Notes
-
[1]
George devint chevalier en 1473 lors du chapitre de la Toison d’or à Valenciennes, mais n’a pas été chevalier de l’Ordre comme le mentionnent encore certaines sources. À ce sujet, voir la mise au point de P. BONENFANT, Chastellain fut-il chevalier de la Toison d’Or ?, Revue belge de Philologie et d’Histoire, t. 25,1946-47, p. 143-144.
-
[2]
Notons aussi les affinités remarquées entre Gerson et Molinet par M. RANDALL, Building Resemblance. Analogical Imagery in the Early French Renaissance, Baltimore-Londres, 1996.
-
[3]
Voir la thèse de C. VAN HOOREBEECK, Livres et lectures des fonctionnaires des ducs de Bourgogne (ca 1420-1520), 2 vol., Namur, Facultés Universitaires Notre-Dame de la Paix, 2007.
-
[4]
Notons que René d’Anjou a écrit un Traictié de la forme et devis d’un tournoy (entre 1445 et 1450, voir Le Livre des Tournois du Roi René de la Bibliothèque nationale (ms. français 2695), Paris, 1986), un code pour l’organisation de grandes représentations chevaleresques qu’il a lui-même organisées avec le roi Charles VII durant les moments de paix dans les guerres avec l’Angleterre. Le Livre des Tournois, le Mortifiement (1455) et le Livre du Cuer d’Amours espris [1457, RENÉ D’ANJOU, Le Livre du cœur d’amour épris, éd. et trad. F. BOUCHET, Paris, 2003] constituent une sorte de triptyque (D. Poirion parle de diptyque au sujet des deux dernières œuvres, mais pourquoi ne pas tenter d’intégrer la première… ?) qui fait penser à la trifonctionnalité de Dumézil dans son analyse des sociétés indo-européennes et de la représentation de la royauté qui combine ces trois fonctions : religieuse (Mortifiement ?), guerrière (Tournoi ?) et productrice/fécondante (Amour espris ?). Les trois textes feraient partie d’un même esprit d’initiation au pouvoir. D. POIRION, Le Miroir magique, dans M.T. GOUSSET, D. POIRION, F. UNTERKIRCHER, Le Cœur d’Amour épris. Reproduction en fac-similé des miniatures du Codex Vindobonensis 2597 de la Bibliothèque Nationale de Vienne, Paris, 1981, p. 13-80.
-
[5]
F. LYNA, Le Mortifiement de Vaine Plaisance de René d’Anjou. Étude du texte et des manuscrits à peintures, Bruxelles-Paris, 1926. F. Lyna offre une reproduction du manuscrit de Bruxelles et des miniatures des autres manuscrits illustrés. Il recense 11 manuscrits dont 8 ornés. Nous renvoyons à l’étude de F. Lyna pour plus de précision concernant les autres manuscrits du Mortifiement, ainsi qu’aux articles de B. GAGNEBIN, Un manuscrit du Mortifiement de Vaine Plaisance retrouvé à Genève, Scriptorium, t. 26, 1972, p. 51-53 (les huit miniatures du ms. de Genève, Bodmer, 144 sont reproduites aux planches 12-15 ; le manuscrit a par ailleurs été entièrement numérisé et est consultable sur le site : hhttp :// www. e-codices. ch/ fr/ index. htm)et de F. UNTERKIRCHER, Die Handschrift Le Mortifiement de Vaine Plaisance von René d’Anjou aus der ehemaligen Bibliotheca hohendorfiana, Scriptorium, t. 30,1976, p. 238-241.
-
[6]
Voir également M. SOMMÉ, Isabelle de Portugal, duchesse de Bourgogne. Une femme au pouvoir au XVe siècle, Villeneuve d’Ascq, 1998, p. 456-457.
-
[7]
La Librairie des ducs de Bourgogne, manuscrits conservés à la Bibliothèque royale de Belgique (= LDB), t. 1, Textes liturgiques, ascétiques, théologiques, philosophiques et moraux, éd. B. BOUSMANNE et C. VAN HOOREBEECK, Turnhout, 2000. La notice sur ce manuscrit est d’A. KELDERS, p. 221-225.
-
[8]
Y. MAZOUR-MATUSEVICH, La position de Jean Gerson (1363-1429) envers les femmes, Le Moyen Âge, t. 112,2006, p. 337-353. Il ne s’agit pas de nier le fait que Gerson par l’usage de la langue vulgaire vise à toucher un public féminin. Mais il y a aussi chez Gerson une « promotion politique de la langue vulgaire, dont Oresme s’était fait naguère l’avocat ». J. VERGER, Ad prefulgidum sapiencie culmen prolem regis inclitam provehere. L’initiation des dauphins de France à la sagesse politique selon Jean Gerson, Penser le pouvoir au Moyen Âge (VIIIe -XVe siècles). Études d’histoire et de littérature offertes à Françoise Autrand, éd. D. BOUTET et J. VERGER, Paris, 2000, p. 436.
-
[9]
On verra que la Mendicité est un titre important dans les livres de bibliothèques nobles dont le possesseur est souvent une femme noble.
-
[10]
V. BUBENICEK, Le Mortifiement de Vaine Plaisance (1455) de René d’Anjou. Littérature et spiritualité, La Littérature angevine médiévale. Actes du colloque du samedi 22 mars 1980, Paris, 1981, p. 177-198.
-
[11]
S. SCHWAM-BAIRD, The Crucified Heart of René d’Anjou in Text and Image, Fifteenth Century Studies, t. 25,2000, p. 228-252.
-
[12]
Pour l’édition, voir JEAN GERSON, Œuvres complètes, éd. P. Glorieux, t. 2, Paris, 1960, p. 203-215,335-338. Pour un commentaire détaillé, en particulier du Tractatus, voir VERGER, Ad prefulgidum sapiencie.
-
[13]
VERGER, Ad prefulgidum sapiencie, p. 430.
-
[14]
On pourrait faire la même remarque pour un texte comme le Livre d’Espérance d’Alain Chartier, dialogue entre Entendement et les vertus théologales dans le contexte de trouble de la royauté…
-
[15]
Sur la notion d’encyclopédie, ou de répertoire dans l’esthétique de la réception, voir en particulier W. ISER, L’Acte de la lecture. Théorie de l’effet esthétique, trad. E. SZNYCER, Bruxelles, 1985.
-
[16]
Dans la perspective d’une mise en dialogue des textes conservés dans un même recueil, nous attirons l’attention sur le ms. du Mortifiement de CAMBRIDGE, Fitzwilliam Museum 165, qui a été réalisé avant le 22 juin 1476 pour Pierre de Luxembourg, comme le montre H. WIJSMAN ici même (p. 628-633). Il contient également L’Instruction d’un jeune Prince de Hugues ou Guillebert de Lannoy. Dans ce cas, le rapprochement va dans le sens du traité d’éducation chevaleresque.
-
[17]
Voir la troisième partie de cet article.
-
[18]
Le cœur est devenu l’emblème de Gerson, voir M. LIBERMANN, Autour de l’iconographie gersonienne (I et II), Romania, t. 84,1963, p. 307-353 et t. 85,1965, p. 49-100, 230-268.
-
[19]
I. FABRE, La Doctrine du chant du cœur de Jean Gerson. Édition critique et commentaire du Tractatus de canticis et du Canticordum au pèlerin, Genève, 2005.
-
[20]
Canticordum, éd. FABRE, p. 503.
-
[21]
On verra aussi la ressemblance de l’espace de la miniature avec les lieux clos dans lesquels sont représentées Dame Science, Profondité, Multiforme Richesse, Florie Memoire, Noble Nature, Deduccion loable, Glorieuse Achevissance dans le manuscrit de Cambridge des Douze Dames. Voir GEORGE CHASTELAIN, JEAN ROBERTET, JEAN DE MONTFERRANT, Les Douze Dames de Rhétorique, éd. D. COWLING, Genève, 2002.
-
[22]
Ibid., p. 25.
-
[23]
L’attribution des enseignes à Chastelain a été démontrée de manière convaincante par C. BROWN, Du nouveau sur le mistere des Douze Dames de Rhétorique. Le rôle de Georges Chastellain, Bulletin de la Commission royale d’Histoire, t. 153,1987, p. 181-221.
-
[24]
Pour la description des manuscrits, voir l’éd. COWLING, p. 36-59. Les miniatures du manuscrit de base C sont reproduites intégralement dans un cahier central.
-
[25]
Pour une bibliographie détaillée sur les Douze Dames, je renvoie à l’édition de D. COWLING et à l’article de J.C. MÜHLETHALER, Un manifeste poétique de 1463 : les Enseignes des Douze Dames de Rhétorique, Les Grands Rhétoriqueurs. Actes du Ve Colloque International sur le Moyen Français. Milan, 6-8 mai 1985, éd. A. SLERCA et S. CIGADA, t. 1, Milan, 1986, p. 81-101.
-
[26]
Pour plus de détails sur les images mariales dans la construction de la figure de l’écrivain engagé dans une mission politico-théologique, voir notre livre en coll. avec D. COWLING, L’Automne des images. Pragmatique de la langue figurée chez George Chastelain, François Villon et Maurice Scève, Paris, Champion, à paraître.
-
[27]
E. DOUDET, Poétique de George Chastelain (1415-1475). Un cristal mucié en un coffre, Paris, 2005.
-
[28]
« Qu’Il daigne, selon la richesse de sa gloire, vous armer de puissance par son Esprit pour que se fortifie en vous l’homme intérieur, que le Christ habite en vos cœurs par la foi et que vous soyez enracinés, fondés dans l’amour. Ainsi vous recevrez la force de comprendre, avec tous les saints, ce qu’est la Largeur, la Longueur, la Hauteur et la Profondeur, vous connaîtrez l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance, et vous entrerez par votre plénitude dans toute la plénitude de Dieu. » Ep 3,16-18.
-
[29]
Notons que l’attribution des poèmes à Chastelain n’est que le fait de recherches récentes (voir BROWN, Du nouveau sur le mistere). La question des miniatures et du rapport avec Chastelain est d’autant plus délicate.
-
[30]
Le schéma de la croix que forme le corps de la dame est rehaussé par le jeu de perspective du décor. Le trône sur lequel est assise la dame (qui rappelle une Sedes Sapientiae) au centre donne l’orientation verticale et les murs peints en rouge rehaussent le plan horizontal. Dans le manuscrit de Cambridge (voir GEORGE CHASTELAIN, JEAN ROBERTET, JEAN DE MONTFERRANT, Les Douze Dames de Rhétorique, éd. D. COWLING, pl. 6), la croix est mise en perspective par le trône et les fenêtres de ce qui ressemble à une chapelle. Le plan en croix apparaît aussi dans les images de Multiforme Richesse, de Florie Mémoire, de Noble Nature et de Deduction loable et Glorieuse Achevissance dans le manuscrit de Cambridge (voir les planches de l’éd. COWLING ), grâce à la pose centrale de la dame sur un siège (qui a les allures d’un trône par sa masse) et grâce à l’arrière-plan horizontal formé par des fenêtres dans un lieu clos, soit proche d’une chapelle soit d’un temple avec pilastre sur plan circulaire (voir pl. 10 et 15). Le jeu de perspective est un peu moins clair dans les miniatures du ms. de Paris, sauf pour les dames Mémoire, Nature et Achevissance. Les miniatures ont été numérisées et sont consultables sur le site Mandragore de la Bibliothèque Nationale de France : http :// wwww. manuscritsenlumines. fr/ . Dame Profondité siège sur un trône (et d’autres de ses compagnes aussi). On peut rapprocher la construction de l’image de Profondité, outre de la sedes, du motif iconographique du trône de Grâce qui représente les trois personnes de la Trinité : le père en arrière-fond qui tient la croix sur laquelle pend le Christ et qui est surmonté par la colombe de l’Esprit saint. Cette représentation de la Trinité est fréquente dans les livres d’Heures. Elle fait sans contexte partie du bagage imaginaire de leur possesseur. Voir la base de données iconographique Liber Floridus : http ://liberfloridus.cines.fr/ (trône de grâce). Ajoutons aussi que deux saintes, Julie et Wilgefortis, ont subi, selon la légende, le supplice de la croix et sont traditionnellement représentées crucifiées. Wilgefortis, au contraire de Julie dont la popularité semble surtout attestée en Italie du Nord, était très vénérée dans les anciens Pays-Bas au XVe siècle. Pour plus d’informations, voir J. SLATKES, Hieronymus Bosch and Italy, The Art Bulletin, t. 57,1975, p. 335-345. Je remercie mon collègue R. DEKONINCK pour l’indication.
-
[31]
Citation latine en tête de l’enseigne : « J’ai contourné la circonférence des cieux et j’ai parcouru les flots de la mer ».
-
[32]
Strophe 1 de l’enseigne qui en compte trois.
-
[33]
Pour la dimension « miroir des princes » de l’œuvre de Gerson et en particulier du recueil PARIS, BnF., lat. 17487, manuscrit qui contient les opuscules sur le chant du cœur, voir V. MINET-MAHY, Esthétique et pouvoir de l’œuvre allégorique à l’époque de Charles VI. Imaginaires et discours, Paris, 2005.
-
[34]
Canticordum, collation 3, XXXI, 5, éd. FABRE, p. 503-504.
-
[35]
Pour plus de détails, voir notre livre L’automne des images, à paraître.
-
[36]
Voir la citation de l’enseigne de Profondité.
-
[37]
Au surplus, la fille du roy, plus noble tiltre ne lui scay je baillier, tourne et envoye souvent par tout ce royaulme de France les yeulx de sa consideracion qui sont plus clers que le soleil et plus multiplies que ceulx d’Argus, pour quoy elle est bien comparee aux bestes que vit Ezechiel, plaines de yeulx devant et derriere, dehors et dedans, Ezech. I. Las que voit elle en consideracion ? Elle voit turbacion partout, meschief par tout. Elle voit en plusieurs lieux oppression crueuse de peuple ; pour justice violence, pour misericorde rapine, pour protection destruction. Sermon Vivat Rex, JEAN GERSON, Œuvres Complètes, t. 7*, L’œuvre française. Sermons et discours, Paris-Tournai, 1968, texte n° 398, p. 1138.
-
[38]
Voir la miniature au fol. 37 v° du manuscrit de Cambridge, la dame est nue et sa peau est dorée. Quatre des douze citations latines sont issues du psaume 44 ; l’enseigne de Science en particulier nous ramène au vêtement d’or : Astitit regina a dextris in vestutido deaurato circumdata varietate (Ps 44,10).
-
[39]
HADEWIJCH D’ANVERS, Les Visions, trad. G. EPINEY-BURGARD, Genève, 2000, p. 60-63. Pour plus d’informations sur les images dans la Vision 9, voir V. FRAETERS, Zwart : over het negende visioen van Hadewijch, Tegendraads genot : opstellen over de kwaliteit van middeleeuwse teksten, éd. K. PORTEMAN ET AL., Louvain, 1996, p. 31-46.
-
[40]
Au premier concile de Latran en 1123, on a tenté de faire coïncider le jour de la conception (Annonciation) du Christ et le jour de sa mort, le 25 mars. Annonciation et Crucifixion sont donc liées de longue date et cet entrelacement a beaucoup influencé l’histoire de l’art et de la littérature. E. O’CARRAGAIN, Ritual and the Rood. Liturgical images and Old English poems of the Dream of the Rood tradition, Londres, 2005, p. 83.
-
[41]
E. VAN STEENBERGHE, Gerson à Bruges, Revue d’Histoire ecclésiastique, t. 31,1935, p. 5-52.
-
[42]
Voir FABRE, La Doctrine du chant du cœur, p. 279-290 ; D. CALVOT et G. OUY, L’œuvre de Gerson à Saint-Victor de Paris. Catalogue des manuscrits, Paris, 1990.
-
[43]
P. CHAMPION, La Librairie de Charles d’Orléans, Paris, 1910.
-
[44]
L’incipit est bien celui du Canticordum.
-
[45]
Les inventaires sont des témoignages importants mais partiels. Lorsqu’il s’agit de manuscrits-recueils, les titres qui ne figurent pas en tête de codex échappent au recensement. Le codex comme unité matérielle peut cacher plusieurs titres bien souvent réduits à un dans l’inventaire. Concernant le manuscrit PARIS, BnF, lat. 458, il contient onze titres, deux de Pierre d’Ailly, un pseudo-Augustin, un pseudo-Bo-naventure (Psalterium b. Mariae Virginis), etc. Ce manuscrit n’est pas mentionné par I. Fabre.
-
[46]
Voir les deux articles parus dans Charles d’Orléans in England (1415-1440), éd. M.J. ARN, Cambridge, 2000 : W. ASKINS, The Brothers Orléans and their Keepers, p. 27-45 et G. OUY, Charles d’Orléans and his brother Jean d’Angoulême in England : What their Manuscripts Have to Tell, p. 47-60.
-
[47]
Les relations entre Charles et Gerson trouvent diverses motivations. Même s’il a d’abord condamné la politique de Louis d’Orléans et pris le parti bourguignon, Gerson va ensuite se ranger plutôt du côté du parti Armagnac et prononcer un discours contre Jean Petit, le défenseur du tyrannicide (Rex in sempiternum vive, n° 389, t. 7*, daté de 1413). Par ailleurs, Gerson a connu l’exil, comme Charles.
-
[48]
Malheureusement on est mal renseigné sur la bibliothèque du roi René lui-même qui était très riche. Voir J. ALBANÈS, La Bibliothèque du roi René, Revue des Sociétés savantes, t. 8,1874, p. 302-311.
-
[49]
G. OUY, Discovering Gerson the Humanist. Fifty years of serendipity, A Companion to Jean Gerson, éd. B.P. MC GUIRE, Leyde-Boston, 2006, p. 79-131.
-
[50]
L’inventaire de la librairie de Charles reste un document exceptionnel. On est pour le reste un peu démuni pour étudier la diffusion de Gerson dans les bibliothèques nobles. On reviendra sur les bibliothèques des ducs de Bourgogne. Le livre de J. BARROIS, Bibliothèque protypographique des fils de Jean, Charles V, Jean de Berri, Philippe de Bourgogne et les siens, Paris, 1830 est dans ce cas de peu d’intérêt. Voir également : L. DOUËT - D’ARCQ, Inventaire de la Bibliothèque du roi Charles VI fait au Louvre en 1423 par ordre du Régent, duc de Bedford, Paris, 1867 et M. VALLET DE VIRIVILLE, La Bibliothèque d’Isabeau de Bavière, femme de Charles VI, roi de France, Paris, 1858.
-
[51]
A.M. CHAZAUD, Les enseignements d’Anne de France, duchesse de Bourbonnois et d’Auvergne, à sa fille Suzanne de Bourbon, Moulins, 1878, p. 217,241 et 253.
-
[52]
J.P. BOUDET, La Dame à la Licorne et ses sources médiévales d’inspiration, Bulletin de la Société nationale des Antiquaires de France 1999, p. 61-80 ; ID., Jean Gerson et la Dame à la licorne, Religion et société urbaine au Moyen Âge. Études offertes à Jean-Louis Biget, éd. P. BOUCHERON et J. CHIFFOLEAU, Paris, 2000, p. 551-563.
-
[53]
R. BOSSUAT, Jean Gerson et la Moralité du cœur et des cinq sens, Mélanges de philologie romane et de littérature médiévale offerts à E. Hoepffner, Paris, 1949, p. 347-360.
-
[54]
H. STEIN, Olivier de La Marche, historien, poète et diplomate bourguignon, Bruxelles-Paris, 1888, p. 227. Il s’agit d’un poème sur les cinq sens adressé à la fille de Philippe le Beau et daté de 1501.
-
[55]
Voir LDB, t. 1 et M. DEBAE, La Bibliothèque de Marguerite d’Autriche. Essai de reconstitution d’après l’inventaire de 1523-24, Louvain-Paris, 1995.
-
[56]
DEBAE, La Bibliothèque de Marguerite d’Autriche, p. 201-202, notice 117.
-
[57]
LDB, t. 1, p. 97-99.
-
[58]
DEBAE, La Bibliothèque de Marguerite d’Autriche, p. 272-273, notice 155 et LDB, t. 1, p. 119-122.
-
[59]
DEBAE, La Bibliothèque de Marguerite d’Autriche, p. 274-275, notice 156 et LDB, t. 1, p. 126-128.
-
[60]
LDB, t. 1, p. 221-225.
-
[61]
DEBAE, La Bibliothèque de Marguerite d’Autriche, p. 470-472, notice 337.
-
[62]
F. DE GRUBEN, Les chapitres de la Toison d’Or à l’époque bourguignonne (1430-1477), Louvain, 1997.
-
[63]
Voir M.P.J. MARTENS, Lodewijk van Gruuthuse. Mecenas en Europees diplomaat ca 1427-1492, Bruges, 1992.
-
[64]
C. LEMAIRE, De Bibliotheek van Lodewijk van Gruuthuse, Vlaamse kunst op perkament. Handschriften en miniaturen te Brugge van de 12de tot de 16de eeuw. Tentoonstelling ingericht door de Stad Brugge in het Gruuthusemuseum 18 juli-18 oktober 1981, Bruges, 1981, p. 207-229.
-
[65]
Corpus Catalogorum Belgii. The Medieval Booklists of the Southern Low Countries, éd. A. DEROLEZ ET AL., 4 vol., Bruxelles, 1994-2001.
-
[66]
Voir DE GRUBEN, Les chapitres de la Toison d’Or. À son sujet voir l’article de C. VAN HOOREBEECK, À l’ombre de la librairie de Bourgogne. Les livres de Martin Steenberch, secrétaire ducal († 1491), Revue belge de Philologie et d’Histoire, t. 84,2006, p. 307-363.
-
[67]
Un coup d’œil dans l’étude de la bibliothèque de Guillaume Hugonet n’a pas permis de mettre au jour la présence d’œuvres de Gerson. Voir A. et W. PARAVICINI, L’arsenal intellectuel d’un homme de pouvoir. Les livres de Guillaume Hugonet, chancelier de Bourgogne, Penser le pouvoir au Moyen Âge, p. 261-325.
-
[68]
D.B. HOBBINS, Gerson on Lay Devotion, A Companion to Jean Gerson, p. 41-78.
-
[69]
Ceux-ci sont conçus selon des schémas de roman, comme des aventures de chevaliers errants en quête de prouesse. Voir C. BEAUNE, Vœux et Pas, Splendeurs de la cour de Bourgogne. Récits et chroniques, sous la dir. de D. RÉGNIER-BOHLER, Paris, 1995, p. 1131-1191.
-
[70]
M.R. JUNG, Les Douze Dames de Rhétorique, Du Mot au texte. Actes du IIIe Colloque International sur le Moyen Français, Düsseldorf, 7-9 septembre 1980, éd. P. WUNDERLI, Tübingen, 1982, p. 229-140.
-
[71]
Voir BEAUNE, Vœux et Pas.
Un dialogue avec Jean Gerson Problématique et épistémologie
1Qu’est-ce qu’une librairie aristocratique et quels enseignements peut-elle nous apporter dans l’interprétation d’une culture et d’œuvres ? Le parcours que propose cet article s’attachera à soulever des questions d’interprétation de textes qui peuvent trouver un éclairage grâce à la prise en compte d’éléments matériels relatifs à certains témoins manuscrits, en particulier : le dialogue entre les textes dans un recueil et le rapport entre texte et image. Les deux auteurs dont il sera question sont René d’Anjou, dont les manuscrits du Mortifiement de Vaine Plaisance sont pour la plupart réalisés et peints en Flandre ; l’autre, George Chastelain, indiciaire de Philippe le Bon, puis de Charles le Téméraire, fait chevalier pour les qualités de sa rhétorique [1]. Trois manuscrits en particulier vont retenir notre attention. Le manuscrit de Bruxelles, KBR, 10308 est célèbre pour les miniatures attribuées à Jean le Tavernier qui enrichissent le texte de René d’Anjou, le Mortifiement de Vaine Plaisance. Jusqu’ici, on s’est peu préoccupé du fait qu’à la suite de l’œuvre du roi de Sicile apparaissait un texte de Jean Gerson important pour l’histoire des idées : la Mendicité spirituelle. Un dialogue s’instaure, grâce au diptyque du manuscrit de Bruxelles, entre l’autorité gersonienne et René d’Anjou et met au jour, moins une source irréfutable, que des idées et des esthétiques interactives, dialogue qui se prolonge en dehors des deux textes du recueil. C’est dans ce sens que l’on se penchera ensuite sur deux manuscrits relatifs à un texte de George Chastelain, Les Douze Dames de Rhétorique. Le manuscrit conservé à Cambridge, University Library, Nn. III. 2 a appartenu à Jean de Montferrant, un des protagonistes de l’échange épistolaire qui sert de cadre aux douze enseignes. Il a été réalisé à Bruges et illustré par un miniaturiste de l’entourage de Philippe de Mazerolles dans les années 1467-1468. Le manuscrit de Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 1174 a aussi été réalisé en Flandre, sans doute avant 1468, pour Louis de Gruuthuse, chevalier de la Toison d’or depuis 1461 et bibliophile. L’iconographie énigmatique d’une des Dames, Profondité, retiendra notre attention. Dans ce cas également, l’intertextualité avec certains écrits de Gerson aide à comprendre le sens de l’image.
2Se pose constamment le problème de la source, de l’influence. Dans le cas de René d’Anjou comme dans celui de Chastelain, on peut plausiblement poser que les textes de Gerson ont pu leur parvenir. Mais rien ne permet de confirmer une lecture et une inspiration de la source gersonienne [2]. On tentera donc de tracer quelques pistes sur la diffusion des œuvres du chancelier parisien dans des milieux non ecclésiastiques ou monacaux, dans des bibliothèques aristocratiques. Mais ceci moins dans un but de remonter aux sources d’inspiration des auteurs qu’afin d’établir une cartographie mentale des lecteurs nobles. Dans cette perspective, les bibliothèques aristocratiques [3], témoins de goût et de culture, se présentent comme une mémoire vaste, où des œuvres copiées pour des illustres commanditaires entrent en dialogue. Le dialogue suggéré ici est celui d’une écriture spirituelle et mystique avec une écriture liée à l’éthique chevaleresque [4]. Mais on se gardera aussi de tomber dans un autre travers : en désacralisant l’importance de la source dans l’interprétation des œuvres il ne faut pas virer vers la survalorisation du lecteur. Les manuscrits sont aussi des objets rituels du pouvoir, des lieux de démonstration de faste et de richesse dont on peut se demander parfois s’ils ont été réellement lus… Entre l’auteur et le lecteur il y a donc un espace où se construit le dialogue des images et des œuvres et où se situe peut-être un juste milieu dans l’appréciation du sens.
Le Mortifiement de Vaine Plaisance et la Mendicité spirituelle : ouverture d’un dialogue
3Un beau manuscrit conservé à la Bibliothèque royale de Belgique est un témoignage intéressant de l’ambiguïté du livre comme objet d’étude : le manuscrit Bruxelles, KBR, 10308. Ce fameux codex à peinture contient une des œuvres de René d’Anjou, le Mortifiement de Vaine Plaisance (fol. 1 r°-132 r°), texte écrit en 1455. Il a fait l’objet d’un intérêt particulier puisque F. Lyna en a fait réaliser un fac-similé en couleur précédé d’un commentaire important [5]. Les peintures seraient l’œuvre de Jean le Tavernier. Le manuscrit a appartenu à Isabelle de Portugal, l’épouse de Philippe le Bon, un don selon l’hypothèse de F. Lyna, fait à la duchesse dans les circonstances de la réconciliation du couple ducal après un différend. F. Lyna échafaude une hypothèse romanesque concernant les circonstances de la commande du livre. Après une violente querelle entre le duc Philippe et son fils Charles de Charolais en 1457, celui-ci quitte la cour. Isabelle, ne supportant pas la disgrâce de son fils, rentre au couvent à Nieppe à la Motte-au-Bois [6]. Mais en raison de soucis de santé qui touchent Philippe, la duchesse décide de rentrer à la cour. Le manuscrit serait réalisé dans ces circonstances de « réconciliation », témoignage de la conversion de la duchesse et de ses aspirations spirituelles. Le codex a été réalisé entre 1455 et 1469.
4Peu d’intérêt est porté à l’autre œuvre que contient le volume, et pour cause, il n’y a pas d’illustrations. Il s’agit de la Complainte de l’homme à son âme de Gerson (fol. 133 r°-210 v°). Les deux textes notés par le même copiste ont été rapidement reliés ensemble. La notice de la Librairie des ducs de Bourgogne, comme F. Lyna bien avant, plus intéressée par la valeur artistique du manuscrit, reste vague sur le texte de Gerson [7]. En réalité, il s’agit de la Mendicité spirituelle, une des œuvres majeures du chancelier parisien.
5La proximité de l’œuvre de Gerson par rapport à celle d’un prince-poète postérieur a pourtant beaucoup d’enseignements à livrer. Elle ouvre aussi des pistes diverses sur la lecture de l’œuvre de René d’Anjou, sur la réception de Gerson en milieu aristocratique, sur la transmission mystérieuse, on va le voir, d’éléments iconographiques et idéologiques entre manuscrits. La Mendicité, avec la Montaigne de contemplation [8], est un texte que l’on rattache traditionnellement à la prédication des femmes et des simples gens, les béguines et les nonnettes. La mise en scène allégorique de l’homme, le sage qui énonce la leçon morale, et l’âme, le pôle féminin, va dans le sens de la pose de Gerson prêchant (mais on va voir que la forme du dialogue entre l’homme et l’âme est aussi importante dans le discours d’enseignement au prince). Certes, Isabelle de Portugal s’était aussi retirée dans un couvent comme une simple femme. Mais elle est aussi la duchesse de Bourgogne, et si l’on suit F. Lyna, c’est Philippe le Bon qui a fait commander le volume. Sur l’initiative de qui doit-on imputer le recueil, la mise en vis-à-vis de Gerson et de René d’Anjou dans un volume d’art digne d’une bibliothèque de prince, pas de pauvre moniale [9] ? Le codex est un véhicule, une mémoire, c’est aussi un témoignage de réception, d’interprétation des textes dans un contexte donné. Le rapprochement entre Gerson et René d’Anjou appartient à la lecture quasi contemporaine des textes et n’a pratiquement eu aucun écho dans la critique et l’histoire littéraire. Les comparaisons du texte de René et de Gerson sont dans la critique très allusives [10]. Et pourtant, les liens sont multiples entre les deux œuvres. Celles-ci se présentent comme des dialogues et prônent le même retrait de la vie mondaine pour une vie intérieure. Dans le cas de la Mendicité, l’homme enseigne à l’âme la nécessité de se soustraire à l’attrait des plaisances terrestres (le terme de plaisance revient à plusieurs reprises dans le traité) pour se tourner vers une vie d’ascèse et de cheminement spirituel vers Dieu (sous les traits du mendiant qui cherche l’aumône spirituelle). Dans le Mortifiement, c’est l’âme qui se plaint de l’attirance du cœur pour les plaisirs terrestres. Crainte de Dieu et Contrition le convainquent qu’il faut purifier les désirs du cœur, notamment par des récits en paraboles. Elles le décident à monter vers un calvaire où les vertus Foi, Espérance, Charité et Grâce perceront le cœur de clous pour émonder le sang des pollutions charnelles. Le texte de René est donc dominé par l’image de la mise en croix du cœur [11], pôle mondain en l’homme, et prône une quête intérieure. Selon D. Poirion, il forme avec le Livre du Cuer d’Amours espris (1457) un diptyque dont le message constate l’échec de la vie mondaine opposé à l’excellence de la charité et qui s’inscrit dans la perspective d’un miroir des princes. René développe une réflexion sur l’idéal spirituel dans la vie curiale, une éthique chevaleresque où le culte du cœur est au centre.
6Il faut dès lors se demander d’où provient la parenté traduite dans la mise en miroir du codex : d’une filiation réelle ou d’un effet de lecture (la communauté de thèmes, hors d’une influence directe de Gerson sur René, incitant le milieu de réception à rassembler les œuvres par exemple). L’idéologie de l’imitatio Christi, de la pénitence et de la souffrance comme voie d’accès de l’homme à Dieu, du retour de l’âme à son image originelle, le retrait du monde, la solitude sont évidemment des thématiques prisées par Gerson. Nous ne nous étendrons pas sur les liens entre la Mendicité et le Mortifiement, sujet riche qui mérite plus que quelques paragraphes dans la réflexion qui nous occupe. Précisons quand même que le dialogue allégorique en prose est très pratiqué par Gerson (voir le Canticordum en particulier sur lequel on reviendra), et notamment dans le contexte d’enseignement au dauphin. Gerson a écrit plusieurs lettres aux précepteurs du dauphin : le Tractatus, daté de l’année 1417 et adressé à Arnulf Charreton, précepteur du futur Charles VII ; et les Instructiones, datées de 1429, adressées à Jean Majoris, pour le dauphin Louis [12]. Le Tractatus, texte plus long, se compose de six parties : 1 et 6 sont des prières modèles proposées au dauphin (la deuxième partie de la Mendicité est constituée d’oraisons…). Les parties 2,3 et 4 sont des méditations « sous la forme classique à l’époque de débats entre le dauphin et sa propre âme [13] ». Enfin, la partie 5 est un inventaire de la bibliothèque idéale du dauphin qui compte 22 titres. Ces textes essentiellement de dévotion et de spiritualité, parmi lesquels sont prescrits les opuscules de Gerson lui-même, doivent aider, par l’exercice de la lecture, à la construction de la sagesse du dauphin, vertu essentielle à l’exercice du pouvoir.
7Un éclairage nouveau est jeté sur la lecture d’un texte comme la Mendicité qui réinvestit le dialogue homme/âme et l’exhortation à la prière. Le dialogue dans le cadre du Mortifiement ne prend-il pas aussi une coloration particulière dans l’initiation de l’homme au pouvoir, par le biais de la sagesse spirituelle [14] ?
8Les thématiques communes entre Gerson et René sont assez topiques, de même que l’usage du dialogue. Ces éléments ne permettent pas de conclure à une filiation. Il y a intertextualité entre les deux auteurs qui permet d’instaurer une relation dynamique et qui oriente la question de l’interprétation non plus tant du côté de l’auteur et de ses sources que du côté du lecteur et de son système de représentation. Dans le recueil les textes sont appelés à se croiser et c’est l’encyclopédie [15] du lecteur qui fonctionne, sa capacité à percevoir des parentés idéologiques, esthétiques et imaginaires entre les œuvres.
9Le témoignage du manuscrit de Bruxelles du Mortifiement ne sert donc pas le but ultime de prouver l’inspiration qu’un René d’Anjou aurait trouvée chez le chancelier parisien. Par contre, la mise en parallèle des deux textes relève d’un acte de lecteur (celui des quasi-contemporains de l’œuvre) et donne une assise et une légitimité à la mise en dialogue des discours dans un contexte donné [16]. Il ne s’agit plus de s’acharner à prouver que x ou y a lu effectivement Gerson ou non, mais de montrer en quoi certains lecteurs au XVe siècle les ont eux-mêmes mis en relation. La parenté pressentie entre x et Gerson par des lecteurs nous offre une piste pour l’interprétation du texte, mais qui se situe moins dans une recherche strictement génétique que dans l’établissement d’une dynamique entre des textes dans un contexte de réception attentif à la portée des œuvres par rapport aux questionnements contemporains sur le rôle de l’écriture, en l’occurrence ici de l’écriture spirituelle dans la vie aristocratique.
10C’est en ce sens qu’on orientera la question de la diffusion de Gerson dans les bibliothèques aristocratiques [17]. Gerson prédicateur, réformateur, tient une place relativement importante dans la culture curiale du XVe et dès lors se pose en interlocuteur de choix dans l’interprétation des témoins de cette culture aristocratique dont les livres sont des véhicules. Je proposerai donc d’aider à la lecture de motifs présents dans le programme de quelques manuscrits bourguignons de René d’Anjou et de George Chastelain au regard de ce que la vaste œuvre et l’autorité gersonienne offrent comme répondant (en l’occurrence, le cœur, le schéma de la croix et la crucifixion), non pas comme source d’une image, mais comme témoin et comme référence culturelle dans l’encyclopédie du lecteur du temps. Gerson dont la production en langue vulgaire est encore trop souvent associée à la prédication pour les femmes et simples gens est aussi une autorité en matière de miroir des princes et d’écriture engagée.
Du chant du cœur au cœur crucifié chez René d’Anjou
11D’autres échos que celui de la Mendicité et du Mortifiement se font jour entre René d’Anjou et Gerson. La co-présence des deux textes au sein du même manuscrit met sur la piste d’autres possibilités de rapprochement. Le cœur dans l’imaginaire du roi de Sicile est important. Mais il l’est aussi dans l’œuvre de Jean Gerson [18]. Il figure au centre de la doctrine du chant du cœur comme théorie mystique sur le retour de l’âme vers Dieu en particulier dans le Tractatus de Canticis et dans le Canticordum au pèlerin [19]. L’âme qui désire atteindre l’élévation spirituelle doit résonner comme le Verbe, le chant nouveau qui produit l’harmonie universelle. Le chant du cœur, instrument de dévotion, est ainsi organisé autour de la figure des cinq voyelles, les cinq notes de la gamme qui forment une croix dont le centre est le cœur (les voyelles correspondent aussi à cinq affections : joie, espoir, douleur, peur, pitié). Le modèle par excellence de la joie mystique qui s’exprime par le chant est la Vierge et son Magnificat (on y reviendra à propos de Chastelain). Dans certains manuscrits relatifs aux opuscules sur le chant du cœur, l’image est traduite en dessin : une croix avec à chaque extrémité et au centre une lettre, une affection, une note.
12Dans le manuscrit de Paris, BnF, lat. 17487, fol. 230 v°, un dessin à la plume accompagne le poème Pratique du psalterium mystique. Au bas de la deuxième colonne du poème un cœur est tracé avec inscription au centre de la vertu de Pitié et entouré par l’inscription en forme de croix des quatre vertus Joye, Paour, Douleur et Espoir (ill. 1).
13La crucifixion et le cœur en son milieu sont ainsi les centres de la réflexion spirituelle. Le Verbe est abrégé dans la croix et concentre toutes les possibilités de modulations et d’élévation mystique. Dans le Canticordum du pèlerin apparaît un dialogue entre Cuer mondain et Cuer seulet ; le second enseigne la pratique du chant spirituel, opposé au chant de bouche. Il distingue trois chants : de basse gamme, de moyenne gamme et de haute gamme. Lorsque le cœur atteint la haute gamme il est enflammé et atteint la figure de la croix :
Mais le tiers et le darrenier ne se puet chanter fors par le cuer enflamé de
l’amour de Dieu tout ardant et comme deifié qui a la loy de Dieu en figure de
croix emprainte au milieu de soy : quia finis legis Dei Christus. Lex Dei eius in
corde ipsius [20].
15Les images et la théorie de Gerson offrent des échos par rapport à la figure du cœur crucifié dans le cadre du Mortifiement. La scène de mise en croix du cœur au calvaire par les vertus théologales est illustrée dans les huit manuscrits. Le parallèle avec le cœur et la croix dans la théorie du chant du cœur de Gerson est frappant. La mise en croix est représentée dans un lieu clos sur plan octogonal qui ressemble à une chapelle [21] (ill. 2).
La Vierge, la croix et l’idéologie de l’écriture chez Chastelain
16George Chastelain, nommé indiciaire de Philippe le Bon en 1455, puis conseiller en 1456, participe en 1463 à un échange épistolaire avec Jean Robertet, secrétaire du duc de Bourbon, et Jean de Montferrant, personnage de la cour de Bourgogne ; l’enjeu en est à la fois littéraire et politique. Le débat tourne autour de la conception et du statut de l’écriture en contexte curial, de la fonction de l’écrivain engagé, en particulier sous la plume de Chastelain qui revendique « l’importance sociale et politique de l’écrivain [22] ». C’est dans ce cadre qu’interviennent douze personnifications, celles des dames de Rhétorique, à travers douze enseignes-prosopopées associées dans quelques manuscrits à douze miniatures très riches ; elles expriment un art poétique complexe mais largement sous-tendu par des conceptions théologiques [23]. Tous les manuscrits ne comportent pas un programme iconographique ; c’est le cas de quatre sur douze [24] :
- C, Cambridge, University Library, Nn. III. 2 (Bruges, années 1468-69, possesseur : Jean de Montferrant) ;
- F1, Florence, Biblioteca Medicea Laurenziana, Mediceo-Palatino 120 (dessins) ;
- M, Munich, Bayerische Staatsbibliothek, codex gallicus 15 (Bruges, années 1468-69, possesseur : Philippe de Clèves) ;
- P1, Paris, BnF, fr. 1174 (Bruges, années 1468-69, enluminures de Philippe de Mazerolles ?, possesseur : Louis de Gruuthuse).
17La construction du portrait des douze Dames emprunte beaucoup à l’iconographie de la Vierge [25]. D’une part, les enseignes sont le lieu d’affirmer la fonction engagée de l’écriture au côté du politique ; d’autre part, pour construire cet idéal scripturaire, George prend appui sur la sacralité d’images mariales et sur le rapport que la Vierge entretient avec le Verbe [26]. La Vierge est modèle du poète dans sa mission littéraire et politique, celle d’élever son dire au niveau du Verbe pour guider le prince vers la Rédemption du peuple [27].
18Quel lien ce discours, enrichi d’images, entretient-il avec Jean Gerson ?
19Partons de deux miniatures qui accompagnent l’enseigne de Dame Profondité dans le texte des Douze Dames de Rhétorique de George Chastelain. Dans le manuscrit de Cambridge, University Library, Nn. III. 2, fol. 28 v°, et dans le manuscrit de Paris, BnF, fr. 1174, fol. 24 v°, tous deux réalisés à Bruges à la même époque que le manuscrit du Mortifiement et pour des aristocrates bourguignons, Louis de Bruges et Jean de Montferrant, Profondité est représentée les bras en croix avec un médaillon à chaque extrémité de la quadrature formée par le corps où est inscrit : Longitudo (haut), lati – tudo transversalement et profundum aux pieds [28]. Le tracé de la croix indiquant au centre la poitrine de la dame renforce l’assimilation de celle-ci avec une figure christique. Cette image n’est pas directement l’œuvre de Chastelain, mais celle des miniaturistes brugeois. On ne sait pas sur instruction de qui l’illustration est structurée, mais on peut dire qu’il s’agit d’une lecture interprétative du texte de Chastelain (influencée peut-être par les indications de l’auteur lui-même [29] ). Cette miniature met en évidence deux images saillantes : la croix et la dame [30]. Ces deux éléments dominants de la lecture de l’image se trouvent rassemblés de manière à la fois synthétique et énigmatique : pourquoi la dame tient-elle les bras en croix et quel sens son geste prend-il ? Ce n’est que dans le dialogue intertextuel que l’image s’ouvre pour guider le sens.
20En premier lieu, le lecteur se trouve devant un programme : l’image, le texte de l’enseigne et la citation latine dont il faut résoudre la cohérence figurative et par là argumentative.
Profondité
« Gyrum celi circuivi et in fluctibus maris ambulavi [31] »
Seur à Argus suis à yeulx bien cent mile,
Dont nulle riens vivant n’est si subtile,
Ne linx perchant, ne serpent subitaine ;
Sur tout oysel j’ay ele plus agile,
Qui en l’instant fiers au premier mobile
Et là querant ce que m’y est utile,
Subite arriere en reviens toute saine ;
Je perche d’œil le ventre de la terre,
Toute estroit clos en prompt je le desserre,
Du ciel tout rond je parvole la plaine ;
Je treuve tout ce qu’engin puet requerre,
Et ce qu’il duit à humain cuer enquerre ;
Dont en fin toute aprés prendre et conquerre,
Je semble plus angelicque qu’humaine [32].
22La miniature qui accompagne l’enseigne (voir ill. 3) n’est pas une illustration du texte : les images qui dominent dans les deux media sont différentes et c’est leur cohérence qu’il faut essayer d’établir dans le procès de la lecture. Dans l’enseigne s’impose l’image de l’œil pénétrant, le regard de l’intelligence. Ce regard a une pénétration universelle : il perce l’univers entier (l’image cosmique domine l’enseigne). L’intelligence du sens que symbolise le regard assure le salut, la paix.
23Comment relier les images entre elles, celles de la miniature (la croix et la dame), celle du texte : le regard ? Prises isolément, les images enferment le texte, rétablies dans le système qui les sous-tend, elles génèrent plus de sens.
24Jean Gerson permet de reconstruire la cohérence entre les différents éléments présentés dans les deux manuscrits étudiés de Chastelain et une explication à la surimposition du schéma cruciforme et de la dame. Dans ses textes de théologie mystiques organisés autour de la musique, le chancelier construit autour de la croix un lieu de méditation spirituelle, source de perfectionnement total de l’homme, aussi bien moral que politique [33]. La croix qui résume le Verbe offre cinq points qui correspondent aux cinq voyelles, les cinq notes vocales qui doivent servir à l’exercice d’une méditation intérieure, pareille à une musique spirituelle. Cette musique intérieure cherche à atteindre la perfection harmonique qui est le Christ. Le chant intérieur est en même temps une méditation scripturaire. On aboutit ainsi à l’image de la génération du Verbe en l’homme par le biais du modèle marial. L’homme spirituel qui veut s’élever vers Dieu et vers la musique céleste doit suivre le modèle de la Vierge. C’est elle qui incarne la gamme mystique et par là la croix :
Chez Gerson, le Christ est le livre auquel la Vierge donne naissance. L’intertexte gersonien place la Vierge au centre de la réflexion sur l’écriture et la Rédemption et permet de recadrer la place des images virginales dans la poésie de Chastelain, jusque dans les écrits politiques [35]. Partant d’une image, celle de Profondité, pour tenter de la resituer dans son contexte, la lecture ne cesse de grossir les systèmes d’images et de générer du sens. En particulier, les dialogues entre le fonctionnement des images mariales chez Gerson et chez Chastelain s’enrichissent sans cesse. L’image des yeux et d’Argus [36] au vêtement semé d’yeux apparaît aussi chez Gerson, associée à la Vierge et à l’idée d’une accession à la senefiance totale et rédemptrice [37]. L’Université/alias la Vierge est dotée d’un regard pénétrant de sagesse qui purifie. Elle est garante d’une écriture de la Rédemption et d’une politique du Salut, qui éradique les menaces à l’encontre du corps politique. Sans la prise en compte du dialogue entre les œuvres et les codex, les images de la croix, des yeux et d’Argus se limitent à orner le texte de couleurs et de symboles obscurs, mais gratuits.Mais le tiers [chant] et darrenier ne se peut chanter fors par le cuer enflamé de
l’amour de Dieu, tout ardant et comme deifié, qui a la loy de Dieu en figure de
croix emprainte au millieu de soy–quia finis Dei Christus ; lex Dei eius in corde
ipsius– tellement qu’il ne peut ou veult d’autre chose penser, escouter ou chanter,
d’autre chose n’est il piteux ne pour aultre chose n’est joyeux ou desireux, ou
en ce mortel pelerinaige paoureux ou doloureux, quant se sent longtain de Dieu
et de sa gloire.
Tel fut le cuer de Nostre Dame, quod pertransivit gladius (Lc 2,35) et vulnera-
vit caritate {lequel transperca le glaive et la navra de charité}. Tel de saint Pol :
Christo confixus sum cruci {je suis crucifié avec Jhesucrist en la croix} ; vivo ego
iam non ego {je vis non pas moy mais Jhesucist en moy}, etc. [34]
Mais faut-il que Gerson ait effectivement influencé directement Chastelain ? D’autres sources témoignent aussi de l’aspect en partie conventionnel de l’iconographie de la Vierge associée à la croix, au regard et au vêtement d’or et à la Sagesse de l’Ancien Testament.
26Dans la neuvième vision d’Hadewijch, la mystique brabançonne, apparaît un personnage féminin, la reine Raison, qui porte le même vêtement d’or que la Sagesse du psaume 44 et que Glorieuse Achevissance, la douzième enseigne dans le texte de Chastelain [38]. Comme Profondité a un regard pénétrant d’intelligence et est sœur d’Argus aux mille yeux, Dame Raison porte un vêtement semé d’yeux, et Sagesse, une de ses trois compagnes, porte une lanterne qui éclaire afin de percer le secret des abîmes et les hauteurs des cieux :
« Le jour de la Nativité de Marie, j’étais à Matines et après les trois leçons,
j’eus une vision merveilleuse dans l’esprit. Auparavant, mon cœur avait
été ébranlé par les mots d’amour du Cantique qui me firent penser à un
baiser parfait. Peu après, au cours du deuxième Nocturne, j’eus une vision
en esprit. Une reine vint à moi, vêtue d’une “robe d’or” et sa robe était
pleine d’yeux. Ils pénétraient toute chose, ardents comme des flammes
et pourtant translucides comme du cristal…
La troisième portait une grande robe noire et dans sa main tenait comme
une lanterne pleine de jours, grâce à laquelle sa Dame pouvait voir la
profondeur des abîmes et la hauteur de la plus haute ascension…
Et j’ajoutai : “Quel message m’apportez-vous ?” Et elle me dit : “Oui, tu
es ornée de ce vêtement d’yeux et tu m’as revêtue d’honneur céleste. Les
yeux sont au nombre de mille, le nombre parfait de chaque vertu. La flam-
me de chacun des yeux est allumée par la connaissance de l’amour.
La transparence cristalline des yeux est perdue, morte cent fois dans la
souffrance de la connaissance (mystique).” [39] ».
28L’attribut de Raison, le vêtement d’or semé d’yeux, devient l’attribut de la mystique qui pénètre le mystère divin. On glisse de Sagesse (le Verbe incarné) à la mystique, celle qui cherche la fusion avec le Verbe dans un transfert symbolique. L’intertexte offre aux images de Chastelain une cohérence et une continuité. La croix et le regard sont encore plus précisément rapprochés. Les mille yeux du vêtement, image apocalyptique, et le vêtement doré du psaume 44 expliquent l’émergence de la figure d’Argus chez l’Aventurier.
29Diverses questions s’imposent et complexifient le problème du rapport entre Gerson et Chastelain au départ si éclairant. Tout d’abord, l’iconographie de la Vierge mêlée au schéma de la croix, le regard pénétrant et le vêtement d’or du psaume 44 apparaissent dans d’autres sources que chez Gerson. Ce dernier a le mérite d’offrir une somme, une synthèse d’éléments associés traditionnellement à la Vierge et une cohérence doctrinale qui fait écho à l’idéologie de l’écriture de Chastelain. Ensuite on ne peut pas statuer sur l’implication de Chastelain lui-même dans le choix de l’iconographie des manuscrits. Celle-ci est peut-être l’œuvre d’interprètes de Chastelain.
30D’où vient l’iconographie de la croix et de la Vierge ? Le rapport entre la Passion et la Vierge dans l’œuvre de Rédemption est ancien dans la liturgie [40]. Mais au demeurant, Gerson offre une synthèse au XVe siècle d’un bagage imaginaire sans doute enraciné dans la mémoire culturelle médiévale.
31Les deux manuscrits des Douze Dames, celui ayant appartenu à Montferrant et celui ayant appartenu à Louis de Gruuthuse, ont été réalisés à Bruges. Or, Gerson a été nommé par Philippe le Hardi doyen du chapitre Saint-Donatien à Bruges et a résidé pendant quelques années dans la Venise du Nord (1397-1401) [41]. Quelles empreintes Gerson a-t-il laissées là ? Coïncidences ? Mirage des sources ? Une fois de plus, les chemins se croisent mystérieusement.
La diffusion de Gerson dans les milieux aristocratiques : balises
32Y a-t-il une relation « matérielle », une filiation entre les images de la crucifixion du cœur chez Gerson, chez René d’Anjou et chez Chastelain ? La question est difficile. Les manuscrits conservés du Tractatus de Canticis et du Canticordum du Pèlerin témoignent d’une diffusion essentiellement ecclésiastique à l’abbaye de Saint-Victor, chez les célestins et les chartreux de Paris, au collège de Navarre [42]. Est-ce que la théorie du chant du cœur de Gerson a pénétré des milieux autres que ceux des abbayes comme Saint-Victor et des couvents de chartreux ?
33Dans l’inventaire de la bibliothèque de Charles d’Orléans [43] on relève un titre qui correspond au Canticordum, livre ramené d’Angleterre : Ung autre livre appelé Canticordium, commansant : Deus Canticum novum [44]. Charles possédait aussi un commentaire sur le Cantique des cantiques en latin (identifié avec le ms. Paris, BnF, lat. 479, de la main de Nicolo Astesano ; ce manuscrit porte les armes de Charles).
34P. Champion donne aussi l’inventaire de la librairie du frère de Charles, Jean, comte d’Angoulême. On y retrouve un Testament du Pèlerin.
35À l’inventaire on peut ajouter un autre manuscrit qui porte les armes de Charles, le ms. Paris, BnF, lat. 458. Ce recueil de textes spirituels contient le Testamentum perigrini [45].
36Charles d’Orléans est un lecteur de Gerson. Durant sa captivité en Angleterre, il se tourne vers la littérature de dévotion, en particulier pendant la période où il est réuni avec son frère auprès de John Cornwall, grâce auquel il entre en relation avec le franciscain Thomas Wynchelsey. À cette époque postérieure à la mort du chancelier Gerson (1429), le duc reçoit des copies d’œuvres de celui-ci par l’entremise de Jean le Célestin, prieur au couvent des célestins de Lyon (notamment le Testamentum Perigrini) [46]. Charles d’Orléans fait-il exception dans les relations qu’il entretient avec les milieux ecclésiastiques dans la constitution de sa bibliothèque [47] ? Le témoignage qu’il offre permet en tous cas de consolider l’hypothèse d’échanges culturels entre monde religieux et monde aristocratique. René d’Anjou, qui était un proche ami de Charles, a fréquenté Blois et composé des rondeauxdébats qui figurent dans le manuscrit autographe Paris, BnF, fr. 25458. Il n’est pas impensable que René ait lu le Canticordum dans la bibliothèque de Charles. La même remarque peut être faite pour Chastelain qui a également fréquenté la cour de Charles et participé au mal nommé « concours de Blois » sur l’incipit : « Je meurs de soif… ». Mais on entre là dans le domaine de la reconstruction où tous les scénarios sont possibles pour conforter une hypothèse de lecture [48].
37Gerson qui à maints égards témoigne d’une pensée à la fois héritière du Moyen Âge, mais aussi humaniste [49], influence largement le XVe siècle et des milieux qui ne se limitent pas à la vie monacale. Ses écrits et ses doctrines ont pénétré dans les bibliothèques aristocratiques, et ont aussi influencé certaines productions artistiques [50]. On note aussi la présence d’œuvres de Gerson dans les inventaires des livres des ducs de Bourbon [51] et de Bourgogne. J.P. Boudet [52] voit en Gerson une des origines possibles de l’inspiration de la sixième tapisserie de la Dame à la Licorne (A mon seul desir) conservée au musée de Cluny à Paris. Il s’agirait d’une allégorie du sixième sens, le cœur. La tapisserie a été réalisée pour une famille bourgeoise parisienne, bientôt promue au titre nobiliaire, les Le Viste, d’origine lyonnaise (Gerson a terminé sa vie à Lyon…). Dans son étude, J.P. Boudet pointe l’influence de Gerson et de la doctrine du cœur sur Villon [53], mais il fait aussi observer combien Olivier de la Marche est imprégné de la théorie des cinq sens et du cœur [54].
38Mais Gerson tient surtout une place de choix dans la Bibliothèque de Bourgogne.
39Le catalogue de la Librairie des ducs de Bourgogne et l’inventaire de la bibliothèque de Marguerite d’Autriche offrent un aperçu de la diffusion de Gerson en terre bourguignonne [55] :
- Bruxelles, KBR, 11133-35 [56], réalisé dans le Nord de la France vers 1415 qui contient entre autres le Traité des dix commandements (Miroir de l’âme).
- Bruxelles, KBR, 9081-82 [57], qui contient des sermons de Gerson sur la Passion. Il date d’avant 1467 et figure dans l’inventaire de la Bibliothèque de Bourgogne (1467-1469).
- Bruxelles, KBR, 9272-76 [58], réalisé à Gand entre 1468 et 1477 pour Marguerite d’York, l’épouse du Téméraire, représentée sur la miniature du fol. 182 r°. On y retrouve entre autres de nouveau le Traité des dix commandements et le Traité de la mendicité spirituelle.
- Bruxelles, KBR, 9305-06 [59], réalisé à Bruges, à nouveau entre 1468 et 1477 pour Marguerite d’York (signature autographe dans le fol. 158 v°) qui contient la Mendicité spirituelle et la Montaigne de contemplation.
- Bruxelles, KBR, 10308 [60], qui rassemble le Mortifiement de Vaine Plaisance de René d’Anjou et la Mendicité spirituelle de Gerson, manuscrit daté d’entre 1455 et 1467-69 (date de l’inventaire) et qui porte les armes d’Isabelle de Portugal et de Philippe le Bon.
- Bruxelles, KBR, inc. B 404 [61]. Cet incunable réalisé à Burgos contient une traduction espagnole du De meditatione cordis. Marguerite d’Autriche l’acquiert lors de son séjour en Castille.
40La Mendicité apparaît trois fois dans des codex qui ont appartenu aux duchesses Isabelle puis Marguerite d’York. Mais on ne peut pour autant réduire la réception à la stricte lecture féminine. Louis de Bruges (Gruuthuse) possédait un exemplaire de la Mendicité : le ms. Paris, BnF, fr. 190, codex réalisé à Bruges à la fin du XVe siècle qui porte les armes et aussi le portrait de Louis priant (fol. 103). Il s’agit d’un recueil enluminé de textes philosophiques qui contient un pseudo-Sénèque, un pseudo-Bonaventure et les Moralités des philosophes. Ce regroupement de textes de dévotion, de spiritualité parmi lesquels figure Gerson rappelle le manuscrit Paris, BnF, lat. 458, possession de Charles d’Orléans.
41Louis de Gruuthuse, élu chevalier de la Toison d’or au chapitre de Saint-Omer en 1461 [62] (et possesseur du manuscrit Paris, BnF, fr. 1174, manuscrit de Chastelain) était un collectionneur de livres [63]. On ne dispose pas d’inventaire de sa bibliothèque datant du Moyen Âge, mais les tentatives de reconstitution permettent d’évaluer au nombre de 162 ses livres (soit quelque 200 titres puisqu’un codex peut renfermer plusieurs titres) [64].
42La collation est intéressante. Gerson connaît des lettres de noblesse dans un milieu aristocratique. Mais aucune des œuvres de Gerson répertoriée dans ces inventaires ne correspond au Tractatus de Canticis ni au Canticordum au pèlerin (sauf dans le cas de Charles d’Orléans) qui semblent entretenir de vraies affinités imaginaires et idéologiques avec l’œuvre de René d’Anjou et avec celle de George Chastelain.
43L’enquête est donc à la fois intéressante et ambiguë. Certes, des œuvres de Gerson circulent, mais peut-on en tirer des conclusions sur la réception des textes du chancelier ? Est-ce que la revue des bibliothèques aristocratiques, qui ne peut qu’être très partielle, suffit ? Si l’on prend par exemple les catalogues des bibliothèques médiévales de Belgique [65], on y retrouve la présence de Gerson dans de nombreux inventaires, testaments, comptes, etc. La plupart du temps, les bibliothèques en question sont celles de chapitres d’église (l’église Notre-Dame de Courtrai, Saints-Michel-et-Gudule en particulier). Les traités de Gerson étaient l’apanage de chanoines, de prêtres, de religieux. On se situe ici dans un contexte ecclésiastique et dans une culture universitaire. Mais cet univers est-il cloisonné et n’a-t-il rien à révéler sur les pratiques et goûts de lecture des nobles ? Parmi les noms associés à des manuscrits de Gerson dans le Corpus Catalogorum Belgii, relevons-en quelques-uns qui ont quelques relations privilégiées avec la cour : Simon van der Sluys (de l’Écluse) attaché à la collégiale Saint-Rombaut de Gand, chanoine à Bruges, conseiller et médecin des ducs de Bourgogne (1461-1462) ; Nicholas Clopper (inventaire de Saints-Michel-et-Gudule) a été conseiller des ducs Philippe le Bon et Charles ; enfin, Martin Steenberch (inventaire de Saints-Michel-et-Gudule) était secrétaire de Philippe le Bon et deuxième greffier de la Toison d’or [66] … Tous possédaient l’une ou l’autre œuvre de Gerson [67]. Mais que peut-on en tirer ? Si la frontière entre culture aristocratique et culture ecclésiastique et bourgeoise est effectivement perméable, alors il s’agit d’une possibilité de plus de placer l’autorité de Gerson parmi les références culturelles importantes et d’autoriser la lecture en dialogue des œuvres laïques et curiales avec les œuvres spirituelles. D. Hobbins a démontré récemment combien l’influence de Jean Gerson a dépassé les sphères des milieux universitaires et imprégné la spiritualité et la dévotion laïque au XVe siècle [68].
44La proximité contextuelle, la diffusion de Gerson dans les bibliothèques aristocratiques, les affinités doctrinales entre Gerson-René d’Anjou-George Chastelain autorisent le rapprochement. La mise en dialogue des œuvres enrichit l’interprétation, aide au décodage du sens, affine la perception du rapport entre pensée politique, culture chevaleresque et réflexion spirituelle. Elle ne permet pas de conclure à une influence directe. Elle interroge, laisse le sens des œuvres ouvert.
45Les systèmes de représentation et l’idéologie mis en place par les œuvres de Jean Gerson tiennent une place importante dans la culture du XVe siècle. Si l’imaginaire chevaleresque et aristocratique se renouvelle, en particulier à la cour de Bourgogne, comme en témoignent les nombreuses mises en prose et récits, et si ce renouveau littéraire et romanesque sert la glorification du pouvoir, par exemple dans le cadre des pas d’armes [69], la pensée théologique et les spéculations spirituelles jouent aussi un rôle dans les bibliothèques aristocratiques et dans les rites politiques. À ce titre, René d’Anjou et George Chastelain placent la réflexion théologique et morale au cœur de leur entreprise littéraire et de leur message politique et semblent s’inscrire dans la ligne directe de l’idéologue Jean Gerson. René d’Anjou offre l’intérêt d’une œuvre composite et complémentaire, mêlée de réminiscence arthurienne (Le Livre du Cuer d’Amours espris) et de méditation profonde (le Mortifiement). En ce qui concerne l’œuvre de Chastelain, c’est le 8 mai 1463 que se produit devant les yeux de Jean de Montferrant l’apparition des douze Dames. M.R. Jung a émis l’hypothèse que les enseignes ont donné lieu à une représentation théâtrale [70]. Dans ce cas, le contenu doctrinal de ces textes devait offrir un spectacle singulier sollicitant une culture ouverte aux spéculations théologiques. Si les enseignes ont bien été destinées à la représentation pour un milieu de cour, il conviendra de souligner qu’au printemps de la même année (le 28 avril), dans la même ville spectacle de Bruges a lieu le Pas du Perron faé organisé par Philippe de Lalaing. La joute met en lice trois camps : la noblesse bourbonnaise autour d’Isabelle de Bourbon, le camp du futur Charles le Téméraire et enfin les anciens conseillers de Philippe lui-même sur la fin de sa vie, les Lalaing, les Croÿ, les Créquy, les Clèves. Bourbonnais et Bourguignons s’affrontent symboliquement [71], comme dans les épîtres. Les Douze Dames et le Pas du Perron faé ne font-ils pas partie d’un même ensemble de spectacles destinés à l’aristocratie et articulés sur deux volets, l’un plus spirituel, l’autre plus chevaleresque ?
46Au sein de cette culture aristocratique où la pensée spirituelle a un rôle à jouer dans l’affirmation du pouvoir, Jean Gerson offre des échos déterminants pour comprendre le fonctionnement de la culture aristocratique à la fin du Moyen Âge.
Notes
-
[1]
George devint chevalier en 1473 lors du chapitre de la Toison d’or à Valenciennes, mais n’a pas été chevalier de l’Ordre comme le mentionnent encore certaines sources. À ce sujet, voir la mise au point de P. BONENFANT, Chastellain fut-il chevalier de la Toison d’Or ?, Revue belge de Philologie et d’Histoire, t. 25,1946-47, p. 143-144.
-
[2]
Notons aussi les affinités remarquées entre Gerson et Molinet par M. RANDALL, Building Resemblance. Analogical Imagery in the Early French Renaissance, Baltimore-Londres, 1996.
-
[3]
Voir la thèse de C. VAN HOOREBEECK, Livres et lectures des fonctionnaires des ducs de Bourgogne (ca 1420-1520), 2 vol., Namur, Facultés Universitaires Notre-Dame de la Paix, 2007.
-
[4]
Notons que René d’Anjou a écrit un Traictié de la forme et devis d’un tournoy (entre 1445 et 1450, voir Le Livre des Tournois du Roi René de la Bibliothèque nationale (ms. français 2695), Paris, 1986), un code pour l’organisation de grandes représentations chevaleresques qu’il a lui-même organisées avec le roi Charles VII durant les moments de paix dans les guerres avec l’Angleterre. Le Livre des Tournois, le Mortifiement (1455) et le Livre du Cuer d’Amours espris [1457, RENÉ D’ANJOU, Le Livre du cœur d’amour épris, éd. et trad. F. BOUCHET, Paris, 2003] constituent une sorte de triptyque (D. Poirion parle de diptyque au sujet des deux dernières œuvres, mais pourquoi ne pas tenter d’intégrer la première… ?) qui fait penser à la trifonctionnalité de Dumézil dans son analyse des sociétés indo-européennes et de la représentation de la royauté qui combine ces trois fonctions : religieuse (Mortifiement ?), guerrière (Tournoi ?) et productrice/fécondante (Amour espris ?). Les trois textes feraient partie d’un même esprit d’initiation au pouvoir. D. POIRION, Le Miroir magique, dans M.T. GOUSSET, D. POIRION, F. UNTERKIRCHER, Le Cœur d’Amour épris. Reproduction en fac-similé des miniatures du Codex Vindobonensis 2597 de la Bibliothèque Nationale de Vienne, Paris, 1981, p. 13-80.
-
[5]
F. LYNA, Le Mortifiement de Vaine Plaisance de René d’Anjou. Étude du texte et des manuscrits à peintures, Bruxelles-Paris, 1926. F. Lyna offre une reproduction du manuscrit de Bruxelles et des miniatures des autres manuscrits illustrés. Il recense 11 manuscrits dont 8 ornés. Nous renvoyons à l’étude de F. Lyna pour plus de précision concernant les autres manuscrits du Mortifiement, ainsi qu’aux articles de B. GAGNEBIN, Un manuscrit du Mortifiement de Vaine Plaisance retrouvé à Genève, Scriptorium, t. 26, 1972, p. 51-53 (les huit miniatures du ms. de Genève, Bodmer, 144 sont reproduites aux planches 12-15 ; le manuscrit a par ailleurs été entièrement numérisé et est consultable sur le site : hhttp :// www. e-codices. ch/ fr/ index. htm)et de F. UNTERKIRCHER, Die Handschrift Le Mortifiement de Vaine Plaisance von René d’Anjou aus der ehemaligen Bibliotheca hohendorfiana, Scriptorium, t. 30,1976, p. 238-241.
-
[6]
Voir également M. SOMMÉ, Isabelle de Portugal, duchesse de Bourgogne. Une femme au pouvoir au XVe siècle, Villeneuve d’Ascq, 1998, p. 456-457.
-
[7]
La Librairie des ducs de Bourgogne, manuscrits conservés à la Bibliothèque royale de Belgique (= LDB), t. 1, Textes liturgiques, ascétiques, théologiques, philosophiques et moraux, éd. B. BOUSMANNE et C. VAN HOOREBEECK, Turnhout, 2000. La notice sur ce manuscrit est d’A. KELDERS, p. 221-225.
-
[8]
Y. MAZOUR-MATUSEVICH, La position de Jean Gerson (1363-1429) envers les femmes, Le Moyen Âge, t. 112,2006, p. 337-353. Il ne s’agit pas de nier le fait que Gerson par l’usage de la langue vulgaire vise à toucher un public féminin. Mais il y a aussi chez Gerson une « promotion politique de la langue vulgaire, dont Oresme s’était fait naguère l’avocat ». J. VERGER, Ad prefulgidum sapiencie culmen prolem regis inclitam provehere. L’initiation des dauphins de France à la sagesse politique selon Jean Gerson, Penser le pouvoir au Moyen Âge (VIIIe -XVe siècles). Études d’histoire et de littérature offertes à Françoise Autrand, éd. D. BOUTET et J. VERGER, Paris, 2000, p. 436.
-
[9]
On verra que la Mendicité est un titre important dans les livres de bibliothèques nobles dont le possesseur est souvent une femme noble.
-
[10]
V. BUBENICEK, Le Mortifiement de Vaine Plaisance (1455) de René d’Anjou. Littérature et spiritualité, La Littérature angevine médiévale. Actes du colloque du samedi 22 mars 1980, Paris, 1981, p. 177-198.
-
[11]
S. SCHWAM-BAIRD, The Crucified Heart of René d’Anjou in Text and Image, Fifteenth Century Studies, t. 25,2000, p. 228-252.
-
[12]
Pour l’édition, voir JEAN GERSON, Œuvres complètes, éd. P. Glorieux, t. 2, Paris, 1960, p. 203-215,335-338. Pour un commentaire détaillé, en particulier du Tractatus, voir VERGER, Ad prefulgidum sapiencie.
-
[13]
VERGER, Ad prefulgidum sapiencie, p. 430.
-
[14]
On pourrait faire la même remarque pour un texte comme le Livre d’Espérance d’Alain Chartier, dialogue entre Entendement et les vertus théologales dans le contexte de trouble de la royauté…
-
[15]
Sur la notion d’encyclopédie, ou de répertoire dans l’esthétique de la réception, voir en particulier W. ISER, L’Acte de la lecture. Théorie de l’effet esthétique, trad. E. SZNYCER, Bruxelles, 1985.
-
[16]
Dans la perspective d’une mise en dialogue des textes conservés dans un même recueil, nous attirons l’attention sur le ms. du Mortifiement de CAMBRIDGE, Fitzwilliam Museum 165, qui a été réalisé avant le 22 juin 1476 pour Pierre de Luxembourg, comme le montre H. WIJSMAN ici même (p. 628-633). Il contient également L’Instruction d’un jeune Prince de Hugues ou Guillebert de Lannoy. Dans ce cas, le rapprochement va dans le sens du traité d’éducation chevaleresque.
-
[17]
Voir la troisième partie de cet article.
-
[18]
Le cœur est devenu l’emblème de Gerson, voir M. LIBERMANN, Autour de l’iconographie gersonienne (I et II), Romania, t. 84,1963, p. 307-353 et t. 85,1965, p. 49-100, 230-268.
-
[19]
I. FABRE, La Doctrine du chant du cœur de Jean Gerson. Édition critique et commentaire du Tractatus de canticis et du Canticordum au pèlerin, Genève, 2005.
-
[20]
Canticordum, éd. FABRE, p. 503.
-
[21]
On verra aussi la ressemblance de l’espace de la miniature avec les lieux clos dans lesquels sont représentées Dame Science, Profondité, Multiforme Richesse, Florie Memoire, Noble Nature, Deduccion loable, Glorieuse Achevissance dans le manuscrit de Cambridge des Douze Dames. Voir GEORGE CHASTELAIN, JEAN ROBERTET, JEAN DE MONTFERRANT, Les Douze Dames de Rhétorique, éd. D. COWLING, Genève, 2002.
-
[22]
Ibid., p. 25.
-
[23]
L’attribution des enseignes à Chastelain a été démontrée de manière convaincante par C. BROWN, Du nouveau sur le mistere des Douze Dames de Rhétorique. Le rôle de Georges Chastellain, Bulletin de la Commission royale d’Histoire, t. 153,1987, p. 181-221.
-
[24]
Pour la description des manuscrits, voir l’éd. COWLING, p. 36-59. Les miniatures du manuscrit de base C sont reproduites intégralement dans un cahier central.
-
[25]
Pour une bibliographie détaillée sur les Douze Dames, je renvoie à l’édition de D. COWLING et à l’article de J.C. MÜHLETHALER, Un manifeste poétique de 1463 : les Enseignes des Douze Dames de Rhétorique, Les Grands Rhétoriqueurs. Actes du Ve Colloque International sur le Moyen Français. Milan, 6-8 mai 1985, éd. A. SLERCA et S. CIGADA, t. 1, Milan, 1986, p. 81-101.
-
[26]
Pour plus de détails sur les images mariales dans la construction de la figure de l’écrivain engagé dans une mission politico-théologique, voir notre livre en coll. avec D. COWLING, L’Automne des images. Pragmatique de la langue figurée chez George Chastelain, François Villon et Maurice Scève, Paris, Champion, à paraître.
-
[27]
E. DOUDET, Poétique de George Chastelain (1415-1475). Un cristal mucié en un coffre, Paris, 2005.
-
[28]
« Qu’Il daigne, selon la richesse de sa gloire, vous armer de puissance par son Esprit pour que se fortifie en vous l’homme intérieur, que le Christ habite en vos cœurs par la foi et que vous soyez enracinés, fondés dans l’amour. Ainsi vous recevrez la force de comprendre, avec tous les saints, ce qu’est la Largeur, la Longueur, la Hauteur et la Profondeur, vous connaîtrez l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance, et vous entrerez par votre plénitude dans toute la plénitude de Dieu. » Ep 3,16-18.
-
[29]
Notons que l’attribution des poèmes à Chastelain n’est que le fait de recherches récentes (voir BROWN, Du nouveau sur le mistere). La question des miniatures et du rapport avec Chastelain est d’autant plus délicate.
-
[30]
Le schéma de la croix que forme le corps de la dame est rehaussé par le jeu de perspective du décor. Le trône sur lequel est assise la dame (qui rappelle une Sedes Sapientiae) au centre donne l’orientation verticale et les murs peints en rouge rehaussent le plan horizontal. Dans le manuscrit de Cambridge (voir GEORGE CHASTELAIN, JEAN ROBERTET, JEAN DE MONTFERRANT, Les Douze Dames de Rhétorique, éd. D. COWLING, pl. 6), la croix est mise en perspective par le trône et les fenêtres de ce qui ressemble à une chapelle. Le plan en croix apparaît aussi dans les images de Multiforme Richesse, de Florie Mémoire, de Noble Nature et de Deduction loable et Glorieuse Achevissance dans le manuscrit de Cambridge (voir les planches de l’éd. COWLING ), grâce à la pose centrale de la dame sur un siège (qui a les allures d’un trône par sa masse) et grâce à l’arrière-plan horizontal formé par des fenêtres dans un lieu clos, soit proche d’une chapelle soit d’un temple avec pilastre sur plan circulaire (voir pl. 10 et 15). Le jeu de perspective est un peu moins clair dans les miniatures du ms. de Paris, sauf pour les dames Mémoire, Nature et Achevissance. Les miniatures ont été numérisées et sont consultables sur le site Mandragore de la Bibliothèque Nationale de France : http :// wwww. manuscritsenlumines. fr/ . Dame Profondité siège sur un trône (et d’autres de ses compagnes aussi). On peut rapprocher la construction de l’image de Profondité, outre de la sedes, du motif iconographique du trône de Grâce qui représente les trois personnes de la Trinité : le père en arrière-fond qui tient la croix sur laquelle pend le Christ et qui est surmonté par la colombe de l’Esprit saint. Cette représentation de la Trinité est fréquente dans les livres d’Heures. Elle fait sans contexte partie du bagage imaginaire de leur possesseur. Voir la base de données iconographique Liber Floridus : http ://liberfloridus.cines.fr/ (trône de grâce). Ajoutons aussi que deux saintes, Julie et Wilgefortis, ont subi, selon la légende, le supplice de la croix et sont traditionnellement représentées crucifiées. Wilgefortis, au contraire de Julie dont la popularité semble surtout attestée en Italie du Nord, était très vénérée dans les anciens Pays-Bas au XVe siècle. Pour plus d’informations, voir J. SLATKES, Hieronymus Bosch and Italy, The Art Bulletin, t. 57,1975, p. 335-345. Je remercie mon collègue R. DEKONINCK pour l’indication.
-
[31]
Citation latine en tête de l’enseigne : « J’ai contourné la circonférence des cieux et j’ai parcouru les flots de la mer ».
-
[32]
Strophe 1 de l’enseigne qui en compte trois.
-
[33]
Pour la dimension « miroir des princes » de l’œuvre de Gerson et en particulier du recueil PARIS, BnF., lat. 17487, manuscrit qui contient les opuscules sur le chant du cœur, voir V. MINET-MAHY, Esthétique et pouvoir de l’œuvre allégorique à l’époque de Charles VI. Imaginaires et discours, Paris, 2005.
-
[34]
Canticordum, collation 3, XXXI, 5, éd. FABRE, p. 503-504.
-
[35]
Pour plus de détails, voir notre livre L’automne des images, à paraître.
-
[36]
Voir la citation de l’enseigne de Profondité.
-
[37]
Au surplus, la fille du roy, plus noble tiltre ne lui scay je baillier, tourne et envoye souvent par tout ce royaulme de France les yeulx de sa consideracion qui sont plus clers que le soleil et plus multiplies que ceulx d’Argus, pour quoy elle est bien comparee aux bestes que vit Ezechiel, plaines de yeulx devant et derriere, dehors et dedans, Ezech. I. Las que voit elle en consideracion ? Elle voit turbacion partout, meschief par tout. Elle voit en plusieurs lieux oppression crueuse de peuple ; pour justice violence, pour misericorde rapine, pour protection destruction. Sermon Vivat Rex, JEAN GERSON, Œuvres Complètes, t. 7*, L’œuvre française. Sermons et discours, Paris-Tournai, 1968, texte n° 398, p. 1138.
-
[38]
Voir la miniature au fol. 37 v° du manuscrit de Cambridge, la dame est nue et sa peau est dorée. Quatre des douze citations latines sont issues du psaume 44 ; l’enseigne de Science en particulier nous ramène au vêtement d’or : Astitit regina a dextris in vestutido deaurato circumdata varietate (Ps 44,10).
-
[39]
HADEWIJCH D’ANVERS, Les Visions, trad. G. EPINEY-BURGARD, Genève, 2000, p. 60-63. Pour plus d’informations sur les images dans la Vision 9, voir V. FRAETERS, Zwart : over het negende visioen van Hadewijch, Tegendraads genot : opstellen over de kwaliteit van middeleeuwse teksten, éd. K. PORTEMAN ET AL., Louvain, 1996, p. 31-46.
-
[40]
Au premier concile de Latran en 1123, on a tenté de faire coïncider le jour de la conception (Annonciation) du Christ et le jour de sa mort, le 25 mars. Annonciation et Crucifixion sont donc liées de longue date et cet entrelacement a beaucoup influencé l’histoire de l’art et de la littérature. E. O’CARRAGAIN, Ritual and the Rood. Liturgical images and Old English poems of the Dream of the Rood tradition, Londres, 2005, p. 83.
-
[41]
E. VAN STEENBERGHE, Gerson à Bruges, Revue d’Histoire ecclésiastique, t. 31,1935, p. 5-52.
-
[42]
Voir FABRE, La Doctrine du chant du cœur, p. 279-290 ; D. CALVOT et G. OUY, L’œuvre de Gerson à Saint-Victor de Paris. Catalogue des manuscrits, Paris, 1990.
-
[43]
P. CHAMPION, La Librairie de Charles d’Orléans, Paris, 1910.
-
[44]
L’incipit est bien celui du Canticordum.
-
[45]
Les inventaires sont des témoignages importants mais partiels. Lorsqu’il s’agit de manuscrits-recueils, les titres qui ne figurent pas en tête de codex échappent au recensement. Le codex comme unité matérielle peut cacher plusieurs titres bien souvent réduits à un dans l’inventaire. Concernant le manuscrit PARIS, BnF, lat. 458, il contient onze titres, deux de Pierre d’Ailly, un pseudo-Augustin, un pseudo-Bo-naventure (Psalterium b. Mariae Virginis), etc. Ce manuscrit n’est pas mentionné par I. Fabre.
-
[46]
Voir les deux articles parus dans Charles d’Orléans in England (1415-1440), éd. M.J. ARN, Cambridge, 2000 : W. ASKINS, The Brothers Orléans and their Keepers, p. 27-45 et G. OUY, Charles d’Orléans and his brother Jean d’Angoulême in England : What their Manuscripts Have to Tell, p. 47-60.
-
[47]
Les relations entre Charles et Gerson trouvent diverses motivations. Même s’il a d’abord condamné la politique de Louis d’Orléans et pris le parti bourguignon, Gerson va ensuite se ranger plutôt du côté du parti Armagnac et prononcer un discours contre Jean Petit, le défenseur du tyrannicide (Rex in sempiternum vive, n° 389, t. 7*, daté de 1413). Par ailleurs, Gerson a connu l’exil, comme Charles.
-
[48]
Malheureusement on est mal renseigné sur la bibliothèque du roi René lui-même qui était très riche. Voir J. ALBANÈS, La Bibliothèque du roi René, Revue des Sociétés savantes, t. 8,1874, p. 302-311.
-
[49]
G. OUY, Discovering Gerson the Humanist. Fifty years of serendipity, A Companion to Jean Gerson, éd. B.P. MC GUIRE, Leyde-Boston, 2006, p. 79-131.
-
[50]
L’inventaire de la librairie de Charles reste un document exceptionnel. On est pour le reste un peu démuni pour étudier la diffusion de Gerson dans les bibliothèques nobles. On reviendra sur les bibliothèques des ducs de Bourgogne. Le livre de J. BARROIS, Bibliothèque protypographique des fils de Jean, Charles V, Jean de Berri, Philippe de Bourgogne et les siens, Paris, 1830 est dans ce cas de peu d’intérêt. Voir également : L. DOUËT - D’ARCQ, Inventaire de la Bibliothèque du roi Charles VI fait au Louvre en 1423 par ordre du Régent, duc de Bedford, Paris, 1867 et M. VALLET DE VIRIVILLE, La Bibliothèque d’Isabeau de Bavière, femme de Charles VI, roi de France, Paris, 1858.
-
[51]
A.M. CHAZAUD, Les enseignements d’Anne de France, duchesse de Bourbonnois et d’Auvergne, à sa fille Suzanne de Bourbon, Moulins, 1878, p. 217,241 et 253.
-
[52]
J.P. BOUDET, La Dame à la Licorne et ses sources médiévales d’inspiration, Bulletin de la Société nationale des Antiquaires de France 1999, p. 61-80 ; ID., Jean Gerson et la Dame à la licorne, Religion et société urbaine au Moyen Âge. Études offertes à Jean-Louis Biget, éd. P. BOUCHERON et J. CHIFFOLEAU, Paris, 2000, p. 551-563.
-
[53]
R. BOSSUAT, Jean Gerson et la Moralité du cœur et des cinq sens, Mélanges de philologie romane et de littérature médiévale offerts à E. Hoepffner, Paris, 1949, p. 347-360.
-
[54]
H. STEIN, Olivier de La Marche, historien, poète et diplomate bourguignon, Bruxelles-Paris, 1888, p. 227. Il s’agit d’un poème sur les cinq sens adressé à la fille de Philippe le Beau et daté de 1501.
-
[55]
Voir LDB, t. 1 et M. DEBAE, La Bibliothèque de Marguerite d’Autriche. Essai de reconstitution d’après l’inventaire de 1523-24, Louvain-Paris, 1995.
-
[56]
DEBAE, La Bibliothèque de Marguerite d’Autriche, p. 201-202, notice 117.
-
[57]
LDB, t. 1, p. 97-99.
-
[58]
DEBAE, La Bibliothèque de Marguerite d’Autriche, p. 272-273, notice 155 et LDB, t. 1, p. 119-122.
-
[59]
DEBAE, La Bibliothèque de Marguerite d’Autriche, p. 274-275, notice 156 et LDB, t. 1, p. 126-128.
-
[60]
LDB, t. 1, p. 221-225.
-
[61]
DEBAE, La Bibliothèque de Marguerite d’Autriche, p. 470-472, notice 337.
-
[62]
F. DE GRUBEN, Les chapitres de la Toison d’Or à l’époque bourguignonne (1430-1477), Louvain, 1997.
-
[63]
Voir M.P.J. MARTENS, Lodewijk van Gruuthuse. Mecenas en Europees diplomaat ca 1427-1492, Bruges, 1992.
-
[64]
C. LEMAIRE, De Bibliotheek van Lodewijk van Gruuthuse, Vlaamse kunst op perkament. Handschriften en miniaturen te Brugge van de 12de tot de 16de eeuw. Tentoonstelling ingericht door de Stad Brugge in het Gruuthusemuseum 18 juli-18 oktober 1981, Bruges, 1981, p. 207-229.
-
[65]
Corpus Catalogorum Belgii. The Medieval Booklists of the Southern Low Countries, éd. A. DEROLEZ ET AL., 4 vol., Bruxelles, 1994-2001.
-
[66]
Voir DE GRUBEN, Les chapitres de la Toison d’Or. À son sujet voir l’article de C. VAN HOOREBEECK, À l’ombre de la librairie de Bourgogne. Les livres de Martin Steenberch, secrétaire ducal († 1491), Revue belge de Philologie et d’Histoire, t. 84,2006, p. 307-363.
-
[67]
Un coup d’œil dans l’étude de la bibliothèque de Guillaume Hugonet n’a pas permis de mettre au jour la présence d’œuvres de Gerson. Voir A. et W. PARAVICINI, L’arsenal intellectuel d’un homme de pouvoir. Les livres de Guillaume Hugonet, chancelier de Bourgogne, Penser le pouvoir au Moyen Âge, p. 261-325.
-
[68]
D.B. HOBBINS, Gerson on Lay Devotion, A Companion to Jean Gerson, p. 41-78.
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[69]
Ceux-ci sont conçus selon des schémas de roman, comme des aventures de chevaliers errants en quête de prouesse. Voir C. BEAUNE, Vœux et Pas, Splendeurs de la cour de Bourgogne. Récits et chroniques, sous la dir. de D. RÉGNIER-BOHLER, Paris, 1995, p. 1131-1191.
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[70]
M.R. JUNG, Les Douze Dames de Rhétorique, Du Mot au texte. Actes du IIIe Colloque International sur le Moyen Français, Düsseldorf, 7-9 septembre 1980, éd. P. WUNDERLI, Tübingen, 1982, p. 229-140.
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[71]
Voir BEAUNE, Vœux et Pas.