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Article de revue

Prise en soins des patients avec un traumatisme crânien : quelles rééducations cognitives ? Comment s’adapter ?

Pages 279 à 287

Introduction

1La rééducation cognitive après un traumatisme crânien (TC) grave peut se décliner selon plusieurs approches :

  • cognitive, avec un travail sur les processus, posant aux rééducateurs la question de la généralisation et du transfert des acquis dans les activités de la vie quotidienne ;
  • pragmatique, centrée sur des tâches plus écologiques selon des objectifs de la vie quotidienne propres à chaque patient ;
  • holistique, très globale, immergeant le patient dans un milieu thérapeutique propice à la « reconstruction » où la question de la réinsertion sociofamiliale et professionnelle est centrale.

2Différentes modalités de rééducation peuvent ainsi s’articuler au sein du parcours de soins des personnes présentant un TC, nécessitant un travail de coordination entre les professionnels des structures des secteurs sanitaire et médicosocial.

La rééducation cognitive : les grands principes

3Le TC sévère entraîne des séquelles quasi systématiques, mais d’intensité et d’expressions cliniques variables. Les atteintes cognitives peuvent toucher des champs variés [1] tels que ceux de la mémoire, de l’attention et des fonctions exécutives qui nécessitent une prise en soins spécifique, élément d’un parcours complexe. Dans cette première partie, nous développerons des exemples de rééducation cognitive chez les patients traumatisés crâniens.

4Dans les services de suite et réadaptation du système nerveux, la première étape d’une prise en soins cognitive est le bilan neuropsychologique, réalisable en dehors de la période d’amnésie post-traumatique (APT). Cette évaluation doit s’adapter aux limites du patient, notamment sur le plan visuel, moteur ou langagier, d’où l’importance des échanges pluridisciplinaires. Les épreuves utilisées sont normées, plus ou moins écologiques, et des informations cliniques sont également recueillies par l’observation et l’entretien. L’objectif du bilan neuropsychologique est d’identifier la nature et la gravité des troubles, d’orienter la rééducation en listant les fonctions préservées et altérées, de connaître la perception du patient et de l’entourage sur les difficultés et de les aider à mieux comprendre leurs répercussions au quotidien. Les liens entre les troubles, notamment les troubles comportementaux, et la lésion cérébrale ne sont toujours évidents pour des néophytes. La rééducation cognitive survient dans un second temps et se base à la fois sur les principes de plasticité cérébrale et de vicariance selon lesquels une zone cérébrale reprend la fonction de sa voisine altérée, mais aussi sur l’adaptation de l’environnement à la personne. Dans cette présentation résumée de la rééducation cognitive, nous distinguerons trois grands axes : la restauration, la facilitation/réorganisation et la mise en place d’aides externes.

Restauration des fonctions altérées

5La restauration des fonctions altérées vise l’amélioration des capacités par un réentraînement spécifique et intensif, souvent présenté sous forme d’exercices dits « papier-crayon », de difficulté croissante. Si l’expérience et la littérature montrent l’inefficacité de cette technique pour les troubles de mémoire épisodique [2], elle a toutefois fait ses preuves dans d’autres domaines cognitifs. Il existe ainsi un nombre important de protocoles qui permettent de rééduquer la mémoire de travail et/ou les fonctions attentionnelles. De nombreux recueils sont utilisés en clinique : le matériel « rééducation de la mémoire de travail » de Claire Vallat-Azouvi [3], le cogit’action d’Aunay-sur-Odon [4], les livres Une oreille très attentive d’Annick Moulinier [5], Attention et mémoire de Magalie Bouchet et Corinne Boutard [6] et Mémoire de travail de Peggy Gatignol et Nathaly Joyeux [7]. Pour les troubles des fonctions exécutives, le processus de restauration passe aussi par des exercices mobilisant ces fonctions, tels que le réentraînement à la résolution de problème (ou problem solving training [PST]) ou bien du matériel édité comme Jeux au carrefour du langage et des fonctions exécutives de Pascale Célérier [8]. Notons également que de nombreuses équipes fabriquent leur propre matériel rééducatif en fonction des ateliers qu’elles souhaitent mettre en place, à l’image de « Jeux m’adapte », conçu au centre hospitalier d’Aunay-sur-Odon pour travailler les fonctions exécutives en groupe (figure 1).

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« Jeux m’adapte » : outil de rééducation des fonctions exécutives créé dans le service de rééducation d’Aunay-sur-Odon (en cours de validation).

Procédés de facilitation/réorganisation

6Les procédés de facilitation/réorganisation consistent à utiliser les capacités résiduelles pour faciliter un nouvel encodage ou comportement souhaité. Ces techniques sont efficaces dans la rééducation de la mémoire épisodique, le groupe d’experts INCOG en 2014 [9] recommande d’ailleurs leur utilisation. On peut citer en exemple de facilitation la méthode PQRST [10], l’utilisation de l’imagerie mentale qui permet le renforcement des procédures d’encodage, en utilisant les capacités visuelles souvent mieux préservées (technique visage-nom, méthode des lieux) [11], mais aussi les techniques d’estompage, d’apprentissage sans erreur [12] et l’usage de moyens mnémotechniques. Ces processus se basent généralement sur la préservation de la mémoire procédurale, afin d’automatiser une nouvelle connaissance. Ils sont adaptés aux troubles massifs car la mémoire procédurale est souvent préservée. Concernant les fonctions exécutives, la réorganisation s’appuie par exemple sur des stratégies de verbalisation (comme lorsqu’une comptine permet de retenir un script) ou sur des procédures de conditionnement comportemental (self-monitoring) [13]. Enfin, dans les cas un peu plus sévères, il est conseillé de favoriser les routines, surtout chez les patients désorganisés et/ou apathiques.

Mise en place des aides externes

7La mise en place des aides externes se fait souvent en collaboration avec les collègues ergothérapeutes. Il s’agit de moyens de compensation servant à aménager l’environnement pour réduire l’impact des déficits sur la vie quotidienne, y compris en cas de troubles sévères [14]. Ces aides sont très utilisées pour pallier les troubles de mémoire épisodique, pour lesquels nous pouvons citer les carnets mémoire, les agendas, les alarmes, l’indiçage visuel, etc. Il est primordial que ces outils soient personnalisés et adaptés aux habitudes et modes de vie de la personne qui les utilise. Pour les troubles attentionnels et de mémoire de travail, nous pouvons conseiller de privilégier un environnement calme pour les activités, à l’abri des interférences. Quant aux aménagements destinés à pallier les troubles exécutifs, ils peuvent prendre la forme de plannings à la journée/semaine, d’agendas, de scripts et check-lists, etc. Les professionnels qui mettent en place ces outils insistent pour que la famille s’investisse et participe à leur automatisation (l’apprentissage préalable nécessaire pouvant être long et fastidieux pour les patients). Ils mettent en avant également le caractère « normal » de la plupart de ces aides, utilisées par beaucoup de personnes sans lésion cérébrale, afin de faciliter leur acceptation.

8Le champ de la rééducation cognitive est un territoire bien trop vaste pour être détaillé de manière exhaustive. Cette première partie a pour but d’illustrer des axes de travail que nous pouvons retrouver en service de rééducation neurologique où, quel que soit le moyen mis en œuvre, le temps reste un élément primordial de la récupération. Cependant, un des freins à la rééducation demeure l’anosognosie, difficile à rééduquer dans une approche purement cognitive. De même, certains troubles comportementaux, parfois limités dans le contexte hospitalier, structuré et routinier, deviennent invalidants dans la vie ordinaire.

Expérience clinique d’une prise en soins holistique

9Lors du retour à domicile, les situations d’échec se multiplient dans différents aspects de la vie, puisque les séquelles affectent de nombreuses dimensions : cognitives, comportementales, émotionnelles, psychopathologiques, relationnelles, physiques. Pour mieux appréhender ces déficiences multifactorielles, certains auteurs [15] recommandent aux rééducateurs une approche holistique centrée sur la personne, mais avec une vision multimodale. La rééducation neuropsychologique holistique se singularise davantage par une philosophie de soin et un positionnement de l’équipe spécifiques, que par les outils utilisés. Ses grands principes reposent sur une prise en soins de la personne dans son intégralité et dans son unicité visant à améliorer son état de santé, considéré dans un sens très large comprenant les aspects physiques, cognitifs, psychologiques, relationnels et sociaux. Cette prise en charge multimodale vise bien évidemment à restituer à la personne son autonomie, mais aussi lui permettre de retrouver un sentiment d’identité fort, conforme à ses attentes et à celles de ses proches, à travers la restauration d’une image de soi positive. L’objectif ultime est d’élaborer un projet réaliste qui permettra l’accès à une qualité de vie satisfaisante. Les moyens thérapeutiques pour y parvenir reposent sur l’interaction de plusieurs méthodes : la rééducation cognitive, la psychoéducation, la psychothérapie et la rééducation motrice, pratiquées au sein d’un « environnement ordonné » [16], c’est-à-dire un milieu thérapeutique cadré, prévisible, structuré et rassurant, où prédomine le travail en groupe. Ben-Yishay et Prigatano, dans les années 1980, aux États-Unis, ont construit des programmes de rééducation neuropsychologique de type holistique [17, 18]. Afin d’illustrer ce type de prise en soins, nous présentons, dans cette seconde partie, le fonctionnement de l’hôpital de jour (HDJ) du centre hospitalier d’Aunay-sur-Odon où nous accueillons des personnes victimes d’un TC sévère.

Communauté thérapeutique

10Conformément aux recommandations de l’approche neuropsychologique holistique, la rééducation à l’HDJ se déroule principalement en groupe composé de patients et de thérapeutes, et quelquefois d’aidants. Nous agissons de sorte que ce groupe forme une communauté thérapeutique au sens de Ben-Yishay [19], c’est-à-dire un milieu thérapeutique ordonné favorisant la reconstruction identitaire. Cette communauté thérapeutique est un véritable outil pour la rééducation car elle offre un cadre structurant et sécuritaire avec une unité de temps et de lieu où peut se développer un sentiment d’appartenance à travers un vécu, une culture, des valeurs, et un sort communs. Notre rôle de thérapeute consiste, pour chaque nouvel arrivant, à favoriser son affiliation aux personnes formant ce groupe, avec lesquelles il partage des caractéristiques personnelles et des expériences de vie communes (troubles cognitifs, comportementaux et émotionnels, vécu de l’accident et de ses conséquences, perte de l’estime de soi, recherche identitaire, etc.). Cette affiliation permet l’activation de processus d’identification par effet miroir et aide ainsi à la prise de conscience des troubles, prérequis indispensable pour l’adhésion à la rééducation. Les feedbacks des pairs participent beaucoup au développement des capacités de métacognition et aident à contourner les résistances psychodynamiques. En effet, leurs remarques, principalement sur les troubles du comportement, sont généralement mieux acceptées que celles émises par les thérapeutes ou la famille.

11Ce milieu thérapeutique agit également comme une microsociété où le patient peut réinvestir une identité sociale avec un rôle propre. L’équipe doit maintenir une interactivité et une communication partagée où chacun retrouve une liberté d’expression, favorisant l’affirmation de soi. Nous sommes vigilants face aux sentiments sociaux tels que l’amitié, la complicité, le soutien, l’entraide, l’émulation, mais aussi les rivalités, les conflits, etc. qui se tissent naturellement entre les membres du groupe. En effet, du fait des perturbations de l’inhibition ou de la cognition sociale, ces sentiments, même positifs, peuvent entraîner des comportements inadaptés parfois difficiles à maîtriser, mais que nous pouvons alors réguler et expérimenter les transferts des stratégies d’adaptation.

12Le groupe de patients est composé de 15 personnes présentant des lésions cérébrales acquises, après un TC, mais aussi après un AVC, une tumeur, une anoxie… Il s’agit d’un groupe ouvert avec des entrées et sorties en permanence. Ce groupe est très hétérogène, au niveau des données personnelles (niveau socioculturel, âge, sexe…), des troubles (étiologie, nature, sévérité), de la distance par rapport à la lésion, de la conscience des troubles, des étapes de deuil, de l’acquisition des capacités d’adaptation et de l’avancement du projet socioprofessionnel. Cette hétérogénéité peut entraîner une certaine difficulté pour l’équipe dans la gestion du groupe et des activités. Cependant, elle est aussi source de richesse pour les échanges d’expériences, pour faciliter les identifications positives, le développement de la métacognition, la motivation, l’acceptation des moyens de compensation, le travail de deuil et la projection dans l’avenir.

13L’équipe pluridisciplinaire de thérapeutes (kinésithérapeute, animateur sportif, ergothérapeute, orthophoniste, diététicienne, assistante sociale, psychologue spécialisée en neuropsychologie, médecin de médecine physique et de rééducation [MPR], aide-soignante, secrétaire) vise à maintenir la cohérence de groupe, la circulation de la communication et offre un étayage psychologique. Tous travaillent dans l’objectif du groupe tout en soutenant l’objectif individuel. L’encadrement des groupes se fait en binôme variant selon le sujet traité. Par exemple, les ateliers autour de la nutrition sont animés par la diététicienne accompagnée de l’ergothérapeute pour l’équilibre alimentaire des repas, l’animateur sportif pour le lien entre régulation du poids et activités physiques, l’orthophoniste pour la déglutition, la psychologue pour les conduites addictives, etc.

14Chaque thérapeute spécialisé dans un domaine propose également des séances individuelles de rééducation et d’accompagnement.

Alliance thérapeutique forte

15Cette équipe veille également à établir et maintenir une alliance thérapeutique forte, autre levier pour l’adhésion à la rééducation et pour l’évolution vers une reconstruction [20]. Ainsi, nous avons réfléchi à un protocole d’accueil favorisant la mise en place de cette alliance thérapeutique. Cet accueil débute par un premier entretien entre le patient, ses aidants et le médecin MPR, afin de déterminer les objectifs de la prise en soins. Cet entretien permet de situer le patient et sa famille dans leur prise de conscience des troubles et de relever les éventuels freins psychologiques pour s’engager dans la rééducation. Il s’agit souvent, face à l’anosognosie et aux résistances envers l’HDJ, d’un véritable travail motivationnel. Ensuite, le patient et ses aidants sont reçus par le thérapeute référent, personne ressource qui accompagnera le patient et ses aidants pendant toute la durée de l’hospitalisation. Au cours de cet entretien inaugural, il va lui présenter le cadre de l’HDJ : les jours de présence et les horaires, le règlement intérieur, la présentation des ateliers et de l’emploi du temps. Il se termine par une visite des locaux et une prise de contact avec les membres de l’équipe et le groupe de pairs. Des questionnaires sont également remis afin de repérer les difficultés cognitives et comportementales dans le quotidien et ainsi nous renseigner sur la conscience du patient et de l’aidant des troubles neuropsychologiques.

16Au cours de cet entretien avec le référent, l’accent est mis sur l’autonomisation, selon le principe de l’approche holistique de replacer le patient dans une position d’acteur généralement diminuée depuis son état de dépendance en phase aiguë et la présence des troubles cognitifs. Il est ainsi demandé au patient de gérer ses transports, ses absences, ses rendez-vous mensuels avec le référent, ses renouvellements de séances et de s’inscrire aux différents ateliers. Chaque patient compose son programme d’une semaine sur l’autre en choisissant les ateliers dont il a besoin, sous supervision d’un thérapeute qui veille à la pertinence de ses choix en fonction des troubles. Si certains ajustements sont nécessaires, du fait de l’anosognosie ou d’un manque de motivation, ils sont alors discutés en entretien individuel avec le référent.

17Les ateliers de groupe proposés s’articulent autour des piliers de l’approche holistique : la rééducation cognitive, la psychoéducation, les approches psychothérapeutiques et l’activité physique.

Rééducation cognitive

18Les séances de rééducation cognitive ont pour objectif, soit de restaurer la fonction altérée (attention, mémoire, fonctions exécutives, cognition sociale, communication…), soit de proposer des moyens de compensation, à travers des ateliers de groupe variant les supports et les outils. Nous essayons d’avoir une approche la plus écologique possible, répondant aux intérêts de chacun. Ainsi, un atelier de création a lieu chaque semaine. Il mobilise les différentes fonctions cognitives dans une activité concrète, souvent manuelle, choisie par le patient. Les thérapeutes mettent tout en œuvre pour qu’elle soit réussie et soit donc la plus gratifiante possible. Dans la même optique, nous favorisons les projets ouverts sur l’extérieur de plus grande envergure (visite de lieux culturels, participations à des événements sportifs, sorties récréatives, etc.) sollicitant particulièrement les fonctions exécutives (planification, prise d’initiatives) à travers la construction collective de ce projet.

Psychoéducation

19Parallèlement, nous proposons des séances collectives de psychoéducation qui permettent au patient de mieux comprendre ses troubles et ainsi être mieux armé pour y faire face. Cette psychoéducation contribue à lever l’anosognosie grâce aux témoignages de certains patients. Nous proposons donc différents thèmes : fonctionnement du cerveau, les lésions cérébrales et leurs conséquences neuropsychologiques, psychoaffectives, relationnelles, etc. Il nous paraît intéressant que les patients puissent faire le lien entre leurs lésions cérébrales et leurs déficiences dans la vie quotidienne. Si ce lien est facilement réalisé pour des troubles moteurs ou du langage, il l’est beaucoup moins pour le handicap invisible et en particulier le dysfonctionnement exécutif comportemental ou les troubles de la cognition sociale fortement intriqués avec les traits de personnalité antérieurs. Nous proposons également, selon les besoins de certains patients, de participer à des ateliers d’éducation thérapeutique sur les troubles cognitifs qui nous permettent, entre autres, de mieux intégrer les aidants.

Ateliers psychothérapeutiques

20Conjointement à ces approches de rééducation cognitive et éducative, nous proposons de nombreux ateliers psychothérapeutiques qui ont pour finalité d’accompagner les patients dans leur évolution psychodynamique vers une restauration identitaire positive. Ces ateliers offrent la possibilité d’exprimer les difficultés, les souffrances psychoaffectives, de participer au travail de deuil en mobilisant les capacités d’adaptation et de dépasser les résistances au changement. Les paroles des pairs plus expérimentés sont une aide précieuse pour les nouveaux. Beaucoup de patients témoignent du rôle primordial de ces groupes dans leur évolution psychologique, l’acceptation de stratégies palliatives et dans l’identification de leurs ressources personnelles et environnementales. Selon les besoins du groupe, nous traitons différents sujets comme la perte de permanence de soi (cassure dans l’histoire de vie, perte de repères identitaires), la difficulté à intégrer le TC dans son espace psychique, les atteintes narcissiques, les modifications du lien et le bouleversement des rôles familiaux, la perte des haubans sociaux, la décompensation de problématiques psychoaffectives antérieures et parfois les décompensations psychiatriques qui peuvent survenir au décours de l’évolution du patient ou encore les facteurs favorisant la résilience et l’adaptation et permettant de restaurer l’estime de soi.

Activités motrices

21Enfin, dans notre conception d’une approche globale de la personne, il nous semble primordial d’accorder une place importante aux activités motrices. Les objectifs sont de rééduquer les fonctions déficitaires, de (re)donner le goût à l’activité physique, afin de limiter les facteurs de risques cardiovasculaires et surtout contribuer à un bien-être global grâce aux bénéfices connus de l’activité physique sur le corps, la cognition et le psychisme [21]. Ces activités physiques varient en fonction des besoins et des envies du groupe. Toutefois, chaque jeudi commence par une marche thérapeutique d’une heure, organisée au préalable par un patient qui guidera le groupe. Nous avons également intégré dans notre programme des séances de relaxation chaque jour après le repas. L’objectif de ces séances est de faire prendre conscience au patient de la nécessité de s’accorder un temps de pause, indispensable vu la fatigabilité, et lui apprendre à mieux gérer la fatigue. Outre cette fonction de repos, nous espérons permettre au patient de se saisir de cet outil pour mieux faire face au stress et à l’anxiété et avoir également un meilleur contrôle émotionnel et comportemental. De plus, la relaxation permet de se situer dans l’instant présent, « l’ici et le maintenant », espace-temps difficile à atteindre pour ces patients qui se situent davantage dans le passé ou l’avenir. Cet outil permet également de retrouver un lien positif avec son corps, souvent affecté par ces pathologies, se le réapproprier tel qu’il est devenu, retrouver une certaine unité. Elle a aussi un effet non négligeable sur la maîtrise de la douleur.

22La prise en soins proposée dans notre HDJ respecte donc les recommandations de la conférence de consensus américaine de 1994, déjà citée. En effet, une équipe pluridisciplinaire propose de la rééducation cognitive, un accompagnement psychologique et s’intéresse au contexte socio-environnemental du patient, au sein d’une communauté thérapeutique où se crée une alliance entre l’équipe, le patient et son entourage. Toutefois, l’accompagnement des aidants reste un des points faibles de notre programme. Une des raisons est certainement la jeunesse de notre population, avec des aidants toujours en activité professionnelle, donc peu disponibles, d’autant plus qu’à cette étape du parcours de soin, ils ont parfois besoin de se distancier afin de réinvestir leur vie personnelle.

Cadre et place de la rééducation au sein du parcours de soins des traumatisés crâniens

23La rééducation est essentielle au sein du parcours de soins des traumatisés crâniens. Au-delà de l’amélioration du fonctionnement cognitif devenu déficitaire, la rééducation doit améliorer les conditions de vie du patient et limiter au maximum le handicap qui en résulte dans sa vie personnelle, quotidienne, familiale, sociale, voire professionnelle [22]. Ainsi, la rééducation a un cadre spécifique : elle est précédée et suivie d’évaluations analytiques et écologiques, réalisée selon des protocoles inspirés des études rapportées dans la littérature scientifique, basée sur la complémentarité des approches cognitive, écologique et holistique. Elle s’adapte à l’évolution propre de chaque patient et est indissociable de son évolution psychologique. Cependant, la rééducation ne prend son sens que lorsqu’elle entre dans le cadre d’un projet thérapeutique global c’est-à-dire l’élaboration d’un nouveau projet de vie prenant en compte les limitations d’activités et les restrictions de participation et s’inscrivant dans la durée. La construction d’un tel projet requiert d’avoir recours à des professionnels formés à la prise en charge des personnes victimes d’un TC, aptes à mettre en place différentes approches rééducatives et réadaptatives, à faire des propositions d’accompagnement pour la réinsertion, avec une connaissance des ressources territoriales et/ou régionales, assurant une coordination du parcours, en particulier avec la ville, et une continuité de la prise en soins toute la vie [23]. Ce projet s’élabore au sein d’un parcours de soins qui reste complexe et nécessite une coordination importante. Les différentes étapes du parcours de soins des traumatisés crâniens ont été décrites dans la circulaire DGOS du 18 juin 2004 [24], par la Société française de médecine physique et réadaptation (Sofmer) et la Fédération française de médecine physique et réadaptation (Fedmer) en 2012 [25] et complétées par le rapport de la mission interministérielle rédigé en 2010 par le professeur Pradat-Diehl [26]. Dans ce parcours, quatre grandes étapes sont identifiées, avec leurs enjeux et les points de vigilance pour éviter les ruptures (figure 2).

Figure 2

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Figure 2

Le parcours de soins des traumatisés crâniens. SSR : service de soins de suite et réadaptation ; MPR : médecine physique et réadaptation ; HTC : hospitalisation à temps complet ; HDJ : hospitalisation de jour ; RAD : retour à domicile.

24Les besoins d’une rééducation cadrée au sein d’un parcours de soins coordonné sont en lien direct avec la spécificité de la population des traumatisés crâniens. Ainsi, les études épidémiologiques [27] rapportent une forte proportion d’adultes jeunes, sans pathologie préalable et donc peu suivis en médecine de ville, avec des séquelles, essentiellement cognitivo-comportementales souvent sous-estimées. Ces séquelles peuvent limiter les actes simples de la vie quotidienne ou uniquement les actes complexes (s’exprimant particulièrement lors de la reprise professionnelle), ces blessés constituent donc une population hétérogène. De plus, les troubles du comportement associent des composantes cognitives, psychologiques et psychiatriques nécessitant l’intervention de nombreux intervenants. Enfin, l’évolution spontanée associée à la rééducation est moins stable qu’après un AVC, le suivi doit souvent être prolongé au-delà de la phase de rééducation faisant suite immédiatement à l’accident.

25La prise en charge de cette population requiert donc des établissements organisés, équipés et mobilisés à la phase aiguë ou en rééducation, avec des SSR « hautement spécialisés » (SSR « système nerveux » avec des compétences spécifiques supplémentaires) qui travaillent en coordination avec les secteurs sanitaire et médicosocial.

26La Sofmer et la Fedmer ont décrit le parcours de soins des patients adultes après TC grave et trois catégories de patients classés selon leurs scores à la Glasgow Outcome Scale (GOS) ont été identifiées. Une première catégorie de patients correspond à des patients GOS I ou II. Ces patients se réveillent rapidement en « service d’aigu », ont possiblement des troubles cognitifs et comportementaux modérés et sont autonomes pour la marche. Si leur évolution est souvent rapidement favorable, avec un retour rapide à domicile, l’identification des besoins en rééducation est essentielle. Il s’agit là d’un point de vigilance très important puisque dans la cohorte Paris TBI, il a été noté que 20 % des personnes avec un TC grave retrouvaient directement leur domicile sans suivi organisé [28]. Si une rééducation est nécessaire, elle se déroule en secteur libéral, en HDJ ou en hospitalisation à domicile de rééducation. Il est essentiel que ces blessés soient orientés vers un réseau dédié ou suivis en consultation de MPR. D’autres orientations peuvent être prises en cas de difficultés supplémentaires (problèmes sociaux, troubles psychiatriques…).

27La seconde catégorie correspond à des patients, beaucoup plus nombreux, présentant des troubles cognitifs et comportementaux invalidants et/ou plusieurs déficiences associées avec cependant un potentiel de récupération et un projet de vie autonome envisageable. Ces patients doivent bénéficier d’une rééducation en hospitalisation à temps complet dans un service de SSR spécialisé « système nerveux » avec une prise en charge pluridisciplinaire centrée sur les troubles neuropsychologiques. Les points de vigilance sont ici : l’adressage du patient vers un service de SSR spécialisé, l’anticipation de la sortie avec la mise en place des relais nécessaires et l’inscription dans un suivi prolongé. Les professionnels devront adapter leurs propositions en cas de difficultés surajoutées. La troisième catégorie concerne le parcours des patients dont l’éveil reste incomplet, dont la prise en charge relève de structures spécifiques.

28À l’issue de l’hospitalisation en SSR, le patient retourne à son domicile ou intègre un lieu de vie substitutif (foyers d’accueil médicalisé, maisons d’accueil spécialisé ou appartements accompagnés). L’accueil en structure se fait au mieux dans des établissements disposant de places pour les personnes cérébrolésées, où ergothérapeutes et neuropsychologues interviennent conjointement aux rééducateurs libéraux (kinésithérapeutes, orthophonistes). En cas de retour à domicile, plusieurs types de structures médicosociales peuvent poursuivre l’accompagnement : service d’accompagnement à la vie sociale (SAVS) et service d’accompagnement médicosocial pour adultes handicapés (Samsah). Ces structures font intervenir des professionnels au domicile afin que le patient puisse accomplir son projet de vie et pour pérenniser ce retour à domicile (formation des aides à domicile, soutien des aidants, réinsertion sociale…). La rééducation, dans son approche pragmatique, prend souvent tout son sens face à un patient confronté à des difficultés dans son quotidien. Ainsi, des mises en situations sont réalisées et les stratégies de compensation ainsi que l’utilisation de moyens palliatifs (agenda, GPS…) sont développées.

29Enfin, l’intervention de structures d’insertion professionnelle, telles que les unités d’évaluation de réentraînement et d’orientation socioprofessionnelles (Ueros), est essentielle auprès de cette population des personnes cérébrolésées. Ces structures ont été créées expérimentalement en 1996 et consolidées par le décret de 2009 [29] qui définit ainsi leurs missions : évaluer les séquelles physiques et psychologiques, élaborer un programme transitionnel de réentraînement à la vie active (consolidation et développement des acquis/projet d’insertion sociale), fournir aux intéressés, à leurs familles, aux médecins traitants et aux maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) tout élément pour déterminer le niveau de handicap et l’orientation éventuelle, assurer un suivi individualisé du devenir et apporter son concours au réseau Cap Emploi. En 2019, on compte 32 Ueros en France et l’admission est faite sur notification de la MDPH. Le stage dure de trois à six mois, renouvelable une fois. L’équipe pluriprofessionnelle est organisée autour de quatre pôles d’activité : médical et paramédical, formation, social et insertion. Le suivi ultérieur est assuré soit par l’Ueros soit par un Samsah. La rééducation peut se poursuivre au sein de ces structures selon des modalités propres à chaque UEros, même très à distance du TC comme l’illustre le cas clinique rapporté par Claire Vallat-Azouvi [30].

30La coordination est essentielle de même que la connaissance par tous les professionnels des ressources territoriales tant sanitaires que médicosociales. Les outils de coordination multiples et disparates d’une région à l’autre s’articulent autour des avis des médecins MPR et l’utilisation du logiciel Trajectoire entre les services de la phase aiguë et de SSR, des réunions de synthèse pluriprofessionnelles réalisées en SSR et au sein des structures médicosociales, des staffs entre les professionnels des structures sanitaires et médicosociales pour éviter les ruptures de parcours, des temps partagés des professionnels entre les secteurs sanitaires et médicosociaux et des réseaux ou fonctions ressources présents dans certaines régions.

Conclusion

31La rééducation cognitive, quelle que soit la stratégie utilisée, a sa place tout au long du parcours de soin du patient victime d’un TC. Elle n’est pas dissociable d’une approche globale de la personne soignée, intégrant des dimensions psychologiques et sociofamiliales et visant à restaurer un sentiment d’identité fort et une qualité de vie satisfaisante tenant compte des déficiences du patient. La rééducation a des objectifs spécifiques qui prennent leur sens dans le cadre d’un projet thérapeutique centré sur la personne et ses aidants, au sein d’un parcours de soins souvent prolongé et nécessitant une réelle coordination. Les patients doivent développer des stratégies d’adaptation mais les professionnels doivent également s’adapter tout au long du parcours propre à chaque blessé.

Liens d’intérêt

32les auteures déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.

Bibliographie

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Mots-clés éditeurs : parcours de soins, approche holistique, traumatisme crânien, rééducation cognitive

Mise en ligne 19/12/2019

https://doi.org/10.1684/nrp.2019.0528

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