Notes
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[*]
Une première version de cet article a été présentée oralement lors du séminaire consacré aux Principes de la philosophie du droit organisé par Jean-François Kervégan à l’université de Paris I.
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[1]
C’est là le sens du § 82 des Principes.
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[2]
Principes de la philosophie du droit, § 94 Remarque, trad. J.-F. Kervégan, Paris, PUF, 1998, p. 176.
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[3]
Doctrine du droit, Introduction, § E, trad. A. Renaut, Paris, GF-Flammarion, 1994, p. 19.
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[4]
Sur la contradiction inhérente au libre arbitre, voir Principes, § 17 (op. cit., p. 110-111). Déjà, dans le Droit naturel, Hegel notait qu’« il n’y a rien d’absolument extérieur à la liberté ».
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[5]
Principes, § 90, op. cit., p. 173-174.
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[6]
Ibid., § 91, p. 174.
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[7]
Philosophie de l’esprit (1830), § 501, trad. B. Bourgeois, Paris, Vrin, 1988, p. 291-292.
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[8]
Principes, § 94, op. cit., p. 174.
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[9]
Nous n’ignorons pas la difficulté (peut-être irréductible) qu’il y a à présenter en termes transcendantaux un processus qui se veut de part en part dialectique.
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[10]
Fondement du droit naturel, § 14, trad. A. Renaut, Paris, PUF, coll « Quadrige », 1998, p. 155.
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[11]
Ibid. (on souligne).
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[12]
Ibid., p. 156.
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[13]
Principes, § 93, op. cit., p. 174.
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[14]
Ibid., p. 179. Jean-François Kervégan remarque à juste titre l’emploi dans ces pages du terme de « justice » (Gerechtigkeit), plutôt rare chez Hegel. Ce sera une question de savoir si l’exigence de justice se trouve tout entière résorbée dans l’« administration du droit » (Rechtspflege).
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[15]
Remarque au § 100, op. cit., p. 181.
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[16]
Ibid., p. 176. Pour montrer l’absurdité de tels jugements, la Science de la logique de l’Encyclopédie cite deux exemples : « l’esprit n’est pas un éléphant » et « un lion n’est pas une table » (§ 174, trad. B. Bourgeois, Paris, Vrin, 1970, p. 418). Il n’y a donc plus ici aucun rapport entre le sujet et le prédicat, l’universel se trouve nié dans et par le particulier. Mais loin d’être une simple erreur de jugement (comme le crime serait une simple déficience du droit abstrait), le « jugement négativement infini » est la vérité du jugement comme tel, à savoir sa finitude.
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[17]
Principes, § 97, op. cit., p. 178.
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[18]
Principes de la philosophie du droit, additif au § 97, trad. Derathé-Frick, Paris, Vrin, 1970, p. 141.
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[19]
Principes, § 103, trad. J.-F. Kervégan, op. cit., p. 184 (souligné par Hegel).
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[20]
Sur les modalités de cette transition dialectique, voir les analyses d’André STANGUENNEC dans Hegel critique de Kant, Paris, PUF, 1985, p. 206-214.
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[21]
Principes, op. cit., p. 112-113.
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[22]
En termes kantiens, on dirait que la légalité s’accomplit en moralité lorsque la subjectivité puise en elle seule le motif de son action, à savoir lorsqu’elle reconnaît l’universel comme étant elle-même.
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[23]
« Interprétation du mythe de la peine », Le Conflit des interprétations, Paris, Éd. du Seuil, 1969, p. 356. Dans ce texte, RICŒUR recherche le rationale de la peine, en amont des apories du mythe, ce pourquoi il rencontre tout naturellement Hegel dont le projet est précisément de « localiser » le droit pénal : avant la moralité et, ajouterions-nous, plus bas que l’État.
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[24]
Sur le sens et la portée de la référence à la tragédie d’Eschyle, voir le commentaire de Bernard BOURGEOIS dans Le Droit naturel de Hegel, Paris, Vrin, 1986, p. 472-476.
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[25]
Principes, § 220, op. cit., p. 289.
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[26]
Ibid.
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[27]
Il n’est évidemment pas anodin que la « société civile » reçoive, dans les Principes de la philosophie du droit, l’appellation et un certain nombre des caractéristiques du Notstaat (voir § 183). Hegel transfère à la société civile (en tant que réalité intrinsèquement juridique et sociale) ce que Fichte accordait à l’État : une fonction culturelle destinée à disparaître en s’accomplissant.
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[28]
D’où la formulation originale de la « séparation des pouvoirs » dans les Principes (« Remarque » au § 272) où le pouvoir princier se substitue au pouvoir judiciaire reconduit à la seule sphère sociale.
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[29]
Paul RICŒUR, op. cit., p. 357.
1Hegel accorde à la justice pénale une place singulière dans le développement de son système. Cette position stratégique s’explique par le caractère exemplaire de la dialectique du crime et de la peine destinée à exemplifier la supériorité de la dialectique elle-même sur tout processus mécanique de rétribution. La section des Principes de la philosophie du droit intitulée « Contrainte et crime », et dont la présente étude constitue une lecture suivie, développe le modèle du règlement juridique d’une conflictualité qui ne peut pas manquer d’apparaître au sein d’un ordre régi seulement par le droit abstrait. Il y va donc, dans ses pages, de la pertinence de la dialectique dans la résolution des conflits ainsi que, on le vérifiera, de la place qu’il convient d’accorder au droit pénal dans l’élaboration systématique de l’ordre juridique.
2La section consacrée au « déni du droit » s’inscrit dans le cadre d’une progression du droit comme « apparition » (en particulier dans les contrats) au droit comme « apparence » niée dans sa validité par une volonté particulière [1]. Dans ce cadre conceptuel, le crime se présente comme l’annulation pure et simple, voulue comme telle, du droit abstrait en tant qu’il est contemporain du droit des choses et de celui de leurs échanges. Dans les termes de la logique, on dira que le phénomène du crime exhibe l’autonomisation de l’apparence immédiate (la volonté particulière) par rapport à un être (ce que Hegel nomme ici le « droit en soi ») qui ne lui donne plus satisfaction. Ce moment de crise appelle de lui-même sa résolution dialectique : il s’agit d’exposer la raison d’être de cette apparence, c’est-à-dire de la ramener au mouvement d’apparaître du droit. L’intrusion de la volonté particulière, rebelle par nature à l’universel abstrait du droit, oblige donc à penser les modalités du rétablissement de l’ordre juridique à partir de sa perturbation elle-même.
3On le voit, la dialectique du crime et de la peine s’inscrit dans la problématique plus large du rétablissement du droit comme liberté. L’enjeu général de cette section est un enjeu de « reconnaissance » car c’est la reconnaissance proprement juridique à l’œuvre dans le droit abstrait (à savoir régie par des contrats qui assurent une concordance seulement immédiate entre volonté particulière et volonté commune) qui se révèle insuffisante. Il ne s’agit certes pas, pour Hegel, de légitimer le crime, mais de montrer dans quelle mesure il relève d’une quête de reconnaissance qui trouvera son aboutissement, il est vrai seulement partiel, dans la « moralité ». Comme le disait Hegel à Iéna, le crime lance un véritable « défi » à la rationalité de l’ordre juridique en inscrivant la transgression au rang d’une possibilité insigne du droit abstrait.
4Répondre adéquatement à ce défi n’aura jamais signifié qu’une seule chose aux yeux de Hegel : placer le référent de la peine dans le criminel lui-même afin que, par l’action rétributive du droit, l’accusé se reconnaisse comme coupable. Dans tous les cas, il s’agit de déterminer les modalités par lesquelles le droit trouve le moyen de son propre rétablissement, sans la médiation d’une transcendance contraignante. On comprend dès lors que cette section fasse particulièrement ressortir l’équivoque de la notion même de « droit » sur laquelle les Principes sont bâtis : exposer les limites du « droit abstrait » revient à montrer qu’en tant que droit de contrainte il n’épuise pas le sens du droit saisi comme « Idée de la liberté ». En d’autres termes, ramener la contrainte à sa sphère de validité (celle de l’abstraction), c’est aussi laisser ouverte la possibilité d’une extension plus grande du concept de droit et la nécessité d’un passage à une sphère supérieure.
5Un unique objectif traverse donc toute cette section des Principes : penser la rationalité de la peine. Si le droit doit se révéler capable de dépasser la part de contrainte qui entre dans sa définition, c’est que sa violation elle-même est un moment de son concept. Ici, Hegel combat sur deux fronts : d’une part, il entend montrer que la sanction ne se limite pas au modèle présenté par l’entendement qui ne saisit l’identité du crime et de la peine que de manière extérieure (sous la forme de l’« égalité »). D’autre part, il refuse de moraliser la peine en la définissant comme simple « représaille » : le crime n’est ni l’atteinte à une conscience subjective ni l’offense faite aux dieux. Il n’est en réalité que la perturbation, à vrai dire contingente mais décisive, de l’ordre juridique. En ce sens, il ne relève ni de la moralité, ni, on le verra, de l’État, mais seulement du droit abstrait en tant qu’il trouve son effectivité dans la société civile, et plus précisément dans l’institution du « tribunal ».
L’APPARITION DE LA CONTRAINTE AU DÉTOUR DU DROIT
6Réfléchir sur le rapport qui s’établit entre le crime et la peine implique en premier lieu d’établir le sens et les modalités de la contrainte. Lorsque Hegel rédige les Principes, il est en effet devenu habituel de définir l’usage du droit comme celui de la contrainte légitime par opposition à la violence qui caractérise les relations humaines à l’état de nature. Toute la difficulté revient alors à concilier le fondement du droit, qui n’est rien d’autre que la liberté, avec sa manifestation empirique comme force contraignante. Comment le concept formel du droit peut-il s’accorder avec son expression dynamique dans la contrainte ?
7Hegel cherche d’abord à reformuler ce problème qu’il juge, en l’état, insoluble :
Définir aussitôt, d’emblée, le droit abstrait ou strict comme un droit auquel on peut contraindre veut dire le saisir à même une conséquence qui n’intervient que sur la voie détournée du déni de droit [2].
9L’identification, même partielle, entre le droit et la contrainte relève en effet d’une définition abstraite du droit comme totalité au moyen de ce qui n’en est qu’un moment dérivé, à savoir précisément le droit pénal. Puisque cette identification a été opérée de la manière la plus radicale par Kant (« le droit et la faculté de contraindre signifient une seule et même chose [3] »), il faut s’attarder un peu sur le statut du droit dans la philosophie critique.
10Si, d’après Kant, la contrainte est une dimension essentielle de l’ordre juridique, c’est qu’elle constitue l’unique mode de son effectivité. Selon son concept formel, le droit n’est rien d’autre que l’obligation d’agir de telle sorte que l’usage de notre liberté s’accorde avec la liberté de tout autre, suivant une loi universelle. Et la contrainte s’impose dès lors comme la condition de réalisation de ce concept. Parce qu’il implique fondamentalement une limitation de l’usage des arbitres, le droit entraîne avec lui une violence légitime contre toutes les tentatives de transgression de la loi. C’est là précisément ce que Hegel refuse : penser le droit dans l’horizon de sa violation, c’est se fonder sur une conception restrictive de la liberté définie comme libre arbitre. Or le libre arbitre désigne une faculté dont l’universalité est seulement formelle et qui ne vaut que par son abstraction du désir et de l’impulsion sensibles. Il est donc lié à une détermination finie, exclusive de toutes les autres, par laquelle il se nie comme liberté [4]. L’idée selon laquelle la liberté doit se limiter pour se réaliser constitue ainsi le présupposé implicite du droit de contrainte. Or la liberté à l’œuvre dans le droit n’est précisément pas celle du libre arbitre, mais la liberté déjà intégralement rationnelle de l’esprit objectif saisi comme volonté. Il n’y a donc aucune raison de penser le droit en général à partir d’une faculté subjective et arbitraire d’agir.
11Il est vrai que le bénéfice immédiat de l’identification entre droit et contrainte réside dans la prise en compte radicale du problème de l’injustice. Il n’est pas douteux que Kant, au moment de construire le concept de droit, a en vue la possibilité pour l’arbitre humain de transgresser l’ordre juridique et le droit n’est que la procédure rationnelle d’empêchement d’une telle transgression. On entre ainsi dans la problématique du droit par la voie négative de l’injustice et, en partant de la coexistence des arbitres individuels, on respecte l’essentielle finitude des relations inter-humaines. Mais Hegel considère que c’est là introduire un élément empirique (les modalités désirantes de l’arbitre humain) qui remet inévitablement en cause la pureté du droit comme Idée de la liberté. Surtout, c’est un enjeu décisif des Principes que de penser la « justice » dans sa pleine positivité, sans faire intervenir subrepticement aucune considération téléologique sur la violation du droit.
12Ainsi, la nécessité de la contrainte n’est-elle pas déductible du concept général de droit mais apparaît dans des conditions précises, celles inhérentes au droit abstrait. De fait, une volonté « ne peut subir la contrainte » qu’en tant qu’elle « se dépose en une Chose extérieure [5] ». Parce qu’elle n’est encore à ce stade que libre arbitre investi dans une chose, la volonté s’ouvre à la possibilité de la contrainte. En effet, le droit abstrait réalise l’identification progressive de la volonté à la chose dans la « propriété » sanctionnée par le « contrat ». Et c’est précisément ce type d’identification et la reconnaissance juridique qui la structure qui se trouvent mis en cause par le crime comme négation de l’ordre juridique établi. Autrement dit, le crime suppose un certain nombre de conditions juridiques de possibilité : il n’y a de crime que dans un monde de personnes déjà régi par des contrats. La violation ne manifeste donc pas d’abord la particularité de la volonté subjective, mais l’insuffisance de la reconnaissance réalisée dans la sphère du droit abstrait.
13Partant, ce n’est qu’au terme de son parcours dans le monde des choses que la volonté est en mesure d’être contrainte par l’extériorité où elle s’est elle-même investie. Car « la volonté, en et pour elle-même, ne peut être contrainte que dans la mesure où elle ne se retire pas elle-même dans l’extériorité où elle est retenue [6] ». Il y a là vraisemblablement une référence à la mort qui, comme contrainte suprême, est en même temps libération de toute contrainte. L’Encyclopédie note avec plus de force encore que « la contrainte n’est pas davantage que possible, dans la mesure où je peux, moi, en tant que libre, me retirer de toute existence, voire même du champ de toutes les existences, de la vie [7] ». La mort possibilise le détachement des choses et manifeste en quelque sorte la vanité de tous les contrats. C’est elle, donc, qui exhibe le mieux la nullité de la contrainte, à savoir le caractère contradictoire d’une volonté libre se niant comme volonté libre (jusqu’à la mort).
14Cette relativisation de la contrainte comme corrélat du droit est indispensable pour préparer la thèse générale de Hegel selon laquelle, « prise en son concept », la contrainte « se détruit immédiatement [8] ». Si la contrainte n’est rien, c’est qu’elle nie le droit dont elle tire néanmoins tout son apparaître. Le crime, par exemple, s’oppose aux conditions juridiques de la reconnaissance qui néanmoins sont seules à le rendre possible [9]. Dès lors, se manifeste l’objectif d’une spéculation sur le crime : il s’agit de penser la réalité de l’irrationnel, de caractériser dialectiquement le crime comme un rien qui (comme toute contradiction) est quand même quelque chose.
15Pour éclairer ce point difficile, il est nécessaire de se référer à la conception fichtéenne de la contrainte qui, dans le sillage de celle de Kant, cherche à penser le rétablissement du droit par la négation pénale du crime. Fichte part de la disparition de la « bonne foi » et de la « confiance des contractants » qui remet fondamentalement en cause l’ordre juridique établi. Cet état de fait implique qu’un individu déterminé devrait présupposer chez l’autre une volonté constante de se soumettre au droit, ce qui est précisément impossible puisque le droit se fonde sur le libre arbitre et non sur la volonté morale de bien faire. Autrement dit, il s’agit pour Fichte de penser un dispositif de contrainte qui agisse au niveau du libre arbitre, de telle sorte que « du vouloir de chaque fin non conforme au droit, résulte nécessairement, et selon une loi ne cessant pas d’être efficace, le contraire de ce que l’on projetait [10] ». C’est par ce dispositif seulement que « chaque volonté contraire au droit s’anéantirait elle-même [11] ». On retrouve ici le modèle de l’anéantissement qui sera au cœur de l’analyse hégélienne de la peine, à cette différence capitale près que Hegel voudra penser un anéantissement du crime par le criminel lui-même et non par un mécanisme étatique de contrainte. Fichte, lui, est bien plutôt à la recherche d’un « dispositif agissant avec une nécessité mécanique [12] ». Il s’agit de construire un système tel que si une personne réalisait A qu’elle désire, c’est nécessairement le contraire de A qui se produirait : il faut donc faire en sorte qu’un individu ne puisse vouloir A (qui, par hypothèse, est contraire au droit) précisément pour cette raison qu’il le veut. Voilà le sens même de la contrainte pénale, ou pour mieux dire de la menace de la peine : instaurer une rationalité instrumentale qui prévienne l’usage illégal du libre arbitre.
16Selon Fichte, ce dispositif se trouve à l’origine du droit politique lui-même dans la mesure où l’État n’a de sens que référé à l’usage légal de la contrainte. Ce rapide détour par la conception fichtéenne de la peine éclaire donc par anticipation le rejet radical, chez Hegel, de toute réduction de l’État à sa fonction répressive. On le vérifiera en fin de parcours, Hegel veut penser un autre modèle d’anéantissement de la volonté injuste (non plus mécanique, mais dialectique) parce qu’il entend défaire dès maintenant, c’est-à-dire au niveau du droit abstrait, le lien qui s’établit chez Fichte entre État et contrainte, et ceci afin de penser la politique dans l’horizon exclusif de la liberté. C’est pourquoi Hegel précise qu’il s’agit désormais de décrire « l’exposé réel de ce que la contrainte se détruit dans son concept [13] ». « Dans son concept », c’est-à-dire indépendamment de toute action extérieure (de l’État). En d’autres termes, il faut montrer que le crime n’est rien (Fichte lui accorde trop, car il accorde trop à l’usage du libre arbitre) et que la peine n’est rien d’autre que le procès immanent par lequel le crime dévoile son néant.
LA DIALECTIQUE DU CRIME ET DE LA PEINE
17Dans la « Remarque » au § 99 des Principes, Hegel critique la logique réductrice de l’entendement qui définit le rapport entre le crime et la sanction pénale comme un simple rapport d’équivalence. Cette logique de rétribution repose encore une fois sur la primauté du crime comme un « mal » auquel devrait mécaniquement répondre un « bien » équivalent censé à lui seul rétablir l’équilibre rompu. On trouve ici la première formulation de la critique hégélienne de la moralisation de la peine : partir du crime comme d’un mal abstrait revient à méconnaître le problème central posé par la violation du droit qui est celui de l’effectivité de la « justice ». En effet, « ces points de vue superficiels [ceux qui considèrent la peine comme un « bien » répondant à un « mal »] mettent de côté l’examen objectif de la justice, qui est, dans le cas du crime, le point de vue premier et substantiel [14] [...] ». La définition de la peine comme d’un simple rachat mercantilise finalement le rapport entre un crime et sa sanction en identifiant la juridiction pénale à la réglementation d’un marché. Or la peine ne doit être d’abord ni utile ni efficace, mais seulement juste et elle n’est juste, en dernière instance, que si elle émane de la volonté même du criminel qui reconnaît pleinement sa légitimité.
18De toutes les approches, Hegel retient donc la plus ambitieuse : la peine ne répond ni au point de vue de la victime, ni à celui de la société tout entière, mais elle doit être considérée et, c’est le plus difficile, instituée comme résultant de la volonté du criminel. Cette nécessité est déduite de l’identité spéculative entre le crime et la sanction, identité qui est phénoménalement obscurcie par la médiation extérieure d’une tierce personne (le juge). Dire que le crime et la peine résultent tous deux de la volonté du criminel, c’est dire qu’ils doivent être conçus comme les deux faces, en quelque sorte obscure et clarifiée, d’un unique processus. Ainsi, ce que l’entendement réfléchit comme une égalité entre deux termes subsistants est en réalité le fait d’une identité intérieure : il existe une réciprocité fondamentale entre l’agir du criminel et son pâtir.
19Voilà pourquoi, par la sanction, le criminel est « honoré comme un être rationnel [15] ». La peine, en dépit de sa fonction répressive, fonctionne comme le « rétablissement de la liberté » du criminel, c’est-à-dire comme le rétablissement de l’universalité du droit. En sorte que la question unique du droit pénal peut être énoncée ainsi : en quoi, et jusqu’à quel point, la peine est-elle due au coupable ? L’enjeu d’une telle question apparaît clairement : il s’agit d’aménager un avenir à la peine qui ne pourra être que celui de la réconciliation avec l’ordre du droit. Ce projet est aussi bien éthique que juridique puisqu’il vise à dissocier le criminel de son crime, inscrivant ce dernier dans la contingence. En tant qu’il est subjectivement libre, un agent se révèle donc toujours plus grand que ses actes, ce par quoi il échappe aux déterminations mêmes qui constituent sa personnalité juridique.
20Venons-en désormais, et plus précisément, à l’articulation dialectique du crime et de la peine. Dans le § 95, le crime comme violation faite à « l’être-là de la liberté » est comparé au « jugement négatif infini » qui, dans le prédicat, nie l’universel, c’est-à-dire le sujet lui-même, à savoir ici la « capacité juridique » de l’agent [16]. Ce qui se trouve nié par le crime n’est donc pas simplement le droit particulier d’une personne, mais le droit comme droit (le « droit en général »), ce qui fonde la nécessité d’une peine supplétive allant au-delà de la simple restitution de l’objet du litige. De plus, cette comparaison logique fait ressortir le caractère insensé du crime qui vient nier le droit dans un monde de part en part régi par des relations juridiques. Par quoi l’on comprend que le crime porte plus loin que la simple violence contre l’être-là : il nie la « personnalité » comme telle. La violence stricto sensu ne peut, en effet, être interprétée (comme elle l’est classiquement) comme une retombée à l’état de nature, ce qui rendrait partiel le rétablissement du droit. Or le rétablissement du droit doit être continu à sa violation : le crime, en manifestant sa nullité, doit manifester la persistance paradoxale de l’ordre juridique.
21Le sens de la dialectique du crime et de la peine tient tout entier dans cet effort qui vise à unifier à nouveau la volonté du criminel qui a été brisée par son acte. Pour comprendre en quoi la sanction est due au criminel, il faut en revenir à la signification fondamentale du crime qui, comme négation de l’ordre juridique établi, est encore le signe d’une exigence. En effet, le crime réalise la contradiction d’une volonté particulière niant l’universel dont elle tire néanmoins toute sa substance. On l’a dit, le crime n’a de sens que dans un ordre juridique constitué (celui du droit abstrait régi par des « contrats » mettant en relation des « personnes »). Mais cette négation est fondamentalement contradictoire puisqu’elle n’a de sens que par rapport à l’universel du droit auquel elle s’oppose. Il existe ainsi une tension interne entre « l’existence extérieure » du crime et sa « nullité au-dedans de soi », et la peine n’est rien d’autre que la « manifestation de cette nullité » dans l’effectuation du droit [17]. Dans un additif, Hegel précise que « ce qui est nul doit cependant se manifester comme tel, c’est-à-dire se présenter lui-même comme quelque chose de vulnérable [18] » : la sanction révèle au criminel la vulnérabilité de son acte délictueux et de sa volonté singulière. Elle n’est donc que le processus immanent de rétablissement de l’ordre troublé en apparence seulement par le crime. La peine occupe ainsi le rang d’une négation de la négation, elle caractérise le moment « positivement rationnel » distingué par Hegel comme achèvement du savoir spéculatif.
22Au terme du processus pénal, le droit rétabli devient donc celui du criminel et la reconnaissance est achevée qui a franchi l’obstacle de la transgression. Par là, le crime, bien loin de se fixer dans l’arbitraire, est devenu l’action du criminel qui n’en prend conscience que parce que « ce qu’il a mis en œuvre devient une puissance hostile à son égard » (marge du § 101, trad. Kervégan, p. 440). Hegel réinvestit ici un thème propre à sa jeunesse, celui du destin. La peine apparaît bien comme le destin du crime, l’inéluctable revers de sa négativité. Hegel convoque toujours la métaphore du destin pour l’opposer à la transcendance contraignante de la loi. Cette dernière, parce qu’elle s’impose de l’extérieur, désolidarise le criminel de son acte. À l’inverse, le destin accomplit sous une forme juridique ce qui ne valait tout d’abord que subjectivement, d’où la référence à la tragédie comme représentation de la réconciliation entre l’individualité et l’universalité : « Les Euménides dorment, elles ne se dressent qu’une fois appelées » (ibid.). Dans la pièce d’Eschyle, l’action des Euménides, symbole de l’action juridique elle-même, transforme les opposés (universalité abstraite du droit et particularité arbitraire du criminel) en moments d’une même réalité éthique.
23La rationalisation de la peine semble alors achevée dans cette émergence du criminel à la subjectivité. Inaugurant un processus de reconnaissance que les limites du droit abstrait rendaient impossible, la peine fait prendre conscience au criminel de la réalité de l’universalité de sa volonté libre. Comme agent qui veut la volonté libre en voulant la sanction, il inaugure la sphère de la moralité. Mais cette homologie de structure entre rétribution pénale et moralité pourrait se révéler trompeuse. Contrairement à ce que l’on pourrait induire du seul plan des Principes, le droit pénal ne reçoit pas son effectivité de la moralité seule, mais de son institutionnalisation par la « société civile ». Il faut donc être attentif aux arguments qui, dans le texte hégélien, s’opposent discrètement à toute tentative de moralisation de la peine.
LES LIMITES DU DROIT ABSTRAIT ET LE PASSAGE À LA MORALITÉ
24Les paragraphes 102 à 104 de la section que nous étudions sont destinés à manifester les limites du droit abstrait dans l’institution du droit pénal en même temps que la nécessité de passer à une sphère éthique supérieure, celle de la « moralité ». Ils font donc signe vers deux massifs des Principes : la moralité de manière explicite (en tant que théorie de la subjectivité agissante) et la « société civile » qui constituera, sous la figure du tribunal, le lieu institutionnel du droit pénal. Cette double référence est absolument capitale car elle anticipe sur les limites de la moralité subjective dans le règlement des conflits intersubjectifs. Ainsi, comme le note Hegel, séparer la vengeance de la peine implique « tout d’abord l’exigence d’une volonté [...] qui veuille l’universel en tant que tel [19] » (ce qui est le propre de la moralité). En tout état de cause, le procès d’universalisation morale de la subjectivité ne suffira donc pas à assurer la rationalité du droit pénal.
25Le passage à la moralité. Dans le paragraphe 103 se trouve énoncé le nerf du passage du droit abstrait à la moralité par la médiation dialectique du crime et de la peine : le concept de la moralité, écrit Hegel, « n’est pas seulement quelque chose qui est exigé, il a au contraire surgi dans ce mouvement lui-même ». Il faut donc bien comprendre que la négation par la peine de cette négation qu’est le crime culmine dans l’affirmation de la moralité conçue comme le dépassement de l’immédiateté du droit abstrait. À partir de sa négation le droit en soi fait donc retour en lui-même, ce qui signifie que la subjectivité émerge des contradictions de la personnalité elle-même. Il s’agit surtout ici pour Hegel d’exhiber la continuité dialectique entre la volonté particulière (l’arbitre) investie dans des rapports juridiques et la volonté subjectivement universelle. C’est là le socle même de l’opposition à l’analyse kantienne de la moralité : la volonté universelle s’engendre du sein de la volonté particulière faisant l’expérience de sa contradiction [20].
26D’où l’allusion, dans le paragraphe 104, au paragraphe 21 de l’Introduction : « Mais la vérité de cette universalité formelle, indéterminée pour soi et qui trouve déjà-là sa déterminité à même ce matériau-là, est l’universalité se déterminant elle-même, la volonté, la liberté [21]. » La volonté libre, assise conceptuelle de la moralité, se réalise à même l’autonégation des arbitres. Et c’est la peine, spéculativement comprise, qui symbolise l’abrogation de l’immédiateté du droit abstrait en assurant une reconnaissance effective entre la volonté particulière et la volonté universelle [22]. On n’a plus, dès lors, affaire au face-à-face entre deux contingences (le déni du droit et le droit en soi), mais à la réflexion en soi de la contingence qui qualifie la moralité comme telle. Et la volonté réconciliée avec elle-même dans le sujet accède à sa propre infinité qui n’est plus bornée à l’être-là d’un ordre juridique abstrait.
27Ce processus de relève par la moralité fait ressortir la limite intrinsèque du droit abstrait et du type de reconnaissance (extérieure et contractuelle, assujettie à la simple réalité des choses) qu’il met en œuvre. Hegel démontre par la dialectique du crime et de la peine, donc négativement, qu’au niveau du droit abstrait le réel n’est pas encore pleinement informé par la volonté libre. Voilà exhibé l’irrationnel du droit abstrait : sa dépendance à l’extériorité chosique qui limite principiellement l’inscription de la liberté dans le monde.
28L’anticipation des limites de la moralité. Est-ce à dire que la moralité suffise à réaliser pleinement l’exigence de justice implicite au crime ? La vérité de la sanction pénale réside-t-elle tout entière dans l’émergence dialectique de la subjectivité morale ? Il ne semble pas. L’exercice de la peine par la volonté subjective consciente de soi s’identifie en effet à la vengeance dont Hegel traite précisément dans les paragraphes 102 et 103. La vengeance est ainsi comme le court-circuit moral du droit, la forme seulement immédiate de la rétribution. Elle met, en effet, face à face deux volontés particulières là où la justice devait synthétiser une volonté avec l’universel du droit. La vengeance bloque donc tout le processus de reconnaissance que la peine visait à rétablir : subissant la vengeance, le criminel se voit en quelque sorte dépossédé de son action. Comme le note très justement Paul Ricœur, la justice est ici rendue « contingente sous la figure du justicier [23] ».
29Dans la tentative de distinction conceptuelle entre vengeance et justice, toute la difficulté réside dans l’identité de contenu entre les deux termes : les Érinyes (les Vengeresses) et les Euménides (les Bienveillantes) sont bien les mêmes. Mais les Euménides sont, elles, passées au crible de l’institution : en mettant un terme au mauvais infini de la vengeance d’Oreste, elles assurent, comme Hegel l’écrit dans l’Esthétique, une réconciliation « devant l’Athènes effective [24] ». En ce sens, elles symbolisent bien la nécessité de ce que l’Encyclopédie appellera un « tiers jugement » : à l’immédiateté redoublée de la vengeance, la justice instituée substitue la mise à distance des protagonistes. En droit pénal, le symbole de cette mise à distance n’est rien d’autre que l’établissement d’un écart entre le crime et la sanction. Toute la difficulté consistera donc à reconquérir cet écart sur le fond de l’identité conceptuelle entre le crime et la peine.
30Ce sera là la tâche de la section de la « société civile » consacrée à l’« administration du droit ». Qu’il s’agisse d’une difficulté réelle, c’est ce qu’atteste le fait que, dans les Principes, la figure du juge n’apparaît pas au niveau de la dialectique du crime et de la peine. Il s’agit bien plutôt de souligner l’immanence d’un processus qui ne supporte l’intrusion d’aucun tiers, d’où la conception équivoque que se fait Hegel de la « loi du Talion » (ou « représailles »), à la fois forme abstraite et immédiate de la sanction et rétribution parfaite, parce que identique au crime. Dans la « représaille », et bien qu’elle soit formellement trop proche encore de la vengeance, la peine s’impose bien comme manifestation du crime sans l’intrusion étrangère d’un système de compensation fondé sur la justice géométrique. Il semble bien, donc, que le télos spéculatif à l’œuvre dans les Principes culmine dans l’abrogation de la figure du juge comme obstacle à l’identification entre le criminel, son acte et sa volonté libre.
31Mais si le danger réside dans l’inscription de la justice pénale dans la transcendance d’un tiers, il reste que Hegel insiste, dans sa description de l’« administration du droit », sur la nécessité du juge comme rempart aux risques d’arbitraire. Il faut bien, en effet, que le droit rétabli s’exerce « dans la forme de ce qui est de droit [25] », à savoir comme loi. S’opposant au vouloir particulier (aussi bien celui du criminel que celui de la victime), le droit doit prendre la forme de l’universalité publique que seule lui confère la légalité. Ainsi ce n’est pas seulement la « partie violentée », mais l’universel nié qui assure le châtiment du crime et la sanction cesse « d’être une représaille par la vengeance, seulement subjective et contingente, et se transmue en réconciliation véritable du droit avec lui-même, en peine [26] ». L’institution du tribunal vise bien à conjurer l’abîme d’une moralisation de la peine dans la vengeance. Vient alors le moment de la procédure qui vise à reconquérir l’écart entre le criminel et son crime, c’est-à-dire à l’instituer par la médiation d’un tiers.
32Les Principes inscrivent donc l’exercice du pouvoir judiciaire au sein de la « société civile ». Par là, Hegel confirme sa rupture avec Kant et Fichte (et, plus généralement, avec ce qu’il est convenu d’appeler la tradition « libérale ») qui faisaient de la fonction pénale l’une des prérogatives, si ce n’est la prérogative même, de l’État. Cette politisation de la sphère pénale n’est, en réalité, que la conséquence logique du lien substantiel qui s’établit dans ces théories entre État et contrainte, lien qui n’est lui-même que la rançon de la pensée de l’État sur le modèle du contrat. Défini dans l’horizon exclusif du droit privé et réduit à n’être qu’un organe garantissant le respect des engagements juridiques individuels, l’État occupe d’abord et avant tout une fonction répressive légitimée par son statut de tiers. Si Hegel court-circuite cet argument en limitant l’efficience du tribunal et de l’administration du droit à la société civile, c’est pour en éviter l’inéluctable conséquence, celle tirée par Fichte lui-même pour qui tout État n’est jamais qu’un Notstaat, un État de la nécessité [27]. Le Notstaat, qui prend irrésistiblement la figure d’un État pénal, ne possède d’autre nécessité que celle de la contrainte et, par là, d’autre légitimité que celle que lui confère la finitude des agents juridiques. Il ne peut donc être amené qu’à « dépérir » dans une société pacifiée par le droit privé. Et c’est afin de ne plus rendre l’avenir de l’État dépendant de la rectitude juridique des individus que Hegel refuse de faire de l’autorité judiciaire un pouvoir politique au sens strict [28].
33Positivement, l’institution du tribunal au cœur de la « société civile » assure la pleine effectivité de la peine : sa juridicité est garante de sa validité. Mais surgit alors un problème que nous ne pourrons ici qu’évoquer : si le droit abstrait ne vaut que dans le cadre des relations sociales qu’il vise à réguler, peut-être faut-il remettre en cause son autosuffisance, pourtant revendiquée par Hegel. Il y aurait, dans l’immanence du juridique au social, bien plus qu’une nécessité de fait, la garantie de la rationalité pleine de l’administration du droit. La principale caractéristique de la société civile ne serait plus dès lors, et par différence avec l’État, un défaut d’institution, mais une forme spécifique d’institutionnalisation (non politique, mais culturelle) dont la légitimité serait indissociable des relations sociales dans lesquelles elle s’inscrit.
34C’est précisément le défaut d’institutionnalisation qui, du reste, marquera l’échec de la « moralité » dans le règlement des conflits (qu’ils soient inter- ou intra-subjectifs). C’est ce qu’illustrent en particulier, comme le suggère Paul Ricœur, les contradictions dans lesquelles s’enferme la « belle-âme » : « On ne peut transférer la logique de la peine hors de la sphère du droit abstrait sans entrer dans une problématique funeste [29]. » Un mal qui ne recevrait plus sa mesure objective dans le droit menacerait de devenir infini et indépassable autrement que par le « pardon », c’est-à-dire par le renoncement de la conscience jugeante à elle-même. Mais c’est là une tâche qui ne relève plus de la moralité, moins encore de l’administration du droit, et qui confine à la sphère religieuse où seule peut-être, selon Hegel, la « justice » trouverait les modalités de son accomplissement.
Notes
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[*]
Une première version de cet article a été présentée oralement lors du séminaire consacré aux Principes de la philosophie du droit organisé par Jean-François Kervégan à l’université de Paris I.
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[1]
C’est là le sens du § 82 des Principes.
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[2]
Principes de la philosophie du droit, § 94 Remarque, trad. J.-F. Kervégan, Paris, PUF, 1998, p. 176.
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[3]
Doctrine du droit, Introduction, § E, trad. A. Renaut, Paris, GF-Flammarion, 1994, p. 19.
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[4]
Sur la contradiction inhérente au libre arbitre, voir Principes, § 17 (op. cit., p. 110-111). Déjà, dans le Droit naturel, Hegel notait qu’« il n’y a rien d’absolument extérieur à la liberté ».
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[5]
Principes, § 90, op. cit., p. 173-174.
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[6]
Ibid., § 91, p. 174.
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[7]
Philosophie de l’esprit (1830), § 501, trad. B. Bourgeois, Paris, Vrin, 1988, p. 291-292.
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[8]
Principes, § 94, op. cit., p. 174.
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[9]
Nous n’ignorons pas la difficulté (peut-être irréductible) qu’il y a à présenter en termes transcendantaux un processus qui se veut de part en part dialectique.
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[10]
Fondement du droit naturel, § 14, trad. A. Renaut, Paris, PUF, coll « Quadrige », 1998, p. 155.
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[11]
Ibid. (on souligne).
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[12]
Ibid., p. 156.
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[13]
Principes, § 93, op. cit., p. 174.
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[14]
Ibid., p. 179. Jean-François Kervégan remarque à juste titre l’emploi dans ces pages du terme de « justice » (Gerechtigkeit), plutôt rare chez Hegel. Ce sera une question de savoir si l’exigence de justice se trouve tout entière résorbée dans l’« administration du droit » (Rechtspflege).
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[15]
Remarque au § 100, op. cit., p. 181.
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[16]
Ibid., p. 176. Pour montrer l’absurdité de tels jugements, la Science de la logique de l’Encyclopédie cite deux exemples : « l’esprit n’est pas un éléphant » et « un lion n’est pas une table » (§ 174, trad. B. Bourgeois, Paris, Vrin, 1970, p. 418). Il n’y a donc plus ici aucun rapport entre le sujet et le prédicat, l’universel se trouve nié dans et par le particulier. Mais loin d’être une simple erreur de jugement (comme le crime serait une simple déficience du droit abstrait), le « jugement négativement infini » est la vérité du jugement comme tel, à savoir sa finitude.
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[17]
Principes, § 97, op. cit., p. 178.
-
[18]
Principes de la philosophie du droit, additif au § 97, trad. Derathé-Frick, Paris, Vrin, 1970, p. 141.
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[19]
Principes, § 103, trad. J.-F. Kervégan, op. cit., p. 184 (souligné par Hegel).
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[20]
Sur les modalités de cette transition dialectique, voir les analyses d’André STANGUENNEC dans Hegel critique de Kant, Paris, PUF, 1985, p. 206-214.
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[21]
Principes, op. cit., p. 112-113.
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[22]
En termes kantiens, on dirait que la légalité s’accomplit en moralité lorsque la subjectivité puise en elle seule le motif de son action, à savoir lorsqu’elle reconnaît l’universel comme étant elle-même.
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[23]
« Interprétation du mythe de la peine », Le Conflit des interprétations, Paris, Éd. du Seuil, 1969, p. 356. Dans ce texte, RICŒUR recherche le rationale de la peine, en amont des apories du mythe, ce pourquoi il rencontre tout naturellement Hegel dont le projet est précisément de « localiser » le droit pénal : avant la moralité et, ajouterions-nous, plus bas que l’État.
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[24]
Sur le sens et la portée de la référence à la tragédie d’Eschyle, voir le commentaire de Bernard BOURGEOIS dans Le Droit naturel de Hegel, Paris, Vrin, 1986, p. 472-476.
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[25]
Principes, § 220, op. cit., p. 289.
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[26]
Ibid.
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[27]
Il n’est évidemment pas anodin que la « société civile » reçoive, dans les Principes de la philosophie du droit, l’appellation et un certain nombre des caractéristiques du Notstaat (voir § 183). Hegel transfère à la société civile (en tant que réalité intrinsèquement juridique et sociale) ce que Fichte accordait à l’État : une fonction culturelle destinée à disparaître en s’accomplissant.
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[28]
D’où la formulation originale de la « séparation des pouvoirs » dans les Principes (« Remarque » au § 272) où le pouvoir princier se substitue au pouvoir judiciaire reconduit à la seule sphère sociale.
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[29]
Paul RICŒUR, op. cit., p. 357.