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Article de revue

Fonctions exécutives, variations stratégiques et vieillissement

Pages 298 à 305

1Le vieillissement est connu pour entraîner un déclin des performances dans de nombreux domaines cognitifs [1]. Dans cet article, nous discutons les liens entre deux types de déclin, habituellement étudiés de manière séparée, à savoir l’évolution des variations stratégiques et des fonctions exécutives (FE). De nombreuses études ont montré que le vieillissement s’accompagne de modifications au niveau des stratégies utilisées pour accomplir une tâche [2]. Par ailleurs, de nombreuses recherches ont fait apparaître qu’au cours du vieillissement, l’efficacité des mécanismes de contrôle exécutif diminue significativement [3]. La question est alors de savoir si le déclin des mécanismes de contrôle exécutif peut être considéré comme responsable du déclin stratégique au cours du vieillissement. Les données discutées dans cet article suggèrent que c’est bien le cas. Dans un premier temps, nous rappelons brièvement les conclusions générales tirées des recherches relatives aux effets du vieillissement sur les variations stratégiques et les FE. Dans un deuxième temps, nous discutons les données les plus récentes ayant étudié le lien entre ces deux facteurs, au cours du vieillissement. Enfin, nous discutons les conséquences de ce type de liens pour réfléchir à des questions fondamentales en psychologie du vieillissement, comme le rôle des variations quantitatives versus qualitatives des performances avec l’âge, l’importance des différences interindividuelles, ou bien encore la mise en œuvre de mécanismes de compensation pour faire face au déclin cognitif associé au vieillissement.

Comment évoluent les fonctions exécutives et les variations stratégiques au cours du vieillissement cognitif ?

Vieillissement et fonctions exécutives

2Les FE (ou mécanismes de contrôle exécutif) sont définies de diverses manières dans la littérature. Ces définitions ont pour point commun de considérer les FE comme un ensemble de processus au service du contrôle et de la régulation de nos comportements [4]. Plusieurs taxonomies ont été proposées, la plus fréquemment utilisée étant celle défendue par Miyake et al. [4] distinguant la flexibilité (i.e., permettant d’alterner aisément entre plusieurs entités cognitives), l’inhibition (ou la capacité à empêcher l’exécution d’une action ou réponse dominante/automatique) et la mise à jour (permettant de réactualiser le contenu de la mémoire de travail).

3De nombreuses études ont observé une diminution de l’efficacité des FE au cours du vieillissement normal [3]. Ainsi, la diminution de la flexibilité cognitive avec l’âge a été observée avec divers protocoles. Dans les études expérimentales, elle a pu être mise en évidence grâce à des études utilisant les paradigmes de changement de tâche [5]. Dans des études plus cliniques ou corrélationnelles, la diminution de la flexibilité cognitive avec l’âge a pu être observée avec des tests neuropsychologiques classiques, comme le Trail Making Test [6].

4De la même manière, de nombreuses études ont rapporté une diminution des capacités d’inhibition avec l’âge. Avec l’âge, nous avons de plus en plus de mal à nous empêcher de réaliser une action (même inappropriée) ou à effacer de notre mémoire de travail un contenu non pertinent pour la tâche à accomplir. Cette diminution de l’inhibition avec l’âge a été observée dans des études expérimentales avec des tâches de type go/no-go [7], des tâches de stop-signal [8], ou bien encore des tâches d’amorçage négatif [9]. La diminution des capacités d’inhibition a également été observée avec des épreuves neuropsychologiques classiques comme le test de Stroop [10] ou le test de Hayling [11].

5Les travaux sur l’évolution de la mise à jour ont montré que notre capacité à actualiser le contenu de l’information en mémoire de travail diminue avec l’âge [12]. La capacité de mise à jour est habituellement mesurée par des tests qui nécessitent le remplacement efficace d’informations (verbales ou visuospatiales) dans la mémoire de travail. Ainsi, un déclin des performances lié à l’âge a été observé avec le running span [13], le n-back [14], et en observant les erreurs d’intrusion (d’anciens éléments) qui suggèrent un échec de mise à jour [13, 15].

Vieillissement et variations stratégiques

6Dans de nombreux domaines de la cognition, les psychologues du vieillissement ont cherché à caractériser l’évolution des performances cognitives avec l’âge, au-delà d’une simple diminution ou un maintien. Ils ont alors observé que le déclin mais aussi le maintien des performances cognitives avec l’âge étaient sous-tendus par des variations stratégiques. Très simplement, les différences de performances entre les jeunes et les âgés sont souvent associées à des différences dans le type de stratégies utilisées (i.e., répertoire stratégique). Par exemple, les adultes âgés pourraient utiliser des stratégies moins efficaces que les adultes jeunes, réduisant ainsi leurs performances. Des différences peuvent également exister dans la fréquence d’utilisation des stratégies disponibles (i.e., distribution stratégique). Par exemple, les personnes âgées pourraient avoir des préférences pour certaines stratégies qui sont différentes de celles des adultes jeunes, ainsi changeant leurs performances de façon qualitative. Même si les adultes jeunes et âgés exécutent les mêmes stratégies, la vitesse et la précision associées à chaque stratégie peuvent être différentes chez les adultes jeunes et âgés (i.e., exécution stratégique). Finalement, les personnes jeunes et âgées peuvent ne pas choisir sur chaque problème la stratégie la plus efficace (les choix ou sélections stratégiques). Ces choix stratégiques non optimaux conduisent à de moins bonnes performances. Ces quatre dimensions stratégiques, proposées par Lemaire et Siegler [16] pour analyser l’évolution des performances cognitives avec l’âge chez les enfants comme au cours du vieillissement, ne connaissent pas le même rythme d’évolution [2].

7Par exemple, dans des tâches de calcul mental (i.e., dire combien font 47 + 69), Lemaire et Arnaud [17] ont observé que les personnes âgées saines et avec un bon niveau scolaire initial avaient tendance à utiliser un nombre plus restreint de stratégies. Le plus étonnant est que les personnes âgées connaissaient toutes les stratégies disponibles, comme les participants jeunes. Toutefois, elles préféraient se focaliser sur un nombre plus petit de stratégies. Par ailleurs, dans de nombreuses tâches, les personnes âgées préfèrent utiliser les stratégies les plus simples, mêmes si elles sont moins efficaces, que des stratégies plus complexes, par ailleurs connues aussi bien par les jeunes que les âgés [18, 19]. De plus, lorsque la procédure expérimentale permet de neutraliser les différences liées à l’âge dans le répertoire, la sélection et la distribution stratégiques (i.e., en forçant les participants à exécuter chaque stratégie disponible sur l’ensemble des items), les données montrent que les personnes âgées exécutent souvent les stratégies de manière moins efficace que les jeunes. Cette différence jeunes-âgés est d’autant plus importante que la stratégie est difficile [20-23], une stratégie difficile étant une stratégie qui demande l’intégration d’un nombre plus important d’étapes de traitement. Enfin, les travaux ayant sondé la capacité à sélectionner la stratégie la plus efficace sur chaque item ont tous observé qu’avec l’âge, il est de plus en plus difficile de choisir la meilleure stratégie sur chaque item. Les personnes âgées ont tendance à davantage sélectionner des stratégies qui sont moins efficaces en termes de vitesse et de précision sur chaque problème [17, 21].

Le rôle des fonctions exécutives dans les variations stratégiques

8Les FE sont impliquées dans les variations stratégiques de plusieurs manières. Tout d’abord, grâce à des FE efficaces, l’individu dispose des ressources nécessaires pour maintenir simultanément actives en mémoire de travail plusieurs stratégies afin de pouvoir choisir, sur chaque problème, la stratégie la plus efficace parmi un ensemble de stratégies disponibles. De plus, elles permettent d’activer et de coordonner la mise en œuvre des différentes procédures impliquées dans la stratégie sélectionnée sur chaque problème. Par ailleurs, en cas de nécessité, c’est grâce aux FE que l’individu peut interrompre l’exécution d’une stratégie si une meilleure stratégie est disponible et peut être sélectionnée avant la fin de l’exécution de la stratégie initialement choisie. Les FE permettent également d’alterner de manière flexible entre les stratégies d’un item à l’autre, grâce à l’inhibition de la stratégie juste exécutée et l’activation d’un nouvel ensemble de stratégies, parmi lesquelles choisir lors de l’encodage du problème suivant.

9C’est parce que les FE sont importantes dans les variations stratégiques que les chercheurs ont été conduits à émettre l’hypothèse selon laquelle le déclin avec l’âge des FE pourrait expliquer une part importante de la variance liée à l’âge dans les variations stratégiques. Les données que nous commençons à accumuler semblent valider cette hypothèse.

Le déclin des fonctions exécutives médiatise-t-il les variations stratégiques au cours du vieillissement ?

10Plusieurs recherches ont essayé de déterminer si le déclin des FE médiatise l’évolution des variations stratégiques avec l’âge. En d’autres termes, les effets du vieillissement sur les changements stratégiques s’expliquent-ils par une évolution de l’efficacité de nos FE ? Deux types de résultats, des résultats émanant d’études corrélationnelles et des résultats provenant d’études expérimentales, suggèrent un rôle crucial du déclin des FE dans les variations stratégiques au cours du vieillissement.

Études corrélationnelles

11Le principe général de ces études est :

  • de recueillir pour chaque participant des mesures des FE, des stratégies utilisées et des performances à une tâche cognitive ;
  • de corréler ces trois mesures.
Illustrons cette démarche avec des études conduites dans les domaines de la mémoire et de la résolution de problèmes.

12En 2006, Taconnat et al. [22] ont demandé à des participants jeunes et âgés d’apprendre des paires de mots qui rimaient (e.g., château-plateau) avec deux stratégies. Les participants devaient soit simplement lire les 20 paires de mots (stratégie de lecture) soit compléter la racine du second mot avec un mot rimant avec le premier mot de la paire (e.g., château-plat___) (stratégie de production de rimes). Ensuite, les participants devaient rappeler autant de mots qu’ils pouvaient. Les auteurs ont étudié l’évolution avec l’âge de l’effet dit de production (i.e., différence de performances avec la stratégie de production et la stratégie de lecture). Les auteurs ont observé de meilleures performances avec la stratégie de production qu’avec la stratégie de lecture. Ils ont par ailleurs observé que cet effet diminuait avec l’âge et que 38 % de cette diminution étaient expliqués par la diminution des FE (évaluées par le taux d’erreurs persévératives au test du Wisconsin). Après la prise en compte statistique des FE, les régressions hiérarchiques conduites par les auteurs ne montraient plus aucun effet significatif de l’âge sur la diminution de l’effet de production. En d’autres termes, la diminution de l’efficacité des stratégies d’encodage en mémoire épisodique (telle que mesurée par la diminution de l’effet de production de rimes) pouvait être expliquée par la diminution avec l’âge de l’efficacité des FE.

13Les mêmes résultats ont été retrouvés par la même équipe [23] concernant la récupération des informations en mémoire épisodique. Les auteurs ont demandé aux participants de déterminer si les deux mots de chacune des 24 paires de mots à apprendre (e.g., maison-soldat) étaient fortement ou faiblement associés. Après une pause d’une minute, les participants devaient accomplir une tâche de rappel indicé (i.e., compléter les trois premières lettres du mot à rappeler) soit dans une condition favorisant le rappel, condition dite de support élevé au rappel (i.e., les participants voyaient le premier mot et les trois premières lettres du second mot ; e.g., maison-sol___), soit dans une condition dite de support faible au rappel (i.e., ils voyaient seulement les trois premiers lettres du mot à rappeler ; e.g., sol___). Les auteurs ont comparé l’effet de support chez les adultes jeunes et âgés (i.e., taux de rappels corrects en condition support élevé-taux de rappels corrects en condition support faible). Ils ont observé une augmentation chez les âgés de l’effet de support, augmentation expliquée par la diminution des FE (mesurées par le taux d’erreurs persévératives au Wisconsin). En d’autres termes, la diminution avec l’âge de l’efficacité de l’exécution des stratégies d’encodage et de récupération des informations en mémoire épisodique semble essentiellement due au déclin des FE.

14Dans le domaine de la résolution de problèmes, les données vont dans le même sens d’une médiatisation par les FE de l’effet de l’âge sur les variations stratégiques. En 2011, Hodzik et Lemaire [24] ont publié les résultats de deux études, l’une portant sur le répertoire stratégique, l’autre sur la sélection stratégique. Dans la première, des participants jeunes et âgés avaient à résoudre des additions de deux nombres à deux chiffres (e.g., 44 + 87). Les auteurs ont recueilli le type de stratégie utilisée par les individus sur chaque problème et ont pu établir que les deux groupes d’âge utilisaient le même ensemble de neuf stratégies. Toutefois, au niveau individuel (i.e., nombre moyen de stratégies utilisées par chaque individu), les âgés utilisaient un nombre plus petit de stratégies (répliquant Lemaire et Arnaud, 2008 [17]). Par ailleurs, les auteurs ont évalué la flexibilité cognitive (par le Trail Making Test) et l’inhibition (par le test de Stroop). Ils ont observé que 91 % de la variance liée à l’âge dans le nombre de stratégies utilisées étaient expliqués par un déclin de la flexibilité et de l’inhibition (combinées). Une fois prises en compte ces deux FE, l’âge n’avait plus d’effet significatif sur la diminution du nombre de stratégies utilisées.

15Dans leur seconde étude, Hodzik et Lemaire [24] ont donné aux participants une tâche d’estimation calculatoire. Les participants voyaient des multiplications de deux nombres à deux chiffres (e.g., 43×69) et devaient donner un produit approximatif. Pour cela, ils devaient choisir, sur chaque problème, la meilleure stratégie (i.e., celle aboutissant au produit estimé le plus proche du produit exact) parmi deux stratégies disponibles. Selon la stratégie d’arrondi inférieur, les participants arrondissaient les deux opérandes aux dizaines inférieures les plus proches (e.g., faire 40×60 = 2 400 pour estimer 43×69). Selon la stratégie d’arrondi supérieur, ils devaient arrondir les deux opérandes aux dizaines supérieures les plus proches (e.g., faire 50×70 = 3 500). Les problèmes avaient été soigneusement sélectionnés pour que la stratégie d’arrondi inférieur soit la meilleure pour la moitié des problèmes (e.g., 41×57) et la stratégie d’arrondi supérieur la meilleure sur les autres problèmes (e.g., 34×68). Les données ont montré que les participants jeunes sélectionnaient plus fréquemment la meilleure stratégie que les participants âgés. Par ailleurs, 39 % de la variance liée à l’âge dans le pourcentage de sélection de la meilleure stratégie étaient expliqués par les capacités d’inhibition (évaluée par le test de Stroop) et de flexibilité (testée par le Trail Making Test) combinées. Notons qu’à la différence du répertoire stratégique (voir supra), l’âge avait encore un effet significatif après la prise en compte statistique des FE, ce qui suggère que d’autres facteurs contribuent à l’effet du vieillissement sur la sélection stratégique.

16En résumé, les données montrent que les FE sont cruciales dans les variations stratégiques liées à l’âge, ces variations étant à la source des différences (ou similitudes) dans les performances cognitives entre les participants jeunes et les participants âgés.

Études expérimentales

17Le principe des recherches expérimentales ayant étudié le rôle des FE dans les changements stratégiques avec l’âge est de manipuler des facteurs dont les études précédentes ont montré qu’ils faisaient varier la demande en FE dans la tâche accomplie. Ces manipulations entraînent des effets expérimentaux, lesquels peuvent varier avec l’âge, faisant preuve du rôle du déclin des FE dans l’utilisation des stratégies. Trois effets expérimentaux et leur évolution au cours du vieillissement peuvent illustrer cette approche. Il s’agit des effets de changements stratégiques inter-items et intra-items, de répétitions stratégiques, et de difficulté séquentielle.

Effets de changements stratégiques inter-items

18Lemaire et Lecacheur [25] ont mis en évidence des coûts de changements stratégiques inter-items. Ils ont donné aux participants une tâche d’estimation calculatoire portant sur des multiplications de deux nombres à deux chiffres (e.g., 43×69). Pour chaque problème, les participants devaient estimer un produit approximatif en exécutant la stratégie indicée (e.g., le participant voyait à l’écran de l’ordinateur 43×69 et « arrondi inférieur » ; il devait faire 40×60 et donner 2 400 comme réponse). Les participants n’avaient donc pas à choisir la stratégie, mais à exécuter sur chaque problème la stratégie indicée. Deux types d’essais étaient testés. Les participants devaient répéter la même stratégie sur deux problèmes successifs dans la condition stratégie répétée et utiliser deux stratégies différentes dans la condition stratégie changée. Les participants allaient plus lentement dans la condition stratégie changée que dans la condition stratégie répétée. Dans la condition stratégie changée, les participants devaient inhiber la stratégie juste exécutée, réactiver la stratégie inhibée à l’essai précédent et exécuter cette nouvelle stratégie. Dans la condition stratégie répétée, ils n’avaient qu’à exécuter la stratégie qu’ils venaient d’exécuter sur l’item précédent (et qui était donc disponible en mémoire de travail pour une exécution immédiate). Récemment, Ardiale et al. [26] ont observé une augmentation avec l’âge de ces coûts de changements stratégiques, mais seulement lorsque les participants devaient alterner entre trois stratégies (et des coûts comparables lorsqu’ils devaient alterner entre deux stratégies ; figure 1). Ces coûts de changements stratégiques inter-items semblent mettre en œuvre les mêmes mécanismes de contrôle exécutif que les coûts de changement de tâche et semblent varier avec l’âge d’autant plus que les participants doivent alterner entre plus de stratégies ([5], pour une augmentation avec l’âge des coûts de changement de tâche dans une condition où les participants devaient alterner entre quatre tâches et aucune augmentation quand ils devaient alterner entre deux tâches).

Figure 1
Figure 1
Coûts associés aux changements stratégiques chez des participants jeunes et âgés quand ils devaient alterner entre deux stratégies versus trois stratégies. Les temps de réponse montrent que les participants sont plus lents quand ils changent de stratégie d’un item à l’autre que lorsqu’ils répètent la même stratégie et que ces coûts de changements stratégiques sont plus importants chez les âgés que chez les jeunes dans la condition trois stratégies.
(données d’après Ardiale et al., 2012 [26])

Effets de changements intra-items

19Dans une étude récente, Ardiale et Lemaire [27] ont montré une augmentation des coûts de changements stratégiques intra-items et une tendance plus importante chez les âgés à ne pas changer de stratégie sur un même item quand la stratégie engagée s’avérait ne pas être la meilleure. Ils ont donné aux participants jeunes et âgés une tâche d’estimation calculatoire. Les participants voyaient un problème à l’écran (e.g., 41×86). Ils devaient exécuter une stratégie indicée (e.g., arrondir vers le haut, 50×90 = 4 500) pendant une seconde. Au bout d’une seconde, le problème était à nouveau présenté à l’écran (d’une autre couleur). À ce moment-là, le participant pouvait choisir de continuer d’exécuter la stratégie déjà partiellement exécutée ou de changer de stratégie s’il estimait que la stratégie engagée n’était pas la meilleure, la consigne étant d’utiliser la meilleure stratégie le plus souvent possible. Les données (figure 2) ont montré que les participants âgés avaient tendance à changer de stratégie moins fréquemment que les jeunes, aussi bien sur des problèmes où la meilleure stratégie était difficile à déterminer (e.g., 34×56) que sur des problèmes où elle était plus facile (e.g., 34×59). Les auteurs ont trouvé par ailleurs que lorsqu’ils répétaient la même stratégie, les participants étaient plus rapides que lorsqu’ils changeaient de stratégies et cette différence était plus importante chez les âgés que chez les jeunes. En d’autres termes, les coûts de changement stratégique inter-item, observés par Ardiale et al. [26], se généralisent aux coûts de changements stratégiques intra-items. Là encore, la mise en œuvre de mécanismes de contrôle exécutif et la diminution de leur efficacité avec l’âge expliquent ces phénomènes de changements stratégiques intra-items. Lorsqu’un participant est engagé dans l’exécution d’une stratégie, il lui faut mobiliser des ressources exécutives (lui permettant d’inhiber la stratégie en cours d’exécution et d’activer la stratégie non utilisée) dont on sait qu’elles diminuent avec l’âge. C’est pourquoi les participants âgés ont tendance à changer de stratégie moins fréquemment que les jeunes, même quand il le faudrait pour exécuter au final la meilleure stratégie.

Figure 2
Figure 2
Taux de changements stratégiques intra-items chez des participants jeunes et âgés. Les données montrent que la probabilité pour interrompre l’exécution stratégique et changer de stratégie pour une meilleure stratégie est plus faible chez les âgés que chez les jeunes.
(données d’après Ardiale et Lemaire [27])

Effets de répétitions stratégiques

20Dans une étude récente, Lemaire et Leclère [28] ont étudié les différences liées à l’âge dans la tendance à répéter la même stratégie d’un item à l’autre. Dans une tâche d’estimation calculatoire portant sur des produits de deux nombres à deux chiffres, les participants voyaient des essais comprenant trois problèmes successifs (dont le produit devait être estimé avec la stratégie d’arrondi inférieur ou supérieur), puis une série de lettres (e.g., « aeiou ») dont le participant devait dire si elle ne comprenait que des voyelle (ou que des consonnes) ou les deux types de lettres. La manipulation cruciale était le nombre de problèmes amorce avant le problème cible. Les participants voyaient, avant le problème cible, un problème amorce dans une condition e deux dans l’autre. Les problèmes amorces étaient des problèmes pour lesquels la sélection de la meilleure stratégie était facile (e.g., 41×52 ; 39×68). En revanche, la sélection de la meilleure stratégie était difficile sur les problème cibles (e.g., 56×34). Dans la condition une amorce, les participants voyaient un problème amorce, un problème cible et un problème post-cible. Dans la condition deux amorces, les participants voyaient les mêmes trois problèmes, mais dans un ordre différent. Le problème post-cible devenait le deuxième problème amorce et le problème cible devenait le troisième problème. Par exemple, les participants voyaient les trois problèmes suivants dans la condition une amorce (41×32 ; 37×53 ; 23×72) et dans l’ordre suivant dans la condition deux amorces (41×32 ; 23×72 ; 37×53). Les participants avaient pour consigne de choisir la meilleure stratégie sur chaque problème. Les auteurs ont étudié la tendance à répéter la même stratégie sur les problèmes amorces et cibles. Comme le montre la figure 3, le pourcentages de répétitions stratégiques étaient plus élevé chez les âgés que chez les jeunes, dans la condition deux problèmes amorces (mais pas de différences liées à l’âge dans la condition une amorce). Là encore, ces résultat peuvent s’expliquer en termes de demande en ressource exécutives et de diminution de ces ressources au cours du vieillissement. Pour changer de stratégie, les participant devaient inhiber la stratégie exécutée sur le problème précé dent, et ce d’autant plus qu’elle avait été exécutée sur deux problèmes précédents, afin d’activer et d’exécuter l’autre stratégie. La diminution des ressources exécutives avec l’âge rendait plus difficile pour les âgés la mise en œuvre de ce opérations, même lorsqu’il s’avérait que la meilleure stratégie était différente sur les problèmes cibles et les problèmes amorces.

Figure 3
Figure 3
Taux de répétitions stratégiques chez des participants jeunes et âgés. Les données montrent que les personnes âgées ont davantage tendance à répéter la même stratégie d’un item à l’autre que les jeunes, surtout dans la condition où ils ont exécuté cette stratégie sur deux items précédant un item cible.
(données d’après Lemaire et Leclère [28])

Effets de difficulté séquentielle

21Un dernier effet expérimental renforce l’hypothèse selon laquelle les FE contribuent aux variations stratégiques liées au vieillissement. Il s’agit de l’effet de difficulté séquentielle mis en évidence par Uittenhove et Lemaire [29]. Toujours dans une tâche d’estimation calculatoire, les auteurs ont comparé le temps d’exécution de la stratégie d’arrondi mixte (i.e., les participants arrondissent un opérande à la dizaine inférieure et l’autre à la dizaine supérieure comme lorsqu’ils font 40×70 pour estimer 42×67) après avoir exécuté la stratégie d’arrondi inférieur versus après la stratégie d’arrondi supérieur. Les données recueillies (figure 4) ont fait apparaître que :

  • les participants avaient besoin de plus de temps pour exécuter la stratégie d’arrondi mixte après la stratégie d’arrondi supérieur qu’après la stratégie d’arrondi inférieur ;
  • cet effet de difficulté séquentielle était de taille comparable chez les participants jeunes et âgés témoins.

Figure 4
Figure 4
Effets de difficulté séquentielle stratégique chez des participants jeunes et âgés. Les participants exécutaient plus lentement une stratégie sur un item lorsqu’ils avaient utilisé sur l’item précédant une stratégie difficile que lorsqu’ils avaient utilisé une stratégie facile. Cet effet était comparable chez les jeunes et chez les âgés.
(données d’après Uittenhove et Lemaire [29])

22Les auteurs ont interprété les effets de difficulté séquentielle en proposant qu’après avoir exécuté la stratégie difficile (arrondi supérieur), qui consomme plus de ressources en mémoire de travail, moins de ces ressources seraient disponibles pour pouvoir exécuter la prochaine stratégie. En d’autres termes, l’interférence créée par la stratégie qu’on vient d’exécuter sur la stratégie à exécuter était plus importante après l’exécution d’une stratégie difficile. Cette interférence ne semblait pas affecter plus les participants âgés témoins que les jeunes. La diminution des ressources en mémoire de travail après l’exécution d’une stratégie difficile semblait ne pas excéder les ressources disponibles chez les âgés.

Conclusions et perspectives

23Les données récentes discutées dans cet article s’appuient sur :

  • une diminution avec l’âge de l’efficacité des FE ;
  • une évolution au cours du vieillissement du type de stratégies utilisées pour accomplir une tâche cognitive, de la fréquence d’utilisation des différentes stratégies, ainsi que de l’efficacité à exécuter et à sélectionner, pour chaque problème, la meilleure stratégie.
Les données corrélationnelles et expérimentales suggèrent que l’évolution des variations stratégiques avec l’âge résulteraient, au moins en partie, du déclin des FE. Ces données corrélationnelles ont en effet montré que la part de variance liée à l’âge dans les variations stratégiques diminue significativement, voire disparaît, une fois pris en compte le déclin des FE. Les données expérimentales ont montré une modulation avec l’âge des effets stratégiques (e.g., changements et répétitions stratégiques) résultant de la mise en œuvre de mécanismes de contrôle exécutif. Ces résultats récents ont un certain nombre d’implications importantes en psychologie et neuropsychologie du vieillissement que nous discutons dans cette conclusion.

24La première question que soulève ce lien entre vieillissement, FE et variations stratégiques concerne le rôle unique et exclusif des FE. En effet, de nombreuses données dans la littérature sur le vieillissement ont montré le rôle médiateur du ralentissement cognitif (ou d’autres ressources de traitement, comme la mémoire de travail ou l’acuité sensorielle) dans le vieillissement cognitif en général. Il s’agit donc de savoir si les FE médiatisent plus que le ralentissement cognitif les variations stratégiques liées à l’âge. Il est encore trop tôt pour répondre à cette question. En effet, il est possible que ces deux ressources (et d’autres) de traitement (vitesse de traitement de l’information et FE) contribuent aux variations stratégiques liées à l’âge. Les recherches à venir permettront de tester directement cette hypothèse. Les travaux conduits jusque-là n’ayant pas contrôlé l’influence de la vitesse de traitement dans les scores aux tests de FE, il n’est pas encore possible de savoir si le rôle des FE dans les variations stratégiques s’explique par le rôle du ralentissement cognitif. Certaines données suggèrent que le ralentissement cognitif pourrait avoir un rôle indépendant des FE [30]. Nous ne disposons pas à l’heure actuelle d’assez de données pour apporter une réponse précise et définitive à cette question.

25Une autre piste que devront suivre les recherches futures concerne le rôle spécifique de chaque FE. Dans les recherches ici discutées, l’impact des FE sur les variations stratégiques liées à l’âge était d’autant plus important que les FE étaient évaluées globalement. Les recherches futures devront déterminer, par exemple, les contributions relatives des mécanismes d’inhibition et de flexibilité cognitive dans le répertoire et la sélection stratégiques. Ces recherches devront aussi inclure des mesures d’une autre FE, la mise à jour, non encore étudiée dans les variations stratégiques. Une évaluation complète des FE, combinée à une évaluation exhaustive de l’évolution des différentes dimensions stratégiques devrait permettre d’avoir une image plus précise et détaillée du rôle des différentes FE sur les variations stratégiques liées à l’âge et, ainsi, de pouvoir répondre à la question fondamentale de psychologie du développement suivante : quelle FE influence l’évolution de quelle dimension stratégique, et à quel âge, au cours de la vie adulte ?

26De manière générale, observer que des variations quantitatives (e.g., dans la vitesse de traitement, les FE, ou autres ressources de traitement) affectent les variations qualitatives (comme les stratégies) au cours du vieillissement permet de réconcilier deux approches différentes en psychologie du vieillissement cognitif : une approche mettant l’accent sur l’analyse du rôle des ressources de traitement dans le déclin des performances lié à l’âge et une approche se focalisant sur les différences dans les mécanismes de traitement mis en œuvre chez les jeunes et les âgés. Avoir le double souci d’expliquer les différences liées à l’âge dans les performances cognitives par le type de stratégies utilisées et par les ressources de traitement sous-jacentes à ces différences de stratégies débouche sur une vision plus exhaustive, détaillée et précise du vieillissement cognitif et une compréhension plus profonde des déterminants de l’évolution de la cognition avec l’âge au cours de la vie adulte. Cette perspective (figure 5) permet également de mieux caractériser les différences individuelles (e.g., les personnes connaissant un vieillissement réussi sont celles qui sont capables de mobiliser les ressources stratégiques les plus efficaces) ou le type de compensations (e.g., substitutions stratégiques observées lorsque les participants utilisent un nombre plus restreint de stratégies ou utilisent plus fréquemment des stratégies plus faciles à exécuter) mises en œuvre pour court-circuiter ou contourner les limites cognitives imposées par le vieillissement. Cette perspective, par les données qu’elles permet de recueillir en recherche fondamentale, est également susceptible de fournir les meilleures armes aux praticiens pour aider les personnes âgées à mieux faire face au déclin cognitif au cours du vieillissement.

Figure 5
Figure 5
Approche générale du vieillissement cognitif postulant une perspective intégrée où les effets de l’âge sur les performances cognitives sont considérés comme résultant d’une cascade d’événements. L’âge entraînerait une diminution des ressources de traitement (dont les FE). Ce déclin des ressources de traitement conduirait à son tour à des changements dans le répertoire, la distribution, l’exécution et la sélection stratégiques. Ces changements stratégiques s’accompagneraient de modifications dans les performances cognitives.

27Conflits d’intérêts

28Aucun.

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Mots-clés éditeurs : fonctions exécutives, vieillissement, stratégies

Date de mise en ligne : 20/02/2013

https://doi.org/10.1684/nrp.2013.0245

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