Notes
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[1]
Du beau, de l’amour, de la rhétorique, de l’âme, du bien ? Sur le problème du sous-titre, voir L. Brisson, « Introduction » à Platon, Phèdre, Paris, Flammarion, « GF », 1989, trad. fr. Luc Brisson (désormais Br.), p. 63-4, note 1, et C. Baron, « De l’unité de composition du Phèdre de Platon », Revue des études grecques, 1891, 4, p. 58-62.
-
[2]
« L’unité du Phèdre de Platon. Rhétorique et philosophie dans le Phèdre », in L. Brisson, Lectures de Platon, Paris, Vrin, 2000, p. 135 ; J. Derrida, « La pharmacie de Platon », in La Dissémination, Paris, Seuil, 1972, repris dans la traduction de Brisson.
-
[3]
Phèdre, 264b, trad. fr. É. Chambry (désormais Ch.), Paris, Flammarion, « GF », 1964, p. 149. « Fantastique bigarrure », juge M. de Montaigne, Essais, Paris, Gallimard, « Quarto », 2009, III, 9, p. 1203.
-
[4]
Deux bonnes cartographies des stratégies interprétatives sont fournies par G. Rodis-Lewis, « L’articulation des thèmes du Phèdre », Revue philosophique de la France et de l’étranger, 1975, 1 ; et par D. S. Werner, « Plato’s Phædrus and the problem of unity » (Oxford Studies in Ancient Philosophy, 2007, 32), qui classe l’immense littérature, depuis les visions mono-thématiques de l’unité – fondée sur la rhétorique, la connaissance de soi, l’écriture, l’essence de l’homme, l’amour, etc. (par exemple C. L. Griswold, Self-knowledge in Plato’s Phædrus, New Haven/Londres, Yale University Press, 1986 ; A. Nehamas, Virtues of authenticity : essays on Plato and Socrates, Princeton, Princeton University Press, 1999), jusqu’au « pluralisme thématique », en passant par les lectures formalistes (voir C. H. Kahn, Plato and the Socratic dialogue : the philosophical use of a literary form, Cambridge, Cambridge University Press, 1996), structurelles (W. C. Helmbold, W. B. Holther, The unity of the Phædrus, Berkeley, California University Press, 1952 ; Z. von Diesendruck, Plato’s Phædrus Struktur und Charakter des Platonischen Phaidros, Vienne, Braumüller, 1927), fonctionnelles (K. Dorter, « Imagery and philosophy in Plato’s Phædrus », Journal of the History of Philosophy, 1971, 9/3), jusqu’à celles qui nient toute unité (J. L. Kastely, infra note 28).
-
[5]
Ou encore l’unification par extension de la définition formelle du bon discours (264c : infra note 25) à la palinodie de Socrate, voire au dialogue entier : M. M. Heath, « The unity of Plato’s Phædrus », Oxford Studies in Ancient Philosophy, 1989, 7. Approche « rhétorique » critiquée par C. J. Rowe, « Unity of the Phædrus : a reply to heath », Oxford Studies…, 1989, 7, p. 187.
-
[6]
Phèdre, 266a, 237d, Ch., p. 151-2, p. 114.
-
[7]
Ibid., 260a, 262c, Ch., p. 140, p. 145. Voir par ex. A. Diès, Autour de Platon, Paris, Les Belles Lettres, 1972, p. 419-20 ; L. Robin, La Théorie platonicienne de l’amour, Forgotten Books, 2017 (Alcan, 1908), p. 188.
-
[8]
Voir Y. Lafrance, « F. Schleiermacher, lecteur du Phèdre de Platon », in L. Rossetti (dir.), Understanding the Phædrus, Proceedings of the II symposium Platonicum, Sankt Augustin, Academia Verlag, 1992, p. 211.
-
[9]
Phèdre, 228b, Ch., p. 103, et 242a, 236e. Même registre quand Socrate se déclare « amoureux des divisions et synthèses », 266b. Voir J. Derrida, « La pharmacie de Platon » ; et déjà les pages de Pierre-Maxime Schuhl sur le « pharmakon », in Platon et l’art de son temps, Paris, Puf, 1952 (Alcan, 1933), p. 22 et p. 37.
-
[10]
Voir le bilan dressé par E. Asmis, « Psychagogia in Plato’s Phædrus », Illinois Classical Studies, 1986, 11.
-
[11]
J. L. Kastely, « Respecting the rupture : not solving the problem of unity in Plato’s Phædrus », Philosophy and Rhetoric, Penssylvania University Press, 2002, 35/2.
-
[12]
J. Derrida, « La pharmacie de Platon », p. 71.
-
[13]
Phèdre, 250c, 274a, Ch., p. 129, p. 161, p. 162.
-
[14]
Platon, Œuvres complètes. II, Paris, Gallimard, « La Pléiade », 1950, p. 55.
-
[15]
« ἡ ῥητορικὴ ἂν εἴη τέχνη ψυχαγωγία τις διὰ λόγων », Phèdre, 261a, Br., p. 135, et 271c, p. 159 : « La puissance du discours se trouve être celle d’avoir une influence sur les âmes. » Toutes les autres traductions françaises, Victor Cousin (1832), Mario Meunier (Payot, 1922), Léon Robin (Les Belles Lettres, 1933, reprise dans la coll. « La Pléiade »), Paul Vicaire (Les Belles Lettres, 1972), Létitia Mouze (Le Livre de poche, 2007) sont homogènes avec celle-là : « conduire », « mener », « entraîner les âmes ». Seul Jacques Cazeaux est excessif en proposant : « direction spirituelle du souffle vital », in Phèdre, Paris, Le Livre de poche, 1997, p. 196. Charles Baron commente en parlant de l’« influence directe d’une âme sur une autre », in « De l’unité de composition… », p. 60. Christopher Rowe traduit : « a kind of leading of the soul by means of things said », in Phædrus, Liverpool, Aris & Phillips, 1986, p. 91 ; et Ernst Heitsch : « eine Art Seelenführung mit Hilfe von Reden », in Phaidros, Göttingen, Vandenhoek und Ruprecht, 1993, p. 47. Curieusement, L. Brisson ajoute à la formule, en sa première occurrence, mais sans justifier ce choix, des guillemets modalisateurs, qui évidemment ne figurent pas dans le texte grec. Mais c’est au fond une bonne idée, s’il entend par là attirer l’attention sur le fait que le terme de « psuchagogè » n’appartient pas du tout au domaine de la rhétorique, mais est un emprunt au vocabulaire magico-religieux, où il désigne l’évocation des âmes des morts, comme dans les Lois, X, 909b. Voir sa note 405, p. 219. Le mot « initiation » [télétè] employé par Platon dans ce même passage (253c) va dans le même sens. Le Phèdre vise donc à annuler l’import mystique de la communication des âmes dans l’élément si l’on ose dire « laïcisé » de la rhétorique.
-
[16]
Phèdre, 253c, Ch., p. 132.
-
[17]
Ibid., 238c, 253b, Ch., p. 115, p. 132.
-
[18]
Ibid., 268a, 272a, Br., p. 151, p. 160.
-
[19]
Ibid., 267d, Ch., p. 154.
-
[20]
E. Asmis, « Psychagogia in Plato’s Phædrus », p. 157.
-
[21]
Voir J. Moss, « Soul-leading : the unity of the Phædrus, again », Oxford Studies in Ancient Philosophy, 2012, 43, pour qui les différents moments du Phèdre « sont tous unifiés par un seul thème : psuchagôgia » (p. 29) ; A. Kelessidou, « La psychagogie du Phèdre et le long labeur philosophique », in L. Rossetti (dir.), Understanding the Phædrus, p. 267 : « la psychagogie peut être considérée comme skopos véritable du Phèdre ». Daniel Babut retrouve dans une introduction bien méditée cette idée en de nombreux passages du dialogue, et s’étonne, à raison, du peu de cas que les commentateurs en font ou en ont fait : « De quelques énigmes du Phèdre » (1987), inPlaton, Phèdre, trad. fr. J. Cazeaux, p. 36, et les p. 27-37 avec les notes répertoriant tous les passages grecs impliqués. Par contraste, la lecture de L. Brisson effectue un détour à notre avis inutilement large par la « meteorologia » (270a) et la « cosmologie » pour n’aboutir finalement qu’à une « certaine unité » du dialogue, in « L’unité du Phèdre… », p. 135.
-
[22]
Selon la formule judicieuse de D. Babut, inPlaton, Phèdre, trad. fr. J. Cazeaux, p. 35.
-
[23]
« τὰ παιδικὰ πείθοντες […] ἄγουσιν », Phèdre, 253b. « Presser » (Ch., p. 132), « conseiller » (Br., p. 120), « prêcher » (traduction de L. Robin, p. 45) : aucun de ces termes ne convient – le texte dit bien : « les amants agissent sur l’aimé par la persuasion », « en les persuadant ».
-
[24]
Phèdre, 261a, Br., p. 135.
-
[25]
Ibid., 264c, Br., p. 143. Notons que la formule littérale : « beau discours » [kalos logos] ne se trouve que dans le Banquet (210a), le Phèdre dit seulement : « beaux enfants », en désignant les discours que Phèdre est parvenu à faire prononcer à Socrate.
-
[26]
Phèdre, 238c, Br., p. 95.
-
[27]
Ibid., 271a, Br., p. 158.
-
[28]
Dans l’article très éclairant de J. L. Kastely évoqué en introduction, « Respecting the rupture : not solving the problem of unity in Plato’s Phædrus », l’auteur explique que « la tentation déférente est de soutenir qu’éros et politique peuvent être conciliés. La rupture au centre du Phèdre est faite pour nous détourner de cette tentation », et conclut que Platon veut nous alerter sur la nécessité où nous nous trouvons d’avoir à « négocier entre les demandes conflictuelles » que nous adressent notre « être politique » et notre « être érotique » (p. 150). Ce tissage, condition de la cité, est indispensable, mais nous creusons plus profondément quant à nous les facteurs qui le rendent problématique.
-
[29]
R. Burger, Plato’s Phædrus : a defense of a philosophic art of writing, considère que, dans l’esprit de Socrate, le fait que « le discours écrit ne délivre aucune impulsion érotique en direction d’une audience » vaut condamnation, mais que ce statut « non-érotique » de l’écrit est en même temps ce qui ouvre son « potentiel d’objectivité ». Réciproquement, la supériorité du discours oral sur le discours écrit provient précisément de sa « sélectivité érotique » (Tuscaloosa, Alabama University Press, 1980, p. 97).
-
[30]
Phèdre, 257c, respectivement : Br., p. 126, et Ch., p. 137.
-
[31]
Ibid., 278e, Br., p. 174.
-
[32]
Voir notre article « Qu’est-ce qu’une “constitution… sans lois” ? Réflexions sur le Politique de Platon (293c-303c) », Philosophie, 2019, 143.
-
[33]
P. Sloterdijk, Règles pour le parc humain, Paris, Mille et Une Nuits, 2000, voir p. 7-13. « Comme l’a relevé un jour Jean Paul, les livres sont de grosses lettres adressées aux amis », p. 7 ; « L’humanisme constitue une télécommunication créatrice d’amitié utilisant le média de l’écrit », id. ; le « message grec » (p. 8) renvoie à « l’art d’écrire des lettres inspirant l’amour à une nation d’amis », p. 13. Ainsi, Borgès voyait en Cervantès son meilleur ami.
-
[34]
Platon, Théétète, 189e, trad. fr. Léon Robin, Paris, Les Belles Lettres, 1970, p. 158.
-
[35]
Pour que l’allégorie de la Caverne (République, VII, 514a-518d) soit plausible, il faut imaginer le prisonnier amoureux. Certains ont déjà commencé à connaître leur dieu avant de tomber amoureux, et « cherchent » leur aimé en fonction de lui. Mais le processus ne sera complet qu’à travers l’amour : s’ils « scrutent en eux-mêmes pour découvrir la nature de leur dieu », « ils attribuent ce perfectionnement au bien-aimé » (252e-252a, Ch., p. 132). La médiation intersubjective du « connais-toi toi-même » est essentielle.
-
[36]
Phèdre, 248c, Ch., p. 127.
-
[37]
Ibid., 253b, Ch., p. 132 et Br., p. 121.
-
[38]
Ibid., 247c, Ch., p. 126. Voir Br., p. 111.
-
[39]
Ibid., 256d, Ch., p. 136, traduction légèrement modifiée.
-
[40]
La question de l’« immortalité » illustre parfaitement le double régime de la philosophie platonicienne, qui passe trop souvent inaperçu : après le traitement dogmatique du thème dans le tout début du mythe de l’attelage ailé, où l’essence de l’âme est prise en soi et comme élément isolé – version standard du platonisme « métaphysique » –, la fin du Phèdre traite l’immortalité sous l’angle dialogique et multiple, comme un résultat de l’intersubjectivité spirituelle : les discours « portent une semence qui donnera naissance en d’autres âmes à d’autres discours, lesquels assureront à la semence toujours renouvelée l’immortalité », 277a, Ch., p. 168. Il a fallu du temps, et peut-être une déprise du christianisme, pour accorder de l’attention à l’empirisme de Platon. Infra note 42.
-
[41]
Platon, Politique, 273d, trad. fr. É. Chambry, Paris, Flammarion, « GF », 1969, p. 193.
-
[42]
Au-delà de la prégnance culturelle du dodécatheon cher aux Grecs, le nombre de douze dieux (Zeus et onze autres divinités, 247a) est, philosophiquement, arbitraire. Mais il faut bien arrêter la prolifération des affinités entre types de beauté et types de divin ou d’âmes divines correspondants. On peut ajouter neuf types supplémentaires, correspondant aux neuf muses, auxquelles les cigales, « après leur mort », vont rapporter « qui honore le type » de valeurs ou vertus qu’elles représentent (259 c-d, Br., p. 131). Le concept même de type sert à contrer le risque encouru de noyer la beauté dans le multiple. Sans doute, si l’on suit cette piste, la beauté d’un corps affinitaire avec l’« âme d’un Zeus » (252e) sera-t-elle la plus grande, orientant vers une sorte d’unanimité esthétique, plus grande que la beauté corporelle affinitaire d’un dieu moins élevé, qui suscitera des amoureux moins nombreux. Mais le mythe des androgynes (Banquet, 189d-193d) donne une version tout opposée de la beauté, offrant un éros rigoureusement indexé sur le multiple : à chaque individu sa « moitié » affinitaire, unique sur la terre. On saisit l’enjeu du problème de l’individuation dans l’amour versus l’amour des Formes, bien éclairé par F. C. White, « Love and the individual in Plato’s Phædrus », Classical Quarterly, 1990, 40/02, p. 401 sq. À retrouver les embarras de l’un et du multiple dans les moindres thèmes de sa pensée, on peut se faire la réflexion que la philosophie de Platon n’est pas uniquement conforme à sa présentation traditionnelle : suprématie de l’essence unitaire et « réalisme des Idées », mais trame plutôt un immense double réseau intellectuel qui couvre de deux manières chaque objet envisagé, une première fois sous l’angle de l’Un, une seconde fois sous l’angle du Multiple. Supra note 40.
-
[43]
Phèdre, 250d, Br., p. 116.
-
[44]
Id. Si même on considère que les essences éthiques (et cognitives) poussent parfois leur manifestation jusque dans des symboles ou des actions sensibles, « c’est à peine si quelques-uns [y] reconnaissent… le modèle », 250b, Ch., p. 129. Leurs manifestations sensibles manquent d’« éclat », id.
-
[45]
Supra note 1.
-
[46]
Phèdre, 250d, Br., p. 116.
-
[47]
F. Nietzsche, Le Gai Savoir, Paris, Gallimard, « Folio », 1982 (1956), § 382, p. 292.
-
[48]
Phèdre, 248a, Ch., p. 127.
-
[49]
Ibid., 279c, Br., p. 176.
-
[50]
G. Romeyer-Dherbey, Les Sophistes, Paris, Puf, « Que sais-je ? », 1985, p. 47-8.
-
[51]
Gorgias poursuit : « Il y a des discours qui […], avec l’aide maligne de la persuasion, mettent l’âme dans la dépendance de leur drogue et de leur magie », Éloge d’Hélène, in Jean-Paul Dumont, Les Écoles présocratiques, Paris, Gallimard, « Folio », 1991, p. 712-3.
-
[52]
« La maïeutique socratique réveille l’esprit de sa léthargie, elle le ressuscite d’entre les morts ; la magie sophistique méduse les esprits, et fait d’eux des morts-vivants dociles et passifs. […] La dialectique, par questions brèves, brise l’élan oratoire du sophiste », J. Darriulat, « Gorgias et l’invention de la rhétorique », document en ligne, http://www.jdarriulat.net/Introductionphiloesth/Antiquite/Gorgias.html.
-
[53]
Phèdre, 252a, Ch., p. 131 ; Br., p. 118.
-
[54]
Ibid., 264c, Ch., p. 149.
-
[55]
Ibid., 266b, Ch., p. 152.
-
[56]
Ibid., 264b, Br., p. 149. D. J. Schenker distingue la « nécessité psychagogique » de la « nécessité logographique », simplement rhétorique, in « The strangeness of the Phædrus », American Journal of Philology, Baltimore, John Hopkins University Press, 2006, 127/1, p. 83-4.
-
[57]
Phèdre, 276a, Ch., p. 167 ; Br., p. 168 ; « Les êtres qu’engendre la peinture se tiennent debout comme s’ils étaient vivants », Br., p. 167.
-
[58]
Ibid., 250a, Br., p. 115.
-
[59]
Ibid., 276a, Br., p. 168. Jessica Moss repère bien le « nouveau moyen » philosophique mis à jour dans le Phèdre : celui des logoï à la fois « beaux et orientés vers le vrai », in « Soul-leading : the unity of the Phædrus, again », p. 29. Mais il faut en préciser le mode opératoire.
-
[60]
Phèdre, 266b, Ch., p. 152 et Br., p. 147.
-
[61]
Platon, Le Politique, 301b, p. 237.
-
[62]
Phèdre, 270a.
-
[63]
Ibid., 266b, Ch., p. 152.
-
[64]
Ibid., 270a, Br., p. 155.
-
[65]
Ibid., 258d, Br., p. 129.
-
[66]
A. Kelessidou, « La psychagogie du Phèdre et le long labeur philosophique », p. 455-7.
-
[67]
Phèdre, 237d-e, Ch., p. 114. Il y a deux formes de beauté rhétorique comme il y a deux formes de beaux corps : la beauté formelle et la beauté dynamique ou agogique, le joli et le sublime. Parallèlement, il y a deux types de regard (ou d’écoute) : un regard charnel, ou poétique, qui accentue le joli, ou l’effet rhétorique, et un regard philosophique qui cherche les renvois à l’esprit ou au sens intelligible.
-
[68]
Ibid., 236e.
-
[69]
Ibid., 249e, Br., p. 115.
-
[70]
Ibid., 253a, Ch., p. 132.
-
[71]
Phèdre, 249e, inPlaton, Œuvres complètes, II, p. 39.
-
[72]
Id.
-
[73]
Ibid., 249e, Br., p. 115.
-
[74]
L’amant « se voue à instruire » l’aimé, in Banquet, 209c, trad. fr. V. Cousin, 1831, document en ligne, http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/platon/cousin/phedre.htm. « L’amour qui guide l’entretien philosophique a ainsi vertu de meneur d’âmes, de “psychagogue” », garantissant « la réalité, vivante, du savoir, ainsi que sa transmission », écrit C. Rogue, Comprendre Platon, Paris, Armand Colin, 2002, p. 74. On lira aussi les remarques nécessaires de R. Barthes sur la réciprocité de la psychagogie amoureuse, Le Discours amoureux : Séminaire à l’École pratique des hautes études 1974-1976 suivi de Fragments d’un discours amoureux, Paris, Seuil, 2007, p. 237-8.
-
[75]
Phèdre, 258d, Ch., p. 139.
-
[76]
Un grand avocat pénaliste décrit ainsi cette subtile mutation du régime oratoire, en un moment qu’il nomme l’« ange du discours », sorte de daïmon rhétorique que n’aurait pas renié un Socrate mué en orateur politique ou judiciaire (si une telle hérésie est permise) : « On a rassemblé des idées, on a organisé un discours, et brusquement, on est en face d’un certain nombre de personnes, et s’établit alors un lien qui est indispensable avec ceux auxquels on s’adresse, et dans cette nécessité de convaincre le discours s’organise autrement, suivant une sorte d’instinct ou d’intuition » (nous soulignons). Voir H. Leclerc, La Parole et l’Action. Mémoires d’un avocat militant, Paris, Fayard, 2017. On y retrouve parfaitement la subordination de l’aspect esthétique de la composition sous le telos de la communication et de la persuasion supérieure du juste.
-
[77]
Phèdre, 257e, Ch., p. 137 ; Br., p. 127.
-
[78]
Ibid., 268b, Ch., p. 155. Voir Le Politique, 295b.
-
[79]
Ibid., 258a, Ch., p. 137 et 261a, p. 143 ; 268a, Br., p. 151.
-
[80]
Ibid., 271b, Br., p. 159.
-
[81]
Ibid., 271e, Br., p. 160 ; 275e, Ch., p. 166 ; 277c, Ch., p. 169.
-
[82]
Ibid., 276e, Ch., p. 168.
-
[83]
Ibid., 271e-272a, Ch., p. 160.
-
[84]
Ibid., 246a, Ch., p. 124.
-
[85]
Ibid., 270c, Ch., p. 158.
-
[86]
Ibid., 275b, Ch., p. 165.
-
[87]
Ibid., 261e, Ch., p. 144.
-
[88]
Ibid., 255d, Ch., p. 135.
-
[89]
Ibid., 270b, Ch., p. 158 ; Br., p. 156.
-
[90]
Ibid., 272c, Ch., p. 161 ; 274b, p. 164.
-
[91]
Ibid., 270b, Ch., p. 158 ; Br., p. 156.
-
[92]
Ibid., 277b, Ch., p. 169.
-
[93]
Ibid., 273c, Ch., p. 163.
-
[94]
Ibid., 272e, Ch., p. 160 ; 273d, p. 163 ; 270d, p. 158.
-
[95]
Ibid., 271a, Ch., p. 159.
-
[96]
Ibid., 276a, Ch., p. 167 ; 278a, p. 170 ; 276c, p. 167.
-
[97]
Ibid., 261b, Ch., p. 135.
-
[98]
Ibid., 277a, Ch., p. 168.
Introduction
1Il sera question dans le présent propos de l’unité du Phèdre de Platon – et de sa fracturation. De la véritable raison qui la fonde. Et de son impossibilité.
2L’unité de ce dialogue est une question si indéfiniment débattue, par ses propres contemporains déjà, qui ne parvenaient pas même à se mettre d’accord sur le sous-titre à lui donner [1], jusqu’à aujourd’hui, à travers près d’une centaine d’études allemandes, anglo-saxonnes, françaises, dont celle de L. Brisson, précédé par Derrida dont le texte sur le « pharmakon » avait fait date [2], qu’en donner une nouvelle version semble relever, au mieux, d’une impossible gageure, au pire, de la discussion de salon. L’accompagner, par surcroît, de sa propre contestation n’allège en rien l’objection, mais l’aggrave.
3Si nous devions, pour justifier notre approche, dresser la géographie qu’ont déjà dessinée les mille stations de ce calvaire interprétatif – y inclus les thèses anti-unitaires, Montaigne en tête, du « pêle-mêle », argument employé par Socrate contre les rhéteurs [3], mais qui se retournerait lamentablement contre lui, du fait, selon les chronologies, de la jeunesse imprudente ou de la sénilité impuissante de Platon –, nous y verrions volontiers, sans rejeter d’autres choix de classement possibles [4], un échelonnement en profondeur, entre thèses d’unité a) formelle, b) conceptuelle, c) herméneutique : les premières soutenant que les cinq divisions du dialogue – I. le discours sur l’amour de Lysias alias Phèdre, II. la reprise parodique de Socrate, III. la palinodie de Stésichore alias Socrate, IV. l’imposture de la rhétorique formelle, V. le mythe de Theuth, critique de l’écriture – sont rassemblées sous tel ou tel thème pilote : par exemple la théorie de la réminiscence dans le discours sur l’âme amoureuse (III), ou la suprématie de la dialectique face au formalisme des rhéteurs (IV) [5] ; les secondes, plus sérieusement, découvrant que les deux grands volets de dialogue en diptyque pivotent autour d’un axe central constitué par les conditions d’accès à la vérité : l’amour, « côté droit », forme purifiée du « désir du beau » [6], voie royale vers la saisie des essences, versus la rhétorique, « côté gauche », chemin sans débouché borné à la « vraisemblance » et « art ridicule » [7] ; les dernières, insatisfaites, plongeant vers une liaison plus subtile, plus compréhensive, comme le cercle herméneutique que forment aux yeux de Schleiermacher les « parties » et le « tout » du dialogue [8], ou comme le cercle symptomatique que forment le discours sur la passion amoureuse et la passion amoureuse pour le discours, « passion maladive », partagée par Socrate et Phèdre, qui aux yeux de Derrida promeut l’écriture comme enjeu et fond du dialogue, dans son ambiguïté de drogue, poison, et remède [9].
4Toutefois nous souhaitons dans cette étude nous démarquer de la configuration formée par ces trois types de lecture et proposer une évaluation de l’unité si problématique du Phèdre au moyen d’une démarche qui relève d’une approche structurale, et en même temps immanente, que nous préciserons dans un premier temps. Nous partirons pour cela de deux lignées interprétatives assez récentes qui ont déjà bien renouvelé la compréhension de ce dialogue : d’une part, la mise en valeur de la notion de « psychagogie » fortement sous-estimée dans la plupart des études [10] ; d’autre part, l’admission sans faux-semblant du fait textuel que constitue la rupture d’unité provoquée par le diptyque interne du Phèdre, rupture que la tendance dominante des commentateurs a été de minorer [11]. Nous irons toutefois plus loin dans l’un et l’autre cas : nous verrons que l’unité psychagogique du Phèdre est absolument primordiale, en montrant comment Platon a trouvé le moyen de maintenir la structure de cette action au moment où il franchit le double abîme qui sépare éros et logos, puis logos et polis ; mais nous verrons en contrepartie qu’il faut aller également plus loin, jusqu’à l’éclatement mutuel du métaphysique et du politique, pour saisir la raison profonde qui nous impose de prendre acte de la rupture interne que recouvre le diptyque. C’est en quelque sorte une synthèse de ces deux approches nouvelles que nous voulons proposer, l’unité de notre propos se résumant à la thèse que l’unité du Phèdre provient du projet de Platon de conserver la psychagogie dans le politique… jusqu’au point de rupture métaphysique. Une unité fracturée, donc.
5Incidemment, il résulte de notre propos une retouche sensible d’une bonne partie du commentarisme dans l’estimation de la portée politique du Phèdre, probablement en raison du fait qu’il est comme naturellement ajointé avec le Banquet, alors qu’il est de manière sous-jacente, mais solide, tout autant déjà entré dans la sphère d’attraction du Politique, dont il forme en quelque sorte le prolégomène.
6Nous commencerons par exposer notre méthode et montrerons comment elle entraîne le dédoublement de la problématique en deux thèmes, non pas successifs, mais superposés l’un à l’autre tout au long du dialogue et dans la pensée platonicienne elle-même : rhétorique de l’amour d’une part, et amour de la Cité d’autre part. Après quoi nous passerons en revue de détail d’abord la thèse de l’unité métaphysique, puis la thèse de la fracture politique.
La méthode et le double objet de l’étude
7Sans avoir besoin de poser qu’un « texte n’est un texte que s’il cache au premier regard… sa loi de composition », « imperceptible » en sa « disparition » [12], notre lecture emprunte davantage à la figure de la Lettre volée de Poe : et si la solution – l’unité – était donnée par la lettre même du texte, tellement visible que nous avons fini par ne plus la voir ? Faussement cachée, donc. Or, parmi les mille connexions entre amour et rhétorique, que les multiples « longueurs », « détours » et « circuits » [13] du dialogue ont données à un commentarisme débordant l’occasion plus ou moins sophistiquée et légitime d’établir, il en est une, et une seule, qui, littéralement, dit l’unité, et de la manière la plus patente, posée à même la table du texte si l’on ose dire, là où l’on s’est toujours persuadé qu’elle ne pouvait être, à savoir dans la définitionmême de la rhétorique. Avant d’en venir au grec, laissons deux traducteurs français nous inspirer par leur judicieuse et complémentaire inspiration : l’un, récent, L. Brisson, qui, dans le volet « rhétorique », rend le terme décisif de « psuchagogè » (261a) – que L. Robin préfère laisser à l’état brut et intraduit de « psychagogie [14] » – par : « “l’art d’avoir de l’influence sur les âmes” [15] » (en l’espèce, « par le moyen du discours ») ; l’autre, É. Chambry, qui, dans le volet « amour », rendait naguère l’action « eudaimonikè » (253c) de l’amant – littéralement : « source de bonheur » – par : la « belle et heureuse influence sur l’aimé [16] ». Et certes, ce serait proprement avoir les yeux fermés que de ne pas voir ce qu’ont de commun, dans leur concept platonicien, alors même qu’elles sont radicalement différentes (et le comblement de cet abîme est tout l’enjeu du Phèdre), d’une part, l’action sur l’aimé du désir spiritualisé de l’amant qui, au-delà du ravissement par la « beauté physique » à travers laquelle leur dieu commun s’est d’abord fait jour, cherche maintenant à « amener [agein] l’aimé à une parfaite ressemblance » [17] avec ce dieu qui l’habite à son insu, et, d’autre part, l’action sur l’auditeur-lecteur du rhétoricien, dont la « puissance immense » est capable de « faire naître la persuasion » [18] de telle ou telle idée chez un individu, un collectif, sinon un peuple entier, voire, plus dangereusement, de « soulever les foules [19] ». Et c’est bien l’essence commune de ce double « agein », amoureux et rhétorique, que nous signale Platon dans ces formules, en faisant, par le mot même, de l’« agogè » rhétorique du second volet un sous-ensemble ou une amplification de l’« agein » amoureux du premier volet. L’action d’une âme sur une autre fait littéralement l’unité du diptyque qu’est le Phèdre.
81° Rappeler cette attestation textuelle, mais néanmoins fondamentale, de l’unification centrale du dialogue autour de l’« agein » – qu’il ne faut surtout pas comprendre, au demeurant, de façon binaire, causale ou close, comme le fait d’« exercer une pression sur quelqu’un », mais de façon ternaire, téléologique et ouverte, comme le fait de « donner à quelqu’un de l’élan vers quelque chose au-delà » – n’est cependant pour notre propos qu’un point de départ. Elle a du reste déjà été établie par de trop rares commentateurs, notamment dans l’étude inaugurale d’Elizabeth Asmis, qui a très bien vu que « la notion de psychagogie joue le rôle de pivot central du Phèdre [20] » entre son volet érotique et son volet rhétorique. La lignée d’interprètes qui prolonge cette étude [21] nous rapproche du fait premier : Platon a voulu dans un même mouvement logique envelopper la rhétorique dans l’amour, et en retour déduire de la « psychagogie érotique [22] » une psychagogie rhétorique (non érotique). Mais il reste à mieux cerner cette structure, qui ne relève pas d’un cercle vicieux ou d’un « usteron proteron », mais d’une communauté d’essence, et c’est là le but réel de notre premier point. Ne parlons même pas du fait, lui aussi fondamental, que cette dernière conditionnera en retour la spiritualisation du désir érotique en « persuasion [23] » amoureuse par la parole, et donc, en somme, toute la conception platonicienne de l’amour comme encouragement apporté à l’aimé pour se transcender vers les essences et les valeurs. Car avant cela, il faut savoir si la rhétorique se montre capable, par analogie, de manifester une forme de « charme érotique », alors même qu’on n’est plus dans l’élément du désir, de l’éros interpersonnel, mais seulement dans l’élément du logos, d’une parole anérotique, plus ordinaire en ce sens – du plus étroit au plus ample, précise Socrate : parole privée, judiciaire, politique [24]. Savoir, donc, si la rhétorique est en mesure, ou non, de se charger de certains éléments de l’« agein » amoureux pour devenir cette persuasion rhétorique supérieure, prémunie des dévoiements de la vraisemblance et de la tromperie, mais au contraire apte à faire communiquer une âme avec une autre et cette âme avec le vrai.
9C’est à la lumière de cette question seule que les deux thèmes les plus remarquables, et les plus connus, du second volet prennent un relief saisissant tout en recevant leur justification logique : tout d’abord, la détermination du beau discours comme « composition » de « parties bien proportionnées » analogue à la forme d’un « être vivant » [25], analogon systémique de la « beauté des corps [26] » suscitant le désir ; ensuite, l’individualisation ou adaptation du discours à son destinataire, consistant à connaître son « âme avec toute l’exactitude possible [27] », analogon systémique de la focalisation interpersonnelle du lien amoureux. Or, loin de constituer deux données séparées, beauté et personnalisation du discours se lient au contraire pour former une idée capitale, qui est la grande leçon positive du Phèdre, et qui noue en sa dernière profondeur l’unité de ce dialogue – c’est la première thèse que nous voulons défendre –, à savoir que, de même que la beauté physique déborde le corps et me conduit vers la personne (l’âme) qui l’habite, de même, la beauté du discours n’est pas une beauté formelle ou statique, mais une beauté vivante, dynamique – bien sûr coextensive à sa vérité logique, puisqu’elle en est même déduite –, et que c’est par cela même qu’elle fournit au sens intelligible son mouvement de transcendance et la force d’atteindre l’auditeur et d’agir sur lui. Il n’y a pas d’un côté un beau discours « à contempler », de l’autre l’action du rhétoricien supérieur donnant à son auditeur l’élan vers l’essence, mais un discours dont la beauté (non érotique) est psychagogie du vrai. En un mot, la communication réelle des âmes passe par le beau discours. Ce dernier n’est pas une fioriture.
102° Notre second point s’ouvre alors et va fracturer cette unité d’un abîme sans fond. Il fallait d’abord situer avec précision la connexion établie par Platon entre amour comme éros spiritualisé, et rhétorique du vrai, pour bien comprendre ce qui la menace, pire, ce qui la rend au fond impossible. Comme toujours avec Platon, la politique n’est pas loin, et non à titre de supplément, mais parce qu’elle est un moment systématique de sa pensée. De fait, au beau discours inducteur, on demande maintenant s’il peut survivre dans l’élément anérotique peu favorable où il a été transporté, s’il conserve ses propriétés quand il s’agit non plus de prendre soin d’une autre âme, mais des autres âmes, du multiple humain de la Cité [28]. Si, comme nous le verrons, un discours ne devient vraiment efficace pour ouvrir l’accès au vrai et au bien que si sa beauté intrinsèque a été complétée et affinée par de belles formes affinitaires avec l’âme singulière de son destinataire, que se passe-t-il quand le tribun s’adresse à un collectif ? Pire, quand au lieu de tenir un discours oral et exécutif au peuple, prenant une décision selon le kairos (déclencher ou ne pas déclencher la guerre), il rédige un discours écrit et législatif, proposant un ordre durable : la généralité du destinataire s’aggrave encore de la généralité du temps. Quel serait donc, si l’on peut s’exprimer ainsi, cet « amant politique » parlant à une « âme collective » ? Quel serait donc ce « beau corps » du texte de lois [29] ? On peut bien sûr (et Platon lui-même nous y invite) donner à la critique de l’écriture dans le mythe de Theuth qui clôt le Phèdre une portée générale, gnoséologique, métaphysique, il n’empêche que la question qui taraude Platon est celle, spécifique, des « hommes d’État » « logographes », « faiseurs de discours » [30] écrits, parce qu’elle concerne, décisivement, la question de savoir si le politique « rédacteur de lois [31] » est capable de donner à tout un peuple l’élan vers le juste et la vérité. C’est exactement, abordée sous un angle déconcertant dû au paradigme amoureux qui la précède, l’aporie que Platon retravaillera dans le Politique [32], en la limitant cette fois explicitement au gouvernant, quand il mesurera l’abîme qui sépare la science absolue du philosophe-roi issu de la République des prescriptions générales qu’il a laissées sous formes de lois écrites. Le Phèdre est en ce sens la préface du Politique.
11Toutefois, la question centrale reste celle de l’écart entre discours amoureux et discours politique ou public en général, oral ou écrit, et non celui entre discours politique oral et discours politique écrit. D’ailleurs, à mieux y regarder, le passage de l’oral à l’écrit n’est qu’une réplique du passage du singulier au pluriel, qui est le véritable problème de la philosophie politique de Platon. Avant que d’être la perdition de la mémoire et donc du véritable savoir intimement possédé, le texte [logos écrit] est d’abord perte de l’individualisation à raison même de son ubiquité, de son destinataire multiple. On s’en convaincra aisément en suivant les belles pages a contrario, mais au fond très platoniciennes dans la prétention désespérée qu’elles attribuent aux Grecs, que Peter Sloterdijk a consacrées à la culture humaniste comme fabrication d’une amitié intergénérationnelle par le texte [33]. Un texte ne peut instruire, encore moins conduire au bien, non pas tant parce que sa généralité médiatise trop ma pensée, « dialogue de l’âme avec elle-même [34] », mais parce que personne n’y est mon amant ou mon ami.
12Comment un discours adressé à la Cité peut-il mettre les citoyens en route vers l’action juste, puisqu’il n’y a pas, en l’espèce, de « dieu commun » ? Question équivalente à cette autre : comment ce discours peut-il avoir une véritable forme belle, puisqu’il n’y a pas communication personnelle des âmes ? Il faut s’aviser de la centralité de ce problème dans le Phèdre – problème qui n’est autre que celui de l’abîme entre l’Un du Bien et le Multiple de la Cité –, car il est la véritable cause du discord qui désarticule finalement la belle unité anticipée par son auteur. La rhétorique politique ne peut être une rhétorique amoureuse, le discours amoureux ne peut déboucher en discours politique. On déforme la pensée de Platon dans un sens religieux, tendancieusement théologique et chrétien, en nommant le mythe de l’attelage ailé un mythe sur la nature de l’âme : il s’agit en fait, si l’on regarde bien la totalité du passage, d’une description de l’âme amoureuse, donc éveillée au vrai et au bien par le beau, car il est impossible à l’âme d’atteindre seule, dans une sorte de solitude cartésienne ou de solipsisme tragique, les essences et d’exercer la réminiscence – bien au contraire l’amour, loin d’être une condition psychologique, est la condition de possibilité de l’accès de l’âme au vrai et au bien [35]. C’est pourquoi l’idéal de l’âme formulé par un Socrate prêtant sa voix à l’enthousiasme mystique du poète Stésichore :
toute âme qui a pu suivre l’âme divine et contempler quelqu’une des vérités absolues est à l’abri du mal jusqu’à la révolution suivante, et que, si elle réussit à le faire toujours, elle est indemne pour toujours [36],
14doit d’emblée être entendu à la lumière plurielle de la dyade amoureuse. Car « suivre l’âme divine », la suite nous le révèle, c’est ce que les hommes ne parviennent à faire que grâce à la rencontre d’un « naturel conforme à leur modèle », qui seul, par sa beauté, les aura incités à la réminiscence du Bien et les poussera, à leur tour, à « imiter eux-mêmes le dieu » [37]. La relation amoureuse est à l’image de la « révolution du ciel [38] », circulaire et parfaite : le multiple dyadique, médiation transparente, n’empêche aucunement l’âme d’atteindre son unité absolue par l’union avec le Bien et les essences – mieux, la révolution amoureuse, renouvelée la vie durant quand les amants parviennent à « se donner et recevoir mutuellement les gages de confiance les plus solides [39] », est la condition de cet idéal métaphysique d’une âme parvenue à s’inscrire au-delà du cercle terrestre et temporel du mal – « immortelle [40] ».
15Or il est bien évident que cet idéal explose quand on passe du faux multiple dyadique au véritable Multiple pluriel, celui du collectif et de la Cité. Quel analogon politique des « gages de confiance » amoureux peut-il rendre la Cité « indemne » du mal, la conduire durablement au Bien ? Ainsi s’ouvre l’abîme de la philosophie platonicienne, jamais refermé, entre métaphysique et politique. Une fois établi que la véritable percée philosophique du Phèdre consiste à montrer que l’accès de l’âme au bien et au vrai s’effectue dans l’intersubjectivité, nous voyons Platon tenter de maintenir le cap de sa thèse dans l’« océan infini de la dissemblance [41] », de lui faire traverser salva veritate la mer du Multiple, et se heurter comme contre un mur au principe de dispersion politique de la Cité, dispersion sérielle ou linéaire – et non plus circulaire comme dans le cas de la dyade affinitaire – en tant que collectif composé d’un Multiple de singuliers, d’une série de différences. Nous voilà donc reconduits devant l’impossible unité métaphysique de la pensée – de « l’âme » –, fracturée par la politique. Croix de la philosophie qui, déjà, barre en travers l’œuvre de son prince.
L’unité
16Repartons de l’unité. La beauté du corps n’est pas source d’illusion : l’idée du dieu affinitaire qui est au cœur du mythe de l’âme amoureuse rend fort bien compte de la valeur de cet immédiat sensible, puisque la relativité subjective du beau (corps), loin d’être un contre-argument, est justement la preuve que j’y reconnais mon dieu affinitaire, là où les autres restent insensibles [42]. De manière moins allégorique, si les essences se manifestent à nous, à notre intellect, comme Idées ou formes intelligibles, d’ailleurs plutôt au prix de notre ascension vers elles que de leur descente vers nous, la beauté est la « seule » essence qui soit « ekphanestaton », c’est-à-dire qui « se manifeste » [43] de soi-même jusque dans le sensible. Son « éclat [44] » d’essence parvient sans perte ou presque jusqu’à nous : par une puissance interne, le Beau en soi pousse sa procession vers l’homme et vers le monde sensible plus loin que les autres essences. Bien qu’au fond la triade hiérarchisée des valeurs, le Bien, le Vrai, le Beau, place, du point de vue intelligible, la beauté légèrement en retrait, en troisième position (ce qui ne contredit aucunement leur équivalence fondamentale, par exemple celle du kaloskagathos), du point de vue sensible, c’est le contraire qui a lieu : les hommes sont plus sensibles au beau qu’au vrai ou au bien, tandis qu’ils se livrent sans grande résistance, ou au mieux, mal armés pour y résister, aux sophismes, mensonges, et turpitudes. D’où l’insuccès du philosophe, surtout quand il a en outre, comme Socrate, le malheur d’être laid.
17Mais cette propriété du beau expérimentée dans le ravissement esthétique devant le beau corps humain est-elle transférable au « beau discours » ? C’est d’une certaine manière tout l’enjeu du Phèdre en tant que dialogue qui ne se déchire pas en deux parties, l’une sur la beauté, l’autre sur la rhétorique, mais porte sur le thème qui en fait l’unité synthétique : la beauté rhétorique – son véritable sous-titre tant cherché, au demeurant, s’il en fallait un [45]. En d’autres termes, le discours – ici limité à la forme bipersonnelle –, est-il une psychagogie de même trempe que l’expérience amoureuse ? Il faudrait pour cela que la beauté d’un texte, discours oral ou texte rédigé, mais toujours un assemblage de mots, égale, ou du moins avoisine la beauté de nos corps de chair. À cette condition, on pourrait prétendre y retrouver cette immédiateté conductrice qui, nous l’avons vu, fait la valeur philosophique, du moins potentielle, des amours humaines. Mieux, dans ce cas précis, on aurait même de l’avance sur le chemin de l’Idée puisque le discours est justement mêlé de pensée et d’idées – a minima –, sinon substantiellement tramé d’intelligible – quand il se fait philosophique –, et que la présence du dieu intelligible y est, en somme, bien plus assertorique, plus transparente que dans le beau corps. Du côté du beau corps, la faible dose d’idées qui y est investie est compensée par la force de l’éros qui va, finalement, nous conduire jusqu’à elles. Du côté du discours, c’est l’inverse : l’anéroticité de sa beauté, plus « pure » en quelque sorte (osons dire plus « désintéressée ») est compensée par la présence plus directe en lui de l’objet unique de toute élévation de l’esprit : le Bien et les essences.
18D’où cet étonnant et tragique passage :
Quelles terribles amours en effet ne susciterait pas la pensée, si elle donnait à voir d’elle-même une image sensible qui fût claire, et s’il en allait de même pour toutes les autres réalités qui suscitent l’amour [46].
20Il ne s’agit pas ici de la pensée pour elle-même, du discours intérieur, mais de la pensée manifestée dans le discours, plus exactement dans le sensible par le discours. Car, à bien le considérer, il ne peut y avoir d’« image sensible » du vrai autre que le discours – le texte ou la parole –, sauf à tomber dans ce que Platon récuse le plus au monde, c’est-à-dire un Vrai sensible, matérialisme de Démocrite ou épicurisme à venir. Le vrai est apophantique, Aristote s’en souviendra. Ce texte peut alors être pris de deux manières. Ou bien, au bénéfice de la seule valeur du Beau qui trône dans le Visible dans ce premier volet du Phèdre, comme un constat d’échec métaphysique qui nous ferait aspirer à ce que Nietzsche nommera le « grand sérieux » du Surhomme pour mieux nous le retirer : les hommes ne sont pas de taille à voir la vérité ici-bas, le choc serait trop rude et au fond, la beauté sensible les en protège en s’y substituant comme promesse voilée du vrai [47] ; le véritable poste d’observatoire où les essences peuvent être directement contemplées, c’est, à partir de l’intellect pur – non du discours –, quand l’attelage ailé est parvenu à s’installer « de l’autre côté du ciel [48] », sur sa convexité, face à l’absolu, et contemple, silencieux. Ou bien au contraire, sous l’angle du Beau rhétorique, comme le prodrome du concept de beau discours vrai que le deuxième volet du dialogue tentera de porter à bout de bras, le vide métaphysique manigancé ici par Platon n’étant en fait que le plus puissant, le plus inévitable des appels d’air en faveur du discours, manifestation sensible du vrai (et du juste), en concurrence avec le beau visible et sa prétention elle aussi très légitime – et la transition se fait déjà sentir ici du voir à l’entendre, parallèlement à celle de l’interpersonnel au politique.
21C’est d’ailleurs aussi en raison de cette dénivellation qu’il n’y a pas de véritable rivalité ni conflit entre les deux niveaux du Phèdre, entre les deux genres (et non types) de beauté. Symétriquement, si l’on veut exagérer la continuité sans changer de plan, si l’on mise toute l’unité sur le discours (amoureux) sur la beauté plus que sur le discours beau, certes on facilite la lecture du dialogue mais on ignore les problèmes spécifiques d’une belle rhétorique du juste. Il faut au contraire prendre en charge cette tension et ne pas manquer en somme, comme c’est trop souvent le cas, à quel point le Phèdre est, lui aussi, un dialogue politique.
22Le discours, chargé de sens, n’étant pas à proprement parler une simple chose sensible – ni du visible en tant que tel comme texte, ni de l’audible en tant que tel comme parole –, il ne peut ni avoir la force dynamisante du sensible érotisé – le beau corps –, ni même, en vérité, être simplement beau, au sens strict et propre du mot. Pourtant, sans participation au beau, même un discours philosophique vrai ou un discours politique juste (en faisant brièvement, pour les besoins de notre enquête, l’hypothèse au fond non platonicienne d’une séparation de ces valeurs avec le beau) resteraient, sinon des discours faux ou injustes, mais du moins des discours inertes, simplement pénibles à entendre, et, en quelque sorte, incomplètement vrais. Si le cas du premier est réglé d’office par le lien interpersonnel « entre amis [49] », d’où le second, adressé au collectif, tirera-t-il sa psychagogie, son élan vers le Bien ? Quel est, donc, son genre de beauté ? La porte est étroite ici et l’on connaît les objections : pêle-mêle, évitons à tout prix la séduction du beau en politique ; le danger démagogique guette ; la raison doit primer. Écartons donc ce qui serait mauvaise influence, et du coup, la mauvaise persuasion : celle du sophiste Gorgias, rythme oratoire et figures formelles, toute cette « petite musique des mots [50] », qui, même si elle ne prend pas la forme totale de l’incantation magique par les modulations de voix propres aux rites religieux – la psychagogie au sens standard, celle de la nymphe Pytho, « l’enchanteresse » –, n’en relève pas moins d’une fascination par le discours, ce « tyran très puissant » [51] comparable à Éros. Mais justement, ce rapprochement opéré par l’auteur de l’Éloge d’Hélène confond ce que Platon veut séparer : l’élan musical n’est pas ce qui convient au discours juste, et J. Darriulat a raison de décrire un Socrate qui au contraire, par son ironie, repousse « l’envoûtement du beau et du sublime [52] » au bénéfice de la raison. Mais Socrate n’est justement pas un orateur politique, ni un législateur, comme Platon a voulu l’être ou, à défaut, le concevoir. Et c’est bien Platon qui écrit le Phèdre, et qui veut déterminer ce qui peut conférer au discours politique guidant les citoyens vers le juste son indispensable beauté agogique.
23La solution platonicienne qui se dégage de la symétrie ou analogie des deux versants du Phèdre telle que nous l’avons analysée, répond au double défi de l’anéroticité et de l’anesthéticité (au moins partielle) du discours en la compensant par un parallélisme esthético-logique : le discours, cette réalité mixte de sensible et d’intelligible, sans beauté charnelle ni matérialité ordinaire, peut devenir beau à condition de couler ses formes sur celles du raisonnement, ce qu’il parvient à faire – nous reportons analogiquement la formule érotique du premier volet – en se tenant « le plus près possible de l’objet de son désir [53] » – soit, cette fois, l’essence. C’est pourquoi le célébrissime axiome esthétique, selon lequel le beau
discours doit être constitué comme un être vivant, avec un corps qui lui soit propre, une tête et des pieds, un milieu et des extrémités, toutes parties bien proportionnées entre elles et avec l’ensemble [54],
25n’est en rien la préface d’un traité d’esthétique, c’est-à-dire ne traite pas d’une autonomie esthétique des formes du discours, mais désigne une unité organique dérivée de sa matrice noétique – le destin de la formule consistera à l’en arracher. Et c’est pourquoi il est immédiatement suivi de la comparaison du « dialecticien » avec le « boucher sacrificateur » qui sait suivre les « articulations naturelles » de l’animal, puis de l’exclamation de Socrate – « Voilà, Phèdre, de quoi je suis amoureux, moi : c’est des divisions et des synthèses » [55] : l’unité de la séquence 264b-266b fait clairement entendre que la beauté psychagogique du discours est dérivée de la vérité du raisonnement, source de sa « nécessité de composition [56] », et que les formes ne valent pas par elles-mêmes, et ne sont pas fixées (ni en nature ni en quantité), mais qu’au contraire toute forme expressive de vérité, dans une prolifération réglée mais infinie, est belle.
26Ce premier point nous donne un premier morceau de l’unité : de même que le corps humain est beau, au moins en première condition (car la beauté humaine a une dimension supplémentaire), par son unité téléologique d’« être vivant », de même le discours est beau parce que ses formes expriment une pensée synthétique, articulée, des essences. En mouvement sous l’effet de la pensée, le beau discours est « animé », « doté d’une âme », « comme s’il était vivant », à l’égal d’une peinture [57]. Mais la véritable beauté du corps humain va au-delà de cette unité interne, de cette vie immanente, elle tient à la force projective de sa belle harmonie de formes, à son « agein » de l’âme vers l’essence, à sa transcendance horizontale, d’abord, qui jette une âme « hors d’elle-même [58] » vers une autre, puis à sa transcendance verticale qui envoie ces deux âmes vers le Bien : à sa transcendance oblique, en somme. Tel est le sens supérieur de la beauté d’un corps humain : elle ouvre une vie inter-subjective spirituelle. Mais en va-t-il de même du « discours vivant [59] » ? A-t-il cette double vie interne et externe, cette transcendance oblique ? À sa beauté immanente, à son esthétique propre, mouvement perpétuel de formes rhétoriques qui épousent les chemins de pensée [logoï] s’approchant sans cesse plus près de leur eidos-telos, peut-on ajouter cette beauté psychagogique qui crée un lien non seulement entre deux âmes – ce que le discours, après tout, parvient à faire beaucoup plus immédiatement que le corps –, mais un lien des âmes vers l’idée ? Un discours peut-il faire aimer le bien ?
27Or il est évident, justement parce que Platon va devoir se poser ensuite la question (abyssale) de la possibilité d’un discours juste adressé à un destinataire multiple, qu’il transpose tout d’abord la force projective du beau sensible dans le beau rhétorique. L’évidence simple, et même triviale, selon laquelle il n’y a de discours que s’il y a un destinataire possible et un accès possible au sens intelligible, est compliquée de l’affirmation sous-jacente selon laquelle c’est la beauté du discours qui délivre cette psychagogie. Le beau discours non seulement met en communication les âmes, mais porte les âmes vers les essences. Si Platon n’éprouve pas le besoin de poser cette affirmation en un argument ad hoc, c’est tout simplement parce qu’elle est comme l’ombre portée naturelle de la longue démonstration de l’« agein » des beaux corps, qui se déverse de partout dans le second volet du dialogue. Si Socrate parvient, laid, à susciter en retour l’éros d’un jeune ami, et s’il parvient à élever l’esprit de celui-ci vers les idées en employant (art suprême mais inimitable) une rhétorique dérythmée par des saccades de questions, ce second tour de force n’est pas recommandable au candidat aux fonctions politiques (ni même à la portée d’un Platon amoureux) : l’homme politique, comme Périclès, doit produire des discours non pas seulement beaux parce que passionnellement agogiques, à l’instar du démagogue, mais d’une beauté agogique parce que vrais, à l’instar de celui dont Socrate se déclare d’avance « amoureux » – non sans une certaine désillusion tragique –, parce qu’il se montrerait capable de « voir » « l’unité naturelle d’une multiplicité » [60], soit, dans le contexte plus large de ce second volet du Phèdre, d’exprimer en discours théoriques l’unité de la multiplicité politique. Certes, cet idéal du « politique savant [61] » est élevé (juste au-dessous du dialecticien-roi), et Platon n’est pas un grand admirateur de Périclès, mais s’il en parle ici [62], c’est parce qu’il doit y avoir une coïncidence possible – faute de quoi la philosophie de Platon n’a plus de sens – entre celui dont Socrate dit, avec les mots de l’enthousiasme homérique : « Voilà l’homme que je suis à la trace, comme un dieu [63] » parce que, par l’« agein » d’un discours beau, il élève l’esprit de son interlocuteur en matière de vérité – et le grand homme politique qui, par l’« agein » d’un beau discours pratique, donne à son peuple l’élan vers la « hauteur de l’esprit », le conduit à l’« élévation de pensée » [64] en matière d’action juste.
28Le beau texte juste ou vrai n’est pas un simple beau texte, c’est-à-dire un texte poétique, « en vers », lequel possède une séduction immédiate proche de celle du beau corps, mais un texte de « prosateur » [65], dont la beauté rhétorique provient des articulations intelligibles – celles, dialectiques, du Multiple sensible ou intelligible, celles, politiques, du Multiple social et citoyen. À la mystagogie poétique et passionnelle, s’oppose une psychagogie politique, belle, active, mais rationnelle. La rhétorique supérieure, qu’elle soit politique ou philosophique, communique par sa beauté ce « mouvement en avant » qu’un commentateur voit partout dans le Phèdre [66], et qui conduit de l’âme à l’Idée à travers un sensible chargé d’éros ou de logos. Corps comme texte ne sont pas des structures formelles closes, mais des phénomènes dynamiques et ouverts sur un au-delà intelligible – des symboles, si l’on veut. En tous deux, désir du beau et mouvement vers le bien ne « se combattent pas », mais « s’accordent », car le premier a déjà fourni un élan psychagogique qui le détache du simple « désir du plaisir » [67] : à cause de la beauté (respectivement : celle de l’aimé, celle du texte), l’« amoureux des discours [philologos] [68] » aura un vécu analogue à celui de l’amant, et tout comme ce dernier – nous transférons à nouveau les assertions de la première partie vers la seconde –, sera « amoureux du beau [69] » et « forcé de tenir ses regards tendus vers le dieu [70] » – âme divine ou Bien. L’enthousiasme né du beau « se communique [koinonoûnti] », comme traduit fort bien L. Robin [71] : la communication au sens intellectuel, comme échange des idées, est auparavant communication du mouvement et mise en communication des substances (des esprits) par la médiation d’un sensible psychagogue. La beauté est la « metexis » primordiale des âmes entre elles et des âmes avec les idées : entre les âmes « participant [metechôn] à ce délire [72] », elle effectue la participation intersubjective et spirituelle à la fois [73].
29En tout cela, Platon déploie des efforts considérables pour conserver la duction psychagogique tout en l’arrachant à son terrain religieux de naissance et à la confusion dionysiaque des sentiments, preuve qu’elle est à ses yeux la condition de possibilité de toute pensée en commun intelligible et rationnelle. Mieux, son effort rationaliste va jusqu’à ôter à la psychagogie rationnelle de la dialectique et de la politique l’attraction charnelle qui flottait encore dans la psychagogie amoureuse, dans la mesure où la transe érotique pouvait encore apparaître comme une variété apparentée à la transe mystico-religieuse. Il vise, si l’on peut dire, en réduisant l’« agein » à la seule beauté, à poser un « sensus communis » loin des ivresses mystiques aussi bien que charnelles, à l’abri des révélations divines ou érotiques. Nous avons ainsi deux démarches en miroir : le mouvement érotique est rétro-corrigé par le discours en psychagogie pédagogique [74], tandis que le mouvement psychagogique ramené à la pure duction esthétique (désérotisée) devient le sol adéquat pour la rhétorique comme discours rationnel public. Il n’y a pas, en dernière analyse, d’éros rhétorique, l’« agein » amoureux ne doit pas se diffuser au discours politique, lequel doit avoir la beauté du vrai – eidos kalos, non de belle apparence, mais de belle essence.
30Ainsi est éclairée dans les deux sens la proposition-charnière de 260c : la rhétorique est psychagogie, et nous tenons avec cela le deuxième morceau de l’unité du dialogue. La double unité, d’un côté celle de la beauté du corps avec sa force agogique spiritualisée par le discours, de l’autre celle de la force agogique du discours juste médiatisée par sa beauté rhétorique, soude les deux volets du diptyque autour de l’idée générale d’un « agein » esthétique – donc purifié de son érotisme latent – commun à l’amour et au discours. Telle est l’unité profonde du Phèdre.
La fracture
31Venons maintenant à sa fissuration. Le beau discours (« parler et écrire mal » ou bien [75]) est le discours qui, tout uniment, communique bien et communique le bien – qui établit un lien juste entre les hommes et les élève au-dessus de leur lien social ordinaire jusqu’aux valeurs éthiques et politiques, comme les amoureux s’élèvent au-dessus de l’intérêt sensible. Lien, actuel par l’« agein » du discours, potentiel comme horizon de l’agir. Soulignons d’abord le fait que cette fusion entre composition et communication que Platon nous a amenés à établir, et qui constitue la thèse positive de la première partie de notre étude, sous la forme du concept de beauté dynamique ou « en avant » – belle organisation ouverte, porteuse d’une transcendance oblique vers autrui et vers les idées –, par-dessus la dualité du beau statique – à contempler –, et de l’action – psychagogie du vrai et du juste –, n’est pas une lubie de philosophe, mais une expérience. Ce phénomène psychologique, qui n’est autre que la psychagogie rhétorique, les orateurs le vivent, au tribunal, à l’agora, chaque fois que l’adresse à autrui vers le juste commande en retour la composition esthétique et formelle du discours, ou, réciproquement, que le discours se déborde et se transcende en communication réelle des consciences [76].
32C’est en ce point que le tremblement du singulier au pluriel, de l’un au multiple, va commencer à faire sentir ses effets corrosifs. Socrate relève très judicieusement, même si c’est à nous d’y ajouter l’évident parallélisme, que les logographes, orateurs ou non, « sont si contents d’avoir des approbateurs » qu’ils « inscrivent en tête de chacun de leurs textes leur nom » [77] : on n’est pas amoureux d’un collectif, mais d’une personne singulière, « approbateur » unique – pas davantage, le discours pratique, du moins comme parole, ne s’adresse d’abord à une généralité, mais à un destinataire singulier, ou du moins, car déjà le lien se relâche, à un petit Multiple d’approbateurs – moins vibrants que des adorateurs « amants », mais plus qu’une foule d’anonymes –, avec lesquels l’orateur voudrait garder comme une trace d’affect. Il est très net que Platon (peut-être Socrate), dans la séquence qui s’ouvre alors, cherche à élargir progressivement le discours par des cercles concentriques autour de la parole vive interpersonnelle comme point d’ancrage initial : plaidoirie judiciaire, discours politique, écrit politique, enfin, texte de loi. C’est résoudre, si l’on veut, la quadrature du cercle d’un personnalisme politique. Conformément à l’analogie médicale qui sert dans le Politique à pointer la trop grande généralité des lois écrites par rapport aux décisions individualisées du philosophe-roi enfui, il reste à savoir, pour chaque discours-remède, « à qui et quand il faut appliquer chaque traitement, et à quelle dose [78] » : cela, seul l’amant le sait de l’être aimé, mais comment le logo-phone, a fortiori le logo-graphe, le sauraient-ils, eux qui s’adressent à des multiples d’hommes : « réunions privées » limitées, vastes « assemblées publiques », « foules », voire « peuple » entier [79] ?
33À partir de ce point du Phèdre, une tension de plus en plus sensible s’installe dans le propos platonicien, qui va osciller brutalement entre deux solutions, l’une qui consiste en une réduction typologique du Multiple de singuliers, au risque de perdre l’essence dynamique de la psychagogie, l’autre qui consiste à préserver la singularisation du discours, au risque de perdre la portée collective, et donc politique, du discours. Ou bien, donc, « établir une classification aussi bien des genres de discours que des genres d’âmes […] établissant une correspondance de chaque genre à chaque genre [80] ». Ou bien, au contraire, en rassemblant ces remarques convergentes de Platon : « voir clair » en chaque individu, savoir « à qui il faut, à qui il ne faut pas parler », et adresser à chacun des discours « ajustés de tout point à ses exigences » [81]. Chacune de ces solutions, dans le champ politique, étant contradictoires en soi – et avec l’autre –, on aboutira au monstre logique énoncé à la fin du cycle de raisonnements, quand Socrate proposera in fine une sorte de synthèse (manquée) de son propos sous la figure de « discours capables de se défendre eux-mêmes [82] », sortes d’hybrides ou d’oxymores, textes conscients ou paroles générales : deux manières, sans doute, de faire de la philosophie, ou, ce qui revient au même pour Platon, de transformer la Cité.
34Une psychagogie collective est-elle possible ? Guère plus, en vérité, qu’une psychologie collective. À moins de considérer que la connaissance d’une « âme collective » (de la Cité), si tant est qu’une telle chose existe aux yeux de Platon, revienne à la connaissance d’une âme individuelle : « Voilà l’homme, voilà le caractère » singulier auquel je m’adresse [83] – ou, à l’autre extrême, revienne à la connaissance de la « nature de l’âme [84] » humaine universelle présentée dans le mythe sur l’amour. Autant reconnaître que cette « nature universelle [85] » se diffracte en un Multiple d’âmes auquel ne peut convenir aucun discours, sauf à descendre, comme en amour, jusqu’à la connaissance du singulier. Autant reconnaître, en somme, qu’il n’y a pas de discours universel, valable « pour n’importe quel pays du monde [86] », a fortiori pour l’humanité en général.
35En ce point, il semble bien que la tentative, conforme à une méthode fréquente chez Platon, consistant à éclairer les structures d’un macroscosme (ici, le discours politique à la Cité en vue du juste) par celles d’un microscosme (ici, le discours de l’âme amoureuse à l’aimé en vue du Bien) – sans qu’il soit d’ailleurs toujours facile de savoir lequel sert d’interprétant à l’autre –, achoppe sur une aporie. Il semble bien que l’idée d’une rhétorique philosophique du vrai et du juste comme « art unique » échappant au formalisme trompeur de la rhétorique sophistique capable au mieux, dans sa grossièreté, « d’assimiler tout à tout » [87], soit fragilisée par la mauvaise dialectique de l’un et du multiple. Tout se passe comme si les découvertes analytiques puisées dans le pseudo-multiple du lien amoureux, et tout d’abord, cette merveille conceptuelle : la psychagogie comme « agein » du discours vrai ou juste, se désagrégeaient au moment d’entrer dans le vaste Multiple du lien politique. Autant le concept de justice, dans la République, passait aisément de l’âme à la Cité, et retour – peut-être à la faveur du paradigme formel de la tripartition –, autant ici le changement d’échelle altère la nature de l’« agein » du discours. Il faudrait concevoir une influence bénéfique, une communication de mouvement par le discours en vue du juste, adressé à un collectif humain parfaitement unifié, ramené à l’Un ou à l’Identité d’une seule âme – comme le serait, si l’on ose dire, l’âme d’un amant –, ce qui, hormis les fusions passionnelles, dangereuses, sinon mortifères, de la « foule », est hautement problématique. Quel homme politique, quel citoyen pourra prétendre, de la Cité dont il prend soin, que « son amour est l’image réfléchie de l’amour de son amant » [88] ? Que son discours découpe le complexe socio-politique de la Cité selon ses « articulations » essentielles et que chaque segment, chaque intérêt partitif forme une « âme qui se prête » exactement à se voir « communiquer » par ce discours l’« entraînement » [89] ou le mouvement psychagogique vers le juste commun ? Il y faudrait un discours d’une telle puissance, doté d’une psychagogie à la fois substantiellement Une et intégralement Multiple, que Socrate, en son procès, en aurait persuadé ses juges – ce qu’il ne put. C’est le discours que Platon voudrait savoir écrire, ou, à défaut, en justifier la possibilité. C’est aussi, sans doute, la carence secrète dont la blessure (résiduellement amoureuse) donne au Phèdre son tremblement émotionnel.
36Une solution intermédiaire consiste bien sûr à considérer le type ou l’espèce comme la valeur la plus approchée du singulier et à laisser l’empathie socratique faire le reste. Le comblement de cette marge du type à l’individu est d’ailleurs implicite au sens où le Phèdre n’est pas aporétique et où la « route longue et âpre », source de « toutes les souffrances possibles » [90], pour forger en soi le pouvoir de « faire naître [91] » la vertu en chaque âme par le discours parce que l’on a si bien réussi et poussé si loin la « division en espèces » de l’âme qu’on est parvenu « jusqu’à l’indivisible » [92], n’est pas présentée comme une impossibilité, mais au contraire comme une condition réalisable, qui dépasse de loin le prétendu « art merveilleusement caché [93] » de la rhétorique. Reste que cette solution acceptable ne résout pas l’autre problème – le véritable problème du Phèdre : celui de l’âme multiple ou collective. Nous savons que l’accès à l’essence a besoin d’un discours vivant, ou, ce qui revient au même, que le discours est vivant à condition de rencontrer une âme, mais un collectif est-il une âme vivante comme l’est l’interlocuteur personnel que Socrate rencontre en ses dialogues ? Telle est d’ailleurs la véritable inquiétude, la véritable raison qui pousse Platon à poser la question du discours écrit, à opérer l’élargissement final vers l’écriture comme telle, distincte de l’oralité : non pas à cause de son abstraction par rapport à la présence vivante de la voix, mais à cause du fait que son public, son lectorat, est, par principe, potentiellement plus large (du moins en l’absence d’enregistrement sonore) qu’un auditoire – à vrai dire, infini : l’humanité. Quel sens a alors le projet de « savoir combien il y a d’espèces d’âmes », d’effectuer « un dénombrement exact des caractères des auditeurs » devenus des lecteurs à distance, en l’absence, de savoir pour chaque espèce « comment et sur quoi elle agit, comment et par quoi elle est affectée » [94] ? Le parallèle avec la typologie des âmes amoureuses et avec la psychagogie amoureuse est ici aussi évident, aussi explicite que possible, mais bien problématique. Le projet d’une psychagogie politique, capable de « porter la persuasion [95] » en vue du juste par le discours politique, dans une sorte d’amour de la Cité, de bonne « influence » amoureuse sur le collectif, en ressort sérieusement ébranlé.
Conclusion
37Nous avons ainsi, d’un côté, l’idéal psychagogique qui unit en un cercle parfait une âme « influente », les essences, et une âme qui s’avance vers le vrai : le médiateur amoureux établit aisément la convenance mutuelle entre le sujet de connaissance unique (l’aimé) et l’objet du discours ; d’un autre côté, la réalité sociale devant laquelle le tribun médiateur peine à établir cette convenance ductile avec le Bien, du fait du Multiple des sujets politiques. Le dialogue ne peut être dilaté aux dimensions de la Cité. La relance d’une deuxième vague plus poussée de typologie à partir de 270d, après la première typologie amoureuse, n’a pas réduit la fracture sous-jacente, et conduit par la force de la nécessité à l’éclatement final du discours en deux genres, que le mythe de Theuth sert à faire émerger : discours primordial, primitif, qui d’abord « s’écrit avec la science dans l’âme », qui naît de l’esprit et « vit en lui », mais conserve sa vérité en passant dans la voix, dans la parole, d’un côté, discours dérivés, seconds, dégénérés dans l’écriture, d’où ils sont « incapables de parler » et de « se défendre eux-mêmes » [96], de l’autre. Cette scission très générale revient à rétablir plus particulièrement la coupure que la définition osée de la rhétorique citoyenne et politique comme psychagogie, analogue à la psychagogie noétique et amoureuse, avait tenté de réduire devant un Phèdre très dubitatif – « ce n’est absolument pas en ce sens » qu’on parle d’habitude de rhétorique [97]. L’hypothèse métaphysique avancée ici par Platon d’une écriture intérieure, qui demanderait d’ailleurs à être confrontée à la nécessité d’une intersubjectivité dialogique comme condition de la vérité, ne soulage de toute façon pas la difficulté centrale, qui porte sur l’impossibilité d’identifier le destinataire du discours politique, la Cité, à un destinataire analogue à celui d’un discours amoureux, au-delà du petit groupe des amis « approbateurs ». À quelque niveau que Platon tente de constituer une unité psychologique du collectif, qui pourrait donner un sens à la psychagogie politique, que ce soit comme universel, comme type, ou comme singulier, le Multiple citoyen vient toujours se glisser dans l’unité pour empêcher la parole politique, a fortiori l’écrit politique, de médiatiser le passage des âmes vers les essences et le juste.
38Ce passage, Platon, ou plutôt Socrate, dont la contre-présence philosophique travaille ici le texte platonicien de manière particulièrement aiguë, le renvoie à la circulation fluide d’une « semence », vie de la pensée et de l’éthique, qui ne peut trouver son élément ni dans le discours écrit, ni dans le discours collectif, deux formes d’éloignement, parfois additionnées, par rapport à la matrice primitive de la parole vraie et juste, réservée au dialogue, seul à pouvoir, par son éros, « donner naissance en d’autres âmes à d’autres discours » [98].
Bibliographie
Références
- Asmis E., « Psychagogia in Plato’s Phædrus », Illinois Classical Studies, Chicago, 1986, 11.
- Brisson L., « L’unité du Phèdre de Platon. Rhétorique et philosophie dans le Phèdre », Lectures de Platon, Paris, Vrin, 2000.
- Derrida J., « La pharmacie de Platon », La Dissémination, Paris, Seuil, 1972.
- Kastely J. L., « Respecting the rupture : not solving the problem of unity in Plato’s Phædrus », Philosophy and Rhetoric, Penssylvania University Press, 2002, 35/2.
- Kelessidou A., « La psychagogie du Phèdre et le long labeur philosophique », in L. Rossetti (dir.), Understanding the Phædrus, Proceedings of the II symposium Platonicum, Sankt Augustin, Academia Verlag, 1992.
- Moss J., « Soul-leading : the unity of the Phædrus, again », Oxford Studies in Ancient Philosophy, 2012, 43.
- Robin L., La Théorie platonicienne de l’amour (1908), Forgotten Books, 2017.
- Rodis-Lewis G., « L’articulation des thèmes du Phèdre », Revue philosophique de la France et de l’étranger, 1975, 1.
- Schenker D. J., « The strangeness of the Phædrus », American Journal of Philology, Baltimore, John Hopkins University Press, 2006, 127/1.
Notes
-
[1]
Du beau, de l’amour, de la rhétorique, de l’âme, du bien ? Sur le problème du sous-titre, voir L. Brisson, « Introduction » à Platon, Phèdre, Paris, Flammarion, « GF », 1989, trad. fr. Luc Brisson (désormais Br.), p. 63-4, note 1, et C. Baron, « De l’unité de composition du Phèdre de Platon », Revue des études grecques, 1891, 4, p. 58-62.
-
[2]
« L’unité du Phèdre de Platon. Rhétorique et philosophie dans le Phèdre », in L. Brisson, Lectures de Platon, Paris, Vrin, 2000, p. 135 ; J. Derrida, « La pharmacie de Platon », in La Dissémination, Paris, Seuil, 1972, repris dans la traduction de Brisson.
-
[3]
Phèdre, 264b, trad. fr. É. Chambry (désormais Ch.), Paris, Flammarion, « GF », 1964, p. 149. « Fantastique bigarrure », juge M. de Montaigne, Essais, Paris, Gallimard, « Quarto », 2009, III, 9, p. 1203.
-
[4]
Deux bonnes cartographies des stratégies interprétatives sont fournies par G. Rodis-Lewis, « L’articulation des thèmes du Phèdre », Revue philosophique de la France et de l’étranger, 1975, 1 ; et par D. S. Werner, « Plato’s Phædrus and the problem of unity » (Oxford Studies in Ancient Philosophy, 2007, 32), qui classe l’immense littérature, depuis les visions mono-thématiques de l’unité – fondée sur la rhétorique, la connaissance de soi, l’écriture, l’essence de l’homme, l’amour, etc. (par exemple C. L. Griswold, Self-knowledge in Plato’s Phædrus, New Haven/Londres, Yale University Press, 1986 ; A. Nehamas, Virtues of authenticity : essays on Plato and Socrates, Princeton, Princeton University Press, 1999), jusqu’au « pluralisme thématique », en passant par les lectures formalistes (voir C. H. Kahn, Plato and the Socratic dialogue : the philosophical use of a literary form, Cambridge, Cambridge University Press, 1996), structurelles (W. C. Helmbold, W. B. Holther, The unity of the Phædrus, Berkeley, California University Press, 1952 ; Z. von Diesendruck, Plato’s Phædrus Struktur und Charakter des Platonischen Phaidros, Vienne, Braumüller, 1927), fonctionnelles (K. Dorter, « Imagery and philosophy in Plato’s Phædrus », Journal of the History of Philosophy, 1971, 9/3), jusqu’à celles qui nient toute unité (J. L. Kastely, infra note 28).
-
[5]
Ou encore l’unification par extension de la définition formelle du bon discours (264c : infra note 25) à la palinodie de Socrate, voire au dialogue entier : M. M. Heath, « The unity of Plato’s Phædrus », Oxford Studies in Ancient Philosophy, 1989, 7. Approche « rhétorique » critiquée par C. J. Rowe, « Unity of the Phædrus : a reply to heath », Oxford Studies…, 1989, 7, p. 187.
-
[6]
Phèdre, 266a, 237d, Ch., p. 151-2, p. 114.
-
[7]
Ibid., 260a, 262c, Ch., p. 140, p. 145. Voir par ex. A. Diès, Autour de Platon, Paris, Les Belles Lettres, 1972, p. 419-20 ; L. Robin, La Théorie platonicienne de l’amour, Forgotten Books, 2017 (Alcan, 1908), p. 188.
-
[8]
Voir Y. Lafrance, « F. Schleiermacher, lecteur du Phèdre de Platon », in L. Rossetti (dir.), Understanding the Phædrus, Proceedings of the II symposium Platonicum, Sankt Augustin, Academia Verlag, 1992, p. 211.
-
[9]
Phèdre, 228b, Ch., p. 103, et 242a, 236e. Même registre quand Socrate se déclare « amoureux des divisions et synthèses », 266b. Voir J. Derrida, « La pharmacie de Platon » ; et déjà les pages de Pierre-Maxime Schuhl sur le « pharmakon », in Platon et l’art de son temps, Paris, Puf, 1952 (Alcan, 1933), p. 22 et p. 37.
-
[10]
Voir le bilan dressé par E. Asmis, « Psychagogia in Plato’s Phædrus », Illinois Classical Studies, 1986, 11.
-
[11]
J. L. Kastely, « Respecting the rupture : not solving the problem of unity in Plato’s Phædrus », Philosophy and Rhetoric, Penssylvania University Press, 2002, 35/2.
-
[12]
J. Derrida, « La pharmacie de Platon », p. 71.
-
[13]
Phèdre, 250c, 274a, Ch., p. 129, p. 161, p. 162.
-
[14]
Platon, Œuvres complètes. II, Paris, Gallimard, « La Pléiade », 1950, p. 55.
-
[15]
« ἡ ῥητορικὴ ἂν εἴη τέχνη ψυχαγωγία τις διὰ λόγων », Phèdre, 261a, Br., p. 135, et 271c, p. 159 : « La puissance du discours se trouve être celle d’avoir une influence sur les âmes. » Toutes les autres traductions françaises, Victor Cousin (1832), Mario Meunier (Payot, 1922), Léon Robin (Les Belles Lettres, 1933, reprise dans la coll. « La Pléiade »), Paul Vicaire (Les Belles Lettres, 1972), Létitia Mouze (Le Livre de poche, 2007) sont homogènes avec celle-là : « conduire », « mener », « entraîner les âmes ». Seul Jacques Cazeaux est excessif en proposant : « direction spirituelle du souffle vital », in Phèdre, Paris, Le Livre de poche, 1997, p. 196. Charles Baron commente en parlant de l’« influence directe d’une âme sur une autre », in « De l’unité de composition… », p. 60. Christopher Rowe traduit : « a kind of leading of the soul by means of things said », in Phædrus, Liverpool, Aris & Phillips, 1986, p. 91 ; et Ernst Heitsch : « eine Art Seelenführung mit Hilfe von Reden », in Phaidros, Göttingen, Vandenhoek und Ruprecht, 1993, p. 47. Curieusement, L. Brisson ajoute à la formule, en sa première occurrence, mais sans justifier ce choix, des guillemets modalisateurs, qui évidemment ne figurent pas dans le texte grec. Mais c’est au fond une bonne idée, s’il entend par là attirer l’attention sur le fait que le terme de « psuchagogè » n’appartient pas du tout au domaine de la rhétorique, mais est un emprunt au vocabulaire magico-religieux, où il désigne l’évocation des âmes des morts, comme dans les Lois, X, 909b. Voir sa note 405, p. 219. Le mot « initiation » [télétè] employé par Platon dans ce même passage (253c) va dans le même sens. Le Phèdre vise donc à annuler l’import mystique de la communication des âmes dans l’élément si l’on ose dire « laïcisé » de la rhétorique.
-
[16]
Phèdre, 253c, Ch., p. 132.
-
[17]
Ibid., 238c, 253b, Ch., p. 115, p. 132.
-
[18]
Ibid., 268a, 272a, Br., p. 151, p. 160.
-
[19]
Ibid., 267d, Ch., p. 154.
-
[20]
E. Asmis, « Psychagogia in Plato’s Phædrus », p. 157.
-
[21]
Voir J. Moss, « Soul-leading : the unity of the Phædrus, again », Oxford Studies in Ancient Philosophy, 2012, 43, pour qui les différents moments du Phèdre « sont tous unifiés par un seul thème : psuchagôgia » (p. 29) ; A. Kelessidou, « La psychagogie du Phèdre et le long labeur philosophique », in L. Rossetti (dir.), Understanding the Phædrus, p. 267 : « la psychagogie peut être considérée comme skopos véritable du Phèdre ». Daniel Babut retrouve dans une introduction bien méditée cette idée en de nombreux passages du dialogue, et s’étonne, à raison, du peu de cas que les commentateurs en font ou en ont fait : « De quelques énigmes du Phèdre » (1987), inPlaton, Phèdre, trad. fr. J. Cazeaux, p. 36, et les p. 27-37 avec les notes répertoriant tous les passages grecs impliqués. Par contraste, la lecture de L. Brisson effectue un détour à notre avis inutilement large par la « meteorologia » (270a) et la « cosmologie » pour n’aboutir finalement qu’à une « certaine unité » du dialogue, in « L’unité du Phèdre… », p. 135.
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[22]
Selon la formule judicieuse de D. Babut, inPlaton, Phèdre, trad. fr. J. Cazeaux, p. 35.
-
[23]
« τὰ παιδικὰ πείθοντες […] ἄγουσιν », Phèdre, 253b. « Presser » (Ch., p. 132), « conseiller » (Br., p. 120), « prêcher » (traduction de L. Robin, p. 45) : aucun de ces termes ne convient – le texte dit bien : « les amants agissent sur l’aimé par la persuasion », « en les persuadant ».
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[24]
Phèdre, 261a, Br., p. 135.
-
[25]
Ibid., 264c, Br., p. 143. Notons que la formule littérale : « beau discours » [kalos logos] ne se trouve que dans le Banquet (210a), le Phèdre dit seulement : « beaux enfants », en désignant les discours que Phèdre est parvenu à faire prononcer à Socrate.
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[26]
Phèdre, 238c, Br., p. 95.
-
[27]
Ibid., 271a, Br., p. 158.
-
[28]
Dans l’article très éclairant de J. L. Kastely évoqué en introduction, « Respecting the rupture : not solving the problem of unity in Plato’s Phædrus », l’auteur explique que « la tentation déférente est de soutenir qu’éros et politique peuvent être conciliés. La rupture au centre du Phèdre est faite pour nous détourner de cette tentation », et conclut que Platon veut nous alerter sur la nécessité où nous nous trouvons d’avoir à « négocier entre les demandes conflictuelles » que nous adressent notre « être politique » et notre « être érotique » (p. 150). Ce tissage, condition de la cité, est indispensable, mais nous creusons plus profondément quant à nous les facteurs qui le rendent problématique.
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[29]
R. Burger, Plato’s Phædrus : a defense of a philosophic art of writing, considère que, dans l’esprit de Socrate, le fait que « le discours écrit ne délivre aucune impulsion érotique en direction d’une audience » vaut condamnation, mais que ce statut « non-érotique » de l’écrit est en même temps ce qui ouvre son « potentiel d’objectivité ». Réciproquement, la supériorité du discours oral sur le discours écrit provient précisément de sa « sélectivité érotique » (Tuscaloosa, Alabama University Press, 1980, p. 97).
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[30]
Phèdre, 257c, respectivement : Br., p. 126, et Ch., p. 137.
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[31]
Ibid., 278e, Br., p. 174.
-
[32]
Voir notre article « Qu’est-ce qu’une “constitution… sans lois” ? Réflexions sur le Politique de Platon (293c-303c) », Philosophie, 2019, 143.
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[33]
P. Sloterdijk, Règles pour le parc humain, Paris, Mille et Une Nuits, 2000, voir p. 7-13. « Comme l’a relevé un jour Jean Paul, les livres sont de grosses lettres adressées aux amis », p. 7 ; « L’humanisme constitue une télécommunication créatrice d’amitié utilisant le média de l’écrit », id. ; le « message grec » (p. 8) renvoie à « l’art d’écrire des lettres inspirant l’amour à une nation d’amis », p. 13. Ainsi, Borgès voyait en Cervantès son meilleur ami.
-
[34]
Platon, Théétète, 189e, trad. fr. Léon Robin, Paris, Les Belles Lettres, 1970, p. 158.
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[35]
Pour que l’allégorie de la Caverne (République, VII, 514a-518d) soit plausible, il faut imaginer le prisonnier amoureux. Certains ont déjà commencé à connaître leur dieu avant de tomber amoureux, et « cherchent » leur aimé en fonction de lui. Mais le processus ne sera complet qu’à travers l’amour : s’ils « scrutent en eux-mêmes pour découvrir la nature de leur dieu », « ils attribuent ce perfectionnement au bien-aimé » (252e-252a, Ch., p. 132). La médiation intersubjective du « connais-toi toi-même » est essentielle.
-
[36]
Phèdre, 248c, Ch., p. 127.
-
[37]
Ibid., 253b, Ch., p. 132 et Br., p. 121.
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[38]
Ibid., 247c, Ch., p. 126. Voir Br., p. 111.
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[39]
Ibid., 256d, Ch., p. 136, traduction légèrement modifiée.
-
[40]
La question de l’« immortalité » illustre parfaitement le double régime de la philosophie platonicienne, qui passe trop souvent inaperçu : après le traitement dogmatique du thème dans le tout début du mythe de l’attelage ailé, où l’essence de l’âme est prise en soi et comme élément isolé – version standard du platonisme « métaphysique » –, la fin du Phèdre traite l’immortalité sous l’angle dialogique et multiple, comme un résultat de l’intersubjectivité spirituelle : les discours « portent une semence qui donnera naissance en d’autres âmes à d’autres discours, lesquels assureront à la semence toujours renouvelée l’immortalité », 277a, Ch., p. 168. Il a fallu du temps, et peut-être une déprise du christianisme, pour accorder de l’attention à l’empirisme de Platon. Infra note 42.
-
[41]
Platon, Politique, 273d, trad. fr. É. Chambry, Paris, Flammarion, « GF », 1969, p. 193.
-
[42]
Au-delà de la prégnance culturelle du dodécatheon cher aux Grecs, le nombre de douze dieux (Zeus et onze autres divinités, 247a) est, philosophiquement, arbitraire. Mais il faut bien arrêter la prolifération des affinités entre types de beauté et types de divin ou d’âmes divines correspondants. On peut ajouter neuf types supplémentaires, correspondant aux neuf muses, auxquelles les cigales, « après leur mort », vont rapporter « qui honore le type » de valeurs ou vertus qu’elles représentent (259 c-d, Br., p. 131). Le concept même de type sert à contrer le risque encouru de noyer la beauté dans le multiple. Sans doute, si l’on suit cette piste, la beauté d’un corps affinitaire avec l’« âme d’un Zeus » (252e) sera-t-elle la plus grande, orientant vers une sorte d’unanimité esthétique, plus grande que la beauté corporelle affinitaire d’un dieu moins élevé, qui suscitera des amoureux moins nombreux. Mais le mythe des androgynes (Banquet, 189d-193d) donne une version tout opposée de la beauté, offrant un éros rigoureusement indexé sur le multiple : à chaque individu sa « moitié » affinitaire, unique sur la terre. On saisit l’enjeu du problème de l’individuation dans l’amour versus l’amour des Formes, bien éclairé par F. C. White, « Love and the individual in Plato’s Phædrus », Classical Quarterly, 1990, 40/02, p. 401 sq. À retrouver les embarras de l’un et du multiple dans les moindres thèmes de sa pensée, on peut se faire la réflexion que la philosophie de Platon n’est pas uniquement conforme à sa présentation traditionnelle : suprématie de l’essence unitaire et « réalisme des Idées », mais trame plutôt un immense double réseau intellectuel qui couvre de deux manières chaque objet envisagé, une première fois sous l’angle de l’Un, une seconde fois sous l’angle du Multiple. Supra note 40.
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[43]
Phèdre, 250d, Br., p. 116.
-
[44]
Id. Si même on considère que les essences éthiques (et cognitives) poussent parfois leur manifestation jusque dans des symboles ou des actions sensibles, « c’est à peine si quelques-uns [y] reconnaissent… le modèle », 250b, Ch., p. 129. Leurs manifestations sensibles manquent d’« éclat », id.
-
[45]
Supra note 1.
-
[46]
Phèdre, 250d, Br., p. 116.
-
[47]
F. Nietzsche, Le Gai Savoir, Paris, Gallimard, « Folio », 1982 (1956), § 382, p. 292.
-
[48]
Phèdre, 248a, Ch., p. 127.
-
[49]
Ibid., 279c, Br., p. 176.
-
[50]
G. Romeyer-Dherbey, Les Sophistes, Paris, Puf, « Que sais-je ? », 1985, p. 47-8.
-
[51]
Gorgias poursuit : « Il y a des discours qui […], avec l’aide maligne de la persuasion, mettent l’âme dans la dépendance de leur drogue et de leur magie », Éloge d’Hélène, in Jean-Paul Dumont, Les Écoles présocratiques, Paris, Gallimard, « Folio », 1991, p. 712-3.
-
[52]
« La maïeutique socratique réveille l’esprit de sa léthargie, elle le ressuscite d’entre les morts ; la magie sophistique méduse les esprits, et fait d’eux des morts-vivants dociles et passifs. […] La dialectique, par questions brèves, brise l’élan oratoire du sophiste », J. Darriulat, « Gorgias et l’invention de la rhétorique », document en ligne, http://www.jdarriulat.net/Introductionphiloesth/Antiquite/Gorgias.html.
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[53]
Phèdre, 252a, Ch., p. 131 ; Br., p. 118.
-
[54]
Ibid., 264c, Ch., p. 149.
-
[55]
Ibid., 266b, Ch., p. 152.
-
[56]
Ibid., 264b, Br., p. 149. D. J. Schenker distingue la « nécessité psychagogique » de la « nécessité logographique », simplement rhétorique, in « The strangeness of the Phædrus », American Journal of Philology, Baltimore, John Hopkins University Press, 2006, 127/1, p. 83-4.
-
[57]
Phèdre, 276a, Ch., p. 167 ; Br., p. 168 ; « Les êtres qu’engendre la peinture se tiennent debout comme s’ils étaient vivants », Br., p. 167.
-
[58]
Ibid., 250a, Br., p. 115.
-
[59]
Ibid., 276a, Br., p. 168. Jessica Moss repère bien le « nouveau moyen » philosophique mis à jour dans le Phèdre : celui des logoï à la fois « beaux et orientés vers le vrai », in « Soul-leading : the unity of the Phædrus, again », p. 29. Mais il faut en préciser le mode opératoire.
-
[60]
Phèdre, 266b, Ch., p. 152 et Br., p. 147.
-
[61]
Platon, Le Politique, 301b, p. 237.
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[62]
Phèdre, 270a.
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[63]
Ibid., 266b, Ch., p. 152.
-
[64]
Ibid., 270a, Br., p. 155.
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[65]
Ibid., 258d, Br., p. 129.
-
[66]
A. Kelessidou, « La psychagogie du Phèdre et le long labeur philosophique », p. 455-7.
-
[67]
Phèdre, 237d-e, Ch., p. 114. Il y a deux formes de beauté rhétorique comme il y a deux formes de beaux corps : la beauté formelle et la beauté dynamique ou agogique, le joli et le sublime. Parallèlement, il y a deux types de regard (ou d’écoute) : un regard charnel, ou poétique, qui accentue le joli, ou l’effet rhétorique, et un regard philosophique qui cherche les renvois à l’esprit ou au sens intelligible.
-
[68]
Ibid., 236e.
-
[69]
Ibid., 249e, Br., p. 115.
-
[70]
Ibid., 253a, Ch., p. 132.
-
[71]
Phèdre, 249e, inPlaton, Œuvres complètes, II, p. 39.
-
[72]
Id.
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[73]
Ibid., 249e, Br., p. 115.
-
[74]
L’amant « se voue à instruire » l’aimé, in Banquet, 209c, trad. fr. V. Cousin, 1831, document en ligne, http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/platon/cousin/phedre.htm. « L’amour qui guide l’entretien philosophique a ainsi vertu de meneur d’âmes, de “psychagogue” », garantissant « la réalité, vivante, du savoir, ainsi que sa transmission », écrit C. Rogue, Comprendre Platon, Paris, Armand Colin, 2002, p. 74. On lira aussi les remarques nécessaires de R. Barthes sur la réciprocité de la psychagogie amoureuse, Le Discours amoureux : Séminaire à l’École pratique des hautes études 1974-1976 suivi de Fragments d’un discours amoureux, Paris, Seuil, 2007, p. 237-8.
-
[75]
Phèdre, 258d, Ch., p. 139.
-
[76]
Un grand avocat pénaliste décrit ainsi cette subtile mutation du régime oratoire, en un moment qu’il nomme l’« ange du discours », sorte de daïmon rhétorique que n’aurait pas renié un Socrate mué en orateur politique ou judiciaire (si une telle hérésie est permise) : « On a rassemblé des idées, on a organisé un discours, et brusquement, on est en face d’un certain nombre de personnes, et s’établit alors un lien qui est indispensable avec ceux auxquels on s’adresse, et dans cette nécessité de convaincre le discours s’organise autrement, suivant une sorte d’instinct ou d’intuition » (nous soulignons). Voir H. Leclerc, La Parole et l’Action. Mémoires d’un avocat militant, Paris, Fayard, 2017. On y retrouve parfaitement la subordination de l’aspect esthétique de la composition sous le telos de la communication et de la persuasion supérieure du juste.
-
[77]
Phèdre, 257e, Ch., p. 137 ; Br., p. 127.
-
[78]
Ibid., 268b, Ch., p. 155. Voir Le Politique, 295b.
-
[79]
Ibid., 258a, Ch., p. 137 et 261a, p. 143 ; 268a, Br., p. 151.
-
[80]
Ibid., 271b, Br., p. 159.
-
[81]
Ibid., 271e, Br., p. 160 ; 275e, Ch., p. 166 ; 277c, Ch., p. 169.
-
[82]
Ibid., 276e, Ch., p. 168.
-
[83]
Ibid., 271e-272a, Ch., p. 160.
-
[84]
Ibid., 246a, Ch., p. 124.
-
[85]
Ibid., 270c, Ch., p. 158.
-
[86]
Ibid., 275b, Ch., p. 165.
-
[87]
Ibid., 261e, Ch., p. 144.
-
[88]
Ibid., 255d, Ch., p. 135.
-
[89]
Ibid., 270b, Ch., p. 158 ; Br., p. 156.
-
[90]
Ibid., 272c, Ch., p. 161 ; 274b, p. 164.
-
[91]
Ibid., 270b, Ch., p. 158 ; Br., p. 156.
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[92]
Ibid., 277b, Ch., p. 169.
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[93]
Ibid., 273c, Ch., p. 163.
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[94]
Ibid., 272e, Ch., p. 160 ; 273d, p. 163 ; 270d, p. 158.
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[95]
Ibid., 271a, Ch., p. 159.
-
[96]
Ibid., 276a, Ch., p. 167 ; 278a, p. 170 ; 276c, p. 167.
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[97]
Ibid., 261b, Ch., p. 135.
-
[98]
Ibid., 277a, Ch., p. 168.