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Article de revue

Les unités de néonatologie, un environnement inhospitalier ? Perceptions et attentes sensorielles du nouveau-né prématuré hospitalisé

Pages 141 à 148

Introduction

1Les avancées récentes de la réanimation néonatale ont permis une amélioration de la morbimortalité de cette population vulnérable [1]. Néanmoins, la prématurité reste encore responsable de 60 à 75 % de la mortalité néonatale. En France, selon l’étude EPIPAGE-1, environ 40 % des enfants nés avant 32 semaines d’aménorrhée (SA) présentent des troubles neurosensoriels à l’âge de cinq ans [2]. Les causes de ces troubles sont multiples. Des facteurs bien connus sont d’ordre médical. Ainsi sont incriminés les désordres de l’homéostasie principalement liés aux troubles respiratoires, hémodynamiques et infectieux. Des facteurs environnementaux incluant des stimulations sensorielles inadaptées aux capacités du nouveau-né ont été mis en cause [3,4]. L’environnement peut modifier le développement du cerveau, particulièrement au cours de périodes critiques du développement cérébral où différentes phases interviennent, notamment la synaptogenèse qui est directement sous l’influence de l’expérience. Des mécanismes épigénétiques sont aussi impliqués. Les stratégies de « soins de développement » cherchent à adapter l’environnement aux compétences et aux attentes sensorielles des nouveau-nés hospitalisés. Elles ont été élaborées et mises en place pour soutenir le développement du nouveau-né et l’établissement du lien avec ses parents. Cette philosophie de soins implique de mieux comprendre le développement des systèmes sensoriels avant le terme normal de la grossesse. Nous en résumerons succinctement les principales étapes au vu des résultats issus des recherches en neurosciences et en psychologie du développement. Le rationnel scientifique des soins de développement repose aussi sur une bonne connaissance des caractéristiques de l’environnement hospitalier auquel les nouveau-nés prématurés sont exposés et de ses différences avec le milieu intra-utérin. Des recherches menées dans les deux dernières décennies ont permis d’évaluer la réactivité sensorielle des nouveau-nés grands prématurés à leur environnement. Elles permettent aujourd’hui de mieux comprendre leurs habiletés et attentes sensorielles et aident à mieux déterminer l’environnement propice à leur bien-être et au soutien de leur développement neurocognitif.

Développement des systèmes sensoriels [5 – 9]

2Les différents systèmes sensoriels des nouveau-nés se mettent en place avec une continuité transnatale et selon une chronologie progressive, spécifique à chaque modalité. Le toucher et la douleur se développent en premier, suivis du système kinesthésique, du goût et de l’odorat, de l’ouïe et pour finir de la vue. Les principales étapes de leurs développements anatomiques et fonctionnels sont schématisées sur la Figure 1.

3Pour résumer, les fibres nerveuses de la douleur commencent à se développer vers la septième semaine de gestation. Les projections neuronales au niveau cérébral apparaissent vers les 12 – 16e semaines de gestation et se développent jusqu’à 23 – 25 semaines.

4Les sensibilités gustatives et olfactives se développent parallèlement. Les différentes saveurs sont perçues par quatre types de papilles différents constituant l’organe du goût. Les papilles gustatives se développent dès la dixième semaine suivies des pores gustatifs entre la 10e et la 16e semaine. Le système olfactif est composé de quatre sous-systèmes se développant de la 4e à la 14e semaine postconceptionnelle. Ainsi, on retrouve principalement le système olfactif principal impliqué dans la détection et la discrimination des odeurs, le système trigéminal permettant la sensibilité aux odeurs de forte intensité (menthe, piment), l’organe voméronasal qui a une action transitoire et le système terminal sensible aux odeurs de faible intensité. Les axones des neurorécepteurs qui forment les nerfs olfactifs traversent les perforations de la lame criblée de l’ethmoïde dès sept – huit semaines pour aller vers le bulbe olfactif dont la différenciation débute vers six à huit semaines.

5L’émergence de la fonction auditive se fait de façon parallèle au développement de la cochlée et débute vers 18 à 20 semaines d’âge gestationnel. Elle se complexifie petit à petit afin de rejoindre une fonctionnalité d’adulte vers 35 SA.

6Le système visuel est le plus tardif à se mettre en place. Il est complexe, mais les principales structures utiles à la perception visuelle sont la rétine, les fibres optiques et le cortex visuel. Les radiations optiques s’individualisent au sixième mois et participent à la formation du cortex visuel primaire. La rétine commence son développement très tôt dans l’embryogenèse, de façon parallèle au développement de l’œil. De couche unicellulaire à 24 SA, sa complexification en huit couches de cellules définitives va prendre plusieurs semaines. Il faudra quatre ans pour que la rétine atteigne sa structure et sa fonctionnalité définitive.

Fig. 1

Chronologie du développement des systèmes sensoriels (en pointillés : formes incomplètes ; en vert : formes complètes ; en bleu : réponses comportementales / physiologiques ; en rouge : activation cérébrale)

Chronologie du développement des systèmes sensoriels (en pointillés : formes incomplètes ; en vert : formes complètes ; en bleu : réponses comportementales / physiologiques ; en rouge : activation cérébrale)

Chronologie du développement des systèmes sensoriels (en pointillés : formes incomplètes ; en vert : formes complètes ; en bleu : réponses comportementales / physiologiques ; en rouge : activation cérébrale)

7Ainsi globalement, le nouveau-né est « équipé » pour réagir à son environnement avant la fin du deuxième trimestre de la grossesse et pour intégrer cette perception au niveau cortical au début du troisième trimestre.

Caractéristiques de l’environnement hospitalier et différences avec l’environnement utérin

8D’un environnement aquatique, sombre, où les bruits sont assourdis et où les mouvements de l’enfant, peu soumis à la pesanteur, sont limités par les parois utérines, le nouveau-né prématuré est brutalement exposé à un environnement aérien, bruyant, aux lumières vives et colorées, aux stimulations olfactives intenses et à de nombreux stimuli douloureux survenant de façon répétée tout au long de l’hospitalisation.

Stimulations tactiles et vestibulaires

9In utero, les sensibilités tactile et vestibulaire peuvent être sollicitées de façon atténuée par le liquide amniotique, les parois utérines et les tissus maternels. Les stimuli tactiles sont apportés par les mouvements maternels et fœtaux, le contact du fœtus avec son propre corps ou contre la paroi utérine. Cette sensation contraste avec les nombreuses stimulations tactiles rencontrées par l’enfant prématuré au cours de ses soins. Une étude épidémiologique multicentrique française concernant 430 nouveau-nés admis en réanimation en 2005 – 2006 a montré que les nouveau-nés prématurés sont très exposés à des gestes douloureux et stressants (nombre moyen de 16 par jour) [10], données confirmées récemment à l’échelon européen [11]. Les gestes douloureux identifiés comme étant les plus fréquents sont l’aspiration trachéale, la ponction au talon, l’ablation d’adhésif, la ponction veineuse, la pose de cathéter et la pose d’une sonde nasogastrique [10]. D’autres gestes non invasifs réalisés au cours des soins peuvent aussi devenir source d’inconfort et de douleur comme les soins de nursing, le changement de couche, la toilette, la pesée et la prise de la tension artérielle [12].

Stimulations chémosensorielles

10In utero, les stimulations gustatives et olfactives présentent un stimulus commun représenté par le liquide amniotique. L’odeur de ce liquide dont la composition change au cours de la grossesse est fade. Il est teinté de flaveurs (sensations olfactives et gustatives combinées) modifiées par l’alimentation de la mère. Au fur et à mesure de la grossesse, le fœtus avale de plus en plus de liquide amniotique, expérimentant ainsi très tôt des sensations gustatives. Cette expérience peut engendrer des préférences gustatives ultérieures ; ainsi, une exposition en fin de grossesse à un régime alimentaire riche en ail, anis ou carottes crée une préférence du nouveau-né pour l’aliment auquel il a été exposé in utero [13]. En cas de naissance prématurée, cette exposition s’arrête. Le nouveau-né peut être exposé au lait maternel et au colostrum soit directement au sein de sa mère, soit par le biais de matériel (sonde, tétine) pouvant apporter un goût différent. La bouche et le nez sont fortement sollicités négativement par les aspirations buccales et nasales pluriquotidiennes au cours des soins.

11Il existe de nombreuses stimulations olfactives au sein de l’incubateur. Leur complexité rend difficile leur analyse sensorielle, mais la plupart seraient connotées négativement par une cohorte d’adultes [7]. Aux odeurs naturelles s’ajoutent des odeurs artificielles : produits cosmétiques destinés aux soins corporels de l’enfant, des compresses et pansements, imprégnés par les processus de stérilisation, mais également des odeurs plus irritantes comme les solutions hydroalcooliques utilisées pour la désinfection des mains, les produits de lubrification des sondes et les dissolvants. Les doudous, les langes et les vêtements, les tétines et même l’incubateur lui-même peuvent produire une odeur perceptible. Les mains des parents et des soignants entrant dans l’incubateur ont leur propre odeur corporelle ajoutée aux odeurs liées aux produits d’hygiène. Ainsi, un nouveau-né prématuré est exposé le premier mois de sa vie en moyenne entre 1 320 – 1 800 fois à une odeur « nosocomiale ». Les enfants nés à 28 SA peuvent être exposés durant leur hospitalisation près de 3 500 fois à des odeurs nosocomiales et ceux nés à 32 SA plus de 2 000 fois. Près de deux tiers de ces stimulations sont des odeurs irritantes ou potentiellement irritantes [14].

Stimulations auditives

12L’environnement sonore du fœtus dépend à la fois des bruits internes liés à la physiologie maternelle et des bruits externes atténués par les tissus maternels et le liquide amniotique. Tous ces signaux sont de basse fréquence, l’utérus agissant comme un filtre atténuant les sons de haute fréquence. Les sons enregistrés les plus intenses sont ceux de fréquence inférieure à 60 Hz (70 à 97 dB). L’intensité est de 28 à 65 dB pour les bruits d’origine organique correspondant aux autres fréquences [15]. Le fœtus perçoit les composantes basse fréquence de la parole pour des intensités d’au moins 60 dB. La perception d’une conversation est ainsi accessible au fœtus. Son intelligibilité augmente avec l’intensité du stimulus et avec le caractère grave de la voix [16]. Cet apprentissage anténatal explique sa capacité à modifier son comportement pour entendre préférentiellement la voix de sa mère [17]. Cependant, en cas de naissance prématurée, le nouveau-né reçoit des stimuli inhabituels à la fois en termes d’intensité, de latence et d’enveloppe spectrale. L’univers sensoriel des services de réanimation néonatale est composé de stimuli auditifs nombreux et intenses marqués par leur caractère chaotique, imprédictible et non écologique. Ils sont en grande partie dus à l’activité humaine et au matériel lié aux soins. De nombreux auteurs se sont intéressés à cet environnement sonore, montrant des niveaux sonores élevés (55 à 75 dB avec des pics sonores pouvant aller jusqu’à 100 dB) [18].

Stimulations visuelles

13Les stimulations visuelles prénatales sont limitées. La lumière externe va pouvoir modifier la luminosité intrautérine en fonction de sa puissance et de l’épaisseur des tissus maternels. Le niveau de luminosité peut atteindre 50 lux (soit celle d’une rue moyennement éclairée la nuit) [19]. La transmission augmente au fur et à mesure de la grossesse mais également en fonction du type, de l’intensité et de sa longueur d’onde. À la naissance, les nouveau-nés prématurés sont dans un environnement illuminé 24 heures/24 et dont l’ambiance dépend de la lumière extérieure mais surtout des lumières artificielles. L’intensité est bien supérieure à celle rencontrée in utero puisqu’elle est en moyenne de 350 lux la nuit et de 470 lux le jour [20]. Les variations lumineuses peuvent être secondaires à l’architecture du service. L’emploi de la photothérapie augmente de 20 fois la luminosité perçue dans l’environnement, dans un spectre lumineux bien différent et atypique (lumière bleue) [20]. Des facteurs intrinsèques peuvent jouer également sur la perception lumineuse des nouveau-nés prématurés. Le degré de maturation des défenses naturelles du nouveau-né (paupières, réflexes pupillaires), le positionnement du nouveau-né au sein de l’incubateur [21] et principalement l’emploi de couvre couveuse permettent de diminuer efficacement l’intensité de la lumière environnante de l’enfant et de celle atteignant sa rétine.

Capacités perceptives/habiletés sensorielles des enfants prématurés

14La réactivité de l’enfant à son environnement et ses différents niveaux (physiologique, comportemental, cérébral) renseignent sur ses capacités perceptives.

Tact et douleur

15Depuis longtemps, des échelles uni- ou multidimensionnelles (EDIN, PIPP, DAN, Confort) intégrant l’étude de réactions comportementales et physiologiques sont utilisées pour l’évaluation de la douleur du nouveau-né. La sensibilité nociceptive du nouveau-né n’est plus discutée depuis les travaux d’Anand et Hickey [22]. Une réponse comportementale à un stimulus douloureux est constatée dès 23 – 24 SA. Une réaction corticale témoigne d’une perception consciente dès 25 SA [23]. D’autres méthodes permettent d’évaluer la perception douloureuse : la variabilité du rythme cardiaque et la conductance cutanée. L’immaturité des mécanismes inhibiteurs de la transmission des stimulations douloureuses à la naissance suggère que la douleur est probablement perçue de façon plus intense. Même des soins courants réputés non nociceptifs peuvent induire une sensation douloureuse [12]. Les réponses à la douleur sont même augmentées si le geste douloureux est précédé par des soins de routine [24].

Sensibilités chémosensorielles

16Le nouveau-né parvient par le biais de mimiques spécifiques à montrer ses préférences gustatives. Elles sont particulièrement positives pour le sucré [25]. À ce jour, on sait encore peu de chose sur la réactivité de l’enfant prématuré aux odeurs auxquelles il est soumis dans son quotidien. Une modification de l’activité cérébrale (mesurée par spectrométrie dans le proche infrarouge) [26], du rythme respiratoire [27] ainsi que des réponses comportementales sont notées suite à une exposition olfactive. Les enfants sont réactifs à des odeurs même de faible intensité [27]. Les odeurs à valeur hédonique positive semblent améliorer le bien-être du nouveau-né. Ainsi, la succion non nutritive est optimisée si des odeurs lactées y sont associées. L’exposition à l’odeur du lait maternel permet l’arrêt des pleurs plus précocement lors d’un prélèvement sanguin [28]. La vanille réduit le nombre d’apnées des nouveau-nés prématurés [27] et diminue les comportements de douleur lors d’un prélèvement sanguin. Les odeurs les plus appréciées restent celles avec lesquelles le nourrisson a pu se familiariser in utero [7]. Des modifications de la fréquence respiratoire ont été décrites chez des nouveau-nés entre 28 et 33 SA suite à l’exposition à des odorants (vanille et acide butyrique) [7]. Des expressions faciales positives, des modulations des rythmes respiratoires et des mouvements de succion lors d’odeurs agréables ont été mises en évidence tout comme des performances discriminatives, de mémorisation et d’apprentissage. Les nouveau-nés prématurés semblent ainsi capables d’attribuer des valeurs hédoniques aux stimulations olfactives avec des réponses positives pour des odeurs plaisantes et des réponses négatives pour des odeurs déplaisantes [6]. Ils semblent aptes à différencier des odeurs de qualité et d’intensité différentes.

Sensibilité auditive

17Le système auditif est fonctionnel très tôt dans le développement, puisque les premières réponses sont enregistrées vers 23 – 24 SA. De nombreuses études se sont intéressées aux réponses motrices et cardiaques du fœtus à des stimulations sonores de haute intensité (90 à 120 dB) : les toutes premières réponses motrices apparaissent à 19 semaines de gestation pour les basses fréquences (500 Hz) [5,29]. L’intensité acoustique nécessaire pour provoquer une réponse décroît au fur et à mesure de la maturation, cela dans un spectre de fréquences plus étendu [29]. Le fœtus proche du terme peut discriminer deux sons de fréquence différente, percevoir la musique, discriminer sa langue maternelle d’une autre, reconnaître la voix maternelle et est capable de présenter une habituation à un son [30 – 32]. Lors d’une naissance prématurée, les sons environnementaux produisent un effet physiologique dès 25 SA : modification de la tension artérielle, des fréquences cardiaque et respiratoire et de la saturation en oxygène [33]. Le nouveau-né prématuré est capable de détecter et de discriminer des sons de fréquence, d’intensité et de durée différentes [34], mais dans la limite de ses capacités attentionnelles [33]. Des répercussions neurologiques, endocrinologiques ou encore immunologiques liées au bruit ont été rapportées [33]. Les stimulations auditives au sein d’un incubateur de 5 à 10 dBA au-dessus du niveau de bruit ambiant [35] peuvent altérer le bien-être physiologique des nouveau-nés grands prématurés (tachycardie, diminution de la fréquence respiratoire et désaturation systémique et cérébrale) et causent des ruptures de sommeil de l’enfant [36]. Le nouveau-né perçoit un champ de fréquences suffisant pour entendre les conversations standard et les stimuli tels qu’ils sont émis en réanimation néonatale.

Sensibilité visuelle

18La réactivité des nouveau-nés prématurés aux stimulations lumineuses est plus importante dans les stades d’éveil calme que dans les stades de sommeil. Des variations lumineuses de plus de 1 000 lux sont accompagnées de réponses physiologiques chez le grand prématuré (diminution de la saturation systémique et augmentation de la fréquence cardiaque), surtout à un âge gestationnel précoce, lors de stimulations simultanées dans d’autres modalités sensorielles et d’augmentation brutale de la luminosité [37,38]. Une diminution de la luminosité produit une ouverture immédiate des paupières de l’enfant éveillé, qui se poursuit si la luminosité est maintenue à un seuil bas. La réduction prolongée du niveau de luminosité permet d’augmenter la stabilité respiratoire de l’enfant, diminue les fréquences cardiaque et respiratoire, l’agitation motrice et la tension artérielle [39]. Les nouveau-nés prématurés semblent détecter des variations lumineuses dès lors qu’elles dépassent 50 lux d’amplitude. Une variation de différents paramètres physiologiques est constatée (fréquences cardiaque et respiratoire, saturation cérébrale régionale), mais sans stigmate de stress sauf pour les variations d’intensité lumineuse beaucoup plus importantes [40].

Multisensorialité

19Si beaucoup de données commencent à être disponibles sur les compétences sensorielles des nouveau-nés prématurés dans une modalité donnée, peu de choses sont connues sur leurs capacités à intégrer des stimulations concomitantes dans plusieurs modalités sensorielles. Leur appréhension multisensorielle du monde dans lequel nous évoluons tous doit être mieux comprise. Des données très récentes suggèrent en tout cas une altération des capacités de mémorisation et de discrimination tactile par des stimulations sonores issues de l’hôpital (sons d’alarme) [41].

Environnement idéal ou comment respecter les attentes sensorielles en pratique

20L’adaptation du nouveau-né à son milieu postnatal et l’adaptation de l’environnement au nouveau-né semblent cruciales pour sa survie, sa santé et son bien-être. Lorsque le nouveau-né est en incubateur, son environnement est principalement déterminé par les appareillages techniques et dépend de l’intervention humaine et en particulier du personnel soignant. En peau-à-peau, l’environnement est fortement influencé par la mère comme il le serait in utero. L’environnement idéal est celui qui respecte les attentes sensorielles du nouveau-né. Il doit donc pouvoir répondre à des règles générales, mais ne peut pas être entièrement standardisé. Il doit être individualisé à chaque nouveau-né et ajustable à ses réponses et à l’analyse de son comportement.

21Au sein de son incubateur, le nouveau-né a besoin d’une installation appropriée. Les positions non soutenantes sont à l’origine de comportements « désorganisés », avec des périodes d’agitation plus importantes. L’utilisation d’un cocon, la position enveloppée (mains, langes) et le soutien postural permettent le maintien du nouveau-né en position fléchie et regroupée. Ces actions améliorent également le sommeil des nouveau-nés en décubitus dorsal [42]. Le respect de l’alignement tête – cou – tronc, le maintien des quatre membres et de la tête en position fonctionnelle proche de l’axe du corps et non en rotation externe, le soutien du contact avec les bords du cocon permettent d’offrir une sensation de sécurité au nouveau-né et d’aider à son autorégulation [43]. Si le nouveau-né est exposé à de nombreux gestes douloureux difficilement évitables en réanimation, leur fréquence nécessaire peut être réfléchie et leur nombre réduit au minimum. Le vécu douloureux du geste peut être atténué par l’utilisation de moyens antalgiques adaptés. Il existe des recommandations pour promouvoir l’utilisation des analgésiques (opioïdes, paracétamol) dans la population néonatale pour toutes les procédures douloureuses [44]. La perception douloureuse peut être diminuée par des moyens non pharmacologiques. Parmi ceux-ci, l’efficacité du « peau-à-peau », de la succion non nutritive et du sucrose est particulièrement reconnue [45,46].

22Les stimulations olfactives intenses ou irritantes devraient être évitées (dissolvant, solution hydroalcoolique non séchée). Inversement, l’introduction dans l’incubateur d’odeurs agréables, de faible intensité ou familière peut s’avérer bénéfique. Cependant, l’usage en routine d’odeurs agréables artificielles n’est pas supporté par des données suffisantes. L’effet à moyen et long termes de l’exposition volontaire à ces odeurs artificielles n’est pas connu. L’utilisation isolée de supports d’odeur maternelle familière (tissus ou vêtements portés par la maman) est largement pratiquée par les équipes de soins. Ses bénéfices pour le nouveau-né prématuré n’ont cependant pas été évalués avec précision, même si l’intérêt psychologique pour la mère semble important. Le contact de la peau parentale permet l’accès immédiat à l’odeur maternelle (ou paternelle). Outre l’introduction dans l’incubateur de véhicules d’odeurs maternelles déjà discutée, celle-ci peut être aussi représentée par l’odeur de lait maternel pouvant apaiser les nouveau-nés à terme [47].

23La sphère orale devrait être une sphère de plaisir pour le nouveau-né. Les stimulations nociceptives liées aux soins sont multiples. Le développement de l’oralité et de l’autonomie alimentaire doit être soutenu par des stimuli positifs afin de limiter les troubles ultérieurs de l’oralité auxquels sont exposés les grands prématurés. Placé en peau-à-peau contre sa mère, le nouveau-né va s’orienter vers l’odeur rassurante émanant du sein. Il peut présenter des mouvements de reptation jusqu’au sein et le téter. De tels comportements ont été observés dès 28 – 29 SA. Le nouveau-né doit pouvoir téter (sein ou tétine — succion non nutritive ou lait) aussi souvent et aussi longtemps qu’il le souhaite, y compris en incubateur. L’amélioration de ces réflexes orofaciaux comme une stimulation orale quotidienne permettent l’acquisition d’une autonomie alimentaire de façon plus précoce [48,49]. L’usage de programme de stimulations orales supplémentaires semble prometteur, mais les effets à long terme de ces stratégies ne sont pas encore suffisamment évalués [50]. Leur utilisation doit être adaptée à chaque individu et tenir compte des réponses propres de l’enfant.

24Le niveau sonore au sein de l’incubateur est dépendant de celui de la structure de soins. Il doit être limité tant pour le prématuré que pour le personnel soignant [51]. Les stimulations auditives de haute fréquence et surtout d’intensité élevée devraient être proscrites en néonatologie afin de préserver le bien-être du nouveau-né. La musique facilite l’état d’éveil, l’attention, la stabilité hémodynamique et le gain pondéral, surtout si elle est jouée en direct. L’exposition à une musique mono-instrumentale non complexe et à une voix féminine chantée doit être privilégiée. Ces données doivent être nuancées en raison de limites méthodologiques [52]. Le peau-à-peau permet l’accès à certains stimuli auditifs importants comme les voix parentales. Selon des données préliminaires, le nouveau-né prématuré sait reconnaître la voix de sa mère. Néanmoins, les difficultés pour le nouveau-né à détecter un signal au sein d’un bruit de fond bruyant, comme celui de son incubateur, peuvent limiter l’accès à des signaux d’intérêt pour son développement comme les voix parentales. Cependant, un son de plus de 5 – 10 dBA au-dessus du bruit de fond ambiant semble perçu par le nouveau-né prématuré [35]. Le peau-à-peau est une très bonne solution permettant facilement l’accès à la voix parentale par transmission aérienne et osseuse. Il est prouvé que le temps d’exposition langagière lors de l’hospitalisation néonatale, surtout pendant le temps de présence parentale, est positivement corrélé à la capacité de l’enfant à émettre des vocalisations à 32 et 36 semaines d’âge postconceptionnel, et à son développement langagier à l’âge de 18 mois [53,54]. Ces données incitent à soutenir l’exposition des enfants à la voix de leurs parents.

25Les stimulations lumineuses au sein de l’incubateur dépendent de celle de la structure de soins et des moyens de protection utilisés afin qu’elles n’atteignent pas le nouveau-né. Peu de choses sont connues encore à ce jour sur la réactivité et l’appétence des nouveau-nés grands prématurés pour des stimuli visuels en dessous des seuils de recommandations (650 lux pour les soins courants et 1 080 lux pour les actes plus précis) [55]. Les stimulations lumineuses trop vives (plus de 1 000 lux) doivent être évitées. Le sommeil et le bien-être des nouveau-nés grands prématurés qui ne peuvent pas s’adapter aux variations de luminosité par leur réflexe pupillaire immature doivent être préservés par une protection « opaque » de l’incubateur, ou oculaire directe. En cas de nécessité pour la bonne pratique des soins, une protection oculaire doit être mise en place. La naissance prématurée permettrait une accélération de la mise en place de la fonction visuelle [56]. Une privation complète de stimulations visuelles ne doit donc pas être appliquée. La rapidité de développement de la vision étant propre à chaque individu, une adaptation individuelle est plus adaptée qu’une systématisation des pratiques. Une lumière douce lors des soins ou lors des séances de portage en peau-à-peau peut être une bonne transition pour favoriser l’éveil des nouveau-nés. Être attentif aux réactions du nouveau-né pendant ces périodes peut permettre d’adapter l’environnement au sein de l’incubateur à ses attentes. Une règle reste la préservation du sommeil qui est particulièrement importante pour le bon développement visuel de l’enfant, les mouvements oculaires rapides du sommeil participant à la mise en place de ce système.

26Le peau-à-peau offre au nouveau-né prématuré hospitalisé une rencontre multisensorielle unique avec sa mère dont tous les signaux sensoriels sont attractifs et biologiquement signifiants pour lui. Cet environnement sensoriel correspond à ses attentes. La congruence de ces différents signaux familiers (odeur maternelle, voix et sons physiologiques produits par la mère, bercement par sa respiration, réchauffement par sa chaleur corporelle…) donne corps à la personne que représente sa mère. L’effet bénéfique du peau-à-peau sur le maintien de l’homéostasie, de la thermorégulation, de la prise de poids, du sommeil, de l’expression de la douleur est clairement démontré [57]. Il favorise la proximité bouche – sein et permet à l’enfant de goûter au lait maternel. L’esquisse des mouvements de succion favorise la sécrétion d’ocytocine, hormone clé dans le rôle de la régulation du stress et de l’attachement. Le peau-à-peau dans un environnement à la luminosité adaptée à l’enfant peut promouvoir les interactions visuelles parents – enfant. L’absence de séparation mère – bébé a un rôle positif pour son organisation neurodéveloppementale. Le peau-à-peau, en exposant le nouveau-né à un ensemble de stimulations multimodales familières et apaisantes, permet de participer ainsi à son bien-être et de contribuer à son développement futur [58]. Au vu de l’ensemble de ces bénéfices, le séjour en incubateur ne devrait être envisagé qu’en alternative au peau-à-peau. L’environnement sensoriel idéal de l’enfant né prématuré est les bras de sa propre mère [59].

Conclusion

27La naissance prématurée extrait brutalement le nouveau-né de son environnement intra-utérin aux caractéristiques sensorielles familières et adaptées et le projette dans un environnement atypique riche en stimulations intenses. Cela se produit lors d’une période cruciale du développement cérébral où l’adéquation des stimulations aux attentes du nouveau-né est déterminante pour son développement ultérieur. Préserver le nouveau-né des stimulations hospitalières délétères et respecter la dyade mère – enfant apparaissent essentiels pour favoriser le développement harmonieux de ces enfants vulnérables.

28Liens d’intérêts : Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt.

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Mots-clés éditeurs : Soins de développement, Environnement, Néonatologie, Développement sensoriel, Prématuré

Mise en ligne 01/04/2021

https://doi.org/DOI 10.1007/s12611-016-0374-8

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