Couverture de ROM_131

Article de revue

Le dix-neuvième siècle, hélas

Sartre, entre romantisme et modernité

Pages 75 à 86

Notes

  • [1]
    Rappelons simplement cette formule célèbre, lâchée au cours d’une interview avec Jacqueline Piatier en 1964: «En face d’un enfant qui meurt, La Nausée ne fait pas le poids.» Voir Michel Contat et Michel Rybalka, Les Écrits de Sartre, Gallimard, 1980, p. 398 (64/405).
  • [2]
    Jean-Paul Sartre, Les Mots, Gallimard, coll. «Folio», 1972, p. 22.
  • [3]
    Ibid., p. 35.
  • [4]
    Ibid., p. 57.
  • [5]
    Jean-Paul Sartre, Carnets de la drôle de guerre, texte établi et annoté par Arlette Elkaïm-Sartre, Gallimard, 1995, p. 214.
  • [6]
    Jean-Paul Sartre, Qu’est-ce que la littérature?, Gallimard, coll. «Folio-essai» 1985, p. 151.
  • [7]
    Les fragments conservés de ce travail seront publiés sous le titre: Mallarmé, la lucidité et sa face d’ombre, texte établi et annoté par Arlette Elkaïm-Sartre, Gallimard, coll. «Arcades», 1986.
  • [8]
    Sartre a toujours été réticent à employer ce terme. Significativement d’ailleurs, il n’apparaît pas parmi les entrées du récent Dictionnaire Sartre, dirigé par François Noudelmann et Gilles Philippe (Honoré Champion, 2004).
  • [9]
    Les Mots, ouvr. cité, p. 54.
  • [10]
    Sur le cas particulier de Stendhal, auteur-fétiche de Sartre, on se reportera à l’excellente étude de Jean-François Louette: «Stendhal ou le refuge perdu de Jean-Paul Sartre», dans Silences de Sartre, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, coll. «Cribles», 1995, p. 271-291 (éd. revue et augmentée, 2002).
  • [11]
    «Hugo, sans doute, a eu la rare fortune de pénétrer partout; c’est un des seuls, peut-être le seul de nos écrivains qui soit vraiment populaire.» (Qu’est-ce que la littérature?, ouvr. cité, p. 126)
  • [12]
    Jean-Paul Sartre, «Autoportrait à soixante-dix ans», dans Situations, X, Gallimard, 1976, p. 195.
  • [13]
    Les Mots, ouvr. cité, p. 146.
  • [14]
    Jean-Paul Sartre, L’Idiot de la famille. Gustave Flaubert de 1821 à 1857, t. III, Gallimard, coll. «Bibliothèque de Philosophie», 1988, p. 380.
  • [15]
    Ceci résume à gros traits la thèse défendue par Sartre dans son Baudelaire (1947), que nous n’avons pas le temps de détailler ici.
  • [16]
    On notera sur ce point, la proximité des conclusions de Sartre avec celles de Paul Bénichou dans Le Sacre de l’écrivain (1973) et L’École du désenchantement (1992), quoique les voies pour y parvenir soient profondément opposées.
  • [17]
    Mallarmé, ouvr. cité, p. 15.
  • [18]
    Jean-Paul Sartre, «Les écrivains en personne» (interview avec M. Chapsal), dans Situations, IX, Gallimard, p. 14-15.
  • [19]
    Mallarmé, ouvr. cité, p. 83 et p. 163.
  • [20]
    Le texte est disponible dans: Jean-Paul Sartre, Écrits de jeunesse, édition établie et annotée par Michel Contat et Michel Rybalka, Gallimard, 1990, p. 60-135. On consultera avec profit la «Notice» de ce texte, p. 51-59.
  • [21]
    Jésus la Chouette, ouvr. cité, p. 134.
  • [22]
    «“Ah! disait mon grand-père, ce n’est pas tout que d’avoir des yeux, il faut apprendre à s’en servir. Sais-tu ce que faisais Flaubert quand Maupassant était petit? Il l’installait devant un arbre et lui donnait deux heures pour le décrire.” J’appris donc à voir.» (Jean-Paul Sartre, Les Mots, Gallimard, coll. «Folio», 1972, p. 131) Voir également l’annotation de ce passage, dans Jean-Paul Sartre, Œuvres romanesques, édition établie par Michel Contat et Michel Rybalka, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 1981, p. 1783-1784.
  • [23]
    Jean-Paul Sartre, La Nausée, dans Œuvres romanesques, ouvr. cité, p. 210.
  • [24]
    Jean-Paul Sartre, «Présentation des Temps Modernes», Les Temps Modernes, n° 1, 1er octobre 1945; repris dans Situations, II, Gallimard, 1947, p. 13.
  • [25]
    Jean-Paul Sartre, «Préface», L’Idiot de la famille, t. I, ouvr. cité, p. 7.
  • [26]
    Ibid., p. 8.
  • [27]
    Ibid.

1Il est des lieux communs dont on peut difficilement se passer. Celui qui consiste à pointer l’ambivalence du rapport de Sartre à la littérature est de ceux-là, tant on peine à s’en extraire: écrire aura en effet été pour lui une obsession et une délivrance, une activité de l’ordre de l’absolu et du dérisoire tout ensemble [1]; si bien qu’on pourrait résumer la situation en disant que, tout au long de sa carrière d’écrivain et d’intellectuel, Sartre n’a cessé de chercher à se déprendre de la littérature pour y revenir toujours et encore. Et c’est sans doute dans la façon qu’il a eue d’assumer l’héritage littéraire du xixe siècle que se révèle toute la complexité de son rapport aux lettres et à l’écriture.

2En 1964, Les Mots ont décrit la genèse de la vocation sartrienne. Le récit autobiographique pose qu’elle fut induite par un grand-père alsacien, Charles Schweitzer, qui, pourvu d’une longue barbe blanche, «se prenait, comme tant d’autres, comme Victor Hugo lui-même, pour Victor Hugo» [2]. Parfait représentant de la première génération de professeurs promus par la IIIe République, il était fanatiquement radical, parce que le discours de ce parti correspondait à ses idéaux généreux tandis que sa politique rencontrait son besoin d’ordre. Il avait fait du jeune Sartre, appelé alors «Poulou», un «bien culturel»: «la culture m’imprègne et je la rends à la famille par rayonnement, comme les étangs, au soir, rendent la chaleur du jour» [3]. Clerc par naissance, Poulou se sent une «sentinelle de la culture» [4], vouée à la conservation et au culte de ces reliques que sont les grands textes du passé. Rien d’étonnant dès lors à ce que Sartre ait construit sa vocation littéraire d’après les modèles hérités de son grand-père, figure vivante d’un xixe siècle déjà embaumé. Mais lorsque, se décrivant comme «ligoté à [s]on désir d’écrire» [5], il voit dans cette vocation remontant à l’enfance une forme de névrose, dont il a travaillé toute sa vie à se défaire, on mesure le caractère nécessairement ambivalent de son rapport à la littérature du xixe siècle: son fantôme, en tout cas, hante tout son parcours d’écrivain.
Qu’est-ce que la littérature? (1947) aura beau dire que «le xixe siècle a été pour l’écrivain le temps de la faute et de la déchéance» [6], Sartre ne cessera en effet de revenir à cette période, comme pour tenter de se soustraire à une fascination et à une attirance dont seul un examen critique pouvait le délivrer: témoins de ce ressassement, le Baudelaire publié en 1947, le travail sur Mallarmé, entamé l’année suivante et abandonné en 1952 [7], Les Mots, dont la première version date de la même époque, et enfin L’Idiot de la famille, gigantesque somme inachevée sur Flaubert à laquelle Sartre s’est tout entier consacré entre 1961 et 1973, moment où sa quasi-cécité l’obligea à renoncer à l’écriture.

L’héritage inavoué

3Les auteurs qui viennent d’être cités l’indiquent assez: l’essentiel du travail critique de Sartre a porté sur la seconde moitié du xixe siècle. Pour lui, comme pour beaucoup d’autres, l’échec de la Révolution de 1848 représente en effet une césure majeure dans l’histoire de la littérature française. Et si cette césure est chez lui perçue négativement, c’est parce qu’il n’est jamais parvenu à totalement accepter les conceptions littéraires qui en sont issues: en détournant le titre d’un pamphlet anti-sartrien fameux, on pourrait dire que la modernité littéraire [8] lui est toujours restée «sur l’estomac». Et l’explication de ce rejet se trouve en large part dans cet aveu des Mots:

4

Entre la première révolution russe et le premier conflit mondial, quinze ans après la mort de Mallarmé, au moment que Daniel de Fontanin découvrait Les Nourritures terrestres, un homme du xixe siècle [Charles Schweitzer] imposait à son petit-fils des idées en cours sous Louis-Philippe. […] Je prenais le départ avec un handicap de quatre-vingts ans. [9]

5Sartre a souvent insisté sur l’importance de ce retard pour la suite de sa carrière, mais il exagère ici son ampleur à dessein: avoir été éduqué avec des idées en cours sous la monarchie de Juillet revient en fait à dire qu’il a été formé dans une vision romantique de la littérature. La référence insistante à Hugo dans Les Mots (à travers notamment son assimilation à la figure du grand-père), la volonté du jeune normalien d’être à la fois «Stendhal et Spinoza», disent assez que les sources de la vocation littéraire de Sartre doivent être recherchées du côté du romantisme. Or, sur cette période, notre auteur n’a presque rien dit et moins encore écrit: sur Stendhal, son écrivain préféré, quelques notations éparses [10]; sur Hugo, une phrase dans Qu’est-ce que la littérature?[11], et cette explication embarrassée dans une interview tardive: «Je ne peux pas vous donner de sentiment exact pour Victor Hugo. Il y a beaucoup de choses à blâmer en lui, et d’autres qui sont vraiment très belles. C’est confus et mêlé, alors je m’en tirais en disant que je l’admirais.» [12]

6Il y a donc une stratégie d’évitement du romantisme chez Sartre, comme s’il lui était impossible de dire la nature de cet héritage à certains égards inavouable. Et il faudra attendre son dernier ouvrage, soit le tome III de L’Idiot de la famille, pour le voir enfin se pencher sur cette période de l’histoire littéraire. En schématisant les choses, on avancera que le romantisme a été pour Sartre le dernier moment où l’écrivain fut «heureux», au sens où la foi en la littérature consistait encore en la concevoir comme une force agissante et capable de transformer le monde. Mais, en même temps, ce bonheur d’être romantique reposait pour Sartre sur une manière de supercherie ou de hasard historique heureux, qui devait interdire aux générations suivantes le même optimisme littéraire.

7Selon Sartre en effet, la conception romantique de la littérature est idéologiquement aristocratique, en ce qu’elle trouve son origine dans la Contre-Révolution et la Restauration. Empruntant à Hegel et Kojève une vision dialectique de l’histoire, Sartre en vient ainsi à opposer Lumières et romantisme: le pouvoir de contestation des Lumières est celui de l’esclave ou du travailleur, en ce que la critique des philosophes s’est exercée à l’intérieur même des choses, à partir de la rationalité critique et analytique. En revanche, le poète romantique observe le monde depuis un point de vue surplombant, celui du maître, qui l’autorise à dire le monde comme une totalité synthétique – que la parole poétique a précisément pour fonction d’unifier par la Beauté. En cela, le romantique est un «poète-vates», un être inspiré et élu, qui est en communication directe avec la transcendance divine, laquelle cautionne sa parole et justifie ses prétentions à dire la vérité révélée. D’où il résulte que le romantisme, et Hugo en particulier, n’oppose pas l’art pour l’art à l’art social: le sacerdoce poétique, garanti par la caution divine, assure que la pure recherche de la Beauté aboutit nécessairement au Vrai et au Bien, que la trouvaille poétique est aussi parole prophétique; de même que la solitude hautaine du poète et sa conviction d’appartenir à une aristocratie n’excluent pas qu’il remplisse une mission sociale puisque c’est la fonction même de la générosité aristocratique que de faire don de soi, de viser à la reconstitution d’une société réconciliée en un tout organique et de faire alliance avec le peuple contre la bourgeoisie abhorrée. Il en résulte aussi que l’échec et la défaite – dont Sartre note que c’est le romantisme le premier qui l’a introduit au cœur de l’impératif littéraire – n’équivaut pas à la malédiction: l’échec est toujours dépassé dans le sacrifice, la défaite est une manière de victoire, parce qu’elle est magnifiée comme l’assomption d’un destin ou d’une élection; à travers elle, le poète-vates endosse seul les fautes de la collectivité, ce que Hugo en exil incarne à la perfection.

8Comme le note Sartre, le romantisme n’aurait pu être qu’une littérature de classe, attachée à défendre les intérêts idéologiques de l’aristocratie revenue au pouvoir. Sa chance historique, c’est de s’être épanoui au moment même où, avec la monarchie de Juillet, le monde auquel s’identifiait le romantisme s’écroulait avec l’avènement définitif de la bourgeoisie. Le romantisme aura ainsi gardé les «mains propres», sans jamais se compromettre avec une classe d’oppresseurs; libres de tout dire et de dire le tout plus qu’ils n’auraient pu l’espérer, lavés par avance du péché de bourgeoisie sans refuser pour la cause d’être honorés par elle, trouvant naturellement dans l’humanitarisme socialisant une cause à défendre une fois celle de l’aristocratie perdue, les romantiques, et Hugo au premier chef, ont traversé le demi-siècle avec une foi intacte dans la littérature, dans ses pouvoirs et dans la mission sociale du poète, ne laissant rien à la génération qui devait les suivre. Celle-ci aura été celle des fondateurs de la modernité: poètes inspirés dans un monde désormais sans dieu, bourgeois détestant en eux le bourgeois dans une société où la bourgeoisie règne désormais sans partage, convaincus des vertus de l’échec à une époque où triomphe l’utilitarisme, la croyance optimiste et positive du romantisme dans la littérature leur était refusée. C’est pourquoi les écrivains de second demi-siècle ne pourront qu’exhiber leurs «vieilles biles», leurs «rancœurs et leurs aigreurs», «leur haine abstraite de l’homme» [13]. Le romantisme ne leur aura rien laissé, les condamnant à n’être que des enfants boudeurs ou des «pisse-froid»:

Et surtout comment expliquer que Hugo, l’optimisme incarné, le poète-vates, reconnu par Dieu comme seul interlocuteur valable, le défenseur courageux des Communards – cette canaille que Leconte de Lisle voulait exterminer – ce chantre des pauvres, le seul qui fût – et qui est encore – lu par les classes travailleuses, et dont la dernière volonté – puérile, cabotine et sublime – a été d’être conduit à sa tombe dans le corbillard des pauvres, comment expliquer que cet homme déroutant, moitié prêtre et moitié anar, incontestable souverain du siècle, ait expressément désigné Leconte de Lisle, le pisse-froid, pour son successeur (…)? [14]
Sartre n’a jamais véritablement admis l’aporie moderne selon laquelle l’écrivain se doit d’être à la fois dans et hors du monde. Et cette citation résume finalement tout le problème posé par le passage du romantisme à la modernité. Pourquoi celle-ci a-t-elle dissocié ce que le romantisme avait su maintenir conjoint: l’art pur et l’art social; la littérature comme participant du sacré et la mission sociale du poète; l’autonomie absolue de l’art et son pouvoir dans l’ordre du politique?

La «faute» de la modernité

9Qu’est-ce que la littérature?, qui constitue une «défense et illustration» de la littérature engagée, ne pouvait donner à cette question qu’une réponse de nature politique, ce qui explique la violence avec laquelle Sartre s’en est pris aux écrivains du second demi-siècle. Selon lui, le triomphe politique de la bourgeoisie, symbolisé par l’échec de la Révolution de 1848, laisse l’écrivain désemparé: d’un côté, il refuse de se laisser instrumentaliser par la bourgeoisie désormais au pouvoir, au nom d’une autonomie de la littérature découverte au siècle précédent et renforcée encore par les romantiques; mais en même temps, craignant le déclassement par le bas, il refuse de faire le «juste choix», qui aurait dû le conduire à se ranger du côté de la nouvelle classe opprimée, le prolétariat. Le refus de servir l’idéologie dominante se renverse ainsi en l’affirmation d’une pure gratuité assimilée au refus absolu de servir. Du coup, l’écrivain moderne choisit de n’avoir pas de public: il écrit a priori contre tous ses lecteurs, et ne s’adresse qu’à ses pairs. Se reconstitue ainsi une cléricature comparable à celle du Moyen Âge; «s’épuisant à affirmer son autonomie que personne ne lui conteste» (p. 128), la littérature devient à elle même son propre objet et s’absorbe dans la contemplation de son être de langage. Pour Sartre, les écrivains fondateurs de la modernité, en identifiant l’impératif littéraire à la littérature pure et en refusant toute forme d’art social, ont ainsi confondu l’autonomie et la gratuité de l’œuvre avec l’inutilité et l’impuissance, la révolte avec la malédiction stérile et le ressentiment boudeur, la création avec la négation absolue – créer consistant ici en une abolition du monde par l’exercice de l’imaginaire pur [15]; bref, la modernité aurait produit une littérature sans prise sur le réel, dont la raison d’être se résorbe dans la pure conscience d’elle-même et dans le chatoiement insignifiant et arbitraire de la forme.

10Dans la continuité du romantisme, la modernité continue de penser la littérature sous les espèces du sacré et fait de l’écrivain un agent du spirituel [16]. Mais avec 1848 et la chute de la monarchie se produit un renversement considérable: «L’Europe venait d’apprendre une stupéfiante nouvelle, aujourd’hui contestée par quelques-uns: “Dieu mort. Stop. Intestat.”» [17] La position de l’écrivain moderne est donc celle d’une contestation ou d’un refus: dans un monde sans Dieu, le spirituel équivaut au Néant, et la littérature se conçoit alors comme «pure négativité», «négation pure et hypostasiée». En d’autres termes, sa fonction est de se livrer à la destruction symbolique des biens dont la société bourgeoise organise la production. De Flaubert à Mallarmé, la littérature moderne se veut destruction symbolique du monde, anéantissement du réel par le style.

11Triomphe politique de la bourgeoisie et mort de Dieu représentent donc pour Sartre les deux événements constitutifs de l’émergence de la modernité littéraire, dont la description, inaugurée dans la polémique avec Qu’est-ce que la littérature?, ne cessera de se nuancer par la suite, sans pour autant que le fond de l’analyse ne change. Ce qui, dans la suite, va se modifier, ce sera essentiellement l’évaluation portée sur cette période de l’histoire littéraire. Et le cas de Mallarmé est exemplaire de ce point de vue: en 1960, dans une interview accordée à Madeleine Chapsal, Sartre affirmera:

12

Mallarmé devait être très différent de l’image qu’on a donnée de lui. C’est notre plus grand poète. Un passionné, un furieux. Et maître de lui jusqu’à pouvoir se tuer par un simple mouvement de la glotte!… Son engagement me paraît aussi total que possible: social autant que poétique./ […] Si la littérature n’est pas tout, elle ne vaut pas une heure de peine. C’est cela que je veux dire par «engagement». [18]

13On s’étonnera à bon droit de voir Sartre faire du représentant le plus accompli de la poésie pure un écrivain engagé, ce qui contrevient à tous les attendus de Qu’est-ce que la littérature?, notamment en ce qui concerne l’opposition fameuse entre prose et poésie. Selon Sartre, la prose représente l’état naturel du langage: elle est signifiante, transitive et instrumentale en ce qu’elle vise la communication, c’est-à-dire la transmission d’idées, d’opinions, de sentiments; elle est donc par excellence le lieu de l’engagement, conçu comme nécessité de prendre lucidement et ouvertement position dans l’œuvre littéraire, volonté de la faire servir. La poésie, par contre, inverse le rapport prosaïque au langage: le poète refuse de se servir des mots, les observe à distance, comme des choses étrangères à toute entreprise ou intention humaine; il ne saurait donc y avoir en poésie de volonté de communication et d’échange, le poème étant un objet clos et autosuffisant, à lui-même son propre principe et sa propre fin; au même titre que de la musique, de la peinture ou de la sculpture, on ne peut exiger d’engagement de la poésie, puisque la démarche poétique, par son refus de considérer le langage comme un moyen, implique l’absence d’efficacité du poème dans l’ordre de l’action. Ainsi menée, on l’aura compris, l’analyse sartrienne du phénomène poétique et la description qu’il donne de la modernité littéraire sont rigoureusement superposables, au point qu’on peut avancer que, pour lui, la modernité est un fait essentiellement poétique.

14Pourquoi, dès lors, faire de Mallarmé un représentant de l’engagement littéraire? La réponse de Sartre tient en une phrase: à la différence de ses prédécesseurs et confrères en poésie, plus poseurs que réellement convaincus, Mallarmé est le seul à avoir pris au sérieux les conséquences poétiques de la mort de Dieu. En d’autres termes, là où les autres font de la malédiction, de la contestation ou de la fascination pour le Néant des poncifs poétiques, l’auteur du Coup de dés, lui, y croit, et les prend au pied de la lettre. Ce faisant, il aurait compris que le retrait du monde et la contestation universelle restaient inefficaces, parce qu’ils ne portaient en rien atteinte au donné; pour être efficace, toute négation doit porter sur quelque chose: et cette chose, ce sera le poème lui-même qui devient chez Mallarmé une mécanique autodestructive, un objet capable de produire concrètement du néant. C’est pourquoi Sartre considère que Mallarmé a porté l’exigence poétique jusqu’à son niveau le plus haut et jusqu’à ses limites les plus extrêmes, définissant un impératif poétique indépassable. En lui se résume et s’achève toute la quête poétique moderne: la Poésie, devenue à elle-même son propre objet, s’accomplit dans sa propre destruction. Il est ainsi facile de voir que, contrairement à la plupart des commentateurs, qui voient dans le geste mallarméen l’acte dans lequel s’inaugure véritablement la modernité poétique, Sartre envisage plutôt le «moment Mallarmé» comme un moment conclusif, l’aboutissement d’une histoire après lui achevée:

On dirait que la poésie négative du Second Empire a choisi cet extrémiste pour accomplir en lui son solennel suicide.
Mais la longue chaîne de poètes qui aboutit à lui le désigne justement comme le prophète qui doit faire éclater la contradiction humaine […] En lui la Poésie se connaît et se détruit par les poèmes qu’elle lui inspire. [19]
Pour Sartre, Mallarmé a été le dernier des poètes et la poésie, après lui, ne saurait être que l’imparfaite répétition d’un geste absolu et ultime. De Hugo à Mallarmé, en passant par Baudelaire, fondateur de la posture poétique moderne, se dessine ainsi une véritable histoire sartrienne de la poésie au xixe siècle. Allons même plus loin: pour Sartre, le rôle historique de la poésie dans la littérature française s’achève vers 1898, au moment où Mallarmé meurt d’un très symbolique blocage de la glotte. La suite, à commencer par le surréalisme, n’est qu’artifice vaniteux, répétition sans intérêt ou choix d’écriture inconséquent.

La statue du commandeur

15On pourrait ainsi croire que Sartre en a fini avec le xixe siècle et qu’il s’est en quelque manière libéré de son emprise. Ce serait compter sans Flaubert, qui pourrait d’ailleurs servir ici de fil rouge, tant il accompagne la carrière littéraire de Sartre depuis ses premiers balbutiements.

16L’influence de Madame Bovary est ainsi particulièrement visible dans Jésus la Chouette, le premier récit achevé de Sartre, sans doute écrit durant l’été 1922 et dont deux chapitres paraîtront l’année suivante dans La Revue sans titre[20]. Le héros-narrateur du texte, Paul, est un adolescent fragile de 14 ans. Sa mère a décidé de l’inscrire au lycée de La Rochelle et le place en pension chez l’un de ses futurs professeurs, M. Lautreck. Ce dernier, surnommé par ses élèves «Jésus la Chouette», est un médiocre et un raté: il incarne une figure ridicule d’universitaire de seconde zone, condamné à occuper des places de province et à ressasser, sur un ton déclamatoire, ses ambitions littéraires déçues. Méprisé et tyrannisé par sa femme et ses enfants, qui lui reprochent avec acrimonie ses échecs répétés, chahuté par ses élèves, objet des risées haineuses de la bonne société rochellaise, il finit par se suicider. Son enterrement lui-même tourne au ridicule: il s’achève dans une joyeuse cohue et sur cette oraison funèbre de Marguerite Lautreck, sa fille frénétiquement à la recherche d’un mari: «Encore deux ans de perdus [avant de pouvoir me marier].» [21]

17Les commentateurs ont pour la plupart souligné l’énorme influence de Flaubert sur ce texte. Il est incontestable que Jésus la Chouette met en œuvre une ironie et une vision pessimiste de l’existence qui lui doivent beaucoup. Mais il est plus frappant encore de constater qu’une série d’épisodes-clés du roman sont des démarquages à peine voilés des grandes scènes de Madame Bovary. Ainsi, le chahut dans la classe de M. Lautreck (p. 79-82) rappelle la scène du «charivari» qui ouvre Madame Bovary. L’épisode du Bal des universitaires (p. 87-98) est le pendant du Bal de la Vaubyessard. La réunion électorale dans la salle de l’Oratoire (p. 111-118) constitue une reprise du passage des Comices agricoles. Enfin, la mort de Lautreck se jetant sous un tram évoque le suicide d’Emma et la crudité avec laquelle Flaubert décrit son agonie. La conclusion du récit est elle-même très flaubertienne, par l’«oraison funèbre» de Marguerite et par l’exposé succinct du destin pitoyable du reste de la famille.

18En 1938, dans La Nausée, roman avec lequel Sartre fait officiellement son entrée en littérature, la présence de Flaubert est plus diffuse et témoigne déjà de l’ambivalence que l’on a soulignée en commençant. D’un côté en effet, le protagoniste du roman, Antoine Roquentin, sorte d’intellectuel désœuvré, observe la médiocrité de la vie provinciale de Bouville avec une férocité toute flaubertienne, notamment lorsqu’il s’en prend aux bourgeois qualifiés de «salauds». Bien plus, le protagoniste fait la découverte capitale de la contingence en observant au jardin public la racine d’un marronnier: Les Mots révéleront qu’il s’agissait là d’un exercice d’écriture prescrit par Flaubert au jeune Maupassant [22]. Enfin, la conclusion du roman, qui voit Roquentin envisager l’écriture d’«une autre sorte de livre» [23] pour échapper à la vacuité de son existence, n’est pas sans évoquer le salut par l’art, mais sous une forme ambiguë, puisque Sartre laisse planer le doute sur cette solution, qui peut apparaître aussi bien comme une manière légitime d’échapper à la contingence que comme une ultime illusion dont Roquentin n’aurait pu se défaire. De ce fait, on ne peut s’empêcher de faire le lien entre Flaubert et la statue de Gustave Impétraz qui accueille Roquentin avec un air de reproche lorsqu’il se rend à la Bibliothèque: figure ridicule d’érudit local qui ne laisse pourtant pas d’impressionner Roquentin, cet «autre Gustave» est à la fois statue du commandeur, rappelant le protagoniste à l’ordre (culturel et littéraire), et symbole du caractère dérisoire d’une vie vouée à l’écriture.

19À la Libération, au moment où Sartre se fait le promoteur intransigeant d’une conception engagée de la littérature, Flaubert devient un repoussoir: dans l’article de «Présentation des Temps Modernes», Sartre fait scandale en tenant «Flaubert et Goncourt pour responsables de la répression qui suivit la Commune parce qu’ils n’ont pas écrit une ligne pour l’empêcher» [24]. Et en 1947, Qu’est-ce que la littérature? ne cessera d’alléguer la figure de Flaubert pour désigner par métonymie toute la littérature de la seconde moitié du xixe siècle, dont Sartre s’attachait alors, comme à l’a vu, à dénoncer la faute.

20Et pourtant, on l’a dit en commençant, Sartre consacrera ses dernières années de travail à ce même Flaubert, s’acharnant à écrire près de trois mille pages serrées pour répondre à cette simple question: «Que peut-on savoir d’un homme, aujourd’hui?» [25] Ce projet, dans lequel Sartre a investi le meilleur de son inventivité théorique, mais aussi toutes les ressources heuristiques que lui offrait la fiction biographique, trouve son origine dans son différend philosophique avec le marxisme orthodoxe: Roger Garaudy l’avait mis au défi de prouver la supériorité de la méthode existentialiste en l’appliquant à un cas; Sartre avait le choix entre Robespierre et Flaubert, et l’intellectuel «sur-engagé» qu’il était alors choisit le représentant du purisme esthétique plutôt que le révolutionnaire terroriste; quelques années plus tard, au lendemain de Mai 68, il devait encore confirmer ce choix: il s’était alors rapproché des militants maoïstes, qui lui enjoignaient d’écrire un grand roman populaire pour les masses; Sartre refusa tout net et revint à son «Flaubert», sur lequel il finira de s’abîmer les yeux.

21De cette obstination à traiter le cas Flaubert, Sartre donnera quelques raisons dans la préface à L’Idiot de la famille. Il confessera d’abord un remords: celui d’avoir eu «le sentiment d’un compte à régler avec lui» à la Libération, son «antipathie» s’étant depuis lors transformée en «empathie, seule attitude requise pour le comprendre» [26]. De ce point de vue, ce qui précède nous donne la clé de l’énigme: ce qu’il y a de commun entre Flaubert et Sartre, c’est que, par un hasard historique étrange, ils sont l’un et l’autre pourvus d’un héritage inutilisable, celui du romantisme; et Sartre voit en Flaubert ce qu’il a refusé d’être: l’écrivain du purisme et du ressentiment, l’artisan du style et de l’inutile.
Mais la seconde raison invoquée par Sartre, comme sans y toucher, est sans doute la plus fondamentale: «Flaubert, créateur du roman “moderne”, est au carrefour de tous nos problèmes littéraires d’aujourd’hui.» [27] Ce dernier mot en dit long: d’une part, c’est l’une des rares fois où Sartre a fait usage – et avec la précaution des guillemets – du terme «moderne» appliqué à la chose littéraire; d’autre part, c’est en tant que romancier que Flaubert retient ici son attention. Or, Sartre fait partie de ces auteurs du xxe siècle qui ont, profondément, identifié la littérature au seul genre romanesque. Quoi d’étonnant dès lors à voir Qu’est-ce que la littérature? consacrer l’éviction de la poésie? Et l’on comprend aussi, dans ces conditions, pourquoi Sartre a vu en Mallarmé le poète qui signe l’achèvement du règne historique de la poésie, libérant en quelque sorte la place pour le roman au siècle suivant. Mais que faire alors de Flaubert romancier et pourtant théoricien de l’art pour l’art? Autant Sartre pouvait comprendre, voire valider, le purisme esthétique de Baudelaire ou Mallarmé, parce qu’ils étaient poètes, autant celui de Flaubert, qui avait fait le choix du roman, lui restait partiellement impénétrable – voire: lui apparaissait comme un scandale. Avec l’auteur de Salammbô, c’est donc toute la question de l’usage du roman en régime de modernité qui se trouve posée: le quatrième tome de L’Idiot, consacré à Madame Bovary, aurait dû apporter sur ce point quelques réponses; faute d’avoir été écrit, il ne permet pas de conclure, ni voir comment Sartre aurait pu échapper au «cercle désenchanté» de la modernité. Jusqu’au bout, Flaubert aura opposé à Sartre une résistance, qui est peut-être celle de la littérature elle-même.
On serait ainsi tenté de conclure sur le constat d’une aporie: pendant près de trente ans, Sartre n’aura cessé de s’assimiler la littérature du xixe siècle, sans parvenir à la digérer complètement. Mais en même temps, en cherchant à s’en défaire, il la prolonge par bien des aspects: pour ne prendre qu’un exemple, tout son travail théorique, dont on n’a exposé ici qu’une faible partie, peut apparaître comme une vaste entreprise destinée à maintenir et rénover l’héritage critique du siècle précédent: qu’il s’agisse du rapport entre littérature et histoire, de la relation explicative entre l’homme et l’œuvre, de l’évaluation morale ou idéologique des textes, Sartre aura été fidèle aux principes critiques du xixe siècle et aura résisté, tout au long de son parcours, aux préceptes de la critique moderniste apparue à la Belle Époque avec Valéry pour se prolonger jusque dans le théoricisme des années 1960 et 1970. Au point qu’on pourrait renverser la perspective et se demander si ce que Sartre a détesté le plus dans le xixe siècle n’a pas été ce qu’il a produit au siècle suivant: l’anti-littérature surréaliste, le formalisme des avant-gardes romanesques, le désengagement critique des années d’après-guerre. En ce sens, s’il lui avait fallu désigner ce que fut l’âge d’or de la littérature française, Sartre aurait pu répondre en paraphrasant Gide: «Le dix-neuvième siècle, hélas.»

Notes

  • [1]
    Rappelons simplement cette formule célèbre, lâchée au cours d’une interview avec Jacqueline Piatier en 1964: «En face d’un enfant qui meurt, La Nausée ne fait pas le poids.» Voir Michel Contat et Michel Rybalka, Les Écrits de Sartre, Gallimard, 1980, p. 398 (64/405).
  • [2]
    Jean-Paul Sartre, Les Mots, Gallimard, coll. «Folio», 1972, p. 22.
  • [3]
    Ibid., p. 35.
  • [4]
    Ibid., p. 57.
  • [5]
    Jean-Paul Sartre, Carnets de la drôle de guerre, texte établi et annoté par Arlette Elkaïm-Sartre, Gallimard, 1995, p. 214.
  • [6]
    Jean-Paul Sartre, Qu’est-ce que la littérature?, Gallimard, coll. «Folio-essai» 1985, p. 151.
  • [7]
    Les fragments conservés de ce travail seront publiés sous le titre: Mallarmé, la lucidité et sa face d’ombre, texte établi et annoté par Arlette Elkaïm-Sartre, Gallimard, coll. «Arcades», 1986.
  • [8]
    Sartre a toujours été réticent à employer ce terme. Significativement d’ailleurs, il n’apparaît pas parmi les entrées du récent Dictionnaire Sartre, dirigé par François Noudelmann et Gilles Philippe (Honoré Champion, 2004).
  • [9]
    Les Mots, ouvr. cité, p. 54.
  • [10]
    Sur le cas particulier de Stendhal, auteur-fétiche de Sartre, on se reportera à l’excellente étude de Jean-François Louette: «Stendhal ou le refuge perdu de Jean-Paul Sartre», dans Silences de Sartre, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, coll. «Cribles», 1995, p. 271-291 (éd. revue et augmentée, 2002).
  • [11]
    «Hugo, sans doute, a eu la rare fortune de pénétrer partout; c’est un des seuls, peut-être le seul de nos écrivains qui soit vraiment populaire.» (Qu’est-ce que la littérature?, ouvr. cité, p. 126)
  • [12]
    Jean-Paul Sartre, «Autoportrait à soixante-dix ans», dans Situations, X, Gallimard, 1976, p. 195.
  • [13]
    Les Mots, ouvr. cité, p. 146.
  • [14]
    Jean-Paul Sartre, L’Idiot de la famille. Gustave Flaubert de 1821 à 1857, t. III, Gallimard, coll. «Bibliothèque de Philosophie», 1988, p. 380.
  • [15]
    Ceci résume à gros traits la thèse défendue par Sartre dans son Baudelaire (1947), que nous n’avons pas le temps de détailler ici.
  • [16]
    On notera sur ce point, la proximité des conclusions de Sartre avec celles de Paul Bénichou dans Le Sacre de l’écrivain (1973) et L’École du désenchantement (1992), quoique les voies pour y parvenir soient profondément opposées.
  • [17]
    Mallarmé, ouvr. cité, p. 15.
  • [18]
    Jean-Paul Sartre, «Les écrivains en personne» (interview avec M. Chapsal), dans Situations, IX, Gallimard, p. 14-15.
  • [19]
    Mallarmé, ouvr. cité, p. 83 et p. 163.
  • [20]
    Le texte est disponible dans: Jean-Paul Sartre, Écrits de jeunesse, édition établie et annotée par Michel Contat et Michel Rybalka, Gallimard, 1990, p. 60-135. On consultera avec profit la «Notice» de ce texte, p. 51-59.
  • [21]
    Jésus la Chouette, ouvr. cité, p. 134.
  • [22]
    «“Ah! disait mon grand-père, ce n’est pas tout que d’avoir des yeux, il faut apprendre à s’en servir. Sais-tu ce que faisais Flaubert quand Maupassant était petit? Il l’installait devant un arbre et lui donnait deux heures pour le décrire.” J’appris donc à voir.» (Jean-Paul Sartre, Les Mots, Gallimard, coll. «Folio», 1972, p. 131) Voir également l’annotation de ce passage, dans Jean-Paul Sartre, Œuvres romanesques, édition établie par Michel Contat et Michel Rybalka, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 1981, p. 1783-1784.
  • [23]
    Jean-Paul Sartre, La Nausée, dans Œuvres romanesques, ouvr. cité, p. 210.
  • [24]
    Jean-Paul Sartre, «Présentation des Temps Modernes», Les Temps Modernes, n° 1, 1er octobre 1945; repris dans Situations, II, Gallimard, 1947, p. 13.
  • [25]
    Jean-Paul Sartre, «Préface», L’Idiot de la famille, t. I, ouvr. cité, p. 7.
  • [26]
    Ibid., p. 8.
  • [27]
    Ibid.
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