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Article de revue

L'étant sans l'être

Pages 495 à 513

Notes

  • [1]
    En entendant proprement cette question par contraste ou différence avec la question de la métaphysique, la question de l’étant en tant que tel, c’est-à-dire de l’être de l’étant : « La métaphysique ne répond nulle part à la question portant sur la vérité de l’être, parce qu’elle ne pose jamais cette question. Elle ne pose pas cette question, parce qu’elle ne pense l’être qu’autant qu’elle représente l’étant en tant qu’étant. » Qu’est-ce que la métaphysique ?, trad. R. Munier, in Questions 1, Paris, Gallimard, 1968, p. 29.
  • [2]
    La relative popularité, en France, de l’opuscule anti-heideggérien de CARNAP : Le dépassement de la métaphysique par l’analyse logique du langage (trad. fr. A. Soulez, Manifeste du Cercle de Vienne et autres écrits, Paris, PUF, 1985, pp. 155-179) a beaucoup fait pour asseoir cette interprétation.
  • [3]
    Cf. la présentation qu’en donne Frédéric NEF, Qu’est-ce que la métaphysique ?, Paris, Folio-Gallimard, 2005.
  • [4]
    Cf. respectivement, David WIGGINS, Substance and Sameness Renewed, Cambridge, Cambridge University Press, 2001; Saul KRIPKE, Naming and Necessity, Oxford, Blackwell, 1980, trad. fr. La logique des noms propres par P. JACOB & F. RECANATI, Paris, Minuit, 1982; Stephen Mumford, Dispositions, Oxford, Clarendon Press, 1998; David ARMSTRONG, Universals. An Opinionated Introduction, Boulder, Westview Press, 1989; David LEWIS, On the Plurality of Worlds, Oxford, Blackwell, 1986.
  • [5]
    Cf. par exemple, Introduction à la métaphysique [1935], trad. G. Kahn, Paris, Gallimard, 1967, p. 53 : « De la question fondamentale de la métaphysique : “Pourquoi donc y a-t-il l’étant et non pas plutôt rien ?”, nous avons fait émerger la préquestion : “Qu’en est-il de l’être ?”. »
  • [6]
    Cf. David ARMSTRONG, A World of States of Affairs, Cambridge, Cambridge University Press, 1997, p. 4.
  • [7]
    En songeant notamment au célèbre article de QUINE « On What There Is », From a Logical Point of View, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1980, pp. 1-19.
  • [8]
    Cf. la 8e partie : « Excursus into metaphysics : what there is » de « The Philosophy of Logical Atomism », in Logic and Knowledge, London, Routledge, 1956, pp. 269-281, et, notamment, p. 270, le passage sur le rasoir d’Ockham. Nous parlons de « nominalisme méthodologique » puisque, comme on le sait, Russell a non seulement admis la réalité des universaux, mais il a même fini par soutenir qu’il n’y avait d’autre réalité que celle des universaux.
  • [9]
    Issu du célèbre et fondateur article de 1908 « On Denoting », Logic and Knowledge, pp. 39-56.
  • [10]
    Dans l’introduction à son recueil Ontology, Identity and Modality (Cambridge University Press, 2001), Peter van Inwagen distingue ce qu’il nomme laconiquement une B-ontologie et une A-ontologie (pp. 2-3) pour désigner les réponses aux deux types de questionnements que nous avons successivement dégagés. Qu’il y ait une distinction réelle entre ces deux types de questionnements se trouve conforté par le fait qu’Inwagen juge dénuées de sens les considérations relevant de la B-ontologie, au contraire de celles qui relèvent de la A-ontologie.
  • [11]
    La fameuse formule « être, c’est être la valeur d’une variable liée » ne constitue évidemment pas une explicitation de ce que c’est, pour ce qui est, que d’être. Elle exprime seulement la thèse quinienne selon laquelle nos théories nous engagent ontologiquement. Elle exprime, si l’on veut, la ratio cognoscendi de l’étantité. Quine illustre assez bien l’idée évoquée en introduction selon laquelle lorsque la philosophie analytique se marie avec l’empirisme, elle devient étrangère à la métaphysique, au sens traditionnel de science de l’étant.
  • [12]
    « Orthogonale » ne veut évidemment pas dire « indépendante ». Il est en effet manifeste, si l’on anticipe un peu sur ce que nous allons établir plus loin, qu’une métaphysique systématique et conséquente liera ensemble la réponse à la question : « qu’est-ce que c’est, pour ce qui est, que d’être ? » et la question « qu’est-ce qui possède un être véritable extra mentem ou extra orationem ? ». Mais on peut avoir répondu à la seconde question, sans avoir répondu à la première, de la même manière que l’on peut dire s’il y a quelque chose derrière ce rideau sans savoir ce qu’il y a. Et, comme le montre les discussions d’Aristote dans les livres l et M de la Métaphysique, on peut avoir répondu à la première question sans disposer ipso facto d’un moyen de répondre systématiquement à la seconde.
  • [13]
    Cf. Jean-Maurice MONNOYER (dir.), La structure du monde. Renouveau de la métaphysique dans l’école australienne, Paris, Vrin, 2004.
  • [14]
    Barry SMITH, « Ontology », in L. Floridi (ed.), Blackwell Guide to the Philosophy of Computing and Information, Oxford, Blackwell, 2003, pp. 103-104.
  • [15]
    Et dont on peut prendre une vue d’ensemble en consultant le site : http ://ontology.buffalo.edu/ smith/
  • [16]
    Il ne devrait pas y avoir de place, dans l’ontologie analytique, pour un concept plus large que le concept d’étant, par exemple le concept de quelque chose ou le concept d’objet de pensée. Car, comme nous l’avons souligné, l’ontologie, au sens que nous sommes en train de définir, est orthogonale mais non indépendante de la question des expressions référentielles. La science de l’étant a pour objet ce qui doit son statut d’étant au fait d’avoir passé avec succès le test de la non-fictionnalité ou de la non-constructionnalité.
  • [17]
    Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de signature phénoménologique des différences catégoriales, que, par exemple, il n’y a pas une différence entre le mode de manifestation d’une bataille et d’un chien. Mais il semble qu’on ne peut être rendu sensible à ces différences phénoménologiques si l’on n’a pas au préalable catégorialisé différemment les régions de l’expérience concernées.
  • [18]
    Nous suivons ici l’interprétation de Jules VUILLEMIN, De la logique à la théologie. Cinq études sur Aristote, Paris, Flammarion, 1967, pp. 44-125.
  • [19]
    Le principe de vérifaction est implicitement utilisé par RUSSELL pour introduire son concept de fait dans « The Philosophy of Atomism Logic » : « Quand je parle d’un fait [...] j’entends le genre de chose qui rend une proposition vraie ou fausse » (op. cit., p. 183). Ce principe est explicité et systématiquement développé par K. MULLIGAN, P. SIMONS & B. SMITH dans « Truth-makers », Philosophy and Phenomenological Research, 44 (1984), pp. 287-321.
  • [20]
    La méthode qui sert à repérer les différences entre étants n’est pas aussi et en même temps, nous allons y revenir, la méthode pour les définir. En outre, il n’est pas exact que toutes les différences « ontologiques » soient repérées ou repérables sur une base « logique ». Pour prendre un exemple simple, auquel B. Smith a consacré une étude, la spécificité ontologique des objets sociaux ne s’annonce pas de manière « syntaxique ». Cf. B. SMITH, « Les objets sociaux », Philosophiques, 26/2,1999, pp. 315-347. Cet auteur se démarque par ailleurs du courant principal de l’ontologie analytique, représenté notamment par l’école australienne, en mettant en question l’adéquation ontologique du calcul des prédicats, qui sert aux philosophes analytiques à analyser la forme de nos pensées, et en insistant sur les vertus de la méréologie. Cf. sur ce point, « Characteristica Universalis », in K. MULLIGAN (ed.), Language, Truth and Ontology, Dordrecht, Kluwer, 1990, pp. 50-81.
  • [21]
    Le lecteur intrigué par ces applications technologiques de l’ontologie pourra tenter de calmer son étonnement en consultant les nombreuses références rassemblées sur le site : http :// www. fb10. unibremen. de/ anglistik/ langpro/ webspace/ jb/ infopages/ ontology/ ontologyroot. htm
  • [22]
    Qu’est-ce qu’une manière ou un mode ? Ce que nous venons de dire suggère à tout le moins une généalogie de cette notion. Lorsque nous avons affaire à un concept F dont l’extension forme ce que Wittgenstein a appelé une famille, plutôt qu’une classe homogène, alors les différences entre les membres de cette famille sont appréhendées comme des modes ou manières de Fiser. Sur les concepts délimitant des familles, cf. WITTGENSTEIN, Recherches philosophiques, § 66-67.
  • [23]
    À notre sens, une théorie et une histoire des transcendantaux disjonctifs sont l’une et l’autre à écrire. Ces notions forment la salle des machines de l’ontologie et l’histoire de cette dernière pourrait bien être liée aux renouvellements successifs de cette machinerie.
  • [24]
    Pour un développement plus circonstancié de ce qui suit, nous nous permettons de renvoyer à notre article « Existence et ilyance », Quaestio, vol. 3,2003, pp. 413-432.
  • [25]
    Évidemment on peut toujours proférer la phrase : « Cette personne n’existe pas. » De même que l’on peut proférer la phrase : « Avant Jean maintenant discourir ». Il faut également écarter le cas où la pensée : « Cette personne n’existe pas » serait formée en montrant le dessin d’une personne ou en faisant référence à l’objet d’un récit fictionnel.
  • [26]
    In Metaphysicam Aristotelis, IV, 1, § 540, Turin, Marietti, 1926, p. 183. Il est à noter que ce passage de Thomas d’Aquin sur les modi essendi apparaît dans le cadre d’un commentaire de G 2.
  • [27]
    Cf. par exemple Gareth EVANS, The Varieties of Reference, Oxford, Clarendon Press, 1982, pp. 343-348.
  • [28]
    En se souvenant de la distinction kantienne entre le prix et la dignité.
  • [29]
    La différence entre l’étance et l’existence explique (mais ne justifie pas !) que durant une phase importante de l’histoire de la métaphysique, de Scot à Baumgarten, le concept d’étant ait pu être défini indépendamment de la notion d’existence et s’appliquer aussi bien à l’existant qu’au possible.
  • [30]
    Wittgenstein et le Cercle de Vienne, trad. G. Granel, Mauvezin, TER, 1991, p. 38.

1Pour quelle raison la tradition philosophique issue des œuvres de Frege et de Russell n’a-t-elle accordé aucune attention sérieuse à ce que Heidegger s’est efforcé d’identifier sous le nom de « question de l’être » [1] ? Si le problème mérite d’être soulevé, c’est que l’on croit trop souvent, au sein de la tradition philosophique « continentale » voire française, que cette indifférence à la question de l’être serait à mettre au compte des tendances incurablement empiristes ou positivistes de cette tradition philosophique [2]. Or, si l’empirisme fut effectivement la ligne directrice des philosophes du Cercle de Vienne, il ne constitue en aucune façon un trait propre de la tradition analytique. Au contraire : c’est aujourd’hui au sein de cette tradition philosophique que l’on assiste à la renaissance de la métaphysique générale la plus échevelée [3] et que des concepts aussi peu empiriques que ceux de substance, d’essence, de dispositions, d’attributs universels, de possibilia, etc., se trouvent remis au goût du jour [4].

2Comment dès lors expliquer cette manière de forclusion de la question de l’être parmi ceux des philosophes analytiques qui se révèlent pourtant n’avoir aucun penchant pour l’empirisme et dont les travaux, au moins par les concepts qu’ils mettent en œuvre, semblent assumer l’héritage d’une tradition qui trouve son origine dans la question aristotélicienne visant l’étant en tant qu’étant, c’est-à-dire l’étant dans son être ? On pourrait évidemment être tenté de répondre que cette indifférence à la question de l’être vient simplement de ce que la partie de la tradition analytique qui se pique de métaphysique générale ou d’ontologie ne se confronte pas véritablement à la question de l’étant comme tel, de sorte qu’on ne saurait être étonné qu’elle soit insensible à la force d’appel de la question de l’être. Car, rappelons-le, l’identification et la formulation, par Heidegger, de la question de l’être procèdent d’une réflexion sur les limites de la question de l’étant telle qu’à ses yeux la métaphysique l’a élaborée, de sorte que si l’on méconnaît la question de l’étant, on ne peut qu’être sourd à la question de l’être [5]. Mais répondre ainsi supposerait que l’on disposât d’une interprétation autorisée de la question de l’étant et que l’on pût, sur cette base, dénoncer l’ingénuité des métaphysiciens analytiques. Or il nous semble en réalité qu’on ne peut si facilement affirmer que les investigations des métaphysiciens analytiques sont étrangères à l’« authentique » question de l’étant. Ce qu’il faut plutôt dire, nous semble-t-il, c’est que la manière dont la tradition analytique a formulé ou reformulé la question de l’être de l’étant est telle qu’elle ne laisse aucune place logique pour une hypothétique question de l’être tout court.

LES DEUX AXES DE LA MÉTAPHYSIQUE ANALYTIQUE

3Pour le montrer, nous allons tout d’abord donner un aperçu, aussi descriptif que possible, du type de considérations que l’on peut associer à la notion de « métaphysique analytique », sans nous embarrasser, pour l’instant, du sens que le mot « métaphysique » peut prendre dans ce contexte et de son rapport avec ses emplois traditionnels. Pour un visiteur étranger, l’un des traits distinctifs de la métaphysique analytique est que les auteurs qui la pratiquent ont entre eux des différends métaphysiques : par exemple, certains sont « factualistes », d’autres « chosistes » [6], certains sont partisans des attributs universels, d’autres amis des tropes, certains croient aux possibilia et d’autres n’y croient pas, etc. C’est évidemment une question importante que de savoir quelle valeur peut avoir une entreprise qui débouche sur de telles oppositions : engagent-elles par exemple des formes d’existence différentes ? Pourrait-on sacrifier sa vie à la cause des tropes ou des états de choses ? Mais le point important, pour l’instant, est ce que révèle le fait que les métaphysiciens analytiques ont entre eux des différends. S’ils ont des différends, c’est qu’ils se préoccupent de la même affaire et divergent simplement quant à la manière de la régler. Quelle est donc l’affaire propre de la métaphysique analytique ?

4On pourrait, en première approche, être tenté de répondre que l’affaire propre de la métaphysique analytique, c’est ce qu’il y a [7]. Les différends métaphysiques des philosophes analytiques sont en effet des différends sur ce qu’il y a. Par exemple, un « factualiste » soutient qu’il y a des états de choses ou des faits élémentaires, tandis qu’un « chosiste » soutient qu’il y a des choses ou des objets. Toutefois, cette manière de caractériser l’affaire propre de la métaphysique analytique est plus qu’imprécise. Car on se tromperait sans aucun doute si l’on pensait que se prononcer sur ce qu’il y a, c’est répondre à la question : « Qu’y a-t-il ? » On peut demander : « Qu’y a-t-il dans ce sac ? » et la réponse attendue sera alors la description, définie ou indéfinie, d’un type d’objet : « un lapin » ou « mon crayon ». Mais la question « Qu’y a-t-il ? » tout court ne peut être au mieux qu’une reconstruction rhétorique impressionnante de la question directrice de la métaphysique analytique. En réalité, si les réponses d’un métaphysicien analytique concernent ce qu’il y a, les questions auxquelles il répond anticipent déjà largement, sinon ses réponses, du moins celles qui lui sont ouvertes. Car en amont des réponses du métaphysicien, il y a, non pas la question énigmatique « Qu’y a-t-il ? », mais une pluralité de questions de la forme « Y a-t-il des F ? ». Se prononcer sur ce qu’il y a, c’est, à chaque fois, se prononcer sur la question de savoir s’il y a ou non des F.

5Le problème fondamental, pour l’interprète, est de comprendre la provenance et la teneur de ce genre de questions. La première chose à noter est que les questions de la forme « Y a-t-il des F ? » ne sont intelligibles que si figure, à la place de la lettre F, un type déterminé de concepts. Car une question ordinaire possédant cette forme comporte toujours également la spécification d’un lieu ou alors ce lieu est un composant inarticulé de la question. On demande par exemple « Y a-t-il des tigres à Sumatra ? » ou bien « Y a-t-il des chauves-souris ? », tandis qu’on est en train d’entrer dans une cave avec le maître des lieux. Si la question « Y a-t-il des F ? », tout court, n’est donc pas une question ordinaire, ce qui fait qu’elle n’est pas néanmoins une question énigmatique, c’est le type de concepts qui peuvent apparaître à la place de F. Ce sont des concepts qui rendent totalement hors de propos toute demande de spécification d’un lieu. Si quelqu’un demande « Y a-t-il des éléphants ? », il est légitime et même indispensable de lui demander : « Où ? », à moins que le contexte ne fasse clairement apparaître le lieu présent à l’esprit du locuteur. Mais si un métaphysicien demande « Y a–t-il des tropes ? » ou « Y a-t-il des états mentaux ? », il ne semble pas nécessaire de lui demander « Où ? ». Convenons donc de qualifier de « métaphysiques » les concepts de ce genre. Un concept F est un concept métaphysique si la question « Y a-t-il des F ? » n’appelle pas, pour recevoir une réponse, la spécification d’un lieu. Un concept métaphysique est donc un concept ubiquitaire.

6Quels concepts sont des concepts métaphysiques ? Ou, plus raisonnablement : quels concepts répondent au critère précédent dans les débats et différends des métaphysiciens analytiques ? On peut, nous semble-t-il, distinguer deux séries assez différentes de concepts de ce genre. Considérons en effet les deux séries de questions suivantes :
1. Y a-t-il des substances, des qualités, des tropes, des états de choses, des événements, des universaux ?

72. Y a-t-il des états mentaux, des dispositions, des particules élémentaires, des valeurs, des personnages de fiction, des mondes possibles ?

8Nous avons là quelques-unes des questions principales que les métaphysiciens analytiques se posent. Les concepts qui figurent dans ces deux séries de questions répondent au critère d’ubiquité d’un concept métaphysique : quand on pose une question contenant des concepts de ce type, il n’est pas nécessaire de spécifier un lieu déterminé pour qu’on puisse envisager d’y répondre. Mais il y a entre les deux séries de concepts une différence cruciale qui est la suivante. Les concepts de la première série forment des couples ou des triplets d’alternatives. On ne demande pas : « Y a-t-il des états de choses ? », tout court, mais « Y a-t-il des états de choses ou bien des choses simples ? ». De même, on demande : « Y a-t-il des substances ou bien des faisceaux de propriétés ou bien des lignes d’événements ? » De même encore on demande : « Y a-t-il des propriétés universelles ou bien y a-t-il des tropes ou bien encore n’y a-t-il que des particuliers nus ? » Un aspect important du travail d’un métaphysicien analytique consiste précisément, avant même d’apporter une réponse à ce genre de questions, à expliciter les alternatives en présence, à déterminer ce qu’il peut y avoir.

9Les concepts de la seconde série sont d’une nature différente. Outre qu’ils ne sont pas, le plus souvent, des concepts « techniques », mais des concepts d’usage ordinaire, ils ne laissent guère de place pour une alternative. Plus exactement, il y a, pour chaque concept de cette série, une seule et unique alternative que l’on peut présenter de la manière suivante : « Ou bien il y a des F, ou bien les F ne sont que des constructions logiques ou des projections intentionnelles de notre esprit. » Par exemple, ou bien il y a vraiment des particules élémentaires, ou bien les particules que mentionnent nos théories ne sont que des constructions logiques dont les briques sont constituées d’entités dont il est acquis qu’il y en a (par exemple des apparitions sensibles).

10La distinction entre ces deux types de questions qui, les unes et les autres, portent sur ce qu’il y a et qui, les unes et les autres, peuvent être rattachées à la « métaphysique analytique », nous paraît fondamentale pour notre propos. Car si on analyse chacun de ces deux types de questions, on verra que si les unes et les autres portent sur ce qu’il y a, cette expression « ce qu’il y a » dissimule, par sa fausse simplicité, deux types d’informations très différentes. Considérons d’abord le deuxième type de questions : « Y a-t-il des F ou bien les F ne sont-ils que des constructions logiques ou mentales ? » On peut avancer que si une question de ce type peut être posée, c’est a) que nos pensées, nos paroles, nos théories vraies ou tenues pour telles portent sur des F mais b) que la réalité des F, leur caractère de res existant extra intellectum, ne va pas de soi. Il est vraisemblable que le nominalisme méthodologique d’un auteur comme Russell [8] joint à son concept de construction logique [9] a beaucoup fait pour « populariser » ce type de questionnement dans la tradition analytique. Mais il serait erroné de penser que cette ligne de questionnement est propre à la tradition analytique, car, hormis la forme précise de l’alternative : réalité ou construction logique, on peut sans hésitation rattacher ce type de questionnement à celui qui ouvre les livres L et M de la Métaphysique d’Aristote : si tout le monde admet l’existence de la substance sensible corruptible, explique Aristote, la question est ouverte de savoir s’il y a une ou des substances sensibles incorruptibles et, surtout, s’il y a une ou des substances séparées du sensible. On doit évidemment faire la part de ce qui, dans ce questionnement aristotélicien, est lié au système propre d’Aristote. Mais il paraît difficile de contester l’existence, dans l’histoire de la métaphysique, à partir précisément des textes précités d’Aristote, d’un questionnement qu’on pourrait appeler le questionnement sur l’étant hyperphysique et dont les livres M et N de la Métaphysique montrent qu’il est loin de se réduire, pour Aristote lui-même, au seul problème de l’Étant suprême et premier. Nous parlons d’objets qui, s’ils sont véritablement étants, ne peuvent faire partie du monde « phénoménal » : la question de savoir s’ils existent vraiment, s’ils sont véritablement étants peut donc être ouverte. Autrement dit, ce qui ouvre cette question, c’est le fait que tout ce dont on parle avec vérité ou même avec probabilité ne peut être localisé dans ce qui se montre à nous.

11Comparons maintenant ce type de questionnement « hyperphysique », avec celui qui est impliqué par le premier type de questions que nous avons mentionnées. Admettons, pour simplifier, que les questions de ce premier type ont la forme canonique « Y a-t-il des F ou bien y a-t-il des G ? ». Il est clair que le problème n’est plus, cette fois, de savoir s’il y a ou non quelque chose de type F. Il est plutôt de savoir si ce qu’il y a est de type F ou de type G. Car quand on demande, par exemple, s’il y a des universaux ou des tropes, on ne demande pas si, outre les couleurs, les formes, les grandeurs, etc., il y a aussi soit des universaux, soit des tropes. On demande bien plutôt si toutes ces « choses » qu’il y a : les couleurs, les formes, les grandeurs, etc., sont des instances d’universaux ou bien des tropes. On ne vise donc pas à ajouter une nouvelle sorte d’étants à celles qui sont déjà admises. On vise plutôt à expliciter ce que l’on pourrait appeler, en première approche, le mode d’être de ces étants dont la réalité ou l’étantité ne fait par ailleurs nullement discussion.

12Nous allons évidemment revenir plus en détail sur l’exacte manière de comprendre la motivation de ce dernier type de questions. Mais il est au moins manifeste, pour en revenir à notre propos, que sous le nom de « métaphysique analytique » nous avons affaire à deux types de questionnements bien différents [10]. Il est vrai que les métaphysiciens analytiques se prononcent sur ce qu’il y a et il est vrai que, ce faisant, ils ont entre eux des différends sur ce qu’il y a. Mais en se prononçant sur ce qu’il y a, ils ne répondent pas toujours à un même questionnement. Quand ils se posent des questions de la forme « Y a-t-il des F ou les F ne sont-ils que des constructions ? », ce qu’ils ignorent et qui motive leurs questions, c’est si les F sont des realia ou des fantasmes linguistiques ou mentaux : l’esprit, les nombres, les possibilia sont-ils des realia ou des ficta ? Donner une réponse systématique à ce genre de questions, c’est fournir ce que Quine a appelé un « critère d’engagement ontologique ». Mais disposer d’un tel critère ne fournit aucune espèce d’information sur ce que c’est, pour quelque chose, que d’être réellement, d’avoir de l’étantité, de la Seiendheit. En revanche, on ne peut aussi aisément en dire autant des considérations qui sont appelées par des questions de la forme « Y a-t-il des F ou bien y a-t-il des G ? ». Car dans ce cas, ce que les métaphysiciens analytiques ignorent et qui motive leur question, ce n’est pas si ce dont nous parlons avec vérité existe véritablement. Ce qu’ils ignorent et qu’ils cherchent à connaître semble bien plutôt concerner quelque chose qui a trait à la manière d’être de ce que l’on sait, par ailleurs, véritablement exister, comme cet orage, cet homme, cette couleur, etc.

LES NOMS DE L’ÊTRE DE L’ÉTANT

13C’est donc sur ce dernier type de questionnement qu’il nous faut nous concentrer maintenant si nous voulons comprendre en quel sens il y a, dans la métaphysique analytique, une certaine prise en charge de la question de l’être de l’étant qui, par sa formulation, interdit de dépasser cette question en direction d’une hypothétique question de l’être tout court. Il est en effet clair que si la métaphysique analytique se bornait à rechercher un ou des critères de démarcation entre les expressions réellement référentielles et les expressions pseudo-référentielles, elle serait clairement étrangère, non pas seulement à la question de l’être, mais aussi à la question de l’étant dans son être. Pour un auteur comme Quine, s’il y a lieu de s’interroger sur ce qu’il y a, c’est au sens où l’on peut douter que tout ce à quoi nous semblons faire linguistiquement référence ait une réalité véritable extra orationem. Mais aussi bigarrée que soit la liste de ce à quoi nous devons reconnaître une réalité véritable, la question de savoir ce que c’est, pour ces diverses sortes d’étants, que d’être ne se pose tout simplement pas [11]. Le mot « ontologie » désigne, pour Quine, une liste d’étants ou de types d’étants et non pas une science qui a l’être de ces étants pour objet. Mais, comme nous venons de le voir, ces investigations portant sur la démarcation de l’ens reale et de l’ens rationis ne sont pas le dernier mot de la « métaphysique analytique ». Se demander s’il y a des états de choses ou des particuliers nus, s’il y a des universaux ou des tropes, etc., est une entreprise qui est au mieux orthogonale à celle qui vise à produire un critère de démarcation entre ens reale et ens rationis[12]. Ce qu’il nous reste toutefois à établir précisément maintenant, c’est que cette dernière ligne d’investigations peut effectivement et légitimement être tenue pour une façon de régler la question de l’étant en tant que tel. Pour cela, nous allons tout d’abord tenter de montrer qu’une investigation commandée par des questions de la forme : « Y a-t-il des F ou bien y a-t-il des G ? », où les lettres F et G sont mises pour des concepts comme ceux d’états de choses, d’universaux, de tropes, de substance, d’événements, de vers temporels, etc., peut être comprise comme une investigation visant à déterminer ce que c’est, pour ce qui a l’être, que d’être. Nous verrons ensuite à déterminer s’il s’agit là d’une formulation acceptable de la question de l’étant en tant qu’étant.

14La difficulté principale que l’on ait à surmonter pour établir le premier point vient du fait que les métaphysiciens analytiques ne décrivent pas ce qu’ils font comme une tentative d’élucidation de ce que c’est, pour ce qui a l’être, que d’être. S’ils nomment bien « ontologie » leur entreprise en faisant désigner à ce terme, non une liste d’étants, mais une science de l’étant, ils décrivent le plus souvent l’ontologie comme une recherche ayant pour but de dégager les catégories générales d’étants (Beings) et la structure du monde [13], c’est-à-dire la manière dont les étants relevant de ces diverses catégories sont reliés ensemble. Voici par exemple comment Barry Smith, l’un des principaux artisans du développement de l’ontologie analytique, décrit l’entreprise à laquelle il se livre :

15

L’ontologie, en tant que branche de la philosophie, est la science de ce qui est (the science of what is). [...] L’ontologie cherche à fournir une classification définitive et exhaustive des entités dans toutes les sphères de l’étant (a definitive and exhaustive classification of entities in all spheres of being). La classification devrait être définitive en ce sens qu’elle pourra servir à fournir une réponse à des questions comme : quelles classes d’entités sont requises pour une description et une explication de tout ce qui se passe dans l’univers ? Ou : quelles classes d’entités sont requises pour rendre compte de ce qui rend vraies toutes les vérités ? [La classification] devra être exhaustive en ce sens que tous les types d’entités devront être inclus dans la classification en comprenant également les types de relations par lesquelles les entités sont liées ensemble pour former des totalités plus larges [14].

16La description des tâches de l’ontologie que nous propose ici B. Smith est sans doute littéralement correcte : elle mentionne ce que l’on trouve effectivement dans les livres ou les articles des ontologues analytiques. Mais, on ne saurait dire que cette brève caractérisation de l’ontologie en fournisse une définition réelle, une définition qui soit en mesure de nous faire comprendre le besoin théorique dont l’ontologie analytique procède. Au vu des divers travaux d’ontologie que l’auteur a lui-même conduits [15], il est en effet manifeste qu’il n’entend pas définir, sous le nom d’ontologie, l’entreprise que nous avons précédemment associée au nom de Quine et qui consiste à lever le voile des mots en débusquant quels types d’expressions ont une réelle fonction référentielle et, par conséquent, quels types d’étants doivent être admis. Ce qui motive la tâche de l’ontologie, telle que B. Smith la décrit, n’est pas un doute concernant ce qui existe véritablement, un doute adossé à la conscience que notre langage serait de nature à produire des apparences de référence. L’ontologie, telle que B. Smith la définit et la pratique, ressemble plutôt à la zoologie ou à la botanique. Le zoologue n’a pas de doute particulier sur la réalité extramentale ou extradiscursive des animaux. En revanche, il est intrigué par la manière dont les animaux se divisent en espèces. De la même manière, selon Smith, l’ontologue ne s’interrogerait pas sur ce qu’il y a vraiment, au sens où il aurait des doutes sur le statut de certaines expressions semblant référer à des étants. L’ontologue serait plutôt intrigué par la manière dont ce qu’il y a se divise ou se répartit en diverses classes et par la manière dont ces diverses classes s’articulent les unes aux autres. L’ontologue saurait qu’il y a des différences entre étants, mais il ne saurait pas exactement lesquelles et ce sont ces différences qu’il chercherait à dégager.

17Ce qu’il y a d’énigmatique dans cette présentation de l’ontologie concerne bien évidemment le statut de ces différences propres à fonder une classification des étants. Si l’on voit immédiatement ce que peuvent être des différences entre animaux ou entre végétaux, on voit moins nettement ce que peuvent être des différences entre étants, des différences propres à déterminer une typologie des étants. D’autre part, si l’on voit nettement comment on en vient à savoir qu’il y a des différences à faire entre animaux ou entre végétaux, on voit moins nettement comment on en vient à deviner qu’il y a des différences à faire entre étants. Autrement dit, on ne saurait donner une caractérisation suffisante de l’ontologie, si l’on ne précise pas de quelle nature sont ces différences entre étants que des notions comme celles de substance, de trope, d’événement, etc., serviraient à représenter et si l’on n’indique pas comment ces différences s’annoncent à l’ontologue, comment celui-ci sait ou devine qu’il y a des différences entre les étants qu’il s’agit de fixer conceptuellement.

18La réponse à la première de ces deux questions peut prendre une forme quasi déductive. Il est en effet manifeste que si l’on ne considère les « choses » que sous le seul concept d’étant, les seules différences qui seront accessibles à ce niveau d’analyse ne pourront être que des différences prises du contenu du concept d’étant lui-même. Si l’on admet en effet que le concept d’étant est le concept suprême [16], si les différences entre étants ne dépendent d’aucun genre antérieur à celui d’étant, autrement dit si l’on entend diviser les étants en ne les considérant que comme étants, il reste alors que les différences que l’on introduira ne pourront être que des différences dans la manière pour les étants d’être des étants. Or, que peuvent être des différences dans la manière pour les étants d’être des étants, sinon des différences dans la manière pour les étants d’être ? Car qu’y a-t-il d’autre dans le concept d’étant sinon le fait qu’être un étant, c’est avoir l’être ou, plus sobrement, c’est être ? Compte tenu du sens du concept d’étant, des différences dans la manière pour les étants d’être des étants ne peuvent donc être rien d’autre que des différences dans la manière pour les étants d’être et, en conséquence, des « classes », des « types » ou des « catégories » d’étants seront simplement autant de manières différentes, pour un étant, d’être. D’où suit que si l’ontologie est bien une science des catégories d’étants, elle est, plus profondément, une science des diverses façons qu’ont les étants d’être. Il n’y a des catégories d’étants que parce qu’il y a diverses façons pour les étants d’être.

19Comment maintenant ces différences dans la façon d’être s’annoncent-elles ? Ou, si l’on préfère : comment l’ontologue a-t-il l’idée de rechercher des différences entre étants et de rechercher tel ou tel type de différences ? On peut admettre que toute science comporte un moment classificatoire. Mais, pour la plupart des sciences, c’est l’expérience perceptive du domaine en question qui impose d’y relever des différences. Par exemple, si nous avons l’idée d’élaborer une zoologie, c’est parce que nous apercevons qu’il y a diverses sortes d’animaux et nous apercevons qu’il y a diverses sortes d’animaux parce que les animaux que nous rencontrons présentent des différences d’aspects, des différences phénoménales qu’il s’agit alors de fixer « nouménalement » et de systématiser. Or il paraît plus difficile de dire que l’ontologue trouve, dans le contenu même de son expérience perceptive, une manière d’annonce des différences ontologiques entre étants [17]. Si nous rencontrons des animaux dans l’expérience, c’est parce que tout ce que nous rencontrons dans l’expérience n’est pas un animal : le concept d’animal est phénoménologiquement discriminant. Mais il paraît plus difficile de dire que tout ce que nous rencontrons dans l’expérience n’est pas étant. Ce qui est plus juste de dire, c’est que tout ce dont nous parlons ou semblons parler, tout ce que à quoi nous pensons n’est pas étant. Aussi l’annonce des différences entre étants ne peut-elle pas être, originellement au moins, phénoménologique, mais bien plutôt « logique ». Les « catégories » d’étants sont des façons pour les étants d’être et, peut-être, d’apparaître, mais la différence entre ces façons d’être s’annonce dans le logos, dans la prédication.

20Reste que ce lien entre les catégories d’étants et la prédication doit être quelque peu précisé. Selon l’antique doctrine aristotélicienne des catégories, l’annonce des différences entre étants, c’est précisément la diversité des modes de prédication comprise à la fois comme différence de force du lien prédicatif et comme différence de sens des prédicats [18]. Mais un simple regard sur les principales « catégories » sur lesquelles roulent les débats entre ontologues analytiques montre que le critère aristotélicien n’est pas pertinent ou, du moins, n’est pas exactement celui qui est suivi par les ontologues analytiques. Considérons quelques différends typiques entre ontologues analytiques : y a-t-il des choses ou des états de choses ? Y a-t-il des substances ou des événements ? Y a-t-il des tropes ou des instances d’universaux ? Ces différents couples de « catégories » ne trouvent manifestement pas leur racine dans une typologie des prédicats. Ils trouvent en réalité leur racine dans un principe qui constitue l’âme de l’ontologie analytique, et que l’on peut appeler le principe de vérifaction[19]. Ce principe pose qu’un énoncé quelconque est vrai parce qu’il y a quelque chose qui le rend vrai. Par exemple, ce qui rend vrai l’énoncé « Pierre marche » n’est pas le fait que nous tenons cet énoncé pour vrai, mais le fait que Pierre marche. Or, pour rester sur cet exemple, ce qui rend vrai l’énoncé que Pierre marche est aussi ce qui rend faux l’énoncé que Pierre est assis. Il doit donc y avoir, dans le vérifacteur de cet énoncé, quelque chose qui répond à la différence entre « courir » et « être assis ». Nos pensées, ou les énoncés qui les expriment, sont composées ou articulées. Le principe de vérifaction implique que cette composition ou articulation logique de nos pensées doit, en quelque façon, avoir son pendant dans une articulation ontologique des vérifacteurs. Or, en même temps, les composants de nos pensées n’ont pas la même « logique », ils n’ont pas le même type de comportement syntaxique. Il faut donc non seulement qu’il y ait une articulation ontologique des vérifacteurs, mais il faut aussi que les composants des vérifacteurs soient ontologiquement hétérogènes.

21C’est donc ainsi que s’annoncent les différences entre étants : nous avons l’idée qu’il doit y avoir des différences dans la manière pour les étants d’être parce que le comportement logique des expressions qui nous servent à penser aux étants est hétérogène. Il y a des roses, des couleurs, des batailles, des impressions, mais la façon qu’ont toutes ces choses d’être doit différer autant que diffère la « logique » des expressions qui nous permettent d’y penser sous peine de ne pas comprendre comment notre pensée, avec la forme et les composants qui sont les siens, pourrait être vraie. Si l’ontologie analytique a donc principalement pour objet de dégager et de relier les diverses façons qu’ont les étants d’être, la méthode principale qu’elle emploie pour repérer ces différences et qui fait son « analyticité », c’est l’analyse de la logique des expressions référentielles et prédicatives [20].

22Pourquoi maintenant se livrer à une telle entreprise ? Nous laisserons de côté le rôle que l’ontologie analytique peut avoir dans la fondation et le contrôle des « ontologies » élaborées pour fabriquer des machines pensantes [21]. L’ontologie analytique reste, en tant que branche de la philosophie, une entreprise théorétique ou, si l’on veut, spéculative. On peut bien sûr imaginer que l’on puisse se livrer à une telle entreprise par routine académique ou encore par divertissement. Mais si l’on cherche à comprendre de quel besoin théorique une telle entreprise peut procéder, ne faut-il pas dire que la question la plus propre à formuler ce besoin, c’est précisément la question : « Qu’est-ce que c’est, pour ce qui est, que d’être ? » Ou, à tout le moins, ne faut-il pas dire que l’ontologie analytique constitue une certaine façon d’entendre cette question et, partant, d’y répondre ? Considérons la question : « Qu’est-ce que c’est, pour un joueur, que de jouer ? » Cette question peut être posée parce qu’on ignore ce que signifie le mot « jouer » que l’on vient d’entendre pour la première fois. Elle peut également être posée parce qu’on imagine qu’il y a quelque processus caché commun à tout ce à quoi nous appliquons le verbe « jouer », un peu comme lorsque quelqu’un demande « Qu’est-ce que c’est que digérer ? », non parce qu’il ne sait pas faire usage de ce mot, mais parce qu’il sait que ce à quoi il l’applique présente une face cachée (physico-chimique) qu’il peut désirer connaître. Mais cette question peut aussi être posée simplement parce que nous voyons qu’il y a beaucoup de différences entre les diverses activités auxquelles nous appliquons le verbe « jouer », de sorte qu’une compréhension complète du verbe « jouer » ne peut venir que d’une vue synoptique de ces différences et, au-delà, d’une éventuelle théorie des « manières » de jouer [22]. Autrement dit, l’étonnement théorique exprimé par une question de la forme : « Qu’est-ce que Fiser ? » peut naître, non de l’ignorance du sens ou de la méconnaissance de la chose, mais du spectacle de la différenciation du sens dans les « choses ». Si l’on revient donc à notre question visant l’être des étants, il est clair qu’on peut se demander ce que c’est, pour ce qui est, que d’être parce qu’on ignore ce que signifie le mot « être » ou parce qu’on imagine que quelque « processus » caché constitue la vraie nature de l’être. Mais on peut aussi poser cette question simplement parce que ce à quoi nous attribuons l’être présente des différences suffisamment importantes pour qu’on puisse souhaiter acquérir une vue synoptique de ces différences et, au-delà, pour qu’on puisse vouloir parvenir à une compréhension théorique des diverses « manières » d’être.

23Mais, objectera-t-on, supposons qu’il en aille bien ainsi et que l’ontologie analytique puisse effectivement procéder d’une manière d’étonnement devant la différenciation de l’être des étants : quel rapport pourrait-il bien y avoir, dans ce cas, entre la recherche de définitions différentiantes de l’être et des concepts comme ceux de substance, de tropes, d’événements, etc., dont nous avons vu qu’ils étaient les concepts sur lesquels roulaient les différends entre ontologues analytiques ? La réponse à cette question réside tout simplement dans le sens de ces différents concepts ou, si l’on veut, dans la manière dont ces différents concepts sont définis. Car il ne faut pas confondre l’annonce des différences entre modes d’être, qui est logique ou syntaxique, et l’essence de ces différences, qui, elle, est ontologique. L’étude du langage permet de repérer les différences ou certaines d’entre elles, mais pas de les connaître. Or il est vrai qu’en bonne grammaire, une réponse à la question « Qu’est-ce que c’est, pour un étant, que d’être ? » devrait être fournie par des verbes qui soient substituables au verbe « être » ou, au moins, par diverses adverbialisations du verbe « être ». Si l’on demande : « Qu’est-ce que c’est, pour un coureur, que de courir ? », la réponse devra fatalement commencer par un verbe, par exemple : « Courir, c’est aller d’un point à un autre en lançant le plus vite possible son pied droit devant son pied gauche, puis son pied gauche devant son pied droit, etc. » Si l’on demande donc : « Qu’est-ce que c’est, pour un étant, que d’être ? », la réponse semble ne pas pouvoir être : « C’est être une substance, c’est être un événement, c’est être un trope, etc. » De telles réponses génèrent un évident malaise grammatical.

24Mais, en réalité, nul ne peut comprendre des réponses ainsi formulées s’il ne sait ce que signifient ces mots de substance, d’événement, de trope, etc. Or précisément, si ces mots sont grammaticalement des noms, des substantifs, leur sens est donné par des verbes ou, au moins, par des noms de « processus » que des verbes pourraient exprimer, s’il devenait nécessaire d’en introduire. Considérons des notions comme celles d’occurrence, de persistance, d’inhérence, de survenance, de dépendance. Des verbes ne correspondent pas à tous ces noms, mais on pourrait en introduire. Or ce sont précisément ces notions qui servent à définir la différence entre une substance et un événement, entre un trope et un universel, etc. Ce sont ces notions qui font de ces « catégories » des noms de l’être de l’étant.

25Ce qu’il faut donc dire, nous semble-t-il, c’est qu’on ne voit pas le cœur de l’ontologie lorsqu’on porte son regard sur les seules catégories qui servent à fixer ou représenter les différences entre étants. Si les différences entre étants sont des différences prises du seul concept d’étant, c’est-à-dire des différences dans la manière pour les étants d’être des étants, alors le cœur de l’ontologie est constitué par ces manières de transcendantaux disjonctifs que sont les couples survenir sur/être par soi, arriver/persister, dépendre de/être indépendant, qui sont autant de modernes héritiers de notions comme esse a se/esse ab alio, esse completum/esse incompletum, esse finitum/esse infinitum, etc., et qui servent précisément à définir les diverses façons qu’ont les étants d’être [23]. Ce sont ces concepts qui donnent le sens des catégories de l’être et, par conséquent, ce sont ces concepts-là qui expriment au plus près ce que c’est, pour un étant, que d’être.

L’ÉTANCE ET L’EXISTENCE

26Venons dès lors maintenant, pour finir, au point fondamental de cette discussion, celui de la forclusion de la question de l’être par la tradition analytique. Si les analyses qui précèdent sont justes, force est de reconnaître qu’il y a bien, au sein de la « métaphysique analytique », sans que celle-ci en soit d’ailleurs toujours bien consciente, une science qui étudie l’étant dans son être ou, plus exactement, dans la différenciation de son être. La métaphysique analytique ne se contente pas de soulever prudemment le voile des mots en se demandant quelles expressions sont réellement référentielles : elle s’installe de plain-pied dans ce qui est au-delà des mots pour le saisir dans la diversité de son être. L’ontologie analytique est une science des modes d’être de l’étant, une science qui tire son « analyticité » du fait que la diversité des modes d’être de l’étant est appréhendée à partir de (mais non définie par) la diversité de la logique des expressions par lesquelles nous pensons à ces étants.

27D’où vient dès lors que ceux des philosophes analytiques qui se livrent ainsi sans retenue à cette science des modes d’être des étants, qui cherchent donc à tirer au clair ce que c’est, pour les étants, que d’être, ne soient pas plus accueillants à la question de l’être tout court ? Nous avons rappelé en introduction le lien établi par Heidegger entre la question de l’être et la question de l’être de l’étant : c’est parce que la métaphysique a posé la question de l’être de l’étant que nous pouvons, en la dépassant, poser la question de l’être tout court. Mais ce dépassement est-il logiquement possible ? Y a-t-il une réelle transition entre la question de l’être de l’étant et la question de l’être tout court ? Ce serait le cas si l’être qui est en question dans la question de l’être était le même que celui qui est enchâssé dans la question de l’être de l’étant. Or, comme nous allons tenter de le montrer pour finir, c’est précisément ce dont la métaphysique analytique peut nous amener à douter. Le mot « être » est tout simplement pris en deux sens lorsque l’on s’interroge sur l’être de l’étant et lorsqu’on oppose l’être au néant : d’un côté nous avons affaire à ce que nous allons appeler l’étance, de l’autre à l’existence.

28Nous allons tout d’abord tenter de donner une manière d’illustration intuitive de cette différence de sens du mot « être ». Considérons une personne qui nous est chère. D’après un certain nombre de philosophes analytiques, à la suite de Frege, il n’y aurait aucun sens à dire de cette personne qu’elle est ou qu’elle existe[24]. Et il n’y aurait aucun sens à le dire parce qu’il n’y aurait aucune possibilité de nier qu’elle soit [25]. Aucune pensée de la forme « Cette personne n’est pas » n’est tout simplement possible. Or une assertion de la forme « a est F » n’est informative que s’il pourrait ou aurait pu se faire que a ne soit pas F. Frege en concluait que le concept d’être, lorsqu’il signifie l’existence, devait être compris comme un concept de concepts et non comme un concept d’objets. Quand nous affirmons qu’il existe des hommes riches ou qu’il n’existe pas d’hommes volants, le concept d’existence est employé de manière légitime, parce qu’il est alors un concept de concept, un concept qui exprime le fait que l’extension du concept auquel il s’applique est ou n’est pas vide. En revanche, dans « cette personne existe », le concept d’existence serait mal employé, l’expression serait un non-sens, parce que « existe » serait prédiqué, non d’un concept, mais d’un objet individuel.

29Faut-il plier le genou devant les arrêts du logicien ? Non, car il est manifestement possible de donner un sens à l’énoncé : « Cette personne est ou existe. » Nous pouvons en effet anticiper la mort de cette personne. Nous pouvons à tout instant la voir se détacher sur le fond de sa mort à venir, de l’anéantissement à laquelle elle est promise. Il peut donc y avoir un sens à affirmer l’être de cette personne, au sens où nous affirmons son être-encore-là. Il y a un sens à dire et à penser à l’être de cette personne, parce qu’il y en a manifestement un à anticiper dans l’angoisse son anéantissement. Il y a donc un sens du mot « être » qui rend le concept correspondant prédicable des objets individuels. Ce sens est, si l’on peut dire, gagné sur le néant auxquels ils sont promis et que la pensée de leur être-encore installe en eux.

30Imaginons maintenant que pour des raisons sans doute un peu philosophiques nous considérions cette personne qui nous est chère et son ombre dessinée sur le sol. Il est vraisemblable que dans le cours de l’existence ordinaire, nous ne nous attarderons pas sur cette différence, nous n’en ferons pas un thème théorique. Nous nous bornerons, par exemple, à réagir à la perception de l’ombre de la personne qui nous est chère en nous attendant à la voir surgir à sa suite. Mais si nous voyons les choses plus théorétiquement, nous pourrons par exemple être amenés à remarquer entre la personne et son ombre une relation asymétrique : l’ombre ne surgit qu’avec la personne, tandis que celle-ci peut surgir sans être accompagnée de son ombre. Cette différence, réelle, est une différence de quoi ? La personne et son ombre diffèrent quant à quoi ou en quoi ? Il n’y a semble-t-il pas d’autre réponse sinon qu’elles diffèrent quant à leur façon d’être et même, dans ce cas, quant à « l’intensité » de leur être : l’être de l’une est un être dépendant et cet être dépendant est, selon le mot de Thomas d’Aquin [26], plus débile que l’être de l’autre.

31Mais si la personne qui nous est chère possède une façon d’être qui tranche sur celle de son ombre, elle possède donc aussi de l’être. Le problème fondamental est le suivant : cet être là est-il le même que celui auquel nous songions précédemment ? L’être d’une personne comparé à celui d’une ombre ou d’un orage est-il le même que l’être comme promesse d’anéantissement ? Si le sens d’un mot est donné par les contrastes qui lui confèrent un pouvoir discriminant ou informatif, force est de répondre que non.

32On peut, croyons-nous, généraliser cette idée en explicitant ces deux sens du mot « être » au moyen des deux concepts d’étance et d’existence. Le concept d’existence pose, nous l’avons mentionné, une difficulté particulière aux philosophes analytiques à la suite des analyses subtiles de Frege. Toutefois, outre que tous les philosophes analytiques n’admettent pas la pertinence de ces analyses [27], nous avons vu que nous pouvions donner un sens précis à la notion d’existence en contrastant, comme le fait Heidegger lui-même, l’être-existence au néant. Il y a donc, dans ce cadre, un sens à parler de l’être de cette personne et il y en a un aussi à parler de l’être de ce monde et même, sans doute, de l’être de tout ce qui est. L’être, au sens de l’existence, est, comme nous l’avons métaphoriquement suggéré, une promesse d’anéantissement et la pensée de l’être, pris en ce sens, est ce qui fait apparaître ce qu’on pourrait appeler la dignité de la présence [28].

33Considérons maintenant la série des oppositions traditionnelles suivantes : esse a se/esse ab alio; esse objective/esse subjective ; esse completum/esse incompletum ; esse finitum/esse infinitum. Les déterminants qui complètent à chaque fois le mot « être » définissent-ils des manières de n’être pas anéanti ? La question est évidemment de pure forme, car la réponse est clairement négative. Chaque déterminant de « esse » prend sens par contraste avec son parèdre et définit ce faisant ce que nous ne voyons pas comment ne pas l’appeler un mode d’être, un modus essendi. On peut évidemment spéculer sur ce que nous serions amenés à penser s’il n’y avait nulle différence ou nulle différence par nous repérable entre des modes d’être. Nous aurions sans doute matière à nous interroger sur ce qui existe véritablement, autrement dit à nous interroger sur les expressions réellement référentielles. Nous serions sans doute également en mesure de voir la dignité de la présence de ce qui est. Mais il est plus que douteux que nous ayons matière à nous interroger sur ce que c’est, pour ce qui est, que d’être. La présence du monde et de chaque chose dans le monde pourrait nous étonner, mais la manière d’être présentes des choses du monde resterait inaperçue.

34Il y a donc, pour changer légèrement de langage, une dimension de la présence des choses du monde qui n’apparaît qu’à la faveur de la différenciation de leur mode d’être présentes et c’est cette dimension que nous proposons d’appeler « étance ». Il n’y a évidemment pas d’étance sans existence, mais la pensée de l’étance n’est pas la pensée de l’existence et, au-delà, l’étance même n’est pas l’existence. Que l’étance doivent être distinguée de l’existence se prouve en ceci qu’un étant peut avoir plus ou moins d’étance, mais pas plus ou moins d’existence. La personne et son ombre existent toutes deux, mais elles n’ont pas la même densité d’étance, ni le même mode d’être [29]. Sans doute n’y a-t-il pas une radicale homonymie entre l’être-existence et l’être-étance : le concept d’être-existence peut nous amener à penser à la présence des choses et l’êtreétance apparaîtra alors comme une modalité d’être présent. Mais le fait est qu’en pensant à l’étance des choses ou à leur mode d’être présentes, on ne pense pas à leur néant. Leur être-existence n’est pas oublié, il se trouve seulement sur un autre chemin de pensée que celui qui mène à l’élaboration d’une théorie des modi essendi.

35Heidegger a prétendu que la question fondamentale de la métaphysique avait été : « Pourquoi y a-t-il de l’étant, plutôt que rien ? » Il est au moins certain qu’en bâtissant des théories visant à produire une vue synoptique des différences dans le mode d’être des étants, la métaphysique analytique ne saurait répondre à cette question, parce qu’il n’y a aucun rapport entre ces théories et cette question, parce que ces théories ne sont, en aucun sens concevable, des réponses compréhensibles à cette question. En revanche, ces théories sont des réponses compréhensibles à la question qui vise ce que c’est, pour ce qui est, que d’être. Or il paraît difficile de dire que cette dernière question n’a pas été l’une au moins des questions principales que la métaphysique traditionnelle s’est effectivement posées. Si la métaphysique analytique est sourde à la question de l’être, c’est donc tout simplement parce que cette métaphysique continue, à sa façon, le projet de bâtir une théorie synoptique des modi essendi et que ce projet n’a pas de rapport interne avec la question du non-néant.

36Est-ce à dire que la question de l’être soit dénuée de sens ? En un sens oui, dès lors que Heidegger la présente comme une question qui aurait pu ou dû se trouver dans le prolongement théorique de la question de l’étance. Mais en un autre sens non, si la mise en question de l’être ne vise pas à susciter quelques réponses, mais seulement à le faire paraître au regard. Comme l’écrit Wittgenstein,

37

Je puis sans mal me représenter ce que Heidegger veut dire par « être » et « angoisse ».
C’est une tendance chez l’homme que de venir se heurter aux limites du langage.
Pensez par exemple à l’étonnement devant le fait que quelque chose existe. Étonnement qu’on ne peut exprimer dans la forme d’une question et qui ne comporte pas non plus de réponse. Tout ce que nous aimerions dire ici ne peut être a priori que non-sens [30].

38On pourrait dire, au fond, que la véritable amphibologie, dans la doctrine de Heidegger, concerne moins le mot « être » que le mot « question » : si la question de l’étant est ou peut devenir une vraie question théorique appelant des réponses théorétiques, la « question » de l’être n’est pas plus une question que ne l’est un rayon de lumière qui fait surgir un objet de la nuit.


Date de mise en ligne : 01/12/2006

https://doi.org/10.3917/rmm.064.0495

Notes

  • [1]
    En entendant proprement cette question par contraste ou différence avec la question de la métaphysique, la question de l’étant en tant que tel, c’est-à-dire de l’être de l’étant : « La métaphysique ne répond nulle part à la question portant sur la vérité de l’être, parce qu’elle ne pose jamais cette question. Elle ne pose pas cette question, parce qu’elle ne pense l’être qu’autant qu’elle représente l’étant en tant qu’étant. » Qu’est-ce que la métaphysique ?, trad. R. Munier, in Questions 1, Paris, Gallimard, 1968, p. 29.
  • [2]
    La relative popularité, en France, de l’opuscule anti-heideggérien de CARNAP : Le dépassement de la métaphysique par l’analyse logique du langage (trad. fr. A. Soulez, Manifeste du Cercle de Vienne et autres écrits, Paris, PUF, 1985, pp. 155-179) a beaucoup fait pour asseoir cette interprétation.
  • [3]
    Cf. la présentation qu’en donne Frédéric NEF, Qu’est-ce que la métaphysique ?, Paris, Folio-Gallimard, 2005.
  • [4]
    Cf. respectivement, David WIGGINS, Substance and Sameness Renewed, Cambridge, Cambridge University Press, 2001; Saul KRIPKE, Naming and Necessity, Oxford, Blackwell, 1980, trad. fr. La logique des noms propres par P. JACOB & F. RECANATI, Paris, Minuit, 1982; Stephen Mumford, Dispositions, Oxford, Clarendon Press, 1998; David ARMSTRONG, Universals. An Opinionated Introduction, Boulder, Westview Press, 1989; David LEWIS, On the Plurality of Worlds, Oxford, Blackwell, 1986.
  • [5]
    Cf. par exemple, Introduction à la métaphysique [1935], trad. G. Kahn, Paris, Gallimard, 1967, p. 53 : « De la question fondamentale de la métaphysique : “Pourquoi donc y a-t-il l’étant et non pas plutôt rien ?”, nous avons fait émerger la préquestion : “Qu’en est-il de l’être ?”. »
  • [6]
    Cf. David ARMSTRONG, A World of States of Affairs, Cambridge, Cambridge University Press, 1997, p. 4.
  • [7]
    En songeant notamment au célèbre article de QUINE « On What There Is », From a Logical Point of View, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1980, pp. 1-19.
  • [8]
    Cf. la 8e partie : « Excursus into metaphysics : what there is » de « The Philosophy of Logical Atomism », in Logic and Knowledge, London, Routledge, 1956, pp. 269-281, et, notamment, p. 270, le passage sur le rasoir d’Ockham. Nous parlons de « nominalisme méthodologique » puisque, comme on le sait, Russell a non seulement admis la réalité des universaux, mais il a même fini par soutenir qu’il n’y avait d’autre réalité que celle des universaux.
  • [9]
    Issu du célèbre et fondateur article de 1908 « On Denoting », Logic and Knowledge, pp. 39-56.
  • [10]
    Dans l’introduction à son recueil Ontology, Identity and Modality (Cambridge University Press, 2001), Peter van Inwagen distingue ce qu’il nomme laconiquement une B-ontologie et une A-ontologie (pp. 2-3) pour désigner les réponses aux deux types de questionnements que nous avons successivement dégagés. Qu’il y ait une distinction réelle entre ces deux types de questionnements se trouve conforté par le fait qu’Inwagen juge dénuées de sens les considérations relevant de la B-ontologie, au contraire de celles qui relèvent de la A-ontologie.
  • [11]
    La fameuse formule « être, c’est être la valeur d’une variable liée » ne constitue évidemment pas une explicitation de ce que c’est, pour ce qui est, que d’être. Elle exprime seulement la thèse quinienne selon laquelle nos théories nous engagent ontologiquement. Elle exprime, si l’on veut, la ratio cognoscendi de l’étantité. Quine illustre assez bien l’idée évoquée en introduction selon laquelle lorsque la philosophie analytique se marie avec l’empirisme, elle devient étrangère à la métaphysique, au sens traditionnel de science de l’étant.
  • [12]
    « Orthogonale » ne veut évidemment pas dire « indépendante ». Il est en effet manifeste, si l’on anticipe un peu sur ce que nous allons établir plus loin, qu’une métaphysique systématique et conséquente liera ensemble la réponse à la question : « qu’est-ce que c’est, pour ce qui est, que d’être ? » et la question « qu’est-ce qui possède un être véritable extra mentem ou extra orationem ? ». Mais on peut avoir répondu à la seconde question, sans avoir répondu à la première, de la même manière que l’on peut dire s’il y a quelque chose derrière ce rideau sans savoir ce qu’il y a. Et, comme le montre les discussions d’Aristote dans les livres l et M de la Métaphysique, on peut avoir répondu à la première question sans disposer ipso facto d’un moyen de répondre systématiquement à la seconde.
  • [13]
    Cf. Jean-Maurice MONNOYER (dir.), La structure du monde. Renouveau de la métaphysique dans l’école australienne, Paris, Vrin, 2004.
  • [14]
    Barry SMITH, « Ontology », in L. Floridi (ed.), Blackwell Guide to the Philosophy of Computing and Information, Oxford, Blackwell, 2003, pp. 103-104.
  • [15]
    Et dont on peut prendre une vue d’ensemble en consultant le site : http ://ontology.buffalo.edu/ smith/
  • [16]
    Il ne devrait pas y avoir de place, dans l’ontologie analytique, pour un concept plus large que le concept d’étant, par exemple le concept de quelque chose ou le concept d’objet de pensée. Car, comme nous l’avons souligné, l’ontologie, au sens que nous sommes en train de définir, est orthogonale mais non indépendante de la question des expressions référentielles. La science de l’étant a pour objet ce qui doit son statut d’étant au fait d’avoir passé avec succès le test de la non-fictionnalité ou de la non-constructionnalité.
  • [17]
    Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de signature phénoménologique des différences catégoriales, que, par exemple, il n’y a pas une différence entre le mode de manifestation d’une bataille et d’un chien. Mais il semble qu’on ne peut être rendu sensible à ces différences phénoménologiques si l’on n’a pas au préalable catégorialisé différemment les régions de l’expérience concernées.
  • [18]
    Nous suivons ici l’interprétation de Jules VUILLEMIN, De la logique à la théologie. Cinq études sur Aristote, Paris, Flammarion, 1967, pp. 44-125.
  • [19]
    Le principe de vérifaction est implicitement utilisé par RUSSELL pour introduire son concept de fait dans « The Philosophy of Atomism Logic » : « Quand je parle d’un fait [...] j’entends le genre de chose qui rend une proposition vraie ou fausse » (op. cit., p. 183). Ce principe est explicité et systématiquement développé par K. MULLIGAN, P. SIMONS & B. SMITH dans « Truth-makers », Philosophy and Phenomenological Research, 44 (1984), pp. 287-321.
  • [20]
    La méthode qui sert à repérer les différences entre étants n’est pas aussi et en même temps, nous allons y revenir, la méthode pour les définir. En outre, il n’est pas exact que toutes les différences « ontologiques » soient repérées ou repérables sur une base « logique ». Pour prendre un exemple simple, auquel B. Smith a consacré une étude, la spécificité ontologique des objets sociaux ne s’annonce pas de manière « syntaxique ». Cf. B. SMITH, « Les objets sociaux », Philosophiques, 26/2,1999, pp. 315-347. Cet auteur se démarque par ailleurs du courant principal de l’ontologie analytique, représenté notamment par l’école australienne, en mettant en question l’adéquation ontologique du calcul des prédicats, qui sert aux philosophes analytiques à analyser la forme de nos pensées, et en insistant sur les vertus de la méréologie. Cf. sur ce point, « Characteristica Universalis », in K. MULLIGAN (ed.), Language, Truth and Ontology, Dordrecht, Kluwer, 1990, pp. 50-81.
  • [21]
    Le lecteur intrigué par ces applications technologiques de l’ontologie pourra tenter de calmer son étonnement en consultant les nombreuses références rassemblées sur le site : http :// www. fb10. unibremen. de/ anglistik/ langpro/ webspace/ jb/ infopages/ ontology/ ontologyroot. htm
  • [22]
    Qu’est-ce qu’une manière ou un mode ? Ce que nous venons de dire suggère à tout le moins une généalogie de cette notion. Lorsque nous avons affaire à un concept F dont l’extension forme ce que Wittgenstein a appelé une famille, plutôt qu’une classe homogène, alors les différences entre les membres de cette famille sont appréhendées comme des modes ou manières de Fiser. Sur les concepts délimitant des familles, cf. WITTGENSTEIN, Recherches philosophiques, § 66-67.
  • [23]
    À notre sens, une théorie et une histoire des transcendantaux disjonctifs sont l’une et l’autre à écrire. Ces notions forment la salle des machines de l’ontologie et l’histoire de cette dernière pourrait bien être liée aux renouvellements successifs de cette machinerie.
  • [24]
    Pour un développement plus circonstancié de ce qui suit, nous nous permettons de renvoyer à notre article « Existence et ilyance », Quaestio, vol. 3,2003, pp. 413-432.
  • [25]
    Évidemment on peut toujours proférer la phrase : « Cette personne n’existe pas. » De même que l’on peut proférer la phrase : « Avant Jean maintenant discourir ». Il faut également écarter le cas où la pensée : « Cette personne n’existe pas » serait formée en montrant le dessin d’une personne ou en faisant référence à l’objet d’un récit fictionnel.
  • [26]
    In Metaphysicam Aristotelis, IV, 1, § 540, Turin, Marietti, 1926, p. 183. Il est à noter que ce passage de Thomas d’Aquin sur les modi essendi apparaît dans le cadre d’un commentaire de G 2.
  • [27]
    Cf. par exemple Gareth EVANS, The Varieties of Reference, Oxford, Clarendon Press, 1982, pp. 343-348.
  • [28]
    En se souvenant de la distinction kantienne entre le prix et la dignité.
  • [29]
    La différence entre l’étance et l’existence explique (mais ne justifie pas !) que durant une phase importante de l’histoire de la métaphysique, de Scot à Baumgarten, le concept d’étant ait pu être défini indépendamment de la notion d’existence et s’appliquer aussi bien à l’existant qu’au possible.
  • [30]
    Wittgenstein et le Cercle de Vienne, trad. G. Granel, Mauvezin, TER, 1991, p. 38.

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