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TEXTES ORIGINAUX
2 J.-M. Vienne et P. Taranto livrent une édition critique du Discours d’Anthony Collins (1676-1729) consacré à la liberté de penser (1713), pièce importante dans le processus de constitution par les « libres penseurs » (Freethinkers) d’une position en faveur de la liberté de conscience, fondée sur l’affirmation selon laquelle toute proposition ne peut être crue qu’à proportion de l’évidence que lui découvre la raison [31]. Parce qu’il contribua à faire définitivement basculer la libre-pensée du côté de l’irréligion, du déisme, voire de l’athéisme, le Discours fut violemment pris à partie par les théologiens de son époque ; cette belle édition permet de reconstituer les combats d’un auteur qui n’hésitait pas à écrire : « Les prêtres n’ont aucun intérêt d’enseigner aux autres la vérité : ils se contentent de débiter les opinions qu’ils ont embrassées, et qui le plus souvent sont erronées. On peut même dire qu’il est manifeste que tous les prêtres, excepté les orthodoxes, sont gagés pour conduire les hommes dans l’erreur » (143).
3 Le Groupe Jean-Jacques Rousseau poursuit ses recherches qui mêlent l’édition et le commentaire, avec un riche travail collectif autour des textes du Genevois consacrés à ses fragments sur la guerre et à ses projets de paix, sous la direction de B. Bachofen, C. Spector, B. Bernardi et G. Silvestrini [6]. L’examen de ces écrits conditionne un débat de très grande importance sur la nature et la genèse de la guerre, ainsi que sur les relations juridiques entre les États. M. Belissa, quant à lui, apporte une contribution intéressante aux débats sur le républicanisme moderne en proposant une édition critique du traité de Mably, Du gouvernement et des lois de la Pologne (1770-1771) [95] ; l’examen des thèses de Mably s’effectue notamment par le biais d’une précieuse réinsertion dans le contexte historique. Il offre de plus l’opportunité de considérer sous un nouveau jour les Considérations sur le gouvernement de Pologne de Rousseau, composées en 1771 et destinées précisément à répondre aux propositions de Mably. L’éditeur suggère de lire le dialogue des deux auteurs à propos des mesures nécessaires à la Pologne comme relevant d’une même tentative de construire, grâce à leur réinterprétation du républicanisme des Anciens, une image de la démocratie moderne susceptible d’échapper à l’instabilité chronique de la dêmokratia antique.
4 Les éditions Encre Marine proposent une nouvelle édition du plus fameux ouvrage de Jean-Marie Guyau, l’Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction (publiée pour la première fois en 1885), avec une présentation, des notes et variantes par Philippe Saltel [65]. L’Esquisse veut établir que la « morale de la vie » évolutionniste et laïque préconisée par Guyau et en son temps saluée par Nietzsche se place avantageusement en concurrence des « deux tendances de la morale » : l’utilitarisme anglo-saxon et le kantisme contemporain. Cette édition est précieuse pour les chercheurs puisque, la seule à ce jour comprenant le texte des deux versions du livre, elle leur permettra de mesurer l’écart entre la première formulation de Guyau et celle qu’il tenait pour définitive, publiée en 1890 après son décès prématuré par son beau-père Alfred Fouillée.
5 Reparaît aux éditions Desclée de Brouwer L’Homme et l’État, ouvrage issu de conférences américaines que Jacques Maritain avait publié en 1953, et dans lequel les concepts de souveraineté et d’absolutisme subissent une vive critique [98]. « La philosophie politique, estimait Maritain, doit se délivrer du mot et du concept de souveraineté » parce que « ce concept est intrinsèquement illusoire » (48), mais il « perd son poison quand il est transféré de la politique à la métaphysique » car « il y a dans l’ordre spirituel un concept valable de la Souveraineté » (67). L’ouvrage contient également une critique de la démocratie bourgeoise du XIXe siècle, coupable de ne pas s’être fondée sur le « credo commun de la liberté » sans lequel il n’est pas de société politique ; il s’agit alors pour Maritain de construire « la commune foi temporelle ou séculière » capable, grâce à la promotion et à la déclinaison sociale des droits de l’homme, de représenter une base pour les démocraties ayant survécu au totalitarisme. L’ouvrage s’achève sur une stimulante série d’hypothèses relatives au « problème de l’unification politique du monde ».
HISTOIRE DES DOCTRINES XVIe SIÈCLE
6 Dans une interprétation d’une grande finesse, Cristina Ion restitue l’ambiguïté de la pensée machiavélienne, dont elle montre qu’on peut la considérer aussi légitimement sous l’angle de « l’art de la guerre » que sous celui de « l’art de la paix » [72]. Si, de l’aveu de l’auteure, sa recherche était initialement fondée sur l’intention d’établir que le Florentin aurait proposé, avec son arte dello stato, une solution au problème posé par la politique, elle reconnaît avoir éprouvé une remise en cause progressive de cette conviction : le résultat de son enquête, véritable rencontre avec Machiavel, restitue la tension indépassable qui existe, dans la vision du monde de ce dernier, entre nature et action. Conformément à l’esprit de la collection dans laquelle il paraît, Comprendre Machiavel de Denis Collin restitue avec un louable souci pédagogique les thèses du Secrétaire florentin, en soulignant le caractère « anomal » de son républicanisme et en s’employant à immerger l’œuvre dans le contexte historique et politique [30].
XVIIe SIÈCLE
7 L’ouvrage très développé de P. Rateau [117] sur la théodicée de Leibniz suit au plus près les voies de la constitution de la doctrine et le statut qu’elle accorde à la volonté humaine. Il en va aussi d’une restitution nouvelle du statut épistémologique de ce champ philosophique. Le recueil franco-britannique préparé par C. Miqueu et M. Chamie [104] explore les différences nationales dans les conceptions de la liberté à partir de la réception de la doctrine de Locke, et spécialement du cheminement de ses idées dans les Lumières. On remarquera notamment, dans l’étude de P.-Y. Quiviger sur Sieyès, le rôle décisif de la question du vocabulaire politique dans l’assimilation ou le rejet des « idées anglaises ».
8 Trois auteurs proposent des visions fort différentes de l’œuvre de Hobbes, quoique non contradictoires entre elles. D’une part, Gianfranco Borrelli s’emploie à cerner le « côté obscur du Léviathan », dans une recherche visant à prendre la mesure du travail théorique réalisé par le philosophe anglais afin de construire le dispositif de la souveraineté [15]. Dans cette perspective, l’auteur met judicieusement l’accent sur les divergences entre Machiavel et Hobbes, si conscientes à l’esprit de ce dernier que, au terme de l’enquête de Borrelli, le lecteur est convaincu qu’il existe une véritable stratégie d’écriture de l’Anglais à l’encontre du Florentin, dont le ressort consisterait à substituer à l’art machiavélien de gouverner une doctrine de la conservation de l’État. Cette étude minutieuse apporte une contribution de qualité au débat concernant tant le régime propre que les origines de la modernité en théorie politique. D’autre part, dans une enquête sur l’institution de l’État qui est dominée par le paradigme économique, Pierre Dockès reconduit la logique hobbésienne à ses conditions anthropologiques fondamentales [46]. Le fait que la multitude soit « déchaînée » dément la possibilité d’une « coopération décentralisée » ; sous réserve de l’acceptation par les cosociétaires de « chaînes volontaires », seule une « coopération centralisée » est permise. Cette solution apparaît à l’auteur encore porteuse de promesses pour notre monde, tenté par la double illusion d’un libéralisme débarrassé de la régulation étatique et par les communautarismes nationalistes et post-nationalistes. Toujours est-il qu’une telle lecture met en lumière de quelle manière l’œuvre hobbésienne se montre capable de résister à une analyse en termes d’économie contemporaine centrée sur le modèle de la théorie des jeux.
9 Dans deux ouvrages distincts, Dominique Weber propose une interprétation des questions théologiques posées par l’œuvre hobbésienne : en premier lieu [141], l’histoire du salut offre au penseur anglais le moyen de concevoir de manière très originale les rapports entre la vie civique et le destin des âmes, sans pour autant bâtir une théologie politique qui vaudrait comme philosophie de l’histoire. En second lieu [142], D. Weber consacre sa réflexion à l’examen de la scandaleuse thèse de Hobbes relative à la corporéité de Dieu, dont il établit le caractère majeur en fonction de la décision théorique en faveur de l’univocité de l’étant.
10 C. Jaquet, P. Séverac et A. Suhamy présentent les contributions de chercheurs proposant de « nouvelles lectures du Traité politique » à partir de la notion énigmatique de « multitude libre » [77]. Il s’agit avec cet ouvrage collectif d’une part de suggérer certaines pistes quant au mouvement historique des études spinozistes, autrefois plutôt centrées sur l’Éthique et le Traité théologico-politique puis ayant progressivement accordé une place conséquente au Traité politique, et de l’autre de cerner la nature, le statut et la portée contemporaine de la notion de multitude libre, en tant qu’elle offre à certains penseurs contemporains (tels Antonio Negri et Étienne Balibar) la possibilité de se substituer à la théorie du contrat social. Les concepts de peuple, de puissance, de guerre, d’État, de légitimité et de sécurité sont au cœur de ce volume, qui envisage l’œuvre du penseur hollandais comme une source alternative pour les problématiques qui traversent notre temps.
11 L’excellent manuel The Development of Ethics [74] couvre les classiques de l’éthique de Suarez à Rousseau. La présentation est précise et soignée mais la visée n’est jamais simplement érudite. Les thèses des classiques sont toujours placées dans une perspective systématique qui permet de comprendre leur apport aux discussions sur la théorie morale en général et sur les questions d’éthique appliquée en particulier. Le lecteur n’aura qu’un léger regret : l’objet et les dimensions du volume expliquent probablement pourquoi Irwin a laissé de côté des auteurs comme Christian Thomasius et les moralistes français.
XVIIIe SIÈCLE
12 Enquête très fouillée à laquelle se livre Paolo Quintili [114] dans la présentation d’une seconde modernité, celle d’une raison sensible, appelée aussi celle des Lumières radicales. Cette raison sensible se met en question elle-même, à travers sa genèse et sa constitution physique à partir de la sensibilité naturelle (physiologie du cerveau) et de l’expérience. Quintili nous présente donc le Diderot philosophe de la vie et des auteurs mineurs comme Maubec et sa médecine philosophique, ou encore Meslier et La Metterie. Il aborde des sujets aussi captivants et actuels que la physiologie des passions ou les machines de la joie, ce dernier étant déjà un thème connu des Romains. Ces auteurs deviennent les porte-parole d’une éthique-esthétique eudémoniste et machiniste. Il est vrai qu’à l’époque de l’Encyclopédie « les machines prennent la place des dieux anciens ».
13 Conformément à l’esprit de la collection dans laquelle il paraît, Montesquieu. Le droit et l’histoire de Francine Markovits [99] se présente comme une véritable petite somme de référence mais il apparaît également comme un essai personnel sur l’auteur : F. Markovits souligne de quelle manière se combinent dans De l’esprit des lois une intention positiviste et un certain scepticisme, ce dernier aspect permettant à Montesquieu de remettre en question la perspective de l’histoire universelle et la tradition du droit naturel. La « science nouvelle » inventée par le Bordelais réfute de ce fait le volontarisme qui gît au cœur de toute stratégie de domination ; elle engage aussi le statut anthropologique pluriel d’une humanité qui devient elle-même par le biais de lois susceptibles d’être envisagées comme des récits efficaces, et pour la compréhension de laquelle la figure de l’altérité joue un rôle considérable. L’ample thèse de Denis de Casabianca consacrée au rapport chez Montesquieu entre l’étude des sciences et la théorie politique [37] apporte également une contribution importante à l’intelligence de la doctrine du Bordelais : elle permet de remettre en question l’interprétation traditionnelle depuis Comte et Durkheim, selon laquelle il aurait cherché à appliquer les schémas de la science moderne au nouvel objet de la réalité sociale et serait à ce titre un précurseur de la sociologie. Or, si De l’esprit des lois mobilise effectivement des connaissances scientifiques approfondies et parfois personnellement vérifiées, le statut de la « physique sociale » et du modèle de la machine doit encore être précisé. D. de Casabianca, dans les trois derniers chapitres de son ouvrage, en propose une suggestive interprétation : Montesquieu « esquisse une thérapie législatrice », offre au lecteur des ressources pour former son « regard artiste » et le dispose à entrevoir « l’art de la composition » qui fait de certaines législations de véritables chefs-d’œuvre. L’originalité de cette recherche tient au fait que la valorisation du paradigme de l’art, en permettant de redonner sens à la référence scientifique de Montesquieu, jette un aperçu très intéressant sur son projet politique.
14 Le Système d’Helvétius de Jean-Louis Longuet [91] représente une intelligente somme consacrée au matérialisme de l’auteur de De l’esprit, puisque la doctrine y est envisagée aussi bien dans ses aspects théoriques et pratiques que dans ses relations avec les attaques dont il fut l’objet de la part des Jésuites et des Jansénistes, ainsi qu’en fonction des réactions qu’il suscita dans le parti des Encyclopédistes.
15 Le Principe d’immanence [116], ouvrage érudit réalisé par Pierre-Yves Quiviger sur Sieyès, déploie de manière claire et convaincante une perspective ambitieuse : montrer l’unité philosophique, métaphysique, juridique et politique de l’œuvre de Sieyès. La première partie établit ce que Sieyès retient de Locke, Leibniz et Spinoza, aussi bien sur le plan métaphysique que sur le plan juridique et politique. D’après Quiviger, Sieyès n’offre pas de synthèse d’ensemble de ces systèmes mais les combine dans son traitement d’une question spécifique, analysée dans la seconde partie : celle de la création du Conseil d’État, comme conciliation du pouvoir administratif soumis à une volonté politique et du principe de la division des pouvoirs.
16 Fruit d’un colloque organisé en Sorbonne en 2004, l’ouvrage consacré à Sieyès sous la direction de Pierre-Yves Quiviger, de Vincent Denis et de Jean Salem [115] constitue une propédeutique à l’étude du grand constitutionnaliste, à savoir un ouvrage généraliste et interdisciplinaire, unique dans le paysage scientifique contemporain et probablement précurseur (c’est ce que souhaitent du moins ses auteurs). Il coordonne trois volets, présentant successivement Sieyès comme « figure du droit public », dans lequel dominent les interventions d’historiens et de théoriciens du droit, puis comme « figure historique », où il s’agit de se concentrer sur le rapport entre l’auteur de Qu’est-ce que le tiers état ? et l’époque révolutionnaire, enfin comme « figure philosophique », ce qui permet notamment de saisir l’ancrage spinoziste de son propos ainsi que les relations originales qui existent dans sa doctrine entre économisme, droit naturel et nominalisme métaphysique.
17 Adoptant une approche résolument historique, Emmanuelle de Champs [28] propose une exploration systématique de l’un des aspects de la science politique benthamienne : sa pensée constitutionnelle. Ce faisant, elle comble un vide puisque n’existe en français aucune étude spécifique sur la pensée politique de l’auteur. Celle-ci se caractérise par une interdépendance entre la sphère de la morale et celle de la législation, laquelle distingue, dans sa spécificité, « la déontologie politique » de Bentham. Dans cette perspective, E. de Champs envisage la critique benthamienne des fictions de la Constitution britannique, dégage les prémisses de sa théorie des pouvoirs politiques ainsi que les implications démocratiques de son utilitarisme, interroge la radicalité du réformisme benthamien, explore les projets de Constitution rédigés par Bentham pour plusieurs pays et analyse l’approche, par ce dernier, des individus, qu’il s’agisse des gouvernants ou des gouvernés.
18 La petite anthologie [122] des quatre textes principaux de Rousseau sur la guerre a aussi le mérite de fournir quatre commentaires très clairs. Ces commentaires peuvent être regroupés deux par deux car ils formulent les thèses de Rousseau, premièrement, sur la question des causes de la guerre, à savoir des motivations qui poussent les hommes à faire la guerre, et, deuxièmement, sur le projet d’un système institutionnel international chargé de garantir la paix. Les auteurs mettent bien en relief l’importance et les limites du rôle de l’État pour un ordre pacifique mondial.
19 La belle étude consacrée par Laurent Gallois au souverain bien chez Kant [57] repose sur l’idée selon laquelle il est nécessaire d’élargir le champ d’interprétation dans lequel on cantonne traditionnellement cette notion. Il convient même de considérer qu’elle structure le programme de l’œuvre kantienne, en donnant à l’intention pratique de cette dernière un contenu précis – le souverain bien se comprend dans l’histoire comme ce que la raison peut apporter à l’espérance humaine.
XIXe SIÈCLE
20 L’étude approfondie de R. Chaïbi [26] pose la question des rapports entre liberté et paternalisme chez Mill, d’une manière qui met particulièrement en relief la question de l’individualité et ses liens avec le respect de la liberté. L’utile glossaire de F. Keck et M. Plouviez [80] fournira des repères essentiels pour l’utilisation du vocabulaire social de Durkheim et, au-delà de la doctrine du grand sociologue, pour le maniement de termes essentiels dans les études de philosophie sociale.
21 Belle illustration du renouveau de la philosophie en langue française au Danemark, l’ouvrage dirigé par P. Kemp et K. Verstrynge [81] (constitué avec le concours de la fondation Paule Mikkelsen). La contribution de Peter Kemp aide notamment à poser le problème du rapport entre appel de la communauté et individualisation radicale dans l’expérience religieuse, tandis que Jacob Rendtorff s’attache à montrer la portée pratique actuelle des aperçus les plus décisifs de Kierkegaard.
22 Redoublant par le commentaire le travail d’interprétation qu’il a entrepris à partir de l’édition de l’Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction, Philippe Saltel consacre une étude générale à l’œuvre de Jean-Marie Guyau sous le beau titre La Puissance de la vie [124] : la pensée de ce dernier est d’abord réinscrite dans l’histoire de la philosophie morale, puis ses grands thèmes sont examinés, tels que l’instinct, la religion, l’évolution, l’éducation, la sanction et l’émotion esthétique. Les qualités conjuguées de précision dans la connaissance des textes, d’érudition maîtrisée sur les sources de Guyau et de rigueur dans l’argumentation rendent cet ouvrage important non seulement pour entendre la pensée du philosophe, mais également pour établir des points de comparaison intéressants avec des auteurs engagés dans des tentatives comparables d’interprétation des liens entre la morale et la vie, tels que Nietzsche et Bergson.
23 Comte serait beaucoup plus actuel que ce que nous pensons. Jean-François Braunstein [17] éclaire de façon étonnante des questions actuelles comme celle des vaches carnivores, les morts gouvernant les vivants, thème repris par Houellebecq, ou, mieux, sa principale utopie : celle de la « Vierge Mère » ou l’utopie d’une fécondation spontanée qui permettrait à la femme de procréer sans l’intervention de l’homme. Ce « résumé synthétique de la religion positive » est assez inhabituel pour que le détour par Comte pour revenir à des questions d’aujourd’hui soit le bienvenu. Il ne faudrait pourtant pas se tromper sur l’un des termes du sous-titre de l’ouvrage : les vaches carnivores ne sont pas celles qui ont été nourries de farines animales pour des raisons utilitaristes à courte vue, avant la crise qui a ébranlé les institutions européennes. En effet, « la transformation des herbivores en carnassiers » est fondée sur un souci d'accession des vaches à la « dignité » de carnivores. Plus largement, Comte aurait inspiré selon Braunstein un certain type d’histoire des sciences de « style français », dont seraient redevables Bachelard, Canguilhem et Foucault, qui eux aussi mêleront histoire des sciences, philosophie et politique, au service d’une réflexion plus générale sur l’historicité de la raison.
24 Aux sources du marxisme européen, l’édition de l’ouvrage de Plekhanov [112] restitue les formules de ce que l’auteur pensait comme une algèbre de l’évolution sociale, tandis que les essais de R. Luxemburg [94] constituent un repère essentiel dans l’histoire des idées sur la direction centrale des collectivités politiques et économiques. Les éditions Sulliver, qui avaient déjà publié en 2005 ses Entretiens, font paraître sous le titre Le Socialisme selon Marx trois articles de Michel Henry consacrés à l’auteur de L’Idéologie allemande [68], qui représentent une excellente introduction à la pensée de l’auteur du Capital.
25 Anne-Sophie Menasseyre [130] propose une édition commentée et annotée de deux articles que Georges Sorel avait, dans les années 1896-1898, consacrés à Giambattista Vico, dont la substantielle « Étude sur Vico » d’une centaine de pages parue en trois livraisons dans Le Devenir social. Tandis qu’on ne voit souvent en Sorel que l’auteur des Réflexions sur la violence, œuvre tardive lui valant la réputation de penseur sulfureux, cette publication vient opportunément indiquer la finesse d’une recherche en dialogue avec Marx à propos de la nature du socialisme et, au-delà, de l’anthropologie de l’homme contemporain. Dans sa belle introduction intitulée « Sorel lecteur de Vico », A.-S. Menasseyre établit que Sorel cherche dans La Science nouvelle (lue dans la traduction de Michelet) à découvrir dans le chef-d’œuvre du philosophe napolitain de quoi dépasser les interprétations réductrices de Marx et approfondir l’apport théorique du Capital. Il s’agit particulièrement pour le penseur français de déterminer ce qui, dans la représentation vichienne de l’histoire, pourrait contribuer à enrichir la thèse du matérialisme historique en ruinant l’ancienne métaphysique essentialiste. Or, même si l’on saisit vite tout l’intérêt qu’avait Sorel à souligner l’anticartésianisme du Napolitain et à considérer la conception vichienne de la construction de l’histoire par l’homme, une telle lecture ne va pas de soi, et elle le contraint à casser le système d’exposition de la Science nouvelle, afin notamment de contourner l’importance de la notion de Providence. Une autre torsion consiste à appréhender la notion vichienne d’art en fonction des considérations marxiennes à propos de la technique.
26 L’ouvrage de Stanley Cavell, Qu’est-ce que la philosophie américaine ? De Wittgenstein à Emerson [25], est constitué par un ensemble de textes qui trouvent leur unité dans les réflexions de l’auteur à partir de l’œuvre philosophique d'Emerson. Ces réflexions permettent à l’auteur de s’interroger également sur ce qui constituerait la spécificité de la philosophie américaine ainsi que sur la nature de la réflexion philosophique en général. L’auteur propose également des analyses sur la philosophie morale que l’on pourrait extraire des textes d'Emerson, défenseur d’une forme de perfectionnisme moral. Les débats concernant la plausibilité du perfectionnisme moral étant actuellement très développés, on peut regretter que l’auteur ne s’y réfère que trop rarement, ce qui aurait peut-être pu contribuer à éclairer davantage la spécificité de la sagesse morale d'Emerson par rapport aux autres théories morales perfectionnistes disponibles.
XXe SIÈCLE
27 L’ample ouvrage qu’Arno Münster consacre à Hannah Arendt [108] constitue une synthèse critique de première importance pour quiconque veut se donner une image réfléchie de l’auteure de The Human Condition. Aussi bon connaisseur qu’on peut l’être de l’œuvre arendtienne comme de son commentaire depuis les années 1950, Münster pèse chacune des critiques qui ont été adressées à cette dernière au fil de la constitution de son œuvre : ainsi, la valeur du monument que sont Les Origines du totalitarisme est discutée grâce à sa minutieuse réinscription dans le contexte politique et idéologique des années 1950 et 1960 ; de même, les liens ambigus entretenus par Arendt avec les marxistes (Marx, Rosa Luxemburg, l’école de Francfort) se trouvent finement détaillés. L’auteur se montre également soucieux de démêler les fils complexes de la relation qu’entretenait Arendt avec la religion juive, en particulier à propos de l’évolution de son jugement concernant le sionisme et la politique israélienne. Une fois la philosophie politique arendtienne discutée de la sorte en fonction de ses enjeux pratiques, la voie est dégagée dans une seconde partie pour un examen en termes de constitution d’une « philosophie ontologique post-existentialiste », qui achève de dégager l’originalité d’Arendt et permet de comprendre sa position singulière à l’égard de la tradition philosophique. Si Arendt s’est montrée capable de créer une philosophie de l’action politique reposant sur une anthropologie originale, l’auteur estime néanmoins que la force de conviction de sa tentative se trouve irrémédiablement amoindrie par l’absence de déterminants socio-économiques de l’agir politique des citoyens, et qu’un certain antimarxisme lui a interdit de participer au mouvement de transformation sociale en faveur d’une société équitable, ce que son attachement à la démocratie des « conseils » laissait pourtant escompter.
28 Le dernier cours donné par Michel Foucault en 1984 porte sur Le Courage de la vérité [54]. Il s’inscrit dans la continuité de ceux qu’il donna l’année précédente sur le dire-vrai et la vérité mais en radicalisant le propos. En 1984, Foucault déploie un concept de vérité original qui, selon lui, s’origine dans la philosophie antique quoiqu’il ait été occulté par le régime moderne des discours et des savoirs. Il propose une typologie des styles de véridiction dans la culture antique fondée sur l’attention au type de rapport à soi et à l’autre impliqué par une assertion de vérité. Foucault suggère que le principe de différenciation éthique, à l’intérieur du problème du gouvernement des hommes, constitue le point nodal de la philosophie politique grecque.
29 Ces cours et l’analyse des textes proposés s’inscrivent toutefois sur l’horizon de la maladie qui a envahi Foucault. Cet horizon guide le choix d’étude de l’Apologie de Socrate et du Phédon de Platon. En particulier, le Phédon interroge le rapport essentiel existant entre la philosophie et la maladie. Une attention spécifique est donnée à la dernière parole de Socrate ( « Criton, nous devons un coq à Asklépios ; soucie-t-en ») pour montrer que la maladie dont Socrate remercie Asklépios d’être guéri est celle des faux discours, de la contamination des opinions communes et dominantes, celle des préjugés – maladie dont la philosophie guérit.
30 Le Lachès de Platon, consacré au courage, est également analysé de même que la philosophie cynique dans laquelle Foucault voit le moment pur d’une réévaluation radicale de la vérité philosophique, resituée du côté de l’épreuve de la vie et de la transformation du monde. La parole cynique constitue, aux yeux de Foucault, une troisième forme de courage de la vérité, distincte du dire-vrai socratique, de même que le mode de vie cynique révèle une mise à l’épreuve de l’existence par la vérité. Ces analyses conduisent Foucault à distinguer quatre « significations » ou « valeurs » de la vérité : la non-dissimulation, la pureté, la conformité à la nature et la souveraineté. Elles expliquent qu’il puisse conclure le manuscrit de ces cours sur ses mots : « Il n’y a pas d’instauration de la vérité sans une position essentielle de l’altérité. La vérité, ce n’est jamais le même. Il ne peut y avoir de vérité que dans la forme de l’autre monde et de la vie autre. »
31 Les réflexions de François-David Sebbah [126] sur différents thèmes traités par Emmanuel Levinas au fil de son œuvre visent toutes à explorer les multiples facettes de la distance à autrui et de sa proximité, qui commencent par la vision de son visage et vont jusqu’à des formes plus médiates d’intersubjectivité. Sur cette base métaphysique, l’auteur adopte des positions critiques relatives à la guerre, aux incivilités et au clonage, marquées par une attitude défensive ou conservatrice envers les nouvelles techniques et les nouveaux modes de communication.
32 Thierry Gontier publie un petit ouvrage introductif consacré à Eric Voegelin [62], dense et précieux car instruit de la substance des… trente-quatre volumes dont se compose l’œuvre intégrale de cet auteur, très largement inédite en français. Th. Gontier procède d’abord en présentant la philosophie du droit de l’auteur, à partir de sa tentative de dépassement du positivisme kelsenien, dont il montre à quel point elle est ancrée dans le sentiment qu’a eu Voegelin dans les années 1930 de l’attitude « suicidaire » des démocraties antiautoritaires incapables de se doter d’une culture politique susceptible de comprendre et de contrer la montée du nazisme. Puis il se tourne vers la « nouvelle science du politique », présentée comme une « herméneutique des symboles » opposée à tout projet positiviste de connaissance de la réalité humaine et reposant sur l’interprétation politique du corpus mysticum chrétien – l’adoption de cette thématique a été l’objet d’un dialogue extrêmement serré de Voegelin tant avec Carl Schmitt qu’avec Leo Strauss. Th. Gontier consacre enfin son attention à la dimension historique de la pensée de Voegelin, lequel projetait de constituer la science politique comme une histoire générale des symboles humains : la critique voegelinienne du totalitarisme se comprend dans une telle perspective, puisque le phénomène totalitaire est entendu comme la création de « religions politiques » au terme d’un processus d’immanentisation qui se confond avec l’apparition de la modernité.
33 La publication de textes inédits de philosophie rédigés par Cornelius Castoriadis [24] entre 1945 et 1967 permet d’appréhender sa pensée d’une praxis autonome non subordonnée à une théorie hégémonique. Les textes rassemblés dans les deux premières sections ont été rédigés pendant sa thèse et sont consacrés à la logique axiomatique. La section suivante constitue une « Critique de la logique hégélienne ». La troisième ( « Science, psychanalyse et philosophie ») rassemble des textes de 1945-1948. Les textes de la section 4, « Création et praxis », développent une compréhension de l’histoire et du social fondée sur la puissance de faire et d’agir des collectivités humaines. La section 5 est consacrée à la question de « L’histoire ». Y sont critiqués les postulats du matérialisme historique et du logicisme hégélien. La section 6 permet d’appréhender la signification politique que Castoriadis reconnaît à l’aliénation comme mouvement d’autonomisation de l’imaginaire où la société se laisse dominer par le poids de ses institutions. Les écrits de la septième section ( « Le projet de théorie ») proposent une esquisse des notions d’ontologie que Castoriadis développera dans L’Institution imaginaire de la société et les séminaires de l’EHESS de 1986-1987. La dernière section du recueil revient sur le fondement temporel du projet de connaissance scientifique.
34 Plusieurs recherches d’origines extra-hexagonales viennent alimenter le débat autour de l’œuvre et de la figure controversées de Carl Schmitt. Le Belge Tristan Storme engage une lecture de la pensée du juriste allemand adossée aux options précises du catholicisme schmittien [133] : le marcionisme typique de ce dernier serait à considérer d’un point de vue théologico-politique, ce qui aurait pour conséquence une radicale incompatibilité avec les manifestations sociopolitiques du judaïsme. Dressant un bilan de la récente controverse en France autour du bien-fondé des recherches schmittiennes contemporaines, cet ouvrage apporte un éclairage stimulant sur le point fort délicat qu’elles sont toutes contraintes d’envisager, à savoir la nature ou le degré de profondeur de l’antisémitisme de l’auteur – et il y répond en adoptant un point de vue structurel sur l’œuvre. D’une facture toute différente, la synthèse proposée par la chercheuse suisse Sandrine Baume [10] expose de manière génétique la doctrine de l’État de l’Allemand, en l’inscrivant dans un parcours biographique qui accorde à l’histoire politique toute la place qui lui revient. On s’aperçoit combien l’opposition aux thèses de Hans Kelsen et de Hermann Heller a nourri l’œuvre schmittienne, mais sur la base d’une incompréhension ou mieux encore d’un refus catégorique de leur accorder les prémisses qui étaient les leurs en faveur de la démocratie, et au profit d’une conception tragique de l’histoire. L’émergence du décisionnisme apparaît également liée à la situation particulière de l’État allemand après la Première Guerre mondiale (et à l’évolution juridique interne qu’elle a engendrée pour ce dernier), situation que Schmitt a érigée en véritable paradigme pour la reconstruction de la doctrine juridique.
35 Centré sur le colloque Lippmann de 1938, l’ouvrage de S. Audier [4] aide à cerner les conditions historiques de l’élaboration et de la diffusion des idéologies néo-libérales dans la seconde moitié du XXe siècle et jusqu’à nos jours. Il donne un tableau développé des échanges entre les fonds idéologiques de droite et de gauche dans l’entre-deux-guerres et constitue aussi une intéressante mise en perspective de quelques figures centrales de la pensée économique, politique et sociale du XXe siècle. On pourra lire, en parallèle, le très remarquable recueil des Nouveaux Essais de Hayek [67], riches de remarques politiques, notices historiques assez partiales sur les figures de la pensée économique (de Smith à Keynes) et de réflexions fort originales (qui peuvent certainement être encore une source d’inspiration) sur les rapports entre la psychologie, la cognition et les idéologies. C’est aussi la gigantomachie des idéologies qui domine les réflexions antirationalistes de Berdiaev [13].
36 Enfin, tourné vers le XXIe siècle, l’ouvrage collectif édité par Jorge Giraldo et Jeronimo Molina rassemble les contributions de chercheurs espagnols et colombiens explorant les ressources de la pensée schmittienne en matière de droit international public [61] : les trois parties de l’ouvrage coordonnent les thèmes « Politique et droit » (ce premier moment permet d’examiner notamment l’antilibéralisme de l’auteur), « Exception et guerre » (deux études sont consacrées à la théorie du partisan et aux antécédents doctrinaux de la figure de l’ennemi) et « Relations internationales » (partie dans laquelle est abordée la question de la fécondité de l’œuvre de Carl Schmitt comme modèle de réalisme afin d’appréhender la construction d’un ordre international contemporain ou de contribuer à l’édification d’une théorie constitutionnelle de la fédération dans le droit public européen).
XXIe SIÈCLE
37 Revenant sur la distinction du nom et du mot, François Dagognet [35] offre un point d’entrée original pour considérer les questions d’éthique qui se posent lorsqu’il s’agit de désigner et en particulier de nommer des enfants dans des cas complexes de filiation (tels que l’insémination artificielle avec le sperme d’un donneur anonyme (42)). L’auteur esquisse également une éthique de l’usage des noms et des sigles marqués, pour ces derniers, par leur « artificialité (le manque d’ancrage) et surtout le non-sens qu’il [s] porte [nt] » (101).
PHILOSOPHIE MORALE ET ÉTHIQUE
38 The Development of Ethics [74] est un manuel de présentation très clair qui couvre les classiques de l’éthique des débuts de la philosophie à la Réforme. Qu’il s’agisse d’un manuel ne signifie pas que l’auteur n’ait pas fait de choix. De fait, Terence Irwin consacre bien davantage de pages à Thomas d’Aquin qu’à Platon et à Aristote réunis, à l’inverse de leur influence respective sur l’histoire de l’éthique et sur le débat contemporain. On notera aussi une place restreinte accordée à la question des devoirs (notamment chez Cicéron et chez Ambroise, auteur absent du volume) et à des questions d’éthique appliquée, à l’exception de l’amitié.
39 L’ouvrage consacré à la phronèsis dirigé par Danielle Lories et Laura Rizzerio [92] se présente comme une véritable histoire collective du jugement pratique, réalisée par un ensemble international de chercheurs et dont les étapes concernent aussi bien le monde ancien (soit les doctrines d’Héraclite, d’Empédocle, de Démocrite, d’Antisthène, de Platon, d’Aristote, des Stoïciens, de Plotin et d’Augustin) que l’univers mental des modernes (Thomas d’Aquin, Descartes, Kant, Gadamer, Arendt, Ricœur et la pensée anglo-saxonne contemporaine sont en effet abordés). Ainsi que l’explique D. Lories dans l’introduction, tel que l’envisage cet ouvrage le rapport entre les deux époques s’articule autour de deux problématiques : la première concerne la spécificité de la rationalité de l’action, la seconde regarde « l’énigme de cette étrange opération mentale : juger » (46), en insistant particulièrement, à partir de Kant, sur la tradition herméneutique et phénoménologique poursuivie par Gadamer et par Arendt.
40 Complétant une série d’études sur la pensée politique au Royaume-Uni, l’intéressant volume collectif dirigé par Maurice Chrétien autour des penseurs conservateurs britanniques du XVIIIe au XXe siècle [29] pourrait être lu comme une véritable « contre-histoire de la modernité » : les onze chapitres concernent Edmund Burke, Benjamin Disraeli, Richard Oastler, Henry Maine, William Lecky, Isaac Butt, Leo Amery, Elie Kedourie, Michael J. Oakeshott, Friedrich von Hayek, Keith Joseph. Pour différents que soient leurs parcours théoriques, ces auteurs se rassemblent dans un mouvement de pensée finalement assez cohérent, en réaction aux bouleversements modernes et contemporains (entre autres : la Révolution française, l’essor du capitalisme libéral, l’avènement de la démocratie et la décolonisation).
41 Dans la nouvelle collection de philosophie morale et politique des éditions Hermann, « L’avocat du diable », C. Tappolet et R. Ogien [110] défendent, dans le débat qui oppose l’éthique des vertus (inspirée d’Aristote) et l’éthique des devoirs héritée de Kant, le conséquentialisme issu de l’utilitarisme. Ils parviennent à cette conclusion à partir d’une analyse serrée du couple normes/valeurs sur lequel H. Putman et J. Habermas ont aussi mené une investigation mais à partir de la question fondamentale de savoir si les valeurs peuvent ou doivent « fonder » ou « justifier » des normes. C. Tappolet et R. Ogien cherchent à penser, entre ces deux termes, une relation qui ne soit pas réductrice pour proposer une version raisonnable du conséquentialisme selon laquelle l’agent devrait, idéalement, agir de sorte à produire le plus de bien possible et, minimalement, à se contenter de faire le moins de mal possible. Au terme de cet ouvrage, les lecteurs épouseront peut-être la conclusion de ses auteurs : s'il n’existe aucune raison décisive de ne pas être conséquentialiste, à tout le moins il y en a d’excellentes de le devenir ou de le rester.
42 Un ouvrage essentiel en philosophie morale et politique contemporaine est à présent disponible en français : Morale maximale, morale minimale [140] de M. Walzer, auquel ont déjà fait écho certains travaux en France dont ceux de R. Ogien. Interrogeant la question des principes moraux dans un contexte multiculturaliste, Walzer opère une distinction entre deux orientations morales : le maximalisme, qui est toujours particulariste, « définit ce que font les individus, ce qu’ils valorisent et distribuent au sein de leur communauté, les qualités individuelles qu’ils cultivent et prétendent respecter » (66), et le minimalisme, qui ne fonde pas le maximalisme mais consiste dans « des principes et des règles réitérés à différents endroits, à différentes époques, qui se révèlent similaires même s’ils s’expriment dans des idiomes différents pour réfléchir différentes histoires, différentes versions du monde » (38). Cette contribution intéressera d’autant plus les lecteurs philosophes qu’elle apporte des réponses à certains des débats politiques et internationaux les plus brûlants aujourd’hui, en particulier, la question de l’intervention à l’extérieur des frontières nationales pour des raisons de justice distributive ou militaires, les premières s’ancrant alors dans une morale maximaliste. Il s’agit pour l’auteur d’introduire le pluralisme dans le concept même de démocratie et de nourrir une « politique de la différence » tout en défendant un certain universalisme.
43 Une réflexion sur les fondements de l’éthique est proposée par A. Disselkamp [45] à partir du champ de la sociologie classique, en l’occurrence des pères fondateurs de cette discipline : A. Comte, É. Durkheim, M. Weber. Dans quelle mesure ces auteurs offrent-ils des éléments pour penser une éthique de la responsabilité ? A. Disselkamp montre que leur rapport à l’éthique est ambivalent car, tout en plaçant la pensée éthique au cœur de leur démarche sociologique, ils la fragilisent en séparant la vie humaine de sa dimension matérielle et conditionnée par l’existence du monde. Les fondateurs de la sociologie, bien que parlant de morale et faisant du « fait moral » un élément cardinal de leur investigation, le font en en affaiblissant les fondements.
44 Dans un ouvrage composé sur la longue durée (1976-2005) et de productions aussi différentes que des conférences, des communications lors de colloques et des dossiers, André Jacob [76] débute avec la distinction toujours discutée entre éthique et morale. Très vite il nous entraîne vers la question de la temporalité et sur la proposition d’une anthropo-logique. Celle-ci trouve un plus ample développement dans la troisième partie de l’ouvrage, comme « théorisation (logie) de la condition humaine (anthropo-) ». Celui qui pratique une philosophie « pluri-interprétative » nous livre pour les uns, et rappelle peut-être pour les autres, des références et des débats oubliés, bienvenus dans une philosophie morale parfois étriquée. Si la disparité des textes, quelquefois leur brièveté (par exemple un programme de cours « Pour la Sorbonne », ou « Pour le Collège de France ») rompent une ligne de raisonnement très claire, il faut saluer le nombre de tableaux originaux qui parsèment ce parcours fécond d’ « un demi-siècle de mise en schémas ».
45 Notion morale par excellence, le respect trouve aujourd’hui des échos dans de multiples strates de la vie sociale. C’est à l’exploration de la diversité des expériences du respect que se consacre le recueil édité par N. Zaccaï-Reyners [143], qu’elles se déploient dans le cadre des rôles sociaux que nous adoptons (R. Gély), dans l’espace public (N. Zaccaï-Reyners), dans le discours écologique environnemental (M. Mormont) ou dans le souci pour les animaux (J. Porcher), dans la solidarité publique (M. Charmillot), dans la relation amoureuse (D. Peto) ou médicale (G. Leeber), dans le travail (M. Sanchez-Mazas). S’inspirant de son sens kantien, P. Pharo en propose une reformulation contemporaine en tant que « contrainte première de civilité ». C. Haroche, pour sa part, s’interroge sur la légitimité de la formulation du respect en termes de droit. Ces considérations permettront de mieux cerner les sens multiples de la notion de respect et de la distinguer de concepts comme la reconnaissance, l’estime de soi, le souci de l’autre et la sollicitude (contributions de F. Brugère et de P. Paperman) auxquels la philosophie morale contemporaine s’est ouverte.
46 Le petit livre de M. Malherbe [96] pose avec subtilité, en partant de l’embarras des corps, des questions simples sur la politesse, qui entraînent vers les thématiques du respect des autres et du régime d’obligation. L’analyse est complétée par le commentaire d’un texte de Shaftesbury et de l’article « politesse » de l’Encyclopédie.
47 La somme constituée par T. Belleguic, É. Van der Schueren et S. Vervache [11] autour de la notion de sympathie couvre une large variété de domaines disciplinaires (la philosophie, l’esthétique, la littérature, l’histoire), explorant ce concept aussi bien que les discours qu’il a suscités aux XVIIe et XVIIIe siècles. Sans prétendre rendre compte des vingt-quatre contributions dont le recueil se compose (et qui se distribuent en quatre parties : « Physiologie et morale de la sympathie » ; « Rhétorique et esthétique de la sympathie » ; « Érotique et pathétique de la sympathie » ; « Critiques et palingénésies de la sympathie »), nous attirerons spécifiquement l’attention sur quelques-unes de celles-ci. Évoquons celle sur Diderot qui manifeste par contraste combien ce dernier s’est révélé plus audacieux que Bentham dans la résolution des difficultés posées par la théorie des fictions ; ou encore celle de Tegos sur pitié et sympathie chez Hume et Rousseau ; enfin celle sur la formulation de la normativité chez Smith.
48 Une réédition du Bonheur paradoxal [89] invite à nous interroger sur la civilisation consumériste, nouvelle phase du capitalisme selon son auteur, Gilles Lipovetsky. Neuf Français sur dix se disent heureux et pourtant la morosité et le stress, la dépression et l’anxiété fleurissent. La société d’hyperconsommation est une civilisation du bonheur paradoxal. Lipovetsky en analyse le fonctionnement et l’impact sur les existences en s’efforçant de ne pas la diaboliser. Il en fait le bilan humain et social à travers une analyse des trois âges du capitalisme de consommation, puis des formes contemporaines de la consommation (la consommation émotionnelle, la consommation comme divertissement, le consumérisme sans frontières). Considérant qu’Aristote soulignait déjà que l’homme heureux a besoin de jouir sans difficulté de différents biens extérieurs, Lipovetsky veut néanmoins cerner les contours de la « malédiction de l’abondance », les déceptions qu’elle induit, le manque et la frustration. L’analyse du sens contemporain de l’eudaimonia dans le contexte d’hyperconsommation qui est le nôtre porte l’auteur à défendre une thèse « paradoxale » si l’on s’en tenait seulement aux premières pages de l’ouvrage : la philosophie du bonheur ne doit exclure ni la superficialité, ni la distraction futile, ni la difficile construction de soi. Lipovetsky peut donc conclure que ce n’est pas tant le consumérisme qui est à dénoncer que son excroissance ou son impérialisme qui font obstacle au développement de la diversité des potentialités humaines (420).
49 R. Gaucher [58] allie économie et psychologie pour proposer une analyse de l’économie du bonheur, interrogeant le fonctionnement du système capitaliste contemporain. L’auteur compare croissance économique et bonheur national. Il retrace les approches psychologiques (paramétriques), économiques et politiques du bonheur, et propose un appendice original sur les façons d’améliorer son bonheur sous la contrainte des revenus.
50 L. Fedi [50] offre un ouvrage comblant une lacune de la littérature philosophique française. La pensée de Jean Piaget et son approche des normes demeurent aujourd’hui encore trop souvent méconnues des théoriciens de la morale et de la politique. Pourtant Piaget, comme le montre ce livre, s’écarte aussi bien de l’apriorisme moral que d’une approche strictement empiriste des normes morales. Piaget nourrit une interprétation génétique de celles-ci, c’est-à-dire qu’il les conçoit comme émergeant d’une réorganisation créatrice de l’équipement cognitif individuel. Fedi suit ainsi l’évolution de la pensée de Piaget, analyse ses concepts clés (l’équilibration majorante, les faits normatifs, son épistémologie génétique) tout en soulignant les influences qui l’ont marqué. L’originalité de ce recueil est en particulier d’insister sur la portée philosophique de l’épistémologie génétique piagétienne.
51 Philippe Descamps [42] explore les questions éthiques soulevées par une technique pourtant aujourd’hui loin d’être mise au point : l’utérus artificiel (ou ectogenèse), en s’écartant délibérément d’une attitude de rejet systématique ou de diabolisation de celle-là. Cette technique procréative porte-t-elle préjudice aux enfants qu’elle fera naître ? Aura-t-elle des conséquences délétères sur l’attachement entre la mère et l’enfant ? L’auteur vise à déployer un discours rationnel et raisonnable, interrogeant les évidences que l’on mobilise fréquemment dans ces débats éthiques et, en particulier, nos représentations de la femme, de la naissance, de la parentalité. C’est à identifier les présupposés et les impensés des discours tenus sur l’ectogenèse, et plus généralement sur l’artificialisation de la reproduction humaine, que s’attelle l’auteur.
52 Ce dernier cerne ainsi les présupposés et les impensés des discours juridiques tenus sur la question. Il s’agit d’identifier le type d’anthropologie que le droit, depuis plusieurs décennies, prétend défendre et qui se déploie en direction d’un sujet (de droit) réduit à l’élément d’une espèce biologique. À partir d’une référence à la philosophie fichtéenne, Ph. Descamps propose une approche juridique alternative : un modèle pour penser la naissance se fondant sur la liberté, qui soit autonomisé à l’égard des déterminations biologiques et qui n’exclue ni la sollicitude ni l’amour.
53 Lumbroso [93] interroge le choix de faire commerce de son corps, en l’occurrence de se prostituer, et place sur le devant de la scène la parole de ces femmes qui ont choisi la prostitution. Il s’engage à dénoncer « l’amalgame qui est fait par les pouvoirs politiques, les médias et certaines associations féministes, entre les femmes qui sont contraintes et celles qui choisissent » la prostitution.
ACTION ET MORALE
54 L’édition savante de l’ouvrage classique de Guyau [65] permet de situer, à égale distance de l’utilitarisme et du kantisme, une pensée attentive aux liens (redevenus essentiels) entre la morale humaine et les représentations de l’évolution du vivant, dans une recherche philosophique sur l’activité humaine et la nature.
55 Dans une riche anthologie dont l’objet réel s’éloigne sensiblement de ce qu’indique le titre de l’ouvrage, M. Jouan [78] associe par grandes thèses un certain nombre de contributions classiques (Kant, Mill…) et récentes (M. Bratman, A. Honneth…) pour mettre en perspective les positions philosophiques possibles du problème du rapport entre l’action, la rationalité et la motivation morale.
56 L’important ouvrage de Stéphane Lemaire [87] est une synthèse raisonnée, enrichie de développements plus personnels, sur le statut, dans la délibération et dans l’action rationnelle, des désirs et de la connaissance que l’on en a. On appréciera surtout les développements approfondis sur les formes différenciées d’accès à la connaissance des désirs : par l’intention elle-même, par l’expérience des émotions, par la simulation ou l’imagination. La mise en perspective des problèmes classiques de l’action instrumentale et de la faiblesse de la volonté est également très précieuse. D’une manière générale, c’est le problème des rapports entre les états émotionnels et la rationalité pratique qui se trouve posé.
MORALE ET POLITIQUE
57 Dans À la recherche de l’humanité, Terence Marshall propose une ample réflexion sur l’histoire de la philosophie politique [100] : par le biais de l’étude des œuvres de Rousseau, de Leo Strauss et de James Madison (et en restituant le dialogue que chacun de ces auteurs a entretenu avec la philosophie grecque), l’auteur entreprend de décrire les modes d’une connaissance de l’homme capable de fonder le sens de l’injustice sans lequel il ne saurait exister l’idée d’une loi juste. Il rouvre de ce fait avec une vaste érudition le débat sur les relations entre le droit naturel classique et sa version moderne.
58 Dans un ouvrage courageux [134], Michel Terestchenko entreprend de statuer du point de vue de la philosophie morale et politique sur les argumentations contemporaines en faveur de la « torture contrôlée », ainsi que l’on nomme les défenses du recours à la torture au sein des « méthodes d’interrogatoire coercitives » qui se sont développées aux États-Unis après le 11 septembre 2001. Faisant le point sur les formes actuelles de torture et établissant un bilan des arguments juridico-philosophiques visant à légitimer ces violences au nom de la défense de la démocratie (Terestchenko discute notamment les raisons développées par le philosophe progressiste Michael Walzer), Du bon usage de la torture incite à considérer les effets moraux et politiques de la logique de l’état d’exception. Sans pour autant céder à l’angélisme, il rappelle la nécessité de « maintenir le sens du mal », souligne l’inutilité de la torture et dénonce les voies perverses, corrélatives, de la montée d’une société de l’insécurité généralisée et de l’apparition d’un État tortionnaire par souci de sûreté. Surtout, expliquant que « la torture abolit le fondement symbolique de l’État », il rappelle avec force qu’une telle pratique, « qu’elle s’exerce sur les citoyens de l’État ou sur des non-citoyens, est non seulement un abus de pouvoir, mais aussi un abus de confiance, puisqu’elle contrarie le principe qui fonde la légitimité du pouvoir de coercition de l’État : la défense des libertés publiques fondamentales, la première de toutes étant l’inviolabilité et la non-disponibilité du corps, de tout corps » (192).
59 S’il constitue également une habile synthèse, le petit volume consacré par Christian Nadeau et Julie Saada à la guerre juste [109] s’inscrit dans un questionnement comparable à propos des mutations subies par les concepts traditionnels : aussi bien la notion de guerre que la théorie qui lui est appropriée ont historiquement évolué, bien sûr en changeant de référentiel dans la modernité (du système d’organisation westphalien à l’organisation onusienne), mais aussi, singulièrement, depuis le 11 septembre 2001. À la lumière de ces changements, les auteurs présentent de manière synthétique des distinctions fines et opératoires concernant tour à tour le jus ad bellum, le jus in bello et, selon une catégorie désormais usitée dans les théories de la guerre juste lorsqu’il s’agit notamment de penser les processus de réparation après guerre (quoiqu’elle ne soit pas reconnue par le droit international), le jus post bellum.
PHILOSOPHIE POLITIQUE
60 Le volume XIX des Actes des colloques de l’Association française des historiens des idées politiques est consacré à « l’idée contractuelle dans l’histoire de la pensée politique » [146] : vingt-huit contributions de qualité et plus de six cents pages d’une grande précision historique et technique sont consacrées par les historiens du droit d’abord au recours à l’argument contractuel dans la période ancienne et moderne (soit la première partie : « Penser la légitimité politique : le discours du contrat entre droit privé et droit public », qui couvre une période allant du droit romain jusqu’aux œuvres théoriques du XVIIIe siècle, par exemple celles d’Adam Smith et de Cesare Beccaria), puis à la contestation de cet argument et à ses métamorphoses lors de la période contemporaine (seconde partie : « Étiolements du contrat social aux XIXe-XXe siècles ? Entre critiques et réinterprétations du concept », avec des études portant sur Burke et les contre-révolutionnaires, sur Proudhon, sur Jules Ferry, sur Léon Bourgeois et sur Emmanuel Mounier, mais concernant également l’histoire du droit japonais moderne et le recours au peuple dans le système gaullien du pouvoir). Ce volume apparaît comme un ouvrage essentiel pour approfondir la réflexion sur le contractualisme et son évolution, notamment du fait de son caractère historiquement très documenté.
61 S’engageant dans la séparation posée par Kant entre savoir et foi, J. Habermas [66] interroge les conditions actuelles dans lesquelles s’affrontent aujourd’hui les cultures au sein des sociétés contemporaines comme de manière transnationale. Reprenant cette distinction classique, Habermas trace les contours d’une démocratie postmoderne où se posent deux questions fondamentales, défiant la démocratie : celle de l’égalité de traitement des cultures – qui engage le libéralisme à réfléchir à ses propres limites – et celle d’une constitution politique pour une société mondiale pluraliste. Il s’agit pour l’auteur, dans le premier cas, de déterminer si « le prix que les communautés religieuses ont dû payer pour s’adapter cognitivement aux exigences de la modernisation sociale et culturelle était tolérable du point de vue normatif » (229), en rappelant que chacun ne peut jouir de son ethos religieux que de manière limitée et que chacun doit consentir aux conséquences pratiques de l’ethos d’autrui. Dans le second cas, Habermas reprend l’idée kantienne d’une constitution cosmopolitique afin de la réinterpréter dans le contexte actuel pour montrer que de la réussite de ce projet dépend le caractère démocratique des nouvelles formes de socialisation politique encore possibles aujourd’hui. Il voit dans la réforme de l’ONU et dans une organisation mondiale articulant un Conseil de sécurité réformé et une Cour pénale internationale – à travers lesquels se déploierait un espace public mondial – les deux tendances historiques allant dans le sens de ce projet.
62 Stimulant pour la philosophie morale et politique, le petit livre de George E. Marcus consacré au « citoyen sentimental » [97] : confrontant les représentations théoriques traditionnelles de la citoyenneté à la réalité des émotions collectives qui animent les sociétés démocratiques, l’auteur, en se fondant sur la recherche contemporaine en psychologie sociale mais aussi en s’inspirant d’Aristote, de Madison et de Hume, milite en faveur de la réhabilitation des émotions dans le comportement politique, en soulignant le fait que « les systèmes émotionnels sont des processus cérébraux ». Il examine la valeur et les limites, du point de vue de la constitution de l’intelligence civique, de l’enthousiasme, de l’anxiété, de l’aversion, et conclut que « la scène politique ne peut être uniquement un espace consacré au débat serein. Elle doit aussi être un espace spectaculaire, capable de retenir l’attention du public, de susciter sa participation active. Ce n’est que dans ces conditions qu’elle peut donner naissance à de nouvelles perspectives. […] Bien que notre vision des choses vienne remettre en question des préjugés très anciens, ce n’est qu’en étant à la fois passionnés et rationnels que les citoyens démocratiques peuvent donner le meilleur d’eux-mêmes » (206).
63 L’Invention de la tolérance [147], actes d’un colloque organisé par le Sénat, présente des contributions intéressantes sur des classiques de la tolérance, à la fois théoriciens et hommes d’action (Averroès, Maïmonide, La Casas, Lincoln, Voltaire). On regrettera toutefois l’absence de ligne directrice et, de manière plus étonnante, celle de toute perspective postérieure à Lincoln, comme si le XXe siècle et le début de notre présent siècle n’offraient ni théoriciens ni problèmes liés à la tolérance et différents de ceux de ces classiques.
64 L’émergence du profane en politique est un événement remarquable de la dernière décennie. De tous côtés, décideurs, experts et administrateurs sont submergés par l’intervention du citoyen dans l’espace de leurs prérogatives. Le visage de la démocratie s’en trouve par cela transformé. Mais qui est donc cette entité – le « profane » –, conceptuellement saisissable mais concrètement si protéiforme ? Entre le spécialiste qui fait vœu de militance et le pur novice concerné en la matière, où et comment se situe-t-il ? C’est à ces questions que le collectif dirigé par Fromentin et Wojcik [56] tente de répondre du point de vue des sciences politiques, de la sociologie, du droit et de l’histoire mais aussi, pour certains auteurs du recueil, en tant qu’acteurs de terrain témoins directs du phénomène.
65 Résister en politique, résister en philosophie [22] est un essai ambitieux. Il vise à fonder non pas une nouvelle philosophie pratique, mais ce que l’auteure – Marie-Claire Caloz-Tschopp – appelle une « praxis de la philosophie de la puissance d’être en devenir » (Spinoza, Deleuze). C’est-à-dire qu’il se destine à favoriser la transformation de notre rapport au monde en renouant les liens rompus entre l’esprit politique, jusqu’alors baigné de « passions tristes » (Spinoza), et l’esprit philosophique, toujours figé dans sa torpeur face à l’histoire. Il se propose ainsi de rendre l’un et l’autre efficients à travers une attitude de résistance à la fois active, imaginative et réflexive. Pour ce faire, un trio de philosophes contemporains est convoqué : Hannah Arendt, Cornelius Castoriadis et Rada Ivekovic (philosophe féministe et indianiste yougoslave), tous trois penseurs de l’exil, engagés dans une compréhension critique des grands systèmes politiques tels que le totalitarisme, le marxisme révolutionnaire, la démocratie, le colonialisme, l’apartheid mondialisé et le nationalisme. Déroulant le fil conducteur de la pensée de Spinoza, l’auteur convoque également des références à d’autres auteurs comme Étienne Balibar, Jacques Rancière, Jacques Derrida, Michel Foucault, Marx.
66 La revue Cités consacre son numéro 35 [145] au « Nouveau prolétariat », en incluant un article inédit de Robert Castel sur « La citoyenneté sociale menacée ». Aux yeux de son auteur, cette forme de citoyenneté – se caractérisant par la possession de ressources et de droits indispensables pour assurer à l’individu une indépendance sociale – constitue l’un des piliers de la citoyenneté démocratique. Or la sortie hors du capitalisme industriel et la remise en cause de l’équilibre entre le social et l’économique, caractéristiques de notre époque, font basculer un nombre croissant d’individus en état de sous-citoyenneté sociale. Cette dissociation de la citoyenneté politique et de la citoyenneté sociale met en question la légitimité démocratique de notre société. Ce numéro de la revue Cités comporte également un article de C. Ramond développant le paradoxe de l’égalité des chances dont la fonction principale est de permettre la reconnaissance d’un accomplissement ou d’une supériorité mais qui implique, dans le même temps, la dévalorisation de la supériorité obtenue, i.e. l’impossibilité même d’une reconnaissance. Le dossier propose notamment des articles de S. Paugam, A. Caillet, S. Haber, P. Zaoui, F. Burbage, G. Le Blanc sur le prolétariat.
67 Les éditions La Découverte proposent une compilation de dix entretiens parus entre 1998 et 2008 dans la revue Mouvements [149]. À travers ces dix années, les lecteurs saisiront l’évolution de la configuration de l’univers intellectuel de gauche autour de notions restées jusque-là dans l’ombre, telles que le genre ou la reconnaissance. L’entretien réalisé avec Nancy Fraser offre une mise au point sur les notions de « politiques déviantes » (queer) et précise sa détermination de la notion de parité de participation (i.e. de la capacité de participer paritairement sans subir de discrimination). À cet entretien fait écho, huit ans plus tard, celui d’Axel Honneth. Ce dernier, à Paris, lors de l’entretien interprète la lutte contre le Contrat de première embauche (CPE) en termes de « violation des formes établies d’estime sociale et de reconnaissance » (176). Judith Butler précise sa position à l’égard des féministes matérialistes, rappelant que les catégories de femmes sont multiples ou encore que le genre n’est pas formé dans une matrice culturelle qui serait distincte de la sphère économique. Appartenant à la mouvance féministe, Christine Delphy, alors engagée dans une interprétation matérialiste et marxiste, rappelle l’innovation intellectuelle qu’elle a menée en inversant la série « sexe anatomique/division du travail/domination » afin de montrer que c’est l’oppression qui crée le genre. Elle assume un constructivisme social qui affirme la primauté des rapports sociaux, y compris dans le traitement des questions liées au genre. John W. Scott encore évoque les évolutions de la gender history.
ESSAIS DE PHILOSOPHIE POLITIQUE
68 Ouvrage dédié à la reconstruction d’un imaginaire anarchiste, Nourritures anarchistes de René Schérer [125] peut également être envisagé comme un « livre anarchiste », de par la grande liberté de la démarche de l’auteur, vagabonde et sinueuse, mais aussi par les deux motifs qui en sous-tendent la composition : d’une part, la rencontre d’individus uniques et de leurs œuvres émancipatrices (de Fourier, dont un « menu » fournit l’idée du festin textuel de ces « nourritures », à Deleuze et à sa vision du désir producteur), et de l’autre le rapport fondateur du « voyou » à la loi. Sous le titre tocquevillien De la démocratie en Europe, l’ouvrage de Jacques Steiwer [132] engage une réflexion personnelle inspirée des philosophes modernes et des sociologues contemporains autour des blocages structurels et conjoncturels de la démocratie sur le vieux continent, tant au sein des États-nations que dans l’aire de l’Union, réflexion qui s’achève par un plaidoyer en faveur de l’esprit d’utopie.
69 D’un ton tout aussi personnel, Idéologies, religions et libertés individuelles de Bruno Munier [107] se présente comme un bilan critique des grandes idéologies anciennes et modernes (d’origine philosophique aussi bien que religieuse), destiné à évaluer leur potentiel d’émancipation réel des individus ainsi qu’à examiner les garanties qu’elles accordent à la pluralité sociale et morale, et se clôt par une mise en garde à l’égard du sectarisme et de l’enfermement communautaire, estimés typiques des doctrines aspirant à une forme d’absolu. D’une tonalité presque littéraire, la recherche par Michel Vanni de la détermination d’une « approche responsive » du politique [139] s’inscrit dans un champ d’étude phénoménologique du politique ouvert par Bernhard Waldenfels. L’interprétation proposée des tentatives de Jean-Luc Nancy, de Jacques Rancière, de Jacques Derrida et d’Alain Badiou fournit des éléments en vue de la constitution d’un « sujet répondant » : ce dernier se révèle dans sa possibilité d’assumer le vivre ensemble en regard d’une fidélité à l’événement par elle-même créatrice de communauté.
70 Éric Desmons [44] réfléchit sur la nature et sur les expressions de la citoyenneté aujourd’hui, à partir de l’inflation sémantique du vocabulaire « citoyen » dans les sphères médiatique et institutionnelle, et propose un parcours stimulant sur les relations complexes entretenues par le citoyen et le marché, dans des sociétés à la fois dominées par le paradigme contractuel et obsédées par la solidarité. La Politique de l’oxymore de Bertrand Méheust [102] ne traite pas seulement de l’évolution du langage des hommes politiques multipliant ce type de figures de style faisant fusionner deux réalités contradictoires (comme « marché civilisationnel », « moralisation du capitalisme », « flexisécurité », ou encore « financiarisation durable », etc.) ; il s’interroge sur les motivations de tels recours, et les interprète comme une évolution du capitalisme technologique désireux d’intégrer le discours écologique qui lui était autrefois hostile. Les thèses du « développement durable » constituent ainsi un indice d’une transformation des thèmes écologiques en réalités intégrables au sein du marché, tandis que les sociétés occidentales, aveuglées par leur désir de confort, sont sur le point de produire des catastrophes environnementales, et que le système mondial de la production et des échanges, se trouvant saisi de vertige par la raréfaction (et sans doute la disparition prochaine) des énergies fossiles, cherche à éviter sa propre « saturation ».
71 La Forme des crises de Daniel Parrochia [111] représente une remarquable investigation de cet objet déconcertant dans un monde pourtant de mieux en mieux connu : la crise, entendue comme surgissement de l’irrégulier. Dressant un constat morphologique de ce phénomène (voir la deuxième partie : « Études de quelques types de crise »), l’ouvrage procède également d’une tentative de modélisation (la troisième partie s’intitule : « Épistémologie des modèles crisologiques »). La maîtrise des standards dont fait preuve D. Parrochia dans les différents savoirs de l’économie, de la théorie des jeux, de la stratégie et de la politique lui permet d’aborder avec un certain pouvoir de conviction sur le lecteur la perspective d’un traitement de la crise paradoxalement fondé sur la reconnaissance de l’existence – et à certains égards de la valeur – de la discontinuité dans les processus naturels et historiques. Dans tous les cas, il s’agit de réinscrire l’irrégularité dans un débat avec la rationalité, afin d’échapper aux « sirènes de l’irrationalité ».
72 Olivier Roy, spécialiste reconnu de l’Islam, consacre un essai très intéressant pour les philosophes à l’étrange phénomène contemporain du « u » (soit à ce fait social mondial, quantitativement important et très varié dans ses modalités, qui voit des individus se convertir à des religions dont ils ne possèdent pas la culture) : l’auteur émet l’hypothèse que ce phénomène procède d’une « sainte ignorance » dont il est nécessaire de comprendre les liens avec certains aspects culturels de la mondialisation (donc, au plus loin de la thèse de S. Huntington à propos du « clash des civilisations ») [123]. Ainsi se dessine la forme d’un « marché des religions » qui à la fois exacerbe leurs divergences et standardise leurs pratiques. Or, à partir d’un processus d’ « inculturation du religieux », cette offre repose sur le mythe d’un pur religieux capable de se construire en dehors des cultures traditionnelles et des théologies de référence de chaque religion – constat qui inquiète l’auteur, pour lequel « l’ignorance a de beaux jours devant elle » (275).
THÉORIES DE LA DÉMOCRATIE
73 La réflexion de Jean-Fabien Spitz sur les relations entre la responsabilité individuelle et la justice sociale [131] représente à la fois un remarquable effort théorique et une salutaire prise en compte des difficultés rencontrées aujourd’hui par la social-démocratie. Le débat entre l’égalitarisme contemporain issu de Rawls et les libertariens porte en effet sur les limites de la capacité individuelle à maîtriser les conditions de l’existence – ces derniers objectent au premier d’avoir sous-estimé la possibilité d’introduire la notion de responsabilité individuelle dans la théorie de la justice comme équité, et ont de ce fait contribué à faire subir à l’égalitarisme une crise profonde. Au cœur de son propos (chapitre III), l’auteur examine de manière très intéressante l’idée de base du « luck egalitarianism » (position défendue particulièrement par R. Arneson et par J. Roemer), qui consiste à affirmer que « la société est juste si et seulement si les situations respectives des individus les uns par rapport aux autres ne sont pas affectées par le hasard » (115), ce qui implique que des politiques volontaristes devraient intervenir dans chaque cas où les situations individuelles ne relèvent pas des conséquences de choix. Les chapitres V à VII réfutent la possibilité même de cette perspective, car, sur les plans logique et métaphysique, la distinction entre hasard et choix n’est pas pertinente en regard de la logique sociale. Reste qu’il demeure peut-être possible d’affirmer la pertinence d’une certaine forme de responsabilité en tant que critère de répartition sociale des ressources, et c’est ce à quoi s’emploie le dernier chapitre, en examinant une conception de la responsabilité en termes de normativité sociale qui se réfère aux travaux d’A. Ripstein, pour lequel il est possible d’affirmer que les personnes doivent nécessairement assumer les coûts que les conséquences de leurs actes imposent aux autres. La question de la liberté individuelle (véritable capacité d’agir en partie sur ses propres choix) est dans ce cas pensée par référence à des situations de coopération, et non à une surdétermination de la causalité individuelle.
74 Second volet de son enquête sur les mutations de la démocratie au XXIe siècle après La Contre-Démocratie (parue en 2006), Rosanvallon [121] s’emploie à analyser la perte de centralité de l’expression électorale dans nos démocraties contemporaines. Il propose une histoire et une théorie des modifications qui affectent de nos jours la légitimité. Celle-ci ne peut plus se trouver intégralement déterminée par l’expression brute des urnes mais, pour être légitimé, un pouvoir doit accepter de ne pas se dérober à une demande plus complexe de légitimation. Distinguant trois sens de la légitimité, Rosanvallon dessine le cadre conceptuel permettant d’apprécier le potentiel démocratique de nos institutions et de nos pratiques politiques. Ce faisant, il introduit une innovation conceptuelle après une stabilité de deux siècles dans la conceptualisation des institutions démocratiques. Il suggère de distinguer trois nouvelles figures de la légitimité : la « légitimité d’impartialité » (assumant l’impératif de mise à distance des intérêts particuliers), la « légitimité de réflexivité » (concernant la revendication de délibération qui s’exprime dans l’expérience démocratique aussi bien que la nécessité de constitutionnaliser le recours citoyen) et la « légitimité de proximité » (à propos de la prise en compte de la particularité). La première est liée à la mise en œuvre de la généralité négative, i.e. la mise à distance des particularités et de la partialité, comme le font les autorités indépendantes de régulation et de surveillance. Rosanvallon analyse cette forme de légitimité à travers des exemples américains (l’Interstate Commerce Commission) et français (comme la Haute Autorité de l’audiovisuel). La légitimité de réflexivité, dont les cours constitutionnelles offrent une illustration, consiste, en revanche, dans des mécanismes correcteurs et compensateurs visant à assurer la pluralisation des expressions de la souveraineté sociale. La légitimité de proximité (à propos de la prise en compte de la particularité, il faudrait même dire : à propos de sa prise en charge par l’exigence démocratique) incarne enfin les attentes sociales, très sensibles actuellement dans la conscience citoyenne, relatives aux conduites des gouvernants. Les gouvernés souhaitent en effet aujourd’hui être écoutés, pris en considération et faire valoir leur point de vue. Avec ces concepts, Rosanvallon pense pouvoir rendre intelligibles les nouvelles formes démocratiques dont nous sommes les contemporains. Ainsi reconstituée, la complexité de la légitimité invite à se représenter la situation de la démocratie comme prise dans un dilemme entre l’interaction et l’appropriation.
75 La France va-t-elle basculer dans une époque symbolisée par la disparition du scrutin universel ? Telle est la question qu’Emmanuel Todd [135] pose. Il la résout en menant une analyse alarmiste qui fait, par exemple, du président Nicolas Sarkozy, avec sa « fascination de l’argent », sa « rage » et sa « médiocrité intellectuelle », un symptôme plutôt qu’une cause d’un mal national profond ; puis à travers un recadrage socio-historique et géopolitique qui suggère par quelles voies la France s’est constituée en démocratie et par quelles autres voies elle tendrait à en sortir. Pour mettre un frein à cette tendance, E. Todd esquisse plusieurs solutions, dont en particulier celle de l’adoption au niveau européen, sinon français, de mesures foncièrement protectionnistes visant à lutter contre la paupérisation et l’aggravation des inégalités qui frappent notre pays et minent la démocratie.
76 Les Solitaires intempestifs, éditeur bisontin, publient la traduction française du livre presque classique d’Ernesto Laclau et de Chantal Mouffe, Hégémonie et stratégie socialiste, dont l’original avait paru en anglais en 1985 [84]. Dans sa préface, Étienne Balibar rappelle l’importance de cet ouvrage tout en revenant sur son contexte de composition : comment penser une démocratie radicale dans un contexte apparemment défavorable à l’action révolutionnaire classiquement représentée ? Le concept d’hégémonie tel que Gramsci l’a développé promet une intelligence renouvelée des rapports sociaux, notamment en ce qui concerne les relations entre domination d’une classe sur les autres et revendication d’autonomie de la part de minorités sociales. Conçu au moment du règne idéologique de ces formes particulières de libéralisme qu’étaient le « thatchérisme » et le « reaganisme », cet ouvrage suggère la possible reconfiguration de l’horizon théorique par l’invention d’une nouvelle allure de la démocratie radicale (voir le chapitre IV : « Hégémonie et démocratie radicale »). On retrouve la réflexion de Laclau dans une livraison plus récente : La Raison populiste, dont le point commun avec la précédente réside dans la tentative de percer à jour les effets politiques de la logique des rapports sociaux [83]. Le populisme y est appréhendé à la fois comme un processus social et psychologique réel, et comme une notion construite par la science sociale dans des conditions déterminées, sinon orientées par une certaine représentation de la philosophie politique (celle du « dénigrement des masses »). Opérant une critique de cette représentation, l’ouvrage jette certains aperçus éclairants sur les éléments constitutifs d’une notion sociale de « peuple » (éléments pensés à partir du rapport entre homogénéité du groupe et processus d’exclusion, entre émotions collectives et volonté d’un leader) ; mais un tel repérage ne contribue nullement à concevoir le peuple comme un donné social, tout au contraire : il s’agit de se représenter de quelle manière s’opèrent les logiques politiques d’unification dans les périodes de crise. Entre particularités socio-historiques et manifestation d’une revendication politique d’identité collective, « c’est dans [la] contamination de l’universalité du populus par la partialité de la plebs que réside la particularité du “peuple” comme acteur historique » (260). S’achevant par une discussion avec Zizek, Hardt-Negri et Rancière, le livre se clôt par l’évocation de la tâche de construire l’idée politique de peuple.
77 Le même thème du populisme est analysé par Chantal Delsol dans un petit livre piquant [39] qui y découvre « la figure de l’idiot » : par référence à l’individu grec ancien, l’idiotès, choisissant son intérêt particulier contre l’intérêt général, l’idiot moderne préfère son enracinement ethnique et politique à l’universel des Lumières ; une analyse du nazisme confirme ce schéma. Seulement, cet « idiot » est mû par un sentiment assez légitime de révolte contre les élites intellectuelles contemporaines, puisque les représentations de celles-ci, basées sur l’émancipation, engendrent d’un même coup la base culturelle de la législation des sociétés démocratiques et une vulgate idéologique marginalisant le bon sens populaire. Le populisme est donc, en un certain sens, le fruit du rejet par les élites de la tendance populaire à l’enracinement – ne pouvant plus espérer que le peuple évolue du particularisme à l’universalisme (ne parvenant donc plus à le considérer comme un allié politique), les élites, sous le coup d’un certain « désamour », entendent ridiculiser les effets les plus visibles de son enracinement. Le terme « populisme » serait la caractérisation péjorative produite par cette réaction hypocrite, à l’encontre de laquelle l’auteure estime qu’il est moins temps d’éduquer le peuple que de désidéologiser les élites, ou du moins « s’il est vrai que tous les humains ont besoin à la fois d’enracinement et d’émancipation, toute démocratie bien ordonnée devrait éduquer le peuple à l’émancipation et les élites à l’enracinement, portant à chacun ce qui lui manque » (211).
78 Fort éloquent quant aux difficultés rencontrées par la science politique dans la constitution de ses outils, le volume Les Nouveaux Espaces de la régulation politique [14] apporte un éclairage sur les notions d’espace politique et de politique publique telles que les entend la science politique, à partir de l’hypothèse selon laquelle les formes de la « régulation politique » ont subi des transformations touchant aussi bien la capacité d’agir sur les réalités vécues par les populations que la définition même d’un territoire.
79 Le volumineux ouvrage sur Les Budgets participatifs en Europe [128], issu d’une recherche européenne associant d’autres chercheurs que les seuls auteurs (Sintomer, Herzberg, Röcke), analyse certaines expériences de budgets participatifs, une méthodologie associant citoyens non élus à la définition ou à l’allocation de finances publiques. Les auteurs défendent une hypothèse centrale, qui peut permettre de ne voir dans ces tentatives européennes que des limites à l’exercice si on le compare aux versions latino-américaines : les budgets participatifs peuvent contribuer à dessiner une alternative à la mondialisation libérale en aidant les services publics à se moderniser, à se « relégitimer » et à s’affirmer comme outils indispensables d’une politique démocratique. Dans le glossaire, on peut s’étonner de la référence presque unique aux travaux de Loïc Blondiaux lorsqu’il s’agit de définir une des théories politiques les plus fortes et les plus discutées aujourd’hui : la démocratie délibérative. Certes une plus ample discussion avec cette théorie exigerait des précisions pour savoir comment comprendre le terme de mondialisation libérale, tel qu’il est énoncé, en sachant que cette théorie est précisément libérale.
80 La Démocratie cosmopolitique [3], au plan très clair, commence par présenter brièvement sept thèses qui s’opposent à autant de thèses répandues relatives à l’expansion de l’État de droit démocratique au plan mondial : la démocratie n’est pas seulement un ensemble de normes et de procédures, mais aussi et surtout un processus dynamique, favorisé par l’absence de tensions internationales ; la démocratie interne à chaque État favorise la paix internationale, mais pas nécessairement la justice mondiale ; une démocratie cosmopolitique n’est pas un simple prolongement de la démocratie interne, mais suppose un espace public commun dont Archibugi, comme Habermas, croit déceler l’émergence. La deuxième partie présente la structure institutionnelle de la démocratie cosmopolitique, à savoir une organisation sur différents niveaux et à différentes échelles. La troisième partie répond à des objections souvent adressées aux tenants d’une démocratie mondiale, notamment la « no demos thesis », la crainte d’un impérialisme mondial ou encore celle de la disparition de la diversité culturelle.
LIBÉRALISME
81 Les contributions du recueil Le Libéralisme au miroir du droit [5] traitent des classiques du libéralisme de Locke à Tocqueville, et mettent en lumière l’attachement du libéralisme aux droits individuels dès ces auteurs. Elles l’expliquent par le jusnaturalisme, opposé au positivisme juridique, de Locke, à la limitation individualiste du pouvoir de l’État et au caractère central de la propriété. L’unité proclamée de ce volume autour du droit rend paradoxale l’absence d’auteurs postérieurs à Tocqueville, et notamment des auteurs contemporains majeurs du libéralisme des dernières décennies, tels que Ronald Dworkin ou Joel Feinberg. On notera des contributions intéressantes sur les rôles respectifs de la croyance et de la fiction chez Hume, Bentham et Constant, par Éléonore Le Jallé et Claude Gautier.
82 Libéralisme économique et libéralisme culturel seraient les deux versions parallèles et complémentaires d’une même logique intellectuelle et historique – telle est la thèse que Jean-Claude Michéa [103] se propose de développer dans ce recueil de conférences et de textes inédits : La Double Pensée. Celle-ci caractériserait le régime mental de l’intelligentsia de gauche contemporaine, luttant sur le double front du néo-conservatisme et de l’anticapitalisme pour défendre, dans un même élan, libéralisme culturel et libéralisme économique. L’auteur explore la cohérence philosophique du libéralisme de gauche contemporain, marqué par cette dualité interne, et suggère que pour dépasser cette dernière cette intelligentsia est condamnée à se mentir à elle-même, à s’inventer des ennemis à sa mesure : les nouveaux réactionnaires.
83 La Nouvelle Raison du monde [36] apporte une contribution très utile au débat public français contemporain marqué par la critique du néo-libéralisme et de sa confusion avec le libéralisme politique qui se trouve pourtant souvent, par exemple dans l’égalitarisme de Dworkin, proche de son antipode. La thèse exposée de manière détaillée par cet ouvrage est que le néo-libéralisme n’est un retour ni au libéralisme classique, ni à la théorie économique classique, ni aux premiers temps du capitalisme. Loin de voir dans le marché un fonctionnement naturel de l’économie qui s’opposerait à toute intervention de l’État, l’ouvrage entend plutôt faire du marché une construction artificielle qui régit également le domaine du politique et du gouvernement. En cela, le néo-libéralisme n’est pas une nouvelle forme de libéralisme mais une véritable nouvelle conception économique et surtout politique.
ÉTAT ET SOCIÉTÉ
84 Éric Massat, dans un livre dont le titre – Servir et discipliner – évoque Michel Foucault, réfléchit aux relations entre le service public et les administrés dans le cadre offert par l’interprétation du droit administratif français [101]. L’auteur se montre sensible aux évolutions, au sein de l’idéologie administrative, d’une conception de l’administré à une autre, centrée sur l’usager, mais, derrière le processus de démocratisation de l’administration, il entend surtout mettre en lumière l’existence d’un véritable pouvoir disciplinaire au cœur des services publics. Toutefois les usagers, du fait que leurs relations à ces services ne sont pas univoques, sont capables de se soustraire à son emprise en œuvrant à une « discipline de soi » libératrice. Il s’agit d’un livre intéressant pour la réflexion actuelle sur les relations entre État et administration, et entre usagers de la fonction publique et citoyenneté.
85 Un monde en abîme d’André Tosel [136] peut être considéré comme un livre important pour trois raisons. D’une part, il entreprend de s’emparer d’un thème, la mondialisation, finalement peu fréquenté par la philosophie politique. À cet égard, il comprend une inspection critique des « forces en présence » de la philosophie politique actuelle qui est aussi intéressante que sans concession – en faisant par exemple la remarque inquiétante que ceux qui sont le plus favorables à la mondialisation sont également ceux qui la théorisent le moins. Un des points forts de l’ouvrage est qu’il réfléchit la mondialisation en regard des attendus de la philosophie de l’histoire des XIXe et XXe siècles, et non pas en dehors d'elle ni contre elle, à l’inverse donc d’une tendance actuelle. La mondialisation apparaissant comme « un événement philosophique », et même « le seul événement de notre actualité » (96), il convient désormais de lui assigner son sens, c’est-à-dire de statuer philosophiquement sur son compte, et c’est ce à quoi s’emploie l’ouvrage. D’autre part, il s’inscrit explicitement dans une perspective d’inspiration marxiste ; or, quoiqu’on pense de l’expérience du communisme au XXe siècle (et même, plus généralement, de la philosophie de l’histoire marxiste), un tel angle de vue dote l’analyse d’une grille d’intelligibilité des phénomènes complexes de domination (aux plans économique, politique, idéologique) que n’offrent pas les autres discours de philosophie politique. Bien entendu, ce que montre l’ouvrage de Tosel, c’est que le processus de mondialisation n’a pas supprimé la domination, mais qu’il l’a déplacée géographiquement et qu’il l’a transformée dans ses modalités ; par suite, il se livre à une intéressante tentative de questionner ce que signifie, pour un tel monde, la notion même de « pouvoir ». Enfin, il nous invite à réfléchir à la forme que peut prendre l’action politique dans un monde métamorphosé sous l’effet de la globalisation économique. Ce point représente sans doute l’enjeu le plus important du livre : tandis que les catégories de la théorie politique ont été conçues dans la perspective d’un projet, le projet des Modernes, accordant une place centrale à une entité (le sujet de droit ou le peuple) agissant dans un cadre public rationnel et unifié (l’État), comment désormais – c’est-à-dire en dehors de ce cadre instituant – concevoir aussi bien l’être en commun que l’intérêt général ? En d’autres termes, de quelle manière aujourd’hui se figurer tant la capacité de créer une collectivité sensée que le but légitime que cette dernière est susceptible d’assigner à son action ?
VIOLENCE, POUVOIR, AUTORITÉ
86 Le Règne et la gloire [1] constitue le troisième volume du projet Homo Sacer d’une généalogie du pouvoir en Occident développé par Agamben. Il prend pour objet d’étude le rapport entre le gouvernement, conçu comme administration des hommes d’après le principe d’efficacité, et le pouvoir comme instrument de croyance religieuse d’après le principe d’ostentation et de gloire. Ce faisant, Agamben s’appuie non seulement sur les textes saints, la tradition religieuse et les pratiques destinées à manifester la gloire profane comme religieuse, mais aussi sur les classiques de la philosophie politique qui ont mis en relief les racines théologiques de la politique. On regrettera cependant que la religion ne soit ici traitée que sous un angle théologique, sans que le traitement anthropologique et ethnologique du sacré soit suffisamment exploité par l’auteur.
87 Le dernier ouvrage d’Isabelle Sommier, chercheuse connue pour ses analyses de la culture politique issue de Mai 68 et sur le terrorisme, consiste en une sobre enquête sur la violence révolutionnaire [129] ; il fournit un repérage précis des mouvances variées vouées, partout dans le monde, à contester le pouvoir de l’État aussi bien que le développement de l’économie marchande par l’emploi d’une violence radicale. L’ouvrage est également intéressant sur le plan épistémologique, du fait que, en historicisant son objet, il suggère comment se sont constituées certaines difficultés dans l’appréhension de la violence révolutionnaire à partir de la réception et de la diffusion de l’esprit de Mai 1968. Au philosophe, ce petit livre fournit un moyen de réflexion quant aux rapports contemporains complexes qui se nouent entre les sociétés démocratiques, les États nationaux, l’économie en voie de globalisation et les différentes formes de violence.
88 Des remarques analogues pourraient être faites à propos du livre que Thomas Lindemann consacre à « l’apport constructiviste » dans la théorie contemporaine de la guerre [88] : l’originalité de ses analyses réside dans la volonté de théoriser les conditions des conflits en fonction du postulat développé en relations internationales à partir des rapports entre volonté de reconnaissance et identité des nations. Cet axe de recherche offre des ressources intéressantes pour envisager de manière fine la nature et les origines des conflits à partir des problématiques de la reconnaissance. L’ouvrage regroupe des études portant sur la construction du paradigme constructiviste en théorie de la guerre (première partie – voir particulièrement le fort éloquent chapitre III : « Identités, normes et guerre ») et cinq études de cas (seconde partie) dans la période contemporaine, allant des « origines symboliques de la Première Guerre mondiale » aux comportements de l’armée américaine en Irak.
89 Récemment, la souffrance a été présentée comme une tâche politique fondamentale. Elle envahit le discours théorique mais c’est pourtant dans une autre perspective que E. Renault [120] l’envisage en décrivant certes la souffrance vécue mais surtout en la constituant en objet de connaissance. En tant que souffrance sociale, elle peut faire l’objet d’une critique. C’est dans cette direction que s’engage l’auteur en proposant un examen critique des modèles théoriques (sociologiques, économiques, psychologiques, politiques) qui ont, jusqu’à présent, permis de la décrire. Ce faisant, sont mises en question la sociologie, la psychologie et la psychanalyse dans le rapport et la méthodologie qu’elles ont élaborés au contact de cet objet. La souffrance – parce qu’elle a partie liée avec la violence, la domination et l’injustice – est prise par E. Renault comme point de départ d’une critique des formes actuelles de la question sociale. E. Renault a le mérite de montrer, dans un travail remarquable, que la souffrance sociale n’est pas un faux problème, qu’elle appelle des modalités théoriques d’analyse spécifiques (chap. 5) et que la critique est là pour rendre aux individus la capacité d’agir collectivement sur leurs conditions de travail et d’existence (chap. 6).
90 Dans la perspective ouverte par A. Honneth, E. Renault et J.-P. Deranty, Patrick Coupechoux [34] interroge les causes de la souffrance en France et la « pathologie de la solitude ». La souffrance est ici convoquée comme un « opérateur d’intelligibilité » de la condition humaine et de la société. L’étude de la souffrance sert de fil conducteur pour identifier les formes contemporaines de la domination et de l’injustice dans leur spécificité historique, c’est-à-dire en relation avec les formes sociales et politiques qui aujourd’hui l’induisent.
91 Olivier Razac [119], enseignant-chercheur au Centre interdisciplinaire de recherche appliquée au champ pénitentiaire de l’ENA pénitentiaire, nous propose, dans le sillage et l’inspiration de Michel Foucault, une réflexion sur les formes contemporaines du contrôle et sur les conditions de la gouvernementalité contemporaine. Razac concentre son attention sur les mesures alternatives à l’enfermement qui prolongent la prison dans l’espace social quotidien, telles que le bracelet électronique, les peines dites substitutives et, dans un autre registre, les tests ADN, le GPS ou les émissions de téléréalité. Ces dispositifs caractérisent tous le passage d’une société moderne disciplinaire à une société de contrôle dans laquelle la violence comme outil de domination tend à s’effacer. Or ces dispositifs alternatifs ne sont, en réalité, encore que le vecteur d’une « inflation carcérale étendue au-dehors » qui ne constitue en aucun cas un moyen grâce auquel les prisons pourraient désemplir. Par les analyses qu’il propose, l’auteur contribue en effet à mettre en évidence les faux-semblants d’un discours de contrôle qui fait de la responsabilisation des sujets, mis sous contrôle, le pivot de son action et de sa justification. Il invite ces individus à entrer dans le jeu d’une contractualisation laissant supposer, de leur côté, une entière condition de majorité, là même où ne se déploie encore qu’une logique seulement plus insidieuse de la domination.
92 Christine Delphy [38] propose un recueil de contributions personnelles visant à exposer le traitement matérialiste de l’oppression, de la marginalisation mais aussi de la domination et de la normalité. Elle s’intéresse aux questions de genre, de race et de sexualité pour montrer que la division entre les groupes se construit en même temps que la hiérarchie et non avant elle. L’auteur s’applique à montrer que chaque division est exhaustive. Dans ces trois champs, sont mises en œuvre des opérations similaires de surqualification d’un ensemble de personnes et de disqualification d’autres individus. Cette altérité est le fruit d’une construction sociale, passant par des pratiques matérielles concrètes et dont font partie des pratiques idéologiques et discursives.
93 Après nous avoir alertés sur la crise globale – écologique, sociale et démocratique – qui fait déjà des ravages et sur la responsabilité qu’en ont ceux qui tendent à se constituer aujourd’hui en oligarchie mondiale (voir l’ouvrage précédent du même auteur : Comment les riches détruisent la planète, Seuil, 2007), Hervé Kempf [82] concentre à présent son attention sur des aspects plus spécifiques des causes de cette crise. Il montre, à partir d’une stigmatisation du capitalisme et de ses formes contemporaines – néo-libérale, productiviste, consumériste, individualiste –, que la seule alternative, pour vivre ensemble dans un monde pacifique, démocratique et socio-écologiquement satisfaisant, est de sortir au plus vite de ce système. S’appuyant sur des analyses socio-économiques ainsi qu’écologiques et s’inspirant de certains travaux du milieu altermondialiste, il envisage des solutions de transformation, parfois radicales – comme la relocalisation de la production – mais, selon lui, nécessaires et réalistes.
THÉORIE ET CRITIQUE SOCIALES
94 Un an après le suicide conjoint d’André Gorz et de son épouse paraît, aux éditions La Découverte, un recueil d’hommages [55] à ce penseur de la critique sociale du XXe siècle. Cet ouvrage collectif constitue également une introduction à la pensée de l’auteur à travers des contributions sur l’écologie politique – thématique cardinale chez Gorz – (Jean Zin), la place du travail et du temps choisi (Denis Clerc et Dominique Méda, Jean-Baptiste de Foucauld), la critique du capitalisme (Carlo Vercellone), l’économie distributive (Marie-Louise Duboin-Mon), le revenu d’existence (Philippe Van Parijs). Des textes inédits clôturent le recueil.
95 L’ouvrage de Jacques Généreux, Le Socialisme néomoderne ou l’avenir de la liberté [59], se donne pour objectif de contribuer substantiellement à construire les fondements théoriques d’un socialisme adapté au XXIe siècle. Sa partie négative consiste à examiner les points faibles du libéralisme, aussi bien dans sa version la plus crue, « néo-libérale », que, dans sa version libérale « de gauche ». L’auteur s’emploie à démontrer que contrairement à ce que prétendent les versions les moins cohérentes du libéralisme, l’émancipation réelle des individus ne peut provenir de la destruction des liens sociaux. La partie positive de cet ouvrage consiste à développer un nombre important d’arguments (mobilisant à leur appui des connaissances importantes dans les sciences humaines) en faveur de ce qui ressort comme la thèse centrale de l’auteur : la liberté et l’autonomie réelles des individus dépendent de la qualité des liens sociaux qui les unissent ainsi que de la valeur de leurs projets collectifs. L’ouvrage est rigoureux dans les démonstrations des idées principales à l’appui de la thèse centrale. Il impressionne également par le nombre et la maîtrise apparente des connaissances très variées mobilisées dans les sciences humaines. Il s’agit d’un ouvrage qui est le fruit d’un effort théorique important et qui devrait être stimulant pour tous ceux qui aujourd’hui veulent comprendre ou aider à construire le socialisme de demain. La seule lacune significative de l’ouvrage (mais peut-être est-elle significative uniquement pour un public académique limité) concerne l’absence de références et de réflexions concernant le libéralisme égalitariste et le libertarisme de gauche contemporains, deux théories très développées et ancrées à gauche, qui pourraient permettre à l’auteur de renforcer certains de ses arguments à l’appui de sa thèse centrale.
96 Le collectif Une société de surveillance ? [148] interroge la permanence de la protection des libertés dans une société où la mise en place de dispositifs de surveillance ne cesse de s’accroître. Il examine, sous l’angle des droits (libertés, vie privée), plusieurs des dispositions prises en France durant l’année 2008 comme le dispositif Edvige.
PHILOSOPHIE POLITIQUE ET JURIDIQUE
97 L’auteur de l’ouvrage Le Juge et le philosophe [118] examine la renaissance récente de la philosophie du droit longtemps éclipsée par la philosophie politique, en partant de l’observation selon laquelle cette renaissance s’accompagne d’une place centrale conférée au rôle du juge, qui correspond également à l’évolution de la pratique juridique. Cependant, Philippe Raynaud éclaire les débats contemporains sur le rôle du juge par des oppositions politiques classiques. C’est sous cet angle qu’il examine la controverse entre, d’une part, les partisans d’une interprétation de la Constitution et de la loi à partir de l’intention du constituant ou du législateur, et les libéraux, d’autre part, qui entendent notamment développer les droits moraux qu’ils prétendent y être contenus. C’est aussi sous cet angle que l’auteur analyse l’opposition entre une conception du rôle de l’élément démocratique comme un instrument qui permet de faire valoir les droits et une conception selon laquelle la démocratie n’est autre chose qu’une solution à l’irréductible conflit des normes et des valeurs.
98 Raoul Vaneigem [138] plaide pour centrer le traitement des crimes contre l’humanité non pas sur leurs auteurs directs mais sur ceux qui profitent d’un système économique et social tel que la promotion et la défense d’intérêts particuliers puissent susciter de pareils crimes. D’après lui, les tribunaux de compétence universelle sont certes nécessaires mais aussi insuffisants. Il n’entend pas remédier à ces crimes par un devoir de mémoire qui n’est pas tourné vers un progrès des mœurs humains et qui est trop propice aux sophismes d’une victimisation instrumentalisée au service d’intérêts communautaires. Vaneigem préconise bien plutôt une réforme du système politique et économique mondial et une éducation morale et politique de l’humanité.
ANALYSES DE LA JUSTICE
99 La plus récente des contributions de R. Castel [23] aux questions de justice sociale consiste en un véritable « traité du social » posant la question de savoir comment l’État social peut se redéployer dans un contexte où a pris fin l’ « État national social », sans que les institutions internationales aient comblé le vide, et où s’est instituée une « société des individus » marquée par des processus de « décollectivisation » qui affaiblissent les protections sociales. Castel formule alors la question du redéploiement de l’État social en termes de redéploiement du droit (droit social, droit d’être secouru). Il suggère d’interpréter ce thème majeur de la conflictualité sociale en France qu’est la « question ethnique » non pas comme un dépassement de la question sociale mais comme son renforcement. Castel interroge enfin les formes d’un nouveau compromis entre travail et marché qui exprimerait la volonté de vivre dans une formation sociale dont les membres resteraient unis par des relations de réciprocité et capables de structurer la « vie bonne ». Ce faisant, il ouvre la question du réformisme pour la société française qui aurait à se situer entre réformisme de gauche et réformisme libéral.
100 Dans cette traduction d’un ouvrage de 2001, Les Pathologies de la liberté [71], le lecteur peut découvrir comment, à la renaissance kantienne de la philosophie du droit et de la philosophie politique de ces dernières décennies, centrée sur la question de la justice et des droits, l’héritier de l’école de Francfort entend opposer une alternative fondée sur la philosophie du droit de Hegel, et plus précisément sur son intégration du droit dans l’éthicité (Sittlichkeit). La neutralité par rapport aux conceptions du bien des individus et le principe de justice présidant à la distribution des biens font place aux revendications de reconnaissance et à l’expression de la souffrance liée au refus de reconnaissance dans la communauté. La validité des institutions justes en sort relativisée et subordonnée à une conception normative de la société et aux moyens de remédier à ses pathologies. Après l’alternative habermassienne à Rawls fondée sur l’éthique de la discussion, l’école de Francfort propose avec cet ouvrage une seconde alternative que Honneth continua à développer, notamment dans son dialogue avec Nancy Fraser.
101 A. Gosseries, A. Marciano et A. Strowel [63] ont réuni douze contributions, théoriques et appliquées, sur le thème de la propriété intellectuelle (PI) – question cruciale dans des domaines comme la recherche et l’industrie pharmaceutiques, la technologie ou l’édition. Les articles sont de nature philosophique ou économique, juridique ou relevant du domaine de l’informatique. Le fil directeur du recueil concerne la question de savoir à quelles conditions la PI peut être juste. Plusieurs théories de la justice sont mises à l’épreuve de cette interrogation : le libertarisme, le conséquentialisme, la philosophie de Locke et de Rawls, la théorie de la propriété de Proudhon. D’autres auteurs préfèrent discuter cette perspective à partir d’arguments topiques comme ceux des incitations ou de l’efficacité. Dans le champ du droit, Ghosh juge que la loi sur la PI aux États-Unis gagne à être comprise comme la régulation d’une activité créatrice plutôt que comme la simple reconnaissance de droits sur un objet. La seconde partie du recueil, consacrée aux questions appliquées, offre trois contributions sur les droits de copyright et trois autres sur les brevets dont certaines essaient de trouver une issue, s’agissant des brevets sur les médicaments, à la difficile conciliation des retours sur investissements privés et des bénéfices sociaux de la recherche. Demuijnck interroge la pratique du peer-to-peer et sa légitimité à la lumière du free-riding. Falquet et Grin posent la question de savoir si les logiciels en accès libre (free/open source software) ne contribuent pas à renforcer l’hégémonie – et donc l’injustice – linguistique en faveur des native speakers concernés. Une réflexion envisageant les brevets sur le génome humain clôt l’ouvrage. Son auteur, Annabelle Lever, souligne que ces brevets ne menacent pas tant l’intégrité physique des personnes que leur santé, leur bien-être et leurs emplois.
LA JUSTICE, LA RESPONSABILITÉ ET LES DROITS
102 Jusqu’à la fin des années 1990, la réflexion de Jeanne Hersch [69] aura accompagné, dans la théorie comme dans la pratique (à l’UNESCO), le mouvement historique de la défense ou de la reconquête des droits humains fondamentaux. Ce sont justement des essais consacrés aux droits humains qui sont rassemblés et présentés par Francesco De Vecchi, dans ce recueil qui permettra de se familiariser avec une pensée ample et mesurée qui sonde avec inquiétude les rapports philosophiquement difficiles de la liberté et de la vie, ou de l’adaptation aux circonstances et de la quête d’une protection absolue.
103 À partir du point de vue plus mathématique de l’économie normative, c’est également aux problèmes de ce genre qu’est consacrée la grande collection d’essais offerte par Marc Fleurbaey [52], centrée sur le rôle du hasard et de la compensation du hasard dans l’analyse de la justice distributive, qui reflète un travail salué de par le monde pour son exceptionnelle profondeur et sa grande fécondité pour les sciences sociales. C’est, de fait, l’occasion d’un examen rigoureux de notions fondamentales telles que l’assurance, l’envie, la récompense et la responsabilité.
JUSTICE ET GENRE
104 Les éditions Flammarion remettent à la disposition du public francophone – et français réticent face aux questions féministes et à la thématique du care – un texte majeur de la seconde vague du féminisme [60]. En effet Carol Gilligan a contribué à montrer que les sentiments moraux des femmes étaient une ressource morale ignorée à partir de laquelle il était possible de renouveler la pensée morale et sociale. Néanmoins l’éthique du care ne doit pas seulement être appréhendée comme un pan de la théorie féministe. Elle concerne certes le travail social, le soin et l’attention à la personne mais également le souci de la singularité, et se différencie ainsi d’une éthique de l’impartialité trop abstraite. Gilligan montre que le langage de la justice est inapte à lui seul à saisir les préoccupations morales des personnes interrogées et attire l’attention sur le genre de considération pour autrui que l’on pourrait attendre de théories normatives qui excluraient la sensibilité du champ des actions et des conduites morales. L’éthique du care ouvre les théories de la justice, au-delà de l’allocation des biens, à l’attention aux relations humaines et à leur préservation. Elle réintègre dans le champ des activités sociales significatives des pans de l’activité humaine jusqu’alors négligés par la théorie sociale et morale, et contribue à une reconfiguration du concept de justice tenant compte de la centralité des activités et dispositions liées au care.
105 Dans la même collection est également paru l’ouvrage de Susan Moller Okin [105], conçu par son auteur comme un complément indispensable de la Théorie de la justice de Rawls (1971), dans la mesure où les théories de la justice les plus récentes ont négligé la dimension du genre et son rôle structurant dans nos sociétés. Il s’agit pour cette représentante du féminisme libéral d’introduire des exigences de justice dans la famille, considérée comme le « pivot du genre ». Okin part du constat que le mariage et la famille sont, dans nos sociétés, des institutions injustes pour suggérer que la prise en compte des droits individuels des femmes devrait conduire à la disparition des inégalités de genre. Elle en appelle, paradoxalement, à une intervention de l’État libéral dans la sphère familiale, visant à modifier les rôles traditionnels et les droits individuels pour conclure sur plusieurs mesures sociales, telles que des politiques « axées sur l’enfant », politiques dont la vocation serait de protéger à la fois la vulnérabilité des femmes et celle des enfants et qui toutes devraient pouvoir emporter notre adhésion, dans une position originelle de type rawlsien.
106 Quatorze ans après sa publication en anglais, se trouve aujourd’hui traduit en français l’ouvrage de J. Tronto, Un monde vulnérable [137]. Se distinguant radicalement de la position adoptée par Carol Gilligan, qui associe le care à une moralité qui serait spécifiquement féminine, Tronto veut introduire le care dans la sphère politique. Il s’agit bien d’inventer là un rapport nouveau au politique, à partir du care compris comme « une activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et “réparer” notre “monde”, de sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible » (13). Le care est appréhendé par l’auteur comme une manière de penser le monde – tenant compte de notre interdépendance – à partir de laquelle une transformation sociale radicale peut être envisagée. Il ne s’agit donc pas seulement pour Tronto d’imposer une évolution décisive à la pensée libérale traditionnelle – en subvertissant notamment la distinction entre morale et politique, vie privée et vie publique – mais bien de concevoir une société qui ferait place aux valeurs du care, c’est-à-dire, au-delà de la nécessaire réévaluation des pratiques liées au care et, de ce fait, de la réévaluation des contributions apportées par les exclus, les femmes et les humbles à la société, de développer des politiques inclusives, « incluantes », qui prolongeraient le projet d’intégration inauguré par les révolutions démocratiques du XVIIIe siècle. Tronto est toutefois consciente des limites des ambitions transformatrices qu’elle confère au care. Elle reconnaît ne pas offrir d’alternative complète, dans cet ouvrage, aux politiques excluantes à l’œuvre dans nos sociétés. Il s’agit néanmoins pour elle d’ouvrir une perspective à partir de laquelle les citoyens en viendront à « se soucier » de la démocratie et à pratiquer démocratiquement le care.
107 La publication de l’ouvrage de J. Butler [20], qui constitue l’un des fondements de la théorie et de la politique du queer – remettant en question les identités et proposant une analyse de l’hétérosexualité obligatoire –, a constitué un événement dans le champ des études féministes comme des recherches gaies et lesbiennes. Il est aujourd’hui disponible dans une traduction française. Le propos de l’auteur est de penser ensemble le « féminisme » et la « subversion de l’identité ». Butler conduit une mise en question de la construction du sexe en tant que binarité hiérarchique motivée par le constat de ce que la distinction sexe/ genre maintenait en place des stratégies d’exclusion et de hiérarchisation, tenant pour acquis que le sexe relevait du prédiscursif. Pourtant le sexe ne résulte pas moins que le genre d’une construction qui signifie elle-même des rapports de pouvoir. L’auteure met en œuvre des stratégies de contestation du « naturel » en vue de dénaturaliser le genre en tant que tel. Elle s’intéresse au corps comme effet des régulations sociales et des assignations normatives. L’entreprise est de part en part théorique et politique puisqu’il s’agit pour l’auteur de localiser le politique dans les pratiques mêmes de signification qui établissent et régulent l’identité, d’établir la nature politique des termes dans lesquels la question de l’identité est posée.
108 Ces réflexions théoriques trouvent une illustration pratique et politique dans le recueil de seize contributions Les Politiques du genre [49]. Ce collectif aborde la question du genre depuis la perspective des politiques publiques qu’il balaie selon deux axes : d’une part, les « tendances lourdes », i.e. les politiques publiques d’égalité, dans leur diffusion transnationale, les politiques sanitaires et de parité, le contrat de sécurité parisien, et, d’autre part, les politiques concernant le domaine privé comme l’avortement, les nouvelles techniques de procréation, l’adoption d’enfants par des couples homosexuels. L’ouvrage poursuit ainsi, au cœur des politiques publiques, les tensions inhérentes à la distinction entre genre et sexe, en tenant le genre pour un principe structurant de l’action publique et non plus seulement pour une construction sociale. Ces analyses contreviennent à l’invisibilisation des rapports sociaux de sexe et apportent des éléments de réponse à la question de savoir si l’on peut « mettre en politiques » la remise en cause des rapports sociaux de sexe dans la société.
109 Dans une perspective comparable, Pierre Muller et Réjane Sénac-Slawinski ont dirigé le collectif Genre et action publique : la frontière public-privé en questions [106] où se trouve envisagé le rôle de la définition et de la séparation des sphères du public et du privé – présente au fondement de la philosophie politique moderne – sur la discrimination et l’infériorisation persistantes de ce qui relève du privé, sur la permanence de sociétés genrées en dépit même de leurs dénégations dans le domaine. Qui gouverne les rapports genrés de sexe ? , telle est bien l’interrogation à laquelle on veut apporter ici une réponse. Les auteurs du recueil s’interrogent en particulier sur la possibilité qu’a l’action publique de modifier les frontières du public et du privé (l’ouvrage s’ouvre par une contribution sur « Les politiques publiques peuvent-elles contraindre les hommes à faire le ménage ? »), envisagent ses effets pervers sur la persistance de dichotomies et de rapports de pouvoir indésirables. Les dichotomies domestique/ non-domestique, État/société, marché du travail/travail domestique (famille), sphère politique (et partisane)/sphère non partisane sont explorées également dans les champs des normes internationales et de l’Europe, concernant la violence et les conflits. Une contribution s’attache aux critiques féministes de la dichotomie fondatrice de la philosophie politique et interroge les significations du slogan « le privé est politique ». Un aperçu est proposé sur la féminisation de la sphère politique ainsi qu’une réflexion sur la détermination de ce qui peut entrer dans la sphère du légitime en politique. L’ouvrage s’achève par une interrogation sur « l’au-delà » du genre, « l’au-delà » du public et du politique. L’approche ternaire de Castoriadis (sphère privée : oikos, sphère publique/privée : agora, sphère publique/publique : ecclesia) est notamment discutée.
110 Cette lecture peut être complétée par celle du numéro d’Informations sociales sur « Genre et pouvoir en Europe » [127], également coordonné par Réjane Sénac-Slawinski et qui offre une perspective sur le traitement et la réalité de l’égalité entre genres dans l’accès au pouvoir, en l’occurrence aux pouvoirs politiques, économiques et sociaux dans les dimensions nationales et européennes (latines, orientales et scandinaves). Ce numéro assume la transversalité du pouvoir, sur laquelle insistait déjà J. Habermas, en l’explorant dans ses aspects publics. Ce numéro apporte des données chiffrées sur la place des femmes dans les trois sphères évoquées, sur le rôle de la construction européenne dans la promotion de l’accès des femmes aux pouvoirs politiques. Il offre aussi une réflexion sur l’articulation des politiques de quotas et de parité visant à garantir la place des femmes sur la scène politique. Le numéro souligne également les difficultés d’assurer, dans le domaine économique (i.e. aux postes de direction, dans les emplois, etc.), des rapports d’équité entre les genres ainsi que dans la variété européenne des politiques de promotion ou de défense des droits des femmes dans les sphères publique et privée.
ÉDUCATION ET ÉCOLE
111 Animé par de jeunes chercheurs en science politique, le volume collectif intitulé Figures de l’État éducateur [8] se livre à une investigation pluridisciplinaire (sociologie, science politique, sciences de l’éducation, histoire, philosophie, études germaniques, italiennes et irlandaises) dans le but de dégager à nouveaux frais, à partir de l’étude de situations historiques précises (par exemple sous le régime fasciste en Italie, lors de la république de Weimar, en France à partir de la promulgation de la loi Faure de 1968, etc.), les finalités et les modalités de l’implication de l’État dans l’éducation. Cet ouvrage représente un outil très intéressant pour réfléchir philosophiquement cette question centrale.
112 Résolument d’actualité, l’ouvrage de P. Foray sur La Laïcité scolaire [53] vise à apporter une réponse aux questions posées à l’école par nos sociétés libérales et multiculturelles. Issu d’une habilitation à diriger des recherches, le texte est centré sur le thème de la laïcité, d’abord exploré dans sa dimension conceptuelle puis analysé à partir des discussions suscitées par le port du foulard islamique dans les écoles françaises. Le chapitre sur la culture commune retiendra l’attention des lecteurs, ceux sur l’éducation morale et l’éducation à la citoyenneté intéresseront tout particulièrement les philosophes. Adoptant une position minimaliste, l’auteur juge que l’école peut certes transmettre une culture commune mais que son rôle n’est pas de la produire. Toutefois Foray souligne à juste titre que l’invocation de la laïcité ne peut suffire à résoudre tous les conflits auxquels la société française est confrontée (violence, dépolitisation, etc.). L’école publique peut incontestablement contribuer à l’élaboration d’un monde commun mais elle ne peut assumer toutes les responsabilités politiques que cette tâche implique.
113 Issu d’une réflexion collective et pluridisciplinaire, La Laïcité, ce précieux concept [48] entremêle une histoire de la laïcité saisie à travers la société et les institutions de la République française et une évaluation de la situation actuelle du principe laïc dans l’enseignement (notamment en regard de la montée des communautarismes). À noter, dans ce volume, la contribution de Monique Chemillier-Gendreau intitulée « La laïcité internationale comme condition de la démocratie mondiale à venir ».
114 La Revue française d’éducation comparée [32] propose un numéro sur « Collège unique et égalité des chances. Le modèle français au miroir des autres » offrant des perspectives à la fois philosophiques, historiques et pédagogiques sur l’un des projets majeurs de réforme de l’école de la Ve République. Elle constitue un cadrage utile pour la réflexion sur la question scolaire, convoquant des références à l’histoire de l’éducation, une mise en comparaison internationale du système éducatif français et des analyses de l’évolution des politiques éducatives françaises.
115 Ce panorama sera complété par la mise en perspective de L’Élitisme républicain [9] au prisme de comparaison avec d’autres systèmes éducatifs internationaux dressée par C. Baudelot et R. Establet. Cet ouvrage contribue à poser la question de la sélection des élites en France et de la production des inégalités dans un système scolaire qui s’est pensé et institué comme républicain. Il dessine les contours d’une culture du classement et les effets contemporains d’un élitisme mis en place à la fin du XIXe siècle. Non seulement ce livre contribue à l’identification des principes généraux au fondement du système éducatif français mais il apporte des éléments empiriques de démonstration à ceux qui sont convaincus que la formation à une culture commune du plus grand nombre devrait être l’un des objectifs du système scolaire.
116 Nathalie Bulle [19] s’engage dans l’élucidation de la question de savoir pourquoi le processus de démocratisation des systèmes éducatifs occidentaux a justifié le recours toujours plus important à la pensée pédagogique moderne et a induit un discrédit de l’enseignement des disciplines, de leurs méthodes et de leurs contenus. L’auteur récuse la vision, communément partagée, suivant laquelle l’école s’est progressivement modernisée depuis un demi-siècle, passant de la formation culturelle d’une élite restreinte à l’intégration socio-économique du plus grand nombre, en montrant que la réflexion sur l’école et les réformes qui y sont associées sont dominées par des représentations de l’homme et de son développement erronées. Ce sont ces prémisses qui seraient au fondement de la dégradation de l’enseignement scolaire.
CULTURE ET ANTHROPOLOGIE PHILOSOPHIQUE
117 Qu’est-ce que l’homme ? [40], essai d’anthropologie philosophique, développe une thèse sur l’essence de l’homme aux antipodes du minimalisme assez courant de nos jours. Chantal Delsol définit l’homme par sa condition mortelle, son aspiration au salut et à l’immortalité, fonde la norme sur une « intuition universelle » et présente comme traits principaux de l’humanité la transmission entre individus dans l’espèce, la proximité et la distance entre individus, l’enracinement et l’émancipation. À travers tous ces aspects, l’image de l’homme qui apparaît est celle d’un être de tension interne, notamment entre immanence et transcendance.
118 Les Matrices culturelles sont la dernière contribution de Jean Baechler [7] à l’élaboration de sa science du genre humain. Il interroge ici la diversité des cultures à l’aune de l’unité du genre humain. L’espèce humaine ne se développant pas selon un programme génétique préétabli, elle fait la preuve de sa liberté qui ne s’actualise néanmoins que par la médiation de la culture. Pour reprendre les termes de l’auteur, « la nature humaine est une matrice naturelle de virtualités culturelles, dont les civilisations sont des actualisations » (11). Baechler esquisse deux matrices culturelles, l’une paléolithique ou primitive et l’autre néolithique ou traditionnelle, à partir desquelles il interroge le statut historique de la modernité, se demandant s’il s’agit d’une civilisation ou d’un faciès d’une civilisation de la matrice néolithique ou bien si nous avons affaire à une matrice culturelle inédite, « postnéolithique » ou « moderne ».
119 Dans la même veine, Ph. d’Iribarne [73] se donne pour tâche de construire un cadre théorique à partir duquel penser la diversité culturelle irréductible de notre monde et que l’ONU elle-même promeut (résolution 55/91 du 4 décembre 2000). L’auteur appréhende cette diversité en visant à déterminer la nature de ce qui s’oppose à la standardisation galopante, induite par la mondialisation, en particulier dans les pratiques entrepreneuriales. Il montre que, dans chaque société, ce qui relève du vivre ensemble est marqué par une opposition nette entre un péril craint entre tous et des voies de salut – passant notamment par des élaborations mythiques – qui permettraient d’échapper à ce danger.
ÉTHIQUE ET SANTÉ
120 Contribution majeure [43] pour la substance des débats bioéthiques, l’ouvrage volumineux de Ph. Descamps, Le Sacre de l’espèce humaine. Il visite certaines ambiguïtés de la bioéthique en menant une enquête autour de la notion de protection de l’espèce humaine qui s’est glissée dans le code civil. Avec les premières lois de bioéthique et la défense de l’espèce humaine, « nous avons franchi le “seuil de modernité biologique” » (124 sq.), pour reprendre l’expression de Foucault dans son Histoire de la sexualité. « Tout se passe comme si le regard du droit sur l’individu s’était déplacé en s’attachant désormais à sonder la teneur biologique du corps de la personne » (3). Indéfinie tant en droit qu’en biologie, la notion d’espèce humaine pourrait être l’objet d’un « souci éthique », selon la thèse défendue par l’auteur.
121 Ph. Descamps caractérise, pour la soumettre à la critique, ce qu’il appelle une « éthique de l’espèce humaine » (7), anti-individualiste, allant même jusqu’à déterminer « le devoir-être à partir des caractéristiques de l’être naturel telles qu’elles sont mises au jour, en creux, par la maîtrise technique du vivant » (8). Essentialiste et naturaliste, elle s’attache selon lui à certaines notions qui « ne résistent pas à l’analyse conceptuelle ». L’ouvrage sonne comme une mise en garde contre la volonté de faire « correspondre les dispositions juridiques aux “vérités biologiques” » (399). Les entités juridiques apparues dans le droit et étudiées ici risqueraient de ruiner toute idée de droit et toute notion d’humanité. Descamps propose donc une reformulation du droit de la naissance dans une ligne fichtéenne, refusant de rapporter et de réduire ce moment inaugural à un événement naturel. On peut regretter qu’un ouvrage aussi stimulant ait dû être publié hors collection.
122 Un autre ouvrage important pour la réflexion en bioéthique est Pour une philosophie du don d’organe [144]. L’auteure s’explique longuement dans son introduction sur le débat qui porte sur la manière, pour le philosophe, de faire de la bioéthique, en reconnaissant que cette discipline est relativement récente. Certains philosophes considèrent par exemple qu’elle est une partie de la philosophie morale, tandis que pour d’autres elle est une pratique pluridisciplinaire de faible intérêt pour la philosophie. Dans ce second cas, il faudra pouvoir faire face au problème de la communication entre les disciplines et à celui des choix internes à celles-ci. L’auteure défend la proposition selon laquelle la bioéthique, en tant que réelle pratique pluridisciplinaire, « participe des différentes disciplines qui la composent, et que c’est à chacune d’elles de montrer ce qu’il y a de commun entre ses objets “habituels” et ceux de la bioéthique, ainsi que de clarifier ce que son approche spécifique peut ou non apporter à la question bioéthique envisagée » (8).
123 Dans une première partie très documentée, elle met cette conception à l’épreuve de la question complexe de la greffe d’organes, suivie par une seconde, fondée sur une étude empirique. Son chapitre II.1 propose une discussion sur les rapports entre philosophie et enquête empirique. À cette occasion, et vu les incertitudes morales et scientifiques, elle défend une éthique sceptique inspirée par Montaigne (81 sq.) qui n’est pas relativiste. Une lecture bienvenue et équilibrée suite à des débats publics récents, comme les États généraux de la bioéthique, ou face à des positions souvent défendues en France, qui nie l’expertise en éthique.
124 Issue d’un travail mis en place par des Suisses, la contribution collective L’Humain et la personne [113] entend « prendre un pas d’avance sur le débat éthique qui traverse nos sociétés » (13), estimant que toute option morale repose sur une conception de l’homme. Ainsi, abordant certaines controverses actuelles, prenant un recul historique à propos du concept de personne, elle ouvre certaines perspectives et propose des repères, « commandés par une métaphysique de la personne » (14). Si le « débat informé permet de dégager une décision susceptible d’être acceptée par la grande majorité et d’être appliquée par l’autorité politique et judicaire » (9), pour reprendre la préface de l’ancien président de la Confédération helvétique qui ouvre cet ouvrage, il n’est pas sûr que l’équilibre et le pluralisme des positions aient été ici respectés.
125 Posant une pierre de l’édifice d’une philosophie politique de la pratique scientifique, Grégoire Chamayou [27] explore les ressorts de l’expérimentation médicale entre 1720 (date de l’inoculation de la petite vérole par lady Montagu) et 1905 à partir de la mise au jour d’une logique de sacrifice des plus vulnérables et de l’inéquitable allocation sociale des risques et des bénéfices de l’innovation médicale. Le propos de l’ouvrage est d’interroger le lien étroit entre la pratique scientifique moderne et l’avilissement de certaines vies (celles des condamnés à mort, des bagnards, des orphelins, des prostituées, etc., i.e. de ces groupes sociaux dévalorisés, en situation de subordination et de dépendance). Cet ouvrage remarquablement documenté s’oriente selon quatre axes de recherches : une histoire épistémologique des dispositifs expérimentaux ; une étude des modes de problématisation éthiques à travers lesquels se pose la question de la licéité des pratiques d’expérimentation humaine ; une histoire des technopolitiques (i.e. des techniques politiques) des sciences expérimentales envisagées comme des dispositifs d’acquisition du matériau humain ; enfin une analyse critique des technologies d’avilissement – matériel (marquage, privation de liberté ou de nourriture, mise sous dépendance, etc.) et symbolique – d’une certaine catégorie de sujets, ceux dont on juge qu’ils sont vils.
126 « Ce vieux compagnon », notre corps, serait devenu un « quasi-étranger », un gisement de valeur, composé d’organes et de cellules que l’on peut vendre, louer, breveter, une monnaie courante, à en croire l’essai de Bernard Edelman Ni chose, ni personne. Le corps humain en question [47]. La summa divisio, la distinction suprême du droit romain, entre la chose et la personne, pourrait disparaître. Celui qui a participé aux discussions préparatoires à la première loi de bioéthique de 1994 pense aller ici bien au-delà des questions de bioéthique, pour proposer une réflexion sur l’individualisme contemporain. On peut trouver les thématiques proposées trop limitées : entre avenir monstrueux, nihilisme ou surhumanité. Il faut espérer que les philosophes de l’avenir, « attendus » en clôture de sa conclusion, aient plus à offrir, puisque Edelman n’attend rien des États généraux de la bioéthique, occasion rêvée pour une telle publication.
127 Céline Lafontaine [85] établit une « cartographie du présent » à partir de laquelle envisager le rapport à la mort que nous avons – en tant qu’individus et en tant que société – aujourd’hui et qu’elle interprète à travers le concept de « post-mortalité ». L’auteur envisage aussi bien le traitement social contemporain de la mort que le statut des cellules humaines dans les technosciences, la lutte anti-âge, l’euthanasie ou les conséquences des plus récentes innovations technoscientifiques. Elle s’engage dans une analyse des processus de désymbolisation de la mort, amorcés après la Seconde Guerre mondiale et donnant lieu à une déconstruction de la mort comme phénomène irréversible. Elle interroge également le refoulement social contemporain de la mortalité.
128 Dans la même perspective, J.-M. Brohm [18] propose, à travers cinq essais, une étude multidimensionnelle de la mort et du rapport contemporain à celle-ci. L’auteur dresse une anthropo-thanatologie philosophique, évalue les apports des sciences sociales dans l’étude de la mort, interroge les lieux communs, les présupposés dominants d’une socio-anthropologie empirique de la mort, dénonce la dérive positiviste pragmatique de l’actuelle thanatologie et, de façon générale, la trivialisation réifiante de la mort par les préoccupations utilitaristes contemporaines. Brohm récuse deux présupposés majeurs : d’une part, le cloisonnement disciplinaire à partir duquel on aborde bien souvent ce phénomène transversal qu’est la mort, d’autre part, l’approche objectiviste (souvent quantitativiste) de celle-ci en sciences sociales. Dans cette perspective, il redonne une pertinence à l’analyse philosophique, à la « spéculation métaphysique » la concernant.
PHILOSOPHIE, SCIENCES ET TECHNOLOGIES
129 Le recueil Science and Ethics [2] propose une troisième voie plus équilibrée entre, d’une part, une dichotomie stricte entre les deux domaines – la science et l’éthique – et, d’autre part, une approche qualifiée de « sociologique », sous-estimant les vertus scientifiques : une compréhension de l’interrelation de la science, de la technologie et des valeurs en tant qu’elles sont interconnectées. Les auteurs prennent surtout en compte le dialogue des discours éthiques, politiques et religieux avec la science. En effet, les contributions sont nées de la rencontre des deux académies internationales de philosophie des sciences et des sciences religieuses, pour se pencher sur le problème des valeurs, épistémiques et éthiques, tant pour la science que pour les pratiques scientifiques, entendues comme des pratiques « finalisées à la construction d’un savoir utilisable, en considérant des interactions complexes ». Selon Agazzi, ces dernières redonnent un espace aux jugements de valeur et permettent de « dépasser critiquement » le dogme de la prétendue neutralité axiologique du savoir scientifique. Dans ce même recueil, Esponda et Viso proposent un gradualisme et un pluralisme des valeurs ainsi que diverses axiologies : formelles, objectives, systématiques, empiriques, plurielles ou encore synthétiques. Dans une autre perspective, Cordero explore l’interrelation entre le « pluralisme intérieur » propre à la configuration de la connaissance scientifique et le « pluralisme extérieur » des forces sociales exercées sur « la science », nous devrions dire les pratiques scientifiques pour garder la distinction d’Agazzi.
130 Voyage passionnant pour essayer de dégager une troisième voie pour la pensée scientifique dans Sciences de l’homme et sciences de la nature, démarcationniste entre les tentations réductionniste et relativiste. Grignon et Kordon [64] défendent une spécificité gnoséologique aux sciences, qui obéissent à des obligations particulières (gestion des hypothèses, conduite du raisonnement, constat des faits, compilation des données, réfutabilité), tout en reconnaissant une diversité épistémologique puisqu’elles se définissent par des domaines de réalité, des recours à des outillages matériels et intellectuels différents ainsi que par des approches qui sont nomothétiques et formalisées ou historiques et narratives. Ne se contentant pas d’une épistémologie uniquement théorique et sous-déterminée, cet ouvrage collectif, issu d’un séminaire (2003-2007), entre dans le détail de diverses formes de validation (épistémologie pratique), dans des disciplines aussi variées que les mathématiques, la physique, la chimie, la neurobiologie, la sociologie, la musicologie, l’épidémiologie, la médecine ou l’archéologie.
131 On peut juste regretter que le traitement de la philosophie soit sommaire puisqu’elle est souvent écartée du domaine des sciences, bien qu’une philosophe ait proposé une réflexion pertinente sur des problèmes techniques relatifs à la causalité, notamment la frustration devant le constat que l’analyse la plus forte des liens causaux demeure malgré tout l’analyse probabiliste. On pourrait ajouter que certaines philosophies se prêtent à l’exercice de la réfutabilité, critère énoncé comme caractéristique de la science dans cet ouvrage. Il trouve d’ailleurs sa place dans une rubrique intitulée « philosophie, sciences et technologies ».
132 Certaines de ces questions se trouvent aussi posées, dans une perspective derechef bien différente, dans la collection d’articles réunie par Christian Hervé et ses collaborateurs [70] autour du thème de l’incidence de la génétique sur la vie sociale et ses normes. Partant de problèmes concrets et difficiles, empruntés à des champs très variés de la médecine et de la vie sociale et politique, les auteurs de différentes spécialités s’entendent à accréditer, par un faisceau d’arguments, la thèse d’une incidence décisive de l’avènement du recours à la génétique sur les manières sociales et politiques de penser la responsabilité individuelle et donc aussi l’attitude sociale face aux actions individuelles et face à leurs conséquences. C’est alors tout un ensemble d’approches influentes de l’autonomie qui doivent être reconsidérées, si l’on veut se mesurer à certains des défis actuels les plus troublants de la gouvernance affrontée à la science.
133 En vingt-six chapitres, René Le Gal [86] traite simplement – il prétend même raconter – vingt-six questions liées à cette molécule emblématique et objet de tous les fantasmes, l’acide désoxyribonucléique (ADN). Après deux chapitres historiques, le dernier, intitulé « Le meilleur et le pire », emmène le lecteur vers des questions au cœur de l’actualité, trop souvent au goût de Le Gal. L’ouvrage prétend que l’analyse des causes sociales de l’exploitation des biotechnologies, notamment lorsqu’elles s’appliquent à l’être humain, constitue le fil rouge du texte. Si c’est le cas, autant les réponses sur les aspects biologiques peuvent convaincre, même si elles restent parfois sommaires, autant ces causes sociales sont traitées trop rapidement et de façon trop peu argumentée.
134 Bernadette Bensaude-Vincent [12] nous propose ici une archéologie du terme et du processus de « technoscience », comme changement de régime de la connaissance scientifique qui aurait intégré la logique entrepreneuriale du monde des affaires. Elle documente ce « tremblement plus général », marqué par l’effacement des distinctions entre nature et artifice, inerte et vivant, matière et esprit, homme et machine. Dans sa dernière partie, elle considère diverses options pour « civiliser les technosciences », éthiques et de l’ordre de la « gouvernance », terme vague et polysémique, « objet-frontière » capable d’inclure plus d’acteurs, notamment les citoyens. On peut regretter que le débat ouvert sur le principe de précaution reste ici très restreint et ne fasse pas appel aux grands textes européens qui le définissent ni aux savoir-faire des juges européens. Il en est de même pour les formes et les expériences d’évaluation technologique participative, trop brièvement évoquées. On aura compris à la lecture de ce livre que l’éthique de « l’objet technique comme chose inscrite dans un monde, qui interagit de multiples façons », reste encore à faire.
135 Et pourtant Ernst Kapp, dont on vient de publier les Principes d’une philosophie de la technique [79], n’avait-il pas déjà donné les moyens de développer cette éthique, lui qui inventa en 1877 l’expression de « philosophie de la technique » ? Si le philosophe hégélien reste muet sur les dimensions morales, sauf dans un dernier chapitre étonnant sur l’État comme corps, organisme en devenir, res interna de la nature humaine en train de devenir res publica et externa, il permet au moins de penser l’objet technique. Il voyait dans des outils, certes simples comme la hache ou la vis, ou, plus compliqués, comme la machine à vapeur, l’extériorisation de l’activité des corps vivants. Cette thèse de la projection se retrouve d’ailleurs déjà chez Schopenhauer ou dans un autre domaine, celui de la religion, chez l’ami intime de Kapp, Feuerbach. La connaissance de l’outil participe chez Kapp de la connaissance de soi. Chez lui, elle devient « projection d’organe » comme signification fonctionnelle et morphologique. L’introduction de Grégoire Chamayou insiste sur le deuxième temps de la projection, réflexif et rétrospectif de la conscience de soi. La philosophie de la technique vise avant tout à « montrer que la genèse et le perfectionnement des artefacts issus de la main de l’homme sont la condition première de son évolution vers la conscience de soi » (21, 47). La mise à disposition de ce texte en français est intéressante, notamment pour ceux qui connaissent les travaux de Leroi-Gourhan qui font écho aux intuitions de Kapp, sans dérivation.
ÉPISTÉMOLOGIE
136 « La compréhension désigne à la fois une capacité et un résultat, le pouvoir et son exercice, une puissance et un acte. La difficulté véritable commence en revanche lorsque nous cherchons à appréhender la nature de cette capacité que nous classons spontanément dans la catégorie des concepts psychologiques », écrit Guy Deniau [41], dont la réflexion s’inscrit dans l’herméneutique et la phénoménologie (Cognitio imaginativa. La phénoménologie herméneutique de Gadamer, Bruxelles, Ousia, 2002 ; Gadamer, Paris, Ellipses, 2004).
137 Or la compréhension ne saurait être réductible à ses causes psychologiques, ce que l’auteur illustre par un exemple tiré du Dimanche de Bouvines de G. Duby. On ne peut expliquer un événement historique – ici celui d’une bataille – par la seule volonté des hommes qui l’ont faite mais en clarifiant les facteurs sociaux, politiques, ethnographiques, etc., ayant déterminé cet événement. De même, la compréhension ne peut s’expliquer par les seules intentions et volonté de celui qui comprend.
138 Alors qu’est-ce que comprendre ? Dans un premier temps, l’auteur centre son analyse à l’aide d’une réflexion sur le langage, et ses concepts associés, tels que le sens, la signification ou le discours. « Si l’ “objet” de la compréhension est le sens, la compréhension est liée essentiellement au langage. Ce qui ne veut pas dire que toute compréhension soit langagière, mais qu’elle recèle la possibilité de verbalisation » (27-28). Ce lien entre compréhension, sens et langage est ici mis en évidence avec les contributions de Wittgenstein, Gadamer et Heidegger. Mais la compréhension d’un mot suppose que sa signification soit rapportée à la situation particulière dans laquelle ce mot se trouve prononcé, soit au contexte de son emploi. Autrement dit, la compréhension impose comme prérequis « l’unité du vouloir, du jeu de langage grâce à quoi la parole a sa prise sur la situation qu’elle articule significativement » (49), entreprise que l’auteur entend mener à bien en insistant sur deux dimensions du langage, à savoir la logique (herméneutique) et le métaphorique. D’une part, l’ « appartenance historique à un monde, à l’incorporation des structures immanentes de ce monde qui structurent en même temps le rapport (la perception, l’action) que nous entretenons avec lui » (60) interdit en effet de réduire la compréhension du langage au seul registre logique de l’énoncé et de la prédication. D’autre part, l’auteur, dans la droite ligne de Gadamer et Derrida, estime que la nature de la langue est fondamentalement métaphorique, car nous laissant voir des ressemblances entre les choses, « de nouvelles connexions qui rendent possible la venue à la parole de ce qui est à comprendre » (63).
139 Si le concept de la compréhension se trouve inextricablement lié à celui du langage, il ne s’y réduit pas. L’analyse se veut générale – mais c’est peut-être le genre qui le veut – sans tenir vraiment compte des théories psychologiques du langage. Du reste, on pourrait soupçonner l’auteur de n’avoir sollicité, dans cette analyse, le sauf-conduit qu’est la métaphore qu’afin d’expliquer ce fameux « rapport au monde » qui lui manque pourtant cruellement. Car il n’y a pas de compréhension sans la personne qui comprend, plus précisément sans son esprit, l’analyse de l’une ne pouvant, semble-t-il, se passer d’une analyse de l’autre.
140 Convoquant ontologie, métaphysique, philosophie des sciences du vivant, des sciences cognitives et des sciences sociales, philosophie politique, philosophie du langage, l’ouvrage dirigé par Pascal Ludwig et Thomas Pradeu [90] tente de faire le tour de la question de l’individualité. Il prend le parti inverse de la définition restrictive individualiste, pour la complexifier. Les auteurs tentent d’élucider les critères de l’individualité, non limitée aux êtres vivants, ses frontières et le type de réalité que constituent des individus. Plusieurs conclusions de cet ouvrage collectif indiquent « que l’élaboration de critères pertinents d’individuation est une tâche longue, toujours remise en question, dans laquelle les théories scientifiques doivent jouer un rôle crucial » (125), pour reprendre les mots de Thomas Pradeu. Très clairs, les articles restent donc prudents, aux prises avec des questions arides. On peut regretter une discussion générale en introduction ou en conclusion pour ne pas en rester à cette prudence.
141 Des auteurs aussi variés que Judith Butler, Sarah Kay ou Bernard Stiegler, avec d’autres [21], ont été sollicités par le groupe de recherches théoriques de l’université Paris-Sorbonne pour précisément interroger la notion et l’usage de théories par les lettres, la philosophie et les sciences humaines. Les auteurs de ces conférences ont choisi de ne pas attaquer la question de front mais par le détour de leurs recherches particulières. On verra donc des sujets aussi variés que l’espace musical, la non-violence, la « resémantisation du virtuel » ou encore la dramaturgie du football comme question nationale. Malgré l’originalité et un souci légitime pour la théorie, trop peu d’espace est dédié directement à la question.
ÉCOLOGIE ET ENVIRONNEMENT
142 Il n’y a pas que l’éthique qui soit embarrassée avec les défis des nouvelles technologies. Le domaine du droit de l’environnement, auquel la revue Pouvoirs [150] consacre un dossier, laisse une impression d’imprécision mais surtout de manque d’application. Pour Corinne Lepage, dont le constat est corroboré par Florence Simonetti, les lacunes de ce droit tiennent moins à l’insuffisance des textes qu’à leur inefficience ainsi qu’à l’absence de sanction juridictionnelle au niveau des accords multilatéraux de l’environnement. Face à certaines questions cruciales, comme celle du réchauffement climatique, abordée dans ce dossier hétérogène, l’inscription du principe de précaution dans la Charte de l’environnement adossée à la Constitution française, si elle est innovante, n’en demeure pas moins porteuse d’effets juridiques imprévisibles et mystérieux, selon Michel Prieur.
143 Ce petit ouvrage, La Nouvelle Écologie politique [51], ne se contente pas d’exposer, dans sa première partie, les phénomènes de rareté dus à un usage toujours plus intensif des ressources naturelles. Il entend surtout se distinguer par une proposition qui s’inscrit dans la lignée d’Amartya Sen qui voit dans l’éducation et dans des institutions démocratiques soucieuses d’égalité des chances le moyen de remédier à la pauvreté, que la rareté des ressources ne rend pas inéluctable. C’est d’un progrès démocratique et de la justice sociale, soutiennent les auteurs, que viendra la solution des menaces écologiques croissantes actuelles.
144 Paru dans la collection « Repères » sous l’index Économie, L’Empreinte écologique [16] aborde cette notion récente sous plusieurs angles. Historique, d’une part, à travers l’évolution de l’idée de « soutenabilité » environnementale. Écologique, d’autre part, dans le cadre de la confrontation de la biosphère à l’ « éconosphère ». Technique, enfin, c’est-à-dire sous l’angle de son mode de calcul… Ce cheminement conduit les auteurs à la question centrale : l’empreinte écologique rend-elle bien compte de l’impact de l’activité humaine sur son écosystème et, si oui, comment répondre aux prévisions catastrophiques qu’elle nous donne à envisager si le développement international continue tel qu’il est lancé ? Avec des encadrés clairs sur des sujets connexes (le cycle court du carbone organique et le couple photosynthèse-respiration, par exemple), des exemples et des schémas, les auteurs nous initient de manière efficace, et en quelques pages seulement, à cette question éminemment complexe.
145 La question des échelles temporelles et spatiales, telle qu’elle existe dans les systèmes écologiques et la théorie des hiérarchies, est reprise par William Cook [33] de façon pertinente pour la décision dans les domaines environnementaux, et de façon plus novatrice dans les débats bioéthiques. En effet, selon lui, ce sont des échelles, notamment temporelles, souvent implicites, qui créent nombre de conflits bioéthiques. Non seulement ces échelles comportent des dimensions normatives mais Cook nous propose une méthode pour guider la sélection et le classement des valeurs. Certes reconnaît-il, il y a encore fort à faire pour améliorer la théorie des hiérarchies.
146 La « Chronique de philosophie morale et politique » a été coordonnée par Caroline Guibet Lafaye (CMH – CNRS). Les recensions ont été réalisées respectivement par :
147 Caroline Guibet Lafaye (CMH – CNRS), pour les ouvrages : 7, 9, 11, 16, 18- 20, 22-24, 27-28, 32, 34-35, 38, 42, 45, 49-50, 53-56, 60, 63, 66, 73, 82, 85, 89, 93, 103, 105-106, 110, 119-121, 127, 135, 137, 140, 143-144, 148-149.
148 Emmanuelle Glon (Université Paris VII Dauphine), pour l’ouvrage : 41.
149 Thierry Ménissier (Université Pierre Mendès France – Grenoble II), pour les ouvrages : 6, 8, 10, 14-15, 29-31, 37, 39, 44, 46, 48, 57, 61-62, 65, 68, 72, 77, 83-84, 88, 91-92, 95, 97-102, 107-109, 111, 115, 121, 123-125, 129-134, 136, 139, 141-142, 147.
150 Jean-Christophe Merle (Université de Tours), pour les ouvrages : 1, 3, 5-6, 36, 40, 51, 71, 74-75, 116, 118, 122, 138, 146.
151 Emmanuel Picavet (Université de Franche-Comté (Besançon)), pour les ouvrages : 4, 13, 26, 52, 65, 67, 69-70, 78, 80-81, 87, 94, 96, 104, 112, 117.
152 Roberto Merrill (Université du Minho (Braga)), pour les ouvrages : 25, 59.
153 Bernard Reber (CERSES – CNRS), pour les ouvrages : 2, 12, 17, 21, 33, 43, 47, 76, 79, 86, 90, 113-114, 125, 144.