Introduction
1L’évaluation des fonctions exécutives constitue un des éléments essentiels du bilan neuropsychologique qu’il soit conduit dans un but de diagnostic (pathologies cérébrales focales et neurodégénératives) ou de revalidation [1, 2]. Dans une acception très générale, les fonctions exécutives renvoient à un ensemble de processus (d’inhibition, de planification, de flexibilité, de contrôle…) dont la fonction principale est de faciliter l’adaptation du sujet à des situations nouvelles. On considère qu’elles sont particulièrement recrutées lorsque les routines d’actions, ou les habiletés cognitives sur-apprises, ne sont pas suffisantes pour faire face à la situation [3, 4]. Les fonctions exécutives commencent donc précisément à l’endroit où l’activité du sujet requiert la mise en œuvre de processus contrôlés.
2 Différentes propositions théoriques existent quant au nombre et à la nature des processus exécutifs. Selon le modèle de Miyake et al. [5], trois processus distincts sont considérés comme importants : « la mise à jour » ou retrait/ajout rapide d’informations en mémoire de travail ; « la flexibilité » ou changement de tâche ou de contenu mental ; et « l’inhibition » ou blocage intentionnel de la production d’une réponse dominante. Plusieurs tests ont été construits dans le but de cerner sélectivement ces différents processus, même si, comme l’ont montré les travaux de Miyake et al., les tests classiques de neuropsychologie recrutent le plus souvent plusieurs processus différents à la fois. L’épreuve que nous présentons dans ce travail est un test permettant de mesurer les capacités de flexibilité du sujet.
3 Plusieurs tests de flexibilité sont utilisés en neuropsychologie et il est possible de les distinguer selon qu’il s’agit de flexibilité spontanée (fluences verbales et non verbales, usages inhabituels d’objets, etc.) ou de flexibilité réactive (Trail Making Test [TMT], Test d’évaluation de l’attention [TAP], flexibilité de Stroop). Parmi les tests de flexibilité réactive existants, il convient encore de les distinguer selon que la flexibilité concerne un changement de focus attentionnel sur la tâche ou un changement de focus sur les items. Ainsi, dans le TMT [6], qui est probablement l’un des tests de flexibilité réactive les plus utilisés, le focus attentionnel se déplace à chaque essai d’une catégorie d’items (les chiffres) à une autre (les lettres) dans une suite ascendante. La flexibilité porte donc sur les items, la flexibilité exigeant de déplacer à chaque essai le focus attentionnel en fonction de la nature des stimuli ; au contraire, la tâche du sujet – construire une suite ascendante – reste constante lettres/versus/chiffres. Dans le subtest « Flexibilité » de la batterie TAP [7], une lettre et un chiffre apparaissent simultanément à l’écran (à gauche et à droite d’une cible placée au centre de l’écran). Le sujet a pour tâche d’appuyer sur la touche réponse située du même côté que celui où apparaît l’item cible, à savoir, alternativement la lettre puis le chiffre, et ainsi de suite. L’endroit d’apparition des cibles est fixé dans un ordre pseudo-aléatoire. Ici, à nouveau, la flexibilité concerne l’alternance entre désigner la position du chiffre versus de la lettre entre les essais. Ces deux tests emblématiques sont couramment utilisés en clinique neuropsychologique, car ils sont simples d’utilisation, ils disposent de normes et sont sensibles à de nombreuses conditions pathologiques.
4Nous présentons l’Alphaflex, un test simple, qui peut être ajouté à l’arsenal des outils destinés à l’évaluation de la flexibilité mentale. Cette épreuve a d’abord été développée par l’un d’entre nous [1] lors de l’examen clinique au lit de patients, que l’on ne pouvait pas examiner plus longuement dans un bureau, afin de procéder à un examen rapide d’un aspect de leur capacité de flexibilité mentale. Comme le TMT, le test est composé de deux parties : une première partie qui demande au sujet de produire une routine verbale bien automatisée, c’est-à-dire, la récitation rapide mais clairement articulée de la suite complète des lettres de l’alphabet ; et une seconde partie dans laquelle le sujet doit à nouveau réciter l’alphabet à voix haute mais cette fois-ci en ne prononçant qu’une lettre sur deux (exemple : A … C … E). Dans cette seconde partie, le sujet doit alterner entre la production orale d’une lettre et la subvocalisation de la lettre suivante. Alors que le TMT demande d’alterner entre deux séries en mémoire, l’Alphaflex n’exige de la flexibilité qu’au niveau de la production de la réponse ; le sujet devant alternativement « émettre » ou « ne pas émettre » tout en progressant dans la suite des lettres. L’Alphaflex se range donc aussi dans la catégorie des tests de flexibilité réactive. Toutefois, le déplacement du focus attentionnel ne porte pas sur les stimuli mais bien sur l’activité du sujet, c’est donc davantage un test de flexibilité de tâches (ou de processus) plutôt qu’un test de flexibilité de contenu (ou d’items). Il nous paraît, au moins sur base d’une analyse a priori, être plus simple que les deux tests principaux de flexibilité réactive présentés ci-dessus. Un autre intérêt de l’Alphaflex réside dans le fait que sa passation n’exige aucun traitement visuel et aucune réponse motrice (hormis la production orale de la réponse). Par ailleurs, sa passation est rapide (environ trois minutes). L’Alphaflex est facile à administrer dans la mesure où les consignes sont simples et qu’il ne nécessite aucun matériel particulier, mis à part l’utilisation d’un chronomètre. Cette simplicité de consignes et de mesures permet de l’utiliser facilement dans divers contextes (ex. : bilan d’évaluation classique, hospitalisation, domicile). L’Alphaflex reposant sur une routine peu complexe et connue de tous les sujets lettrés, la maîtrise de l’alphabet étant acquise dès la première maternelle [8], il peut également être administré à de très nombreux patients. Cette séquence sur-apprise et automatisée devrait donc, comme les comptines ou les prières, bien résister aux effets liés à l’âge ou à l’apparition de pathologies neurodégénératives, ce qui peut rendre cet instrument utile auprès de ces populations.
5Dans ce contexte, l’objectif de cette étude est d’établir des scores normatifs pour l’Alphaflex sur une population de sujets âgés francophones non institutionnalisés et vivant en Belgique. Les normes de cet outil ont été calculées en tenant compte de l’âge et du niveau d’études des sujets, et sont exprimées en percentiles.
Méthodes
Participants
6Deux cent septante-sept personnes francophones âgées de 50 à 90 ans, vivant en Belgique ont participé à l’étude. Les participants ont été recrutés entre 2013 et 2015 parmi différents groupes, organisations sociales et culturelles belges (ex. : clubs de loisirs, universités du trosième âge), réseaux sociaux, ainsi que par le bouche-à-oreille. Les personnes vivant en institution ou présentant une déficience auditive non corrigée, des problèmes de santé majeurs ou des antécédents de troubles neuropsychologiques ou psychiatriques n’ont pas été incluses dans l’étude. Un formulaire de consentement éclairé a été signé par chacun des participants, leur précisant l’objectif de l’étude et leur indiquant qu’ils pouvaient à tout moment se retirer de l’étude sans justifier leur choix. Les procédures de recherche ont été examinées et approuvées par le comité éthique de l’université de Liège (référence du dossier : 1617-48).
7Les données recueillies comprenaient des informations sociodémographiques, un questionnaire de réserve cognitive reprenant le parcours de la vie de la personne (ex. : scolarité, loisirs et activité professionnelle) [9] et une évaluation neuropsychologique. L’ordre d’administration était le suivant : l’épreuve de rappel libre à 15 items [10], le TMT [6], les matrices de la WAIS-IV [11], l’Alphaflex, le test des fluences phonologiques et sémantiques [12], le test du Mill Hill [13]. L’entretien s’est déroulé au domicile de la personne ou dans un local de l’unité de psychologie de la sénescence de l’université de Liège.
Description de la tâche et consignes
8L’Alphaflex nécessite une feuille de papier (grille reprenant l’ordre d’énonciation des lettres ; voir annexe A ) et un chronomètre. Le test se décline en deux parties :
- dans la première partie de l’épreuve (Alphaflex-A, condition contrôle), il est demandé aux sujets de réciter l’alphabet le plus rapidement possible. Avant l’épreuve, un exemple reprenant les cinq premières lettres est donné par le clinicien. Les consignes suivantes sont fournies aux sujets : « Pouvez-vous réciter l’alphabet le plus rapidement possible, en prenant soin de bien articuler chacune des lettres de sorte qu’on puisse les identifier toutes facilement. Par exemple : A, B, C, D, E. Vous êtes prêt ? Allez-y ! » (lancer le chronomètre et l’arrêter après la prononciation de la dernière lettre “Z”) [2] ;
- dans la seconde partie (Alphaflex-B, condition flexibilité), il est demandé aux sujets d’énoncer une lettre sur deux (exemple : A … C … E). La consigne suivante est donnée : « À présent, nous allons réaliser la même tâche, à savoir : réciter l’alphabet le plus rapidement possible, excepté que vous ne devrez citer qu’une lettre sur deux, par exemple : A … C … E. Vous avez bien compris ? Vous êtes prêt ? Allez-y ! » (lancer le chronomètre et l’arrêter après la prononciation de la dernière lettre).
9Pour chacune des parties, la séquence d’énonciation, le temps de réalisation (secondes) ainsi que le nombre d’erreurs (omissions et persévérations) sont rapportés via le protocole en annexe A.
Variables analysées
10Les variables considérées dans les analyses sont les suivantes :
- le temps total (en seconde) de réalisation de chacune des parties A et B ;
- la différence entre le temps de passation de la partie A et de la partie B ;
- le nombre d’erreurs totales (persévérations et omissions) pour chaque partie ;
- la différence entre le total des erreurs des parties A et B.
Analyses des données
11Les analyses statistiques ont été réalisées à l’aide de la version 9.4 du système d’analyse statistique SAS (SAS Institute, Cary, Caroline du Nord). Le seuil de significativité est fixé à p < 0,05. Des analyses de régressions linéaires ont confirmé que l’âge et le nombre d’années d’études avaient un effet significatif sur les performances à l’Alphaflex. En revanche, aucun effet significatif du genre n’a été mis en évidence ( tableau 1). Par conséquent, deux groupes d’âges ont été établis en fonction de l’âge médian (50-64 ans, 65 ans et plus). Deux niveaux d’études ont également été considérés : inférieur ou égal à 12 ans d’études et supérieur à 12 ans d’études. Ce seuil a été choisi car il permet de stratifier l’effectif en deux groupes relativement équivalents.
Tableau 1
Tableau 1
Régressions linéaires simples des effets de l’âge, du nombre d’années d’études sur les performances à l’Alphaflex (n = 271).12De plus, étant donné que la majorité des distributions des scores ne suivaient pas une loi normale, nous avons utilisé les percentiles. La méthode des quantiles présente deux avantages principaux : celui d’être adapté aux paramètres ne suivant pas une loi normale, et celui de pouvoir aisément situer les performances d’un patient par rapport à celles obtenues par des sujets considérés comme normaux lors de l’évaluation. Le score au cinquième percentile, le score au dixième percentile, le score au premier quartile (25e percentile), la médiane et le score au troisième quartile (75e percentile) sont rapportés dans chacun des tableaux présentés ci-dessous. Le cinquième percentile est classiquement considéré comme étant le « seuil pathologique ». Ce dernier correspond au seuil en dessous duquel 5 % des participants ont obtenu les scores les plus faibles. Dans notre étude, le percentile 5 est donc considéré comme étant associé à de faibles performances. A contrario, le 75e percentile se réfère au seuil au-dessus duquel 25 % des participants ont obtenu les scores les plus élevés.
13Enfin, afin de tester la validité convergente entre l’Alphaflex et le TMT, des corrélations partielles, en ajustant sur l’âge et l’éducation, ont été réalisées [14]. Notons que Cohen [14] définit la taille d’effet des corrélations comme étant « faible ; r = 0,10 », « moyenne ; r = 0,24 », et « forte ; r = 0,37 ».
Résultats
14Afin de s’assurer de l’automatisation de l’alphabet, les participants ayant commis plus d’une erreur aux 13 premières lettres de l’Alphaflex-A (n = 6, soit 2,17 %) ont été exclus des analyses. L’échantillon était donc composé de 271 sujets. L’âge moyen de l’ensemble de l’échantillon d’étude était de 65,5 ans (écart-type = 8,6 ans) dont 52,4 % de sujets âgés entre 50-64 ans. Enfin, 49,8 % des sujets sont des femmes et 51,7 % d’entre eux ont un niveau scolaire supérieur au certificat d’enseignement secondaire supérieur. L’analyse des erreurs de l’Alphaflex-B montre que 48 % des participants commettent au moins une erreur (omissions et persévérations confondues), 22,9 % commettent uniquement des omissions, 12,2 % uniquement des persévérations et 12,9 % font à la fois des persévérations et omissions. Notons que seulement 7,8 % des sujets commettent au moins une erreur dans la partie A du test. Les caractéristiques de l’échantillon global et des deux classes d’âges se retrouvent respectivement dans les tableaux 2 et 3.
15Concernant la validité convergente, des corrélations significatives ont été mises en évidence entre le temps de réalisation du TMT A et celui de l’Alphaflex-A (r p = 0,20 ; p = 0,0009) et entre le temps de réalisation du TMT B et celui de l’Alphaflex-B (r p = 0,27 ; p < 0,0001). De même, l’indice différentiel du TMT (temps partie B-temps partie A) et celui de l’Alphaflex (temps partie B-temps partie A) montrent des corrélations significatives (r p = 0,14 ; p = 0,021). En ce qui concerne les erreurs, seules le nombre d’erreurs totales de l’Alphaflex-B et celui du TMT montrent des corrélations significatives (r p = 0,20 ; p = 0,001). Les corrélations entre le nombre d’erreurs totales dans la partie A du TMT et celui de l’Alphaflex-A (r p = 0,02 ; p = 0,71) ainsi que la différence entre le total des erreurs des parties A et B du TMT et de l’Alphaflex (r p = 0,07 ; p = 0,23) ne sont pas statistiquement significatives. Des analyses non paramétriques ont également été réalisées et les conclusions restent inchangées.
16Les données normatives sont présentées successivement dans les tableaux 4 à 7. Pour rappel, les normes ont été calculées en fonction de l’âge et du niveau d’éducation. Le tableau 4 présente la distribution des performances (temps d’exécution) aux deux parties de l’Alphaflex (A – condition contrôle et B – condition flexibilité). Le tableau 5 rapporte les normes relatives à la différence des temps d’exécution entre la partie A et la partie B du test. Le tableau 6 présente les scores normatifs concernant le nombre d’erreurs totales (persévérations et omissions) pour la partie A et la partie B de l’Alphaflex. Notons que le faible nombre d’erreurs totales dans notre échantillon ne permet pas de présenter les données normatives du nombre d’omissions et de persévérations. Le tableau 7 présente les normes de l’indice différentiel du nombre d’erreurs entre la partie B et A.
Tableau 2
Tableau 2
Descriptif général de l’échantillon global (n = 271).Discussion
17Les données récentes de la littérature suggèrent que l’efficacité des fonctions exécutives diminuerait particulièrement avec l’avancement en âge [2, 15]. À l’heure actuelle, les cliniciens disposent d’un nombre limité d’outils permettant de les évaluer, ce qui peut poser des difficultés lors de bilans d’évolution. En effet, la répétition des mêmes épreuves en diminue la dimension de nouveauté et, par conséquent, leur caractère exécutif. Dans cette étude, nous présentons un nouvel outil d’évaluation rapide et complémentaire à ceux existants, et sa standardisation. Les normes ont été établies à partir d’un échantillon de 271 personnes âgées de 50 ans et plus, vivant à domicile et ne présentant aucun trouble auditif majeur pouvant biaiser la passation de l’épreuve.
18 Les données normatives pour l’Alphaflex-A, l’Alphaflex-B et l’indice différentiel entre les deux ont été étalonnées en fonction de deux classes d’âges (50-64 ans et 65 et plus) et de deux niveaux d’études (≤ 12 ans et > 12 ans). L’étalonnage des normes sous forme de quantiles présente l’avantage d’être adapté, non seulement aux distributions suivant une loi normale mais aussi à celles ne la suivant pas. Les indicateurs permettront aux cliniciens de situer les performances des patients par rapport à celles d’un groupe de sujets, considérés comme « normaux », d’âges et de niveaux de scolarité équivalents.
19 Concernant le profil de performance aux différentes parties de l’Alphaflex, on observe au niveau descriptif des temps d’exécution dans les parties A et B plus rapides dans la catégorie d’éducation plus élevée (> 12 ans) et dans la classe d’âge 50-64 ans. On constate également que les temps pour réaliser la partie B du test s’avèrent nettement plus longs (minimum deux fois plus de temps) que ceux relatifs à la partie A. Cet allongement du temps, alors que la moitié des mots sont à prononcer, suggère bien que c’est le processus d’alternance entre « produire à voix haute » et « ne pas produire ou produire subvocalement » qui augmente la charge mentale, de même que l’obligation d’inhiber la routine verbale de production séquentielle et complète des lettres à voix haute. Cette asymétrie correspond bien à celles observées dans d’autres tâches qui comparent également une performance routinière à une performance qui s’en écarte selon certaines règles (comme dans le TMT ou le Hayling, par exemple) [16-18].
20Cette étude rapporte également des scores normatifs concernant le nombre d’erreurs totales pour les différentes parties du test. Comme nous pouvons l’observer dans le tableau 6, hormis les sujets plus âgés (65-90 ans) les moins performants, les participants ne commettent pas d’erreur dans la partie A du test. Elles sont plus nombreuses dans la partie B du test, cela surtout chez les sujets plus âgés et chez ceux présentant le plus faible niveau d’études.
Tableau 3
Tableau 3
Caractéristiques générales de l’échantillon pour l’étude des normes (n = 271).21Si l’Alphaflex présente quelques avantages cliniques (accessibilité à tous les niveaux socioculturels, support simple, etc.), cette étude comporte toutefois des limites qu’il convient de discuter.
22Premièrement, au niveau théorique, nous avons choisi de présenter l’Alphaflex parmi les tests de flexibilité : la différence entre les parties A et B du test consistant essentiellement dans l’ajout d’une variation dans la production de la réponse « émettre/non-émettre / émettre/non-émettre… ». Ainsi, comme pour le TMT où il a été montré que c’est la mesure de l’écart entre la partie A et la partie B qui est l’indicateur le plus fort de la flexibilité [19], on doit considérer que c’est aussi à ce niveau que s’exprime le mieux la composante de flexibilité. Ce commentaire n’exclut pas que d’autres composants exécutifs ne soient également concernés. Il est en effet légitime de postuler que l’Alphaflex comporte également :
- une composante inhibitrice afin que le sujet puisse bloquer la récitation de la série à voix haute pour passer en mode silencieux ;
- un facteur mémoire de travail pour contrôler le parcours ordonné de la série des lettres en mémoire.
23Le TMT présente également un caractère multidéterminé :
- une composante de mémoire de travail ayant été isolée pour les parties A et B ;
- selon une étude conduite par Amieva et al. [20], une composante inhibitrice serait notamment déterminante dans les difficultés présentées par les patients atteints de démence d’Alzheimer.
24À cet égard, le fait que l’Alphaflex soit significativement corrélé aux différentes mesures du TMT (sauf pour les erreurs dans la partie A et l’indice différentiel du nombre d’erreurs) renforce l’idée que les deux composants de flexibilité et d’inhibition interviennent également dans notre test. Précisons également qu’il est fort probable que les corrélations moyennes entre le TMT et l’Alphaflex, classiquement retrouvées dans toute comparaison entre tâches exécutives, pourraient s’expliquer par l’intervention de composantes non partagées et non exécutives : l’exploration visuospatiale pour le TMT, la production orale pour l’Alphaflex. En outre, si la composante mémoire de travail semble commune aux deux tâches, le niveau de complexité n’est pas comparable : alors que l’Alphaflex n’implique le maintien en mémoire que d’une seule série, le TMT exige d’en contrôler deux !
Tableau 4
Tableau 4
Temps de réalisation à l’Alphaflex-A et -B, en fonction de l’âge et du niveau d’études.Tableau 5
Tableau 5
Différence entre le temps de réalisation de la partie B et A (indice différentiel B-A), en fonction de l’âge et du niveau d’études.Tableau 6
Tableau 6
Nombre d’erreurs à l’Alphaflex-A et l’Alphaflex-B, en fonction de l’âge et du niveau d’études.Tableau 7
Tableau 7
Différence du nombre d’erreurs entre la partie B et A (indice différentiel B-A), en fonction de l’âge et du niveau d’études.25Sur base de ces éléments, la pratique de l’Alphaflex auprès de populations pathologiques pourra se révéler éclairante et les erreurs persévératives pourraient être révélatrices d’un déficit des processus inhibiteurs. Il pourrait également être intéressant – puisqu’il s’agit ici d’une inhibition de réponse (prepotent response inhibition) – de conduire une étude comparant les performances à l’Alphaflex avec des tâches de type go/no-go ou stop/signal[21]. Les erreurs conduisant à un décalage dans la série pourraient renvoyer à une diminution des ressources en mémoire de travail provoquée par l’ajout de l’opération de flexibilité. Toutefois, à partir de notre échantillon de sujets normaux, le nombre d’omissions et de persévérations n’est suffisant que pour procéder à leur analyse quantitative.
26Une deuxième limite majeure de notre étude réside probablement dans la taille de l’échantillon. En effet, la distribution des 271 sujets dans les différents groupes d’âges et niveaux d’études a pour conséquence de restreindre le nombre de participants dans certaines catégories. Cela ne nous permet donc pas de présenter l’estimation du percentile 1, ni de scinder l’échantillon en plus de deux catégories.
27 Une troisième limite possible de notre test est sa trop grande simplicité, même s’il apparaît sensible à l’âge, l’Alphaflex est bien réussi par une grande majorité de sujets. Il sera donc important de le confronter à une population clinique. En outre, bien que les modèles de régressions linéaires montrent que l’âge et le nombre d’années d’études influencent les performances au test, la part de variance expliquée par ceux-ci est néanmoins limitée. Ainsi, les variations des performances entre les différents groupes d’âges et de niveaux d’études sont minimes et reposent sur des effectifs faibles, ce qui explique une certaine imprécision. Selon le niveau d’études, on note une relative homogénéité des scores, ce qui justifie de se référer davantage aux distributions globales qui comprennent un plus grand nombre de sujets. La présentation des résultats selon le niveau d’études est donnée à titre indicatif pour aider les cliniciens à préciser l’interprétation des performances des sujets. Des études supplémentaires sur un échantillon plus large permettront d’affiner la distribution.
28 Étant donné que l’apprentissage de l’alphabet dépend des connaissances linguistiques et qu’il est fortement associé à la culture, nos résultats ne peuvent être généralisés aux populations n’ayant pas été scolarisées en français. Enfin, il convient de souligner l’influence potentielle de l’environnement et des conditions de passation de l’épreuve. La majorité des sujets ayant été évalués à domicile, et donc dans un contexte peu anxiogène, il se peut que les performances des sujets obtenues dans ce cadre soient surestimées par rapport à celles produites par des sujets consultant dans le cadre d’une consultation en clinique de la mémoire.
Conclusion
29L’Alphaflex est un outil clinique, simple et rapide, évaluant les capacités de flexibilité mentale d’un sujet. Ce test pourra aisément être proposé en consultation clinique ou au domicile de la personne. Ces données normatives permettront aux cliniciens d’objectiver des performances déficitaires chez des patients par rapport à des sujets normaux appartenant à la même classe d’âge et au même niveau d’étude. Dans le futur, il s’agira de reconduire cette étude sur une population de sujets plus jeunes et également d’évaluer la capacité de discrimination de cet outil auprès de populations cliniques susceptibles d’avoir des troubles des fonctions exécutives.
Ce projet a été initié lorsque le Dr. C. Grotz était soutenue par le BeIPD-COFUND Marie-Curie à l’université de Liège, cofinancé par l’Union européenne.
Liens d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.
Bibliographie
Références
- 1. Seron X., Van der Linden M.. Traité de neuropsychologie clinique de l’adulte : tome 1 – Évaluation. Paris : De Boeck Supérieur, 2014 .
- 2. Bherer L., Belleville S., Hudon C.. Le déclin des fonctions exécutives au cours du vieillissement normal, dans la maladie d’Alzheimer et dans la démence frontotemporale. Psychol Neuropsychiatr Vieill 2004 ; 2 : 181-9.
- 3. Shallice T.. Specific impairments of planning. Philos Trans R Soc Lond B Biol Sci 1982 ; 298 : 199-20.
- 4. Duncan J.. Disorganisation of behaviour after frontal lobe damage. Cogn Neuropsychol 1986 ; 3 : 271-90.
- 5. Miyake A., Friedman N.P., Emerson M.J., et al. The unity and diversity of executive functions and their contributions to complex “frontal lobe” tasks: a latent variable analysis. Cogn Psychol 2000 ; 41 : 49-100.
- 6. Reitan R.M.. Validity of the Trail Making Test as an indicator of organic brain damage. Percept Mot Skills 1958 ; 8 : 271-6.
- 7. Zimmermann P., Fimm B.. Test d’évaluation de l’attention (TAP 2.2). Herzogenrath, Germany : PsyTest, 2009 .
- 8. Lonigan C.J., Burgess S.R., Anthony J.L.. Development of emergent literacy and early reading skills in preschool children: evidence from a latent-variable longitudinal study. Dev Psychol 2000 ; 36 : 596-613.
- 9. Grotz C., Seron X., Van Wissen M., et al. How should proxies of cognitive reserve be evaluated in a population of healthy older adults?. Int Psychogeriatr 2017 ; 29 : 123-36.
- 10. Rectem D, Poitrenaud J, Coyette F, et al. Une épreuve de rappel libre à 15 items avec remémoration sélective (RLS-15). In : Van der Linden M, Adam S, Agniel A, et al., eds. L’évaluation des troubles de la mémoire : présentation de quatre tests de mémoire épisodique (avec leur étalonnage). Marseille : Solal, 2004 : 69-84..
- 11. Wechsler D.. WAIS-VI. Échelle d’intelligence de Wechsler pour adultes. , 4th éd. Paris : Les Éditions du Centre de psychologie appliquée, 2011 .
- 12. Godefroy O.. Fonctions exécutives et pathologies neurologiques et psychiatriques : évaluation en pratique clinique. Groupe de Boeck2008 .
- 13. Deltour J.. Échelle de vocabulaire Mill Hill de JC Raven : adaptation française et normes comparées du Mill Hill et du Standard Progressive Matrices (PM38). Manuel et Annexes. Braine le Château, Belgique : Application des techniques Modernes, 1993 .
- 14. Cohen J.. Statistical power analysis for the behavioral sciences. Hillsdale, NJ : Lawrence Erlbaum, 1988 .
- 15. Royall D.R., Lauterbach E.C., Cummings J.L., et al. Executive control function: a review of its promise and challenges for clinical research. A report from the Committee on Research of the American Neuropsychiatric Association. J Neuropsychiatry Clin Neurosci 2002 ; 14 : 377-405.
- 16. Amieva H., Le Goff M., Stoykova R., et al. Trail Making Test A et B (version sans correction des erreurs) : normes en population chez des sujets âgés, issues de l’étude des trois Cités. Rev Neuropsychol 2009 ; 1 : 210-2.
- 17. Tombaugh T.N.. Trail Making Test A and B: normative data stratified by age and education. Arch Clin Neuropsychol 2004 ; 19 : 203-14.
- 18. Bielak A.A., Mansueti L., Strauss E., et al. Performance on the Hayling and Brixton tests in older adults: norms and correlates. Arch Clin Neuropsychol 2006 ; 21 : 141-9.
- 19. Sanchez-Cubillo I., Perianez J., Adrover-Roig D., et al. Construct validity of the Trail Making Test: role of task-switching, working memory, inhibition/interference control, and visuomotor abilities. J Int Neuropsychol Soc 2009 ; 15 : 438-50.
- 20. Amieva H, Lafont S., Auriacombe S., et al. Analysis of error types in the Trail Making Test evidences an inhibitory deficit in dementia of the Alzheimer type. J Clin Exp Neuropsychol 1998 ; 20 : 280-5.
- 21. Friedman N.P., Miyake A.. The relations among inhibition and interference control functions: a latent-variable analysis. J Exp Psychol Gen 2004 ; 133 : 101-35.
Mots-clés éditeurs : fonctions exécutives, sujets âgés, normes, Alphaflex, sujets adultes
Date de mise en ligne : 25/06/2018.
https://doi.org/10.1684/nrp.2018.0462