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Article de revue

Modulation de la spécialisation hémisphérique du langage par le degré de transparence graphophonémique et le genre des participants

Étude comportementale en champ visuel divisé

Pages 288 à 298

Notes

  • [1]
    Au lieu de présenter l’êta au carré (pour rapporter la taille de l’effet) nous avons choisi de présenter le pourcentage de réduction de l’erreur PRE (pour plus d’informations sur l’indice de la taille de l’effet, voir [21], note 5).

1Le langage est une fonction cognitive latéralisée dans l’hémisphère gauche (HG) chez 85 % des individus [1]. Néanmoins, ce phénomène est complexe, et peu de prédicteurs fiables de cette latéralisation sont aujourd’hui disponibles (par exemple, prévalence manuelle et asymétrie anatomique au niveau du planum temporale). En effet, ces indices ne fournissent des informations que de manière indirecte et ne permettent pas de prédire de manière certaine l’hémisphère spécialisé pour le langage chez un individu donné. L’évaluation de la dominance hémisphérique du langage est pourtant indispensable chez certains patients. Ainsi, chez les patients présentant une épilepsie focale et pharmaco-résistante, il est souvent envisagé d’exciser la zone épileptogène afin de stopper leurs crises d’épilepsie. Il est alors crucial de déterminer l’hémisphère spécialisé pour le langage afin d’éviter et/ou de prévenir des troubles langagiers postopératoires en cas d’ablation d’une zone fonctionnelle de cet hémisphère. Il est nécessaire d’utiliser, pour cette évaluation, un ensemble de tâches qui, d’une part, vont impliquer une participation accrue de l’hémisphère dominant [2] et, d’autre part, vont permettre d’évaluer les réseaux du langage (par exemple, réseaux phonologique et sémantique). Cependant, en l’état actuel des recherches, aucun consensus n’existe quant au protocole optimal d’évaluation de la dominance hémisphérique [3]. Le but de cette étude est donc d’apporter des informations supplémentaires sur le choix du matériel expérimental à utiliser (tâche et stimuli) afin d’évaluer la dominance hémisphérique du langage de manière optimale.

2Le degré de spécialisation hémisphérique du langage dépend de l’intervention plus ou moins importante de l’hémisphère non dominant (c’est-à-dire hémisphère droit, HD). Ainsi, plusieurs facteurs modulent la participation de l’hémisphère droit et peuvent être liés aux sujets [4], à la tâche et/ou aux stimuli verbaux utilisés [5].

3En ce qui concerne les variables interindividuelles, le genre (masculin vs féminin), permet de rendre compte de la variance en termes de latéralisation. Plusieurs études comportementales suggèrent une asymétrie hémisphérique moins marquée chez les femmes que chez les hommes [6]. De la même façon, des études en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) montrent un engagement plus diffus et plus bilatéral des réseaux dédiés à la phonologie chez les femmes, ces réseaux étant préférentiellement activés dans l’HG chez les hommes [7]. Les observations cliniques semblent aller dans le même sens, avec une fréquence accrue des aphasies par lésion de l’HG chez les hommes [8].

4En ce qui concerne le facteur tâche, il est important de ne pas oublier les processus langagiers impliqués dans celle-ci. Des études auprès de sujets sains ou de patients cérébro-lésés suggèrent en effet qu’une tâche impliquant le traitement phonologique dépend de réseaux neuronaux situés essentiellement dans l’HG, alors qu’une tâche faisant appel au traitement sémantique des mots dépend plutôt de réseaux distribués entre les deux hémisphères. Les processus phonologiques induiraient donc une latéralisation gauche plus marquée que les processus sémantiques [9], c’est pourquoi nous allons nous focaliser sur ces processus dans la présente étude.

5Le traitement phonologique du langage est un processus complexe impliquant plusieurs sous-opérations représentées dans un large réseau fronto-temporo-pariétal. La partie la plus dorsale du gyrus frontal inférieur (aires de Brodmann, AB 44/45/6) serait plutôt impliquée dans la production de la forme sonore (phonologique) des mots, ce que l’on appelle la « phonologie de sortie » (opération d’assemblage des unités phonémiques pour construire la forme sonore du mot à produire). La « phonologie d’entrée » (opération de décodage ou de traduction de la forme sonore des mots et l’analyse des unités phonémiques constituantes) impliquerait plutôt les régions temporo-pariétales, notamment les régions temporales postéro-supérieures situées autour de l’aire de Wernicke (AB 22, gyrus temporal supérieur). Après le décodage phonologique, une analyse morphosyntaxique, suivie d’une analyse lexicosémantique, auront lieu au sein des réseaux temporaux ventraux appartenant plutôt aux gyri temporaux moyens et inférieurs [10]. Le cortex pariétal joue également un rôle dans le traitement phonologique. Ainsi, le gyrus supramarginal (AB 40) serait impliqué dans la prise de décision mettant en jeu la conscience phonologique, dans le stockage phonologique et dans l’analyse sous-lexicale [10].

6De nombreuses tâches, telles que les tâches d’appariement phonologique, de détection de rimes et de phonèmes, ont été utilisées dans le but d’explorer le degré de spécialisation hémisphérique lors du traitement phonologique. Il a été observé que ces tâches n’induisent pas toutes le même degré de latéralisation hémisphérique, ce qui suggère que l’asymétrie fonctionnelle interhémisphérique pourrait être modulée par la nature même de la tâche. Dans ce sens, Cousin et al. [11] ont observé une prédominance hémisphérique gauche plus marquée pour la tâche de détection de rimes que pour la tâche de détection de phonèmes. Ce résultat révélerait selon ces auteurs une participation plus importante de l’HD pour la tâche de détection de phonème. Cependant, étant donné que des stimuli différents ont été utilisés pour ces deux tâches, le degré de latéralisation hémisphérique pourrait dépendre tout aussi bien des caractéristiques intrinsèques des stimuli. En effet, les auteurs ont utilisé un phonème dit « transparent » (phonème /b/ qui renvoie au seul graphème « b », c’est-à-dire correspondance graphophonémique régulière), pour la tâche de détection de phonèmes, et un phonème dit « non transparent » (phonème /é/ qui renvoie à plusieurs graphèmes « er », « et » ou « é », c’est-à-dire correspondance graphophonémique irrégulière) pour la tâche de détection de rimes. Or, des travaux ont montré que le type régulier ou irrégulier de la conversion graphophonémique (CGP) a un effet sur le degré de spécialisation hémisphérique dans le sens d’une plus grande participation de l’HD lors du traitement des phonèmes « transparents » (T). Ceci suggère une analyse plus visuelle, moins latéralisée, des phonèmes avec CGP « transparente », alors que les phonèmes avec CGP « non transparente » seraient soumis à une analyse langagière avec conversion graphophonémique automatique, par l’HG [12].

7Le degré de latéralisation hémisphérique pourrait ainsi être modulé, non seulement par les processus verbaux engagés, mais aussi par les caractéristiques des stimuli telles que le degré de transparence graphophonémique [12].

8La latéralisation fonctionnelle du langage est évaluée dans les études comportementales grâce à la présentation de stimuli en champ visuel divisé. Cette procédure implique la présentation des stimuli dans un hémichamp visuel (droit ou gauche). L’anatomie spécifique des voies visuelles fait que les stimuli présentés latéralement sont d’abord traités par l’hémisphère controlatéral : HG lors de la présentation dans l’hémichamp visuel droit (CVd) et HD lors de la présentation dans l’hémichamp visuel gauche (CVg) [13]. Deux contraintes majeures sont à respecter pour garantir une projection mono-hémisphérique des stimuli : a) la stimulation doit s’effectuer hors de la zone fovéale (contrainte spatiale) ; b) elle doit être d’une durée inférieure au temps de déclenchement d’une saccade oculaire (150 à 200 msec) [14]. L’efficience des deux sous-systèmes de traitement, CVd-HG et CVg-HD, peut être comparée et permet de faire des inférences sur la spécialisation fonctionnelle des hémisphères en fonction du matériel présenté. Le postulat de base de la méthode en champ visuel divisé stipule que les performances des participants sont meilleures lorsque les stimuli sont présentés initialement à l’hémisphère spécialisé pour le traitement du matériel et/ou pour réaliser la tâche. Le profil de résultats classiquement observé correspond à une supériorité robuste du système CVd-HG pour le traitement des stimuli linguistiques.

9Dans notre étude, le matériel et les tâches utilisés ciblent les processus langagiers. Une prédominance de l’HG est donc attendue, puisque l’information reçue par cet hémisphère, spécialisé dans le langage, est traitée directement par celui-ci, alors que l’information reçue par l’HD, non spécialisé, doit être transférée vers l’hémisphère spécialisé pour que le traitement puisse avoir lieu [15]. Selon Zaidel et al. [16], cet avantage du système CVd-HG pourrait être expliqué par deux modèles : le modèle « d’accès direct » et le modèle de « relais calleux ». Le modèle « d’accès direct » postule que l’asymétrie des performances entre les deux systèmes refléterait la différence de traitement entre les deux hémisphères. Autrement dit, le traitement est pris en charge par l’hémisphère qui reçoit initialement l’information, indépendamment de sa spécialisation. Le modèle de « relais calleux », quant à lui, suppose que l’information est plus efficacement traitée par l’hémisphère spécialisé pour le traitement cible. Ainsi, une prédominance du CVd-HG par rapport au CVg-HD refléterait la spécialisation hémisphérique gauche pour le traitement verbal et suppose que les stimuli présentés dans le CVg, donc à l’HD, ne peuvent pas être traités s’ils ne sont pas transférés vers l’HG. Ce transfert induit un ralentissement du temps de traitement et une dégradation de l’information, traduits par des temps de réponse plus longs et par des taux plus bas de réponses correctes. Pour soumettre à validation ces deux modèles, Eviatar et Zaidel [17] proposent deux paradigmes différents. Le premier consiste à croiser le champ visuel de présentation et la main de réponse. L’interaction significative entre ces deux facteurs va dans le sens du modèle « d’accès direct ». Cependant, cette approche est aujourd’hui obsolète, puisqu’elle ne prend pas en compte les effets potentiels de facteurs psycholinguistiques [18]. Le second paradigme consiste à évaluer la « dissociation interhémisphérique de traitement » en variant une caractéristique des stimuli, donc en prenant en compte une variable « psycholinguistique ». Dans ce cas, un effet de la variable « psycholinguistique » sur le degré de spécialisation hémisphérique suggérerait que le traitement de l’information devrait dépendre uniquement des mécanismes de traitement propres à chaque hémisphère. Ainsi, l’interaction entre « champ visuel de présentation » et variable « psycholinguistique » (c’est-à-dire modulation du degré d’asymétrie interhémisphérique) suggérerait que chaque hémisphère est capable de traiter les stimuli selon une stratégie qui lui est propre (c’est-à-dire prédominance relative d’un hémisphère par rapport à l’autre ; modèle de traitement de type « accès direct »). Si aucune modulation n’est observée, cela suggère qu’un seul des deux hémisphères peut traiter les stimuli langagiers (c’est-à-dire spécialisation hémisphérique absolue ; modèle de traitement de type « relais calleux ») [19].

But et objectifs de l’étude

10Cette étude comportementale, réalisée en champ visuel divisé chez des sujets sains, a pour but de mettre en évidence le degré de latéralisation hémisphérique pour le traitement phonologique dans deux tâches, une tâche de détection de rimes et une tâche de détection de phonèmes dans des pseudo-mots. Un premier objectif est d’étudier l’effet du genre des participants et du type de transparence graphophonémique des stimuli sur le degré de spécialisation hémisphérique. Nous nous attendons à une prédominance hémisphérique gauche pour les deux tâches phonologiques, mais nous supposons qu’elle sera modulée :

  • par le type de CGP, dans le sens d’un moindre écart interhémisphérique pour la modalité « transparent » ;
  • par le genre, dans le sens d’un moindre écart interhémisphérique chez les femmes.
Un second objectif est d’analyser nos résultats selon les modèles de traitement interhémisphérique de l’information.

Matériel et méthodes

Participants

11Quarante-huit participants (24 femmes et 24 hommes, moyenne d’âge = 24 ans) de langue maternelle française ont participé à cette étude. La prévalence manuelle a été évaluée à l’aide du questionnaire de latéralité d’Édimbourg [20]. Tous les participants étaient droitiers (indices de latéralité [IL] compris entre 0,7 et 1). La vue des participants était normale ou corrigée. Deux groupes ont été constitués, chacun composé de 24 participants, 12 femmes et 12 hommes. Le premier groupe (m = 25,4 ans, s = 4,4) a réalisé la tâche de détection de phonèmes, le second (m = 22,6 ans, s = 4,1) la tâche de détection de rimes.

Stimuli pour la tâche de détection de phonèmes

12Deux types de stimuli ont été présentés, des stimuli « langage » et des stimuli « contrôle » (figure 1). Les stimuli « langage » correspondaient à 96 pseudo-mots légaux (c’est-à-dire chaînes de 6-7 lettres prononçables ne faisant pas appel à un traitement sémantique) construits à partir des mots de haute fréquence, par changement de position de deux ou trois lettres. La présentation des 96 stimuli s’est faite de manière aléatoire 48 (24 cibles et 24 non-cibles) dans le CVg, 48 (24 cibles et 24 non-cibles) dans le CVd. Les stimuli cibles contenaient le phonème /o/ qui variait selon le type de CGP : la moitié de stimuli était de type T (c’est-à-dire phonème /o/ et graphème « o », la CGP est régulière), l’autre moitié était de type NT (c’est-à-dire phonème /o/ et graphème « au », la CGP est irrégulière). La position spatiale du phonème à détecter était équiprobable, au début [c’est-à-dire autril (NT) ou obalet (T)] au milieu [c’est-à-dire phaumi (NT) ou clotir (T)] et à la fin [c’est-à-dire amilau (NT) ou damulo (T)] du pseudo-mot. La police de caractères utilisée a été le « Courrier New » de taille 24. Les 96 stimuli « contrôle » correspondaient à des suites de caractères illisibles écrits en police « Karalyn Patterson » (figure 1). La moitié de stimuli était « cibles », et ils contenaient au moins un des caractères qui dépassait en taille les autres caractères. L’autre moitié de stimuli était « non-cibles » avec aucune différence de tailles entre les caractères d’une chaîne. Ces stimuli contenaient le même nombre de caractères que les stimuli « langage » et étaient présentés aléatoirement parmi ceux-ci. La condition « contrôle » été utilisé pour s’assurer que les différences interhémisphériques induites par les stimuli « langage » puissent être attribuées au traitement langagier et non pas au traitement visuel de bas niveau. Les stimuli « contrôle » nécessitent seulement un traitement visuel de bas niveau, donc pas de spécialisation hémisphérique.

Figure 1
Figure 1
A) Exemple d’un essai « langage » composé successivement d’une croix de fixation d’une durée de 500 ms, d’un item « langage » (pseudo-mot) d’une durée de 150 ms et d’un masque d’une durée de 30 ms. L’essai se termine par une croix de fixation d’une durée de 1 500 ms. B) Exemple d’un essai « contrôle » composé successivement d’une croix de fixation d’une durée de 500 ms, d’un item « contrôle » (enchaînement des caractères illisibles en police « Karalyn Patterson ») d’une durée de 150 ms et d’un masque d’une durée de 30 ms. L’essai se termine par une croix de fixation d’une durée de 1 500 ms. La durée totale d’un essai (« langage » et « contrôle ») est de 2 180 ms. Ceci est valable pour les deux tâches.

Stimuli pour la tâche de détection de rimes

13Deux types de stimuli étaient présentés : des stimuli « langage » et des stimuli « contrôle ». Ces derniers étaient identiques à ceux utilisés dans la tâche de détection de phonèmes. Les stimuli « langage » étaient 96 pseudo-mots construits et présentés de la même manière que ceux constituant la tâche de détection de phonèmes (figure 1). Les stimuli « cibles » contentaient la rime /o/ qui variait selon la CGP, une moitié de type T et l’autre moitié de type NT.

Procédure expérimentale

14Les consignes étaient données aux participants oralement et par écrit au début de l’expérimentation. Lors de la détection de phonèmes, nous leur avons demandé de juger si les pseudo-mots contenaient ou non le son /o/. Lors de la détection de rimes, ils devaient juger si, les pseudo-mots rimaient ou non avec le son /o/. Concernant les stimuli « contrôle », ils devaient décider si dans une chaîne présentée, il y avait ou non des caractères de taille plus grande que les autres. Après instruction, les participants ont accompli une phase d’entraînement incluant des items analogues mais différents de ceux de la phase de test.

15Pendant la phase de test, chaque participant a été évalué individuellement dans une pièce sombre face à un écran d’ordinateur PC (19’ TM Ultra Scan P790 de résolution 1 024 × 768 pixels). Les yeux étaient situés à la hauteur d’une croix de fixation centrale grâce à une mentonnière permettant de contrôler la distance à l’écran (110 cm). L’expérience a été réalisée avec le logiciel E-Prime (E-prime Psychology Software Tools Inc., Pittsburgh, USA). Chaque essai débutait par la présentation centrale d’une croix de fixation qui durait tout au long d’un essai. Après 500 ms, une présentation latéralisée (CVd ou CVg) des stimuli « langage » ou « contrôle » suivait, pendant une période de 150 ms. Le stimulus était suivi d’un masque (séquence de sept étoiles) d’une durée de 30 ms, pour limiter la persistance rétinienne du stimulus. Pour garantir une présentation mono-hémisphérique, la distance entre le stimulus et le point central de fixation, était comprise entre 2,6° et 3° d’excentricité rétinienne. L’essai se terminait par une croix de fixation pendant 1 500 ms. La durée totale d’un essai était de 2 180 s (figure 1). Étant donné l’absence d’enregistrement des mouvements oculaires, les participants avaient pour consigne stricte de fixer la croix centrale qui restait à l’écran pendant toute la durée d’un essai. L’expérimentateur insistait sur le fait que la réussite de la tâche était conditionnée par le maintien de la fixation visuelle au centre de l’écran.

16Les réponses étaient données manuellement à l’aide des deux touches (oui-index, non-majeur) d’un boîtier de réponse placé devant le participant. Pour la moitié des stimuli, les participants répondaient avec la main droite, pour l’autre moitié avec la main gauche, la main de réponse étant contrebalancée entre participants. De ce fait, pour les stimuli présentés dans un hémichamp visuel, la moitié des participants répondaient avec la main droite et l’autre moitié avec la main gauche. Pour chaque participant la phase test durait 12 minutes. La période totale de participation à l’expérience d’un participant était de 30 minutes en incluant l’instruction, la phase d’entraînement et la phase test.

17La performance pour chaque participant a été évaluée à travers les temps de réponse (TR) et les pourcentages de bonnes réponses (% BR).

Traitement des données

18Pour chaque tâche, nous avons effectué d’abord une analyse de variances pour les stimuli « contrôle » et une seconde pour les stimuli « langage ».

Résultats

Tâche de détection de phonèmes

Stimuli « contrôle »

19Une ANOVA 2 × 2 avec le facteur « champ visuel (CV) de présentation » (CVd, CVg) comme variable intrasujet et le facteur « genre » (homme, femme) comme variable intersujets a été effectuée. Aucun effet de spécialisation hémisphérique n’a été obtenu (Fs < 1).

Stimuli « langage »

20Une ANOVA 2 × 2 × 2 avec le facteur « CV » (CVd, CVg) et le facteur « CGP » (T, NT) comme variables intrasujet et le « genre » (homme, femme) comme variable intersujets, a été effectuée pour les stimuli cibles. Des analyses par participant (F1) et par item (F2) ont été réalisées. Les moyennes et les écartstypes sont présentés dans le tableau 1.

Analyse des TR

21L’analyse montre un effet principal du CV [F1 (1, 22) = 4,33, proportion de réduction de l’erreur [PRE = 0,16 [1], p < 0,05 ; F2 (1, 46) = 7,77, PRE = 0,16, p < 0,05] avec une détection plus rapide des cibles présentées dans le CVd-HG. Un effet principal de la CGP est également observé [F1 (1, 22) = 7,60, PRE = 0,26, p < 0,05 ; F2 (1, 46) = 3,55 ; PRE = 0,08, p < 0,05] ce qui suggère que la détection des stimuli T est plus rapide que celle des NT. L’interaction CV × CGP est proche du seuil de significativité dans l’analyse par participants [F1 (1, 22) = 3,24, p = 0,08] et significative dans l’analyse par item [F2 (1, 46) = 4,67, PRE = 0,10, p < 0,05] avec un écart interhémisphérique plus important pour les stimuli NT que T. Enfin, la double interaction CV × CGP × genre (figure 2) est significative [F1 (1, 22) = 7,06, PRE = 0,24, p < 0,05 ; F2 (1, 46) = 5,23, PRE = 0,11, p < 0,05], les hommes présentant un écart interhémisphérique plus important pour les stimuli NT que pour les T. L’écart interhémisphérique chez les femmes est semblable pour les stimuli T et NT. Ceci est confirmé par l’analyse des contrastes qui montre un écart interhémisphérique significatif pour les stimuli NT uniquement chez les hommes [F1 (1, 22) = 12,39, PRE = 0,36, p < 0,05].

Tableau 1
Tableau 1
Sexe CVg-HD T CVd-HG T NT NT Femmes TR 847,70 % 810,12 % 844,38 % 784,34 % 193,49 % 203,04 % 140,95 % 179,34 % BR 47,92 % 63,89 % 62,50 % 77,78 % 21,65 % 21,71 % 18,96 % 16,02 % Hommes TR 957,32 % 818,97 % 846,96 % 825,53 % 283,49 % 170,06 % 247,78 % 158,86 % BR 40,28 % 63,19 % 54,17 % 76,39 % 19,73 % 18,95 % 24,74 % 14,57 %
Moyennes des temps de réponse (TR) en millisecondes (ms) et moyennes des pourcentages de bonnes réponses (BR), pour les hommes et pour les femmes, selon le champ visuel de présentation (CVg, CVd) et le degré de transparence graphophonémique (T, NT) pour la tâche de détection de phonèmes. Les écarts types sont en italique
Figure 2
Figure 2
Interaction significative entre les variables champ visuel de présentation, degré de transparence graphophonémique et genre, en termes de temps de réponse (TR, ms) pour la tâche de détection de phonèmes. Chez les hommes, l’écart interhémisphérique est significatif avec une prédominance hémisphérique gauche pour les stimuli NT uniquement. Chez les femmes l’écart interhémisphérique n’est significatif ni pour les stimuli NT ni pour les stimuli T.
TR : temps de réponse ; CVg, CVd : champ visuel de présentation gauche, droit ; HD : hémisphère droit ; HG : hémisphère gauche ; NT : stimuli « non transparents » selon le degré de transparence graphophonémique ; T : stimuli « transparents » selon le degré de transparence graphophonémique.

Analyse des pourcentages de BR

22Un effet principal du CV est obtenu [F1 (1, 22) = 14,17, PRE = 0,40, p < 0,05 ; F2 (1, 46) = 17,42, PRE = 0,28, p < 0,05], le taux de détections correctes est plus élevé pour les stimuli présentés dans le CVd-HG. Un effet principal de la variable CGP est observé [F1 (1, 22) = 31,58, PRE = 0,59, p < 0,05 ; F2 (1, 46) = 28,27 ; PRE = 0,38, p < 0,05] avec une meilleure performance pour les stimuli T que NT.

Tâche de détection de rimes

Stimuli « contrôle »

23Une ANOVA 2 × 2 avec le facteur « Champ Visuel (CV) de présentation » (CVd, CVg) comme variable intrasujet et le facteur « Genre » (Homme, Femme) comme variable intersujets a été effectuée. Aucun effet de spécialisation hémisphérique n’est obtenu (Fs < 1).

Stimuli « langage »

24Une ANOVA 2 × 2 × 2 avec le facteur « CV » (CVd, CVg) et le facteur « CGP » (T, NT) comme variables intrasujet, et le « genre » (homme, femme) comme variable intersujets, est effectuée pour les stimuli cibles. Des analyses par participants (F1) et par items (F2) ont été réalisées. Les moyennes et les écarts types sont présentés dans le tableau 2.

Tableau 2
Tableau 2
Sexe CVg-HD T CVd-HG T NT NT Femmes TR 736,33 % 769,54 % 792,13 % 705,39 % 123,54 % 170,44 % 174,42 % 151,60 % BR 54,17 % 58,33 % 72,22 % 89,58 % 31,48 % 25,13 % 17,53 % 14,70 % Hommes TR 885,69 % 805,01 % 769,70 % 703,19 % 156,50 % 159,81 % 147,33 % 99,42 % BR 50,69 % 75,00 % 81,94 % 89,58 % 22,32 % 16,28 % 19,08 % 13,35 %
Moyennes des temps de réponse (TR) en millisecondes (ms) et moyennes des pourcentages de bonnes réponses (BR), pour les hommes et pour les femmes, selon le champ visuel de présentation (CVg, CVd) et le degré de transparence graphophonémique (T, NT), pour la tâche de détection de rimes. Les écarts types sont présentés en italique

Analyse des TR

25Un effet principal du CV [F1 (1, 22) = 4,94, PRE = 0,15, p < 0,05 ; F2 (1, 46) = 5,94, PRE = 0,11, p < 0,05] est obtenu, avec une détection plus rapide des cibles présentées dans le CVd-HG. Un effet principal de la CGP est également observé [F1 (1, 22) = 13,55, PRE = 0,33, p < 0,05 ; F2 (1, 46) = 4,39, PRE = 0,09, p < 0,05] suggérant que la détection des stimuli T est plus rapide que celle des NT. L’interaction CV × Genre est significative [F1 (1, 22) = 4,24, PRE = 0,16, p < 0,05 ; F2 (1, 46) = 6,31, PRE = 0,13, p < 0,05] et montre que l’écart interhémisphérique lors de la détection de rimes est plus important chez les hommes. L’interaction CGP × genre est proche de la significativité dans l’analyse par participants [F1 (1, 22) = 2,95, p = 0,09] et dans l’analyse par items [F2 (1, 46) = 3,65 ; p = 0,06] et suggère que seuls les hommes effectuent une détection plus rapide pour les stimuli T que NT. Enfin, la double interaction CV × CGP × genre est significative [F1 (1, 22) = 4,35, PRE = 0,16, p < 0,05 ; F2 (1, 46) = 3,02, PRE = 0,06, p < 0,05], les hommes présentent une différence interhémisphérique pour les stimuli T et les stimuli NT plus importante que les femmes (figure 3). L’analyse des contrastes indique que l’écart interhémisphérique chez les hommes est significatif aussi bien pour les T [F1 (1, 22) = 6,23, PRE = 0,22, p < 0,05] que pour les NT [F1 (1, 22) = 6,87, PRE = 0,23, p < 0,05]. Aucune différence interhémisphérique n’est obtenue chez les femmes, qu’il s’agisse de stimuli T ou de stimuli NT (Fs < 1). Enfin, la différence d’écart interhémisphérique est significative entre les hommes et les femmes uniquement pour les stimuli NT [F1 (1, 22) = 7,54, PRE = 0,26, p < 0,05].

Figure 3
Figure 3
Interaction significative entre les variables champ visuel de présentation, degré de transparence graphophonémique et genre, en termes de temps de réponses (TR, ms) pour la tâche de détection de rimes. Chez les hommes, l’écart interhémisphérique est significatif avec une prédominance hémisphérique gauche pour les stimuli NT et pour les T. Chez les femmes, l’écart interhémisphérique n’est significatif ni pour les stimuli NT ni pour les stimuli T.
TR : temps de réponse ; CVg, CVd : champ visuel de présentation gauche, droit ; HD : hémisphère droit ; HG : hémisphère gauche ; NT : stimuli « non transparents » selon le degré de transparence graphophonémique ; T : stimuli « transparents » selon le degré de transparence graphophonémique.

Analyse des pourcentages de BR

26Un effet principal du CV est observé [F1 (1, 22) = 37,90, PRE = 0,63, p < 0,05 ; F2 (1, 46) = 56,86, PRE = 0,55, p < 0,05] avec de meilleurs taux de détections correctes pour les cibles présentées dans le CVd-HG. Un effet principal de la CGP est aussi observé [F1 (1, 22) = 9,69, PRE = 0,30, p < 0,05 ; F2 (1, 46) = 24,74 ; PRE = 0,35, p < 0,05] avec une meilleure performance pour les stimuli T que NT. La double interaction CV × CGP × genre est significative [F1 (1, 22) = 8,87, PRE = 0,29, p < 0,05 ; F2 (1, 46) = 9,51, PRE = 0,17, p < 0,05] (figure 4). Une analyse des contrastes montre que les hommes présentaient un avantage de l’HG aussi bien pour les stimuli T [F1 (1, 22) = 6,39, PRE = 0,23, p < 0,05] que pour les stimuli NT [F1 (1, 22) = 18,94, PRE = 0,46, p < 0,05]. Chez les femmes, le profil des résultats est identique à celui des hommes, avec un avantage de l’HG aussi bien pour la détection des stimuli T [F1 (1, 22) = 29,34, PRE = 0,57, p < 0,05] que des NT [F1 (1, 22) = 6,32, PRE = 0,22, p < 0,05]. Dans l’analyse par items un effet principal du facteur genre est observé [F2 (1, 46) = 8,87, PRE = 0,16, p < 0,05] avec une meilleure performance chez les hommes. L’interaction CGP × genre est également observée [F2 (1, 46) = 5,49, PRE = 0,11, p < 0,05] ; elle montre que les hommes détectent mieux les stimuli T que NT. Aucune différence entre les deux types de stimuli n’est observée chez les femmes.

Figure 4
Figure 4
Interaction significative entre les variables champ visuel de présentation, degré de transparence graphophonémique et genre, en termes de pourcentage de bonnes réponses (BR) pour la tâche de détection de rimes. Chez les hommes et chez les femmes, l’écart interhémisphérique est significatif avec une prédominance hémisphérique gauche, qu’il s’agisse des stimuli NT ou T.
BR : pourcentage des bonnes réponses ; CVg, CVd : champ visuel de présentation gauche, droit ; HD : hémisphère droit ; HG : hémisphère gauche ; NT : stimuli « non transparents » selon le degré de transparence graphophonémique ; T : stimuli « transparents » selon le degré de transparence graphophonémique.

Synthèse des résultats

27Les principaux résultats obtenus dans cette étude sont les suivants :

  • une prédominance de l’hémisphère gauche pour chacune des deux tâches phonologiques ;
  • un effet du type de la transparence graphophonémique pour chacune des deux tâches : les stimuli « transparents » sont mieux et plus rapidement traitées que les « non transparents » ;
  • un effet du genre et de la transparence graphophonémique sur la spécialisation hémisphérique lors de la détection de phonèmes : les hommes ont une prédominance de l’hémisphère gauche plus marquée lors du traitement des stimuli « non transparents » que pour le traitement des stimuli « transparents ».

Discussion

28Un premier résultat fondamental de cette étude est la supériorité du CVd-HG confirmant la spécialisation de l’hémisphère gauche pour le traitement phonologique. Ce résultat est en accord avec ce qui a été décrit antérieurement dans la littérature [1]. Cet avantage est par ailleurs renforcé par l’absence de prédominance hémisphérique dans la tâche « contrôle », nous permettant de confirmer la validité de la procédure en champ visuel divisé.

29Un autre résultat obtenu dans cette étude est l’effet du degré de transparence graphophonémique des stimuli sur les performances. Les stimuli « transparents » sont détectés de façon plus efficace que les stimuli « non transparents », ce qui corrobore les résultats d’études antérieures [22]. Ce résultat suggère que les phonèmes « transparents » impliqueraient un traitement moins complexe que les phonèmes « non transparents ». En effet, le principal mécanisme dans le traitement des stimuli « transparents » pourrait être un traitement visuel similaire à celui impliqué lors d’une détection de lettre. Dans une étude effectuée en tomographie par émission de positons, les auteurs ont montré que, lors d’une tâche de détection de lettres, les activations des zones dédiées au langage sont réduites. En effet, les activations les plus prégnantes pour une telle tâche sont bilatérales et concernent les aires extrastriées visuelles [23]. Ces activations correspondent au traitement des formes visuelles et, de façon plus spécifique, au traitement des caractéristiques visuelles des lettres à détecter. Dans notre étude, les stimuli « transparents » sont traités bilatéralement sur la base d’une analyse visuelle (c’est-à-dire recherche de la lettre « o » plutôt que du phonème /o/). Elles seraient donc traitées de manière automatique (c’est-à-dire traitement plus rapide et plus précis) que les stimuli « non transparents » qui sont traitées par l’hémisphère gauche sur la base d’une analyse plus complexe, nécessitant une conversion graphophonémique.

30Nos résultats ont par ailleurs montré que l’effet de la transparence graphophonémique sur le degré de la spécialisation hémisphérique semble dépendant de la tâche et du genre des participants. Ces résultats vont être discutés pour chacune des tâches.

31Concernant la tâche de détection de phonèmes, nos résultats ont montré des différences entre les hommes et les femmes en ce qui concerne la modulation de l’asymétrie interhémisphérique par le degré de transparence graphophonémique. Chez les hommes, la prédominance gauche s’est avérée plus marquée pour les stimuli « non transparents » que pour les stimuli « transparents ». En accord avec les modèles proposés par Eviatar et Zaidel [17], ce pattern de résultats suggère une dissociation interhémisphérique du traitement. En termes d’efficacité, les stimuli « transparents » seraient traités de façon identique (équipotente) par les deux hémisphères, malgré leur stratégie spécifique de traitement associée aux stimuli langagiers (conversion graphophonémique) pour l’hémisphère gauche, et aux stimuli visuels (iconiques) pour l’hémisphère droit [24]. Concernant la procédure de traitement utilisée par l’hémisphère droit, la tâche de détection de phonèmes pourrait être assimilée à une détection de lettres qui nécessiterait alors un traitement essentiellement visuel. Les stimuli « non transparents », quant à eux, seraient mieux et plus rapidement traités quand ils sont présentés dans le CVd-HG. L’augmentation des temps de réponse et la diminution du taux de réponses correctes pour les stimuli « non transparents » présentés d’abord à l’hémisphère droit sont en accord avec l’idée qu’un transfert interhémisphérique est nécessaire afin que l’hémisphère gauche traite l’information. En effet, l’hémisphère gauche prendrait principalement en charge l’analyse des stimuli « non transparents » [25]. Dans l’ensemble, ces résultats suggèrent que les stimuli « non transparents » ne peuvent être traités que sur la base d’une procédure de traitement langagier (conversion graphophonémique) [12]. Chez les femmes, aucune modulation du degré de spécialisation hémisphérique par la transparence graphophonémique n’a été observée, suggérant que le traitement des deux types de stimuli serait effectué de manière similaire par les deux hémisphères. Ils pourraient donc indifféremment prendre en charge le traitement des deux types des stimuli, sans prédominance de l’un sur l’autre [26].

32Pour la détection de rimes, aucune modulation de la spécialisation hémisphérique gauche par la transparence graphophonémique n’a été observée, ni chez les hommes, ni chez les femmes. Ce résultat suggère que la détection de rimes nécessiterait toujours l’hémisphère gauche pour le traitement des stimuli langagiers qu’ils soient « transparents » ou « non transparents ». Concernant la dynamique interhémisphérique de l’information, ce résultat reflète un pattern de « relais calleux » nécessitant un transfert de l’information vers l’hémisphère gauche. Par ailleurs, il a été suggéré que la tâche de détection de rimes implique, en plus du traitement phonologique, d’autres processus cognitifs et notamment le maintien « on line » temporaire de l’information tel que le prend en charge la boucle articulatoire de la mémoire à court terme [27]. On pourrait donc considérer que la tâche de détection de rimes n’est pas seulement une tâche impliquant le langage, mais aussi une tâche de mémoire de travail verbale impliquant plus l’hémisphère gauche. Dans ce contexte, la forte implication de l’hémisphère gauche lors du jugement de rimes pourrait s’expliquer par une sommation de ces deux processus, un de langage et un autre de mémorisation, fortement latéralisés à gauche [28]. Ceci pourrait expliquer la différence observée dans les patterns de latéralisation hémisphérique mise en évidence chez les hommes et chez les femmes lors de cette tâche. Il a été montré que, lors d’une détection de rimes par des femmes, le traitement mis en jeu impliquait le gyrus frontal inférieur bilatéralement, tandis que, chez les hommes, les activations étaient restreintes au côté gauche de cette région [7]. Le gyrus frontal inférieur incluant l’aire de Broca (AB 44 et 45) est par ailleurs fortement impliqué dans la boucle phonologique de la mémoire de travail verbale (AB 44) [29]. La participation différentielle du gyrus frontal inférieur entre les hommes et les femmes pourrait être à l’origine des différences comportementales constatées lors de la tâche de détection de rimes. De futures études en IRMf seront nécessaires pour apporter des éléments supplémentaires à l’appui de cette hypothèse.

33Dans l’ensemble, nos résultats montrent que chez les hommes, l’hémisphère gauche semble davantage engagé dans la réalisation des deux tâches phonologiques. En revanche, chez les femmes, une implication équivalente des deux hémisphères est mise en évidence pour le traitement impliqué dans les deux tâches. Ces résultats sont en accord avec l’hypothèse d’une latéralisation gauche plus prononcée chez les hommes que chez les femmes [26]. Néanmoins, l’effet du facteur genre semble plus robuste en termes de rapidité (TR) qu’en termes d’exactitude (BR). Ce constat permet de suggérer que le temps de transfert interhémisphérique est modulé par le genre de l’individu. À l’appui de cette hypothèse, une étude récente [30] en potentiels évoqués a montré un temps de transfert interhémisphérique plus rapide et plus symétrique (droite-gauche) chez les femmes que chez les hommes. Ainsi, dans le cadre des résultats de notre étude, un transfert interhémisphérique plus rapide chez les femmes pourrait masquer les effets de modulation de la spécialisation hémisphérique induits par la variable psycholinguistique. De futures études seront nécessaires pour valider cette hypothèse. De plus, il faut rester prudent quant à l’interprétation des résultats, étant donné la taille de notre échantillon dans chacune des deux tâches. Cette restriction apparaît d’autant plus critique qu’il a été suggéré que les femmes présentent une variabilité intragroupe plus importante que les hommes. Cette variabilité est notamment expliquée par la fluctuation des hormones pendant le cycle menstruel [31]. Ainsi, les prochaines études devront fournir un contrôle rigoureux concernant les caractéristiques des groupes afin de diminuer la variabilité intragroupe chez les femmes.

Conclusion

34Cette étude comportementale réalisée chez des sujets adultes sains cherchait à évaluer l’effet d’une variable psycholinguistique intra-individuelle et d’une variable interindividuelle sur la spécialisation hémisphérique pour le traitement phonologique impliqué dans le langage. Nous avons montré que l’asymétrie interhémisphérique (prédominance hémisphérique gauche) variait selon la tâche utilisée, les caractéristiques des stimuli (c’est-à-dire le degré de transparence graphophonémique) et le genre des participants. Des études supplémentaires en comportement et en IRMf seront nécessaires pour valider les hypothèses formulées suite aux résultats obtenus dans cette étude. Cette étude présente toutefois des intérêts pratiques, puisque nos résultats fournissent les premiers jalons expérimentaux permettant d’optimiser le choix d’une tâche destinée à évaluer l’hémisphère spécialisé pour le langage, et cela en fonction du genre. En effet, nos résultats suggèrent que la tâche de détection de rimes induit une robuste latéralisation gauche. Cette tâche pourrait ainsi contribuer à l’identification de l’hémisphère spécialisé pour le langage chez des patients candidats à une chirurgie cérébrale.

Remerciements

Nous remercions Christine Cannard, Françoise Bonthoux et Anne Hillairet de Boisferon, pour la relecture de ce manuscrit, ainsi que l’expert pour sa relecture critique d’une version antérieure du manuscrit.

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Mots-clés éditeurs : phonologie, conversion graphophonémique, phonème, champ visuel divisé, rime, genre

Date de mise en ligne : 15/11/2012

https://doi.org/10.1684/nrp.2009.0051

Notes

  • [1]
    Au lieu de présenter l’êta au carré (pour rapporter la taille de l’effet) nous avons choisi de présenter le pourcentage de réduction de l’erreur PRE (pour plus d’informations sur l’indice de la taille de l’effet, voir [21], note 5).

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