Couverture de RMM_173

Article de revue

De la manifestation au réel

La phénoménologie asubjective et son autodépassement

Pages 303 à 316

Notes

  • [1]
    J. Patočka, Platon et l’Europe (désormais PE), trad. fr. E. Abrams, Paris, Verdier, 1981, p. 49. Ce diagnostic est repris, avec des termes qui attestent une proximité indiscutable à l’égard de Patočka, par Klaus Held : « D’une part, Husserl […] découvre la donation originaire d’une dimension transsubjective d’ouverture et offre au vingtième siècle la chance historique de surmonter la perte de monde qui caractérise la philosophie moderne. D’autre part, il est obligé d’assurer sa découverte contre le scepticisme nominaliste par l’immanence cartésienne de la conscience et manque ainsi cette même chance » (Klaus Held, « Heidegger et le principe de la phénoménologie », in F. Volpi et al., Heidegger et l’idée de la phénoménologie, Dordrecht, Kluwer, 1988, p. 243).
  • [2]
    J. Patočka, « Le subjectivisme de la phénoménologie husserlienne et la possibilité d’une phénoménologie asubjective », in Qu’est-ce que la phénoménologie ? (désormais QP), trad. fr. E. Abrams, Grenoble, J. Millon, 1988, p. 208.
  • [3]
    Ibidem, p. 211.
  • [4]
    On peut à cet effet renvoyer à la célèbre note du § 48 de la Krisis où Husserl affirme que « la première percée de cet a priori corrélationnel universel de l’objet d’expérience et de ses modes de donnée (tandis que je travaillais à mes Recherches logiques, environ l’année 1898) me frappa si profondément que depuis, le travail de toute ma vie a été dominé par cette tâche d’élaboration de l’a priori corrélationnel ». Voir E. Husserl, La Crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, trad. fr. G. Granel, Paris, Gallimard, 1976, p. 189.
  • [5]
    J. Patočka, Papiers phénoménologiques (désormais PP), trad. fr. E. Abrams, Grenoble, J. Millon, 1995, p. 163.
  • [6]
    PP, p. 139.
  • [7]
    Voir QP, p. 191 : « l’hypothèque qui pèse sur la phénoménologie husserlienne et la fait retomber dans un subjectivisme est le cartésianisme transmis à Husserl par Brentano ».
  • [8]
    Voir QP, p. 219 ; QP, p. 257.
  • [9]
    QP, p. 192. Patočka renvoie à E. Tugendhat, Der Wahrheitsbegriff bei Husserl und Heidegger, Berlin, de Gruyter, 1967, pp. 208-211.
  • [10]
    QP, p. 233 : « Husserl reste attaché au dogme brentanien de l’accès originaire au psychique dans une conversion du regard dirigé sur lui en tant qu’objet. »
  • [11]
    QP, p. 256.
  • [12]
    QP, pp. 258-259.
  • [13]
    J. Patočka, Vom Erscheinen als solchem (désormais VE), éd. H. Blaschek-Hahn et K. Novotny, München-Freiburg, Karl Alber, 2000, p. 289.
  • [14]
    QP, p. 257.
  • [15]
    VE, p. 200.
  • [16]
    J. Patočka, Essais hérétiques sur la philosophie de l’histoire (désormais EH), trad. fr. E. Abrams, Lagrasse, Verdier, 2007, p. 22. Pour une délimitation du « monisme neutre », voir QP, p. 210.
  • [17]
    PP, pp. 166-167.
  • [18]
    R. Barbaras, L’Ouverture du monde. Lecture de Jan Patočka, Chatou, La Transparence, 2011, p. 76.
  • [19]
    QP, p. 208.
  • [20]
    PP, p. 167.
  • [21]
    PP, p. 173.
  • [22]
    PP, p. 254.
  • [23]
    PP, p. 172.
  • [24]
    PP, p. 169.
  • [25]
    S. Crowell, « “Idealities of Nature” : Jan Patočka on Reflection and the Three Movements of Human Life », in I. Chvatík et E. Abrams (éds.), Jan Patočka and the heritage of phenomenology, Berlin, Springer, 2011, p. 16. S. Crowell emprunte cette expression à Thomas Prufer. Voir Th. Prufer, « An outline of some husserlian distinctions and strategies, especially in the “Krisis” », in Phänomenologische Forschungen, 1 (1975), p. 89.
  • [26]
    QP, p. 260.
  • [27]
    PP, p. 168.
  • [28]
    PE, p. 39.
  • [29]
    PE, p. 39.
  • [30]
    PE, p. 41.
  • [31]
    PE, p. 41.
  • [32]
    PE, p. 41.
  • [33]
    E. Fink, « L’analyse intentionnelle et le problème de la pensée spéculative », in Proximité et distance, trad. fr. J. Kessel, Grenoble, J. Millon, 1994, p. 120.
  • [34]
    E. Fink, ibidem, p. 121.
  • [35]
    PP, p. 115.
  • [36]
    J. Patočka, Le Monde naturel et le mouvement de l’existence humaine (désormais MNMEH), trad. fr. E. Abrams, Dordrecht, Kluwer, 1988, p. 100.
  • [37]
    J. Patočka, Aristote, ses devanciers, ses successeurs, trad. fr. E. Abrams, Paris, Vrin, 2011, p. 429.
  • [38]
    MNMEH, p. 100.
  • [39]
    PE, p. 39.
  • [40]
    PP, p. 137.
  • [41]
    PP, p. 137.
  • [42]
    QP, p. 261.
  • [43]
    QP, p. 287.
  • [44]
    QP, p. 287.
  • [45]
    QP, p. 288.
  • [46]
    PP, p. 149.
  • [47]
    EH, p. 46.

1 Le projet philosophique développé par Jan Patočka à partir du milieu des années 1960 est animé par une volonté radicale de fidélité à l’égard de la percée inaugurale de la phénoménologie : rendre compte de ce qui se montre à partir de ce qui se montre, sans le référer à des instances extérieures et sans en projeter des schémas explicatifs déjà disponibles. Si le domaine propre de la phénoménologie est le « se-montrer », l’apparaître, son élucidation présuppose une prise en charge radicale et exclusive de ce champ : la phénoménologie serait pleinement « phénoménologique » à condition de ne pas outrepasser ce champ, c’est‑à-dire de ne pas faire de l’apparaître un moment dérivé ou de l’indexer sur un étant apparaissant. Une phénoménologie conforme à ses propres principes pourrait donc être caractérisée comme une recherche portant sur l’« apparaître comme tel ».

2 Pourtant, saisir de cette manière le noyau de toute entreprise phénoménologique digne de ce nom entraîne une certaine prise de position à l’égard de l’histoire de la phénoménologie. L’« apparaître comme tel » s’avère être un concept non seulement descriptif, mais également normatif : il peut servir de critère pour contester la pleine et entière appartenance à la phénoménologie des démarches qui revendiquent pourtant ce titre. Patočka s’emploiera notamment à montrer que des recherches tributaires du « subjectivisme des temps modernes » sont incapables d’accueillir ce thème dans toute sa rigueur et sa nouveauté, dans la mesure où elles méconnaissent l’autonomie de l’apparaître, en le faisant reposer sur un étant subjectif. En effet, comme il le dit dans un cours de 1973, « la formulation, qui présente la phénoménologie comme une doctrine de la subjectivité, serait-elle transcendantale, n’est pas assez radicale, en ce sens qu’elle nous présente non pas l’apparition de l’étant, mais un étant déterminé, quelque chose de déjà dévoilé, aussi fluide, aussi affiné soit-il [1] ». Dès son moment inaugural, la phénoménologie est donc guettée par le danger de tomber sous la coupe d’un quiproquo fondamental : celui d’interpréter sa propre découverte – l’apparaître comme tel, le champ phénoménal – comme une structure subjective. La voie qui, aux yeux de Patočka, permet d’éviter cet enlisement subjectiviste et de poser le problème de l’apparaître avec toute la clarté requise passe par l’élaboration d’une phénoménologie asubjective. Cependant, il convient de souligner qu’en formulant l’« exigence » d’une phénoménologie asubjective, Patočka n’entend pas donner une nouvelle orientation, proposer un infléchissement de l’exercice phénoménologique. La phénoménologie « comme telle », pourvu qu’elle demeure fidèle à son inspiration initiale, pour autant qu’elle s’affirme comme une recherche portant sur « l’apparaître comme tel », ne peut être qu’asubjective. L’« asubjectif » nomme non pas un nouveau départ, mais seulement la vigilance à l’égard de cette tendance – à laquelle même les « maîtres fribourgeois » n’ont pas su toujours résister – à transposer les acquis proprement phénoménologiques sur un terrain (post-)cartésien, la volonté de préserver dans toute sa pureté « la découverte propre des Recherches logiques[2] ». Ainsi, en aspirant à extraire la phénoménologie de la gangue subjectiviste dans laquelle elle s’est fourvoyée, Patočka prétend encore « exécuter les dernières volontés du fondateur de la phénoménologie », c’est‑à-dire, « réaliser la catharsis du phénoménal de manière à rendre à la phénoménologie, conformément à ce qui fut sans doute l’intention première de Husserl, le sens d’une investigation de l’apparaître comme tel [3] ».

3 Pourtant, il est légitime de se demander si le projet de ressaisir le geste inaugural de la phénoménologie comme l’ouverture d’un champ asubjectif ne conduit pas à remettre en cause quelques-unes de ses avancées décisives. Car, quelles que soient les variations qu’on opère sur son concept, la phénoménologie ne doit-elle pas demeurer attachée à une position subjective, et ceci non pas au sens où elle réduisait, à la manière de l’idéalisme subjectif, l’être à son empreinte subjective, l’esse au percipi, mais dans la mesure où elle situerait sa recherche au sein d’une corrélation qu’elle estime originaire [4] ? N’est-elle pas une étude des choses dans le « comment » de leur apparaître, un examen de la donation des choses et non pas une recherche portant sur des étants dépourvus de tout rapport à une conscience possible ? Une telle caractérisation de la teneur propre de la recherche phénoménologique possède aux yeux de Patočka une légitimité incontestable. Toutefois, que la phénoménologie doive nécessairement ménager une place pour le subjectif n’implique nullement qu’elle soit en droit de lui attribuer une position axiale et de se comprendre soi-même, premièrement, comme une théorie de la subjectivité. Asseoir la légitimité de cette lecture asubjective de la phénoménologie impose alors de mettre en évidence le lieu théorique précis qui revient au subjectif dans le dispositif de l’apparaître et, simultanément, d’indiquer les raisons pour lesquelles le subjectif a acquis, au sein de la phénoménologie historique, une puissance et un privilège exorbitants. La conviction qui soutient cette démarche est qu’une interprétation subjectiviste de phénoménologie a pour effet de méconnaître non seulement la spécificité du champ phénoménal, mais également la signification propre de la subjectivité.

4 Si tant est que l’espace théorique propre de la phénoménologique ne peut être gagné qu’en se libérant de l’emprise de l’attitude naturelle, il convient de dégager l’orientation précise que ce mouvement de déprise assume. Au seuil de l’attitude naturelle, au moment où la pensée s’apprête à rompre avec le fond d’évidences qui auparavant l’accaparait, une bifurcation théorique se présente. La voie empruntée décide d’avance de la signification que revêtira l’espace propre de la phénoménologie. Afin d’éclairer ce parti pris implicite, Patočka propose de désolidariser deux opérations de pensée que Husserl, au moins à un certain moment de son itinéraire philosophique, a tenu pour indissociables : l’épochè et la réduction. Ainsi, il note que « l’idée de l’épochè est indépendante de la réduction à l’immanence en quelque sens que ce soit. L’épochè signifie […] l’autonomie absolue de l’apparaître en tant que tel vis‑à-vis de l’apparaissant et de sa structure, mais elle n’a rien à voir avec une quelconque immanence [5]. » Il s’agit ainsi de contester que la voie d’accès à l’apparaître (l’épochè) soit synonyme d’une remontée vers la subjectivité constituante, d’une reconduction vers la région conscience (la réduction). Le glissement entre la découverte propre de la phénoménologie et sa transposition subjectiviste est attesté par le rétrécissement que Husserl fait subir à l’épochè : « Husserl […] tient à limiter la portée de cette “mise entre parenthèses”, de cette épochè : elle ne doit pas s’appliquer au subjectif comme tel, pour autant qu’il n’est pas “objectivé” en tant que vie consciente d’un être organique, homme ou animal. La subjectivité “libre”, en revanche, celle qui saisit le regard réflexif ayant mis entre parenthèses la thèse générale du monde, ne doit pas être soumise à l’épochè[6]. » Pourquoi le subjectif est-il exclu de cette universelle mise entre parenthèses ? Qu’est-ce qui lui permet d’échapper à cette mise hors jeu globale ? Selon Patočka, cette restriction atteste la soumission de l’entreprise husserlienne à deux préjugés caractéristiques d’une pensée d’inspiration cartésienne1 [7] : d’abord, celui qui consiste à ménager un écart entre la donation du cogito et la donation du monde, et d’affirmer le caractère adéquat et immédiat de la donation de ce premier1 [8] ; ensuite, celui de tenir la réflexion pour le mode d’accès privilégié au subjectif. Contre ces deux préjugés, Patočka tentera d’établir qu’il n’y a qu’un seul régime de phénoménalité, s’appliquant indistinctement à l’ego et à la chose, et que l’accès à soi est originairement pratique, qu’il est essentiellement lié à un souci de soi.

5 Si le subjectif peut s’excepter de la parenthèse époquale, c’est avant tout – avec une formule que Patočka emprunte à Tugendhat – à cause du « préjugé dogmatique de la donation absolue des cogitationes[9] ». Le vécu est donné sans distance, il ne s’esquisse pas, mais possède la certitude inébranlable d’une présence sans reste. Cet être sans fissure ne saurait être atteint que par une opération à même de s’effacer au moment même où elle se réalise : le regard intérieur, la réflexion [10]. Or, ce privilège dans l’ordre de la donation donne lieu à une préséance dans l’ordre de la constitution. Parce qu’il apparaît sans ombre, le vécu peut faire apparaître tout le reste : « La manière d’apparaître d’une manière d’être décide de la modalité fondamentale de son caractère ontologique. La conscience (le vécu, la subjectivité) apparaît immédiatement à elle-même et fait apparaître tout le reste [11]. » En vertu de ces déplacements théoriques, l’élucidation de l’apparaître comme tel est remplacée par l’exposition de la subjectivité constituante.

6 À ces décisions préalables, responsables de la préséance octroyée au subjectif et de la restriction de la portée de l’épochè, Patočka oppose une conception dynamique de la subjectivité : le soi se saisit comme un relief qui se dégage dans le tissu du monde, de sorte qu’il est indissociable d’un parcours vers soi et d’une quête de soi, signes d’une distance insurmontable : « la perception des cogitationes à l’aide d’un “regard intérieur” qui correspondrait au regard extérieur comme un pendant renversé, est un mythe. Le soi est expérimenté dans le monde et sur fond de monde, de même que les choses, bien que, par essence, il ne soit évidemment pas une chose et ne puisse jamais être considéré comme telle [12]. » Donné à distance, comme les choses, sans pourtant être une chose : telle est, formulée brièvement, l’exigence qu’une pensée conséquente du soi doit satisfaire. Si l’écart creusé entre la donation du soi et celle de la chose mondaine s’avère être un mirage théorique, et le privilège du subjectif dans l’ordre de la donation un résidu cartésien dépourvu de support phénoménal, la subjectivité ne peut plus se prévaloir d’aucune priorité constitutive. Déchu de sa position de surplomb, cessant d’être le siège de l’a priori, le subjectif relève désormais du domaine du constitué : « les choses de même que le moi sont quelque chose de manifeste, et non pas le fondement et l’origine de la manifestation [13] ». Si le lieu de la constitution n’est pas la subjectivité, l’interprétation « réductive » de l’épochè est privée de toute assise. On peut alors se demander : « que se passerait-il si la thèse du soi propre n’était pas soustraite à l’épochè, si celle-ci était conçue de manière tout à fait universelle ? Ne se pourrait-il pas que l’expérience de soi ait, de même que l’expérience des choses, un a priori spécifique qui rend possible l’apparaître de l’ego ? L’épochè conçue ainsi ne donne plus accès à un étant ou un pré-existant, mais […] permet […] d’accéder, non plus à l’apparaissant mais à l’apparaître comme tel [14]. »

7 C’est en préservant l’extension maximale de l’épochè, en la libérant de la limitation qu’elle a subie, qu’on peut se rendre à même de dégager l’apparaître comme tel, avant sa captation dans un dispositif subjectiviste. Il s’agit ainsi de contester le privilège octroyé à la conscience et de surmonter les dualismes qui vont de pair avec cette préséance, afin de retrouver un horizon de sens unitaire à partir duquel on peut rendre compte à la fois de l’effectuation subjective et de la manifestation chosique. Loin de signifier un retour à l’immanence, l’épochè « ne découvre pas un sujet d’une autre espèce, mais un domaine de l’ouverture qui nous rend accessibles les objets, les choses étantes, un domaine des “conditions de possibilités” [15] ». Ainsi conçue, l’épochè permet d’atteindre un véritable a priori, neutre par rapport à la distinction du subjectif et de l’objectif et, partant, à même de possibiliser les deux.

8 Pourtant, si l’épochè dévoile le champ phénoménal antérieur à la distinction du subjectif et de l’objectif, est-on alors en droit d’affirmer que ce dont Patočka se met en quête est un troisième genre d’être, un être neutre par rapport à cette distinction et que la phénoménologie asubjective équivaut à une ontologie neutre ? Peut-on soutenir que le philosophe tchèque défend une version du monisme neutre, c’est‑à-dire une doctrine pour laquelle « la réalité tant objective que vécue se “compose” des mêmes éléments, devenant “objective” ou “subjective” selon les relations dans lesquelles les éléments du donné s’insèrent (relations à un complexe privilégié de données appelé le “système nerveux”, d’une part, à l’ensemble des éléments restant, d’autre part) [16] » ? Cette approche, que Patočka attribue dans le premier chapitre des Essais hérétiques essentiellement à Whitehead et à Bergson, demeure captive du même cadre que le subjectivisme et l’objectivisme qu’elle tente de combattre En effet, au sein de ce dispositif théorique, il n’y a pas de place pour la manifestation, il n’y a que des relations réelles, différemment articulées, entre des réalités. En mettant au jour un être neutre, on ne quitte jamais le domaine de l’étant, on s’avance seulement vers une réalité plus profonde. Or, saisir l’apparaître comme tel par-delà l’apparaissant revient à libérer la condition de possibilité de tout ancrage ontique : le champ phénoménal n’est pas un troisième genre d’être, il n’est purement et simplement pas, mais laisse voir. À cet égard, Patočka note : « la source principale de la mécompréhension du problème de l’apparition en tant que telle est-elle précisément le fait de cette confusion, de cet amalgame de la structure de l’apparition avec la structure d’un apparaissant. “Il y a une structure de l’apparition” ce n’est pas dire “il y a un étant, un ceci-là auquel on peut donner le nom d’apparition” ; l’apparaître en tant que tel n’est pas un étant et on ne peut pas y renvoyer comme à un étant [17]. » Si l’épochè représente le geste théorique qui nous rend à même d’atteindre l’apparaître s’exceptant du domaine de l’étant, il s’ensuit que son pendant – l’attitude naturelle – doit être à son tour redéfini, c’est‑à-dire saisi à un niveau plus profond. Nous pouvons ainsi souscrire à la formulation qu’en donne R. Barbaras lorsqu’il affirme : « en ne neutralisant l’étant naturel que pour reconduire la phénoménalité à l’étant subjectif, Husserl demeure tributaire d’une attitude naturelle en un sens plus profond, qui consiste à subordonner la phénoménalité à la sphère de l’étant, et le fait que celui-ci soit subjectif n’y change rien [18] ».

9 Un projet qui vise à mettre au jour des structures asubjectives du monde n’est pas pour autant une phénoménologie asubjective, car une telle tentative se situe encore sur le terrain de l’attitude naturelle. Afin d’ouvrir l’espace de la phénoménologie asubjective, il ne suffit donc pas d’abandonner « le point de vue subjectif », il est nécessaire en outre que le champ en direction duquel ce dépassement s’opère soit celui de l’apparaître et non pas d’une étantité, fût-elle neutre. En effet, ce que la démarche critique de Patočka vise avant tout, c’est la tentation de fournir une assise positive à la manifestation, tentation qui est responsable de la méconnaissance du statut propre de l’apparaître : « parce qu’on ne voit pas comment penser la sphère phénoménale comme quelque chose d’autonome, on se croit donc obligé de l’étayer de quelque chose ressortissant du domaine du réel [19] ». L’apparaître comme tel, auquel l’épochè nous ouvre l’accès, est précisément un apparaître non étayé, libre à l’égard de toute configuration appartenant au domaine de l’étant.

10 Pourtant, le projet de saisir l’apparaître comme tel ne doit pas conduire à le purifier de toute référence à une instance subjective – ceci serait précisément la tare qui affecte le monisme neutre. Il convient uniquement de ne pas la surestimer : si le subjectif est requis dans la structure de l’apparaître, il est en revanche dépourvu de tout privilège constitutif. Le subjectif est un « rôle [20] », une « perspective sur les choses [21] », « une structure pronominale vide [22] », « rien d’autre que ce à quoi le monde apparaît [23] », et Patočka ira jusqu’à reprendre le terme de « sujet transcendantal », à condition de le comprendre comme un moment dans une configuration plus vaste et non pas comme le sol et la source de cette structure. En effet, « au se-montrer, à l’apparaître appartient aussi ce à quoi l’apparaissant apparaît. Ce sujet étant aussi peu une réalité comme l’apparaître comme tel, on est en droit de le séparer du réel en le qualifiant de “transcendantal”. Mais loin d’être le sol et le fondement de la structure de l’apparition, il n’est qu’une composante vide [24]. » Autrement dit, le statut véritable du subjectif n’est pas celui du « nominatif de la constitution » mais celui, plus modeste, du « datif de la manifestation [25] ». Il n’y a pas de manifestation, pas d’apparaître comme tel sans un sujet ; pourtant, ceci ne doit pas conduire à déduire la manifestation, ni quant à son être, ni quant à son sens, du subjectif. S’il faut dés-ancrer l’apparaître du subjectif, ce n’est que pour pouvoir ensuite ancrer le subjectif dans l’apparaître.

11 Les coordonnées de l’horizon théorique propre à la phénoménologie asubjective peuvent désormais être tracées avec netteté. Pour autant qu’on préserve son extension maximale et qu’elle inclut dans la parenthèse qu’elle ouvre le subjectif, l’épochè permet la mise au jour du champ phénoménal, qui possède une légalité spécifique, impossible à dériver de la légalité de l’apparaissant. Par conséquent, la manifestation peut être pensée sans la référer à aucun support chosique ou noétique. L’apparaître laisse être l’étant – fait apparaître l’apparaissant – sans être lui-même de l’ordre de l’étant (apparaissant). Le rejet de l’interprétation « réductive » de l’épochè ne découle pas d’une méfiance à l’égard de la « subjectivité », qui est recueillie dans le dispositif de la phénoménologie asubjective. La tendance la plus intime portée par le subjectivisme transcendantal est celle d’une « ontification » de l’apparaître. La visée ultime du projet d’une dé-subjectivation de l’apparaître est sa dé-réalisation, la purification du champ phénoménal de toute intrusion ontique.

12 Pourtant, après avoir indiqué que la signification décisive de la phénoménologie asubjective réside dans la mise en évidence d’un champ qui échappe aux prises de toute ontologie, Patočka soutient, de façon étonnante, qu’« une phénoménologie comme science de l’apparaître comme tel […] est impossible sans une certaine ontologie [26] ». En quel sens doit-on entendre cet appel à l’ontologie ? Quel éclaircissement peut-on tirer d’une enquête ontologique si tant est que toute considération relative à l’étant ait été exclue de la recherche portant sur l’apparaître comme tel ? L’hypothèse que nous avançons est que ce recours à l’ontologie est motivé par le projet de fournir un éclaircissement à deux questions de taille que la phénoménologie asubjective doit, en vertu des limitations méthodiques, laisser ouvertes : celle du rapport entre l’apparaître et le réel et celle du statut de la subjectivité à même d’ouvrir le champ de la manifestation.

13 Même si elle a exclu de son domaine propre toute enquête portant sur le réel, la phénoménologie reconnaît comme problème liminaire la question de l’inscription de l’apparaître dans le monde. En effet, le « se-montrer » ne représente pas seulement le domaine d’une légalité autonome, mais constitue également « une dimension du monde [27] », car « le monde a deux aspects : [il] est d’une part le monde de choses étantes et, de l’autre, celui des structures phénoménales[28] ». Si la phénoménologie a pu relever – contre tout réalisme naïf – que « l’univers possède aussi un aspect non réel qui est le comment de sa manifestation [29] », elle ne saurait éluder la question du rapport entre ces deux dimensions – entre l’« irréalité » de l’apparaître et la massivité opaque du réel. En effet, une interrogation qui se contente de cartographier le domaine de l’apparaître comme tel est nécessairement partielle, car condamnée à rester cantonnée dans une dimension « non réelle[30] ». Or, comme le souligne Patočka, « le phénomène en tant que tel n’a aucune force [31] », il ne contient pas en lui les conditions de son propre surgissement. Pourtant, l’élucidation de cette question ne relève plus de la phénoménologie au sens strict, mais incombe à la philosophie phénoménologie qui « se distingue de la phénoménologie dans la mesure où elle ne veut pas seulement analyser les phénomènes en tant que tels, mais encore en tirer des conséquences “métaphysiques”, et pose la question du rapport entre le phénomène et l’étant [32] ». C’est donc la question de l’émergence du plan phénoménal, de son irruption au sein d’un monde qui n’est pas pré-ordonné à la phénoménalité qui exige de transgresser les limitations méthodologiques de la phénoménologie. Pourtant, lorsqu’il s’apprête à franchir les lignes de l’horizon phénoménologique, Patočka n’abandonne pas le concept central qu’il a mis en avant : l’interrogation qui cherche à saisir le « rapport entre le phénomène et l’étant » s’avère être un approfondissement du sens de l’apparaître.

14 Patočka tente de cerner les contours de ce problème en reprenant l’explicitation finkéenne de la multiplicité des sens de l’apparaître. À cet égard, Fink note que « l’expression “apparaître” possède une pluralité de sens énigmatique et profonde. Elle signifie en premier lieu l’émergence [Aufgehen] de l’étant, l’ad-venir [Hervorkommen] dans l’ouvert entre ciel et terre. Tout étant fini vient au paraître [Vorschein] en tant qu’il s’inscrit dans l’entre-espace et l’entre-temps [Zwischen-Raum, Zwischen-Zeit] et a là sa durée passagère [33]. » Et il poursuit : « apparaître peut cependant viser en outre le fait de s’exposer pour l’étant fini déjà venu au paraître. Chaque chose ne reste pas en soi, cachée dans son essence, elle est en relation à d’autres choses voisines auxquelles elle confine. […] Apparaître signifie à présent l’être-en-relation d’un étant avec d’autres étants. Le fait de s’exposer est plus général que la manière particulière se fondant en lui par laquelle une chose s’expose pour un sujet qui sait. Le savoir se fonde du point de vue de sa possibilité ontologique, dans l’être général des choses pour d’autres choses [34] ». On peut donc distinguer trois sens de l’apparaître. En un premier sens, l’apparaître désigne – avec les mots de Patočka, cette fois – « l’émergence des choses hors du “chaos”, hors de la totalité préalable, individuation [35] ». En un second sens, l’apparaître connote l’ouverture des choses les unes pour les autres, leur réciproque exposition. Enfin, c’est seulement en un troisième sens que l’apparaître renvoie à l’appréhension subjective, à la manifestation des choses pour une vie ou pour une conscience. Entre ces trois régimes d’apparaître s’établit un rapport de fondation : toute visibilité pour une conscience a pour condition l’entrée de l’étant dans l’espace des différences, son individuation, de même que l’exposition réciproque des étants, leur être-en-rapport. Autrement dit, afin que quelque chose apparaisse à quelqu’un, afin que les phénomènes de la phénoménologie asubjective soient dévoilés, il est nécessaire qu’une apparition anonyme, non référée à une structure subjective d’accueil, ait lieu. Or, dans la mesure où l’individuation est pensée comme détachement, comme séparation d’un fond préalable, et pour autant que le monde est envisagé comme le « cadre préalable, total, non individué de toute individuation [36] », la théorie de l’apparaître non subjectif se dévoile être une théorie du monde, une cosmologie.

15 Si un regard hâtif pourrait rejeter l’idée d’un « apparaître pour personne » comme une simple contradiction dans les termes, Patočka en défend l’idée en réactivant le concept présocratique de physis. Ainsi, il note que « la physis […] se révèle avant tout comme le principe de l’apparaître – quoique nullement en un sens subjectif. Comment se peut-il que quelque chose “apparaisse” autrement que pour le sujet et dans un sujet ? Mais ne sommes-nous pas, en posant cette question, excessivement tributaires de nos représentations modernes, post-cartésiennes [37] ? » Si la phénoménologie asubjective mettait déjà en scène une critique des philosophies d’inspiration cartésienne, en récusant l’identification du domaine de l’apparaître avec la subjectivité, Patočka opère une remontée supplémentaire, en contestant un autre présupposé de cette tradition, celui qui consiste à superposer la totalité du réel avec le champ de l’apparaître (au sens restreint, de l’apparaître pour une conscience). Le rejet de ce présupposé rend incontournable la question de l’installation de l’apparaître dans le réel, de l’inscription du champ phénoménal dans la physis. Un examen des conditions de l’émergence de l’apparaître comme tel (l’apparaître de la phénoménologie) débouche sur une élucidation de la physis, c’est‑à-dire du « monde au sens fort [38] ».

16 Mais à part cette présupposition mondiale, le dispositif théorique de la phénoménologie asubjective fait fond sur une autre précondition portant, cette fois, sur la teneur propre de la subjectivité. En suivant cette ligne d’enquête, il est possible de mettre au jour l’excès de la subjectivité à l’égard de la posture que la phénoménologie asubjective lui a assignée, celle du « datif de la manifestation ». Cet excès est double : d’un côté, la subjectivité ne peut pas être assimilée à une « structure pronominale vide », à un moment dans la structure de l’apparaître, car elle désigne également une réalité. De l’autre côté, le soi n’est pas une instance seulement accueillante, celui pour qui les choses apparaissent : s’il était captif de cette posture, il ne posséderait pas cette force de recul indispensable pour l’accomplissement de l’épochè.

17 En effet, comme l’écrit Patočka, « si la manifestation doit être réelle, il faut qu’il y ait une réalité telle qu’à sa composition et à sa structure la manifestation comme telle appartienne. […] Il doit y avoir un être réel qui ne peut exister autrement que si quelque chose se manifeste à lui [39]. » Le subjectif ne peut être (comme subjectif) sans entretenir un rapport avec l’apparaître : il s’agit donc d’un être réel qui ne peut exister comme réel que pour autant qu’il est déterminé par le non-réel. La réalité (particulière) du subjectif est déterminée par la non-réalité. Pourtant le subjectif est non seulement un moment de la structure de l’apparaître mais également une réalité, quoique d’une facture particulière : il s’ensuit que le subjectif est irréductible à sa dimension d’ouverture, au fait d’être un lieu de passage de la manifestation. Que le subjectif soit simplement réel, qu’il y ait un étant qui soit en rapport avec l’apparaître, ceci est une précondition radicale que la phénoménologie doit assumer. C’est dans ce sens qu’on peut entendre la nécessité, évoquée par Patočka, de forger des concepts, « permettant de passer, de ce qui relève de l’ontologie du Dasein au sens propre, à l’ontique du Dasein[40] ». Dans la suite du texte, il précise qu’il s’agit de « dégager par l’interprétation les structures du mouvement de la vie, fondé pour une part dans l’ontologie du Dasein[41] ». Qu’une telle démarche relève du registre d’une « interprétation » implique que la prise en compte de la « réalité » du subjectif réclame un dépassement du registre descriptif propre à la phénoménologie. Explorer la réalité du subjectif exige de mettre en évidence l’ancrage du subjectif dans une vie, ce qui implique à son tour de dégager les mouvements par lesquels la subjectivité se constitue au sein d’une vie. C’est autour de cette exigence qu’est articulée la théorie patočkienne des trois mouvements de l’existence.

18 Que le subjectif soit nécessairement en rapport avec l’apparaître n’implique pas encore que l’apparaître soit l’objet d’un dévoilement thématique, qu’une enquête portant sur l’apparaître comme tel soit déjà effective. Rendre compte de la phénoménologie impose donc d’interroger le geste par lequel le champ de l’apparaître est ouvert, l’épochè. Patočka précise la direction qu’une telle démarche doit suivre, car « comme il faudrait que la possibilité de l’épochè soit aussi compréhensible à partir de la constitution ontologique d’un soi se rapportant à soi-même, une telle phénoménologie devrait nécessairement être projetée en même temps comme philosophie de la liberté finie [42] ». Même si elle se défend de prononcer une quelconque thèse sur l’étant, la recherche portant sur l’apparaître comme tel se voit contrainte de ménager une place pour une ontologie, sans laquelle elle serait suspendue dans le vide : elle doit répondre à la question de savoir comment l’épochè, conçue comme effectuation subjective, est possible. L’épochè est ainsi envisagée non pas à partir du champ qu’elle ouvre, mais à partir de la possibilité de s’y engager, elle devient thème non pas en tant qu’ouverture d’un champ, mais en tant que geste d’un soi. L’ontologie ainsi visée est une ontologie de l’existence humaine qui aurait pour tâche, comme Patočka l’affirme dans un texte contemporain, de « trouver dans la vie même une justification de la possibilité de l’épochè[43] ». Dans cette optique ontologique, la subjectivité n’apparaît plus comme une « structure pronominale vide », mais est envisagée à partir de la force de distanciation qui est sienne, qui lui permet de se détacher de l’intérêt pour l’apparaissant pour viser l’apparaître. Afin que la structure de l’apparaître puisse être mise en évidence, il est nécessaire que le sujet ne soit pas seulement accueillant, mais capable de se « dessaisir » d’un intéressement préalable. Contre Husserl, pour qui « cet acte de la liberté “tombe du ciel” », car « l’épochè est une raison fondatrice qui comme telle, n’est pas fondée plus avant [44] », Patočka tentera de fournir une fondation à cet acte de liberté qu’est l’épochè. C’est l’émergence de la problématicité, grâce à laquelle, pour la première fois, l’apparaître peut être envisagé comme tel, qui constitue la présupposition (subjective) de l’enquête phénoménologique. Si l’épochè représente bien l’opération qui fait surgir le champ phénoménal, en détournant le regard de l’apparaissant vers l’apparaître, elle présuppose sur un changement de registre plus profond : « La possibilité de l’épochè et du suspens qu’elle instaure s’enracine dans l’expérience du néantissement [45]. » L’épochè peut être effectuée seulement par un étant qui vit dans la dimension de la problématicité, qui est transi par la négativité, qui est à même de « se placer en marge de l’étant [46] ». Libre de tout engagement ontologique – une fois qu’elle est installée –, la phénoménologie asubjective a pour point d’appui minimal une thèse ontologique sur ce qu’est le soi. Envisagé comme effectuation subjective, l’ouverture du champ de l’apparaître relève du troisième mouvement de l’existence, car, comme Patočka l’écrit, « le mouvement de vérité [est] le rapport propre à l’apparition [47] ».

19 Afin de rendre raison de sa propre possibilité, la phénoménologie asubjective doit opérer un mouvement d’auto-dépassement en direction d’une « cosmologie philosophique » et d’une « philosophie de la liberté finie », qui est le point d’aboutissement de la théorie des mouvements de l’existence humaine. La phénoménologie s’établit sur un sol qu’elle ne peut pas prospecter par ses propres moyens. Cette enquête, outrepassant les frontières de la phénoménologie au sens strict, permet de mettre en évidence l’ancrage de l’apparaître dans le monde, l’enracinement du subjectif dans la vie, la dépendance de l’épochè à l’égard de l’expérience du néantissement et de la liberté. Pourtant, il convient de noter que le projet de sonder ces dimensions n’annule nullement la pertinence des découpages par lesquels la phénoménologie asubjective a gagné son propre domaine : affirmer l’inscription du champ phénoménal dans le monde ne revient pas à soutenir que la légalité de l’apparaître est subordonnée à la légalité de l’apparaissant. Le monde porte le champ phénoménal, mais ne détermine nullement sa configuration. L’émergence du plan phénoménal au sein du monde n’est pas sans conséquence pour le statut du monde : pour autant que l’apparaître possède une normativité propre, il ne peut pas être réduit à une dimension indifférente du monde, mais s’avère être le lieu d’une brèche, d’une fissure. Le surgissement au sein du monde d’un champ qui n’est pas entièrement soumis à sa domination, rend impossible l’identification du monde à une totalité massive et close.

20 Pour autant qu’une recherche portant sur le monde et sur la vie s’accomplit uniquement comme mouvement régressif vers les conditions de la phénoménologie, toute approche frontale de ces domaines est frappée d’un interdit : la physis peut être ressaisie seulement dans sa connexion (de fondation) avec le champ phénoménal, la vie uniquement dans son rapport avec l’existence. Si la phénoménologie permet de réhabiliter une cosmologie philosophique et une enquête portant sur une ontique de l’existence, ces démarches sont nécessairement liminaires et, on pourrait dire, post-phénoménologiques, au sens où elles visent seulement à suppléer à la recherche phénoménologique, en fournissant un éclaircissement sur ses pré-conditions.


Date de mise en ligne : 07/09/2017

https://doi.org/10.3917/rmm.173.0303

Notes

  • [1]
    J. Patočka, Platon et l’Europe (désormais PE), trad. fr. E. Abrams, Paris, Verdier, 1981, p. 49. Ce diagnostic est repris, avec des termes qui attestent une proximité indiscutable à l’égard de Patočka, par Klaus Held : « D’une part, Husserl […] découvre la donation originaire d’une dimension transsubjective d’ouverture et offre au vingtième siècle la chance historique de surmonter la perte de monde qui caractérise la philosophie moderne. D’autre part, il est obligé d’assurer sa découverte contre le scepticisme nominaliste par l’immanence cartésienne de la conscience et manque ainsi cette même chance » (Klaus Held, « Heidegger et le principe de la phénoménologie », in F. Volpi et al., Heidegger et l’idée de la phénoménologie, Dordrecht, Kluwer, 1988, p. 243).
  • [2]
    J. Patočka, « Le subjectivisme de la phénoménologie husserlienne et la possibilité d’une phénoménologie asubjective », in Qu’est-ce que la phénoménologie ? (désormais QP), trad. fr. E. Abrams, Grenoble, J. Millon, 1988, p. 208.
  • [3]
    Ibidem, p. 211.
  • [4]
    On peut à cet effet renvoyer à la célèbre note du § 48 de la Krisis où Husserl affirme que « la première percée de cet a priori corrélationnel universel de l’objet d’expérience et de ses modes de donnée (tandis que je travaillais à mes Recherches logiques, environ l’année 1898) me frappa si profondément que depuis, le travail de toute ma vie a été dominé par cette tâche d’élaboration de l’a priori corrélationnel ». Voir E. Husserl, La Crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, trad. fr. G. Granel, Paris, Gallimard, 1976, p. 189.
  • [5]
    J. Patočka, Papiers phénoménologiques (désormais PP), trad. fr. E. Abrams, Grenoble, J. Millon, 1995, p. 163.
  • [6]
    PP, p. 139.
  • [7]
    Voir QP, p. 191 : « l’hypothèque qui pèse sur la phénoménologie husserlienne et la fait retomber dans un subjectivisme est le cartésianisme transmis à Husserl par Brentano ».
  • [8]
    Voir QP, p. 219 ; QP, p. 257.
  • [9]
    QP, p. 192. Patočka renvoie à E. Tugendhat, Der Wahrheitsbegriff bei Husserl und Heidegger, Berlin, de Gruyter, 1967, pp. 208-211.
  • [10]
    QP, p. 233 : « Husserl reste attaché au dogme brentanien de l’accès originaire au psychique dans une conversion du regard dirigé sur lui en tant qu’objet. »
  • [11]
    QP, p. 256.
  • [12]
    QP, pp. 258-259.
  • [13]
    J. Patočka, Vom Erscheinen als solchem (désormais VE), éd. H. Blaschek-Hahn et K. Novotny, München-Freiburg, Karl Alber, 2000, p. 289.
  • [14]
    QP, p. 257.
  • [15]
    VE, p. 200.
  • [16]
    J. Patočka, Essais hérétiques sur la philosophie de l’histoire (désormais EH), trad. fr. E. Abrams, Lagrasse, Verdier, 2007, p. 22. Pour une délimitation du « monisme neutre », voir QP, p. 210.
  • [17]
    PP, pp. 166-167.
  • [18]
    R. Barbaras, L’Ouverture du monde. Lecture de Jan Patočka, Chatou, La Transparence, 2011, p. 76.
  • [19]
    QP, p. 208.
  • [20]
    PP, p. 167.
  • [21]
    PP, p. 173.
  • [22]
    PP, p. 254.
  • [23]
    PP, p. 172.
  • [24]
    PP, p. 169.
  • [25]
    S. Crowell, « “Idealities of Nature” : Jan Patočka on Reflection and the Three Movements of Human Life », in I. Chvatík et E. Abrams (éds.), Jan Patočka and the heritage of phenomenology, Berlin, Springer, 2011, p. 16. S. Crowell emprunte cette expression à Thomas Prufer. Voir Th. Prufer, « An outline of some husserlian distinctions and strategies, especially in the “Krisis” », in Phänomenologische Forschungen, 1 (1975), p. 89.
  • [26]
    QP, p. 260.
  • [27]
    PP, p. 168.
  • [28]
    PE, p. 39.
  • [29]
    PE, p. 39.
  • [30]
    PE, p. 41.
  • [31]
    PE, p. 41.
  • [32]
    PE, p. 41.
  • [33]
    E. Fink, « L’analyse intentionnelle et le problème de la pensée spéculative », in Proximité et distance, trad. fr. J. Kessel, Grenoble, J. Millon, 1994, p. 120.
  • [34]
    E. Fink, ibidem, p. 121.
  • [35]
    PP, p. 115.
  • [36]
    J. Patočka, Le Monde naturel et le mouvement de l’existence humaine (désormais MNMEH), trad. fr. E. Abrams, Dordrecht, Kluwer, 1988, p. 100.
  • [37]
    J. Patočka, Aristote, ses devanciers, ses successeurs, trad. fr. E. Abrams, Paris, Vrin, 2011, p. 429.
  • [38]
    MNMEH, p. 100.
  • [39]
    PE, p. 39.
  • [40]
    PP, p. 137.
  • [41]
    PP, p. 137.
  • [42]
    QP, p. 261.
  • [43]
    QP, p. 287.
  • [44]
    QP, p. 287.
  • [45]
    QP, p. 288.
  • [46]
    PP, p. 149.
  • [47]
    EH, p. 46.

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