’une parole qui se sait tout à la fois indéfiniment diversifiée dans ses discours et une dans son mode de référence au langage, au-delà certes, mais non indépendamment de la diversité des langues. L’exercice du langage verbal se doit désormais d’être patiemment examiné, réévalué et défini dans la diversité de ses modes par ceux qui analysent les discours afin que soit situé aussi exactement que possible, dans la diversité du concert des dires, en raison notamment de l’extrême developpement des langages scientifiques et d’abstraction, le champ  [35] de pertinence de la rhétorique et, par conséquent, de la littérature, à laquelle appartient non seulement l’univers de la fiction, mais tout l’univers du bien savoir dire le vrai dans la mesure des certitudes acquises, de forme comme de contenu. Rhétorique et littérature touchent ainsi tout domaine où le dire a lieu ou s’impose, y compris celui de l’enseignement des sciences et des régimes de l’abstraction  [36]. Le nouvel âge de l’esthétique, de la poétique, de la rhétorique doit repartir d’un usage modeste du langage, où chacun puisse retrouver, raisonnablement, l’expérience de soi et de tous. Dans ce cadre, il restera toujours une place spéciale à la fiction, en tant qu’elle reflète l’expression communément partageable d’une expérience existentielle représentée par des moyens communément partagés, dans l’assentiment des évidences, des références, des cohérences et des connivences, au titre des nécessités de la conscience commune, individuellement pertinente, collectivement exaltante, universellement idéale. Il n’y a en effet de littérature possible à refonder qu’à partir d’une restauration des conditions premières de la parole, par une restauration de la convivialité des langages au sein des langues naturelles et par une restauration de la rhétorique comme lieu commun de cet exercice  [37].

17 À l’heure de la mondialisation et de la babélisation, en ce moment où la confusion et la décomposition ont pénétré les langues et ont conduit le dire « littéraire » dans une impasse tragique, alors que l’on assiste à « une reconfiguration générale du savoir, pas seulement une rectification locale de frontières au sein des facultés de lettres »  [38], il faut se rendre à l’évidence que la transition, après l’Âge romantique, est de la même nature que celle qu’a connue la fin du Moyen Âge.

18 La situation d’après 1989 appelle, comme ce fut le cas au XVe siècle, une remise en forme et une réévaluation de la fonction et de la place dans l’éducation et la société des langues naturelles, de leur mesure d’intelligence pratique et de leur intelligibilité théorique, dont la rhétorique (ou l’ « analyse des discours »  [39]) est la clé. La mutation d’époque, vécue après 1989 et autour de cette date, ressemble en effet à ce qui s’est produit au XVe siècle : « Au cours des polémiques du XVe siècle s’affirme de plus en plus clairement la finalité de l’appel humaniste à l’éloquence et à la rhétorique. Cet appel implique déjà la recherche d’un “système” des arts et de son rapport avec un modèle linguistique qui soit le plus proche possible de l’ “usage” et dépourvu de formalismes excessifs. »  [40] En fait, ce qui est recherché aujourd’hui, c’est ce langage-là, mais avec des mots qui renvoient, à chaque fois qu’ils touchent des développements spécialisés et de ressort scientifique, à des mots-clés ouvrant et appelant des articles d’encyclopédie établis dans l’équilibre d’une sémantique exacte et d’une communicabilité judicieuse. Ce qui est ainsi recherché aujourd’hui, ce sont des mots dont la sémantique et les usages doivent être forgés  [41] à nouveau à partir de tout ce que les sciences et les techniques et tout ce que le savoir encyclopédique qui leur est sous-jacent a révolutionné dans la connaissance et la conscience du réel  [42]. Exactement comme l’ont fait les premiers humanistes  [43], puis les dictionnaires du XVIe siècle, établissant les nomenclatures et les usages lexicaux des nouveaux mots des langues modernes, cherchant à maîtriser l’univers des références d’un univers ayant subi une mutation d’époque. La volonté de créer l’harmonie, l’homologie entre l’ordo docendi et l’ordo dicendi fut évidemment fondamentale en ce temps comme elle l’est au nôtre, mais au nôtre il faut aussi une correspondance exacte avec l’ordo sciendi, dès lors que, par les technologies, cet ordre touche directement et doit toucher infailliblement les realia. Lorenzo Valla, plus que tout autre, eut cette ambition et devrait être revisité plus que jamais aujourd’hui. Ce n’est pas un hasard si la récente émergence de l’ « analyse des discours » et la refondation des théories de l’énonciation refont et refondent ce que fit Valla, qui parvint « à définir l’enunciatio comme la structure élémentaire du discours et à éclairer sa fonction dans une perspective à la fois grammaticale et rhétorique » (C. Vasoli, op. cit., p. 70). La question de l’heure est de savoir si les langues naturelles sont capables de dire tout cela, alors que les langages de spécialité en viennent à concerner la vie même des hommes, dans leur totalité parfois, et qu’il y a donc risque de distorsions entre l’ « usage » des réalités et l’ « usage » de la langue, distorsions qui se traduisent souvent par l’abandon de la langue ordinaire, inadéquate à l’expérience du réel, et par un décollement analogue de la langue « littéraire » dès lors que la rhétorique établie ne répond plus aux attentes des lettrés.

19 Appel est donc fait à une pratique de la langue, propédeutique à une langue commune reprenant l’expérience du tout expérimentable et exprimable de l’homme tel que la connaissance et la conscience du XXIe siècle l’auront reformée.

20 On recherche des savants et des artistes du verbe conscients de ces enjeux.


Date de mise en ligne : 01/01/2010

https://doi.org/10.3917/rom.132.0097

Notes

  • [1]
    On a beaucoup analysé et raffiné là-dessus, et très utilement, en analysant le concept même d’époque et de cohérence des ensembles géographiques, historiques, culturels, etc., en diversifiant les domaines de référence et les ressorts épistémologiques de la périodisation, en assignant des ressorts anthropologiques et herméneutiques, méthodologiques et idéologiques aux divers domaines de la vie sociale, politique et économique des états et des nations, des régions et des traditions historiques. Il reste que 1789 est la plaque tournante.
  • [2]
    La chute du Mur de Berlin, qui signe la fin des répliques du séisme de 1789, marque la fin de la période qui a épuisé le dynamisme de la Révolution française, un épuisement qui, au seuil du troisième millénaire de l’ère chrétienne, au moment où l’Histoire générale engage son propos et sa pertinence sur le terrain de la mondialisation et – donc – de la relativisation des discours dominants jusqu’ici établis, n’a d’autre fécondité herméneutique que de signifier l’instabilité – et les alarmes – de la civilisation occidentale, une civilisation qui avait été jusque-là le modèle et le moteur de l’Histoire.
  • [3]
    On sait que c’est lui qui fut l’un des tout premiers à utiliser l’adjectif « romantique », dans la « Cinquième Promenade » des Rêveries du promeneur solitaire (O. C. I, P., Gallimard, 1961. – [P. 1040] ; Bibliothèque de la Pléiade ; 11) et que ce sont ses œuvres d’à partir de 1760 – La Nouvelle Héloïse, Émile, Du contrat social, les Confessions – qui donnèrent son premier branle au romantisme (sinon innommé, du moins non consacré). On ne saurait assez souligner que cet adjectif introduit et qualifie l’univers de la nouvelle « situation » que décrit cette « Cinquième Promenade », où, dans un « instant » d’éternité, se révèle un nouvel état de la conscience, qui deviendra une des nouvelles évidences de l’absolu : « De quoi jouit-on dans une pareille situation ? De rien d’extérieur à soi, de rien sinon de soi-même et de sa propre existence, tant que cet état dure on se suffit à soi-même comme Dieu. » (p. 1047)
  • [4]
    Marc Fumaroli voit « le romantisme comme rhétorique de l’ironie et du sublime » (Histoire de la rhétorique dans l’Europe moderne (1450-1950), PUF, 1999, p. 1292).
  • [5]
    Rappelons que le sens premier du mot « époque » indique une rupture pour un commencement et que, finitude oblige, il a désigné aussitôt, implicitement, la fin qui correspond à ce début.
  • [6]
    Résistance typique de l’esprit classique aux tendances de la conscience romantique, attitude encore souveraine dans l’Université et donc dans les classes, les manuels et les truismes historiographiques ; résistance puissamment soutenue par la didactique, au nom des convenances et des congruences psycho-pédagogiques des taxinomies ordinales (il faut toujours et encore permettre de compter sur les doigts). Mais que signifierait le cent quarante-huitième siècle ?
  • [7]
    L’abandon du socle gréco-latin dans l’enseignement secondaire en est un indice très net. L’abandon, dans l’enseignement primaire et secondaire, des références littéraires françaises antérieures au XIXe, voire au XXe siècle en est le signe le plus universel.
  • [8]
    Historien, c’est-à-dire tout à la fois historique (daté et faisant date) et historiographique (d’extension durable dans la conscience historique des générations qui se sont succédé depuis l’émergence de son sens – et, à ce titre, reconnu, repris, établi dans les références, notamment savantes, de la mémoire commune).
  • [9]
    Nous sommes ici dans une logique qui, toute romantique, appartenait déjà à G. Vico (1668-1744) qui, bien qu’isolé et ignoré en son temps, fut une des lumières qui, rétrospectivement, nous paraissent avoir signifié l’aube herméneutique de l’Âge romantique.
  • [10]
    La célébration du « génie » atteint son sommet en Europe dès 1750-1770. Voir Peter France, « Lumières, politesse et énergie (1750-1776) », dans Marc Fumaroli, Histoire de la rhétorique dans l’Europe moderne (1450-1950), PUF, 1999, p. 981.
  • [11]
    Ce qui est vrai des qualifications et des déterminations d’une époque ou d’une période en général l’est aussi en particulier pour chaque mouvement cohérent et constitué qui la compose : c’est ainsi que son unité est confortée aussi bien que qualifiée par les divers aspects qu’on y découvre et les divers points de vue sous lesquels on peut les aborder : géographiques, historiques, culturels, etc. C’est par le filtre de ces divers aspects que Claude Pichois, par exemple, a donné à voir l’Histoire de la littérature française.
  • [12]
    Pour l’édition de poche Arthaud (1985), puis Garnier-Flammarion, il s’associera avec Max Milner. Les deux auteurs, dans leur Introduction (Arthaud, t. 7, p. 7-17), concluent en effet : « Ce livre veut montrer que le romantisme n’est pas avant tout un “mouvement littéraire”, qu’il est d’abord une conception du monde et de l’existence, d’un monde que structure l’analogie, d’une existence par laquelle l’homme est restauré dans sa dignité de reflet de Dieu ou de l’âme du monde. » (p. 16)
  • [13]
    Max Milner et Claude Pichois achèvent leur Introduction par cette phrase : « L’ère romantique est-elle close ? On en peut douter. » (p. 17)
  • [14]
    Nous renvoyons ici principalement à l’Histoire de la rhétorique dans l’Europe moderne (1450-1950) publiée sous la direction de Marc Fumaroli (PUF, 1999). D’autres études confortent, nous semble-t-il, le cadre de la présente réflexion, comme Le Discours littéraire. Paratopie et scène d’énonciation (Armand Colin, 2004), un livre de Dominique Maingueneau qui prend appui sur la mutation d’époque en cours depuis 1989 et entend élaborer un nouvel outillage « pour aborder d’autres régimes de la littérature que celui qui prévaut depuis deux siècles, et dont la pérennité n’est d’ailleurs pas assurée » (p. 6).
  • [15]
    Cette motilité est sensiblement active dans le mouvement où s’opère la rupture, l’autonomisation, puis la progressive indépendance de l’esprit scientifique (l’analytique, finalement mathématique, contre la rhétorique, la dialectique et même la logique, finalement condamnées à se diviser contre elles-mêmes en réductions analytiques quasi-scientifiques et productions censément référentielles mais aléatoirement langagières). Ce mouvement, latent dès l’origine, s’est manifesté dans divers moments de crises tout au long de l’histoire européenne, rythmant ou accentuant ce qu’il est convenu, dans les conceptions politiquement dominantes de l’histoire, de considérerer comme autant d’étapes du « progrès de la Raison ». Ainsi, au seuil de l’Âge romantique, appuyé sur Galilée, Bacon, Descartes, D’Alembert ou Condorcet, on en est venu à assimiler la dialectique à la rhétorique, disqualifiant l’une et l’autre face au raisonnement proprement scientifique. La dialectique et la rhétorique « servent à expliquer à autrui les choses qu’on sait » (Descartes, Discours de la méthode, AT VI, 17, cité par Fernand Hallyn, « Dialectique et rhétorique devant la “nouvelle science” du XVIIe siècle », dans Fumaroli, op. cit., p. 614). On ruine ainsi l’une et l’autre en les assimilant toutes deux à un art de parler et non de penser. « La révolution scientifique […] voudra diminuer le prestige de la logique et faire passer la dialectique, en tant que science formelle du raisonnement, pour une partie de la rhétorique, un art de parler et non de penser. » (idem, ibid., p. 603) Seule l’analytique aristotélicienne est préservée, mais seulement dès lors qu’elle se règle sur les mathématiques. C’est ce que montrent, tout au long des cinq derniers siècles, d’autres chapitres de l’Histoire de la rhétorique dans l’Europe moderne (1450-1950).
  • [16]
    C’est-à-dire la belle façon de savoir bien dire le vrai tel qu’on le pense exactement dans l’assentiment de la conscience commune.
  • [17]
    Ce qui habite ma conscience n’a de consistance et de pertinence que dans l’expression spécifique qu’elle se donne pour se dire à tous, à charge pour chacun d’opérer la reprise qui conduit à adhérer à cette expression et fait ainsi émerger en tous le lieu d’un sujet créateur participable.
  • [18]
    Non pas pour exprimer l’exprimable à nouveaux frais, mais pour « inexprimer l’exprimable » (Roland Barthes) par une infinie variation exploratoire, et finalement différante (Derrida), inéluctablement intertextuelle, du dispositif langagier établi dans la ou les langues de référence. En effet, l’esthétique de l’Âge romantique « exige une inspiration toujours originale, dont le comble se touve atteint dans l’écriture automatique des surréalistes » ou qui consiste à « prendre le contre-pied des œuvres défuntes » (Jean Paulhan, cité par Antoine Compagnon, « La réhabilitation de la rhétorique au XXe siècle », dans Fumaroli, op. cit., p. 1266). Cette originalité n’étant que l’équation mobile et proprement variationniste d’une écriture-lecture/ production-réception, il s’ensuit naturellement ceci, seule manière de « sauver » le Sujet, comme par compensation : « tout ce que la rhétorique expressionniste du XXe siècle prétend, c’est que nous sommes tous des génies. […] D’autres sources se sont mêlées pour donner l’expressionnisme du XXe siècle, comme les idées postfreudiennes sur l’éducation, assurant que chaque individu a des possibilités uniques de création, et que l’école doit encourager le développement libre de ces possibilités. La synthèse du romantisme patricien, de l’expressionnisme esthétique et du freudisme banalisé a abouti aux cours de creative writing dans de nombreuses écoles, permettant la libre créativité dans le cadre du cours de composition » (Antoine Compagnon, « Déclin et renouveau de la rhétorique américaine », dans Fumaroli, op. cit., p. 1257). On pourrait y ajouter la multiplication actuelle des « Ateliers d’écriture », l’appel à l’universelle récolte des journaux intimes, l’exhibitionnisme des intimités médiatisées et toutes les attentions à l’ « écriture de soi ». Ce que vise toute rhétorique, et ce que visait absolument la rhétorique classique, à savoir l’assentiment de tous à une formulation communément idéale, de tension monologique, se transforme ici en une dissémination individualiste où, à l’inverse de la sphère d’Alain de Lille et de Pascal, c’est le centre qui est nulle part et la circonférence partout.
  • [19]
    Dire exactement, pour tout un chacun, le savoir vrai de l’être, transformer ainsi la conscience à la mesure des vérités de l’être, travailler la conscience et l’être au profit de tous et de chacun, sans préjuger de rien, en défiance du savoir dire établi.
  • [20]
    « L’idée même qu’il existerait une aire spécifique et bien délimitée de la production verbale qui s’appellerait “littérature” est caractéristique de la conjoncture qui a émergé au début du XIXe siècle et dans laquelle nous sommes encore largement pris aujourd’hui. » (Dominique Maingueneau, Le Discours littéraire. Paratopie et scène d’énonciation, Armand Colin, 2004, p. 192)
  • [21]
    Si « La nature parle le langage des mathématiques » (Galilée) est devenu l’enseigne des savoirs scientifiques, c’est l’assurance du progrès matériel que les technologies puis les technosciences ont promis ou promettent qui a fait d’elles le lieu de l’évidence et de l’adhésion des esprits au cours de l’Âge romantique. Or les technologies et les technosciences (sciences sans conscience) se situent au-delà, ou en-deçà, et du langage de raison proprement scientifique et d’un langage verbal fondé sur la congruence de l’expérience existentielle du sens et des structures de l’esprit.
  • [22]
    Cet ornatus demeure tributaire de sa « réception ». Ce n’est en effet plus désormais le créateur qui est individu d’élite exprimant le sens, mais le lecteur, qui coopère avec lui et qui, dans la même solitude respective, devient co-auteur. Rien, cependant, ne vient corriger l’individualité du sujet, rien ne vient lui conférer ou lui donner des dimensions d’universalité partagée, « objective », c’est-à-dire fondée sur le vraisemblable et la convergence des opinions obtenues par voie d’assentiment au vraisemblable réfléchi (ce que font dialectique et rhétorique).
  • [23]
    « Le littéraire, jadis ouvert au théâtre du monde et désormais captif de la boucle critique, ne peut plus parler que de l’art de parler, ne peut plus écrire que sur l’art d’écrire. » (Françoise Douay-Soublin, « La rhétorique en France au XIXe siècle à travers ses pratiques et ses institutions : restauration, renaissance, remise en cause », dans Fumaroli, op. cit., p. 1199)
  • [24]
    « C’est surtout à partir du XIXe siècle que l’écrivain les [les rites génétiques] a donnés en spectacle ou que la société s’est prise à rêver sur eux […]. Cette exhibition comme cette curiosité sont précisément liées à une esthétique romantique qui a valorisé la genèse et voulu retrouver l’ “energeia” de la production dans le produit achevé. Cela va de la publication des “brouillons” par l’auteur lui-même (voir La Fabrique du pré de F. Ponge) jusqu’à la confusion entre l’œuvre et l’histoire des conditions de sa propre genèse (À la recherche du temps perdu). Avant le XIXe siècle, les œuvres évoquaient peu les rites génétiques qui les avaient rendues possibles ; ce faisant, les auteurs présupposaient une définition de la littérature fort différente de celle qui a prévalu ensuite. » (D. Maingueneau, op. cit., p. 123)
  • [25]
    Petit côté de la lorgnette : la littérature, à l’Âge romantique, a créé nombre de cénacles, de chapelles, d’apôtres, de disciples, de fidèles, de dévots, de congrégations, de temples et de chaires « littéraires »… Plus sérieusement, il faut voir combien « les structures anthropologiques de l’imaginaire » (c’est le titre de l’ouvrage-phare de Gilbert Durand) firent leur jonction avec les études d’histoire des religions. Car c’est de l’ « imaginaire » que relèveraient bientôt tous les arts (formes, contenus, herméneutiques), aussi bien que le « sentiment religieux », aux yeux de ceux qui, au nom du mystère, du mythe, du symbole, du génie et de l’intériorité subjective, entendraient s’opposer aux prétentions explicatives des systèmes rationalistes du formalisme et du structuralisme (bien plus encore qu’aux programmes de pensée et de vie déduits de l’universalité objective des révélations dogmatiques). C’est cependant – centrisme idéologique et herméneutique – à une version moins religieuse de cet imaginaire sacré qu’aboutit, au mitan de l’Âge romantique, « la découverte progressive des secrets structurés de l’inconscient humain » et la correspondante « accession aux couches les plus profondes d’un langage apte à remettre perpétuellement en question “le lieu et la formule” qu’il appréhende » (Michel Décaudin et Daniel Leuwers, De Zola à Apollinaire [1869-1920], nouvelle édition révisée, 1996, P., GF Flammarion, p. 8).
  • [26]
    « C’est donc moins la montée de l’histoire que le repli de la Littérature sur la fiction, qui rend l’histoire littéraire des années 1890 si peu compatible avec la pensée rhétorique. » (Françoise Douay-Soublin, dans Fumaroli, op. cit., p. 1160).
  • [27]
    Michel Décaudin et Daniel Leuwers, De Zola à Apollinaire (1869-1920), nouvelle édition révisée, 1996, P., GF Flammarion, p. 7.
  • [28]
    Germaine Brée et Édouard Morot-Sir, Littérature française 9. Du surréalisme à l’empire de la critique, P., Arthaud, 1984, p. 7.
  • [29]
    Idem, ibid., p. 8.
  • [30]
    Ibid.
  • [31]
    Où l’œuvre désigne soit l’intentio auctoris, soit ses conditionnements originels comme référence herméneutique de son sens, à moins qu’elle n’atteste la clôture de l’œuvre sur soi par, voire pour la mise en scène de son appareil, comme, dans ce dernier cas Paludes (1895), au milieu de la marée de l’Âge romantique, et Trois jours chez ma mère (2005) de François Weyergans, au moment où la vague romantique achève sa rétraction.
  • [32]
    Surtout depuis qu’elle prit le train des Lettres pour le doubler.
  • [33]
    Qui tend à réduire la critique aux logiques du marketing.
  • [34]
    C’est ce qu’évoque Dominique Maingueneau lorsqu’il écrit : « Ce type de réflexion sur les relations entre constituances littéraire et philosophique devrait être étendu à d’autres discours constituants : religieux et scientifique en particulier, dont les lignes de partage apparaissent d’une extrême complexité mais gagnent à être traitées dans le cadre d’une réflexion sur les régimes de constituance qui fasse la part des zones de recouvrement et d’irréductibilité. » (op. cit., p. 52)
  • [35]
    Il ne s’agit plus de considérer, sociologiquement, le champ de la pratique littéraire comme une zone ou une modalité du champ des pratiques sociales. Il s’agit de repenser la place du langage verbal dans la pratique du sens, du savoir et du dire et, proprement, de refonder la rhétorique.
  • [36]
    C’est pourquoi, envers et contre tout, le Patrimoine littéraire européen a recueilli dans son anthologie des textes de toutes les « disciplines » du savoir et de l’expérience, depuis la philosophie, le droit et la médecine, jusqu’à la chimie, la physique et les mathématiques.
  • [37]
    Chaignet et Deltour (voir Antoine Compagnon, dans Fumaroli, op. cit., p. 1229) qui paraissaient les lanternes rouges de la tradition rhétorique « classique » pourraient bien être les témoins, et les annonciateurs d’un retour du langage vers sa nature première, qui est de partager la condition humaine de la parole.
  • [38]
    D. Maingueneau, op. cit., p. 248.
  • [39]
    Si tant est qu’elle ne se veuille pas nouvelle manière de sémiotique, dans la mesure où celle-ci se révéla strictement dépendante, dans ses fondements autant que dans ses références utlimes, de l’abstraction de logique formelle et, ainsi, en revint à la mathématisation du savoir du sens.
  • [40]
    Cesare Vasoli, « L’humanisme rhétorique en Italie au XVe siècle », dans Fumaroli, op. cit., p. 57.
  • [41]
    En assimilant, puis en filtrant, comme l’a fait la langue de la Renaissance, tout ce qu’il faut des jargons spécialisés et des nécessaires néologismes.
  • [42]
    « L’examen des programmes et des curricula des écoles humanistes montre que […] même quand il s’est agi de former des savants, ces derniers devront s’exprimer dans un langage pur et choisi, en un équilibre parfait entre la doctrine et la forme du discours. » (C. Vasoli, op. cit., p. 58)
  • [43]
    « Les maîtres humanistes associèrent leur intérêt pour la rhétorique classique à l’idée d’une réforme générale de l’enseignement et à la recherche d’une via docendi, qui soit capable non seulement de renouveler le langage, mais aussi d’opérer une mutation profonde dans l’ordre du savoir. » (C. Vasoli, ibid., p. 59-60)

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