Notes
-
[1]
K. Pomian (éd.), La Querelle du déterminisme, Paris, Gallimard, 1990.
-
[2]
D. Bodansky, « The precautionary principle in US environmental law », in T. O’Riordan and J. Cameron (éds.), Interpreting the precautionary principle, Londres, Earthscan, 1994, pp. 203-228.
-
[3]
N. Ashford, « The legacy of the precautionary principle in US law », in N. de Sadeleer (éd.), Implementing the precautionary principle, Londres, Earthscan, 2007, pp. 352-378.
-
[4]
Voir S. Boehmer-Christiansen, « The precautionary principle in Germany : enabling government », in T. O’Riordan and J. Cameron (éds.), Interpreting the precautionary principle, Londres, Earthscan, 1994, pp. 31-60.
-
[5]
La Déclaration de la première Conférence internationale sur la protection de la mer du Nord, en 1984 à Brême, manifeste la même intention, mais sans mention explicite.
-
[6]
Avec la loi du 13 juillet 1992 relative au contrôle de l’utilisation et de la dissémination des organismes génétiquement modifiés et avec celle (dite loi Barnier) du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement, mais surtout avec l’adossement à la Constitution française de la Charte de l’environnement en 2005, qui lui confère une valeur constitutionnelle.
-
[7]
Voir J. Cameron et J. Abouchar, « The status of the precautionary principle in international law », in D. Freestone et E. Hey (éds.), The precautionary principle and international law, The Hague, Kluwer, 1996, pp. 29-52.
-
[8]
Il a même été proposé de l’appliquer à la gestion des activités humaines sur… la Lune ! Voir P. Larsen, « Application of the precautionary principle to the Moon », Journal of Air Law and Commerce, vol. 71, no 2, 2006, pp. 295-306.
-
[9]
Pour un aperçu du panorama des positions et des arguments des principaux acteurs français ou francophones au débat, voir par exemple : F. Ewald, « Philosophie de la précaution », L’Année sociologique, vol. 46, no 2, 1996, pp. 383-412 ; P. Kourilsky et G. Viney, Le Principe de précaution, La Documentation française, 2000 ; J.-P. Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé, Paris, Seuil, 2002 ; P. Mongin, « Le développement durable contre le principe de précaution ? », Esprit, no 8-9, 2003, pp. 163-171 ; M. Hunyadi, « La logique du raisonnement de précaution », Revue européenne des sciences sociales, XLII-130, 2004, pp. 9-33 ; O. Godard, « Peut-on séparer de façon précoce le bon grain de l’ivraie ? », in C. Kermisch et G. Hottois (dir.), Techniques et philosophie des risques, Paris, Vrin, 2007, pp. 139-157 ; D. Grison, Vers une philosophie de la précaution, Paris, L’Harmattan, 2009 ; G. Bronner et E. Géhin, L’Inquiétant Principe de précaution, Paris, Puf, 2010 ; D. Bourg et A. Papaux, « Des limites du principe de précaution », in A. Marciano et B. Tourrès (dir.), Regards critiques sur le principe de précaution, Paris, Vrin, 2011, pp. 47-84.
-
[10]
Voir P. Sandin, « The precautionary principle and the concept of precaution », Environmental Values, no 13, 2004, pp. 461-475.
-
[11]
B. de Contes, « Action dans l’incertitude et tradition philosophique », Cahiers du groupe épistémologie des cyndiniques, no 4, 1993, pp. 9-19.
-
[12]
Voir en particulier O. Godard, « L’ambivalence de la précaution et la transformation des rapports entre science et décision », in O. Godard (dir.), Le Principe de précaution dans la conduite des affaires humaines, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme et Institut national de la recherche agronomique, 1997, pp. 37-83, et C. Larrère, « Le principe de précaution et ses critiques », Innovations, vol. 2, no 18, 2003, pp. 9-26.
-
[13]
M. Callon, P. Lascoumes et Y. Barthe, Agir dans un monde incertain, Paris, Seuil, 2001.
-
[14]
« Les offices sont unanimes pour reconnaître l’importance du principe de précaution. Ils sont parfaitement conscients que la terminologie utilisée en Suisse – qui résulte pour l’essentiel de l’évolution du droit national sur la protection de l’environnement – diffère de celle qui est usuelle sur le plan international ; cependant, il n’y a pas de divergences quant à la conception du principe de précaution. […] La Suisse quant à elle demande de longue date un renforcement et une concrétisation de ce principe. Elle a ainsi souligné qu’elle considérait le principe de précaution comme un élément important du droit international et qu’elle l’appliquait sur les plans aussi bien national qu’international. » E. Zbinden Kaessner, Le Principe de précaution en Suisse et au plan international, Berne, OFSP, 2003.
-
[15]
B. Latour, « Pauvre principe de précaution », Le Monde, 7 novembre 2007.
-
[16]
Voir J.-P. Dupuy, « Tchernobyl et l’invisibilité du mal », Esprit, no 3-4, 2008, pp. 67-80.
-
[17]
B. Guillaume et V. Laramée, Scénarios d’avenir, Paris, Armand Colin, 2012.
-
[18]
U. Beck, « La dynamique politique de la société mondiale du risque », Séminaire économie de l’environnement et développement durable, Paris, Institut du développement durable et des relations internationales, 13 décembre 2004.
-
[19]
Programme des Nations unies pour l’Environnement, La Convention de Vienne pour la protection de la couche d’ozone, 2001, Nairobi, Kenya.
-
[20]
G. Mégie, « From stratospheric ozone to climate change : historical perspective on precaution and scientific responsibility », Science and Engineering Ethics, vol. 12, no 4, 2006, pp. 596-606.
-
[21]
P. Crutzen, « My life with O3, NOx and other YZOxs », in Les Prix Nobel, Stockholm, Almqvist & Wiksell International, 1995, pp. 123-157.
-
[22]
B. Smith, « Ethics of Du Pont’s CFC Strategy 1975-1995 », Journal of Business Ethics, vol. 17, no 5, 1998, pp. 557-568.
-
[23]
Les modélisations rétrospectives uchroniques indiquent qu’en 2065, au lieu de retrouver son niveau de 1980, la couche d’ozone aurait sans régulation pu perdre les deux tiers de son épaisseur en moyenne. Pour les données scientifiques, voir par exemple P. Newman, « What would have happened to the ozone layer if chlorofluorocarbons (CFCs) had not been regulated ? », Atmospheric Chemistry and Physics, vol. 9, no 6, 2009, pp. 2113-2128.
-
[24]
C. Renouvier, Uchronie, Paris, Bureau de la critique philosophique, 1876.
-
[25]
Pour les phénomènes cumulatifs, le seul effet de mesures de régulation partielles (comme l’était le Protocole de Montréal de 1987 pour les CFC) consiste à diminuer la croissance des teneurs atmosphériques, la stabilisation et l’éventuel retour à l’équilibre exigeant un arrêt complet des émissions (décision prise à Copenhague en 1992), et le plus tôt possible.
-
[26]
H. Bergson, Les Deux Sources de la morale et de la religion, Paris, Librairie Félix Alcan, 1932, pp. 161-168. L’exemple est emprunté à J.-P. Dupuy, op. cit.
-
[27]
Voir R. Aron, Les Guerres en chaîne, Paris, Gallimard, 1951, au chapitre premier éponyme.
-
[28]
Sur ce rapprochement, voir G. Canguilhem, « La décadence de l’idée de Progrès », Revue de Métaphysique et de Morale, no 4, 1987, pp. 437-454.
-
[29]
Voir respectivement B. Guillaume, « An exploration of the intangible threats of climate change », in B. Auffermann & J. Kaskinen (éds.), Security in futures, security in change, Helsinki, Finland Futures Research Centre, pp. 300-303, et, dans un sens plus exclusif, D. Bourg et J.-L. Ermine, « Les risques technologiques : un essai de typologie », Quaderni, no 48, 2002, pp. 67-77.
-
[30]
H. Arendt, Condition de l’homme moderne, Paris, Calmann-Lévy, 1983, p. 34.
-
[31]
A. Berque, « Écoumène ou la Terre comme demeure de l’humanité », in D. Bourg (dir.), La Nature en politique ou l’enjeu philosophique de l’écologie, Paris, L’Harmattan/Association Descartes, 1993.
-
[32]
Sur ce recul de la nature en nous par l’emprise des techniques sur le corps, voir D. Bourg, « L’Homme comme nature ou comme autofabrication », Diogène, no 195, 2001, pp. 17-25.
-
[33]
C. Perrow, Normal accidents, Princeton, Princeton University Press, 1984.
-
[34]
Voir notamment la référence à une épidémie de choléra à Londres en 1854 dans P. Harremoës et al. (éds.), The precautionary principle in the 20th Century, Londres, Earthscan, 2002.
-
[35]
H. Jonas, Pour une éthique du futur, Paris, Rivages, 1988.
-
[36]
H. Jonas, Le Principe responsabilité, Paris, Cerf, 1990.
-
[37]
H. Jonas, The imperative of responsibility, Chicago, The University of Chicago Press, 1984.
-
[38]
Le Principe responsabilité n’est qu’une variante du principe de précaution pour F. Guéry et C. Lepage, La Politique de précaution, Paris, Puf, 2001, quand il en fournirait l’assise philosophique pour F. Ewald, « Le retour du malin génie. Esquisse d’une philosophie de la précaution », in O. Godard (dir.), op. cit., pp. 99-126.
-
[39]
Formule de B. Sève, in « Hans Jonas et l’éthique de la responsabilité », Esprit, 1990, pp. 72-87.
-
[40]
Sur l’heuristique de la peur et la peur comme sentiment moral, voir B. Sève, « La peur comme procédé heuristique et comme instrument de persuasion », in G. Hottois (éd.), Aux fondements d’une éthique contemporaine, Paris, Vrin, 1993, pp. 107-125.
-
[41]
M.-G. Pinsart, « Hans Jonas : une réflexion sur la civilisation technologique », in P. Chabot et G. Hottois, Les Philosophes et la technique, Paris, Vrin, 2003, p. 194.
-
[42]
Voir J.-P. Dupuy, op. cit.
-
[43]
Cette référence littéraire est empruntée à D. Cérézuelle, « Temps technique et temps humain », in C. Kermisch et G. Hottois (dir.), Techniques et philosophies des risques, Paris, Vrin, 2007, pp. 91-110.
-
[44]
H. Bergson, op. cit.
-
[45]
Voir P. Ricœur, Le Juste, Éditions Esprit, 1995, p. 65.
-
[46]
P. Crutzen, « La géologie de l’humanité : l’Anthropocène », Écologie & politique, vol. 1, no 34, 2007, pp. 143-145.
-
[47]
Pour un jugement relatif à « l’activisme baconien-cartésien » du principe de précaution, voir J.-Y. Goffi, « Le principe de précaution : un moment nouveau dans la philosophie de la technique ? », in J.-N. Missa et E. Zaccaï (éds.), Le Principe de précaution. Significations et conséquences, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2000, pp. 203-209.
-
[48]
D. Janicaud, La Puissance du rationnel, Paris, Gallimard, 1995.
-
[49]
Sur cette philosophie tragique et, selon les mots de l’auteur, son intention « terroriste », voir C. Rosset, Logique du pire, Puf, 1971.
-
[50]
M.-G. Pinsart, op. cit., p. 201.
-
[51]
Sur la distinction entre hasard « originel » ou constituant, et hasard « événementiel » ou constitué, voir C. Rosset, op. cit., pp. 82-83.
-
[52]
H. Bergson, « Remarques finales. Mécanique et mystique », op. cit., pp. 287-343.
-
[53]
Cette citation tirée de Humain, trop humain est empruntée à D. Janicaud, op. cit., p. 361.
-
[54]
J. Ellul, La Technique ou l’enjeu du siècle, Paris, Armand Colin, 1954.
-
[55]
M.-G. Pinsart, « De la précaution à la responsabilité », in C. Kermisch et G. Hottois (éds.), Techniques et philosophies des risques, Paris, Vrin, p. 165.
-
[56]
G. Canguilhem, op. cit., pp. 450-451.
-
[57]
C. Lévi-Strauss, « Horloges et machines à vapeur », in G. Charbonnier, Entretiens avec Claude Lévi-Strauss, Paris, Plon/Julliard, 1961, pp. 35-46.
1Comme il y a eu une querelle du déterminisme [1], il y a une querelle de la précaution. Plus exactement, il y a une querelle du « principe de précaution », étant admise l’hypothèse que personne ne pense vraiment qu’il ne faille jamais prendre de précautions d’aucune sorte. De quoi parle-t-on ? Il s’agit, sous ce nom, d’une norme juridique nouvelle d’ordre général dont doivent s’inspirer les pouvoirs réglementaire et législatif (c’est la notion de « principe ») et qui recherche une forme d’extension, dans le domaine de la protection de l’environnement, de la notion classique de prévoyance à certaines situations d’incertitude scientifique (c’est la notion de « précaution »).
2On peut raisonnablement considérer que le législateur américain a le premier, dès les années 1960, introduit ce type d’approche dans un certain nombre de textes législatifs [2], de façon il est vrai implicite. Mais alors que le tournant de l’administration Reagan marquera durablement son revers de fortune aux États-Unis, sans réel démenti depuis lors [3], il faut au contraire admettre à sa généalogie européenne une continuité très remarquable. Conçue initialement par la jurisprudence allemande dans les années 1970, sous le terme littéral de Vorsorgeprinzip, comme une légitimation de l’intervention proactive de l’État en matière environnementale, entre une règle simple de prudence et une éthique nouvelle pour le futur [4], la notion va se diffuser rapidement à toute l’Europe, en commençant par sa partie septentrionale. Plus spécifiquement, c’est à l’occasion de la Déclaration ministérielle de la Conférence internationale de la mer du Nord de Londres, en 1987, qu’apparaîtra dans sa traduction anglaise la terminologie de « principe de précaution » [5], laquelle sera réutilisée dans la Déclaration de la Conférence de l’environnement baltique organisée par la Suède à Ronneby en 1990 ainsi que, la même année, dans la Déclaration ministérielle de la Conférence de Bergen relative au développement durable. Son introduction littérale dans le traité de Maastricht en 1992 achèvera de marquer sa valeur juridique sur le continent en donnant parallèlement corps à sa qualification de principe organique du droit européen.
3Le principe de précaution a été retenu dans d’autres conventions internationales de la fin des années 1980 et du début des années 1990 telles que la Convention de Vienne sur la protection de la couche d’ozone, en 1985, et deux ans plus tard le Protocole de Montréal relatif à des substances qui appauvrissent la couche d’ozone, ou la Convention d’Helsinki de mai 1992 sur la protection et l’utilisation des cours d’eau transfrontières et des lacs internationaux. En juin 1992, il reçoit la consécration d’une codification mondiale dans la Déclaration de la Conférence de Rio sur l’environnement et le développement ainsi que dans certains textes associés importants (dont la convention-cadre sur les changements climatiques arrêtée en mai de la même année à New York).
4Si les textes internationaux qui font état du principe de précaution sont désormais fort nombreux, il est aussi reconnu par plusieurs législations nationales : en Allemagne, en France [6] et ailleurs [7], mais sans que les uns ou les autres ne lui accordent forcément la même définition, le même contenu ni la même portée. En réalité il n’y a, depuis l’origine du Vorsorgeprinzip, pas de principe de précaution qui soit uniforme, la notion n’ayant pas cessé d’être « reprise », c’est-à-dire certes intégrée à partir de sources existantes, mais aussi et simultanément formulée et reformulée pour couvrir une gamme variable de problèmes [8], quitte à sortir de son champ d’application initial : l’environnement.
5De là la prolifération de la littérature, la diversité de ses interprétations, substantives ou procédurales, et les positions tranchées entre ses défenseurs et ses contempteurs, au point de faire douter que tous parlent bien de la même chose [9]. Il se pourrait bien, en fin de compte, que l’on puisse soutenir la position des seconds, mais pour d’autres raisons plus fondées que les leurs, tandis que les premiers devraient se résoudre à admettre, au nom d’une cosmologie plus révolutionnaire qu’ils ne le présupposent en général, le caractère tout à la fois nécessaire et impossible de ce nouveau principe.
6Quant à l’esprit véritable du principe de précaution, s’il en est un, tel que pourrait se le représenter le sens commun face au constat de difficultés écologiques contemporaines sans précédent, et qui de ce point de vue semble avoir une pertinence au plan normatif, son examen doit concerner sa nature, son interprétation et sa critique.
I – Nature
7L’énonciation du principe par l’Assemblée générale des Nations unies suivant les termes de la Conférence de Rio sur l’environnement et le développement de juin 1992 permettra mieux d’en illustrer la nature :
Pour protéger l’environnement, des mesures de précaution doivent être largement appliquées par les États selon leurs capacités. En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement.
9La version anglaise de ce quinzième principe proclamé par cette déclaration nous apprend qu’il faut comprendre « effectives » au sens de « ayant un bon rapport coût-efficacité ». Malgré l’existence indéniable de disparités dans les termes, cette définition partage cependant avec la majorité des autres formulations du principe [10] un même socle, une structure commune : l’existence d’un risque de dommage matériel d’une certaine qualité ; l’intention d’agir pour l’éviter par des décisions mesurées ; dans une situation épistémique particulière et qui n’est pas la pure certitude.
10On voit immédiatement que la prévention est un cas particulier de la précaution où le défaut de certitude absolue ne porte pas sur le risque de dommage, dont l’existence est avérée, mais sur son occurrence, qui pourra, dans le cas le plus favorable, être connue en probabilité. En d’autres termes, la précaution inclut la prévention, sans pouvoir toutefois s’y réduire. Dans le cas le plus général, en effet, l’absence de certitude peut concerner non seulement l’occurrence du risque de dommage, mais également son existence même ! Une fois la précaution ainsi située, d’un côté, par rapport à la prévention, reste un problème, de l’autre : car si le champ de la précaution est l’absence de certitude, elle doit assurément s’appliquer à l’ignorance radicale – qui n’est ni l’incertitude sur l’occurrence du risque, ni l’ambiguïté sur l’existence de dommages, ni encore l’ignorance relative sur l’une et sur l’autre. Dans ce cas extrême, par définition, on ne sait rien (et c’est bien la seule chose que l’on sache !). L’existence d’un risque n’est plus ni avérée, ni incertaine, ni ambiguë, ni encore suspectée, mais ne pouvant pas même être envisagée, c’est sa notion qui s’évanouit tout bonnement, et toute espèce d’intentionnalité d’y pourvoir avec elle. La notion de précaution se situe par conséquent entre une borne large, qui est celle de la prévention, et une borne stricte, qui est celle du risque de développement.
11Il reste qu’au regard de la catégorie de la pure certitude, celle de non-certitude reste, l’extrême de l’ignorance radicale mise à part, une situation épistémologique complexe. Relativement à l’occurrence d’un risque de dommage matériel, l’information disponible directement, ou dérivée de divers modèles d’analyse, permet dans le cas le plus propice de disposer de probabilités objectives. Dans le cas contraire, il reste toujours possible de former des croyances, mais rien n’indique alors que ces jugements subjectifs a priori sont rationnellement fondés, ni qu’ils seront homogènes au sein d’une population dont les représentations elles-mêmes peuvent diverger de beaucoup. Au total, l’obtention d’une figure unique et définitive de l’ordre d’une probabilité n’est pas sans équivoque. Quant à l’existence d’un risque de dommage, c’est-à-dire la survenue éventuelle d’un éventail de conséquences défavorables, la connaissance de sa nature et de ses effets peut certes s’avérer circonstanciée et précise, mais tout aussi bien n’avoir qu’un caractère indistinct et confus, ne serait-ce que parce que leurs seuils ou leurs aboutissements ne sont eux-mêmes qu’obscurément ou insuffisamment établis. Au pire, en bordure de l’ignorance radicale, une profonde ambiguïté sur l’existence d’un risque de dommage ou sur la nature hypothétique de ses conséquences croisera une forte incertitude sur son occurrence. En cela, l’incertitude est un continuum entre deux extrêmes polaires, un dégradé de gris qui est le lot commun de certaines des difficultés environnementales les plus importantes, entre le blanc de la pure certitude et le noir de l’ignorance intégrale.
12Cette situation recèle deux particularités quant aux soubassements épistémologiques du principe de précaution : la première consiste, de façon à première vue paradoxale, à reconnaître à la catégorie de l’incertitude une dimension de savoir authentique, comme un élément de connaissance d’une ignorance relative, en tout premier lieu, mais aussi comme un savoir de deuxième ordre sur cette connaissance, c’est-à-dire comme savoir critique [11]. La seconde particularité pose le problème du contenu et du « passage à la limite » de l’incertitude relative qui est encore opératoire pour la précaution à celle qui ne l’est plus. Ce questionnement pose en creux la difficulté de l’interprétation « absolutiste » du principe de précaution et de la critique qui a pu en être faite [12]. Car il ne saurait, dans le champ de la précaution, être question d’agir pour éviter des chimères, quand bien même l’on serait en situation d’incertitude ou que l’action recommandée aurait les vertus de la mesure ! De même, il n’est pas démontrable avec une absolue certitude que l’application du principe de précaution à un cas donné de protection de l’environnement ne puisse en définitive s’avérer contre-productive, pour finalement elle-même induire la survenue d’un dommage grave ; cette possibilité de principe ne justifierait-elle pas d’adopter des mesures efficaces propres à prévenir ce risque, par exemple en décidant d’un moratoire sur l’application du principe de précaution ?
13Dès lors, pour conserver un caractère substantif, le principe de précaution ne saurait faire l’économie d’une extension logique, au-delà de telle ou telle définition formelle, les risques visés n’étant bien entendu pas tous les risques possibles, mais bien ceux pour lesquels l’on dispose, en rapport avec des irréversibilités ou des persistances, sinon de preuves définitives pour les établir, au moins d’hypothèses plausibles, d’indices sérieux ou de soupçons fondés pour les envisager raisonnablement dans un cadre scientifique. Les conditions épistémiques d’application du principe de précaution sont de ce point de vue nécessairement restrictives, en « quantité » comme en « qualité » d’incertitude, mais sans que leur discrimination soit exactement ou absolument prédéterminée, précisément parce que l’incertitude dont il est question n’est pas « binaire », mais relève au contraire d’un flou qui appelle l’interprétation au cas par cas et le jugement contextuel. La précaution traite d’hypothèses crédibles de risques, non de toutes les conséquences défavorables possibles ni d’invraisemblables spéculations paranoïaques sur l’évolution à venir du monde. Ce faisant, elle mécontente beaucoup : les rationalistes d’un côté, parce qu’ils tiennent une hypothèse de risque non encore prouvée pour une hypothèse de risque nulle, et ce jusqu’à preuve du contraire ; et les catastrophistes, de l’autre, parce qu’ils réfutent l’idée de proportionnalité qui empêche de rabattre l’hypothèse de risque non encore prouvée sur l’extrême du pire, si possible systématiquement et en toute occasion.
14Le principe de précaution mécontente encore davantage les deux bords quand il offre en outre un contenu procédural à son action de gestion des risques collectifs, au mépris du rôle transcendant des experts et des sages, dont on sait comment ils s’accommodent parfois de la démocratie. De fait, le principe s’inscrit naturellement dans un cadre politique, puisque son application coïncide avec l’intention assumée d’agir pour assurer un certain niveau de protection. Mais il est, ici aussi, un critère implicite pour y recourir, à savoir les situations où l’intérêt public est central. Dès lors, en plus de l’arrière-plan épistémique, voire à cause de lui, la précaution appelle des mécanismes démocratiques adaptés à son objectif, dont on peut penser qu’ils devront être nouveaux. C’est le cas notamment des « forums hybrides » des sociologues des sciences [13] qui entendent fonder une démocratie technique autour de questions controversées à l’interface entre science et société, ainsi que d’autres dispositifs de mise en réseaux et de communication composée censés favoriser l’apprentissage social et la recherche partagée et toujours renouvelée du bien commun. Si l’arbitrage subsiste dans ce schéma, la décision étant toujours par définition nécessaire à l’action, il y a là aussi à nouveau rupture d’une logique « binaire », celle, politique, qui prévalait dans la gestion définitive de l’incertitude par la rationalité classique. La ligne de force consiste alors à ce que l’intérêt public ne soit plus tranché d’en haut, mais résulte de la confrontation collective et dynamique des vues et des intérêts, dans un processus d’expérimentation participatif, ouvert à d’autres acteurs sociaux, à d’autres représentations, à d’autres mondes possibles, processus certes tâtonnant au regard de l’incertitude contextuelle, mais où les externalités environnementales comme les risques résiduels feraient enfin l’objet d’une réappropriation collective, c’est-à-dire autant par ceux qui les nient ou les minimisent que par ceux qui les craignent ou sont susceptibles de les subir.
15On retrouve par ce biais, en filigrane, certaines dispositions qui devraient s’imposer en cas de mise en œuvre du principe, comme la motivation et la proportionnalité des mesures, ainsi que la transparence et la « mise à plat » des intérêts privés, comme s’accorde à les trouver nécessaires la Confédération suisse, grande supportrice du principe de précaution, dont on ne saurait facilement remettre en cause la qualité de la démocratie ni accuser les offices fédéraux d’antirationalisme forcené [14].
II – Interprétation
16Ce qui se joue, en réalité, dans les débats autour du principe de précaution, si l’on veut lui conserver un semblant de substance en supplément de la lecture de pure forme dialogique qu’il peut inspirer, relève incontestablement d’une opposition frontale de cosmologies. Il faut alors admettre que, le plus souvent et malgré parfois une mauvaise foi de circonstance qui prend prétexte de l’incomplétude ou du flou de ses définitions, chacun a bien compris l’esprit du principe de précaution tel qu’il a été largement adopté par des États souverains, ainsi que de ses conditions d’application. Au reste, la définition issue de la Déclaration de Rio n’est généralement pas contestée ; sa validité et sa pertinence ne sont pas remises en question ; son importance pour la protection de l’environnement a même été explicitement reconnue à plusieurs reprises au plus haut niveau international… Mais alors ? C’est que les uns et les autres, à l’inverse de ce que l’on pense fréquemment à tort, apprécient en général très précisément sa portée, ainsi que la véritable « révolution copernicienne » qu’il implique pour la cosmologie contemporaine : ils le jugent simplement à l’aune de leur perception de sa cohérence ou de sa compatibilité extrinsèques avec leurs croyances fondamentales, ou de ses implications terminales sur leur doctrine profonde de la nature et de notre condition. La mêlée n’est pas d’ordre logique ou scientifique, elle est d’ordre métaphysique et moral.
17Ses contempteurs font semblant d’y voir un principe d’abstention, qui matérialiserait une demande sociale irrationnelle de sécurité absolue, dans un monde régi par la peur. Disons que leur position (d’ailleurs souvent à l’écart des risques) est ontologique : elle postule une régulation endogène du progrès. Elle présuppose a priori, et juge par ailleurs a posteriori dans une cohérence remarquable, que bon an mal an tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Les Pangloss stigmatiseront les Cassandre, parce qu’il y a chez eux comme une « théodicée de la catastrophe », qui les conforte à accepter le progrès tel qu’il va. Leur métaphysique commande que la balance nette des risques et des bénéfices, des coûts et des avantages, sera ultimement positive en moyenne : la science, la technique et le marché y pourvoiront. Avec le recul, ne l’ont-ils pas fait de façon éclatante depuis des siècles, malgré quelques accrocs ici ou là ? À leurs yeux, les avantages de l’esprit d’aventure et de conquête excèdent indubitablement très largement les coûts associés, surtout quand les seconds sont supportés par la société ou la nature et que les premiers profitent spécialement à quelques-uns, ajouteront les plus sarcastiques [15], surtout quand ceux qui « décident » des risques ne sont pas souvent ceux qui les « prennent ». Les risques industriels contemporains et les changements environnementaux globaux ne changent rien à l’affaire. Tchernobyl ? L’incurie du système communiste. Fukushima ? « La faute à pas de chance ». Des dégâts, certes, des décès peut-être [16], mais n’est-ce pas là le prix à payer pour une énergie si moderne, dont on ne saurait par ailleurs pas se passer ? Le changement climatique ? Un monde d’opportunité. Dans le cas (hautement improbable) de limites à l’adaptation, viendra la géo-ingénierie [17]. Non vraiment, rien qui ne vaille d’imaginer pour le développement en marche de l’humanité un mécanisme de régulation si intrusif, qui s’avérera fatalement contre-productif à l’endroit du progrès et de la croissance, bref de l’avenir. La seule régulation concevable, c’est celle de la science positive et de la raison instrumentale telles qu’elles sont incorporées dans le Progrès lui-même, de l’administration rationnelle au sens où elle en procède exclusivement, c’est-à-dire une régulation réduite aux auto-ajustements immanents à la spirale ascendante du perfectionnement continu et indéfini de l’humanité.
18De l’autre rive, les champions dudit principe de précaution s’offusquent… Ne tirez-vous aucune leçon de l’histoire, n’apprenez-vous rien du passé ? Ne lisez-vous pas les travaux des spécialistes de la chimie de l’atmosphère, de la résilience des écosystèmes et des limites du système planétaire ? Ce que les premiers tiennent pour la rationalité, les seconds le tiennent pour du déni, ou de l’aveuglement. Dans la société du risque où « l’être humain s’efforce de se sauver des catastrophes qui n’existeraient pas sans lui » [18], la face obscure du progrès se révèle quand fuient les assurances privées. Mais n’est-ce pas le destin de Cassandre, que de n’être pas crue ? Face à la complexité qui va croissant des interactions entre la puissance des hommes et les processus de la nature, et sachant que l’inaction pourrait aboutir à des dommages graves à l’environnement, la messe est dite, nous avons besoin d’un mécanisme de régulation exogène qui sache infléchir le mode de développement contemporain : ce sera le principe de précaution. Comme le phare guide les navires en déroute, il conduira notre société à quelque chose de mieux ; il permettra de « maîtriser notre maîtrise » de la nature et de tourner ainsi définitivement la page du rêve illusoire de Bacon et Descartes ; enfin, il permettra de discerner clairement les bonnes options techniques des mauvaises, pour la bonne raison qu’il réhabilitera la politique et la science en société. Il deviendra le bras armé du développement durable et du bonheur pour tous, le chevalier blanc au secours d’une nature martyrisée et en péril. Car en donnant corps à une philosophie inédite de la gestion des risques environnementaux, il marque le désir assumé d’une régulation en amont des activités agricoles, industrielles et commerciales, pour autant qu’elles se déploient comme avatars de notre emprise prométhéenne sur le monde, caractérisée par d’inévitables effets de débordements et des dommages collatéraux imprévus et toujours plus importants sur les hommes et la nature. Comme dispositif juridique et politique de contrôle de la raison instrumentale et de la puissance hyperbolique de ses moyens, il est entendu que le principe de précaution remettra dans une juste perspective nos activités de conquête, pour élaborer le cadre d’une anticipation réflexive élargie à leurs dommages résiduels à la collectivité et à leurs externalités environnementales les plus préjudiciables.
19L’asymétrie des doctrines est frappante : les uns stigmatisent le principe au nom de leur foi que son action de régulation, quoique incertaine, aura des conséquences regrettables, les autres le défendent au nom de la conviction inverse que c’est l’absence de régulation qui va occasionner des effets regrettables, quoique incertains. On pourrait être tenté de faire jouer l’expérience acquise pour départager les positions adverses, mais voilà que les choses se compliquent. D’une part, l’analyse rétrospective n’éteint pas toujours les controverses, dans la mesure où elle mobilise un scénario contrefactuel qu’on pourra donc discuter à l’infini (que se serait-il vraiment passé si l’on avait fait les choses autrement qu’on ne les fit ?), mais aussi parce que les échos du passé suggèrent, une fois reconstitués, une autre alternative.
20L’exemple de la Convention de Vienne pour la protection de la couche d’ozone permettra d’illustrer ce propos. Centrée sur la promotion de la coopération intergouvernementale en matière de recherche scientifique, d’observation de la couche d’ozone stratosphérique, de suivi de la production des chlorofluorocarbures (CFC) et du partage de l’information [19], cette convention-cadre adoptée en 1985 ne prévoyait pas d’obligations contraignantes destinées à réduire la production et la consommation des CFC, mais disposait explicitement que des mesures réglementaires bien définies suivraient. Cette convention a manifestement marqué un tournant historique décisif, en ce que les États signataires ont convenu de prendre des mesures de protection de l’environnement, alors même que la réalité du risque n’était pas établie avec une absolue certitude scientifique et que ses conséquences n’étaient pas ressenties. Voilà probablement le premier cas d’application du principe de précaution dans le cadre de négociations internationales élargies. Ce ne sera, en effet, que deux mois plus tard qu’une équipe de scientifiques britanniques confirmera, par des mesures précises d’une station antarctique, la gravité du phénomène d’appauvrissement de la couche d’ozone redouté depuis une dizaine d’années, tandis que le cycle complet de réactions chimiques en jeu dans la chaîne causale provoquant, sous certaines conditions, cette réduction rapide de l’ozone stratosphérique ne sera proposé, et confirmé par des observations, que plusieurs années plus tard. Entre-temps, des mesures spécifiques avaient été prises par tous les signataires du Protocole de Montréal relatif aux substances qui appauvrissent la couche d’ozone pour réduire, et à terme éliminer totalement, les substances incriminées par des règles précises et contraignantes, sauf pour des utilisations minimes dites critiques (les usages médicaux, notamment). Dans ce cas paradigmatique d’une discontinuité majeure de l’environnement planétaire directement imputable à l’influence des activités anthropogéniques, l’application d’un principe de précaution strict semble s’être avérée payante.
21Mais il faut y regarder de plus près. D’une part, la couche d’ozone ne devrait selon les estimations actuelles recouvrer son état de 1980 que d’ici une cinquantaine d’années, et les concentrations de chlore à cet horizon temporel approcheront encore presque le quadruple de leur niveau de l’époque préindustrielle, ce qui est certes un succès comparativement au spectre de scénarios beaucoup plus sombres, mais un succès dont il faut admettre qu’il est tout de même relatif. Ensuite, la période de latence dont il est question ici, comprenant le relargage des composés chlorés et leur transfert à la stratosphère, est de l’ordre moyen d’une dizaine d’années [20], ce qui est significatif mais aurait tout aussi bien pu être beaucoup plus long, donc beaucoup plus défavorable.
22Plus fondamentalement, l’humanité a enfin été « extrêmement chanceuse », selon les termes de Crutzen dans son discours de réception du prix Nobel de chimie [21], pour au moins trois motifs. Primo, l’opérateur national britannique en Antarctique a permis à ses équipes scientifiques de conduire des campagnes de mesures dans l’environnement le plus hostile qui soit pendant plus de vingt-cinq ans (les mesures initiales de CFC dans l’atmosphère datant de 1970), rendant in fine possible la découverte de la diminution périodique de la couche d’ozone stratosphérique qui permettra à son tour de faire valoir l’urgence d’un accord international contraignant. Secundo, l’abandon graduel de la production des CFC n’a été en l’espèce couronné de succès que parce que la grande industrie y était prête. Après une décennie de dénégations scientifiques systématiques et d’opposition à toute initiative de contrôle des CFC, DuPont, le premier producteur mondial du secteur, a constitué un groupe de pression inverse, pour exercer une intense activité de lobbying destinée non seulement à promouvoir rapidement un accord contraignant sur les CFC, mais aussi à le renforcer via des engagements de réduction plus ambitieux que ceux prévus à l’origine [22]. Il faut dire qu’un brevet bienvenu, déposé dès 1988, sur d’autres halocarbures utilisés comme substituts aux CFC allait opportunément permettre à la firme de répondre à une demande garantie du marché international, sans remettre en cause ses installations ni son réseau de distribution ! Le tout non sans continuer de produire des CFC et de les vendre au prix fort, dans le cadre de limites strictes de production, jusque dans les années 1990… Tertio, pour des raisons qui tiennent à des conditions d’instabilité chimique, il se trouve que le danger posé à l’ozone par le chlore n’équivaut qu’au centième de celui posé par le brome. Or l’industrie chimique aurait tout aussi bien pu développer des bromofluorocarbures en lieu et place des CFC… Selon Crutzen, l’humanité aurait dans ce cas funeste été confrontée, sans préparation aucune, à un trou catastrophique dans la couche d’ozone, partout et en toutes saisons au cours des années 1970, vraisemblablement avant que les scientifiques aient disposé des connaissances leur permettant d’identifier le problème ou des techniques de mesure appropriées.
III – Critique
23Plusieurs leçons semblent pouvoir être tirées de l’analyse de cette « quasi-catastrophe » planétaire. D’une part, si l’effort de régulation externe consubstantiel à l’esprit du principe de précaution a été un élément décisif permettant d’infléchir la dynamique non linéaire de destruction de la couche d’ozone, son application n’a été rendue possible que grâce au poids et à l’intérêt financier bien compris d’un acteur économique majeur du marché, et non à la seule volonté politique des pouvoirs publics prenant leurs responsabilités. D’autre part, ce scénario exemplaire, sinon vertueux du moins efficace [23], n’a pu exister que par une série de hasards et de coïncidences remarquables qui rendent rétrospectivement plausibles d’autres issues contrefactuelles beaucoup plus sombres, disons pour paraphraser Renouvier [24] des esquisses apocryphes de l’histoire telles qu’elles n’ont pas été, mais telles qu’elles auraient pu être. Enfin, pour finir, quand l’inertie des phénomènes physiques se mesure à de telles échelles temporelles, le principe de précaution n’est jamais assez précoce et la régulation qui s’ensuit jamais assez ferme [25].
24Ce cas d’école d’un risque ultime évité de peu et dans une très large mesure grâce au tour favorable des événements, c’est-à-dire à la chance, ou à la fortune, illustre la possibilité pour une catastrophe environnementale désormais majeure de s’actualiser très simplement dans la réalité concrète. (On pense inévitablement au sentiment paradoxal de Bergson devant la découverte de l’annonce de la déclaration de guerre de l’Allemagne à la France, inspiré de l’expérience sensible de James du terrible séisme californien de 1906, manifestant son individualité et son essence par irruption dans le réel [26].) Autant que les désastres accomplis, cet avatar de catastrophe planétaire demeurée dans sa stase devrait ainsi faire agréer par tous l’idée que les artefacts du génie humain peuvent désormais avoir, comme on devrait le savoir depuis l’âge atomique, des effets imprévisibles définitifs au-delà de leurs dommages matériels qui soient non seulement politiques et sociaux, à la manière de l’idée de « surprise technique » [27], mais aussi métaphysiques et existentiels. Dans la continuité de cette notion en histoire politique et sociale chez Aron, concevable comme homologue de celle de rupture épistémologique en histoire des sciences chez Bachelard [28], il serait possible, en cherchant à respecter l’idée de discontinuité par l’étymologie latine de resecum, de parler en l’occurrence de risques « intangibles » ou « symboliques » [29]. Autrement dit, il convient de reconnaître avec Jonas, Anders, Dupuy et quelques autres l’étendue nouvelle en quantité, mais du même coup en qualité, de notre pouvoir contemporain : que ce soit sous la forme d’un cumul progressif de pollutions différées ou d’un déferlement accidentel de puissances concentrées, il est dorénavant en mesure d’excéder les dommages matériels ordinaires pour englober l’altération du substrat terrestre de la vie des hommes lui-même, ce qu’Arendt qualifiait de « quintessence » de leur condition [30] ; la ruine de leur relation « onto-géographique » avec cet habitat [31] ; ou encore la modification du soubassement biologique de l’espèce [32].
25De ce point de vue, si le principe de précaution est défendable en général, il apparaît bien timide et limité, agissant ici et là, au coup par coup et, de manière consubstantielle à sa nature, en décalage. Il est certainement utile, mais ne saurait être suffisant pour conjurer la menace d’un hasard constitué dont l’inflation continue des variables connues ou cachées et de leurs interactions toujours plus complexes fonde l’ubiquité et la nature d’imprévisibilité sauvage. Des désastres semblables à ceux que nous avons connus, ou frôlés, vont survenir dans le futur, principe de précaution ou pas, et il est même improbable qu’ils ne deviennent pas de plus en plus « normaux », comme le sont déjà les simples accidents [33]. Inversement, la structure même d’indétermination omniprésente et toujours plus profondément tissée dans le réel ne permet pas d’exclure qu’il puisse être contre-productif de vouloir les éliminer par une anticipation trop précoce, ni que leur éradication aveugle puisse condamner en cascade tel ou tel enchaînement qui pourrait s’avérer ultérieurement salvateur. Ce qui est difficile à admettre pour les deux cosmologies ennemies qui partagent une conception historiciste du mieux, même si pour l’une le principe de précaution est un progrès nécessaire du progrès inexorable de l’autre, c’est que souvent l’homme échappe aux menaces qu’il a contribué à forger par le jeu décisif de la chance pure et du hasard sauvage. L’intention estimable des tenants du principe de précaution, qui consiste à forcer les rendez-vous de l’intelligence et des risques émergents à circonvenir, n’y changera rien parce que, dans son rôle attendu de vigie et de « sérendipité » visant la reconnaissance précoce des risques environnementaux, il y aura un délai systématique d’alerte et de clairvoyance. Réduire ce laps de temps à zéro est impossible. Sur un autre plan, on en vient à attribuer anachroniquement au principe de précaution dans une extension aux risques sanitaires des succès historiques retentissants [34] sans qu’il soit pourtant même possible d’affirmer qu’ils relèvent de sa logique ! Aujourd’hui, encore qu’il puisse assurément fonctionner pour quelque risque, il ne saurait fonctionner pour tous : dans un monde en complexification croissante, de graves difficultés écologiques surviendront inévitablement, pour lesquelles il y a peu de raisons de croire que le déroulé heureux du scénario de l’ozone stratosphérique doive se reproduire, l’intervention serait-elle précoce, guidée par la seule régulation publique éclairée ou par l’alchimie complexe d’un intermédiaire avec les forces du marché. Avec les ordres de grandeur en jeu, ce type d’intervention se condamne par avance à n’être jamais suffisant. Autrement dit, le principe de précaution ne peut que maladroitement poursuivre ses cibles et leurs fardeaux, dans une course chaotique et toujours recommencée contre celle effrénée du monde. Le principe de précaution, c’est Sisyphe avec des béquilles…
26Tentons un retour à la source du Vorsorgeprinzip. L’étymologie allemande nous offre des indications précieuses sur l’esprit de la précaution à visée environnementale : il s’agit d’un principe de « souci antérieur », le terme souci devant être compris au sens d’une inquiétude pour une personne ou une chose à laquelle il est accordé de l’importance, mais aussi au sens d’un intérêt particulier, d’une attention morale, d’une sollicitude. L’écho aux termes français de veiller (sur) et de faire attention (à) par anticipation, ou de pré-caution est convainquant. Ainsi l’incertitude comme catégorie théorique d’un savoir réflexif et critique se double-t-elle d’une exigence pratique de responsabilité active. Le moral complète et clôt le spéculatif. Car non seulement notre connaissance du réel est constamment débordée par lui, mais encore ce fossé est-il destiné à s’élargir davantage par le seul accroissement de notre puissance qui, comme l’avait noté Jonas, porte toujours « un excès de conséquences par rapport à l’avenir connaissable » [35]. Rapportée à la destinée des hommes dans le monde hors de la simultanéité temporelle et de la proximité spatiale comme dans l’éthique la plus classique, et pour autant qu’elle dépend des faisceaux de causes et d’effets initiés par notre agir contemporain, cette situation fonde le devoir d’une responsabilité nouvelle qui, à son tour, rend nécessaire une éthique inédite. Voilà établie la référence au maître-livre de Jonas, qui, sans jamais utiliser le terme de Vorsorgeprinzip, mais le terme Vorsicht (traduit par précaution ou prudence dans l’édition française [36] et caution dans l’édition américaine [37]), appelle pour cette raison de ses vœux une science neuve « qui aurait affaire à la complexité énorme des interdépendances ». Cette « futurologie comparative » ou science des prédictions hypothétiques censée sonder les futurs extrapolables du monde et de l’homme en son sein ressemble furieusement à un analogue du principe de précaution, dans sa nature comme dans son intention, le Principe responsabilité offrant, dans le cadre d’une éthique de la technique et de l’environnement et d’une pensée théologique particulières, une fondation métaphysique à son application dans la sphère politique et juridique [38]. Les deux principes sont pourtant loin de coïncider.
27Au plan du contenu, d’abord, Jonas mobilise une éthique qui donne une réelle substance à l’esprit de précaution, qui devient alors celui d’une responsabilité nouvelle et asymétrique qui procède de l’avenir et nous confronte aux effets « en puissance » de l’agir contemporain. La précaution, au lieu qu’elle se manifeste dans un principe juridique et politique éponyme de gestion de certains risques environnementaux, devient une éthique générale du futur, un absolu devoir moral d’aujourd’hui à l’égard de demain. Au plan des moyens, ensuite, Jonas a entrevu que l’incertitude pouvait n’être jamais résolue, contrairement à l’espoir du principe de précaution qui entend que ses mesures provisoires soient raisonnablement révisées au fur et à mesure que la Science délivre les oracles de son savoir idéal. La solution pour guider l’action consisterait à jumeler à l’anticipation du savoir intellectuel partiel une pleine vision émotionnelle du futur, incorporant au jugement scientifique le jugement métaphysique. Ce que nous ne pouvons connaître, nous devons l’imaginer [39] et le craindre. Cette épistémologie des sentiments débouche sur l’heuristique de la peur [40] qui, comme instrument de la quête du Bien, doit permettre de déterminer « la règle permettant de subsumer le cas particulier sous les principes définis a priori par la métaphysique » [41]. En se focalisant sur les scénarios du pire, dont le degré de probabilité n’est pas décisif s’agissant en définitive de fonder une image inconditionnelle du futur, la perspective du seul possible devient suffisante.
28Mais le bel édifice s’écroule si le pire n’est qu’hypothèses folles, conjectures fantaisistes, spéculations pures ou suppositions tactiques. Dans ce cas, en effet, l’angoisse de la perte du futur est partout et la métaphysique devient paranoïaque. Par ailleurs, sans même parler de difficultés d’y croire [42], n’y a-t-il pas une véritable aporie à vouloir se représenter par une casuistique prospective des menaces absolument inédites ? Pour savoir la leçon de « l’Ange du Bizarre » de Poe [43], on n’en connaît pas moins le « Voyage de santé » de Maupassant.
IV – Perspective
29La phrase de Bergson, dans la conclusion de son ultime ouvrage, relative à l’humanité qui « ne sait pas assez que son avenir dépend d’elle » [44] est fameuse. De ce point de vue, et après que l’idée morale de responsabilité a pris un tournant délibérément prospectif [45], le principe de précaution rend compte d’une tentative des sociétés industrielles visant à prévenir certains risques environnementaux suivant une logique indiciaire et mesurée propre au droit, sans attendre de disposer à leur égard de connaissances scientifiques certaines. Si la prétention charitable du principe de précaution agit au plan politique, pour autant qu’il permet de produire des modes de gouvernement plus ouverts et d’affermir des légitimités nouvelles pour explorer collectivement le futur, elle est destinée à échouer dans l’anthropocène [46] pour des raisons qui tiennent à la faiblesse de son contenu substantif par rapport aux enjeux. En opposant seulement au rationnel le raisonnable, le principe de précaution se fait trop tendre, et sous prétexte d’une ductilité dans son application, sa critique de la rhétorique du progrès finira par s’avérer marginale, en ne l’infléchissant que d’un degré relatif. De surcroît, il ne tire pas vraiment la leçon de la prétention à la maîtrise de la nature qu’il fustige, mais en constitue une subtile déclinaison [47]. De son côté, le Principe responsabilité convoque plus fermement une éthique radicale. L’idée de précaution y est plus substantive, parce qu’elle se fonde sur une véritable théorie axiologique. Et même si le progrès humain reste une caractéristique de la pensée de Jonas, la rupture paradigmatique y est plus marquée, au prix il est vrai, comme chez Dupuy, d’une sorte d’ontologie théologique et de métaphysique du salut qui n’autorise plus la mise en place de procédures démocratiques de délibération. Quoi qu’il en soit du primat accordé au procédural ou au substantif, nous sommes à la croisée des chemins : face aux menaces écologiques contemporaines, il faut bien que le complexe de la délibération collective, de la science incertaine et de l’engagement éthique débouche sur un choix, peut-être une fois pour toutes.
30Autrement dit, face à « la puissance du rationnel » [48], le temps semble venu, comme Alexandre, de trancher le nœud gordien. Si l’on s’accorde à vouloir surmonter le naufrage philosophique de la « logique du pire » [49], c’est-à-dire ne pas admettre le chaos, le rien et l’insignifiance au titre de nécessités, nous avons le devoir de penser que nous pouvons infléchir le cours du monde en vue de quelque chose, et qui soit même susceptible d’aboutir à du mieux. Dans l’histoire désormais conçue comme un « devenir inanticipable et ouvert sur le futur » [50], l’alternative en dehors de l’antirationnel est dès lors la suivante : l’hyper-rationnel d’un côté, le contre-rationnel de l’autre.
31Dans le premier cas, l’audace est la seule chance de succès. En dépit du hasard généralisé, et même à cause de lui, il faut accentuer notre emprise sur le monde. Renoncer à la linéarité du progrès et admettre la prétention du savoir appellent paradoxalement la sophistication du programme technoscientifique : l’historicité sera rétrospective. Si le hasard « originel » [51] est le lieu du déploiement du toujours-possible, de la pure création, de l’essence spontanée de la vie et du futur, le hasard « événementiel » n’est-il pas le lieu d’expression de la faculté organisatrice des hommes ? C’est même la confiance optimiste dans l’aventure indéfinie de la technoscience et les risques de virtualités à venir qui pourrait bien conférer à la société son ouverture et le « point d’appui » nécessaire à l’alliance entre mécanique et mystique [52]. L’éventualité d’un équilibre dynamique entre la puissance du rationnel et la responsabilité, né d’un cycle répété de tentatives de maîtrise de la maîtrise par un regain de puissance, est peut-être notre seul horizon, celui d’une civilisation supérieure d’hommes à deux cerveaux, comme l’envisageait Nietzsche [53]… Dans l’attente, les déchaînements et les espoirs se trouvent contenus tout ensemble dans ce qui est, et qu’il faut envisager avec enthousiasme comme la force motrice et entière de l’expansion de la vie et de la dynamique de l’existence du monde. On ne saurait dénier à cette option une éthique, fût-elle immoraliste, ni même une poétique. Simplement, face à l’incertitude de la catastrophe et à la possibilité du pire, elle assume crânement un modèle démiurgique, une sorte de rationalité non pas aveugle, mais furieuse.
32Dans le second cas, l’esprit de précaution force moins les conclusions. Prenant acte de la puissance du rationnel, le contre-rationnel professera d’en saper les bases, c’est-à-dire de jouer non pas sur les symptômes, mais sur les causes de la modification de la nature et de la portée de l’incertitude préexistantes dans le monde : l’évolution systémique d’une myriade d’interactions causales comme dans l’analyse des conséquences de la technique chez Ellul [54]. Autrement dit, si nous voulons vraiment prendre acte de la situation paradoxale qui fonde les problèmes écologiques contemporains, à savoir que nous continuons de dépendre de la nature tout en étant désormais capables de lui infliger des dommages irréversibles pouvant nous menacer en retour, il ne faut pas agir sur les risques eux-mêmes mais sur ce qui les permet dans nos techniques et nos modes de vie : vitesse, productivisme, centralisation, optimisation, accumulation, concentration, démesure. Entre le chaos inintelligible enterré par Anaxagore et l’ordre parfait postulé par l’entreprise philosophique occidentale, il s’agit de dé-faire systématiquement le hasard constitué pour réduire la complexité au seul hasard constituant. Dès lors, à l’idée jonassienne de responsabilité comme « tentative de maîtriser le devenir par la permanence de la volonté » [55], on pourrait opposer la solution paradoxale d’une dé-prise de la volonté, une volonté de ne pas vouloir, disons pour paraphraser Dupuy « à une impulsion près ». L’éthique et la poétique de cette option se trouveraient dans la vie simple, non pas au sens d’une conversion janséniste naïve ou d’une nostalgie romantique rétrograde [56], mais au sens de ce que l’anthropologie nous fait voir de la sagesse singulière de sociétés « froides », d’apparence anhistorique parce qu’elles produisent peu de désordre et tendent à maintenir un état stationnaire sous un principe d’unanimité d’acceptation [57], leur objectif ultime étant semble-t-il de persévérer dans leur être.
33La dé-prise assumée et libératoire de l’humble Sauvage (au sens du forestier) paraîtra sans doute bien pâle à l’audace sans arrière-pensée du Vandale héroïque (au sens de Nietzsche) qui, dans l’attente du flux imprévisible des choses et de son improbable salut, jouira à plein de son utopie immodérée, en supposant que le temps qu’elle durera en vaudra la peine…
Notes
-
[1]
K. Pomian (éd.), La Querelle du déterminisme, Paris, Gallimard, 1990.
-
[2]
D. Bodansky, « The precautionary principle in US environmental law », in T. O’Riordan and J. Cameron (éds.), Interpreting the precautionary principle, Londres, Earthscan, 1994, pp. 203-228.
-
[3]
N. Ashford, « The legacy of the precautionary principle in US law », in N. de Sadeleer (éd.), Implementing the precautionary principle, Londres, Earthscan, 2007, pp. 352-378.
-
[4]
Voir S. Boehmer-Christiansen, « The precautionary principle in Germany : enabling government », in T. O’Riordan and J. Cameron (éds.), Interpreting the precautionary principle, Londres, Earthscan, 1994, pp. 31-60.
-
[5]
La Déclaration de la première Conférence internationale sur la protection de la mer du Nord, en 1984 à Brême, manifeste la même intention, mais sans mention explicite.
-
[6]
Avec la loi du 13 juillet 1992 relative au contrôle de l’utilisation et de la dissémination des organismes génétiquement modifiés et avec celle (dite loi Barnier) du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement, mais surtout avec l’adossement à la Constitution française de la Charte de l’environnement en 2005, qui lui confère une valeur constitutionnelle.
-
[7]
Voir J. Cameron et J. Abouchar, « The status of the precautionary principle in international law », in D. Freestone et E. Hey (éds.), The precautionary principle and international law, The Hague, Kluwer, 1996, pp. 29-52.
-
[8]
Il a même été proposé de l’appliquer à la gestion des activités humaines sur… la Lune ! Voir P. Larsen, « Application of the precautionary principle to the Moon », Journal of Air Law and Commerce, vol. 71, no 2, 2006, pp. 295-306.
-
[9]
Pour un aperçu du panorama des positions et des arguments des principaux acteurs français ou francophones au débat, voir par exemple : F. Ewald, « Philosophie de la précaution », L’Année sociologique, vol. 46, no 2, 1996, pp. 383-412 ; P. Kourilsky et G. Viney, Le Principe de précaution, La Documentation française, 2000 ; J.-P. Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé, Paris, Seuil, 2002 ; P. Mongin, « Le développement durable contre le principe de précaution ? », Esprit, no 8-9, 2003, pp. 163-171 ; M. Hunyadi, « La logique du raisonnement de précaution », Revue européenne des sciences sociales, XLII-130, 2004, pp. 9-33 ; O. Godard, « Peut-on séparer de façon précoce le bon grain de l’ivraie ? », in C. Kermisch et G. Hottois (dir.), Techniques et philosophie des risques, Paris, Vrin, 2007, pp. 139-157 ; D. Grison, Vers une philosophie de la précaution, Paris, L’Harmattan, 2009 ; G. Bronner et E. Géhin, L’Inquiétant Principe de précaution, Paris, Puf, 2010 ; D. Bourg et A. Papaux, « Des limites du principe de précaution », in A. Marciano et B. Tourrès (dir.), Regards critiques sur le principe de précaution, Paris, Vrin, 2011, pp. 47-84.
-
[10]
Voir P. Sandin, « The precautionary principle and the concept of precaution », Environmental Values, no 13, 2004, pp. 461-475.
-
[11]
B. de Contes, « Action dans l’incertitude et tradition philosophique », Cahiers du groupe épistémologie des cyndiniques, no 4, 1993, pp. 9-19.
-
[12]
Voir en particulier O. Godard, « L’ambivalence de la précaution et la transformation des rapports entre science et décision », in O. Godard (dir.), Le Principe de précaution dans la conduite des affaires humaines, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme et Institut national de la recherche agronomique, 1997, pp. 37-83, et C. Larrère, « Le principe de précaution et ses critiques », Innovations, vol. 2, no 18, 2003, pp. 9-26.
-
[13]
M. Callon, P. Lascoumes et Y. Barthe, Agir dans un monde incertain, Paris, Seuil, 2001.
-
[14]
« Les offices sont unanimes pour reconnaître l’importance du principe de précaution. Ils sont parfaitement conscients que la terminologie utilisée en Suisse – qui résulte pour l’essentiel de l’évolution du droit national sur la protection de l’environnement – diffère de celle qui est usuelle sur le plan international ; cependant, il n’y a pas de divergences quant à la conception du principe de précaution. […] La Suisse quant à elle demande de longue date un renforcement et une concrétisation de ce principe. Elle a ainsi souligné qu’elle considérait le principe de précaution comme un élément important du droit international et qu’elle l’appliquait sur les plans aussi bien national qu’international. » E. Zbinden Kaessner, Le Principe de précaution en Suisse et au plan international, Berne, OFSP, 2003.
-
[15]
B. Latour, « Pauvre principe de précaution », Le Monde, 7 novembre 2007.
-
[16]
Voir J.-P. Dupuy, « Tchernobyl et l’invisibilité du mal », Esprit, no 3-4, 2008, pp. 67-80.
-
[17]
B. Guillaume et V. Laramée, Scénarios d’avenir, Paris, Armand Colin, 2012.
-
[18]
U. Beck, « La dynamique politique de la société mondiale du risque », Séminaire économie de l’environnement et développement durable, Paris, Institut du développement durable et des relations internationales, 13 décembre 2004.
-
[19]
Programme des Nations unies pour l’Environnement, La Convention de Vienne pour la protection de la couche d’ozone, 2001, Nairobi, Kenya.
-
[20]
G. Mégie, « From stratospheric ozone to climate change : historical perspective on precaution and scientific responsibility », Science and Engineering Ethics, vol. 12, no 4, 2006, pp. 596-606.
-
[21]
P. Crutzen, « My life with O3, NOx and other YZOxs », in Les Prix Nobel, Stockholm, Almqvist & Wiksell International, 1995, pp. 123-157.
-
[22]
B. Smith, « Ethics of Du Pont’s CFC Strategy 1975-1995 », Journal of Business Ethics, vol. 17, no 5, 1998, pp. 557-568.
-
[23]
Les modélisations rétrospectives uchroniques indiquent qu’en 2065, au lieu de retrouver son niveau de 1980, la couche d’ozone aurait sans régulation pu perdre les deux tiers de son épaisseur en moyenne. Pour les données scientifiques, voir par exemple P. Newman, « What would have happened to the ozone layer if chlorofluorocarbons (CFCs) had not been regulated ? », Atmospheric Chemistry and Physics, vol. 9, no 6, 2009, pp. 2113-2128.
-
[24]
C. Renouvier, Uchronie, Paris, Bureau de la critique philosophique, 1876.
-
[25]
Pour les phénomènes cumulatifs, le seul effet de mesures de régulation partielles (comme l’était le Protocole de Montréal de 1987 pour les CFC) consiste à diminuer la croissance des teneurs atmosphériques, la stabilisation et l’éventuel retour à l’équilibre exigeant un arrêt complet des émissions (décision prise à Copenhague en 1992), et le plus tôt possible.
-
[26]
H. Bergson, Les Deux Sources de la morale et de la religion, Paris, Librairie Félix Alcan, 1932, pp. 161-168. L’exemple est emprunté à J.-P. Dupuy, op. cit.
-
[27]
Voir R. Aron, Les Guerres en chaîne, Paris, Gallimard, 1951, au chapitre premier éponyme.
-
[28]
Sur ce rapprochement, voir G. Canguilhem, « La décadence de l’idée de Progrès », Revue de Métaphysique et de Morale, no 4, 1987, pp. 437-454.
-
[29]
Voir respectivement B. Guillaume, « An exploration of the intangible threats of climate change », in B. Auffermann & J. Kaskinen (éds.), Security in futures, security in change, Helsinki, Finland Futures Research Centre, pp. 300-303, et, dans un sens plus exclusif, D. Bourg et J.-L. Ermine, « Les risques technologiques : un essai de typologie », Quaderni, no 48, 2002, pp. 67-77.
-
[30]
H. Arendt, Condition de l’homme moderne, Paris, Calmann-Lévy, 1983, p. 34.
-
[31]
A. Berque, « Écoumène ou la Terre comme demeure de l’humanité », in D. Bourg (dir.), La Nature en politique ou l’enjeu philosophique de l’écologie, Paris, L’Harmattan/Association Descartes, 1993.
-
[32]
Sur ce recul de la nature en nous par l’emprise des techniques sur le corps, voir D. Bourg, « L’Homme comme nature ou comme autofabrication », Diogène, no 195, 2001, pp. 17-25.
-
[33]
C. Perrow, Normal accidents, Princeton, Princeton University Press, 1984.
-
[34]
Voir notamment la référence à une épidémie de choléra à Londres en 1854 dans P. Harremoës et al. (éds.), The precautionary principle in the 20th Century, Londres, Earthscan, 2002.
-
[35]
H. Jonas, Pour une éthique du futur, Paris, Rivages, 1988.
-
[36]
H. Jonas, Le Principe responsabilité, Paris, Cerf, 1990.
-
[37]
H. Jonas, The imperative of responsibility, Chicago, The University of Chicago Press, 1984.
-
[38]
Le Principe responsabilité n’est qu’une variante du principe de précaution pour F. Guéry et C. Lepage, La Politique de précaution, Paris, Puf, 2001, quand il en fournirait l’assise philosophique pour F. Ewald, « Le retour du malin génie. Esquisse d’une philosophie de la précaution », in O. Godard (dir.), op. cit., pp. 99-126.
-
[39]
Formule de B. Sève, in « Hans Jonas et l’éthique de la responsabilité », Esprit, 1990, pp. 72-87.
-
[40]
Sur l’heuristique de la peur et la peur comme sentiment moral, voir B. Sève, « La peur comme procédé heuristique et comme instrument de persuasion », in G. Hottois (éd.), Aux fondements d’une éthique contemporaine, Paris, Vrin, 1993, pp. 107-125.
-
[41]
M.-G. Pinsart, « Hans Jonas : une réflexion sur la civilisation technologique », in P. Chabot et G. Hottois, Les Philosophes et la technique, Paris, Vrin, 2003, p. 194.
-
[42]
Voir J.-P. Dupuy, op. cit.
-
[43]
Cette référence littéraire est empruntée à D. Cérézuelle, « Temps technique et temps humain », in C. Kermisch et G. Hottois (dir.), Techniques et philosophies des risques, Paris, Vrin, 2007, pp. 91-110.
-
[44]
H. Bergson, op. cit.
-
[45]
Voir P. Ricœur, Le Juste, Éditions Esprit, 1995, p. 65.
-
[46]
P. Crutzen, « La géologie de l’humanité : l’Anthropocène », Écologie & politique, vol. 1, no 34, 2007, pp. 143-145.
-
[47]
Pour un jugement relatif à « l’activisme baconien-cartésien » du principe de précaution, voir J.-Y. Goffi, « Le principe de précaution : un moment nouveau dans la philosophie de la technique ? », in J.-N. Missa et E. Zaccaï (éds.), Le Principe de précaution. Significations et conséquences, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2000, pp. 203-209.
-
[48]
D. Janicaud, La Puissance du rationnel, Paris, Gallimard, 1995.
-
[49]
Sur cette philosophie tragique et, selon les mots de l’auteur, son intention « terroriste », voir C. Rosset, Logique du pire, Puf, 1971.
-
[50]
M.-G. Pinsart, op. cit., p. 201.
-
[51]
Sur la distinction entre hasard « originel » ou constituant, et hasard « événementiel » ou constitué, voir C. Rosset, op. cit., pp. 82-83.
-
[52]
H. Bergson, « Remarques finales. Mécanique et mystique », op. cit., pp. 287-343.
-
[53]
Cette citation tirée de Humain, trop humain est empruntée à D. Janicaud, op. cit., p. 361.
-
[54]
J. Ellul, La Technique ou l’enjeu du siècle, Paris, Armand Colin, 1954.
-
[55]
M.-G. Pinsart, « De la précaution à la responsabilité », in C. Kermisch et G. Hottois (éds.), Techniques et philosophies des risques, Paris, Vrin, p. 165.
-
[56]
G. Canguilhem, op. cit., pp. 450-451.
-
[57]
C. Lévi-Strauss, « Horloges et machines à vapeur », in G. Charbonnier, Entretiens avec Claude Lévi-Strauss, Paris, Plon/Julliard, 1961, pp. 35-46.